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LA DÉSORGANISATION DE LA PERSONNALITÉ

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LA DÉSORGANISATION

DE LA PERSONNALITÉ

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PRINCIPAUX OUVRAGES DU MÊME AUTEUR

Les troubles mentaux dans les tumeurs cérébrales, 1 vol., 396 p. Doin, éd., 1926.

La catatonie expérimentale par la bulbocapnine (en collaboration avec H. DE JONG d'Amsterdam), 1 vol., 136 p. Masson, éd., 1930.

Psychiatrie médicale, physiologique et expérimentale, 1 vol., 827 p. Masson, éd., 1938.

Psychiatrie morale expérimentale individuelle et sociale. Haines et réactions de culpabilité, 1 vol., 277 p. Presses Universitaires de France, 1945 (2 éd., 1950).

Psychoses et névroses. Presses Universitaires de France, 1946 (2e éd., 1951).

Le test Tsedek, le jugement moral et la délinquance (en collaboration avec M. BACHET), 1 vol. Presses Universitaires de France, 1950.

Précis de Psychiatrie. Clinique, psychophysiologie, thérapeutique, 1 vol., 641 p.

Masson, éd., 1950.

Neuro-psychiatrie infantile (en collaboration avec E. LESNÉ), 100 p. in Traité de Pédiatrie, LESNÉ, DEBRÉ, ROHMER. Doin, 1946 (2 éd., revue et augmentée à paraître en 1952).

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BIBLIOTHÈQUE DE PHILOSOPHIE CONTEMPORAINE PSYCHOLOGIE ET SOCIOLOGIE, SECTION DIRIGÉE pAR MAURICE PRADINES

DÉSORGANISATION LA DE LA

PERSONNALITE

PAR LE

DR HENRI BARUK

PROFESSEUR AGRÉGÉ À LA FACULTÉ dE MÉDECINE dE PARIS MÉDECIN-CHEF dE LA MAISON NATIONALE dE CHARENTON

PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE 108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, PARIS

1952

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DÉPOT LÉGAL

1 édition 2e trimestre 1952 TOUS DROITS

de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays

COPYRIGHT by Presses Universitaires de France, 1952

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INTRODUCTION

L'histoire de l'humanité et des civilisations est liée aux idées et aux croyances qui ont inspiré et animé ces civilisations. On oublie trop souvent que la réalité sociale et historique ne cons- titue pas un « fait » primitif, mais une résultante. La réalité, la forme de vie, les mœurs, les rapports de l'individu et de la société, le bonheur ou le malheur d'une époque, tout cela est créé par les croyances dominantes de l'époque. Notre histoire, et notre vie sont ce que nous les faisons, ou plutôt, elles sont le produit des idées créatrices de l'époque que nous vivons.

Il en résulte qu'un des meilleurs moyens de comprendre une époque est de déterminer ses croyances, et que l'histoire objective, l'histoire des faits est doublée intérieurement de l'histoire des idées. Certes, l'étude de l'histoire des idées est difficile et s'adresse à une réalité mouvante, à une réalité psychologique et immaté- rielle. C'est pourquoi les historiens ne peuvent la reconstituer qu'en partant de documents écrits, ou de monuments ; les documents matériels bien étudiés permettent ainsi de remonter à leur source, aux pensées qui les ont créés. Certains philosophes vont encore plus loin : la méfiance vis-à-vis de tous les phéno- mènes subjectifs les entraîne jusqu'à nier ces phénomènes de pensée et de croyance, et à limiter leur étude aux résultats matériels laissés par une époque. C'est la position de M. Meyerson qui tente de réduire la psychologie aux monuments objectifs laissés par la vie ; par exemple suivant cette méthode on pourrait étudier une civilisation par la législation qu'elle a laissée, ou par les constructions architecturales qui restent d'elles. Cette méthode est, dans le domaine psycho-social, l'homologue de la méthode de Claude Bernard en biologie qui disait « De la vie on ne voit que la mort ». Mais ces méthodes si rigoureusement objectives n'appréhendent que des séquelles d'événements passés, que les résultats de la vie. Les musées que nous visitons remplis d'objets ou de débris de l'époque romaine par exemple ne suffisent pas à nous faire saisir la vie romaine. Comme l'a montré Tzanck, la conscience créatrice laisse ses résidus à la mémoire, mais se

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limiter à l'étude de ces résidus revient à éliminer toute psycho- logie, c'est-à-dire la vie elle-même en création.

Rien n'illustre mieux ces problèmes, que l'évolution des idées sur la personnalité humaine. Le problème de la personnalité humaine est le problème central qui commande l'orientation même des civilisations. Notre attitude vis-à-vis de la personnalité humaine détermine non seulement la forme de société que nous allons créer, mais encore notre conception même de l'univers, car, consciemment ou inconsciemment, nous envisageons celui-ci suivant notre propre image.

Par exemple, depuis près de deux mille ans, la personnalité humaine a été conçue comme formée de deux éléments différents mais indiqués : l'âme et le corps, le premier immatériel, inal- térable et éternel, le second matériel, fragile et périssable. Dans cette conception, l'âme, le principe spirituel, représentait l'élé- ment précieux, la représentation même de Dieu. Bien « qu'in- carné » momentanément dans une enveloppe charnelle, l'esprit s'opposait à la matière, et Malebranche exprimait bien cette position dans la phrase suivante « L'esprit de l'homme est tel- lement situé entre Dieu et les corps qu'il ne peut quitter les corps sans s'approcher de Dieu, de même qu'il ne peut courir après eux sans s'éloigner de Lui ».

Une telle conception devait aboutir à créer une civilisation essentiellement spiritualiste dans laquelle l'esprit était exalté et le corps méprisé : il en résultait une absence d'hygiène, et une tendance vers l'ascétisme, ou tout au moins vers la contention, le refoulement et la mortification de la chair. L'esprit étant tout, et le corps n'étant rien, il paraissait préférable dans certains cas de sauver l'esprit au détriment du corps, et c'est pourquoi les inquisiteurs du Moyen Age ne se faisaient aucun scrupule de livrer aux flammes le corps des personnes qu'ils jugeaient héré- tiques, et ils croyaient fortement, en les faisant mourir par le feu, leur rendre un immense service en sauvant leur âme. Il résultait aussi de cette conception que la mort revêtait une valeur consi- dérable, plus grande peut-être que la vie : car la vie ne représentait qu'un court passage, tourmenté et fragile, tandis que la mort marquait la rentrée de l'âme dans la vie éternelle et sa libération du corps qui, par ses défauts et ses faiblesses, ne pouvait que l'altérer, ou l'obscurcir. Enfin, dans cette conception, l'effort de l'homme devait tendre à dominer le plus possible ses instincts, .et à contenir la nature.

Telles furent les croyances qui nous expliquent la vie au Moyen Age, avant la Renaissance et le monde moderne.

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Mais ensuite, la nature si fortement contenue et bridée, s'est révoltée, et peu à peu le corps a repris une place de plus en plus considérable. Cette réaction s'est faite par étapes ; au début, ce fut d'abord la rentrée du paganisme gréco-romain sous une forme artistique et poétique ; ce paganisme servait en quelque sorte de figure de rhétorique ou d'ornement symbolique, tandis que la ligne des croyances générales restait le spiritualisme.

Il en est résulté un spiritualisme moins dépouillé, moins sévère, et côtoyant les souvenirs d'une Antiquité païenne, souvenirs destinés à agrémenter la vie, et à dériver l'imagination dans l'art ou la littérature. La personnalité humaine restait néanmoins conçue sous l'angle du dualisme de l'âme et du corps, mais le cartésianisme, qui a systématisé ce dualisme, donnait à l'âme un caractère plus formel et plus théorique que les conceptions théologiques précédentes. Seul Spinoza, imprégné, partiellement d'ailleurs, de la pensée mosaïque, et de la formation hébraïque, restait à part avec une conception uniciste dans laquelle l'âme et le corps étaient non seulement liés mais ramenés à un même principe, avec toutefois une divinisation panthéiste de la nature et un caractère de nécessité géométrique qui le séparait nettement de la tradition hébraïque.

Si la conception spiritualiste avait l'inconvénient de négliger le corps, elle donnait toutefois à la personnalité humaine une place considérable, et une dignité sacrée. Les défauts de cette conception provenaient de son caractère trop absolu, systéma- tique, et insuffisamment équilibré.

Mais, ultérieurement, cette conception spiritualiste devait être peu à peu sapée, et une orientation nouvelle, diamétralement opposée devait se faire jour, orientation qui aboutit finalement à mettre même en doute la notion de personnalité.

L'importance donnée à la personnalité humaine reposait en partie sur la différence fondamentale qui sépare l'homme des animaux. L'homme avait une place privilégiée dans la nature, et son âme était considérée comme une émanation de Dieu. Une des premières brèches qui fut tentée contre cette doctrine, fut l'œuvre de Darwin. Cette œuvre, qui eut le retentissement que l'on sait, visait en effet à ramener l'homme à l'animal, par la notion de la transformation des espèces. Cette notion était à l'antipode de la notion Biblique de la spécificité et de la fixité des espèces, et de la distinction des genres. L'œuvre de Darwin ne représentait pas seulement une œuvre scientifique, mais une tendance philosophique, et, comme le montre la préface de son livre célèbre, c'est probablement cette tendance philosophique

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qui a commandé consciemment ou inconsciemment les recherches zoologiques. Darwin visait tout d'abord, et il ne s'en cache pas, à démolir les vérités révélées et en particulier la doctrine Biblique, et c'est pourquoi ses conclusions eurent un tel retentissement, car elles offraient une arme et des instruments aux mouvements de libre pensée et de libération des dogmes.

La semence jetée par Darwin devait peu à peu fructifier, et, après un temps de latence plus ou moins long, la psychologie elle-même devait en subir le contrecoup. A la psychologie dite métaphysique qui voyait l'homme par le haut, et qui se limitait à l'étude de la conscience, de la volonté, et des fonctions supé- rieures, se substituait peu à peu une psychologie tronquée se limitant aux fonctions inférieures et élémentaires ou aux phéno- mènes biologiques communs à l'homme et aux animaux. Cette évolution fut hâtée par le développement de la psychologie objective ou expérimentale visant à se limiter à des phénomènes mesurables suivant les méthodes des sciences physiques ou physiologiques. L'œuvre de Freud et la psychanalyse, en mettant le point sur l'inconscient et sur l'instinct, agissait aussi dans le même sens. Peu à peu, la conscience, la conscience morale, les phénomènes de volonté, les sentiments étaient abandonnés au profit du subconscient, des automatismes et des instincts. La personnalité humaine était ainsi décapitée. Les différences entre l'homme et l'animal disparaissaient. En même temps se déve- loppait la psychologie animale, ou, pour employer l'expression de Piéron, la psychologie zoologique. La psychologie humaine proprement dite était absorbée peu à peu par les sciences voisines : biologie, physiologie comparée, psychophysiologie animale et se désintéressait de plus en plus des phénomènes psychologiques spécifiquement humains.

L'orientation de la sociologie concourait également au même but. A la phase individualiste et personnaliste de la connaissance, s'opposait la phase de la connaissance des collectivités, et de cette entité que l'on désigne sous le nom de « socius ». L'étude objective des phénomènes sociaux remplace alors l'étude subjec- tive des jugements de valeur déterminés dans l'esprit et le cœur de l'homme par la vie en société. Le point de vue social remplace alors le point de vue moral. Le point de vue extérieur, observable, objectif remplace la connaissance des sentiments et des états d'âme. Les méthodes exclusivement matérialistes remplacent les méthodes exclusivement spiritualistes.

Les conséquences de ce renversement complet n'ont pas tardé à se faire sentir. Si le spiritualisme avait abouti au fanatisme

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religieux et au sacrifice du corps pour sauver l'âme, l'assimilation de l'homme à l'animal devait aboutir aux déportations, au génocide, aux haines de races, à l'expérimentation médicale criminelle, expérimentation effectuée sur des êtres humains considérés comme des cobayes, à la stérilisation, à la destruction du sentiment du bien et du mal, et à la deshumanisation systé- matique. A la phase spiritualiste morale, absolue, de l'homme, succède la phase biologique, animale et raciste avec ses effroyables conséquences !

Ainsi donc la personnalité humaine dans une telle évolution comptait de moins en moins, que ce soit dans son âme ou dans son corps. D'ailleurs un autre courant d'idées scientifiques visait à la destruction complète de la notion même de la personnalité.

Ce mouvement devait commencer par la découverte haute- ment intéressante des localisations cérébrales. En fait, ces décou- vertes aboutissaient surtout à localiser dans le système nerveux des instruments d'exécution (mouvement, sensibilité, fonctions sensorielles, langage), mais non les processus élevés de la person- nalité. Ainsi naissait une spécialité nouvelle qui étudiait les instruments dont se sert le psychisme, mais non le psychisme lui- même. Ces instruments avaient trait surtout à des automatismes.

Peu à peu, en poussant plus loin, on devait étendre de plus en plus le rôle de ces automatismes, et restreindre d'autant le rôle de la personnalité. Un savant de génie, Pavlov, devait découvrir le rôle d'une variété nouvelle de réflexes, dans laquelle intervenait un élément psychique, les réflexes conditionnés. Une voie lumi- neuse était ainsi ouverte sur les habitudes, les réactions cou- rantes, le psychisme automatique et les névroses.

L'œuvre de Pavlov prudente et précise était une œuvre scien- tifique bienfaisante, éclairant une variété de phénomènes vitaux chez l'homme, et de phénomènes propres à l'homme.

Mais cette œuvre devait être utilisée à des fins philosophiques et systématiques par Watson, l'auteur américain créateur du behaviorisme. Suivant cette conception, toute la personnalité humaine se réduit plus ou moins à des réflexes conditionnés, et l'éducation se ramène ainsi au dressage comme pour l'animal.

C'est la mécanisation de l'homme.

De même, d'autres courants analogues tendent à identifier la personnalité aux automatismes neurologiques dont elle se sert : suivant ces courants, la pensée se réduit au langage, l'ini- tiative se réduit aux systèmes d'exécution motrice, la volonté disparaît pour être résorbée dans les praxies et dans les automa- tismes de gestes, la société elle-même se réduit à des rouages

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de plus en plus multiples, étroitement spécialisés, séparés, et sans direction d'ensemble. La généralisation de l'importance des automatismes et des divisions automatiques, aboutit à la dispa- rition de l'esprit d'unité et de synthèse, et à la décomposition de la personnalité que l'on désagrège en automatismes indépendants sans direction d'ensemble, désagrégation qui s'étend ensuite à tous les champs de l'activité humaine, et qui passe de la biologie, à la sociologie, à la politique, et à l'histoire.

Ainsi ces mouvements convergents ont pour conséquence directe la destruction de la notion de personnalité, et, en se déve- loppant, ils pourraient indirectement concourir à la destruction même de l'humanité. Mais en dehors des deux grandes ten- dances antagonistes qui se sont jusqu'à présent, tout au moins depuis près de deux mille ans, disputé le champ de l'histoire du problème de la personnalité, il existe d'autres voies plus fécondes, susceptibles de renouveler ce problème, et de remédier aux graves dangers qui menacent l'avenir immédiat de l'humanité.

Avant d'aborder ces voies nouvelles, il nous faut d'abord faire le point des acquisitions scientifiques récentes sur le pro- blème de la personnalité humaine.

Cet ouvrage comprend deux grandes parties :

La Première est consacrée aux processus de désorganisation naturelle de la personnalité. Quels que soient les aspects de cette désorganisation, nous verrons qu'elle reste le plus souvent super- ficielle et dynamique. La nature masque et engourdit plus souvent qu'elle ne détruit et on est étonné, même derrière des ruines apparentes, de la persistance d'une personnalité latente suscep- tible de se réorganiser. On trouvera dans cette partie les modes de passage des processus volontaires aux processus automatiques, et parfois le chemin inverse.

La Deuxième Partie est consacrée aux désorganisations arti- ficielles réalisées non plus par la nature mais par l'homme. Ces dernières sont beaucoup plus graves, souvent même beaucoup plus destructives, et souvent aveugles. C'est pourquoi elles évoquent invinciblement l'idée de « l'apprenti sorcier ».

Enfin une conclusion générale termine l'ouvrage, où nous avons dit toute notre pensée : Amicus Plato, sed magis arnica veritas (AMMONIUS).

H. B.

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PREMIERE PARTIE

LES PROCESSUS NATURELS

DE L' « ALMA MATER »

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LE SENTIMENT DE LA PERSONNALITÉ ET LES TROUBLES SUBJECTIFS

DE LA CONSCIENCE DU MOI CHAPITRE PREMIER

LE SENTIMENT DE LA PERSONNALITÉ Nous venons d'envisager dans le chapitre précédent les consé- quences sur la vie sociale et sur l'histoire même des diverses conceptions relatives à la personnalité. Mais, on pourra nous répondre, que si la question de la personnalité humaine constitue un problème susceptible de grands retentissements pratiques, ce point de vue des résultats pratiques n'est pas suffisant pour le résoudre scientifiquement. Le fait que telle conception de la personnalité entraîne des guerres, ou des massacres, et que telle autre entraîne de meilleurs résultats, ne suffit pas à prouver que cette dernière représente une réalité scientifique éprouvée et démontrée. La science, peut-on répondre, ne peut se contenter de la méthode du « pragmatisme », elle doit rechercher la vérité en elle-même par des moyens de vérification rigoureux.

Dans ce but, un premier problème se pose. Existe-t-il une personnalité ?

Nous avons vu que cette existence est actuellement mise en doute par un certain nombre de psychologues contemporains.

Pour préciser ce problème, on peut étudier la personnalité soit

par l'intérieur, subjectivement : c'est alors l'étude du sentiment

de la personnalité, soit par l'extérieur, objectivement, par les

actes et les conduites : c'est alors l'étude des manifestations

externes de la personnalité, soit par la méthode subjective et objec-

tive combinée.

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Le sentiment de la personnalité constitue une de ces données premières de la psychologie qui s'accompagne chez l'homme normal d'une certitude évidente. L'homme normal ne met pas en doute l'existence de sa personnalité. C'est une des « données immédiates de la conscience » pour employer l'expression de Bergson. Il est curieux toutefois de constater que dans son livre sur les « données immédiates de la conscience », Bergson ne men- tionne pas expressément le sentiment de la personnalité, ou plutôt n'aborde ce sentiment que par l'intermédiaire des problèmes de la durée, ou de la liberté. C'est surtout William James qui a souligné avec force cette conscience évidente du moi ressentie par ce qu'il appelle le « je ». « C'est le Je, écrit William James, qui a conscience de ce Moi, si bien que ma personnalité totale est alors comme double, étant à la fois le sujet connaisseur et l'objet connu », et cependant, ajoute William James, « l'identité du Je et du Moi, identité qui se continue jusque dans l'acte même par lequel on les distingue est sans doute la donnée la plus indéra- cinable du sens commun ; il ne faut pas que notre terminologie détruise sournoisement cette donnée au début de nos analyses, quelles que doivent être nos conclusions finales sur sa valeur » (1).

Et William James étudie de façon très concrète et très vivante ces « 3 éléments intégrants » du moi : « le moi matériel, le moi social, le moi spirituel », sans oublier ce facteur capital « la cons- cience de la valeur du moi » facteur sur lequel nous reviendrons.

Si l'on peut discuter sur la nature, les causes et l'interprétation de ce sentiment du moi, on ne peut mettre en doute que ce sen- timent est un des faits psychologiques les plus nets, et qu'il n'est pas besoin d'adopter un point de vue « phénoménologique » pour le prendre en considération comme une donnée qu'on ne peut éluder.

L'étude des maladies mentales confirme l'importance de cette donnée. Elle nous montre que ce sentiment du moi est non seulement un sentiment de certitude très fort, mais encore que l'existence et la possession de son moi représente pour l'homme le trésor le plus précieux de tous. Lorsque l'être humain sent ce moi menacé, ou lorsqu'il a l'impression, en général sous l'influence d'une baisse de la synthèse mentale ou de l'invasion des auto- matismes, qu'il n'est plus maître de son moi et que par suite la continuité et l'unité de sa personnalité dans le temps est menacée par des réactions incoercibles étrangères à sa personnalité habi-

(1) W. JAMES, Précis de psychologie, trad. BAUDIN et BERTIER, Rivière, éd., Paris, 1912, chapitre « Le Moi », p. 227.

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tuelle, lorsqu'il prend plus ou moins conscience d'un tel danger, l'homme est profondément bouleversé.

Mais la notion de l'unité et de l'intangibilité de sa personnalité est si forte, et si indéracinable, qu'il ne peut concevoir les modi- fications inquiétantes qu'il ressent que comme l'effet d'une force extérieure, d'une force étrangère mystérieuse et suspecte qui vise à détruire sa personnalité. C'est là le sentiment d'influence et le délire d'influence qui marque si souvent le premier symptôme avertisseur des atteintes de la personnalité. Le sujet ne peut s'avouer que sa personnalité fléchit et s'affaiblit, car l'homme attribue, sans s'en rendre compte, aux trésors auxquels il tient le plus, le caractère de permanence et d'inaltérabilité ; c'est pour- quoi il considère sa personnalité et sa volonté comme des pro- priétés permanentes, inaltérables, stables, qui, au milieu du flot changeant et mouvant du milieu extérieur, lui donnent le seul point de repère stable auquel il puisse s'accrocher, point de repère qui lui permet d'affirmer son existence et son individualité pour agir. Aussi lorsque ce point de repère semble s'ébranler et fléchir, une véritable panique survient dans laquelle l'homme se sent menacé de disparaître, et ressent dans l'ordre psychologique et moral un malaise analogue à celui éprouvé par quelqu'un qui, au cours d'un grand vertige, sent le sol s'effondrer sous ses pieds et a l'impression de s'engloutir dans un abîme.

C'est pourquoi l'homme qui sent sa personnalité s'évanouir ou s'affaiblir ne peut admettre que cet affaiblissement soit l'effet de causes intrinsèques, pathologiques. Un phénomène aussi mystérieux, invraisemblable, et impossible ne peut être dû qu'à des causes exceptionnelles ; à l'action d'ondes destructrices, à l'action de poisons, à des actions occultes de magie ou à des procédés scientifiques nouveaux de destruction. Nous verrons dans un chapitre ultérieur comment il est intéressant de rap- procher ces explications des malades des causes découvertes récemment par des recherches scientifiques sur ces maladies de la personnalité et en particulier des causes toxiques.

On peut, au nom de la logique, critiquer cette illusion de permanence et d'inaltérabilité de la personnalité qui est si ancrée dans l'esprit de l'homme, mais on peut aussi se demander si cette illusion n'est pas dans une certaine mesure une réaction de défense contre la dissolution de la personnalité, et si elle ne joue pas un rôle important dans l'hygiène mentale. Sans doute, nous venons de voir qu'elle peut favoriser des interprétations délirantes d'influence, mais l'observation de l'évolution des maladies mentales nous montre aussi que lorsque la maladie

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s'est aggravée et que la personnalité s'est vraiment dissoute dans les automatismes, le sentiment d'influence et le délire d'influence disparaissaient aussi. C'est le phénomène que nous avons désigné sous le nom de loi des stades. Dans cette loi des stades, le phéno- mène subjectif et parfois délirant constitue un phénomène d'alarme, dû à la réaction de la psyché devant la menace qui pèse sur elle. Quand cette menace s'est réalisée et que la person- nalité a été disloquée, les réactions disparaissent, et la défense a été annihilée lorsque les dégats sont suffisamment développés.

Le calme apparent qui succède à la période réactionnelle et impressionnante du début, est trompeur. Il pourrait faire croire à une amélioration. En réalité, ce silence traduit une aggravation et un fléchissement, s'il s'accompagne de signes objectifs de désagrégation. Aussi, l'orientation de la thérapeutique en vue d'obtenir le silence par des mesures agressives, peut constituer une grave erreur dans laquelle le médecin, au lieu d'aider son malade, se fait le complice des forces destructives qui le menacent.

Le sentiment du moi constitue donc non seulement une réalité incontestable, mais encore un des attributs essentiels d'une personne normale. Son affaiblissement ou sa disparition dans certaines maladies mentales graves le prouve. Nous étudierons plus loin les causes physiques ou morales de cet affaiblissement.

Rappelons à ce sujet que certaines lésions anatomiques cérébrales importantes peuvent laisser intact ce sentiment du moi, à condi- tion que ces lésions soient localisées. On voit couramment des malades dits neurologiques comme des hémiplégiques garder intacte leur volonté et leur personnalité. On a l'impression qu'ils ne sont dans ce cas touchés que dans un instrument d'exécution, mais que leur personne reste intacte, ou à peu près intacte, tant que l'atteinte cérébrale ne diffuse pas. Par contre, une atteinte diffuse, même légère, et fonctionnelle, comme celle d'un toxique peut toucher même momentanément le sentiment et le fonction- nement de la personnalité.

Mais c'est surtout dans les psychoses des jeunes gens que le sentiment de la personnalité est atteint précocement, et notam- ment dans ce syndrome désigné sous le nom de démence précoce et de schizophrénie. Il n'est pas rare, au début de ce syndrome, que le malade se plaigne « qu'il ne se sent plus lui-même », qu'il n'a plus conscience de son moi, qu'il a l'impression qu'il est manœuvré comme un pantin par les personnes qui l'entourent, qu'il est devenu passif, qu'il ne peut plus que subir les influences extérieures, qu'il n'est plus qu'un exécutant, un automate dirigé par une machine centrale, par un bureau directeur, etc., que

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ses pensées lui sont envoyées, et que son corps même est liquéfié, etc. Le propre de ce trouble est son étendue, qui touche à la fois le contrôle, le choix, les sentiments, l'affectivité, l'initiative, et qui retentit aussi beaucoup sur la sphère morale, c'est-à-dire sur le sentiment du bien et du mal comme nous y avons insisté dans notre étude avec Bachet sur le Test Tsedek ( 1 ).

On voit donc par là, l'extrême importance du sentiment de la personnalité.

Mais, en dehors des maladies mentales proprement dites, ce sentiment peut s'affaiblir dans certaines circonstances sociales et les événements récents ont mis en évidence à ce sujet certains faits avec une acuité qui, semble-t-il, n'avait pas encore été observée à ce degré jusqu'à maintenant. En effet, un certain nombre de sujets soumis à des conditions particulièrement terribles et anormales comme les persécutions de la dernière guerre ou les déportations, signalent qu'ils ont perdu au moins en partie le sentiment de leur personnalité. Ces sujets, ballotés, opprimés, menacés sans cesse, terrorisés, placés souvent devant un avenir en apparence fermé et sans espoir, ont fini par prendre l'habitude de ne plus penser à l'avenir et d'étouffer aussi dans leur mémoire le souvenir de leurs années passées. Ils ne vivent plus que dans le présent et ont aboli la continuité du passé vers l'avenir. Cette fixation de toute l'orientation psychologique dans le seul présent a des conséquences considérables. Elle fait dispa- raître l'impression du but et de la finalité de la personnalité ainsi que la notion de la valeur même de cette personnalité. Une vie normale effectuée dans des conditions qui ne dépassent pas les limites de résistance psychologique de l'homme repose sur l'im- pression que malgré les difficultés et les assauts extérieurs nous nous continuons et nous nous prolongeons dans la vie en vue de réaliser notre destinée. Cette sensation de continuation, malgré les alternatives de luttes, de combats, de chutes ou de remontée, nous donne malgré tout l'impression d'une certaine réussite, d'une certaine justification de notre existence qui a un sens, et qui a d'autant plus de prix qu'elle fait effort pour se maintenir, surtout si ce maintien est conditionné par un but. Mais dans certaines conditions de terreur et d'horreur surhumaine, le sujet se sentant non seulement comme un prisonnier, mais comme une bête traquée totalement entre les mains de son persécuteur, comme (1) H. BARUK et M. BACHET, Le test Tsedek, le jugement moral et la délinquance, 1 vol., Presses Universitaires de France, 1950.

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BIBLIOTHÈQUE DE PHILOSOPHIE CONTEMPORAINE

PUBLICATIONS RÉCENTES Psychologie et Sociologie

Section dirigée par Maurice PRADINES, professeur à la Sorbonne

Histoire de la Philosophie et Philosophie générale Membre de l'Institut, professeur honoraire à la Sorbonne Section dirigée par Émile BRÉHIER Logique et Philosophie des Sciences Section dirigée par Gaston BACHELARD, professeur à la Sorbonne

Morale et Valeurs Section dirigée par René LE SENNE Membre de l'Institut, professeur à la Sorbonne

Catalogue sur demande

1952. — Imprimerie des Presses Universitaires de France. — Vendôme (France)

ÉDIT. 23.128

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