Normaliens et pratiquants de MMA:
une transgression conformiste?
Retours réflexifs sur un processus de
recherche entre intuitions et rectifications.
Matthieu Quidu
Professeur agrégé d’EPS à l’ENS de Lyon.
Chercheur associé au CRIS.
Congrès de l’ACAPS, Nantes, 26 octobre 2015.
Le Mixed Martial Arts
Discipline de combat de synthèse.
Créée par et pour les professionnels.
En vue de la médiatisation télévisuelle.
Via un « marketing de l’ultime ».
Image sulfureuse et transgressive
=>panique morale.
Les étudiants de l’ENS Lyon
Elèves-fonctionnaires-stagiaires.
Formation par et pour la recherche.
Agrégés et Enseignants-chercheurs.
Image prestigieuse et élitiste.
=>institution d’excellence.
Académisme et sélectivité.
Genèse de l’objet de recherche:
l’intuition d’un paradoxe et d’une dissonance…
Image sulfureuse et transgressive
=>panique morale.
Image prestigieuse et élitiste.
=>institution d’excellence.
De l’intuition d’un paradoxe…
?
Le Mixed Martial Arts Les étudiants de l’ENS Lyon
…A la mise à l’épreuve d’hypothèses explicatives.
Comprendre une dissonance culturelle en termes de légitimité
(Lahire, 2004).
Pluralité des dispositions (≠expériences de socialisation).
Besoin de compenser une pression à l’excellence.
Stratégie identitaire
d ’« encanaillement des élites ».
Constitution du corpus empirique
Sur une soixantaine de combattants en cinq ans…
11 élèves-combattants interrogés par entretien semi-directif.
12 élèves-combattants sondés par questionnaire électronique.
2 personnels-combattants sondés par questionnaire.
3 étudiants-combattants non pratiquants de MMA.
Conditions de la rencontre avec le MMA.
Rapport à la pratique professionnelle.
Motivations et objectifs.
Secteurs de combat et modes de travail.
Communication sur sa pratique.
Cursus sportif et martial.
Parcours académique, projets, loisirs.
Expérience vécue et bienfaits.
Rapport au quotidien estudiantin.
Conception et définition de la discipline.
1
èrepartie: La pratique du MMA chez les Normaliens:
=>Vers la déconstruction d’un paradoxe apparent.
2
èmepartie: Synthèse des principaux résultats.
=>Le sens et les mobiles de la pratique des étudiants.
=>Un conformisme axiologique néolibéral?
3
èmepartie: Réflexions épistémologiques.
=>Le processus de recherche entre intuitions et rectifications.
Les trois temps de la réflexion.
1 ère partie
La pratique du MMA chez les Normaliens:
=> Vers la déconstruction d’un paradoxe apparent.
A) Rapport distant au spectacle professionnel.
B) Prégnance du cadre protecteur.
C) Communication prosélyte sur sa pratique.
D) Dissociation forte MMA / combat réel.
Critique des dérives et lucidité
Méconnaissance et/ou désintérêt
Admiration de la richesse technique
Une dissociation marquée par rapport à l’image
« sulfureuse » et « violente » du MMA professionnel .
A) Un rapport distant au spectacle professionnel.
Entre le MMA comme spectacle professionnel
et le MMA comme pratique personnelle…
Jérôme: « Avant de suivre le cours, je n’avais jamais regardé de combats professionnels, je ne connaissais pas la discipline. Pratiquant désormais, je ne regarde pas plus ces combats; cela n’a jamais été mon truc. La dimension spectacle dans le sport ne m’intéresse pas ».
Méconnaissance et/ou désintérêt
Admiration de la richesse technique
Critique des dérives et lucidité
Jean-Daniel: « J’étais admiratif de la prouesse physique qui est impressionnante; et de la technique: être capable d’atteindre un très haut niveau dans plusieurs disciplines de combat, je trouvais cela fascinant ».
François: « J’ai toujours entretenu un rapport distant voire critique (santé des combattants) vis-à-vis du MMA professionnel qui ne m’intéresse pas tellement. Cela m’évoque un spectacle un peu voyeuriste où s’exprime une violence ritualisée. Le mythe du combat libre, sans règles, est un concept commercial à l’origine, qui demeure vivace, au moins chez le grand public ».
Contexte de l’ENS Ne pas faire mal Ne pas se faire mal
Au-delà de cette non référence à l’image
transgressive et violente du show professionnel…
=>Une référence constante au
« cadre protecteur » dans sa pratique
B) Une référence constante au « cadre protecteur ».
Alvaro: « Je me suis vite rendu compte que ce n’était pas dangereux. Vu le cadre dans lequel c’était réalisé, je n’avais pas spécialement d’appréhension. Mais je n’aurais pas forcément essayé le MMA dans un endroit non contrôlé ».
Contexte de l’ENS
Ne pas faire mal
Ne pas se faire mal
Johannes: «L’ambiance du cours est vraiment respectueuse, notamment dans le travail au sol où on essaie des étranglements et des clés. On sait que l’on peut faire beaucoup de mal à l’adversaire si on continue à exercer de la force; on sait que l’adversaire a le droit de taper et cela, il faut le respecter ».
Alexandre: « Je tiens beaucoup à mes neurones et le fait de prendre des coups n’est pas très approprié pour les préserver. Du fait de sa grosse phase au sol, le MMA permet d’en préserver un maximum, notamment par rapport à la boxe ».
C) Une communication tournée vers la déconstruction des a priori de violence:
« Faire changer les mentalités ».
Prosélytisme et embarras
Nathanaël: « Parler du MMA produit parfois des incompréhensions agaçantes: « comment peux-tu étudier la philosophie et faire du free fight ? ». Il y a une certaine gêne lorsque je pressens que c’est l’objet de préjugés; alors j’ai envie de convaincre les autres en montrant que c’est un sport moins dangereux que la boxe ».
Prosélytisme et fierté
Gilles: « Je suis dans une démarche de propagation de l’information pour faire changer les regards sur le MMA.
J’essaie de corriger les préjugés, comme la masculinité exclusive, la violence, le manque d’aspect technique et d’intelligence des combattants… car je suis fier de faire ce sport, comme on est fier d’aimer le sport que l’on fait quel qu’il soit ».
D) Une dissociation forte entre MMA et combat réel.
L’auto-défense comme objectif
absent
Nathanaël: « Je n’ai aucune envie de tester l’efficacité des techniques en dehors des cours! L’auto-défense, on a certes cela en tête, mais dans mon cas ce n’est absolument pas la raison. D’abord, parce que je n’ai jamais eu d’ennuis et ne suis pas du genre à en chercher.
Ensuite, parce que je connais la différence entre une situation de cours où il y a des règles et des protections et une situation dans la rue, la majorité des techniques étant inefficaces ».
Arthur: « La possibilité de me défendre en cas d’agression était présente mais n’était pas ma motivation principale. J’ai été assez peu exposé à ce genre de situations ».
L’auto-défense comme objectif
secondaire
Bilan 1 ère partie:
Normaliens et pratiquants de MMA?
Un rapport distant et critique au spectacle
professionnel
Une référence constante au cadre
protecteur
Une communication visant à briser les clichés de violence
Une dissociation marquée entre MMA
et combat réel
Déconstruction de l’intuition d’un paradoxe
transgressif et d’une dissonance.
2 ème partie:
Synthèse des principaux résultats.
A) Le sens et les mobiles de la pratique.
B) Un conformisme axiologique néolibéral?
=>Aller au-delà de l’apparence du paradoxe
transgressif et de la dissonance pour cerner le sens
que les Normaliens attribuent à leur pratique.
Pour les pratiquants au « cursus martial »
A) Le sens et les mobiles de la pratique.
=>élargir son bagage technique pour devenir un combattant complet.
Jean-Daniel: « Vu que j’avais déjà une expérience de deux sports de préhension et de percussion (judo et karaté), je me disais que cela pouvait être intéressant de combiner les deux. Je voulais diversifier ma panoplie technique ».
=>découvrir les sports de combat au travers d’une activité complète.
Pour les « néophytes martiaux »
Alvaro: « Je n’avais jamais fait de sport de combat. J’ai essayé un peu la boxe française qui est plus limitée par des règles et n’autorise que certaines choses. Quitte à faire un sport de combat, mieux valait en faire un plus complet ».
=>une part de contingence dans l’entrée en pratique.
Marie: « Un camarade m’a parlé du MMA et m’a dit « viens essayer ». S’il avait fait de la boxe française, j’aurais fait de la boxe française».
Décompression et relâchement:
=>plaisir
(court-terme).L’expérience vécue du MMA.
Marius: « Rien ne défoule plus qu’un combat après une journée pénible. Un défoulement libérateur, puis une grande sensation d’apaisement après l’entrainement ».
But de maîtrise et d’apprentissage.
=> satisfaction
(long-terme).Bien-être et équilibre.
Alvaro: « Le fait d’apprendre de nouvelles techniques était motivant. Tu as l’impression de progresser, c’est toujours agréable. Ce qui me procure du plaisir, c’est de dominer certaines clés, de façon correcte et épurée, il y a un plaisir esthétique. Gagner ou perdre n’est finalement pas le plus important car l’essentiel est d’apprendre, de savoir ce que l’on fait ».
Gary: « Le MMA est plus qu’un défouloir pour moi, il participe d’un équilibre de vie globale.
Ça s'inscrit dans mon quotidien au même titre qu'une alimentation saine, un bon rythme de sommeil, des lectures enthousiasmantes, des relations heureuses ».
Les apports du MMA.
Développement de la confiance en soi
Gilles: « Le MMA m’a permis, en traversant des épreuves, de gagner de la confiance en moi, je me suis prouvé que j’en étais capable, j’en ressors plus fort et j’ai gagné en estime personnelle ».
Progrès de la concentration
Max : « Le MMA m’a permis de développer une nouvelle façon de faire attention à mon environnement, une intuition sans l’esprit discursif. Le MMA m'aide à calmer mon esprit ».
Johannes: « Le MMA me sort de mon quotidien trop régulier. Une fois dans la semaine, je fais quelque chose de différent. Même quand je fais de la muscu, c’est régulier, c’est cadré. Le MMA m’apporte quelque chose de nouveau avec de l’incertitude. Cela casse la régularité de la semaine et m’apporte de la liberté par rapport aux études ».
Fonction de
déroutinisation
Pluralité des dispositions suite à des expériences diverses de
socialisation.
Besoin de compenser une pression à l’excellence.
Stratégie identitaire
d’« encanaillement des élites ».
Rejet de la violence et de la transgression.
Rapport critique au MMA professionnel.
Que reste-t-il des hypothèses de départ?
Motivation présente mais non prioritaire.
+Volonté de maîtrise et de progression.
Des expériences martiales de socialisation => MMA.
Mais subsiste une part de contingence dans l’entrée en pratique.
B) Un conformisme axiologique néolibéral?
Qualités valorisées dans le MMA par les
étudiants.
Grandeurs de la cité
« connexionniste »
(Boltanski & Chiapello, 1999).
Polyvalence et adaptabilité
Stratégie
Alexandre: « Si je devais dégager le sportif le plus complet, je choisirais un combattant de MMA. La recherche de polyvalence m’intéresse, y compris dans ma carrière professionnelle: je veux pouvoir changer du tout au tout; pas forcément être le meilleur mais pouvoir jouer chaque rôle ».
Alvaro: « Au sol, il y a pas mal de moments de temporisation où tu as le temps de réfléchir pour savoir comment procéder;
une forme de plaisir stratégique, voir si ton plan marche ».
Efficacité
Gilles: « Le style propre du MMA est une recherche de l’efficacité maximale; on ne se s’amuse pas à faire des coups qui peuvent nous mettre en danger et qui nous mettraient moins en danger dans d’autres styles ».
« Socialisation anticipatrice »
Normaliens et pratiquants de MMA?
Complicité ontologique
-incitation à la singularisation des parcours.
-invitation à l’interdisciplinarité.
-préparation à l’entrée dans le groupe de référence (Merton, 1957).
-incorporation de normes et valeurs.
Le MMA: Emanation du libéralisme et Préparation ludique à ses impératifs.
=>Le MMA: espace actualisateur et formateur de dispositions morales spécifiques.
Un conformisme axiologique néolibéral?
NB: attrait du MMA chez:
-les étudiants d’institutions prestigieuses: IEP de Paris; Université Paris I … -les cadres supérieurs: clubs fermés (Lagardère Paris Racing) ou comités d’entreprise (Microsoft).
3 ème partie.
Réflexions épistémologiques.
=>Le processus de recherche entre intuitions et rectifications.
A) Une intuition originelle fallacieuse.
B) Le MMA: une logique interne, des modalités de pratique?
C) Etre l’enseignant et l’enquêteur: écueils et intérêts.
« Sur-interprétation de type 2 »
(Lahire, 2005):-produite par le décalage non objectivé et non contrôlé entre la situation du chercheur face aux matériaux étudiés et la situation des enquêtés.
-oubli dans l’interprétation des conditions réelles dans lesquelles les acteurs étaient amenés à agir, penser, voir, sentir.
La fonction de l’opinion dans la recherche
(Bachelard, 1936):« Critiquer le complexe impur de nos intuitions premières ».
« Pas de vérité sans erreurs rectifiées; « une lutte contre ses préjugés » Les intuitions sont très utiles; elles servent à être détruites.
=> Pouvoir rectificatif du travail empirique.
A) L’intuition fallacieuse d’un paradoxe transgressif
=>Amalgame trop hâtif entre d’un côté des
représentations médiatiques et politiques négatives et de
l’autre le sens investi par les pratiquants.
Ecueils: essentialisme + fétichisme linguistique (« MMA »).
B) Le MMA:
une logique interne, des modalités de pratique?
UFC, Etats-Unis MMA à l’ENS Felony fights Ex: Felony fights
(Brent & Kraska, 2013);une expérience divergente:
-dimension technico-tactique minorée.
-permissivité maximale.
-mise en scène des conflits socio-ethniques.
-valeur transgressive et ordalique.
-“a visceral reaction to today’s highly rationalized modes of social governance”.
C) Etre l’enseignant et l’enquêteur: écueils et intérêts.
Tentation d’exacerbation de la singularité du MMA: un sport entièrement à part?
Déformations des données
Accès à des
matériaux inédits
Reproduction d’un discours sur l’efficacité et la polyvalence.
=>biais de désirabilité sociale .
Observation longue:
=>appropriation réflexive.
=>logique d’apprentissage.
Le MMA pour « faire du sport »:
Clément: « Je vois ma pratique du MMA comme une sorte de gym ludique, sans vraiment désir de progresser. C’est un moyen de faire du sport pour améliorer ma condition physique générale ».
Un sport de combat comme les autres?
Gilles: « Le MMA est un sport de combat comme les autres, les techniques sont différentes, mais la pratique est assez similaire (échauffement, technique, sparring) ».
