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19 janvier 2011actualité, info
courrier
La capacité d’être seul
A propos du courrier de Jacques Epiney : Sui- cide assisté et constat de décès : quel rôle pour le médecin ? Rev Med Suisse 2010;6:2376-7.
Monsieur le Rédacteur en chef
J’ai aimé le courrier du Dr Jacques Epiney, à propos du suicide assisté et du constat de décès.
Il nous montre qu’il a été touché dans ses tripes, et qu’il a réagi. Dans l’après-coup, il essaye de comprendre, tout en restant fidèle à son ressenti, ce qui l’a poussé à agir de la sorte. Il persiste et signe une position plutôt «contre-courant» à notre époque.
Ceci m’évoque un titre de D.W. Winnicott «La capacité d’être seul».1 Dans cet article, si je me souviens bien, l’auteur s’intéresse à la séparation psychique entre la mère et l’enfant et à la capa- cité de ce dernier à être seul dans ses jeux, tout en bénéficiant de la présence calmante (ou pa- rexcitante) de sa mère. Le médecin est souvent
seul et il doit «faire avec» ses tripes, son irration- nel, et parfois même avec sa violence. Il n’est pas facile de ne pas subir le contre-coup de notre pulsionnalité, et il est pro bable qu’un certain nombre d’états dépressifs ont à voir avec son surgissement car les con flits ne sont pas notre tasse de thé. En effet, selon notre maturité et notre «capacité d’être seul», nous sommes ha- bités par un désir infantile d’être aimé, et d’être tout puissant. Notre démesure couplée à notre agressivité peut même, si l’on en croit les psy- chanalystes kleiniens, nous con duire à attaquer l’être aimé (inconsciemment), et nous laisser après coup dans une position inconsolable de solitude et de culpabilité.
Toutes ces réflexions sont peut-être un peu éloignées du contenu de la lettre de Jacques Epiney, et peuvent sembler déplacées, mais j’ai trouvé dans celle-ci une recherche d’un «juste narcissisme», d’une relation pondérée à soi- même et aux autres.
La complexité des enjeux et les forces en pré- sence y sont intelligemment décrites. Il y a quel- que chose de profondément humain, de doulou- reux, mais aussi de résolu chez son auteur. C’est
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cette «capacité d’être seul» que je distingue du militantisme s’appuyant sur un concept, une idéalisation et une simplification.
Cette «capacité d’être seul» s’oppose à tout to- talitarisme.
Ce travail de reprise, dans l’après-coup des différents axes qui ont conduit à une réaction apparemment irrationnelle, nous devons sans cesse le faire, et ça devient à notre époque de plus en plus difficile et exigeant. On pourrait dire que nous devons tout faire pour rester fidèle à nous-mêmes, et ne pas nous lâcher.
C’est à ce prix-là que nous éviterons le burnout, et que nous aiderons un certain nombre de nos patients à échapper à l’agressivité qu’ils retour- nent contre eux-mêmes.
C’est pour cela que je trouve l’article du Dr J.
Epiney exemplaire.
Dr Eric Bierens de Haan Médecine générale FMH 44 bd des Tranchées 1206 Genève 1 Winnicott DW. La capacité d’être seul. In : De la pédia-
trie à la psychanalyse. Paris : Payot, 1969.
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