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Alexandre Berenstein et la construction transnationale du progrès social après la Seconde Guerre mondiale : implantation genevoise, réseaux transnationaux et logiques d'échelle

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Master

Reference

Alexandre Berenstein et la construction transnationale du progrès social après la Seconde Guerre mondiale : implantation genevoise,

réseaux transnationaux et logiques d'échelle

LEUTWYLER, Sylvain

Abstract

Fondé essentiellement sur l'exploitation des papiers personnels encore non consultés d'Alexandre Berenstein, ce mémoire de Master étudie le parcours et les espaces d'engagement de ce socialiste réformiste et juriste du droit social après la Seconde Guerre mondiale. Implanté à Genève, Alexandre Berenstein développe une action, qui conjugue l'expertise et le militantisme, aux échelles locale, nationale et internationale. Cette recherche analyse la manière dont il s'inscrit dans le courant de la réforme sociale issue du XIXe siècle, avec une conception socialiste, juridique et internationaliste du « progrès social ». Elle met en évidence son appartenance à trois types de réseaux - académique, réformateur et militant – qui agissent de manière transnationale, en lien avec les organisations internationales, en particulier l'Organisation internationale du travail (OIT). Une attention spécifique est accordée aux stratégies d'action mobilisées par Alexandre Berenstein et ses réseaux en fonction des échelles et des contextes. L'analyse du traitement politique de la ratification suisse de la Charte [...]

LEUTWYLER, Sylvain. Alexandre Berenstein et la construction transnationale du progrès social après la Seconde Guerre mondiale : implantation genevoise, réseaux transnationaux et logiques d'échelle. Master : Univ. Genève, 2020

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:149667

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Alexandre Berenstein et la construction transnationale du progrès social après la Seconde Guerre mondiale

Implantation genevoise, réseaux transnationaux et logiques d'échelle

Sylvain L EUTWYLER

Mémoire de Maîtrise en Histoire transnationale

Sous la direction de Sandrine K

OTT

, professeure ordinaire Université de Genève

Département d’histoire générale Janvier 2020

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Alexandre Berenstein et la construction transnationale du progrès social après la Seconde Guerre mondiale : implantation genevoise, réseaux transnationaux et logiques d’échelle

Résumé : Fondé essentiellement sur l’exploitation des papiers personnels encore non consultés d’Alexandre Berenstein, ce mémoire de Master étudie le parcours et les espaces d’engagement de ce socialiste réformiste et juriste du droit social après la Seconde Guerre mondiale. Implanté à Genève, Alexandre Berenstein développe une action, qui conjugue l’expertise et le militantisme, aux échelles locale, nationale et internationale. Cette recherche analyse la manière dont il s’inscrit dans le courant de la réforme sociale issue du XIXe siècle, avec une conception socialiste, juridique et internationaliste du « progrès social ». Elle met en évidence son appartenance à trois types de réseaux - académique, réformateur et militant – qui agissent de manière transnationale, en lien avec les organisations internationales, en particulier l’Organisation internationale du travail (OIT). Une attention spécifique est accordée aux stratégies d’action mobilisées par Alexandre Berenstein et ses réseaux en fonction des échelles et des contextes. L’analyse du traitement politique de la ratification suisse de la Charte sociale européenne du Conseil de l’Europe permet de mettre à jour les tensions produites par les interactions entre le cadre national et les logiques internationales. Cette étude souhaite contribuer au renouvellement de l’historiographie de l’OIT et des réseaux de la réforme sociale.

Alexandre Berenstein and the transnational making of social progress after the Second World War: Geneva settlement, transnational networks and scale dynamics

Abstract: Based mainly on the use of Alexandre Berenstein’s personal papers not yet consulted, this master’s thesis studies the career and areas of involvement of this reformist socialist and social jurist after the Second World War. Settled in Geneva, Alexandre Berenstein develops an action, which combines expertise and militancy at the local, national and international levels. This research analyses how he fits into the social reform movement that emerged in the 19th century, with a socialist, legal and internationalist conception of "social progress". It highlights his membership in three types of networks - academic, reformist and activist - that act transnationally, in connection with the international organizations, especially the International Labour Organization. Particular attention is paid to the action strategies mobilized by Alexander Berenstein and his networks according to scale and context. The analysis of the political treatment of the Swiss ratification of the European Social Charter of the Council of Europe reveals the tensions produced by the interactions between the national framework and international logics. This study aims to contribute to the renewal of the historiography of ILO and social reform networks.

Alexandre Berenstein und die transnationale Konstruktion des sozialen Fortschritts nach dem Zweiten Weltkrieg: Genfer Präsenz, grenzüberschreitende Netzwerke und Handlungen auf Betrachtungsebene Zusammenfassung: Diese Masterarbeit beruht im wesentlichen auf der kritischen Verwertung von noch nicht eingesehenen persönlichen Dokumenten von Alexandre Berenstein. Sie untersucht den Werdegang und das Engagement dieses Reformsozialisten und Jurist für Sozialrecht nach dem Zweiten Weltkrieg. Von Genf aus entwickelt Alexandre Berenstein eine Aktion, die Fachwissen und Aktivismus auf lokaler, nationaler und internationaler Ebene zusammenfügt. Diese Studie analysiert, wie diese Figur mit einem sozialistischen, juristischen und internationalem Verständnis des «sozialen Fortschritts» sich in der Bewegung der Sozialreform des 19. Jahrhunderts einfügt. Erläutert wird Berensteins Angehörigkeit an drei Arten von Netzwerken akademisch, reformerisch und aktivistisch – die grenzüberschreitend in Verbindung mit den internationalen Organisationen, vor allem der Internationalen Arbeitsorganisation, agieren. Ein besonderes Augenmerk wird auf die Handlungsstrategien gelegt, die von Alexandre Berenstein und seinen Netzwerken je nach Massstab und Situation ausgelöst werden. Die Analyse der politischen Behandlung der Schweizer Ratifizierung der Europäischen Sozialcharta des Europarates ermöglicht Spannungspunkte hervorzubringen, die durch Wechselwirkungen zwischen dem nationalem Rahmen und der internationalen Logik entstehen. Diese Studie beabsichtigt zur Erneuerung der Geschichtsschreibung der IAO und der Netzwerke der Sozialreform beizutragen.

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Remerciements

Je tiens tout d’abord à remercier ma directrice de thèse, la professeure Sandrine Kott, pour son soutien, sa disponibilité et sa franchise. J’ai particulièrement apprécié sa capacité à conduire des discussions critiques et des débats contradictoires avec sincérité et horizontalité, ce qui m’a permis d’affiner mes interprétations et de renforcer l’analyse de mon sujet. J’ai également pu bénéficier de l’expertise et des encouragements de Véronique Plata-Stenger que je remercie sincèrement.

J’exprime ensuite ma reconnaissance aux archivistes et au personnel de la Bibliothèque de Genève pour leur accueil chaleureux et leur serviabilité qui ont grandement facilité mes laborieuses recherches en Salle Senebier. Ma gratitude va également à Jacques Rodriguez, archiviste du BIT, pour l’aide apportée.

Mes remerciements vont en outre à Madame Jacqueline Berenstein-Wavre ainsi qu’à Madame Lucia Bello pour l’organisation et la tenue d’une rencontre émouvante qui m’a permis d’appréhender la figure d’Alexandre Berenstein sous un angle plus personnel et humain.

Enfin, la rédaction et la finalisation de mon travail auraient été moins plaisantes sans le soutien de ma copine, de mes amis, de mes colocataires et de ma famille qui ont formé un cadre bienveillant. Je remercie en particulier Elodie Feijoo Seara, Claudio Marques, Léo Maillet et Cédric Wehrle pour leur relecture attentive et leur contribution.

Je dédie cette modeste contribution à l’histoire de la réforme sociale à toutes celles et ceux qui s’engagent en leur lieu contre les injustices qui les indignent, dans une démarche collective.

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Table des matières

INTRODUCTION ... 7

REPRÉSENTATIONS, CONCEPTIONS ET TRADITIONS DU PROGRÈS SOCIAL D’ALEXANDRE BERENSTEIN ... 16

L’appartenance première à une tradition politique et militante : le socialisme démocratique ... 16

Le fondement et la filiation internationaliste de l’appartenance socialiste ... 16

L’affirmation antibolchevique d’un socialisme démocratique ... 18

L’inscription dans une tradition institutionnelle et juridique : le développement transnational du droit social ... 23

La protection comme finalité de la législation sociale ... 24

La sécurité sociale comme modèle international de société nationale ... 28

L’Organisation internationale du travail comme repère et référence ... 31

Les droits sociaux comme reformulation moderne des principes de la législation sociale ... 33

La Suisse et le droit social : influence transnationale et pesanteurs helvétiques ... 35

Le progrès social comme cadre conceptuel de traitement des questions sociales ... 40

Les usages du « progrès social » : qualification de l’objectif et rhétorique militante... 41

La représentation téléologique du progrès appliquée au domaine social ... 43

La politique sociale comme régulation de l’économie de marché ... 45

L’égalité entre hommes et femmes dans le périmètre extensif du progrès social ... 48

La politique sociale comme essence du socialisme ... 49

ORGANISATIONS, RÉSEAUX, INTERACTIONS ... 52

L’engagement multiscalaire d’Alexandre Berenstein dans les organisations ... 52

À l’échelle internationale : dirigeant d’associations internationales et expert auprès des organisations internationales ... 52

À l’échelle nationale : le souci de la transmission et la conjonction du militantisme et de l’expertise ... 58

À l’échelle locale : entre universités et soutien militant ... 63

Typologie et évolution des réseaux ... 65

L’unification et l’expansion du réseau académique transnational : une « communauté épistémique » des juristes du droit social ... 65

Le déclin du réseau réformateur transnational et la disparition de l’Association internationale pour le progrès social : la mort d’une « nébuleuse réformatrice » ? ... 71

La compacité du réseau militant socialiste et syndical suisse ... 78

Les modes d’interactions transnationales et entre réseaux ... 81

La centralité de l’OIT et sa considération des réseaux : entre intérêt scientifique et relations publiques ... 81

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Conférences internationales du travail, congrès internationaux, sessions de Trieste : modalités

et exploitation des circulations transnationales ... 84

Les interactions et circulations entre réseaux : Alexandre Berenstein comme vecteur de connexions ... 85

DISCOURS ET LOGIQUES D’ÉCHELLE ... 90

Concurrences et légitimations d’échelle : difficultés et stratégies du réseau réformateur ... 90

Les difficiles adaptations de l’Association internationale pour le progrès social face aux nouvelles concurrences et pratiques ... 90

Mobilisation des droits de l’homme et affirmation de la parenté de l’Organisation internationale du travail : les stratégies de légitimation internationale de l’AIPS entre 1968 et 1970 ... 94

Légitimations nationales : ancienneté, proximité institutionnelle et neutralité de l’Association suisse de politique sociale ... 101

Les enjeux pratiques et politiques de la prétention universelle du réseau académique des experts du droit social : communication, circulations et intégration extra-occidentale ... 103

Les tentatives de prises d’otage politiques du Congrès de Varsovie ... 106

Alexandre Berenstein : expert ou militant ? ... 110

L’instrumentalisation politique de la posture d’expert : l’exemple de la cause de l’égalité ... 111

Le statut institutionnel d’expert comme gain de respectabilité : un socialiste à la recherche de reconnaissance cantonale ... 113

LE TRAITEMENT POLITIQUE SUISSE DE LA CHARTE SOCIALE EUROPÉENNE ... 118

L’action d’Alexandre Berenstein en faveur de la ratification ... 120

Garantie internationale ou reconnaissance nationale des droits sociaux : l’adaptation du discours aux enjeux d’échelle ... 121

Alexandre Berenstein au service secret du Département des affaires étrangères ... 125

Les fronts d’opposition à la ratification : la conjonction des pressions patronales et de l’anti- internationalisme ... 131

La résistance patronale aux droits sociaux ... 131

L’émergence d’un discours souverainiste et son exploitation politique... 132

La mobilisation de deux identités nationales concurrentes... 136

CONCLUSION ... 138

SOURCES ... 141

Sources non imprimées ... 141

Sources imprimées ... 142

Sites internet ... 142

BIBLIOGRAPHIE ... 143

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Liste des principaux sigles utilisés

AAER : Association des amis de l’Espagne républicaine ABIT : Archives du Bureau international du travail ABPS : Association belge pour le progrès social

AIPLT : Association internationale pour la protection légale des travailleurs AIPS : Association internationale pour le progrès social

AISS : Association internationale de la sécurité sociale

AIRP : Association internationale des relations professionnelles ASES : Association suisse des étudiants socialistes

ASIN : Action pour une Suisse indépendante et neutre ASPS : Association suisse de politique sociale

BGE : Bibliothèque de Genève BIT : Bureau international du travail CE : Conseil de l’Europe

CIT : Conférence internationale du travail

EIDTC : Ecole internationale de droit du travail comparé

FIEDC : Faculté internationale pour l’enseignement du droit comparé FIES : Fédération internationale des étudiants socialistes

FSI : Foyer socialiste international IOS : Internationale ouvrière socialiste IJS : Internationale des jeunes socialistes

OFIAMT : Office fédéral de l’industrie des arts et métiers OIT : Organisation internationale du travail

ONU : Organisation des Nations Unies

PSG : Parti socialiste de Genève / Parti socialiste genevois PSS : Parti socialiste suisse

RSS : Revue syndicale suisse

SIDTSS : Société internationale de droit du travail et de la sécurité sociale USS : Union syndicale suisse

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INTRODUCTION

Professeur honoraire et juge fédéral : tels sont les deux titres qu’Alexandre Berenstein obtient en 1970 et qui permettront dès lors de résumer à la fois sa carrière professionnelle et la place sociale qu’il occupe dans les sociétés genevoise et helvétique. Ces deux étiquettes institutionnelles rendent compte d’une carrière professionnelle aboutie dans le monde académique et dans la magistrature du pouvoir judiciaire. Elles servent de fondement aux différents honneurs publics qui lui sont rendus dans la dernière partie de sa vie. Le samedi 21 janvier 1989, à l’occasion de ses quatre-vingts ans, Alexandre Berenstein reçoit un double hommage genevois : la Faculté de droit de l’Université de Genève lui remet un volume intitulé Mélanges Alexandre Berenstein. Le Droit social à l’aube du XXIe siècle1 tandis que la Ville de Genève le décore de la médaille « Genève reconnaissante ».2 Après sa mort survenue dans sa nonante-deuxième année, le 26 juin 2000, les nombreux avis mortuaires dans la presse régionale révèlent ses différentes implications genevoises et la reconnaissance locale dont il est l’objet

; l’avis de la famille qui tient lieu de faire-part résume son activité aux principaux titres académiques et professionnels suivants : « professeur honoraire de l’Université de Genève », « ancien doyen de la Faculté de droit », « ancien juge fédéral », « président d’honneur et co-fondateur de la Société internationale de droit du travail et de la sécurité sociale »3 ; l’Université de Genève lui rend hommage en donnant son nom à un auditoire, inauguré le 4 avril 2001.4 Dernière reconnaissance en date : Alexandre Berenstein donne son nom au Pôle de compétences en droit du travail et de la sécurité sociale, créé en 2019 et rattaché à la Faculté genevoise de droit.5

Ces distinctions académiques et politiques à l’échelle exclusivement genevoise ainsi que la reconnaissance publique dont il bénéficie durant sa vie comme professeur universitaire et comme représentant genevois au Tribunal fédéral6 contrastent avec le déficit voire l’absence de valorisation des dimensions militante et internationale de ses engagements. Si l’implantation genevoise d’Alexandre Berenstein et son attachement aux institutions de la société suisse sont indéniables, la consultation de ses papiers personnels aux archives de la Bibliothèque de Genève révèle que la cohérence de son action n’apparait qu’avec la prise en compte du projet militant qui sous-tend ses engagements et de la dimension internationaliste qui leur donnent sens.

1 BGE, 2001/25, 6. Projet de notice biographique d’Alexandre Berenstein.

2 BGE, 2001/25, 4. « Les quatre-vingts ans de l’étonnant M. Berenstein », Tribune de Genève, 23 janvier 1989.

3 BGE, 2001/25, 4. Avis de décès d’Alexandre Berenstein dans la Tribune de Genève, 1er-2 juillet 2000.

4 BGE, 2001/25, 4. La loi, la justice, la solidarité, la paix. Alexandre Berenstein 1909-2000, avril 2001.

5 Stéphanie Dragon, Anne-Sylvie Dupont, Karine Lempen, « Avant-propos », L’OIT et le droit social en Suisse : 100 ans et après ?, Genève, Editions juridiques libres, 2019.

6 BGE, 2001/25, 4. « Un juge fédéral pour Genève. Le portrait du professeur Berenstein », Le Courrier, 11 juin 1970.

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Alexandre Berenstein nait à Paris le 19 janvier 1909 dans une famille juive d’origine russe.7 Ses parents Moïse et Bluma née Monosson ont quitté la Russie avec leur premier fils Simon en 1906 pour des raisons politiques liées à l’échec de la révolution de 1905.8 La famille s’installe à Genève au début de la Première Guerre mondiale ; Moïse Berenstein y travaille comme assistant à l’Ecole de Chimie puis rejoint le Bureau international du travail (BIT) nouvellement créé à la fin de la guerre.9 Il y travaille comme collaborateur externe en 1920 et devient fonctionnaire permanent à partir du 1er janvier 1923.10 Il est contraint à la démission en 1939 en raison d’une réduction de personnel.11

Alexandre Berenstein obtient sa maturité réale (filière latine) en 1926 au Collège de Genève.12 Il entre à l’Université de Genève où il obtient une licence en droit en 1929 et une licence en sociologie en 1930.13 De 1930 à 1939, il collabore en qualité de traducteur dans plusieurs institutions, notamment au BIT.14 À en croire une lettre de postulation comme traducteur, il parle alors français, allemand, anglais, italien, russe ainsi qu’esperanto et comprend l’espagnol.15 Il rédige en parallèle sa thèse de doctorat sous la direction du français George Scelle, l’un des pionniers du droit du travail. Publiée en 1936, elle traite de l’Organisation internationale du travail et lie le droit international public au droit du travail.16

Docteur en droit à 27 ans, il débute une carrière dans le monde académique et dans la magistrature. Il enseigne le droit du travail à l’Université de Genève dès 1938 en tant que privat- docent17. Il est chargé de cours en 1947 puis professeur extraordinaire en 1951.18 En 1955, il est nommé professeur ordinaire de droit du travail et des assurances sociales et privées. Titulaire de cette chaire nouvellement créée et pionnière en Suisse, il enseigne notamment le droit international du

7 BGE, 2001/25, 4. La loi, la justice, la solidarité, la paix. Alexandre Berenstein 1909-2000, avril 2001.

8 BGE, 2001/25, 2A. Coupures de presse concernant le décès de Moïse Berenstein, novembre-décembre 1969.

9 BGE, 2001/25, 2A. Coupures de presse concernant le décès de Moïse Berenstein, novembre-décembre 1969.

10 ABIT, P 541. Moïse Berenstein intègre le BIT grâce à Edgard Milhaud. La candidature spontanée de Moïse Berenstein en 1920 se recommande de lui et c’est sous sa direction qu’il travaille d’abord comme collaborateur externe à une enquête sur la production. Il est ensuite engagé de manière temporaire au Service des

Statistiques puis au Service de Production à nouveau sous la direction de Milhaud qui demande la prorogation de ses services, son engagement permanent puis une promotion.

11 ABIT, P 541. Après l’entrée en fonction du nouveau directeur général John Winant en 1939, des coupures budgétaires entraînent 44 suppressions de postes. Moïse Berenstein est informé de la résiliation de son contrat en février 1939. Il restera cependant en activité jusqu’à la fin de l’année 1939.

12 BGE, 2001/25, 4. La loi, la justice, la solidarité, la paix. Alexandre Berenstein 1909-2000, avril 2001.

13 Ibid.

14 BGE, 2001/25, 6. Deux Curriculum vitae d’Alexandre Berenstein, [195? et 196?]

15 BGE, 2001/25, 3. Lettre d’Alexandre Berenstein au Chancelier de la République et Canton de Genève, 3 février 1934.

16 BGE, 2001/25, 4. La loi, la justice, la solidarité, la paix. Alexandre Berenstein 1909-2000, avril 2001.

17 Titre qui constitue la première étape d’une carrière universitaire en Allemagne, en Autriche et en Suisse.

18 Ibid ; BGE, 2001/25, 4. « Un juge fédéral pour Genève. Le portrait du professeur Berenstein », Le Courrier, 11 juin 1970.

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travail. Entre 1960 et 1966, il occupe la fonction de doyen de la Faculté de droit. Enfin, après son élection au Tribunal fédéral en 1970, il devient professeur honoraire à l’Université de Genève.19 À partir de la fin des années 1950, la carrière académique d’Alexandre Berenstein se développe également au niveau international : il participe à la création de la Société internationale de droit du travail et de la sécurité sociale, s’occupe de l’Ecole internationale de droit du travail comparé de Trieste et est professeur de la Faculté de droit du travail comparé établi à Strasbourg.20 Il donne des cours et des conférences dans toute l’Europe et sur plusieurs continents, principalement durant les décennies 1960 et 1970.21

Parallèlement, Alexandre Berenstein poursuit une carrière d’avocat puis de juge dans la magistrature. Il est avocat au barreau de Genève de 1939 à 1970. Il conseille et représente principalement les organisations syndicales et l’Etat de Genève22. Il exerce comme juge à la Cour de Cassation de Genève de 1966 à 197023, comme juge suppléant au Tribunal fédéral des assurances entre 1968 et 1970 puis est élu juge au Tribunal fédéral par les chambres fédérales en 1970, fonction qu’il occupera jusqu’à sa retraite en 1979.24

Si Alexandre Berenstein devient juge fédéral en tant que candidat du Parti socialiste suisse, son engagement comme militant est antérieur à sa carrière professionnelle. Déjà actif au sein du réseau socialiste international estudiantin à la fin des années 1920, il adhère à la section de Plainpalais du Parti socialiste en 1931, juste après avoir obtenu la nationalité suisse. Sa carrière politique est à son apogée en 1939 lorsqu’il devient le secrétaire du nouveau Parti socialiste de Genève et est candidat malheureux aux élections au Grand Conseil (législatif cantonal) et au Conseil national (législatif fédéral). En 1949, il quitte la fonction de secrétaire pour la vice-présidence.25 Il siège au comité directeur du parti cantonal ainsi qu’au comité central du Parti socialiste suisse en tant que délégué de la section cantonale jusqu’en 197026.

Sa vie personnelle est caractérisée par deux compagnonnages affectifs et militants successifs.

Alexandre Berenstein entretient un lien très fort avec son père Moïse et lui manifeste un dévouement

19 BGE, 2001/25, 6. « Hommage au professeur Alexandre Berenstein, juge fédéral », Communiqué du service de presse de l’Université de Genève, 16 juillet 1979.

20 BGE, 2001/25, 4. La loi, la justice, la solidarité, la paix. Alexandre Berenstein 1909-2000, avril 2001.

21 BGE, 2001/25, 6. Projets de notice biographique d’Alexandre Berenstein, [199? ou 200?].

22 BGE, 2001/25, 4. La loi, la justice, la solidarité, la paix. Alexandre Berenstein 1909-2000, avril 2001.

23 BGE, 2001/25, 6. Documents présentant la carrière d’Alexandre Berenstein, [198? ou 199?].

24 BGE, 2001/25, 4. La loi, la justice, la solidarité, la paix. Alexandre Berenstein 1909-2000, avril 2001.

25 BGE, 2001/25, 4. « Alexandre Berenstein : la fidélité à soi-même », Tribune socialiste genevoise, n°79, 11 mai 1983.

26Ibid.

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filial.27 Ils partagent les mêmes combats militants et options politiques.28 Après la mort de sa mère en 195529, Alexandre Berenstein vit avec son père et prend soin de lui jusqu’à sa mort en 1969.30 Ce n’est qu’après cette perte31, à 61 ans passés, qu’il épouse Jacqueline Wavre, féministe et socialiste, le 14 juillet 1970.32 Cette union qui durera près de 30 ans est marquée par une connivence intellectuelle et des combats militants communs.33 Ces deux relations fondamentales correspondent à deux espaces genevois de résidence : Alexandre Berenstein vit d’abord au domicile familial située 29b avenue de Miremont puis habite avec sa femme au 36 avenue Krieg à partir de leur mariage, deux adresses situées dans le quartier résidentiel de Champel, sur la rive gauche de la Ville de Genève. Cette résidence stable depuis son enfance explique qu’il se considère avant tout comme genevois et qu’il ne se soit jamais véritablement senti russe.34 Contrairement à son père, la judéité n’est pas une identité revendiquée chez lui et il préfère se tenir à distance de toutes les religions.35 Enfin, ses proches le disent timide, modeste et discret.36

Son implantation genevoise et sa forte implication locale sont complétées par divers engagements aux échelles nationale et internationale. Son action conjugue une approche experte et militante de la réforme sociale. D’un côté, il participe à la réflexion des juristes et à l’élaboration du droit social et de sa jurisprudence ; de l’autre, il est un activiste du droit social, attentif à son application et à la mise en œuvre de la politique sociale. Il se situe au croisement de la construction et de l’application de cette législation et participe à des espaces plus ou moins scientifiques et politiques du champ de la réforme sociale. Cet engagement non seulement multiscalaire mais qui conjugue

27 BGE, 2001/25, 2A. « Moïse Berenstein, directeur de l’Université ouvrière de Genève n’est plus », Les Services publics, 13 novembre 1969 ; BGE, 2001/25, 4. « Alexandre Berenstein, un grand humaniste de gauche », Tribune de Genève, 1-2 juillet 2000.

28 Voir notamment cet article qui souligne cette convergence politique constatée tout au long du fonds d’archives : BGE, 2001/25, 2A. « Moïse Berenstein, directeur de l’Université ouvrière de Genève n’est plus », Les Services publics, 13 novembre 1969.

29 BGE, 2001/25, 2A.

30 Jacqueline Berenstein-Wavre (entretiens avec Fabienne Bouvier), Le bâton dans la fourmilière, Genève, Editions Metropolis, 2005, p. 98.

31 Ibid, p. 109. Sa femme explicite le lien entre les deux événements, l’un rendant l’autre possible : « Quand son père est mort, il m’a presque sauté dessus… ».

32 Ibid.

33 Ibid, p. 192.

34 BGE, 2001/25, 3. Lettre d’Alexandre Berenstein au Chancelier de la République et Canton de Genève, 3 février 1934. Il se dit « de nationalité genevoise ».

35 En 1979, une lettre d’un ami le qualifie affectueusement d’agnostique : BGE 2001/25, 6. Lettre de Ernst Stueckelberg à Alexandre Berenstein, 8 août 1979 ; à la fin de sa vie, un projet de notice biographique sur laquelle il appose des corrections indique qu’il est « sans confession » : BGE, 2001/25, 6. Projets de notice biographique d’Alexandre Berenstein ; Jacqueline, Berenstein-Wavre (entretiens avec Fabienne Bouvier), Le bâton dans la fourmilière, Genève, Editions Metropolis, 2005, pp. 101, 108. Sa femme le qualifie de juif « pas du tout pratiquant » ou d’ « athée ».

36 BGE, 2001/25, 4. La loi, la justice, la solidarité, la paix. Alexandre Berenstein 1909-2000, avril 2001.

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également l’expertise et le militantisme en fait une figure extrêmement intéressante pour accéder à différents types d’espaces de prise en compte des questions sociales.

L’objet de cette recherche est d’écrire une histoire sociale transnationale de la réforme sociale après la Seconde Guerre mondiale à partir de la perspective d’Alexandre Berenstein. Dans quelle mesure le progrès social est envisagé de manière transnationale après la Seconde Guerre mondiale ? Comment et pourquoi Alexandre Berenstein participe-t-il à cette construction ? Il s’agit d’analyser à la fois le parcours et les espaces d’engagement d’Alexandre Berenstein, afin de comprendre les fondements et les phases de son action, d’identifier les acteurs et les réseaux qui portent la réforme sociale dans les décennies d’après-guerre et d’étudier la manière dont cette question implique les échelles locale, nationale et internationale.

Le contexte de l’après-guerre est marqué par l’accélération concomitante de la construction de la normativité sociale internationale et des politiques sociales à l’échelle nationale. Cette confiance dans les mécanismes juridiques nationaux et internationaux pour garantir non seulement la paix mais également l’amélioration des conditions sociales est incarnée par l’affirmation de l’Organisation internationale du travail et la naissance de l’Organisation des Nations Unies. L’introduction fédérale de l’assurance-vieillesse et survivants (AVS) devient la pierre angulaire de l’Etat social suisse. Ce développement s’inscrit dans la dynamique de construction de l’Etat-providence qui prévaut dans la plupart des pays d’Europe de l’Ouest mais reste comparativement plus modeste.37 Genève enfin devient de plus en plus une terre d’accueil naturelle des organisations internationales et non- gouvernementales en Europe. Le tout intervient dans un contexte de guerre froide qui produit simultanément des discours d’opposition et des convergences de modèle.38

En quoi Alexandre Berenstein est-il à la fois un témoin et un acteur des logiques et réseaux qui participent de ce processus de construction d’une nouvelle protection sociale ? Comment et pourquoi adapte-t-il son discours, sa posture et ses modes d’action en fonction des contextes, des échelles et des espaces dans lesquels il intervient ? Notre attention a été retenue par l’usage répétée de l’expression « progrès social » par Alexandre Berenstein et ses réseaux. Nous tentons de comprendre dans quelle mesure la mobilisation de cette notion est corrélée au courant de la réforme sociale dans lequel s’inscrit Alexandre Berenstein par son appartenance à différents types de réseaux en lien avec

37 Voir Matthieu Leimgruber, Solidarity without the State?: Business and the Shaping of the Swiss Welfare State.

1890–2000, Cambridge, Cambridge University Press, 2008, pp. 116-186 ; Matthieu Leimgruber, Martin Lengwiler [et alii], Histoire de la sécurité sociale en Suisse.

38 Sandrine Kott, « OIT, justice sociale et mondes communistes. Concurrences, émulations, convergences », Le Mouvement Social, vol. 263, no. 2, 2018, pp. 139-151.

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cette question. Il s’agit également de questionner les logiques et les enjeux spécifiques aux différentes échelles et contextes, en accordant une attention particulière aux modes d’action, aux discours et aux stratégies mobilisées par les acteurs.

Cette recherche lie différentes échelles d’activité : Genève, la Suisse et l’espace international.

C’est l’engagement d’Alexandre Berenstein qui définit ces différents espaces, de sorte qu’il n’y a pas de limites géographiques a priori. Concernant les limites temporelles, la recherche se concentre essentiellement sur les années 1945 à 1979. Ce faisant, elle tient compte des logiques de rupture propres autant à la biographie d’Alexandre Berenstein et à son réseau qu’au contexte historique général. La fin de la Seconde Guerre mondiale permet la reconstruction de la coopération internationale et la reprise des circulations transnationales de réseau. Durant les années 1970, l’implication d’Alexandre Berenstein dans ses différents réseaux diminue progressivement en raison de la fin de ses mandats à des fonctions dirigeantes ou de l’épuisement de l’activité d’un de ses réseaux, tandis que l’année 1979 marque sa retraite académique et professionnelle. Parallèlement, les crises pétrolières et monétaires et la dégradation des principaux indicateurs économiques entrainent l’évolution vers un nouveau paradigme qui prône la dérégulation économique et le désengagement public. Les années 1945 à 1979 représentent le cœur de la vie active d’Alexandre Berenstein, entre ses 35 et ses 70 ans, qui prend place dans un contexte occidental de croissance économique stable et d’acceptation des mécanismes de régulation et d’intervention de l’Etat. La période prise en compte est cependant élargie pour comprendre la conception de la réforme sociale d’Alexandre Berenstein et analyser le traitement politique suisse de la ratification de la Charte sociale européenne du Conseil de l’Europe. Pour étudier ces deux questions, nous invoquons des documents de l’Entre-deux-guerres et des dernières décennies du XXe siècle.

Cette recherche s’appuie principalement sur des sources primaires tirées d’un fonds d’archives de la Bibliothèque de Genève (BGE) qui réunit les papiers personnels d’Alexandre Berenstein.39 Cédés par sa femme après sa mort, les documents du fonds d’archives couvrent toute sa vie et sont très nombreux, particulièrement pour les décennies d’après-guerre. Comme sa femme nous apprend qu’Alexandre Berenstein avait tendance à ne rien jeter et à tenir ses archives à jour40, nous pouvons raisonnablement considérer que la quarantaine de boîtes de ce fonds de 3.6 mètres linéaires tendent à offrir un panorama exhaustif de ses engagements. Le fonds non catalogué des papiers d’Alexandre Berenstein est divisé en trois cotes qui correspondent aux trois moments de livraison des documents,

39 BGE, 2001/25 ; 2009/5 ; 2013/23.

40 Jacqueline Berenstein-Wavre (entretiens avec Fabienne Bouvier), Le bâton dans la fourmilière, Genève, Editions Metropolis, 2005, pp. 199-200.

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en 2001, 2009 et 2013.41 L’extrême majorité des sources sont rassemblées sous la cote 2001/25 qui contient trente-huit boîtes numérotées de 1 à 22C. Le fonds n’a bénéficié que d’un travail archivistique partiel, de sorte que le classement interne remonte essentiellement à Alexandre Berenstein et est parfois inexistant. Outre certains papiers concernant Moïse Berenstein, le fonds semble contenir de la documentation conséquente à propos de tous les engagements d’Alexandre Berenstein, hormis ses activités directement professionnelles comme professeur universitaire, avocat puis juge qui ne sont que peu ou pas détaillées. La correspondance représente la majorité des documents du fonds d’archives. Nous avons avant tout privilégié les documents d’archive contenant le discours d’Alexandre Berenstein, afin d’avoir un accès direct à ses modes d’expression et à ses intentions. Nous avons complété ce travail d’analyse de sources primaires avec la consultation, dans les archives du BIT, des dossiers de Moïse et Alexandre Berenstein ainsi que ceux des principales associations internationales dans lesquels ce dernier s’est engagé.

Cette étude se rattache aux courants de l’histoire transnationale et de la socio-histoire.

L’application des outils de l’approche transnationale, attentive aux espaces transnationaux et aux phénomènes de circulation et de connexion qui les construisent42, nous permet d’analyser l’implication d’Alexandre Berenstein dans des réseaux aux dimensions et logiques spécifiquement transnationales et d’articuler ses différentes échelles d’activité. Par son soin de ne pas cloisonner un phénomène historique dans des frontières définies a priori, l’histoire transnationale nous incite à dépasser les discours nationaux et à nous intéresser aux interactions et interdépendances entre différents espaces à l’œuvre dans la construction du progrès social après la Seconde Guerre mondiale. Le recours à l’approche socio-historique nous conduit à privilégier une analyse par les acteurs qui rend compte des logiques de construction et d’évolution des organisations.43 Il s’agit d’étudier les liens sociaux entre individus et communautés, sans oublier les tensions et rapports de force, et de mettre en lumière l’univers culturel, social et politique de ces acteurs. Nous construisons ainsi nos questionnements à partir des activités d’Alexandre Berenstein et du rapport qu’il entretient par ses discours et ses pratiques aux organisations et réseaux dans lesquels il s’engage.

Notre recherche s’inscrit plus spécifiquement dans le prolongement du renouvellement historiographique de l’OIT et des réseaux de la réforme sociale.44 Cette historiographie adopte une

41 BGE, 2001/25 ; 2009/5 ; 2013/23.

42 Pierre-Yves Saunier, « Circulations, connexions et espaces transnationaux », Genèses, vol. 4, n° 57, 2004, pp.

110-126.

43 Olivier Nay, « Eléments pour une sociologie du changement dans les organisations internationales », Critique internationale, vol. 4, n° 53, 2011, pp. 9-20.

44 Voir notamment : Sandrine Kott, Joëlle Droux, Globalizing Social Rights. The International Labour Organization and Beyond, New York, Palgrave Macmillan, 2013 ; « La justice sociale dans un monde global.

L’Organisation internationale du travail (1919-2019) », Le Mouvement Social, vol. 263, no. 2, 2018 ; Jasmien

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approche transnationale et sociale des organisations et des réseaux internationaux de la réforme sociale considérés comme des acteurs et des espaces à part entière, à l’inverse des analyses internationales du courant réaliste.45 Notre étude présente un triple intérêt en tant que contribution à cette historiographie. Premièrement, les sources primaires encore non utilisées d’Alexandre Berenstein nous donnent accès au prisme d’engagement inédit d’un acteur multiscalaire et situé à la croisée d’espaces d’expertise et de militantisme. Deuxièmement, notre recherche contribue à la compréhension des logiques et réseaux de la réforme sociale après la Seconde Guerre mondiale, période que cette historiographie n’a pas encore épuisée. Troisièmement, la perspective de la figure d’Alexandre Berenstein lie inextricablement le cadre national suisse et le niveau international ; cette recherche peut dès lors être considérée aussi comme une étude de cas de cette articulation entre les échelles nationale et internationale pour le cas de la Suisse par rapport à la législation sociale.

Par ailleurs, notre analyse de l’activité d’Alexandre Berenstein en lien avec la réforme sociale s’appuie sur une acception restrictive de la notion de réseau qui s’inspire des caractéristiques d’identification d’un régime circulatoire proposées par l’historien Pierre-Yves Saunier.46 Nous entendons par réseau une configuration circulatoire sous-tendue par des organisations. Il s’agit d’une structure formelle dans le périmètre de laquelle on observe notamment des acteurs ou groupes d’acteurs connectés, la perception d’une communauté de pratiques et de valeurs, l’existence d’un langage commun ou le développement coordonné de projets.

Dans le premier chapitre, nous interrogeons la conception de la réforme sociale développée par Alexandre Berenstein. En analysant son discours et en le resituant dans son parcours et son contexte, nous tentons de comprendre quels sont ses objectifs et les fondements de son action. Nous nous efforçons de rendre compte des représentations qui sous-tendent son action et des traditions dans lesquelles il s’inscrit. Dans le deuxième chapitre, nous analysons l’engagement multiscalaire d’Alexandre Berenstein au sein des organisations dans lesquelles il s’implique entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et la fin des années 1970. Il s’agit d’une part de restituer ses réseaux et d’étudier leurs logiques et leur évolution, et d’autre part d’être attentif aux modes d’interaction qu’ils supposent. Dans le troisième chapitre, nous nous concentrons sur les enjeux spécifiques à un réseau

Van Daele, « Engineering Social Peace: Networks, Ideas, and the Founding of the International Labour Organization », in International Review of Social History, 50.3, 2005, pp. 435-66 ; Sandrine Kott, « From Transnational Reformist Network to International Organization: The International Association for Labour Legislation and the International Labour Organization 1900-1930 », in Davide Rodogno, Bernhard Struck, Jakob Vogel, Shaping the Transnational Sphere, New York, Berghahn, 2015, pp. 239-259.

45 Sandrine Kott, « Les organisations internationales, terrains d'étude de la globalisation. Jalons pour une approche socio-historique », Critique internationale, vol. 52, no. 3, 2011, pp. 9-16.

46 Pierre-Yves Saunier, « Les régimes circulatoires du domaine social 1800-1940 : projets et ingénierie de la convergence et de la différence », Genèses, vol. 71, no. 2, 2008, pp. 16-17.

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ou à une échelle dans le but de mettre en lumière les logiques propres aux échelles et aux contextes à l’œuvre dans les discours, les postures et les pratiques d’Alexandre Berenstein. Le quatrième chapitre est consacré au traitement politique suisse de la ratification de la Charte sociale européenne. Nous mettons en lumière des interactions et des tensions que cette question produit entre le cadre national et l’échelle internationale.

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REPRÉSENTATIONS, CONCEPTIONS ET TRADITIONS DU PROGRÈS SOCIAL D’ALEXANDRE BERENSTEIN

L’appartenance première à une tradition politique et militante : le socialisme démocratique

Alexandre Berenstein manifeste avant tout un sentiment d’appartenance à une tradition politique et militante : celle d’un socialisme internationaliste résolument réformiste et antibolchévique. Cette identité militante est un héritage et une filiation qu’il faut comprendre dans le cadre de la relation fusionnelle qu’il entretient avec son père Moïse :

Je suis né dans le socialisme. Mon père était socialiste, il était russe, menchevik. Il était actif dans le parti social- démocrate russe. Tout naturellement j’ai été élevé dans le socialisme et la question de mon appartenance partisane ne s’est jamais posée pour moi.47

Le socialisme est ainsi sa première identité ; elle est à l’origine de tous ses engagements et de son intérêt pour le droit social. Si Alexandre Berenstein a connu des périodes d’activité politique plus ou moins intenses, ses prises de position politiques et son attachement au socialisme ont connu une grande constance tout au long de sa vie.

Le fondement et la filiation internationaliste de l’appartenance socialiste

À l’instar de son père, le socialisme d’Alexandre Berenstein est d’abord internationaliste. Avant d’être membre d’un parti socialiste, Alexandre Berenstein s’engage au sein des réseaux de l’Internationale ouvrière socialiste (IOS). En 1927, il crée avec deux autres camarades le groupe genevois des étudiants socialistes afin de participer à la Fédération internationale des étudiants socialistes (FIES).48 Constituée à Amsterdam en 1926, la FIES est membre de l’Internationale des jeunes socialistes (IJS) et a un lien statutaire avec l’IOS. L’année suivante, il devient à la fois secrétaire de l’Association suisse des étudiants socialistes (ASES), secrétaire adjoint de la FIES et rédacteur pour la Suisse de L’Etudiant socialiste, le journal des sections francophones de la FIES.49 En 1929, son premier travail professionnel s’exerce au secrétariat de l’IOS à Zürich.50 Il s’engage au sein de la FIES durant une petite dizaine d’année et assiste à différents congrès. Il participe notamment avec son père au congrès

47 BGE, 2001/25, 6. « Portrait. Alexandre Berenstein », Débats. Mensuel socialiste genevois, mars 1996.

48 BGE, 2001/25, 4. « Alexandre Berenstein : la fidélité à soi-même », Tribune socialiste genevoise, n°79, 11 mai 1983.

49 BGE, 2001/25, 18. Correspondance et documents concernant la FIES.

50 BGE, 2001/25, 4. « Alexandre Berenstein : la fidélité à soi-même », Tribune socialiste genevoise, n°79, 11 mai 1983.

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de la FIES et de l’IOS de 1929 et 1931 à Vienne.51 Les premiers engagements socialistes d’Alexandre Berenstein se développent au sein de réseaux internationaux dont le centre de gravité est l’Europe de l’Ouest et la langue principale le français ; ils attestent de la vitalité du réseau de l’Internationale ouvrière socialiste et de ses ramifications dans le milieu étudiant jusqu’au début des années 1930, alors même que l’IOS est incapable de devenir l’espace d’affirmation des positions du socialisme démocratique et ne survit pas à l’ascension des régimes fascistes dans les années 1930.52

S’il adhère au Parti socialiste genevois après avoir obtenu la nationalité suisse en 1931, ses principaux engagements militants à l’échelle locale durant les années 1930 sont également de nature internationaliste. Sur les pas de son père, il s’engage au Foyer socialiste international ; il rejoint le comité en tant que secrétaire rapporteur en 1932 puis devient secrétaire en 1936.53 Fondé en 1927, le Foyer socialiste international se veut un centre de rencontre amicale pour les camarades de tous les partis nationaux affiliés à l’IOS.54 D’un côté, il favorise la rencontre entre les socialistes internationaux établis à Genève et l’accueil de socialistes et syndicalistes de passage ; de l’autre, il organise des moments de discussion, appelés « causeries », sur des questions socialistes internationales.55 C’est au FSI qu’Alexandre Berenstein rencontre André Oltramare56, ancien Conseiller d’Etat socialiste genevois, fondateur et président du FSI, qui deviendra son mentor tandis que les « causeries » sont l’occasion pour lui de prendre part à la sociabilité du milieu internationaliste socialiste établi à Genève, notamment certains fonctionnaires du BIT.57 En 1936, dans le contexte du déclenchement de la guerre civile espagnole, le FSI initie la création de l’Association des amis de l’Espagne républicaine (AAER) présidée également par André Oltramare. Alexandre Berenstein s’implique activement dans cette association de solidarité internationale.58 En somme, l’identité militante d’Alexandre Berenstein est d’emblée et fondamentalement internationaliste ; elle s’inscrit dans une tradition socialiste spécifique, héritée de son père.

51 BGE, 2001/25, 18. Correspondance et documents concernant la FIES ; BGE, 2001/25, 2B. Projets de panneaux pour l’exposition rendant hommage à Alexandre Berenstein en 2001. Le 2e Congrès des étudiants socialistes a lieu les 15 et 16 juillet 1929 à Vienne et un congrès de l’IOS qui accueille la 2e Olympiade des travailleurs est organisé dans la même ville en 1931. Alexandre et son père assistent aux deux congrès ; on les retrouve sur une photo avec les sociaux-démocrates russes en 1931.

52 Alain Bergounioux, « 2 - L’Internationale Ouvrière Socialiste entre les deux guerres », Hugues Portelli (éd.), L'Internationale Socialiste, Paris, Les Éditions Ouvrières, 1983, pp. 23-42.

53 BGE, 2001/25, 16. Correspondance et documents concernant le Foyer socialiste international.

54 Ibid.

55 BGE, 2001/25, 2B. Projets de panneaux pour l’exposition rendant hommage à Alexandre Berenstein en 2001.

56 Né en 1884, André Oltramare devient Conseiller d’Etat socialiste entre 1924 et 1927 avant d’être professeur de langue et littérature latines puis doyen à l’Université de Genève. Marie Bron, « André Oltramare »,

Dictionnaire historique de la suisse, version électronique du 02.12.2010.

57 Albert Thomas manifeste son soutien au FSI et Edgard Milhaud vient faire une causerie en 1932.

58 BGE, 2001/25, 16. Correspondance et documents concernant le Foyer socialiste international.

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L’affirmation antibolchevique d’un socialisme démocratique

Le parcours militant d’Alexandre Berenstein s’inscrit dans la continuité du positionnement menchevik de son père, à savoir une conception démocratique et réformiste du socialisme qui s’oppose au communisme. Dans le contexte de l’Entre-deux-guerres et en tant que fils d’un menchevik exilé pour des raisons politiques59, Alexandre Berenstein intègre un univers militant dans lequel l’opposition frontale entre socialistes et communistes est une réalité et une représentation structurante. La révolution bolchévique de 1917 et la création de la IIIe Internationale ont achevé de transformer une opposition idéologique et discursive - apparue au tournant du siècle lors de la querelle révisionniste au sein de la social-démocratie allemande60 - en division du socialisme en partis communistes et partis sociaux-démocrates. En s’engageant au sein de l’IOS, Alexandre Berenstein se place dans le camp des sociaux-démocrates.

Au sein du parti socialiste genevois, cette division internationale va entrainer la scission de 1939. Durant les années 1930, le Parti socialiste genevois est dirigé par Léon Nicole qui opère une évolution idéologique en faveur de l’Union soviétique accentuée par son voyage à Moscou en février- mars 1939.61 Dans le contexte d’un anticommunisme quasiment érigé en doctrine d’Etat qui entraîne l’interdiction du parti communiste dans certains cantons, Léon Nicole se rapproche de cette obédience et intègre les communistes genevois après l’interdiction de leur parti en 1937.62 À mesure que le positionnement de Léon Nicole et de ses adeptes genevois et vaudois se rapproche de celui de la IIIe Internationale, les relations se tendent avec le Parti socialiste suisse. Après un blâme sévère à l’encontre de Nicole et de la direction du Parti socialiste genevois en janvier 1939, la direction du Parti national utilise le motif du soutien de Léon Nicole au pacte germano-soviétique pour décider son exclusion en septembre de la même année.63L’ensemble des sections genevoises et la moitié des sections vaudoises restent fidèles à Nicole et sont donc exclues du PSS à la fin du mois. Dans ce contexte, Alexandre Berenstein participe à la fondation d’un parti dissident à celui de Nicole qui émerge comme nouvelle section genevoise du Parti socialiste suisse.

59 Très impliqué dans le parti social-démocrate russe, Moïse Berenstein a bien connu certains leaders tels que Martov, Axelrod ou Plekhanov. BGE, 2001/25, 2A. Coupures de presse concernant le décès de Moïse

Berenstein, novembre-décembre 1969.

60 Emmanuel Jousse, « Du révisionnisme d’Eduard Bernstein au réformisme d’Albert Thomas (1896-1914) », Les cahiers Irice, no 2 (2008), pp. 39-52.

61 Mauro Cerutto, « Léon Nicole », Dictionnaire historique de la suisse, version électronique du 09.11.2010.

62 André Rauber, Histoire du mouvement communiste suisse. Du XIXe siècle à 1943, Genève, Slatkine, 1997, pp.

383-391 ; 432-433.

63 Ibid., pp. 432-433.

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Le Parti socialiste de Genève (PSG) est créé le 2 octobre 1939 par 38 militants sous l’impulsion de Charles Rosselet, conseiller national, et André Oltramare.64 Ce dernier est à l’origine du rassemblement dissident : en prenant immédiatement position contre le pacte germano-soviétique par la rédaction de la brochure Le Forfait de Moscou qui lui vaut un blâme de la part du parti genevois, il rallie autour de lui les membres du parti qui souhaitent rester dans la ligne social-démocrate du parti national.65 Son âge, son profil universitaire et ses engagements internationalistes comme fondateur et président du FSI et de l’Association des amis de l’Espagne républicaine en font un modèle, un compagnon militant et un second père idéologique pour Alexandre Berenstein à partir du début des années 1930.66 La scission de 1939 et le division du socialisme romand67 expliquent l’implication soudaine d’Alexandre Berenstein dans le parti et l’accélération de sa carrière politique. Il affirme puissamment son positionnement social-démocrate antibolchévique en rejoignant le premier comité du nouveau parti comme secrétaire et en participant à la bataille électorale face aux nicolistes comme candidat aux élections législatives fédérales et cantonales de 1939.68

Si la scission de 1939 devient inévitable en raison de causes internes liées à la personnalité de Léon Nicole, au contexte d’interdiction des partis communistes en Suisse et au clivage culturel entre le socialisme romand et le parti central, ce sont le pacte germano-soviétique et plus largement la question bolchévique qui déclenchent la rupture et alimentent la confrontation. Dans les rapports de gestion du PSS, les ennemis nicolistes sont qualifiés de « staliniens »69 tandis qu’André Oltramare résume la campagne du PSG pour les élections législatives fédérales au slogan « la Russie n’est pas la Suisse » en dénonçant le « délire bolcheviste » comme une « maladie infantile. »70 Cinquante ans après la scission, Alexandre Berenstein présente encore le positionnement pro-stalinien de Léon Nicole comme la cause de la division.71

64 BGE, 2001/25, 4. « Il y a 50 ans naissant le parti socialiste. A cause du pacte germano-soviétique », Tribune de Genève, 3 octobre 1989.

65 BGE, 2001/25, 17. Le Peuple, 27 août 1947 ; André Rauber, Histoire du mouvement communiste suisse. Du XIXe siècle à 1943, Genève, Slatkine, 1997, pp. 432-433.

66 Cette proximité militante et idéologique est illustrée par le fait qu’Alexandre Berenstein se charge de l’écriture de l’article rendant hommage à André Oltramare après sa mort dans le quotidien socialiste Le Peuple.

BGE, 2001/25, 17. Le Peuple, 27 août 1947.

67 Les sections fidèles à Nicole se regroupent dans un nouveau parti, la Fédération socialiste suisse, qui restera essentiellement romande, tandis que sont créées à Genève et dans le canton de Vaud de nouvelles sections du PSS. Un organe de presse social-démocrate est créé face au quotidien Le Travail : Le Peuple sort deux fois par semaine de presse à partir du 18 octobre puis devient un quotidien en décembre. BGE, 2001/25, 21. Rapport de gestion pour 1939 du Parti Socialiste Suisse, 1940.

68 BGE, 2013/23.

69 BGE, 2001/25, 21. Rapports de gestion du Parti Socialiste Suisse, 1939-1945.

70 BGE, 2001/25, 17. « Nos ambitions », tribune d’André Oltramare, Le Peuple, 17 octobre 1939.

71 BGE, 2001/25, 4. « Il y a 50 ans naissant le parti socialiste. A cause du pacte germano-soviétique », Tribune de Genève, 3 octobre 1989.

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En raison de son héritage menchevik et de son expérience des grandes déchirures de la gauche, Alexandre Berenstein manifeste une position et une rhétorique anticommuniste caractéristique des sociaux-démocrates de l’entre-deux-guerres. Cet anticommunisme est avant tout un antibolchevisme qui met en avant le caractère antidémocratique et liberticide du régime stalinien. On trouve trace de ce discours antibolchevique dès le début des années 1930. En mai 1931, dans un article de L’Etudiant socialiste, il dénonce le procès qui vient de se terminer à Moscou et qui conduit à la répression de quatorze mencheviks :

Ce procès, par le fait de son horreur même, nous donne aussi une espérance. Il nous permet d’espérer que la vérité sur le régime soviétique finira par apparaitre éclatante à tous les ouvriers de l’Europe occidentale, qui verront où veulent les mener les chefs du bolchevisme. 72

Il construit une rhétorique qui établit un parallèle critique entre les « mensonges » des « dictateurs de Moscou » et l’absence de liberté accordée par les bolchéviques aux socialistes en Russie d’un côté, et la « vérité » du « socialisme » et la liberté accordée aux communistes dans la plupart des pays de l’autre. En 1951, alors qu’il accepte de faire partie du comité de patronage du Congrès mondial des travailleurs intellectuels organisé par la Confédération internationale des syndicats libres à Bruxelles, il appelle à un soutien des travailleurs intellectuels aux travailleurs manuels et critique avec virulence le soutien à l’URSS de certains intellectuels :

Il est navrant de constater que, parmi les travailleurs intellectuels, qui devraient être au premier rang de la lutte pour la démocratie et contre les régimes concentrationnaires, certains – et non des moindres – aient pu être enrôlés sous la bannière du totalitarisme.73

Par l’usage des termes « totalitarisme » et « régime concentrationnaire », il associe sciemment le stalinisme aux régimes fascistes et l’oppose au socialisme et à la démocratie.

On ne retrouve pas la même virulence quand il s’agit de s’opposer politiquement au communisme en dehors de Russie. En fonction des échelles et des contextes, Alexandre Berenstein considère les organisations communistes comme des adversaires politiques ou comme des alliés potentiels dans certains contextes. Au 4e Congrès international des étudiants socialistes à Liège en 1934, il distingue les Etats démocratiques dans lesquels la question du front uni ne se pose selon lui pas et les Etats fascistes dans lesquels il juge la collaboration avec les communistes naturelle.74 À l’échelle internationale, il se prononce pour une collaboration avec les communistes pour certaines causes comme le maintien de la paix et la lutte contre le fascisme mais refuse de se placer « sous

72 BGE, 2001/25, 17. Alexandre Berenstein, « Après le procès de Moscou », L’Etudiant Socialiste, mai 1931.

73 BGE, 2001/25, 4. Lettre d’Alexandre Berenstein à la Confédération internationale des syndicats libres, 10 mars 1951.

74 BGE, 2001/25, 18. Correspondance et documents concernant la FIES.

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l’égide de leurs organisations. »75 Dans tous les cas, il considère le communisme comme une tradition idéologique différente du socialisme, avec laquelle la collaboration ne peut être que circonstancielle.

Cette opposition politique qui peut être suspendue en fonction d’impératifs stratégiques est cependant complétée par du ressentiment à l’égard de certains agissements communistes. À la fin de sa vie, Alexandre Berenstein révèle une certaine rancune vis-à-vis des moyens antisocialistes mobilisés par les communistes. D’une part, il souligne la volonté de division de la rhétorique antisocialiste qui assimile tout réformisme à une trahison de l’idéal révolutionnaire (« social-traîtres ») ou à une collaboration avec le fascisme (« social-fascistes »)76 ; d’autre part, il ne souhaite pas oublier le fait que des socialistes ont été tués par des communistes durant la guerre civile espagnole.77 Par conséquent, Alexandre Berenstein développe une rhétorique spécifiquement antibolchévique et considère le communisme comme un adversaire politique particulier en raison des dégâts qu’il a fait subir au socialisme.

Moïse et Alexandre Berenstein utilisent l’expression « socialisme démocratique » pour définir leur appartenance socialiste et la distinguer du communisme et du socialisme réel. Ils ne se réfèrent jamais à la « réforme » ou à l’épithète « réformiste » qui activent une opposition discursive née au sein de la social-démocratie allemande au tournant du siècle : en réaction à la question de la révision du marxisme posée par le socialiste allemand Eduard Bernstein en 1896-1897, ses adversaires mobilisent jusqu’en 1903 des conceptions et rhétoriques de la « révolution » pour défendre le marxisme orthodoxe.78 En construisant l’antagonisme réforme-révolution, en subordonnant la réforme à la révolution et en impliquant un enjeu d’identité du socialisme, Rosa Luxemburg79 initie une opposition

75 BGE, 2001/25, 18. Lettre d’Alexandre Berenstein à Robert Grimm et au secrétariat du Parti socialiste suisse concernant le Congrès mondial des étudiants contre la guerre et le fascisme organisé à Lyon du 29 au 31 décembre 1934.

76 BGE, 2001/25, 4. « Alexandre Berenstein : la fidélité à soi-même », Tribune socialiste genevoise, n°79, 11 mai 1983. Interrogé sur les grandes déchirures de la gauche durant l’entre-deux-guerres, il répond : « Evidemment les socialistes ont toujours considéré l’action unitaire des travailleurs comme un moyen naturel et nécessaire de leur combat. Mais les traiter de « social-traitres », voire de « social-fascistes », essayer de les noyauter, c’est une bien étrange manière de concevoir l’unité. »

77 BGE, 2001/25, 17. Correspondance avec Albert Utiger concernant l’Association des amis de l’Espagne républicaine, 1996. « En ce qui concerne l’attitude des communistes pendant la guerre d’Espagne, peu m’importe que les militants tués par ces derniers aient été de vrais socialistes ou des trozkistes ; d’ailleurs les socialistes ont toujours été qualifiés par les communistes de « trozkistes » ou même de « social-fascistes ». Ce que je sais, c’est que le fils de notre ami Abramovitch, leader du Parti social-démocrate russe (menchevik), venu combattre en Espagne, a été tué par les communistes. »

78 Eduard Bernstein, «Probleme des Sozialismus», Die Neue Zeit, 1896-1898 ; Emmanuel Jousse, « Du

révisionnisme d’Eduard Bernstein au réformisme d’Albert Thomas (1896-1914) ». Les cahiers Irice, no 2, 2008, pp. 39-43.

79 Militante socialiste de l’aile gauche du Parti social-démocrate allemand qui rallie le communisme après la Première Guerre mondiale.

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