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La jota dans les terres de l’Èbre au sud de la Catalogne. Une pratique territorialisée et territorialisante

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56 | 2006

Espace : échanges et transactions

La jota dans les terres de l’Èbre au sud de la Catalogne

Une pratique territorialisée et territorialisante

Jota in Terre de l’Ebre in south Catalonia : building the territory

Claire Guiu

Édition électronique

URL : http://journals.openedition.org/gc/8764 DOI : 10.4000/gc.8764

ISSN : 2267-6759 Éditeur

L’Harmattan Édition imprimée

Date de publication : 15 janvier 2006 Pagination : 91-110

ISBN : 2-296-00586-1 ISSN : 1165-0354 Référence électronique

Claire Guiu, « La jota dans les terres de l’Èbre au sud de la Catalogne », Géographie et cultures [En ligne], 56 | 2006, mis en ligne le 29 avril 2020, consulté le 29 novembre 2020. URL : http://

journals.openedition.org/gc/8764 ; DOI : https://doi.org/10.4000/gc.8764 Ce document a été généré automatiquement le 29 novembre 2020.

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La jota dans les terres de l’Èbre au sud de la Catalogne

Une pratique territorialisée et territorialisante

Jota in Terre de l’Ebre in south Catalonia : building the territory

Claire Guiu

1 Les musiques et danses traditionnelles sont associées à un territoire (du « terroir » au

« territoire-monde » qui constitue le garant d’un ancrage, d’un enracinement dans un lieu et dans un temps perçus comme « originels ». Alors que s’accentuent les tendances au repli vers le local et la cristallisation identitaire d’une part, l’ouverture vers le global et l’universel d’autre part, l’essor de ces pratiques folkloriques est un processus significatif de nouveaux rapports au temps, à l’identité et au territoire. Elles révèlent les tensions de notre monde (sur) ou postmoderne entre circulation et iconographie1, global et local, urbain et rural, moderne et traditionnel et représentent dès lors un objet d’intérêt pour le géographe. Dans quelle mesure ces activations patrimoniales constituent-elles des « géoindicateurs » des sentiments d’appartenance, des perceptions territoriales et des dynamiques territoriales ? Dans quelle mesure également ont-elles une valeur performative dans la négociation et la construction de frontières et de territoires de projet ?

2 Si beaucoup d’études ont été menées sur le folklore et sur ses localisations

« originelles », peu en revanche ont pris en compte les localisations et spatialisations du folklorisme2. Nombre de géographes ont pourtant reconnu l’intérêt de l’étude de la construction d’objets dits traditionnels dans l’approche des nationalismes en géographie3.

3 Depuis la transition démocratique en Espagne, les pratiques à caractère patrimonial constituent des marqueurs identitaires forts et participent au jeu de définition des Communautés autonomes. Afin d’analyser les caractères territorialisés et territorialisant de ces objets, nous nous penchons sur la jota dans la région des Terres de l’Èbre, au sud de la Communauté autonome de Catalogne. La jota est à la fois un chant, une danse et une musique pratiqués sur une grande partie du territoire

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espagnol : en Aragon notamment dont elle est devenue l’un des emblèmes identitaires, mais aussi en Castille, aux Baléares, en Estrémadure, en Galice, aux Canaries, à Valence ainsi que dans le sud de la Catalogne, dans la région des Terres de l’Èbre. Un travail de terrain effectué entre 2000 et 2003 auprès des différents acteurs nous a permis de suivre les dynamiques territoriales et identitaires de cette région catalane mue par de fortes revendications depuis l’annonce en 2001 par le gouvernement espagnol d’un Plan hydrologique national concernant les eaux du fleuve de l’Èbre.

Les Terres de l’Èbre dans la Catalogne

4 Les « Terres de l’Èbre », région rurale et frontalière des communautés autonomes de Valence et de l’Aragon, sont formées de quatre comarques4 (Baix Èbre, Montsià, Ribera d’Èbre, Montsià et Terra Alta). Elles ne constituent pas une région administrative, mais bien une région revendiquée, « entre désir et réalité »5 dont les limites et les appellations divergent. Anciennes6 et nouvelles appellations7 se recoupent et se superposent, laissant à chacun une marge de choix dans l’appropriation du territoire et dans la considération de ses frontières.

5 Ce Sud catalan présente des caractères culturels distincts du reste de la Catalogne, car il ne fut que peu touché par le mouvement culturel et idéologique de la Renaixença au XIXe siècle, lorsque l’élite romantique catalaniste s’attachait à la valorisation littéraire du catalan et à la construction d’un « modèle d’identité catalane ». C’est en effet à partir de la Renaixença que s’élabora une représentation symbolique de l’idée de Catalogne et de la « catalanité » (Prats, 1993). Le principe d’identité s’exprima et s’implanta, entre autres, par un système de pratiques devenues symboles qui se diffusèrent sur l’ensemble du territoire. Polarisée autour du fleuve et de la ville de Tortosa, la Catalogne méridionale ne fut pas l’objet de préoccupations folkloristes. Pour l’élite renaixentiste barcelonaise de l’époque, c’était en effet un espace ilou, més allà de l’Èbre8. Seules les associations excursionnistes s’y aventuraient. Elle a donné l’image d’un milieu hostile, d’un delta salubre aux terres amphibies.9 C’est une terre que R.

Miravall (1969) définit comme « passive », « immobile » ou « apathique ». Cette basse vallée de l’Èbre fut donc longtemps méconnue et dévalorisée, voire marginalisée. La dévalorisation, endogène et exogène fut la conséquence de difficultés démographiques et économiques, mais aussi le fruit d’un jeu identitaire entre la région et le territoire catalan / espagnol, entre une culture dominante légitime et une culture de

« périphérie ». Elle se fonde sur un complexe d’infériorité linguistique et culturel vis-à- vis du reste de la Catalogne, d’autant plus fort que l’identité catalane fut souvent confondue avec la langue catalane. On y parle en effet le « tortosin » (terme employé par l’élite locale pour désigner un parler de transition entre le catalan nord-occidental et le valencien10). On y danse la jota et non la sardane11 qui est considérée à partir du début du XXe siècle comme la danse nationale de la Catalogne12.

6 Au second quart du XXe siècle, un cénacle de tortosinistes lettrés créa en réaction un mouvement culturel local, valorisant un « fait différentiel tortosin » et répondant à la devise « Ni catalans, ni valenciens : cortisone ! » Le tortosiniste J Moreira, fut l’un des premiers folkloristes de la comarca de Tortosa et l’auteur du plus grand travail écrit sur le folklore tortosin, Del Folklore tortosi, édité pour la première fois en 1934 dans sa langue originale, le « tortosin ancien »13. Ses travaux sont repris par les chanteurs et musiciens actuels.

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7 La région tortosine connut un véritable processus de folklorisation sous le régime franquiste, au sein des Coros y Danzas de la Seccion femenina14, lorsque le folklore fut l’objet d’une grande politique de structuration nationale. Les particularités locales étaient en effet encouragées au nom d’un « régionalisme » sain et bien compris. C’est à partir des premiers Coros y Danzas que la jota et autres danses tonosines furent dansées au sein de groupes15. C’est bien à partir de la Seccion femenina que la danse fut interprétée en costume traditionnel.

8 Depuis la transition démocratique, l’identité se dit en Catalogne sur le mode de la récupération et de la (ré)affirmation d’un « fait différentiel catalan ». Elle est l’objet d’une volonté forte de projection européenne. Parallèlement, les identités de comarca se construisent et se revendiquent. Les Terres de l’Èbre affichent dès lors leurs particularités culturelles tout en accueillant comme marques de catalanité les nouvelles traditions catalanes inventées depuis la transition démocratique.

Présentation de la jota

9 La jota descend du fleuve de l’Èbre, de l’Aragon vers la Catalogne, nous a-t-on dit à Barcelone. Idée curieuse d’une danse qui se propagerait par un fleuve… Premier point de départ plein de mystères cependant pour le géographe parfois tenté d’accorder toute confiance au milieu naturel comme facteur de localisation ! Le fait culturel serait donc un produit de la terre qui emprunterait les fleuves et contournerait les monts.

Fait devenu d’autant plus intrigant lorsque, à Tortosa, de nombreuses personnes nous assuraient que la jota ne descendait pas, mais qu’elle remontait le fleuve en direction de l’Aragon...

10 La jota se danse en files ou en ronde ; les danseurs élaborent ensemble des variations à partir du pas de base : un mouvement latéral de translation, de droite à gauche. Le buste est ouvert, les bras au niveau des épaules ; les claquements de doigts ou les castagnettes marquent le rythme ternaire. Lors des refrains, les danseurs effectuent des mouvements plus complexes et plus aériens. Cette jota dansée au sud de la province de Tarragone est aussi appelée cota, çota, ou hall de pagès. L’appellation « jota des Terres de l’Èbre » est récente et correspond à la construction de l’entité territoriale des « Terres de l’Èbre » en Catalogne. Selon J. Bargallo16, on peut distinguer la jota « tortosine » de la

« jota tarmgonaise », suivant la proximité géographique avec Tortosa ou Tarragone, l’une se dansant en deux files de danseurs et l’autre en ronde.

11 La « jota tortosine » fait parfois référence uniquement à la jota chantée. Les

« versificateurs »(c’est le nom que s’attribuent les chanteurs), accompagnés de leur rondalla17, improvisent au son d’un rythme ternaire des couplets de quatre à huit vers.

Lors des fêtes patronales, ils parcourent les rues et rendent hommage aux autorités, improvisent des sérénades aux jeunes filles, puis saluent les habitants du village. Les refrains de la jota couvrent des thématiques variant selon les contextes : chant de taverne au contenu satirique et grossier, chant d’exaltation de valeurs telles que l’amour, la foi ou la patrie, chant de sérénade, chant nostalgique consacré à la région, ou encore chant revendicatif dénonçant les difficultés du monde agricole.

12 La pratique traditionnelle de chant est localisée dans les comarques du Baix Èbre et du Montsià, alors que la pratique de danse se trouve principalement localisée dans la comarca de la Terra Alta (Figure 1). L’état de la tradition n’est pas partout le même.

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Certains villages maintiennent une pratique de danse vive18, certains gardent le souvenir d’une pratique encore vive il y a peu de temps, d’autres enfin ont connu une rupture de la pratique et ne connaissent la danse traditionnelle que par sa

« récupération »19.

Figure 1 : Localisation des pratiques de jota et sardane dans les Terres de l’Èbre

La jota en Catalogne : une pratique incommode

13 La jota des Terres de l’Èbre est l’élément perturbateur au sein d’un système de symboles établi à l’échelle des communautés autonomes, définissant la jota comme aragonaise et la sardane comme danse nationale de la Catalogne. La présence d’une pratique traditionnelle de jota dans le sud de la Catalogne fut longtemps l’objet d’une dévalorisation interne et externe. Perturbant les conditions d’un « fait différentiel catalan », elle fut perçue comme une acculturation mauvaise de l’Aragon.

« Le folklore tortosin n’a d’ailleurs que peu de choses de tortosin. Si le costume ne l’est pas, la musique, née de la ‘jota aragonaise’ l’est encore moins. [...] la musique est vulgaire, détériorée, pauvre, et bien heureusement, en voie d’extinction » (Miravall, 1969).

14 Les membres de la Seccion femenina ne considéraient pas non plus la jota comme une richesse autochtone et ne l’enseignaient pas dans tous les villages (à Paüls, à Xerta par exemple), alors que des « danses régionales catalanes » (dont parfois la sardane) étaient enseignées20.

15 Il se joue dès lors entre les Terres de l’Èbre et le reste de la Catalogne des conflits de symboles et de représentation, Les Terres de l’Èbre, dont peu d’éléments permettent de justifier un fait différentiel catalan, ne se sentent pas toujours représentées à travers

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les médiateurs symboliques diffusés par le centre, La jota, parmi tant d’autres éléments festifs des Terres de l’Èbre (la tradition des vachettes par exemple) est une célébration incommode21 au sein d’une Catalogne forte d’un système de symboles construits pendant la Renaixença. La diffusion de ces symboles à l’ensemble du territoire, auxquels s’ajoutent les nouvelles « traditions catalanes » inventées depuis la transition démocratique, provoque certains mécontentements et devient un argument de la perte des pratiques traditionnelles des Terres de l’Èbre, « on essaie de nier les valeurs de la fête des Terres de l’Èbre », affirme J. Bertrand Luego.

« Pourquoi est-ce que les gens n’improvisent-ils plus aujourd’hui ? Eh bien parce que nous avons la politique d’aujourd’hui : ils veulent que nous soyons Catalans avant d’être Espagnols, et avant d’être du Delta : catalans ! La sardane, les correfocs et la Catalogne ! Ce qui est régional est en train de se perdre. Je ne vois aucun inconvénient à ce qu’ils fassent des sardanes..., mais par contre j’y vois un inconvénient lorsqu’ils nous font perdre quelque chose qui nous appartient tant, qui est naturel d’ici, du pays » (Chanteur traditionnel de jota, entretien du 04/06/2001).

16 Aux divergences de pratiques et aux conflits de symboles s’ajoutent des inégalités d’institutionnalisation de la tradition selon les régions, même si la politique culturelle de la Catalogne est aujourd’hui attentive à reconnaître les particularités culturelles des Terres de l’Èbre. Des conférences sont organisées par le département de la Culture de la Generalitat et le CPCPTC22 autour des aspects culturels et ethnologiques de la région.

17 La jota dans les Terres de l’Èbre, perturbant les systèmes de symboles établis à l’échelle de la Catalogne et à l’échelle des communautés autonomes, est en mal de territoires de référence. Il s’agit donc pour ses acteurs de dépasser les structures existantes afin de créer de nouveaux espaces d’appartenance, tels que les « Pays catalans »23 ou la

« Méditerranée ».

La jota, c’est ça ?

18 « La jota, c’est ça », avait ironisé Raymond Devos. Ce genre musical peut en effet se définir par un certain nombre de traits musicologiques24. Cependant sous ce même objet se cachent des formes, des fonctions et des idéologies différentes ; la jota, comme tout objet patrimonial immatériel, n’est rien sans des acteurs qui l’activent. Il n’y a donc pas une, mais des jotas, dont les histoires, les localisations et les territoires divergent.

19 Les chanteurs traditionnels, improvisant les couplets d’un chant ternaire à la structure métrique rigoureuse, côtoient les jeunes soucieux de maintenir la tradition à travers des groupes de musique folk ou à travers l’apprentissage de la jota à l’école de musiques et danses traditionnelles de Tortosa. Les personnes dansant de manière spontanée lors des fêtes de village partagent la danse avec les groupes folkloriques, en costume et aux pas uniformisés. Il est ainsi possible de dresser une typologie des acteurs rendant compte de la variété des formes, du sens et des fonctions assignées à la jota. Nous avons dans les Terres de l’Èbre :

des chanteurs traditionnels, âgés de 50 à 85 ans et uniquement masculins. Ils se disent

« professionnels » car ils sont payés pour chanter. Ils improvisent, mais ne savent pas comment ni par qui ils ont appris, et affirment tous être incapables d’enseigner la jota. « Je peux t’apprendre à construire un moteur..., mais ça non, je ne pourrais pas te l’enseigner. »

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« Cela sort de l’intérieur. »25 Ils considèrent cette pratique comme lo tipico de la région et ne l’associent à aucune idéologie particulière.

de jeunes chanteurs (entre 15 et 35 ans, hommes et femmes) apprenant la jota à l’Aula26 de Tortosa. À la différence des chanteurs traditionnels, ils n’improvisent pas. Ils associent au folklore régional des valeurs identitaires fortes, et font généralement partie de nombreuses associations à caractère folklorique.

20 Un groupe de jota folk, Quico el Celio, el Noi i el Mut de Ferreries, qui met en scène avec humour et ironie des personnages imaginés, des « antihéros », archétypes d’une culture traditionnelle des Terres de l’Èbre. Il reprend le répertoire traditionnel et est soucieux de restaurer non pas tant la forme, mais la fonction de la tradition de jota. Cet ensemble obtient un vif succès auprès de la population, toutes générations confondues, et représente aujourd’hui l’identité des Terres de l’Èbre dans les revendications régionales.

21 Nous avons une tradition de jota dansée :

Par des groupes de danse constitués dans le cadre des associations de « maîtresses de maison », et majoritairement composés de femmes, âgées de 25 à 60 ans. Ces associations organisent divers types d’activités et constituent souvent un substitut aux anciens groupes de la section féminine. Ils sont aujourd’hui entièrement apolitiques. Les groupes de danse se produisent dans l’ensemble de la Catalogne et parfois à l’étranger.

Des groupes mis en place par des initiatives autochtones individuelles et indépendantes. La composition de ces groupes est plus hétérogène (sexe et âge), avec toutefois une prédominance féminine. Ils ne se produisent pas en dehors de leur comarca, voire de leur village.

Des groupes nés d’une volonté politique et organisés par la mairie. Ils sont généralement destinés uniquement aux enfants et jeunes adolescents.

Des groupes nés des idées du mouvement « revivaliste » ou de ce que Llorenç Prats27 appelle le mouvement « néofolkloriste » (qui se base sur des valeurs de participation, écologisme, néoruralisme, exotisme et catalanisme de gauche). Les danseurs sont âgés de 25 à 35 ans ; il y a autant de danseurs que de danseuses. Ils se produisent en Catalogne et dans les « Pays catalans ».

22 Cette typologie permet de souligner les différentes histoires, intentions et systèmes de valeurs qui conditionnent la composition et le comportement territorial des groupes de jota. Derrière la pratique se lisent des idéologies territoriales et des mémoires. Dans l’Espagne contemporaine des autonomies, le folklore devient l’enjeu de politiques identitaires territoriales. Ainsi, une étude basée uniquement sur les localisations des groupes n’apporterait rien sans la prise en considération des significations de chacun ; la géographie du fait folklorique est avant tout une géographie du sens.

Vers une lecture des perceptions territoriales et des mémoires

23 La jota peut être considérée comme un angle d’observation, un fil d’Ariane qui, si on le dévide, révèle les logiques de temporalité et de territorialité propres à chaque groupe, voire à chaque individu. Elle devient alors un prétexte pour cerner les logiques du processus identitaire de la région des Terres de l’Èbre28.

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24 Les discours autour de la jota traduisent les perceptions et les intentions territoriales des acteurs. Les conceptions essentialistes de l’identité sont vivaces chez la majorité des personnes interrogées. Les particularités locales de la danse sont en effet interprétées comme des produits de la terre ; le milieu est considéré comme déterminant, et la terre protectrice d’un caractère essentiel. La pratique de la jota dans les Terres de l’Èbre est ainsi l’objet d’une interprétation orographique et hydrographique ; celle du village de Paüls est « plus aérée, vive » car « nous sommes à la montagne » ou bien parce que « ici, il fait plus froid »29. « La danse catalane est plus calme que d’autres danses ; les Catalans sont plus sérieux », affirme un folkloriste actuel des Terres de l’Èbre.

25 Les lieux sont enfin parfois associés à une intentionnalité, au sein d’un cadre spatio- symbolique : ils sont investis d’un pouvoir de conception, d’adoption et de baptême de l’objet traditionnel, comme l’expriment de nombreuses paroles de jota : « La jota s’appelle jota / parce qu’Aben Jot l’a inventée / et on la dit aragonaise / parce que là-bas on l’a baptisée ».

26 La jota est associée au territoire en même temps qu’elle participe de sa construction.

Elle est activée par certains auteurs pour historiciser et naturaliser des cadres territoriaux. La danse est uniformisée selon les caractéristiques du territoire d’appartenance qui lui a été conféré ; la forme et l’interprétation de cet objet deviennent par la suite des éléments justifiant l’ancrage dans le territoire. C’est ce qu’ont pu nous montrer les témoignages similaires de danseurs de Paüls et de St Caries de la Ràpita. « La seule chose que nous ayons rajoutée dans la manière de danser la jota, c’est de danser les bras levés au-dessus des épaules… car la jota est d’origine aragonaise et là-bas, les femmes dansent les bras en l’air », nous a confié une danseuse de Paüls.

Plus en avant dans la discussion, alors que nous lui demandions quelle était, selon elle, l’origine de la jota, elle nous répondait : « Je crois que la jota de Paüls est d’origine aragonaise, car nous dansons les bras en l’air, comme en Aragon. À Tortosa, les femmes dansent les bras en bas ». Un danseur de Sant Caries nous a tenu un discours similaire au sujet des castagnettes. Il les avait rajoutées car « la jota est aragonaise, et en Aragon, ils utilisent les castagnettes », puis nous avait justifié l’origine aragonaise de la jota de son village par l’usage des castagnettes.

27 Outre la lecture de perceptions territoriales, l’analyse des pratiques de groupes folkloriques reflète différentes histoires. Le groupe folklorique met en scène un passé rêvé dont les caractéristiques dépendent souvent de sa propre histoire. L’authenticité de la danse est justifiée par les danseurs par des arguments de mémoire : une danse est jugée traditionnelle quand elle a été pratiquée « toute la vie », ce qui équivaut à

« depuis toujours ». Le passé commence aux limites de la mémoire. Mais tous les passés ne sont pas bons pour raconter l’histoire d’une tradition et il s’opère depuis la transition démocratique une reconstruction de la mémoire et une récupération de l’histoire. Il s’agit de « travailler la mémoire collective » (Andreu, 13/04/02) ou encore d’instaurer « une politique de mémoire » (Roy, 13/04/02). L’héritage du franquisme est sans cesse renégocié et réinterprété. J. Bargallo par exemple, est intervenu depuis la transition démocratique dans plusieurs villages des Terres de l’Èbre, afin de « restituer la version historique » de la danse, jugée déformée par le travail des Coros y Danzas. C’est à partir d’archives folkloristes qu’il a proposé une version des jotas telles qu’elles étaient dansées au début du siècle.

28 On considère parfois à tort certains traits ou éléments de la culture traditionnelle actuelle comme le fruit de la politique franquiste. L’interprétation erronée de l’usage

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du castillan dans les chants de jota en est un exemple. La jota était autrefois chantée en castillan et Pest aujourd’hui en catalan. De nombreuses personnes nous ont expliqué ce changement linguistique par l’interdiction durant le franquisme de l’usage du catalan.

Or les jotas dans les Terres de l’Èbre étaient chantées en castillan bien avant la période franquiste30, et le régime franquiste a au contraire promu l’usage du « tortosin » dans le chant de jota31, au nom d’un « régionalisme sain et bien compris ». Le chanteur El Canalero est le premier à avoir interprété une jota publiquement en tortosin. Lors d’un concours officiel de jotas, en 1949, il choisit l’usage du « tortosin » afin de faire preuve d’originalité et de se démarquer des autres participants.

29 Il est indéniable cependant que la grande entreprise de structuration nationale du folklore par les Coros y Danzas laisse encore des traces aujourd’hui. Les groupes héritiers de la Secciôn femenina se différencient des autres par leur répertoire, leur exportation (au niveau national et international) et leur composition. Ils portent en eux une histoire, l’histoire du folklore durant les Coros y Danzas, lorsque celui-ci était considéré comme une arme idéologique d’exportation. « Tout ce qui n’est pas populaire, ou bien tout ce qui n’a aucune transcendance politique ne doit en aucun cas ni être proposé, ni être autorisé » peut-on lire parmi les instructions de la Seccion féminine32. La structure et le comportement territorial des groupes étaient alors strictement déterminés par la politique centraliste de l’État. Hiérarchisés en catégories A et B, les groupes étaient axés sur le spectacle, l’exigence et l’exportation.

Folklorisation : des modes d’appropriation et de représentation conflictuels

30 Les représentations des groupes folkloriques rendent compte de perceptions territoriales et de mémoires. Chaque groupe s’unit autour d’intérêts et d’une conception commune de la « récupération ». « La danse est une forme d’expression de personnes déjà regroupées elles-mêmes autour d’autres aspects de l’expérience vitale » (Staro, 1992). Parce qu’en récupérant, il uniformise et conserve le souvenir de la tradition, le groupe prétend à la représentation d’une identité territoriale (villageoise, comarcale, ou régionale) qui dépasse le cadre de ses membres. En incluant dans son répertoire des danses issues d’autres villages, il s’en approprie le pouvoir de représentation et définit lui-même les frontières de son intégrité et de l’altérité. L’accès à la représentation folklorique devient dès lors un enjeu et peut devenir l’objet de conflits à différentes échelles. Plus un groupe prétend à la représentation d’un large territoire et plus son répertoire va être important. Les groupes de large répertoire sont aussi des groupes d’exportation, qui ont le pouvoir de mettre la danse à grande distance de son contexte traditionnel, d’autant plus qu’à la représentation directe s’ajoutent les supports vidéo et Internet.

31 La folklorisation dans les Terres de l’Èbre est avant tout un processus interne, une initiative de véritables Volkskunde autochtones (étudiants, enseignants, scientifiques, politiques, défenseurs des traditions régionales). Partis étudier ou travailler à Barcelone ou Tarragone, ils reviennent le week-end ou de manière définitive au village.

Ils ont participé en ville à des esbarts33 et des spectacles de danse traditionnelle, et entretiennent une relation affective idéalisée avec le village qu’ils ont dû quitter.

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32 Parallèlement aux initiatives internes, certains groupes (Tortosa, St Caries de la Rapita) effectuent un travail de collecte au sein des villages de toute la comarca et représentent les danses villageoises au-dehors de leur village d’origine. « Cela n’a rien à voir avec notre jota », entend-on alors, « ils font du théâtre », « ils font du ballet », « ils pervertissent le caractère catalan » ! Face à des mouvements d’identification externe, les locaux réagissent et montrent une volonté d’auto-définition. Ils refusent l’appropriation des répertoires par d’autres acteurs, ailleurs qu’aux lieux d’origine, et surtout dans un autre cadre et avec de tout autres façons d’en user. « Ces ‘étrangers’ ne le sont pas seulement pas leur éloignement géographique, mais par leur appartenance sociale et leur expérience culturelle » (Guilcher, 1998).

33 Les conflits expriment en effet les tensions entre les groupes très folklorisés des villes qui mettent en scène une vision tranquillisante et édulcorée de la réalité agricole, et les pratiques des villages. Les groupes issus de la période franquiste n’ont pas le même rapport à la tradition et la territorialité que ceux issus de mouvements « revivalistes » ou bien d’initiatives indépendantes. L’observation des pratiques de jota permet alors de lire des spatialités et des temporalités différentes. Il y a donc autant de jotas que de prétendants à sa représentation.

34 Pour illustrer ceci, nous présenterons le processus de récupération de la jota d’Ulldecona par le groupe de danses folkloriques de Tortosa, puis le cas exceptionnel du village de Paüls, que cinq groupes et un folkloriste prétendent représenter.

L’uniformisation de l’objet de danse au service de la représentation comarcale : le cas de la jota d’Ulldecona

35 La récupération de la jota d’Ulldecona en 1991 est une initiative du groupe de danses folkloriques de Tortosa, dirigé par Ramon, auquel se sont jointes la délégation de la Culture de la Generalital de Tortosa et la mairie d’Ulldecona. L’écriture et la représentation publiques donnent à la danse une consécration officielle puisqu’elle devient « la jota d’Ulldecona ».

« Une fois que nos danses avaient été reconnues et que nous les avions exportées dans le monde entier, nous avons pensé que notre comarca avait elle aussi besoin d’une attention et d’une reconnaissance ; nous avons alors décidé d’aller à Ulldecona, afin de voir comment ils dansaient [...], leurs mouvements et la musique, puis nous l’avons mis à notre répertoire. »

36 À partir des témoignages de quelques personnes âgées, Ramon a détaché une « version- type » (Guilcher, 1995), moyenne des variantes individuelles.

« Chaque danseur avait un surnom. À partir de leurs témoignages, nous avons retenu plus ou moins ce qui nous plaisait, et nous en avons fait un style propre...

celui de danser, entre tous, et c’est ce que nous, nous avons enseigné ensuite aux danseurs, tu vois ? »

37 L’intention de Ramon est très clairement exprimée : il s’agit de permettre une reconnaissance. Celle-ci se fait à deux niveaux : le groupe de danses folkloriques va reconnaître la jota d’Ulldccona, qu’il va alors admettre comme « sienne » puis il va l’exporter, c’est-à-dire la danser hors de son territoire d’appartenance. Elle sera alors reconnue dans le monde entier.

38 Pour Ramon, la jota d’Ulldecona est une expression parmi d’autres de la « richesse de toute notre comarca » (employée au sens large, incluant le Baix Èbre et Montsià). Son

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territoire d’appartenance n’est pas le village ou la ville, mais la cornarca. Ceci est d’autant plus visible qu’il n’a pas représenté sa version de la danse à Ulldccona, mais à Tortosa. « Nous ne sommes jamais allés à Ulldecona. Nous l’avons faite ici, sur la scène du théâtre de Tortosa, et ça a eu un grand succès ». En récupérant la jota d’Ulldecona, le danseur s’est octroyé un pouvoir de représentation qu’il a mis au service de son idéologie spatiale.34

Les six « authenticités » de la jota de Paüls

39 Paüls (650 habitants) est un village perché du Baix Èbre, situé à la frontière des Ports de Beseit, à 8 km du village le plus proche, Xerta, et à 20 km de Tortosa.

40 Six groupes prétendent représenter la jota de ce village (le groupe de danses folkloriques de Tortosa, l’Esbart Dansaire Rapitenc, les Amis de la jota, la version de J. Bargallo, l’association culturelle Cerç, le groupe municipal). Quatre d’entre eux sont des groupes extérieurs au village et dont le répertoire s’étend à toute la comarca (groupe d’intention exportatrice), les deux derniers sont des groupes locaux.

41 Si Paüls a été l’objet d’intérêt de la part des groupes d’intention exportatrice, c’est parce que ce village a maintenu une tradition de jota vive (pratique de la jota à l’ermitage et sur la place lors de la fête du village) et que le caractère très isolé du village a attiré les folkloristes en quête de « lieux de survivance du passé ». C’est aussi parce que Paüls est un village de grand dynamisme culturel et fut longtemps réputé pour ses fanfares et orchestres qui se rendaient dans les villages alentours lors des fêtes patronales.

42 L’intérêt pour la jota de Paüls est cependant relativement récent. Les femmes des Coros y Danzas de la Seccion femenina, venues de Tarragone à la fin des années 60 pour enseigner au village des « danses typiques catatanes » n’avaient manifesté que peu de curiosité pour la jota dansée traditionnellement.

43 Alors que beaucoup de villages des Terres de l’Èbre peinent à constituer un groupe de danse, le village de Paüls en a deux. Élément curieux... Plus curieux encore est la création récente d’une « fête d’hiver » qui s’ajoute aux fêtes de Saint-Antoine et à la fête patronale en août Comment expliquer la présence de deux groupes et la multiplication des occasions de jota ? Lorsque nous demandions notre chemin, certains nous mentionnaient de « l’autre côté » du village, d’autres nous accompagnaient, puis nous laissaient à mi-chemin...

44 Le village est en fait divisé idéologiquement et politiquement depuis longtemps. Cette bipolarisation, qui s’exprime aujourd’hui en termes d’opposition entre gens du parti socialiste et gens du parti de droite catalaniste, Convergencia I Unio (CIU), marque l’ensemble des lieux du village : les rues, les bars, les maisons, sont d’un camp ou de l’autre. L’église reste le seul lieu de réunion de l’ensemble de la population, Les habitants sont divisés et ne peuvent plus danser ensemble, ni partager les mêmes temps et lieux de mémoire. Le groupe opposé à la mairie a créé sa propre fête, la « fête d’hiver », substitut de la fête de Saint-Antoine à laquelle il ne va plus.

45 Nous voyons d’après les deux exemples précédents que la représentation folklorique peut devenir un enjeu. Qui a le pouvoir de représenter qui ? De représenter quoi ? Comment doit-il le faire ? Les conflits relatifs aux mises en scène de la tradition sont

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d’autant plus forts que celles-ci sous-tendent une interprétation du « legs des anciens ».

Le désir de « fidélité aux ancêtres » est fort et ne veut en aucun cas être trahi.

Vers l’unification autour du patrimoine régional : quand le fleuve est menacé...

« Mon grand-père utilisait le fleuve, moi je l’admire », A. Andreu (13/04/02)

46 Les frictions autour des représentations de l’identité locale et/ou régionale, engendrées par des héritages culturels et idéologiques différents, se sont atténuées depuis le début du XXIe siècle devant la nécessité d’une unification régionale. Le gouvernement espagnol a présenté en janvier 2001 dans le cadre du Plan hydrologique national un projet de grand transvasement de l’Èbre visant à pallier la pénurie d’eau dans le Sud. Ce projet fut très mal accepté par la grande majorité de la population vivant aux rives du fleuve. L’Èbre - malgré la fin de sa navigabilité - ainsi que son delta constituent des axes symboliques structurants de la région. Perçus comme menacés, ils deviennent patrimoine. Groupes de musique, chants et danses de jota, éléments festifs, pancartes affichant les variantes dialectales du « tortosin » constituent des référents identitaires et deviennent des instruments symboliquement efficaces de la revendication. Lorsque la population se sent menacée, les marqueurs culturels se chargent de sens et cristallisent à eux seuls les enjeux des conflits et des revendications. Ainsi, la jota, comme d’autres pratiques des Terres de l’Èbre, se transforme-t-elle en symbole de la défense du fleuve, Elle (re)devient un chant mobilisateur de protestation sociale, Chanteurs traditionnels, « revivalistes », folk, employés municipaux, écoliers, professeurs et commerçants écrivent des jotas en faveur de l’Èbre. Lors des manifestations à Barcelone, les musiciens de sardane accompagnent les danseurs de jota.

47 Le regroupement autour de l’Èbre a donné un nouveau sens au terme des « Terres de l’Èbre », qui comprend cette fois toutes les communautés autonomes des rives de l’Èbre.

Lajota, également dansée en Navarre, Rioja et Aragon, devient une icône partagée par l’ensemble des populations rassemblées autour d’une « nouvelle culture de l’eau ».

48 Par ailleurs, la forte réaction de la population des Terres de l’Èbre catalanes au projet de « transvasement », ainsi que la vitalité culturelle dégagée, donnent une autre image de la région, qui entre alors dans l’imaginaire catalan. Les Terres de l’Èbre deviennent connues, et reconnues.

49 « Plus que jamais nous devons encourager les identités locales pour la diversité de notre culture » affirme le président du CPCPTC lors d’une journée sur la « jota des Pays catalans » à Falset (01/05/02). Le temps est à la reconnaissance de la diversité dans l’unité. « La jota, ce n’est pas seulement un genre musical, c’est un phénomène social » s’exclame lors de cette même journée un présentateur de la télévision espagnole.

50 Dans la Catalogne contemporaine où les conflits autour de l’identité territoriale et de la mémoire sont forts, les marqueurs culturels constituent donc des instruments de légitimation des identités et deviennent l’objet d’enjeux. La jota des Terres de l’Èbre, pratique traditionnelle incommode au sein de la Catalogne, perturbe les conditions d’un « fait différentiel catalan », et remet en cause le modèle d1identité nationale. Elle est ainsi au cœur de dynamiques territoriales et idéologiques qui s’affrontent sur le

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plan symbolique, entre identités locales, régionales et nationales, voire supranationales. Élément du patrimoine immatériel, elle est activée de sens et significations différents selon les acteurs, ce qui révèle la nature polysémique d’une pratique culturelle dès lors qu’aucun groupe n’a réussi à s’en approprier la définition de manière exclusive. Les différents acteurs se partagent l’espace de représentation régional et négocient les territoires et les valeurs associés à cette pratique. Les caractères référentiels (de mémoire, de représentations) et les caractères élaborateurs (performatifs) de cet objet renvoient en somme à la double nature de l’identité : une identité qui se vit sur le mode de la permanence et qui pourtant relève d’une composition et d’une construction constantes, d’une identification.

51 Les formes, fonctions, valeurs et lieux de représentation de la jota constituent en effet autant de « géoindicateurs » des perceptions territoriales, des mémoires, des histoires ainsi que des sentiments d’appartenance des groupes. La pratique constitue aussi un agent performatif dans la constitution de frontières identitaires et dans l’identification de territoires de projet, telles que les « Pays catalans » ou la « Méditerranée ». Les manifestations identitaires lors du conflit autour du fleuve de l’Èbre ont montré que les liens entre pratiques culturelles, territoires et identités se redéfinissent constamment.

La jota ainsi que d’autres éléments festifs et patrimoniaux constituent les marqueurs d’une identité qui se dit aujourd’hui dans les Terres de l’Èbre sur le mode de l’ouverture et de la pluralité.

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NOTES

1. Gottmann, Jean, 1996, "La généralisation des diasporas et ses conséquences", dans G.

Prevelakis, (dir.), Les réseaux des diasporas / The networks of diasporas, Paris, L’Harmattan, p. 21-28.

2. Pour une définition du folklorismc, voir Marti, 1996.

3. Voir notamment Cook, 2000  ; Crang, 1998  ; Kong, 1995  ; Romagnan, 2000.

4. La comarca est définie par le Diccivnari de la llenguu cutulana (1994). (Enciclopèdia catalana) comme "une étendue de territoire plus réduite qu’une région qui forme une certaine unité du fait, entre autres facteurs, des relations de voisinage entre les lieux qui la composent, de certaines conditions naturelles, et de la persistance de limites historiques" (traduction de l’auteur).

5. Selon l’expression de R. Rosales, Tresmall, no 2, septembre 1995, p. 4-5.

6. Les "Terres de l’Èbre" actuelles correspondent à l’ancienne Viguerie de Tortosa. La comarca de Tortosa au sens large désigne par ailleurs les comarques du Baix Èbre et du Montsià.

7. L’appellation des "Terres de I’Èbre" est récente. Employée pour la première fois en 1934 par le romancier S.-J. d’Arbo, elle fut popularisée à partir des années 70 grâce notamment à son emploi par le Conseil de l’Èbre en 1978. Elle se substitua à l’ancienne "comarca de Tortosa" ou

"comarques de Tortosa" ou encore "comarca du Baix Èbre" (utilisée dans une acception plus large que la division administrative).

8. "Au-delà de l’Èbre".

9. La désolation de ce paysage deltaïque lorsque ce dernier n’était pas encore irrigué fut magnifiquement décrite par J.-S. d’Arbo (1980).

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10. Comme l’ensemble de !a Catalogne au début du siècle, les Terres de l’Èbre ont connu une diglossie valorisant le castillan au dépend du tortosin qui restait confiné aux sphères intimes de J’espace privé.

11. Localisée traditionnellement dans l’Empordà, la danse de sardane fut investie de "catalanité", et se diffusa dans l’ensemble de la Catalogne lors de la phase de normalisation culturelle et politique du Noucentisme. Elle ne fut dansée dans les Terres de l’Èbre qu’à partir des années 50.

12. "Une danse qui s’est étendue dans l’ensemble du pays et qui est indiscutablement acceptée comme la danse la plus représentative du folklore catalan", selon Simbol de Catalunva, 1994, Generalitat de Catalunya.

13. Il fut également le compositeur de La juta tortosina, encore appelée gran jota de Moreira, une version orchestrée de jota traditionnelle.

14. La Seccion femenina fut une organisation régissant l’ensemble des activités des femmes, apparue en juin 1934 au sein de la Falange Espanola et des Juntas ofensivas nacionalsindicalistas dirigées par Antonio Primo de Rivera, elle fut réorganisée et restructurée en 1939 afin d’être intégrée au régime franquiste.

15. Nous considérons qu’il y a présence d’un groupe à partir du moment où il y a exportation des danseurs hors de leur village. La jota dans les Terres de l’Èbre ne fut pas enseignée dans tous les villages par la Seccion femenina.

16. Josep Bargallo est le principal folkloriste actuel des comarques de la province de Tarragone. Il a entrepris un travail de collecte dans l’ensemble des villages des Terres de l’Èbre, a établi des descriptions, partitions et schémas chorégraphiques que l’on peut consulter dans ses recueils. Cf Bargallo (1992 et 1994).

17. La rondalla est définie par le Diccionari de la dansa (Pujol et Amades, 1936, Fundacio Concepcio Rabell i Civils) comme le "nom donné à des groupes de jeunes, accompagnés d’instruments à cordes pincées, qui font le tour du village durant la soirée en jouant et chantant devant les maisons dans lesquelles se trouvent des jeunes filles". La rondalla tortosine se compose également d’instruments à vent.

18. Nous considérons une pratique comme "vive" lorsqu’elle réunit l’ensemble des habitants du village lors de la fête du village (festa major), avec ou sans costume.

19. Le terme de "récupération" est employé par les acteurs.

20. La pratique de la sardane fut, contrairement à l’opinion commune, autorisée dans certains contextes par le régime franquiste. Les aplecs, associations sardanistes, ont en revanche été interdits.

21. Selon t’expression de J. Bertrand i Luego, chargé de culture de Tarragone, lors de la conférence sur "La festa major a les Terres de l’Èbre", à Bot le 20 avril 2002.

22. Centre de promotion de la culture populaire et traditionnelle catalane, dépendant du département de la Culture de la Generalitat de Catalogne.

23. L’appellation "Pays catalans" regroupe l’ensemble de régions de parler catalan, c’est-à-dire la Communauté autonome de Cata1ogne, la "Catalogne française" ou Roussillon, les Îles Baléares, la Communauté de Valence et la frange d’Aragon, appartenant à la Communauté autonome d’Aragon.

24. Cf Manzano i Alonso, 1995 et Crivillé, 1983.

25. Paroles du chanteur El Teixidô d’Amposta.

26. Les "Aules de musiques i danses tradicionals i populars" furent créées par le Centre de promotion de la culture populaire et traditionnelle catalane et rentrent dans la série de mesures prises dans les années 90 par la Generalitat afin de développer le dynamisme de la culture traditionnelle.

27. Anthropologue à l’université de Barcelone.

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28. Ceci rejoint la proposition de J. Romagnan (2000) de "prendre les activités musicales, dans leurs diverses manifestations publiques sur le territoire, comme fil conducteur et indicateur des dynamiques territoriales".

29. Cette conception est partagée par les habitants comme par les étrangers  ; le groupe de danses folkloriques tortosines a par exemple filmé sa version de la jota de Paüls à la montagne, «   afin de garder le caractère du lieu.  »

30. Voir notamment Joan Morcira (1979). p. 8.

31. Cf. l’éditorial "Les abus intolérables du folklore". La Voz del Bajo Ebre, 0610511958 : "Il est également impropre et anti-naturel de chanter dans une langue qui ne soit pas le tortosin. Ici comme en tout lieu, les chansons folkloriques doivent se chanter dans la langue vernaculaire, sans quoi elles perdent la saveur et la grâce d’une chose populaire et donnent lieu, fréquemment, à des délits idiomatiques - des casteflanades, comme on dirait ici - qui ridiculisent leurs propres interprètes  ».

32. Archives générales de l’administration, Alcahi de Henares, 1954, 67, no 1.

33. Les esbarts sont des groupes et associations qui pratiquent et diffusent la danse populaire traditionnelle.

34. Sur la notion d’idéologie spatiale, voir l’excellent article d’Anne Gilbert (1986).

RÉSUMÉS

Cet article analyse les localisations et les représentations folkloriques de la jota au sud de la Catalogne. Objet du patrimoine culturel immatériel, ce genre musical est interprété selon une grande variété de formes, de fonctions et de sens, par différents acteurs. Il constitue un

« géoindicateur » des perceptions territoriales et des mémoires. Les groupes folkloriques représentent un passé rêvé mais également un territoire d’appartenance. La jota dans les Terres de l’Èbre devient par ailleurs l’icône de revendications et entre dans une dynamique de recherche de territoires d’appartenance, au sein d’un cadre symbolique qui ne la prend pas en compte.

This article analyses the localisations and folkloric representations of the jota in South Catalonia.

Like all objects of immaterial cultural patrimony, this musical type is interpreted with various forms, functions, and meanings. It’s a geographical indicator of territorial perceptions, and of memories. The folkloric groups represent a dreamed past, but a/so a territory with whom people can identify, but can also be the abject of conflicts. In a symbolical context, the jota of Ebre’s region becomes an icone of revendications and enters a dynamic of search of territories.

INDEX

Index géographique : Catalogne

Mots-clés : géographie culturelle, folklorisation, représentations, identité, jota, objet traditionnel, Terres de l’Èbre, Catalogne

Keywords : cultural geography, folklorisation, representations, identity, jota, traditions/ abject, Ebre’s region, Catalonia

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AUTEUR

CLAIRE GUIU

Université de Paris IV-Sorbonne Universitat de Barcelona

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