• Aucun résultat trouvé

Les nouveaux outils numériques de conception sont-ils les moteurs de l évolution de l architecture contemporaine?

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Les nouveaux outils numériques de conception sont-ils les moteurs de l évolution de l architecture contemporaine?"

Copied!
74
0
0

Texte intégral

(1)

Les nouveaux outils numériques de conception sont-ils les moteurs de l’évolution de l’architecture contemporaine ?

Une recherche d’actualité à partir d’entretiens avec des professionnels

(2)
(3)

« Il y a vingt ans seulement, il y avait peu d’ordi- nateurs dans les agences d’architecture, et ils étaient généralement utilisés pour faire du traite- ment de texte et de la comptabilité. » Antoine Picon.

rchitecture &

A Monde Numérique

(4)

III.

le NuMérIque : effet de Mode ou réelle valeur archItecturale ? P.50

I - Des perspectives nouvelles p.50

1 - L’arrivée de nouvelles méthodes numériques de conception p.48

2 - Une pensée constructive mise à mal p.54

3 - La complexité du processus de conception p.57 II - Le potentiel réformateur du Building Information Model p.60

1 - Un outil induisant des changements p.61

2 - La nécessité d’orienter un débat de fond et non de forme p.64

III - Influence des outils informatiques sur l’univers professionnel de l’architecte p.67 1 - La question du traitement de l’image p.67 2 - La position de l’architecte vis-à-vis de sa production numérique p.70

I.

PérégrINatIoNs d’uN ordINateur daNs le vaste MoNde de l’archItecture P.9

I - État de l’art actuel p.9

1 - Société de l’information et informatique p.9

2 - Information, informatique et architecture p.10

II - Les débuts d’une architecture numérique p.13

1 - Des pionniers à nos jours p.13

2 - L’influence de l’ordinateur p.16

III - Quels sont les enjeux futurs de cette relation ? p.20 1 - Jusqu’où pourrait-on voir l’évolution de l’outil p.20

informatique affecter la discipline du projet ?

2 - Des enjeux plus vastes encore : la ville numérique p.22

II.

l’évolutIoN de l’archItecture est-elle INduIte Par celle de l’outIl INforMatIque ? P.25

I - Une discipline de l’instant ? p.25

1 - De l’applications de codes ... p.25

2 - ... à la découverte d’une réalisation instantanée. p.27

II - La notion de temps pour l’architecture numérique p.30

1 - Vers un espace continu et fluide p.30

2 - Architecture contemporaine et rapport à l’innovation p.35

III - Les enjeux économiques de l’ère numérique p.39

1 - Les intérêts industriels p.40

2 - Le rôle attendu de l’informatique p.44

3 - La diffusion de l’informatique comme moteur des transitions futures p.46

(5)

Bibliographie

aleXaNder christopher,

Notes of the Synthesis of Form, Harvard University Press, 1964, Cambridge carPo Mario,

Cyberarch.edu, Cahiers de la recherche architecturale, éditions du patrimoine, janv 2001, N°7, Paris chuPIN Jean Pierre et lequaY hervé,

Escalade Analogique et Plongée Numérique, Cahiers de la recherche architecturale, éditions du patrimoine, janv 2001, N°7, Paris goulthorPe Mark & decoI architects,

Tendance de l’autoplastique à l’alloplastique, Cahiers de la recherche architecturale, éditions du patrimoine, janv 2001, N°7, Paris holl steven & PallesMaa & PereZ-goMeZ,

Questions of perception, Phenomenology of architecture, William Stout Publishers, 2007, San Francisco MÖNNINger Michael,

Coop Himmelb(l)au, Complete Works 1968-2010, Taschen, 2011 NaNtoIs frédéric,

De Cedric Price à Bill Gates, Cahiers de la recherche architecturale, éditions du patrimoine, janv 2001, N°7, Paris PIcoN antoine,

Culture Numérique et Architecture, une Introduction, Birkhauser, 2007, Basel PIcoN antoine,

Smart Cities : Théorie et Critique d’un Idéal Auto-réalisateur,Routledge, 20l0, Oxon seraJI Nasrine,

Vers une Architecture de la Condition Digitale, Cahiers de la recherche architecturale, éditions du patrimoine, janv 2001, N°7, Paris

WoodBurY robert,

Elements of Parametric Design, éd. B2, 20l3, Paris XeNaKIs Iannis & KaNach sharon,

Musique de l’architecture, 2006, éd. Paranthèses, Marseille Filmographie

PolacK sydney,

Esquisses de Frank Gehry, Américain, Allemand, 2006 Blog

sWIssINfo, Gramazio et Kohler

www.swissinfo.ch/fre/des-robots-qui-changent-l-architecture Article

l’architecture d’aujourd’hui, Virtuel ou réel, déc 1999, N°325 Entretiens

t.M., les changements impliqués par BIM Lorient (56), France, 25.10.2014

v.h., Première partie, le rapport à l’outil informatique Cesson-Sévigné (35), France, 14.11.2014

v.h., deuxième partie, BIM dans les agences d’architectes en france

(6)

Introduction

« A l’heure où leurs deux disciplines se croisent de plus en plus souvent, que devient un architecte sans un informaticien ? » Bien que leur façon de réfléchir diffère, l’un ne devrait pouvoir se passer de l’autre dans l’élaboration d’un outil de travail cohérent. C’est la première question qui m’est apparue clairement mais à laquelle les réponses paraissaient aussi nombreuses que fantaisistes. Cet essai tente d’explorer l’une des approches possibles de cette vaste question et d’en retenir les enjeux principaux afin d’éclaircir le problème. Même si ce travail s’oriente plutôt sur les questions liées aux derniers outils informatiques présents dans les cabinets d’archi- tectes, il ne faut pas pour autant négliger l’importance de leur genèse.

Souvent vue comme immédiate et contemporaine de notre époque, l’in- formatique a pourtant toujours évolué dans une logique historique. Pour faire état de l’art actuel, il convient donc tout d’abord de s’attarder sur les enjeux passés de cette science avant de savoir comment elle s’est introduite peu à peu dans nos agences d’architectes. Comment l’histoire de l’infor- matique a-t-elle pu influencer celle de l’architecture est une question que nous garderons toujours en tête tout au long de cette première partie afin de déterminer les principaux enjeux futurs de la présence constante de l’ordinateur dans la démarche de conception : de l’analyse à l’image, de la maquette physique à la réalité augmentée, quels effets les innovations tech- nologiques produisent sur nos façons de concevoir l’espace ? L’architecture actuelle a-t-elle un intérêt à résister à l’avancée technologique induite par les nouveaux logiciels de conception ? La prise de conscience du caractère ubiquitaire de l’informatique dans notre univers professionnel a engen- dré une multitude de questions tantôt intéressantes, lorsqu’elles touchent notamment à la nature même de ce changement, tantôt moins profondes, lorsqu’elles ne s’attachent par exemple qu’aux jugements techno-opti- mistes et techno-pessimistes. Pour juger moi-même de l’intérêt du débat et inscrire ce mémoire dans un contexte actuel et non purement théorique, j’ai décidé de réaliser des entretiens auprès d’architectes aux idées et aux parcours différents. Le premier, V.H., a débuté sa carrière en France puis est parti en Australie. C’est dans ce pays qu’il a découvert BIM et a com- mencé à réfléchir aux possibilités que cela pouvait offrir aux architectes

(7)

français. Le deuxième, T.M., ne porte pas un regard aussi optimiste sur l’arrivée de BIM dans son agence. Bien que dans cette dernière, tous les employés ne travaillent plus que sur ordinateur, T.M. émet encore certains doutes quant à son utilisation excessive. En écoutant les arguments de ces deux architectes, il m’est ainsi apparu plus facile de décortiquer les enjeux qui gravitent autour de la question de l’ère numérique en architecture, et que chacun défend à sa manière. La problématique abordée au cours des trois entretiens réalisés est la suivante : les nouveaux outils numériques de conception sont-ils les moteurs de l’évolution de l’architecture contempo- raine ? La question offrait la possibilité d’un choix manichéen assez simple mais qui demandait de toute manière une argumentation construite. C’est à partir de cette dernière et des nuances qui sont apparues dans le discours des deux architectes, V.H. et T.M., que j’ai organisé les deux parties sui- vantes de ce mémoire.

Le fondement de l’architecture, suivant un ensemble de règles induites par la théorisation d’un courant de pensée comme celui des Modernes, ou de codes contraignants comme celui « Beaux-Arts », parait éloigné des aspi- rations actuelles. Certes des théoriciens comme Rem Koolhaas semblent rassembler un grand nombre d’architectes autour d’eux, mais leurs théo- ries n’induisent par essence aucun code architectural précis. Au contraire, elles laissent une part toujours plus importante à l’expérimentation et à l’exploration continues de nouveaux liens entre les disciplines. L’architec- ture numérique se réclame de ce courant ou plutôt, devrait-on dire, de cette façon de concevoir qui suit les évolutions d’une société sans cesse en mouvement. L’utilisation qu’elle fait de l’outil informatique à des fins réflexives et non seulement productives m’est apparue comme une piste intéressante à explorer pour répondre à notre grande question. Sous l’effet des nouvelles technologies de l’information et de la communication, l’ar- chitecture devient-elle davantage une discipline de l’instant, du geste infor- matique d’une part et de la possibilité de construire et d’expérimenter ins- tantanément d’autre part ? Il est incontestable que l’entrée de l’ordinateur dans les agences d’architectes a eu des effets sur le mode d’organisation du travail et l’ouverture du champ des possibilités. Cependant, accentuées par leur caractère ludique, les technologies de l’information se transfor-

(8)

ment à grande vitesse tout comme le monde ; plus vite peut-être encore que la connaissance même de leur usage, ce qui entretient une idéalisation à leur égard. La présence constante et quasiment tacite de ces technolo- gies à nos côtés nous pousse selon leurs détracteurs à suivre une marche aveugle et forcée vers un idéal unique qui n’est pas celui des architectes.

Il est vrai que contrairement aux outils de travail précédents, l’ordinateur parait plus opaque et n’entretient pas de relation critique directe entre un concepteur et son travail. Un autre grand enjeu pour lequel l’informa- tique se retrouve de plus en plus dans notre travail de conception et de production est l’industrialisation du monde de la construction. C’est une possibilité envisagée par certains intellectuels, politiques et grands groupes industriels, qui s’appuie forcément, quelles que soient les théories, sur l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la commu- nication à des fins productives. Déjà, en Chine, une imprimante 3D à grande échelle a récemment réussi à sortir de terre cinq maisons en un seul jour. Aux Pays-Bas, c’est l’outil de production qui s’est déplacé vers le lieu de construction d’un projet de maison construite pièce par pièce par une imprimante de plus petite taille. La préfabrication, qu’elle soit faite en usine ou sur le chantier, est entre autres l’une des conditions sine qua non de l’industrialisation. Elle regagne d’ailleurs de l’intérêt auprès des architectes depuis que la numérisation lui a conféré un nouveau visage beaucoup plus libre qu’au temps des Modernes. Nous expliciterons le moment venu les enjeux d’un tel changement pour la maîtrise d’œuvre.

Dans la troisième et dernière partie, nous explorerons l’actualité récente, et notamment celle du Building Information Model(ing) plus connu sous le sigle BIM, pour comprendre quelles possibilités et quels choix s’offrent aux architectes face à l’émergence de ces nouveaux problèmes fondamen- taux : productivité, contraintes juridiques, organisation du travail au sein de l’agence, prise de recul sur l’utilisation de l’ordinateur, et tous les as- pects professionnels qu’induisent l’arrivée de BIM dans leur univers. Ce sera la partie la plus actualisable de ce mémoire, et aussi celle qui fera le plus appel aux interviews réalisées auprès de professionnels exerçant encore leur métier.

.

(9)

I.

PérégrINatIoNs d’uN ordINateur daNs le vaste MoNde de l’archItecture

Pour apprécier à sa juste valeur le caractère ubiquitaire de l’infor- matique dans notre société actuelle, il convient de se poser la question de ses origines. L’Histoire a-t-elle une place importante dans cette évolution qui nous parait si soudaine ou est-elle reniée ? Quel est son rôle dans les innovations architecturales les plus contemporaines, qui suivent les évo- lutions d’une société vivant de plus en plus dans un présent sans cesse renouvelé ? Tout comme l’architecture a besoin de se tourner sans cesse vers des référents passés pour avancer, l’informatique possède également une histoire, certes moins importante, mais qui influence aujourd’hui nos comportements. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce n’est pas une discipline sans racines : c’est sa présence instantanée dans nos vies, combinée à une évolution perpétuelle conduisant à l’obsolescence des inventions précédentes qui nous pousse à croire que l’histoire de l’in- formatique débute avec nous chaque jour. Certains historiens ont néan- moins admis que la « Science du traitement automatique et rationnel de l’information »1 tel que nous la connaissons prend place dans l’histoire de la société de l’information qui a commencé au début du siècle dernier.

Nous allons donc explorer dans cette première partie le passé, le présent et le futur de l’informatique afin de comprendre pleinement les enjeux de la nouvelle culture numérique en architecture.

I - État de l’art actuel

1 - Société de l’information et informatique

Le rôle clef joué par les outils informatiques de nos jours ne doit pas être pris simplement pour ce qu’il est mais doit bien être replacé dans son contexte. La technologie dépend bien souvent de facteurs sociaux, économiques et culturels plus déterminants qu’elle-même. Bien que dans la discipline architecturale nous ne voyons ses effets que depuis une vingtaine d’années, ce processus remonte bien plus loin dans le temps, au moment où la société de l’information commence à voir le jour, au tournant du XIXème siècle. Les questions que nous nous poserons pro- chainement sur l’architecture « numérique », au sens d’une production utilisant l’ordinateur dans une perspective expérimentale, doivent elles-

1. Définition du dictionnaire Larousse

(10)

mêmes être prises en compte à partir de tendances plus générales qui s’expriment dans l’architecture contemporaine. « L’architecture numé- rique est conçue avec des méthodes mathématiques et algorithmiques dont les ordinateurs et les systèmes de traitement de données favorisent le développement »1. Mais l’architecture n’a pas attendu l’ordinateur pour devenir « numérique » : son histoire est jalonnée d’œuvres dont la conception mathématique ou géométrique préside à la définition de la forme et de l’espace, que cela soit les pyramides d’Egypte ou les dômes de Buckminster Fuller. En outre ce n’est pas le recours à l’ordinateur pendant la phase de conception ou de dessin qui rend une architecture numérique, mais le rôle qui est alloué aux machines et aux outils infor- matiques dans l’élaboration du projet.

Depuis près de cinquante ans, les relations entre informatique et archi- tecture ont influencé les praticiens et les théoriciens au-delà de l’utilisa- tion de logiciels de conception assistée. Comme Mario Carpo le dit, « les ordinateurs n’imposent pas en eux-mêmes de formes pas plus qu’ils ne renvoient à des préférences esthétiques. On peut aussi bien concevoir des boîtes que des surfaces plissées au moyen des ordinateurs »2. Même si cela est vrai, il n’en demeure pas moins qu’à travers ces dernières décen- nies, l’ordinateur a largement contribué à l’émancipation d’une certaine architecture formaliste, caractérisée par l’importance accordée à la défor- mation géométrique, en élargissant l’éventail des possibilités offertes aux concepteurs. L’architecture n’est d’ailleurs pas la seule discipline ayant profité de cette nouvelle approche offerte par l’informatique. Il n’est probablement plus de discipline qui n’évolue sans la présence de cette dernière à ses côtés.

2 - Information, informatique et architecture

Il ne s’agit donc plus désormais de savoir si l’informatique est une bonne ou une mauvaise chose pour notre société comme pour l’ar- chitecture – elle en fait partie intégrante – mais de savoir vers quoi ces dernières s’orientent sous son influence. J’aimerais avant de poursuivre clarifier un terme que j’emploierai de manière régulière tout au long

1. Jean Brangé, p14, Cahiers de la recherche architecturale et urbaine N°7 2. Mario Carpo, p16, Ten years of folding, in Folding in architecture

(11)

de ce mémoire et qui nous servira de fil conducteur pour traiter cette question de l’influence : « l’architecture numérique ». Cette expression fait part de l’intérêt porté par un nombre de plus en plus important d’ar- chitectes à l’égard des problèmes levés par l’ubiquité de l’informatique.

Cependant elle est encore souvent prise en considération uniquement par sa réalisation formelle et non le processus qui l’a fait émerger ni le contexte de « ville numérique », pour reprendre l’expression d’Antoine Picon, dans lequel elle prend forme. Est-il alors convenable d’appliquer ce terme à tout projet ayant été conçu avec l’aide de l’ordinateur - que le résultat soit visible ou non - ou doit-il être appliqué à ceux qui font de l’informatique un moyen de conception au-delà du simple outil de des- sin ? Les confusions sont grandes dans ce domaine du fait de l’émergence toujours plus rapide d’idées nouvelles en la matière, mais également car la communication de cette part de l’architecture, notamment dans des expositions comme la biennale de Venise ou ArchiLab, a pour effet de créer un amalgame entre numérique et expérimental. Ce sentiment de confusion est encore plus accentué par le fait que de nombreuses agences ayant joué le rôle de précurseurs sur les questions liant architecture et informatique sont incarnées par des figures d’architectes qui utilisent des méthodes de conception encore traditionnelles. Le meilleur exemple est bien sûr celui de l’agence de Frank Gehry dans laquelle l’utilisation du logiciel Catia, développé par Dassault Système, demeure extérieure au processus de conception reposant sur le travail en esquisse et en ma- quette physique (papier, bois, carton). Il est difficile dans ce cas de savoir à quel point les nouveaux outils de conception informatiques sont le moteur de cette nouvelle architecture qualifiée de « numérique ».

D’après moi la question ne repose cependant pas sur le fait de savoir quelle architecture est numérique et laquelle ne l’est pas (ou fait sem- blant de l’être). La présence de l’informatique est tellement importante de nos jours dans le milieu professionnel qu’il n’est pas possible de nier son influence dans la production. Ce qui est surtout intéressant à retenir dans cette nouvelle terminologie c’est justement sa capacité à englober une large partie de la production architecturale, voire sa totalité, et à la questionner par la même occasion : qui n’utilise pas à un seul instant

(12)
(13)

l’outil informatique pour écrire, dessiner, calculer ou encore communi- quer ? La confusion qui règne autour de son utilisation prouve d’ailleurs bel et bien qu’il reste encore beaucoup de réponses à apporter à cette question contemporaine à notre société.

II - Les débuts d’une architecture numérique

1 - Des pionniers à nos jours

Néanmoins, les architectures dites « numériques » n’ont pas émergé seulement depuis le Boom de l’informatique des les années 2000. Certes elles sont plus médiatisées, apparaissent en plus grand nombre et, surtout, voient le jour, mais l’idée d’une culture architectu- rale utilisant les nouvelles technologies de l’information et de la com- munication (NTIC) n’est pas si contemporaine qu’elle n’y parait. Si des concepts comme ceux très intéressants de Cedric Price ou encore de Iannis Xenakis n’ont pas, ou très rarement dans le cas du deuxième, été transcrits dans la réalité, ils n’en demeurent pas moins des exemples encore aujourd’hui de la réussite d’une interactivité entre architecture et usagers. Je ne parle pas ici d’interactivité phénoménologique mais bien de celle qui traduit, dans l’espace et la façon de concevoir le bâtiment, les changements profonds de nos sociétés postindustrielles. Pour le moment, les architectes sont réticents à l’utiliser l’informatique dès la phase de conceptualisation du projet. Les doutes exprimés, comme nous le verrons par la suite à travers les interviews réalisées, sont d’ailleurs fondés : la technique informatique parait encore trop instable et évolue trop rapidement pour répondre aux attentes du milieu professionnel. De plus, certains diront qu’elle emprisonne encore l’architecture dans une méthode de production toujours identique et la mène ainsi vers des hori- zons peu réjouissants. Mais, comme il l’a été possible dans d’autres disci- plines, une révolution en matière d’utilisation de l’outil informatique et surtout une bonne compréhension du rôle qu’il à jouer, plutôt qu’une croyance ou une méfiance aveugle en lui, pourrait changer la donne.

Tout le système possède des avantages productifs incontestables déjà mis en application dans les agences du monde entier, mais ne parvient pas

Ci-contre, Archigram, Walking City

(14)

à faire l’unanimité dans le cadre de son application dans l’architecture même. Son utilisation de manière conceptrice reste encore très margi- nale par rapport aux productions traditionnelles utilisant l’informatique comme base de dessin.

Prenons l’exemple de la musique afin de comprendre très succinctement l’importance des changements dans la façon d’appréhender une disci- pline. Avant il n’existait qu’une relation indirecte entre ce qu’était le son et ce qu’était la musique. La hiérarchie voulait même que la deuxième soit l’essence pure du premier. Mais l’arrivée de l’informatique dans le monde de la musique a eu un effet considérable sur la manière de conce- voir l’ensemble : de « son ≠ musique » nous sommes aujourd’hui passés à une relation beaucoup plus complexe qui se renouvelle sans cesse et que j’exprimerai plutôt ainsi :

Son

Diffusion Modification du son

Musique

Autrement dit l’outil informatique a permis d’ouvrir de nouveaux hori- zons sonores d’une part, mais a surtout eu l’audace de transformer ce qui nous apparaissait comme un son en de la musique ouvrant un champ de possibilités illimitées. Au-delà des considérations pessimistes sur l’intro- duction de l’informatique dans une discipline artistique, l’intérêt de la prise en main des nouveaux outils réside ailleurs : la technologie ne doit pas être prise ou jugée comme un aboutissement, il est nécessaire de garder en tête qu’elle est avant tout un outil commercial de la société d’information dans laquelle nous vivons. Le véritable intérêt réside dans la nouvelle perspective théorique qu’ouvre cet outil à des disciplines comme l’architecture ou la musique qui a déjà pris le pas, comme on vient de l’expliquer. Est-elle déjà allée plus en avant que l’architecture sur la réinvention de ses bases ? Cela reste difficile à dire. Sur ce point

(15)

les logiques de diffusion de l’information en masse dans le domaine de la musique par rapport à celui de l’architecture brouillent les pistes. La musique « numérique » - que l’on associe souvent au terme « électro- nique », mais qui englobe plus généralement la musique traduisant une nouvelle époque dans laquelle le son est traité comme une matière et non plus seulement comme une mélodie - est sans aucun doute plus connue que l’architecture numérique, si tant est qu’elle soit comparable.

Mais dans sa conceptualisation et son ancrage théorique, est-elle plus au point ? Comme pour d’autres disciplines, la société dans laquelle nous vivons est prompte à nous faire oublier les figures importantes de mouve- ments visionnaires comme celui de John Cage au profit d’une diffusion en masse de plaisirs plus instantanés. L’architecture risque-t-elle de subir le même sort d’une vulgarisation numérique à outrance ?

A une certaine époque, des précurseurs se posaient la question d’une conception architecturale qui irait plus loin encore dans la possibilité de générer des formes complexes dans l’espace et surtout, de les gérer pleine- ment. Mais une telle prouesse n’était possible que grâce à une innovation en termes de logiciels et une adaptation de la pensée constructive. Des pionniers comme Iannis Xenakis entamaient déjà dans les années 1960 des recherches sur les architectures en coques autonomes comprenant enveloppe, structure et espace usuel en même temps : le Pavillon Philips, réalisé pour l’exposition Universelle de Bruxelles, en est un exemple.

Ce dernier marque dès 1958 le potentiel d’une remise en question des 5 points de l’architecture moderne, alors même que le mouvement in- ternational commence à prendre fin : le dernier CIAM, à Otterlo aux Pays-Bas, se déroulera seulement un an plus tard en 1959. Sans aucun outil informatique assistant ses calculs, ni même pour représenter l’objet fini, son concepteur réussit cependant à répondre de façon tout à fait rationnelle aux défis d’une architecture que l’on pourrait caractériser a posteriori de « numérique » tant les questions liées à l’interactivité entre l’usage, la forme et l’usager paraissent primordiale dans l’architecture du bâtiment. Il se rend compte également d’avoir réussi à créer une relation étroite entre deux disciplines, l’architecture et la musique, sans que cela ne passe par des aspects purement phénoménologiques. Iannis Xenakis

(16)

répond en quelque sorte à notre question précédente : l’outil informa- tique n’est pas nécessaire dans l’absolu à la résolution des problèmes de l’interactivité numérique. L’essentiel du problème se situe dans la posi- tion et le regard de l’architecte vis-à-vis des changements qui s’opèrent autour de lui. Plus tard, au moment de la réalisation de ses Diatopes (le premier à Montréal et surtout celui de Beaubourg), lorsqu’il expérimente de nouvelle piste cette fois-ci grâce à l’ordinateur, il garde en tête l’impor- tance d’avoir une raison précise de se servir de cet outil.

Au-delà des flux et des déformations formelles mêmes de l’architecture du Pavillon Phillips de 1958, d’autres phénomènes devinrent si facile à manipuler au moyen de l’informatique qu’ils prirent le statut de quasi objet pour Xenakis. Ce fut le cas de la lumière et du son. Ils devinrent pour lui une nouvelle matérialité pour l’architecture qu’il traduisit dans le concept de « transdisciplinarité ». Les enjeux de cette dernière, dans le sens où elle dépasse le simple rapprochement d’univers disciplinaires différents, est encore d’actualité à l’ère de l’informatisation de l’outil de conception et de l’échange des savoirs. Nous y reviendrons au moment de parler plus en détail des évolutions professionnelles induites par l’uti- lisation du Building Information Model (BIM). En conclusion, si Xena- kis ou d’autres architectes, comme certains notamment d’Archigram, avaient vécu à notre époque, ils auraient peut-être vu leurs méthodes de conception être caractérisées de numériques, et, à l’image de celle de Frank Gehry, auraient-elles pu être vues comme actuelles et non vision- naires.

2 - L’influence de l’ordinateur

Maintenant que nous avons déterminé que les concepts de l’ar- chitecture numérique ne sont pas totalement nouveaux, il serait inté- ressant de voir comment l’histoire de l’architecture contemporaine a-t- elle pu être influencée par celle de l’informatique. Il parait évident que des architectes comme Rem Koolhaas qui pourtant réfléchissent bien au-delà des seules contraintes qu’impose l’informatisation des agences d’architectes, ne seraient pas aussi pertinent s’ils n’avaient pas compris

Pavillon Philips à l’exposition universelle de Bruxelles Le Corbusier et Xenakis, 1958

(17)
(18)

le rôle que celle-ci joue dans les façons de concevoir actuelle et future.

En ouvrant l’AMO, et en s’entourant de professions et de savoirs divers, Koolhaas prouve que la communication, d’une part, et la force de calcul, d’autre part, que permet l’informatique, conduit à la publication d’ana- lyses tout à fait pertinentes. Parfois, il réussit même à prouver qu’il est préférable de ne pas construire. L‘ordinateur a la grande qualité en effet de pouvoir dissocier l’information de son support et la traiter de manière homogène quelle que soit la discipline d’où elle provient. Comme il le dit lui-même, « Mon ambition est de moderniser et réinventer la profes- sion en utilisant notre expertise dans le champ du non-construit ». En ce sens, l’avantage que prend Rem Koolhaas sur d’autres architectes est qu’il se détache des considérations manichéennes sur l’intégration de l’informatique à tous les niveaux, et le prend comme une base sociale admise. Il ne travaille donc pas directement sur le numérique en soi, mais l’utilise comme un outil afin de comprendre les changements qui s’opèrent dans notre société et d’y apporter des réponses quand il le faut.

Dans une considération plus pratique, l’outil informatique est aussi ce qui a permis aux architectes de maîtriser la conception de nouveaux pro- grammes en dehors des échelles traditionnelles tels que les aéroports, comme celui de Hong Kong par Foster, ou les centres commerciaux qui s’intègrent désormais bien loin des États-Unis, mais à une toute aussi grande échelle, dans les Emirats ou encore en Asie du Sud-Est. Cette nouvelle ère a marqué un tournant dans l’histoire de l’architecture. Il annonce un changement profond de certaines valeurs présentes tout au long de cette dernière telle que l’échelle : la distinction traditionnelle entre infrastructure et bâtiment est brouillée. Ces nouveaux programmes que l’on sait gigantesques mais dont nous ne pourrons finalement jamais apprécier l’échelle réelle, sont représentatifs d’un nouveau contexte appa- ru à l’ère de l’imagerie informatique. Sur un écran d’ordinateur comme sur celui d’une télévision, les objets semblent flotter sans dimensions prédéfinies. La perception de l’échelle entre un modèle numérique sur lequel on peut zoomer à l’infini de la masse jusqu’au détail et la réalité est devenue ambigüe.

Ci-contre, Aegis Hyposurface destiné au théâtre de Birmingham (2001), Mark Goulthorpe & dECOI Architects

(19)
(20)

La relation à la matérialité a elle aussi changé. Tout comme la venue de l’automobile a « déplacé le contenu et les limites de la matérialité »1, l’ordinateur est entrain de changer notre perception de l’environnement physique. L’architecte, pour comprendre les effets de ces changements, s’est lui-même affranchi des codes traditionnels de représentation. Par exemple, il peut désormais suivre en temps réel les effets du passage d’une forme statique à un flux dynamique, caractéristique de l’archi- tecture numérique. L’utilisation de l’ordinateur a permis ainsi d’aller au-delà du seul champ fermé de l’architecture pour venir explorer les prémices d’une nouvelle matérialité : l’architecte Mark Goulthorpe et l’agence dECOI ont pu expérimenter avec succès les déformations dy- namiques induites par la présence et le passage de visiteurs devant son Aegis Hyposurface destiné au théâtre de Birmingham (2001). Dans ce projet, la lumière, le flux des passants ou encore le son deviennent cette nouvelle matérialité en mouvement. La recherche sur les déformations dynamiques induites par l’intuition, les sens ou les usagers est d’un inté- rêt particulier dans la création de nouveaux environnements interactifs, autant dans le monde virtuel de l’informatique que dans celui tout à fait tangible de l’architecture.

III - Quels sont les enjeux futurs de cette relation ? 1 - Jusqu’où pourrait-on voir l’évolution de l’outil informatique affecter la discipline du projet ?

Il est difficile de ne pas succomber à la magie de l’informatique et des informations qui éveillent nos sens constamment. Il apparait néan- moins qu’avec la complexité grandissante des outils mis à la disposition de l’Homme et l’incompréhension totale de leur fonctionnement réel, nous nous renfermons de plus en plus dans un usage rituel de l’outil, un usage quasiment superstitieux. Il en est de même pour la machine voire même le réseau entier qui n’est pas aussi transparent qu’il n’y parait. Ils détiennent tous deux de nombreuses informations dont nous n’avons pas idée et se comportent parfois de manière inexplicable. Je ne m’inté- resse pas ici à savoir si l’ordinateur est un génie malveillant qui un jour

1. Antoine Picon, in Culture numérique et architecture, une Introduction, p.150

(21)

sortira de sa tour mais à comprendre ce qui nous pousse, également en architecture, à nous complaire dans ce monde magique qui tend à « préfé- rer le mythe informatique à son histoire »1. Pour une génération nouvelle d’architectes comme la mienne qui n’a pas exclusivement connu que le travail manuel de maquette et de dessin, il est difficile de distinguer cette part de magie, ces tâches rituelles que l’on effectue à chaque fois que l’on commence un plan, une coupe ou une maquette numérique, des prises de décision qui nous appartiennent pleinement. Autrement dit, il n’a fallu que vingt ans à l’informatique pour opérer cette transi- tion et nous faire perdre la mémoire des façons précédentes de travailler.

Cette ambigüité du rapport entre histoire de l’architecture et nouvelle ère numérique pourrait bien se rapporter au sentiment confus de travail- ler dans un monde enchanté dans lequel l’inertie du temps laisse place à un flottement continu et insaisissable. Le danger futur pour les archi- tectes se situe entre autres dans cet oubli qui les pousse à se complaire dans les miracles rationnels de l’ère numérique. Concrètement parlant, l’architecture d’aujourd’hui pourrait facilement vaciller dans une utopie numérique qui ne laisserait plus de place à la résolution de contraintes sociales et économiques restant pourtant inhérentes à la conduite d’un projet. Déjà dans la ville actuelle, l’architecture apparait comme moins importante dans la résolution de problèmes que la gestion informatique du flux et du lieu assurée par des softwares. Une autre voie pour les architectes pourrait être la réintégration dès le départ de la possibilité du bâtiment ou de l’infrastructure à se gérer lui-même, à réguler ses propres flux. C’est déjà ce que font les meilleurs exemples depuis des siècles, mais dans un monde qui évolue à grande vitesse vers un inconnu offrant toujours plus de possibilités, plus d’échanges, cette question de gestion parait encore plus fondamentale.

Le problème de l’interaction entre bâtiment et usager est souvent soulevé en architecture. La mémoire, le lieu, le contexte sont donc des notions importantes pour la discipline ; elles revêtent un aspect d’autant plus important actuellement que l’ère numérique tend à les bouleverser tota- lement. Cette interaction peut se voir de deux manières opposées : la pre- mière suit la voie des architectures les plus médiatisées du moment. Elle

1. Antoine Picon, ibid, p.13

(22)

consiste à donner la possibilité au bâtiment d’intégrer le plus possible les dynamiques présentes dans les réseaux informatiques et à créer des liens directs avec les usagers présents physiquement et ceux virtuellement grâce aux technologies de l’information et de la communication : l’idée est en quelque sorte que le bâtiment puisse venir se substituer à terme aux fonctions de la tablette tactile. La deuxième voie à explorer renoue avec le rôle traditionnel de protection de l’architecture. Elle consiste- rait à préserver l’usager d’une exposition excessive aux flux d’informa- tions, «de nous abriter des bousculades de l’ère numérique au lieu de chercher à imiter son agitation ». « Une autre élégance deviendrait alors possible, une élégance fondée sur la discrétion plutôt que sur l’excès, sur le minimalisme plutôt que sur une complexité d’essence maniériste ou baroque»1. La question du minimalisme soulevée par Antoine Picon est intéressante car elle ne nie pas la présence des nouveaux réseaux d’infor- mation et des nouvelles contraintes qui en découlent, mais cherche à contrebalancer la carte souvent jouée de la surabondance pour tenter de répondre aux changements induits par l’ère numérique. La discrétion viendrait donc supplanter l’excès qui nous obnubile, les flux ininterrom- pus et toujours croissants auxquels l’être humain ne peut se confronter indéfiniment.

Pour comprendre pleinement l’importance de l’informatisation de l’ar- chitecture et des enjeux politiques et commerciaux qui gravitent autour, il faut dépasser le cadre de l’architecture même, se projeter en tout cas plus loin encore que l’orientation des courants architecturaux futurs.

2 - Des enjeux plus vastes encore : la ville numérique

La ville numérique est, sans que ses citoyens s’en aperçoivent vraiment, au cœur des préoccupations politiques en ce qui concerne l’urbain. Mais elle est aussi commerciale, sociale et culturelle dans la mesure où elle touche tous les aspects de la société en même temps : c’est la définition même de la ville. Pourquoi en venir à parler de ce concept si étendu qui pourrait faire l’objet de plusieurs ouvrages à lui seul ? Il est important de noter que ce qui nous intéresse ici n’est pas tant le concept

1. Antoine Picon, ibid, p.104 Ci-contre, Pavillon de l’exposition nationale Suisse de 2002

appelé aussi Blur, par Diller, Scofidio + Renfro

(23)
(24)

en lui-même de cette ville future que ce qu’elle impliquera dans l’évolu- tion des démarches de conception pour les architectes. Autrement dit si cette ville est vue comme l’avenir par la société, il est évident que l’archi- tecture devra suivre cette dernière afin de définir ses enjeux. La question n’est donc plus de savoir si l’on doit ou non participer au processus mais comment doit-on le faire. Au-delà de toute considération techno-pessi- miste et utopie techno-optimiste, l’intérêt de la ville numérique réside ailleurs. S’inscrivant dans une dynamique intelligente dans le sens où elle apprend d’elle-même et interagit avec les usagers qui la composent, la technologie ne constitue plus son aboutissement ultime, mais demeure un outil qui permet d’accroitre ses capacités de communication. Dans la ville numérique se retrouvent par exemple deux types d’architecture numérique : celle qui se préoccupe de la conception assistée par l’outil informatique et celle qui vient intégrer cet outil au cœur de son concept.

Cela peut mener à une architecture tout de même conçue par ordina- teur mais surtout qui promeut l’interactivité entre individus, la ville et le bâtiment. Le pavillon de l’exposition nationale Suisse de 2002 réalisé par Diller Scofidio + Renfro, aussi appelé Blur, est un exemple de la deu- xième catégorie. Dans sa version initiale un système de marquage électro- nique utilisant des imperméables intelligents, « Braincoats », permettait aux visiteurs de connaître le profil des personnes autour d’eux, d’en tirer les similitudes et les différences. Ce traçage informatique permettait de s’affranchir du cloisonnement traditionnel de l’espace en définissant d’emblée les groupes et en mettant en avant les possibilités d’échanges offertes aux usagers. L’espace architectural est de plus en plus souvent conçu pour réagir à la présence de visiteurs physiques ou numériques.

C’est dans ces préoccupations interactives vers lesquelles l’architecture numérique tend que nous pouvons percevoir le plus de potentiel pour l’outil informatique mis à la disposition de l’architecte. Si le bâtiment lui-même est vu comme un flux de données tout comme les usagers qui l’empruntent, alors théoriquement l’influence de l’outil mettant en œuvre le passage du physique au numérique s’exerce dès les premières phases du projet.

.

(25)

Après cette première partie, la réponse à notre question « L’évo- lution actuelle de l’architecture est-elle induite par l’outil informatique ?

», parait beaucoup plus nuancée qu’un simple oui ou non. Tout d’abord, il n’existe pas que la seule architecture numérique car des architectes tra- vaillent encore en dehors de ces questions sans que cela ne nuise à leur production. Ensuite, leurs histoires respectives ne sont pas comparables : elles n’ont pas émergées aux mêmes époques et surtout sous les mêmes contraintes. Enfin les aspects qu’elles partagent n’ont pas le même inté- rêt pour l’une et pour l’autre. Alors que l’informatique tend de plus en plus à devenir une discipline radicalement unique et mondialisée dont l’avancée unilatérale n’est induite que par un réseau restreint d’entreprises et d’états possédant les fonds suffisants pour la recherche, l’architecture, elle, persiste dans une voie beaucoup plus éclatée. Certes, nous allons le voir dans cette deuxième partie, les prémices d’une ère industrielle du bâtiment apparaissent, mais la déontologie de l’architecte demeure celle d’un humaniste qui accorde sa production à son temps, son contexte, ses usagers, etc. La recherche d’innovations dans le milieu de la construction se fait également par le biais de grands groupes, mais aussi par la multitude d’architectes et d’ingénieurs dispersés à travers le monde qui cherchent sans cesse dans quelle mesure chaque innovation peut s’accorder ou non à un projet.

I - Une discipline de l’instant ?

1 - De l’applications de codes ...

Les grands courants architecturaux ont souvent fait l’objet d’une codification et d’une théorisation importante de leur démarche. Que cela soit dans l’antiquité pour les temples grecs, au XVIIIe siècle par la réinter- prétation des traités de Vitruve par Marc-Antoine Laugier ou encore au XXe siècle avec la charte d’Athènes, nombreux sont ceux qui ont appli- qué cette façon de concevoir l’architecture à partir de règles. Dans l’archi- tecture numérique, la présence de ces codes est beaucoup moins visible, ou du moins aucun architecte qui se prétend numérique ne dira qu’il construit à partir de règles uniques. Il serait faux cependant de prétendre

II.

l’évolutIoN de l’archItecture est-elle INduIte Par celle de l’outIl INforMatIque ?

(26)

qu’aucune d’entre elles ne les influence. Il est en revanche plus proche de la réalité de dire que ce courant architectural n’a pas (encore) fait l’objet d’une théorisation de sa démarche. Cela est-il une simple question de temps ou de fond ?

Selon Antoine Picon « la forme architecturale traditionnelle était insépa- rable d’une croyance implicite en un optimum dont on s’approchait par paliers au moyen d’un processus de conception compliqué. L’ordinateur est venu ébranler cette conviction en plongeant les architectes eu sein d’un monde beaucoup plus fluide, peuplés d’entités dynamiques dont le mou- vement pourrait ne jamais prendre fin »1. La perception d’objets finis qui pourraient se réclamer de règles identiques parait donc beaucoup moins réalisable à notre époque. Parmi toute cette diversité de projets, on préfère voir une multiplicité de démarches et surtout une diversité de méthodes exploratoires plutôt qu’un mouvement allant dans le sens d’une théo- risation future. Il est par exemple frappant de constater que l’obsession de la forme présente dans l’architecture numérique s’accompagne d’un rejet de celle de la perfection : la différence avec le mouvement baroque, auquel on compare souvent l’architecture numérique, est que ses prin- cipes descendaient directement de ceux de la Renaissance. L’architecture, par ses principes de proportions et d’ordre devait renvoyer à l’idée d’une perfection. L’ère numérique prend ses distances face à cette quête de la perfection car elle ne découle pas de principes uniques et inhérents à tous les projets. Nous l’avons déjà dit, l’architecture numérique n’est peut-être pas un courant de pensée mais une nouvelle façon de voir les possibilités qui s’offrent à l’architecte : ces possibilités évoluant aussi rapidement que notre société même, il parait difficile de figer une idée de ce « non-courant

» à un instant T pour en sortir une essence unique et les codes qui en découlent. Au contraire, l’architecture numérique est celle qui se prétend de l’instantanéité, de l’évolution inexorable de la forme et de l’adéquation à des fonctions évolutives voire innovantes. Elle ne s’est pas détachée seu- lement de courants anciens mais aussi de courants plus récents, en venant s’opposer notamment aux post modernes qui utilisent les icônes du passé et de la culture populaire contemporaine, comme le Duck de Venturi, pour donner une image à leurs bâtiments. Le déclin de ce courant a coïn-

1. Antoine Picon, in Culture numérique et architecture, une Introduction, p.76

(27)

cidé avec le boom de l’ordinateur personnel dans les années 1990. L’archi- tecture numérique se refuse à utiliser des éléments ou significations qui viendraient de sources extérieures à l’architecture.

Il existe plutôt deux façons de voir l’outil informatique à notre époque qui ne conduisent pas du tout l’architecture vers le même chemin : croire que l’ordinateur va révolutionner celle-ci, ou ne voir en lui qu’un outil de dessin version 2.0. La figure de proue de la première catégorie est évi- demment Peter Eisenman pour qui « l’air du temps » est plus important que « l’esprit du temps »1. Son assistant Greg Lynn l’a suivi et on le voit cité désormais dans de nombreux articles, notamment dans les catalogues d’Archilab, référence en la matière. A partir des années 1990 l’ordinateur devient pour lui l’outil essentiel d’une nouvelle approche qui fait face à des contextes urbains et culturels conflictuels. D’autres, comme Robert Woodburry à travers son ouvrage Elements of Parametric Design publié en 2010, se sont récemment lancés dans l’identification de « Patterns » (sorte de séquences de conception). S’agit-il pour autant d’une tentative d’édification de règles ? Je n’en suis pas si sûr étant donné la volonté de Woodburry de les voir comme des outils permettant de mener à bien des projets aux contraintes toujours plus diverses, et non comme des étapes qui doivent être suivies dans un ordre précis et être utilisées dans leur inté- gralité pour que la magie de la perfection s’opère. Quant aux personnes de l’autre catégorie, comme les néomodernes avec les 5 points de Le Corbu- sier, ils voient l’ordinateur seulement comme un outil de dessin toujours plus performant car ils considèrent que les règles éditées antérieurement prévalent encore aujourd’hui à la conception de toute architecture.

2 - ... à la découverte d’une réalisation instantanée.

Tout comme les modernes se sont affranchis des codes Beaux-Arts très contraignants pour leur époque et ont communiqué leur désir de voir émerger un nouveau visage pour l’architecture et la société en général, l’ar- chitecture numérique découvre elle aussi une nouvelle façon de concevoir basée sur une instantanéité toujours plus forte. Jusqu’où les outils numé- riques peuvent-ils rendre compte en temps réel de la vie d’un bâtiment,

1. D’après Nasrine Seraji, in Cahiers de la recherche architecturale et numérique, p.69

(28)
(29)

de sa conception à sa démolition ? Quels changements cela opère-t-il dans la vision globale de l’architecture ? L’évolution principale tient de la capa- cité du bâtiment à pouvoir se gérer lui-même : il fait l’objet dès son déve- loppement d’un tel travail d’archivage de données qu’il parait totalement transparent aux yeux de ses concepteurs. A la différence d’autres manières de concevoir qui utilisaient la mémoire même retenue dans le bâtiment pour qu’il s’inscrive dans son temps et son contexte, l’approche numé- rique parait plus encline à inclure cette mémoire non pas dans l’objet mais bien dans des disques durs et des serveurs informatiques. Les Hard- wares deviennent en quelque sorte des boîtes noires qui permettront de déchiffrer des constructions offrant une transparence réelle toujours plus importante mais aussi une transparence phénoménologique de plus en plus restreinte. Comment ce bâtiment est-il construit, tient-il debout, va-t- il évoluer, puise-t-il son énergie, etc. ? Autant de questions qui se posent à la vue d’un bâtiment de cette nouvelle architecture : elle offre désormais une multiplicité des méthodes de construction qui ne s’accompagne pas d’une méthode simple et unique de compréhension. Certains, diront que cette impression de totale liberté architecturale conduisant à des projets « instantanés » (dans le sens où ils réagissent avec leurs usagers de manière directe, à la façon d’un spectateur regardant défiler les images sur sa télévi- sion, et qu’ils ne parviennent pas ou peu à s’inscrire dans une mémoire so- ciale commune) est due à une perte de la tectonique ; nous y reviendront en troisième partie. Prenons l’exemple d’un mouvement qui est désormais passé de mode, le « Blob ». Ce qui est d’abord apparu seulement comme une nouvelle forme aux yeux du public a néanmoins très largement fini par questionner les positions architecturales de l’époque et sert de réfé- rence encore aujourd’hui à une partie de la production contemporaine : il est le premier a avoir proposé le recourt aux technologies de l’information comme alternative à l’objet bâti conventionnel. Cette architecture s’est alors appuyée sur un travail géométrique de l’objet pour trouver une nou- velle complexité. Selon Greg Lynn (théoricien des nouvelles méthodes de conception numérique à l’origine de l’expression Blob), le Blob est le mo- dèle d’une classe d’objets qui permettent une « théorisation rigoureuse de la diversité et de la différence ». Sans être une unique typologie, il consti- tue une ouverture dans la tectonique architecturale : un déplacement de

Ci-contre, 8 des «Patterns» identifiés par R. Woodburry dans son ouvrage Elements of Parametric Design

(30)

la réflexion architecturale de la définition de l’objet vers l’expression des intentions de ses utilisateurs (interactivité, traitement de l’information en temps réel, dialogue avec l’environnement).

Cependant rétrospectivement, le Blob, bien que reflétant les idées d’une nouvelle ère constamment en mouvement, n’en demeure pas moins une coque durcie. L’aboutissement de la question de l’instantanéité n’a pas encore eu lieu et s’est transformé plutôt en celle du geste figé que pou- vaient déjà rechercher les architectes baroques comme Borromini ou Le Bernin. C’est pourtant bien d’une autre instantanéité dont je veux parler, celle qui permet, au-delà de la forme, de rendre compte de la vie d’un bâtiment et ne pas le figer à un instant T. Autrement dit la question n’est plus de savoir à quel moment le processus de conception peut se figer pour donner naissance à l’objet le plus abouti, mais bien de savoir comment faire évoluer cet objet de façon continue tout comme un organisme vivant, communiquant et interagissant avec le temps, l’espace, les utilisateurs. Ce changement de regard vis-à-vis de l’architecture et de l’espace qu’a induit l’informatique et qui a déjà été expérimenté par des architectes comme Cedric Price, notamment dans son projet ‘Generator’, est ce qui constitue selon moi la force de cette nouvelle vague numérique. Cette quête n’est certes pas nouvelle, mais elle n’est pas non plus aboutie : les démarches et les réponses sont aussi nombreuses que diverses. Et, à la différence du mouvement moderne, aucun écrit théorisant ni aucune charte ne laissent à penser que les codes dans ce domaine sont désormais figés. C’est sûre- ment cela qui donne son caractère si contemporain à l’architecture numé- rique.

II - La notion de temps pour l’architecture numérique

1 - Vers un espace continu et fluide

Cette recherche de l’instantanéité qui s’est amorcée avec le Blob est devenue caractéristique d’une époque dans laquelle la notion tradi- tionnelle de temps et d’espace est totalement bouleversée par la techno- logie. Il ne faut pas se méprendre en disant que c’est une nouveauté : les

(31)

innovations techniques induites par les précédentes révolutions indus- trielles ont, elles aussi, bouleversé notre rapport au monde. Cette fois c’est au tour de l’informatique et non de la locomotive ou bien de la voiture d’occuper la place d’élément moteur. L’architecture contemporaine n’a de cesse de questionner à nouveau ces principes d’espace et de temps. La voie empruntée par l’architecture numérique est celle de l’espace continu et fluide : la surface.

Nous l’avons vu, la forme est un élément important de l’architecture qui renvoie plus que l’idée d’un simple objet. Elle est la traduction des mou- vances d’une société, induite par des codes, des valeurs et des innovations qui dépassent le champ seul de l’architecture. Par l’approche numérique, la forme devient un élément ou un moment d’un flux, un arrêt sur image, d’une géométrie en mouvement. Elle est également comparable à un évè- nement. La meilleure illustration du lien intime qui unit forme et flux est certainement celle faite par Marey dans ces chronophotographies. Cette adéquation entre forme architecturale et occurrence constitue la base de la tendance actuelle qui considère l’architecture comme « un art de la performance »1. Les architectes numériques s’efforcent de générer la forme autour de ces évènements, de ces champs de force qui génèrent le mou- vement. La forme, pour eux, ne doit plus apparaitre comme déterminée par l’extérieur, à la manière d’un moulage, mais doit se développer sous l’effet de ces champs de forces continus et dynamiques entrant, sortant et entourant le bâtiment. C’est de là qu’émerge la complexité dont parlait Lynn : en opposition à la simplicité et à la transparence phénoménolo- gique auxquelles se rattachaient les modernes, la complexité laisse le choix à l’architecture d’apparaître tel un assemblage de figures et de séquences qui interagissent les unes avec les autres, et non tel un tout unifié. Cette approche de la complexité se retrouve dans d’autres disciplines que l’archi- tecture, comme l’informatique précisément, qui se veulent en phase avec l’évolution récente des sociétés et leur dimension de plus en plus globale.

C’est aussi une continuité avec l’esprit urbain contemporain, en liaison constante avec l’individu et l’espace interactionnel.

La grande question qui pourrait être posée ici serait : en quoi une architec-

1. Antoine Picon, in Culture numérique et architecture, une Introduction, p.75

(32)
(33)

ture de surface est elle différente de celle de volume ? Une réponse simple est donnée par Georges Liaropoulos-Legendre dans son essai IJP : The Book of Surfaces. « Tandis que les volumes semblent fréquemment définis de l’extérieur de façon arbitraire, si bien qu’ils apparaissent opaques et inertes, les surfaces font figures d’expressions beaucoup plus directes des variations paramétriques ». Cet engouement pour la recherche de la sur- face en tant que nouvelle forme pour rendre compte des flux géométrique constituant le projet expliquerait la baisse de désir pour les Blobs, qui paraissent désuets en comparaison et face aux problématiques actuelles formulées par les architectes. « Tandis que les volumes semblent prendre leur distance à l’égard des flux géométriques, les surfaces semblent les incarner. Elles sont plus naturellement animées, proches des structures temporelles » que les architectes numériques tentent de retranscrire dans leur production. Dans les logiciels eux-mêmes, une évolution se fait sentir:

la pensée constructive en volume laisse peu à peu place à des logiciels per- mettant une conception paramétrique plus poussée de surface, d’inscrip- tion et de pli. Certes ces logiciels comme Revit font encore la part belle à la conception volumétrique mais ils annoncent néanmoins un nouveau potentiel pour l’architecte. De Google SketchUp à la conception paramé- trique, de l’outil de dessin assisté par ordinateur à l’outil de recherche et de conceptualisation numérique, la route n’est pas encore tout à fait claire. De nombreuses réticences se font sentir, ainsi que nous le verrons en troisième partie. Par ailleurs, une critique souvent faite à cette nouvelle méthode de conception (notamment parce qu’elle est souvent appréhen- dée uniquement à travers l’objet fini et non le processus qui l’a fait naître) est qu’elle ne serait ni plus ni moins qu’un effet de mode. Tout comme le Blob parait moins d’actualité, le travail de la surface ne serait pas plus qu’une forme qui ne contient aucune signification plus profonde qu’elle- même. C’est en tout cas un point que dénonce Antoine Picon, en appor- tant comme exemple ces bâtiments qui en ont agité l’étendard lors de leur conception, mais qui résument le travail du pli et de la surface à un travail finalement formel qui n’agit plus sur les flux et le contexte. L’Institut d’Art Contemporain de Boston réalisé par Diller Scofidio + Renfro en 2006 est une référence de cette architecture du pli purement métaphorique qui n’engendre aucune qualité spatiale particulière : « la surface portant un

Ci-contre, Etienne-Jules Marey, Chronophotographie

(34)
(35)

volume continue n’existe pas ici »1.

Les questions sous-jacentes que nous nous sommes posées précédemment ne sont ni plus ni moins que des interrogations déjà explorées et qui suivent l’architecture depuis déjà un moment. L’argumentaire qui prétend que l’architecture numérique n’est pas nouvelle si ce n’est dans sa forme est vrai dans le sens où nous avons vu qu’elle est le fruit d’une évolution sociale mondiale qui date des débuts de la société de l’information. Mais c’est dans le sens où elle cherche à rester sans cesse en évolution avec son temps, et à ne pas se figer dans une figure magistrale qu’elle devient plus qu’une mode.

2 - Architecture contemporaine et rapport à l’innovation

L’autre grand défi qui s’annonce pour l’architecture contempo- raine et qui est pris en compte dans sa partie numérique est le rapport au temps, non pas dans la vie même du bâtiment et son inscription dans une mémoire collective, mais dans les phases de prospection, de projec- tion, et de construction, autrement dit le temps réel qui mène une idée de départ à devenir un bâtiment et qui constitue le travail essentiel de l’archi- tecte. Avec un temps de conception toujours plus restreint et la promesse grandissante d’un temps de construction réduit à l’échelle industrielle, comment l’architecture, discipline qui s’inscrit dans une histoire via un processus lent et ininterrompu, va-t-elle évoluer face à une mise en place de procédés qui paraitront pour elle instantanés ?

L’histoire de l’architecture est pourtant jalonnée d’évolutions techniques qui ont poussé au changement des méthodes de construction. Pour ne citer que lui, le béton armé a joué un rôle décisif dans le passage à la modernité. Cependant, jamais la technologie n’a joué le rôle de moteur dans la mise en forme des idées qui façonnent une architecture. Jamais un courant architectural ne s’est d’ailleurs réclamé directement de celle-ci, on préférait la voir comme une capacité permettant de dépasser les limites anciennes pour avancer vers une nouvelle ère. Avec des penseurs comme Reyner Banham, le groupe Archigram et par la suite le mouvement High-

1. Antoine Picon, in Culture numérique et architecture, une Introduction, p.74 Ci-contre, L’Institut d’Art Contemporain de Boston,

par Diller Scofidio + Renfro,2006

(36)
(37)

tech emmené par Norman Foster, la technologie prend un nouveau visage:

elle est potentiellement créatrice d’architecture, voire vient se substituer à elle pour répondre aux besoins de ses usagers. En ce qui concerne l’infor- matique, les débuts de son utilisation se sont faits via la cybernétique de façon ludique. Elle donne naissance à l’imaginaire des robots, que l’on retrouve notamment dans des films comme Metropolis de Fritz Lang, ou de l’automation en architecture qui sera un des éléments phare de l’architecture de Cedric Price. Puis la crise industrielle vient à se déclarer.

C’est alors que la technologie, et notamment l’informatique, revêt le profil idéal pour sauver la société des maux de l’ère industrielle. Ce qui parait aujourd’hui pour nous comme une évidence n’était alors à ce moment qu’une alternative. Enfin, c’est le point qui nous intéresse, nous vivons à vitesse grand V la banalisation à grande échelle des technologies de l’infor- mation sur tous les plans et secteurs, et sur nos vies en général. La grande particularité en matière de temps pour notre époque est que l’adéquation entre innovation et temps d’adaptation à cette dernière est quasiment in- saisissable ! L’architecture numérique qui a la volonté de retranscrire l’idée d’une société sans cesse en mouvement en se servant des NTIC comme moteur de leurs méthodes de conception devient prisonnière d’une cer- taine façon de ce rythme infernal qui empêche toute prise de recul. Il est vrai que l’architecture numérique a encore bien du mal à s’imposer au-delà d’une tendance. Elle est très instable par nature puisqu’elle suit un flux sans cesse en mouvement et manque d’une dimension critique et politique affirmée.

D’où vient ce sentiment que cette part de l’architecture contemporaine n’est que le fantôme d’elle-même, sans cesse rattrapée par ce qu’elle tente d’étudier ? La critique première découle du fait qu’on ne fait pas de l’ar- chitecture seulement à partir de la technologie. Ceci est tout à fait fondé puisque le métier d’architecte est bien plus complexe que la simple appli- cation inlassable de séquences, qu’elles soient sociales, économiques ou informatiques. Les architectes numériques vous le diront : ce n’est pas du tout leur prétention. Pourtant, si elles ne sont pas de primes abords assimilables à des techniques de constructions, les technologies implan- tées au cœur de la réflexion ‘numérique’ n’en jouent pas moins un rôle

Ci-contre, Image extraite de A Home is not a House, Reyner Banham

(38)

déterminant en architecture. Différentes recherches exploitant les proprié- tés des NTIC, et prolongeant des réflexions architecturales antérieures, témoignent de ce rapprochement. L’éventail de ce travail est très large et a même dépassé le cadre purement architectural. Il part par exemple de la participation des usagers à la conception qui incarne un nouveau po- tentiel démocratique. Nombreux sont les projets qui émergent désormais sous le label « participatif » comme celui du Blosne ; vient ensuite le dépas- sement des capacités naturelles des matériaux incarné par le béton armé de l’époque industrielle, et, qui sait, sera peut être un jour détrôné par la fibre de carbone ou encore des matériaux qui semblent issus de la science- fiction comme le graphène. Enfin, ce travail prend forme dans la création d’un idéal d’architecture communiquant avec son occupant à la manière du Fun Palace de Price, souvent cité à titre d’exemple. Le projet Generator du même architecte est également une démonstration de la possibilité de transfert des technologies de l’information dans l’architecture. Il utilise notamment tout un système informatique pour gérer en temps réel la posi- tion des diverses cloisons ou boîtes qui forment le projet. D’une certaine manière, ce questionnement sur le temps d’adaptation d’une innovation à la société et son inscription en architecture se reflète dans le travail de recherche porté sur les matériaux actuellement. Ces recherches s’orientent plus vers la découverte de nouveaux matériaux composites et intelligents auxquels on reconnait une complexité intrinsèque. Elles s’accompagnent d’une « tendance à résoudre de plus en plus les problèmes en concevant de nouveaux matériaux plutôt que des structures »1. Les bétons haute per- formance, les composites béton/matières recyclées utilisés en Chine pour les expérimentations d’imprimantes 3D géantes destinées à ‘imprimer’

des maisons entières, ou encore les composites de carbone sont autant d’exemples de cette nouvelle matérialité. La définition même d’un maté- riau, en rapport à ce qu’est une structure, est déterminée par une construc- tion culturelle complexe qui nécessite des négociations entre plusieurs acteurs, et surtout du temps. Le processus de normalisation qui a conduit le béton armé à être considéré comme un matériau au cours du XXème siècle et non un système structurel comme c’était le cas lors de sa création s’est fait au cours de plusieurs décennies. La ligne de démarcation entre

« un niveau d’organisation caractéristique du matériau et un niveau plus

1. Antoine Picon, in Culture numérique et architecture, une Introduction, p.146

Références

Documents relatifs

Ce mercredi 27 février, dans le contexte de l’épisode de pollution, Michel Lalande, préfet de la région Hauts-de-France, préfet du Nord avait pris de mesures de restriction de

À partir du contexte législatif et de l’étude de plateformes open data, elle cherchera à établir des recommandations visant à faciliter la publication, l’accès et

Entre l’été 2016 et l’été 2017, si Flixbus a gardé les mêmes lignes (en ouvrant Paris- Roye et Valenciennes-Paris et en fermant Amiens-Paris), Isilines a fermé ses deux

Partager des informations et confronter des expériences qui ont déjà démontré leur pertinence, tels sont les objectifs de la ren- contre régionale «Coopération internationale dans

Sources: IMS Health MIDAS MAT Décembre 2009; IMS Life Cycle R&D Focus, Juin

Caen vendredi 11 mars-16h30 I parcours quartier Guérinière Alençon samedi 12 mars-10h30 I parcours quartier Perseigne Blainville-sur-Orne mercredi 16 mars-16h30 I visite de

L’atelier pédagogique a donné naissance à une grande expo- sition « Ma terre première, pour construire demain », conçue avec la Cité des Sciences et de l’Indus- trie,

Marc Barani (Grande médaille d’Or), Renée Gailhous- tet ( médaille d’Honneur), Bas Smets ( médaille de l’Urba- nisme), Martin Duplantier ( Prix Le Soufaché), Stépha- nie