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Biais de confirmation en physique: deux variantes à surveiller

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Academic year: 2021

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Submitted on 26 Apr 2021

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Biais de confirmation en physique: deux variantes à

surveiller

Laurence Viennot

To cite this version:

Laurence Viennot. Biais de confirmation en physique: deux variantes à surveiller. Bulletin de l’Union des Physiciens (1907-2003), Union des physiciens, A paraître. �hal-03208275�

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Biais de confirmation en physique: deux variantes à surveiller

Laurence Viennot

Résumé

Devant la nécessité d’un effort accru pour développer l’analyse critique chez élèves et étudiants, cette note se centre sur l’un des biais cognitifs qui font souvent obstacle en la matière. Sous sa forme la plus typique, ce biais consiste à valoriser un raisonnement au motif que l’on croit sa conclusion exacte. Trois exemples illustrent ici deux variantes de ce biais, en physique. La montgolfière, la détente irréversible d’un gaz parfait et la chute libre servent de supports pour caractériser ces deux effets d’écrantage de la critique, et donc aider à s’en prémunir.

Introduction

Le développement de l’esprit critique est désigné, de manière répétitive et de plus en plus accentuée, comme un objectif prioritaire de l’enseignement scientifique. En ces temps de rumeurs et de déni des acquis de la science – la Terre serait plate – on pourrait penser que là est la cible principale en matière d’éducation à la critique. Sans doute, mais c’est un effort global qu’il s’agit de développer, qui imprègne tout l’enseignement. Les explications en circulation, y compris dans des cadres scolaires ou universitaires, notamment en cours de physique, peuvent utilement faire l’objet d’analyses critiques, que ce soit pour ceux qui les reçoivent ou pour ceux à qui il incombe d’en proposer à leurs élèves [1].

Cette note vise la difficulté d’estimer la validité des explications en physique, y compris dans un contexte ordinaire d’enseignement. En particulier, un effet bien connu à ce propos est le biais de confirmation (voir par exemple [2]). Celui-ci consiste à donner plus de valeur aux arguments soutenant ce que l’on pense vrai qu’à ceux qui conduisent à la conclusion opposée. Le texte qui suit caractérise deux variantes de cet effet. Seront examinés à titre d’exemples le cas de l’hypothèse « isobare » pour la montgolfière [3], celui d’une transformation irréversible non quasi-statique improprement traitée comme si elle était quasi-statique [4] et enfin l’éloge d’un raisonnement prêté à Galilée sur la chute des corps [5, p. 307]. Dans les deux premiers cas [3, 4], un raisonnement mathématiquement juste conduit au bon résultat, tout en étant fondé sur une modélisation qui contredit le but même recherché pour l’exercice. Dans le troisième cas, des compléments précisant le contexte physique sauvent le résultat sans valider pour autant le raisonnement. Ces analyses visent à favoriser une vigilance critique et

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un questionnement a priori utiles en enseignement comme en vulgarisation. Précisons tout de suite que l’intérêt de ces exemples est qu’ils ne portent pas sur des raisonnements échappant totalement à la physique, loin s’en faut, et qu’ils se présentent sous des airs de légitimité formelle.

L’efficience mathématique trompeuse : la montgolfière « isobare »

Il est courant de traiter les exercices sur la montgolfière en admettant que "la pression atmosphérique" est partout la même à l'intérieur et à l'extérieur de l’enveloppe, en ajoutant parfois que c'est parce que l’enveloppe est ouverte. Mais si la situation était isobare, la montgolfière s'écraserait au sol, et l’enveloppe ne pourrait pas être gonflée. Dans ce cas, le pire est sans doute d’ignorer le lien essentiel entre sustentation et gradient de pression (Encadré 1). Quant à arguer que les variations de pression interne et externe sont très faibles et peuvent être négligées, il faut bien voir qu'une telle simplification "tue" littéralement le phénomène. L’abstention critique impressionnante observée mondialement chez les professeurs de physique et les auteurs de manuels scolaires à ce propos [6] en fait un prototype de rituel d'enseignement. Cependant, il convient également de noter que l'hypothèse impropre conduit, à partir d'un calcul correct de la poussée d'Archimède, à un résultat non moins correct au premier ordre.

Encadré 1 : Calcul et résultat exacts sur une hypothèse absurde

L’usage courant pour les exercices portant sur la montgolfière est d’admettre que les pressions internes et externes sont les mêmes à l'intérieur et tout autour de la montgolfière, égales à “la pression atmosphérique" p0. Sur la base de cette hypothèse, le calcul attendu est le suivant.

Pour une montgolfière de masse totale mc (parties solides), étant donné le théorème

d'Archimède et l'expression de la densité dans un gaz parfait de masse molaire (moyenne)

M, (R: constante des gaz parfaits), le bilan newtonien à l'équilibre s’écrit mc +

-

= 0 (1)

ou, en admettant que les pressions internes et externes sont partout égales à leur valeur à l'ouverture p0:

[1/Text -1/Tint] = mc R/(p0MV). (2)

En fait, l’hypothèse de situation isobare est inappropriée. A ce compte là, la mongolfière ne pourrait ni être gonflée ni tenir en l’air. En fait, la sustentation dans un fluide de masse volumique à l’équilibre en présence d’un champ de gravité g suppose un gradient de pression, conforme à la relation Δp = - ρgΔz. A l’ouverture, la pression interne à la montgolfière est égale à la pression externe. Comme la masse volumique interne est inférieure à la masse volumique externe, la pression interne diminue moins vite avec l’altitude qu’à

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l’extérieur. Elle est donc partout supérieure à la pression externe (en particular en haut de l’enveloppe) sauf à l'ouverture. Ceci explique pourquoi l'enveloppe est gonflée et pourquoi la sustentation de la montgolfière est possible. Pour une montgolfière cylindrique, un calcul au premier ordre fondé sur les gradients de pression aboutit à la même relation (2) que la solution habituelle. Bien entendu, le cas général relève du théorème du gradient1 qui amène au théorème d’Archimède.

La valeur numérique trouvée pour la poussée d’Archimède – méthode classique - est peu affectée par l’hypothèse incriminée, et ceci fait de cet exemple un cas d’école. Lorsqu’on déclare les pressions moyennes interne et externe égales à une valeur unique, la « pression atmosphérique », l’erreur faite sur leur valeur à chaque altitude est en effet très faible et modifie peu le résultat du calcul des masses volumiques correspondantes, qui en revanche dépendent fortement de la température. La poussée d’Archimède s’en tire bien, mais l’écart des pressions est indispensable conceptuellement. Certes très faible, cette différence multipliée par les centaines de mètres carrés d’enveloppe concernés rend bien compte de la sustentation. Cet exemple illustre bien la distinction qu’il importe de faire entre une petite variation sans conséquence, par exemple ici celle du champ de pesanteur avec l’altitude, et une variation absolument constitutive du phénomène étudié, ici celle de la pression avec l’altitude, que l’on ne peut négliger sans dommages conceptuels. Il y a là, en condensé, tout le débat sur la distinction entre les simplifications admissibles, sans lesquelles on se paralyserait à l’excès, et celles qui tuent le phénomène.

Le point sans doute le plus important dans cette histoire est qu’un calcul correct permet de trouver un résultat correct – un cas d’« efficience mathématique » - le tout fondé sur une hypothèse inappropriée. Alors, le jugement critique s’anesthésie. Un calcul qui réussit sur la base d’une modélisation destructrice de compréhension constitue un piège majeur pour l’analyse. On est vraisemblablement en présence d’une variante redoutable du biais de confirmation, sous réserve qu’il ne s’agisse pas simplement d’un rituel incrusté dans les pratiques et par là non discuté.

Un second exemple d’« efficience mathématique trompeuse » nous démontre que cela peut se produire sans qu’il s’agisse d’une procédure de résolution rituelle.

1 - Théorème du gradient, applicable à une surface fermée S délimitant un volume V, et à un champ

scalaire, ici p: ; or dans un fluide en équilibre de masse volumique ρ on a = ρ . Le théorème d’Archimède en découle immédiatement.

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Une efficacité mathématique trompeuse moins rituelle : la détente non quasi-statique d’un gaz parfait

Une étude récente [4] s’intéresse à la fois aux difficultés des professeurs stagiaires en fin de formation (master MEEF, deuxième année) en matière d’analyse critique et à leurs décisions éventuelles pour l’enseignement. Ici, le choix a été fait d’éviter que l’explication contestée ne soit une explication habituelle, afin de séparer les paramètres de l’interprétation. 8 professeurs stagiaires ont participé à des entretiens individuels approfondis (environ 45mn) à propos d’un corrigé d’exercice reproduit en Encadré 2. On peut dénoncer plusieurs défauts dans ce corrigé, telle la notation différentielle impropre pour désigner un travail élémentaire, lequel n’est pas la différentielle d’une fonction d’état. On peut souligner aussi que c’est l’ensemble gaz-piston mobile qui reçoit le travail en question. Mais au-delà de ces aspects critiquables, un point tout à fait paradoxal et hautement contestable de ce texte est que, très classiquement, ce type d’exercice doit souligner la différence entre une transformation quasi-statique (suite d’états d’équilibre, selon la formulation habituelle) et une transformation non quasi-statique, pour laquelle les états intermédiaires de la transformation ne peuvent être décrits par des grandeurs intensives (pression et température). Or ce corrigé semble travailler à rebours de cet objectif. Dans le cas non quasi-statique et sous pression extérieure déclarée constante, l’expression du travail reçu par l’ensemble piston-gaz en détente irréversible non quasi-statique entre un volume VA et un volume VB sous pression extérieure pB constante peut se calculer très

simplement : Wirrev = pB (VA-VB). Une ligne d’un calcul simple suffit pour établir cette réponse

correcte sans autre hypothèse particulière, puisqu’il s’agit d’évaluer le travail de la force extérieure constante lorsque le volume balayé par le piston est VB -VA. C’est bien cette réponse

à laquelle parvient le corrigé de l’Encadré 2, via un développement sans erreur de calcul. Mais celui-ci repose sur une modélisation à l’opposé de la cible conceptuelle de l’exercice : les grandeurs p et T y figurent comme si elles étaient définies en cours de transformation, sans parler de la relation des gaz parfaits, non valide hors équilibre. Mathématiquement « efficiente», cette solution est invalide sur le plan de la modélisation. En tant que raison d’abstention critique, cette situation relève de l’efficience mathématique trompeuse. Il se trouve que l’effet de deux opérations inverses successives, une dérivation et une intégration, se trouve annihilé et que seuls comptent finalement les états initiaux et finaux de la transformation, qui sont bien des états d’équilibre. Ceci sauve le résultat mais ne saurait justifier une modélisation invalide.

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Encadré 2. Un texte hautement contestable issu d’un fascicule de corrigés d’exercices pour étudiants de première année de licence*.

Une mole de gaz parfait est située dans un cylindre fermé par un piston mobile. Elle subit une détente de la pression pA à la pression pB (pA > pB) à température T constante. Calculer le

travail effectué sur ce gaz dans les deux cas suivants:

a- Détente irréversible*, sous pression extérieure constante (pext = pB)

b- Détente réversible (a) Cas irréversible

Travail à T = constante pour la détente irréversible d’une mole de gaz parfait: Wirrev

dW = -pdV<0

dWirrev = - pext dV = - pB dV (puisque pext = pB ).

Pour notre système: pV = NRT et N = 1 mol. Donc V = RT/p et dV= -RT dp/p2

dWirrev = - pB dV = RT pB dp/p2

Wirrev = B dp/p2 = RT pB [ - = pB (VA-VB)

(b) Cas réversible (…)

___________________________________________________________________________ *L’enquêtrice précise que cette transformation “irréversible” est aussi non quasi-statique.

La définition de deux arguments critiques (C1 : les grandeurs intensives p et T ne sont pas définies en cours de transformation non quasi-statique, C2 : la relation des gaz parfaits pV =

NRT est non valide en cours de transformation non quasi-statique), et, pour chaque argument,

de trois niveaux de position critique (acceptation ferme du texte, critique ferme du texte, position mitigée) structurent le codage des entretiens pour les aspects critiques. Relativement au choix d’une explication pour l’enseignement en première année de licence, les mêmes trois niveaux d’adhésion sont définis pour l’argument C3: « On peut choisir d’utiliser dans l’enseignement l’explication que l’on vient de reconnaître comme incohérente, sans critique ». Parmi les principaux résultats, notons qu’après 20’ de réflexion dialoguée sur ce texte, seulement la moitié des participants avaient exprimé une critique ferme sur l’usage de grandeurs intensives non définie (C1). Relativement à l’usage de la relation des gaz parfaits en cours de transformation, 3/8 professeurs stagiaires seulement ont exprimé fermement la nécessité d’y renoncer, les autres étant parfois très sûrs de leur bon droit : « pV = NRT. C’est la loi des gaz parfaits, alors c’est sûr ». Et en fin de débat, après prise de conscience déclarée de ces incohérences, seulement la moitié des participants disaient fermement exclure de leur enseignement cette démonstration compliquée, inhabituelle et incohérente (C3). Un commentaire symptomatique illustre la prégnance de l’efficience mathématique : « Ah oui … ça serait un bon exercice pourtant, c’est pour ça, moi je dirais, ben moi, c’est pas mal quand

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même pour mettre en application la théorie classique, je trouve, j’aime bien comme exercice ».

A l’issue de cette étude, il y a donc une forte présomption que ce qui vient d’être défini comme « efficience mathématique » (absence d’erreur de calcul, résultat correct) puisse apparaître comme une valeur en soi dans les critères de choix explicatifs des professeurs stagiaires, et cela même au prix de la cohérence et de la simplicité.

Un élément vient enrichir ce constat. Il n’est pas rare que les professeurs stagiaires caractérisent d’eux-mêmes (5/8) l’obstacle à la critique que représente l’efficience mathématique : “On a l’impression qu’avec tous ces calculs, finalement, c’est correct, c’est scientifique et si quelque chose bloque, c’est de sa faute ». Pourtant, comme occasion de dérouler quelques enchainements algébriques en enseignement, « ce serait un bon exercice », selon certains ; même si d’autres affirment leur ferme rejet d’enseigner sans critique ce corrigé fallacieux. Au moins s’agit-il, à l’issue de l’entretien, de choix faits en connaissance de cause.

Cet exemple appuie l’idée que l’« efficience mathématique trompeuse » peut fortement influencer le jugement de professeurs stagiaires, aussi bien pour la critique que pour leur choix d’explication pour l’enseignement. Du moins cette conjecture n’interfère-t-elle pas avec le seul facteur de l’habitude, ici fort heureusement exclu.

La conclusion sauvée : la chute des corps

La dernière illustration proposée concerne un extrait d’un livre récent de Stanislas Dehaene [5] :

« Sait-on que la célèbre expérience de Galilée, dans laquelle il laisse tomber des objets de la tour de Pise afin de prouver que la chute des corps ne dépend pas de leur masse, n'a peut-être jamais eu lieu ? C'est avant tout une expérience de pensée : Galilée imagine qu'on laisse tomber deux sphères, l'une légère et l'autre lourde, du haut de la tour de Pise. Il raisonne par l'absurde. Supposons, dit-il, que la plus lourde tombe plus vite. Imaginons que je l'attache à l'autre par un fil de masse négligeable. L'ensemble des deux sphères, puisqu'il forme un objet plus lourd, devrait tomber encore plus vite. Mais, c'est absurde, car la sphère légère, qui tombe moins vite, devrait ralentir la plus lourde. Ce faisceau de contradictions n'a qu'une seule issue : tous les objets tombent à la même vitesse, quelle que soit leur masse. ».

C’est sur cette paraphrase du raisonnement galiléen que se centre l’analyse présentée ici, et non sur le texte de Galilée (voir le « Discours concernant deux sciences nouvelles », cité et analysé par Koyré [6]) qui est plus complexe.

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Une premier soupçon d’invalidité vient de ce que la conclusion du raisonnement proposé est contredite en pratique. Chacun sait qu’une bouteille, disons d’un litre, pleine d’eau et jetée d’un troisième étage arrive en bas plus vite que si elle était vide. Peut-être y a – t-il des éléments de contexte non mentionnés dans le raisonnement en cause qui expliquent que celui-ci soit en contradiction avec les faits observés? Mais justement, aucun de ces éléments propres à valider le raisonnement n’y est mentionné. Tel quel, le raisonnement est donc invalide et il est faux d’affirmer : « Ce faisceau de contradictions n'a qu'une seule issue : tous les objets tombent à la même vitesse, quelle que soit leur masse. » L’issue que propose la physique, on l’aura compris, est l’existence d’un frottement visqueux sur l’air qui entoure le mobile, phénomène qui, par exemple, affecte plus le mouvement de chute d’un parachutiste que celui d’un objet compact de même masse. N’importe quel autre phénomène liant la forme des objets à une force exercée sur le mobile en chute pourrait provoquer un résultat contraire au raisonnement validé par Dehaene. Pourquoi le mouvement des mobiles envisagés ne seraient-ils susceptibles de dépendre que du seul facteur masse ? En bref, l’existence de variables inconnues n’est pas envisagée : on observe là un grand classique des raisonnements invalides [1].

Le raisonnement, sous sa forme paraphrasée par Dehaene, est donc irrecevable en tant que démonstration. On pourrait alors attendre que le biais de confirmation se retourne contre cette argumentation et pousse à la déclarer effectivement invalide, pour cause de non-conformité à ce que l’on observe ; à moins, évidemment que l’auteur de cet éloge ignore l’effet des frottements visqueux sur l’air, ce qui est peu probable.

Notons déjà que l’on peut paraphraser le texte proposé par Dehaene en remplaçant la masse par le volume en tant que variable d’intérêt : « (…) Galilée imagine qu'on laisse tomber deux sphères, l'une moins volumineuse et l'autre plus volumineuse, du haut de la tour de Pise. Il raisonne par l'absurde. Supposons, dit-il, que la plus volumineuse tombe plus vite. Imaginons que je l'attache à l'autre par un fil de volume négligeable. L'ensemble des deux sphères, puisqu'il forme un objet plus volumineux, devrait tomber encore plus vite. Mais, c'est absurde, car la sphère moins volumineuse, qui tombe moins vite, devrait ralentir la plus

volumineuse. Ce faisceau de contradictions n'a qu'une seule issue : tous les objets tombent à la

même vitesse, quelle que soit leur volume. » Pour ce type de paraphrase, il suffit que la variable considérée, ici le volume, soit extensive.

En fait la conclusion qui serait conforme à la physique est que, dans le vide, tous les objets tombent à la même vitesse (parlons plutôt d’accélération), quelle que soit leur masse. Les bons physiciens rajoutent alors, en une sorte de maquillage argumentatif, cette mention :

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« dans le vide » (voir par exemple [7]). Et là, le biais de confirmation peut jouer à plein : Galilée aurait produit un raisonnement qui semble imparable, ceci sans besoin d’aucune caution expérimentale. Mais le rajout ne s’intègre pas au raisonnement, il est juste là pour en colmater les manques, ou plutôt pour sauver le résultat en modifiant le contexte. Mais si une mention ajoutée pouvait ainsi valider un raisonnement, alors qui dit qu’une autre variable ne pourrait pas intervenir dans l’autre sens? C’est aussi le cas dans le texte de Galilée cité par Koyré, où Salviati mentionne judicieusement que son raisonnement s’applique au cas où nulle autre « impetus, « violence » ou encore « résistance » ne viendrait influencer la chute. Autrement dit, l’ajout d’une précision sur le contexte sauve le résultat mais pas le raisonnement.

En résumé, on peut parler d’un biais de confirmation simple pour un néophyte qui à la fois penserait que tous les corps tombent à la même vitesse et adopterait la version réduite de Dehaene. Le cas plus spécifique d’un physicien qui ajouterait « dans le vide » à cette version tout en en faisant l’éloge est celui d’un biais de confirmation en quelque sorte assisté par une précision sur le contexte. De telles précautions ne valident pas ce raisonnement, qui pourrait aussi bien montrer, sans plus de précautions, que la chute des corps ne dépend pas de leur volume.

Il est fort rassurant que des doctorants de physique, lors d’un débat récent au cours d’une formation didactique animée par l’auteur, aient pu s’accorder sur le commentaire de l’un d’entre eux:

« De toute façon, je pense que le raisonnement de base (celui construit par Dehaene) il est faux, après on peut essayer de rajouter des arguments pour que finalement le résultat soit vrai, n’empêche que la démonstration, elle est fausse. (…) Moi je pense que ce qu’il faudrait dire pour que la démonstration soit valable, si on disait en fait que la chute des corps ne devait dépendre que de la variable masse et qu’il n’y avait aucune autre variable qui pourrait intervenir, que ce soit la surface, que ce soit les propriétés électromagnétiques, que ce soit … , peu importe, il faudrait qu’il y ait uniquement la masse qui compte, dans ce cas-là la démonstration pourrait fonctionner. »

Conclusion

Au milieu d’un océan d’incertitude, il y a en physique un corpus considérable de connaissances « stabilisées » que nous avons la charge d’enseigner. Si l’on admet que les raisonnements qui assurent la cohérence de l’ensemble sont essentiels dans nos objectifs d’enseignement, il est important de savoir où l’on en est concernant la validité de ceux que

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l’on présente couramment aux élèves et aux étudiants. L’effort de caractérisation présenté ici pourra sembler relever d’un purisme déplacé. Le lecteur, cependant, dispose ainsi d’un tableau de bord pour ses propres choix. Des enseignants stagiaires interrogés en enquête [4, 8] ont pris, pour, leurs choix explicatifs, des positions divergentes quant à leurs critères prioritaires de décision, entre simplicité, cohérence, complétude, non violation d’une loi physique. Mais ils ont été unanimes sur l’importance d’être conscients de ce qu’ils faisaient en la matière. Souhaitons qu’une meilleure caractérisation du biais de confirmation et de ses variantes, l’appréciation de son impact considérable, et plus généralement une formation renforcée à l’analyse critique d’explications, puissent contribuer utilement à nos formations d’enseignants et de médiateurs scientifiques.

Références

[1] Viennot L. & Décamp N. 2019. L’apprentissage de la critique Développer l’analyse

critique en physique, Les Ulis: EDP Sciences-UGA (Grenoble)

[2] Kahneman D. 2012. Système 1/système 2 Les deux vitesses de la pensée, Paris : Flammarion. (Ouvrage original publié en 2012 sous le titre Thinking, Fast and Slow. Londres: Penguin books.)

[3] Viennot L. 2006.Teaching rituals and students' intellectual satisfaction, Phys. Educ. 41 pp. 400-408. http://stacks.iop.org/0031-9120/41/400

[4] Viennot L. 2019. Misleading mathematical legitimacy and critical passivity: discussing the irreversible expansion of an ideal gas with beginning teacher, Eur. J. Phys DOI: https://dx.doi.org/10.1088/1361-6404/ab1d8b

[5] Dehaene S. 2018. Apprendre ! Les talents du cerveau, le défi des machines. Paris : Odile Jacob.

[6] Koyré A. 1960. Le De Motu Gravium de Galilée. De l'expérience imaginaire

et de son abus. Revue d'histoire des sciences et de leurs applications 13.3, pp.197-245.

[7] Klein E. 2020. Le gout du vrai, Conférence à La Sorbonne, Fête de la Science, 9 Novembre 2020, 1h 52’ et suivantes. https://youtu.be/2byu0bYPj0c

[8] Viennot L. 2020. How to choose which explanation to use with students? Discussing the tensiometer with beginning teachers, International Journal of Science Education, 42 (17), 2898-2920, https://doi.org/10.1080/09500693.2020.1843082

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