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Jean-François Morot-Gaudry : témoignage

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Academic year: 2021

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To cite this version:

Jean-Francois Morot-Gaudry. Jean-François Morot-Gaudry : témoignage. Archorales : les métiers

de la recherche, témoignages, 13, Editions INRA, 159 p., 2008, Archorales, 978-2-7380-1258-6. �hal-

02824559�

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Pour commencer je voudrais vous demander ce qui a été important pour vous. Selon deux volets scientifique et organisationnel compte tenu de vos fonctions de chef de département. Commençons par le volet scientifique.

En biologie végétale, qu’avez-vous vu évoluer d’important ? Quand j’ai fait mes études supérieures à l’université de Dijon, j’étais très intéressé par la biochimie et par les approches méta- boliques, en particulier par la photosynthèse. C’était dans les années 1964-1965, période des nouvelles découvertes sur le cycle de Calvin et autres voies métaboliques. À l’époque, cela paraissait vraiment extraordinaire de pouvoir suivre, grâce aux isotopes radioactifs de longue durée 14 C, comment le carbone du 14 CO 2 était incorporé et métabolisé par les plantes, les feuilles plus particulièrement, et retrouvé dans les sucres, les acides aminés, les lipides et ensuite dans tous les composés organiques végétaux. Ces approches très biochimiques, méta- boliques utilisant le marquage par les isotopes faisaient suite aux premières découvertes fondamentales sur le métabolisme (glycolyse, cycle de Krebs) développées juste avant-guerre.

On ne connaissait pas encore les enzymes ?

Les enzymes étaient connues depuis des lustres. On appelait cela les diastases, les ferments... Toutefois, l’enseignement de biologie jusqu’aux années 1960 concernait surtout des appro- ches descriptives de botanique et de zoologie. Dans les univer- sités de province, la biochimie et la biologie cellulaire étaient encore très peu enseignées. J’ai eu la chance de rencontrer à Dijon un professeur qui s’appelait Christian Baron, un jeune normalien qui venait d’introduire la biochimie en biologie. Son enseignement était au début des années 60 optionnel et est

devenu après la réforme de 1967, la fameuse réforme Fouchet, obligatoire quand on suivait des études de physiologie et de biochimie.

Si l’enseignement de la biochimie et de la biologie cellulaire était encore peu développé en France, en Angleterre l’enseigne- ment de ces disciplines était de tout premier ordre, voire de meilleure qualité qu’aux États-Unis. L’Allemagne qui avait été l’un des pionniers de la chimie et de la biochimie avant-guerre se remettait de ses cendres et rencontrait également des diffi- cultés à rattraper son retard. Beaucoup de savants allemands d’origine juive avaient d’ailleurs émigré soit en Angleterre, soit aux États-Unis.

D’où votre intérêt pour la photosynthèse ?

La photosynthèse a été mise en évidence dans les années 1780-1800. Il a fallu attendre les années 1930 (van Niel, Wurmser, Hill) pour avoir les premières informations d’ordre chi- mique et physique (oxydo-réduction, spectroscopie...). Les pre- miers résultats biochimiques sur la voie d’assimilation du car- bone photosynthétique, issu du CO 2 , ont été obtenus juste après-guerre, par l’équipe américaine de MM Calvin, Basham et Benson, installée dans les labos laissés vides par l’armée amé- ricaine travaillant sur le nucléaire pour réaliser la bombe ato- mique en Californie, Berkeley notamment. Outre l’acquisition des locaux, ces chercheurs ont eu la possibilité d’obtenir un tra- ceur radioactif du carbone, de longue durée de vie, le 14 C que l’on pouvait fabriquer aisément à la suite des recherches sur le nucléaire. Cela permettait de faire de la biologie dans des conditions de sécurité à peu près correctes et de suivre l’évolu-

tion du carbone assimilé par photosynthèse dans toutes les 69

Jean-François Morot-Gaudry

Travaux sur la nutrition azotée du soja avec S. Chaillou (Prof. Agro).

États-Unis, 1992.

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molécules organiques. C’était très nouveau en biologie, le 14 C devenait un outil inestimable pour mettre en évidence les voies métaboliques.

Vous avez commencé par faire des études littéraires ? J’ai commencé assez tardivement mes études de biologie pour de nombreuses raisons. J’ai fait des études primaires à l’école de mon village, Glanon, en Bourgogne, dans le Val de Saône, près de Nuits-St-Georges et Cîteaux. Ensuite, pour des raisons de santé, j’ai fait des études secondaires dans un pension- nat religieux dans le nord de la Bourgogne après avoir réussi l’examen des bourses en 1955. J’étais boursier de la Répu- blique et l’ai été jusqu’à mon entrée à l’INRA. J’ai même conservé ces bourses à l’époque où le gouvernement de Guy Mollet les avait supprimées pour les instituts privés. Comme j’étais dans un collège renommé pour le niveau de l’enseigne- ment en particulier littéraire, j’ai eu la chance de conserver ce financement sans lequel je n’aurais jamais pu poursuivre mes études secondaires et par la suite supérieures. J’ai réalisé des études classiques de latin, de grec et d’allemand. Honnê- tement, j’étais plus passionné par les maths et la physique que par le grec. Par la suite, j’ai même suivi pendant deux ans un enseignement de philosophie qui m’a beaucoup apporté intel- lectuellement. Entre-temps, j’ai été malade. J’étais de santé fra- gile, comme on disait à cette époque. On me croyait tubercu- leux ou leucémique. J’attrapais tous les microbes qui couraient par la campagne. En conséquence, j’ai commencé la fac de Sciences à 21 ans donc relativement âgé. Cela a été un choc de passer du littéraire aux sciences. Du coup, j’ai suivi les cours de Sciences physiques, chimiques et naturelles (SPCN). Je préférais la physique mais je ne pouvais pas m’aventurer dans ce seul domaine car j’avais d’énormes lacunes en maths. Après avoir suivi l’enseignement de sciences naturelles classique, j’ai choisi l’option de biochimie métabolique parce que je voulais com- prendre les mécanismes du vivant.

Vos parents eux-mêmes étaient...

Mon père était pâtissier dans un petit bourg de Bourgogne, Nolay, patrie des Carnot. Mes parents se sont séparés quand j’avais 6 ans. Je me suis retrouvé avec ma mère et toute la famille chez mes grands-parents maternels qui étaient agricul- teurs. Ils nous ont élevés à un âge où ils auraient dû profiter d’une retraite bien méritée. Ils tenaient une petite ferme de polyculture en Bourgogne. De plus, j’avais un oncle pépiniéris- te. De ce fait, j’ai toujours vécu dans un milieu de petite agricul- ture, jardin, vergers et pépinières.

Il n’y avait pas d’animaux ?

Il y avait des vaches à la ferme mais ce n’était pas de gros trou- peaux. Du côté de mon père, c’est une vieille famille morvan- delle qui a toujours été dans l’alimentation. Les Morot-Gaudry vers 1850, peut-être même avant, étaient de tradition meuniers dans le Morvan à côté de Château-Chinon. Mon grand-père Morot-Gaudry ne pouvant pas reprendre le moulin, était deve- nu pâtissier. Il avait fait le tour de France à la fin du XIX

e

siècle, vers 1900 grosso modo, comme compagnon. Du côté de ma famille maternelle, il y avait surtout des agriculteurs, des petits

vignerons et des artisans. Depuis les années 1850, beaucoup des membres de la famille avaient quitté le Morvan ou la plai- ne de Saône pour aller faire fortune, ou tout simplement trou- ver du travail, à Paris ou à Lyon. Sous Napoléon III et la Troisième République, ils ont eu la chance de changer de statut social, en devenant soit militaires, soit instituteurs.Voilà en gros les métiers que l’on pouvait faire quand on sortait du peuple.

J’avais même, du côté de mon père, un cousin qui était devenu professeur à Saint-Louis. Faire des études était considéré des deux côtés de ma famille comme de première importance.

L’instruction permettait de gagner plus aisément sa vie et d’ac- quérir un certain statut social et une liberté de pensée. Mon père et ma mère qui avaient fait très peu d’études étaient convaincus de cela.

Vous étiez le seul enfant ?

Non. J’ai un frère et deux sœurs jumelles. Nous som- mes quatre. Je suis l’aîné.

Mon père était très intellec- tuel, à la limite plus que moi ; il était très intéressé par la physique et en parti- culier par les recherches menées par les Curie sur le nucléaire. Malheureusement, après des études à l’école primaire du bourg et au collège chez les frères à Chagny avec le fameux écrivain de la SNCF, Vincenot, mon père avait repris logiquement la suite de mon grand-père et était devenu pâtissier confiseur. Avant-guerre, on n’avait pas la chance ou le choix de faire des études comme on aurait pu le souhaiter. J’ai donc été plus chanceux d’être d’une généra- tion d’après-guerre qui a bénéficié des bourses d’État, impor- tantes à l’époque. Elles payaient entièrement les pensions. Mes sœurs, qui ont cinq ans de moins que moi, ont obtenu aussi des bourses mais toujours du même montant alors que les frais de pension avaient augmenté entre-temps.

La pension loin de sa famille était terrible pour un enfant, non ?

Vu de maintenant cela pourrait paraître le bagne mais c’était un mode de formation extrêmement efficace. Sortant de la campa- gne, nous étions habitués à supporter des contraintes. De fait, la discipline du pensionnat ne m’a pas trop coûté. De plus, je suis assez discipliné de nature et puis à cette époque d’après- guerre on ne voyait pas les choses comme maintenant. Comme beaucoup de mes jeunes collègues, je sortais d’un milieu sim- ple et le fait de pouvoir faire des études, accéder au savoir, nous faisait accepter tous les sacrifices demandés. Donc, nous nous pliions bon gré mal gré à la discipline générale. Oui, c’était assez rude et très militaire. Heureusement, nous faisions beau- coup de sport, ce qui permettait une certaine décompression.

En pension, j’ai appris à travailler bien et vite. Pensez qu’à la petite étude du matin, en 25 minutes nous devions apprendre par cœur environ 12 vers de Corneille ou Racine, voir deux leçons de grammaires latine et grecque, avaler 10 verbes irré- guliers grecs et ingurgiter deux versets en latin des évangiles ou épîtres (en grec si nous le souhaitions). À un tel rythme, nous faisions des progrès. Cependant, si nous possédions les gram-

Glanon, 1950.

Jean-François

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maires latine, grecque et allemande parfaitement, quasiment dès la 4

ème

(nous commencions le grec en début de cinquième), nous avions de grandes lacunes en vocabulaire et souvent, au lieu de faire appel à notre mémoire et de réfléchir un peu, nous cherchions désespérément dans le Gaffiot ou le Bailly des expressions toutes traduites. Nous passions notre temps à faire des grammaires comparées. Nothing is perfect !

N’y-t-il pas eu un décalage lorsque vous êtes allé à la fac ? Non, pas trop. Finalement, je me retrouvais avec beaucoup de jeunes de milieux relativement simples. Il y avait en particulier beaucoup d’instituteurs qui souhaitaient changer de statut.

C’était dans les années 1960, le développement des collèges - que l’on appelait cours complémentaires - et des lycées, demandait beaucoup de professeurs. On a donc incité les insti- tuteurs à changer de métier et à prendre du galon, à condition de compléter leurs études. Ceux qui le souhaitaient et qui étaient de bon niveau intellectuel pouvaient aller à la fac, pré- parer une licence afin de devenir professeurs des collèges ou des lycées après préparation de l’agrégation pour les plus doués. À la fac, je me suis trouvé dans un bon cru, plusieurs col- lègues sont sortis agrégés et plusieurs ont intégré l’INRA de Dijon. Je ne suis pas le seul. Nous sommes assez nombreux à avoir relativement réussi comme on disait à la campagne.

Quels sont les gens de votre promo qui sont à l’INRA maintenant ?

Il y avait Jacques Gasquez qui est à Dijon, et Ferdinand Cabanne. Il y a au moins ces deux-là mais je sais qu’il y en a eu d’autres.

Après cette école religieuse ?

J’y suis resté jusqu’au bac puis j’ai suivi un enseignement de philosophie pendant deux ans et ensuite j’ai intégré la fac de Sciences à Dijon.

Vous avez eu envie de faire de la philosophie ?

J’avais obtenu un bac philo et donc j’ai continué logiquement dans la même voie. À dire vrai, j’ai plus apprécié la philosophie

universitaire que la philosophie de terminale. Cet enseignement m’a ouvert l’esprit. J’ai eu beaucoup de satisfaction à me pro- mener dans l’histoire de la philosophie et y rencontrer les grands esprits responsables des principaux mouvements de pensée des cinq derniers siècles. J’ai beaucoup apprécié la phi- losophie allemande et l’existentialisme. C’est vrai que j’ai perdu en théorie deux années mais à l’époque on pouvait s’octroyer ce luxe ; ce qui est plus difficile maintenant.

Cela vous a donné le temps de mûrir ?

Je pense que cela m’a donné plus de réflexion et plus de cultu- re littéraire et philosophique, que je n’ai malheureusement pas tellement entretenues depuis. J’ai acquis de bonnes bases sur l’histoire de la philosophie, ce qui n’est pas inutile dans la vie.

J’ai été élevé dans la bonne tradition chrétienne de province et quand je suis arrivé à la fac à Dijon, il y avait ce qu’on appelle la Catho qui tenait une place extrêmement importante sur le campus universitaire. La paroisse catholique de l’université ras- semblait tous les étudiants chrétiens qui à l’époque étaient très

Ferme à Glanon, 1962.

Réparation du tombereau.

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nombreux (plusieurs centaines). On y trouvait également des non chrétiens, des étudiants engagés dans l’action sociale comme les étudiants communistes. Tout ce petit peuple se retrouvait une fois par semaine, le mercredi midi je crois, pour assister à une messe pour les croyants et pour partager un repas commun pour les croyants et les non croyants. Nous étions persuadés que par nos études et notre engagement dans l’action sociale, nous allions changer radicalement la société et aboutir à un monde meilleur. C’était quelques années avant 1968, époque où il y avait beaucoup d’espoir. Donc, cela faisait une espèce de melting-pot dans ces rencontres d’étudiants de formation et d’éducation assez différentes. C’était l’époque post-conciliaire où l’on parlait beaucoup d’œcuménisme.

Je me suis retrouvé très vite embrigadé non seulement dans la paroisse étudiante mais également à l’UNEF par Claude Alabouvette, devenu depuis directeur de recherche à l’INRA.

J’ai même fait partie du bureau de l’UNEF pendant trois ou quatre ans avec le fameux Jacques Sauvageot qui sortait des mêmes écoles que moi. C’était la grande époque où l’on croyait à une humanité meilleure, où Catho, P.C. et autres étaient unis.

C’était assez utopique mais extraordinaire, plein d’espoir.

Grâce à l’UNEF, la Catho et autres pressions, je suis parti ensei- gner en Kabylie. Je suis allé en particulier pendant l’été 1967 à Tizi-Ouzou donner des cours de soutien scolaire à des élèves des collèges. J’y ai connu ma femme Yvette, une Bretonne, qui finissait ses études de physiologie animale à Orsay et venait aussi par la Catho et “Études et Chantiers” faire de l’enseigne- ment à Tizi-Ouzou. Ces organisations étaient chrétiennes de gauche, si l’on peut dire. Nous étions logés chez les Pères blancs et les Sœurs blanches. Là, nous faisions pendant les vacances, des cours de rattrapage pour des élèves de 5

ème

, 4

ème

et 3

ème

.

Après mai 68, j’ai été embrigadé dans l’armée. Pour obtenir un sursis, il fallait faire obligatoirement la préparation militaire.

Comme en pension, nous faisions beaucoup de sport et que j’avais été élevé comme beaucoup d’entre nous dans la discipli- ne, j’ai eu sans problème cet examen militaire. J’ai évité l’Algérie et ce n’était pas rien. Je suis parti au service militaire dans l’artillerie début novembre 1968. C’est une tradition fami- liale, tous les Morot-Gaudry sont artilleurs depuis le grand-père.

Comme j’avais fait la préparation militaire, j’ai eu le choix fin 1968, à l’expiration de mon sursis, d’être incorporé soit à Montbéliard, soit à Nevers, soit à Nîmes. Début novembre, vu les conditions climatiques, je me suis dit que Nîmes serait peut- être mieux que les casernes de l’est ou du centre. Je suis donc parti à Nîmes faire ce que l’on appelait “les classes”. Après quatre mois, je me suis retrouvé dans un régiment d’artillerie anti-aérienne lié à une école d’artilleurs. Je suis resté dans cette caserne de novembre à avril. Je me suis également occupé à Nîmes de la paroisse protestante qui semblait plus sympathique que l’aumônerie catholique. J’ai visité ainsi les Cévennes avec le Pasteur qui m’a fait connaître la vie des Huguenots à une période difficile et peu reluisante de la France.

Un jour d’avril, alors que je montais la garde, est arrivé un télé- gramme “secret défense” selon lequel j’étais muté d’urgence dans un laboratoire de la Marine qui travaillait sur le nucléaire à Cherbourg, l’École d’Application Militaire à l’Énergie Atomi- que (EAMEA). C’était l’époque où l’on lançait le Redoutable, le premier sous-marin nucléaire. Je n’ai jamais connu la raison exacte de ce changement. Je pense que la Marine avait besoin

d’un chimiste. J’avais un frère qui avait travaillé au CEA et son dossier a dû attirer l’attention des services de renseignement et de sécurité militaire ; c’est une simple supposition. Donc je me suis retrouvé du jour au lendemain muté à Cherbourg. J’y suis resté un an, dans une caserne qui existe toujours d’ailleurs, près de la base de construction des sous-marins nucléaires. Cette caserne dépendait à la fois de l’armée et de la partie militaire du CEA. Là, nous étions une dizaine de chimistes, bénéficiant d’un matériel époustouflant à l’époque. Nous faisions des mesures de radioactivité naturelle pour savoir si les côtes fran- çaises étaient polluées ou non par les déchets de La Hague et surtout par ceux des Anglais, qui à l’époque déversaient sans scrupules tous leurs résidus radioactifs dans la Manche. Les courants les amenaient à Cherbourg.

Pendant un an, j’ai fait de la spectrométrie gamma, pour rechercher le césium, le strontium et d’autres éléments radioac- tifs provenant des essais nucléaires dans les produits vivants et alimentaires. C’était en Occident la fin des essais atmosphé- riques mais les Chinois les pratiquaient encore ; ce qui permet- tait aux techniciens du laboratoire, après analyse des poussiè- res atmosphériques, de déterminer la puissance et toutes les caractéristiques des bombes chinoises. J’ai fait de la radiopro- tection pendant un an dans un laboratoire assez sympathique avec des collègues essentiellement issus de l’université de Caen que j’ai retrouvés après ma libération en région parisienne.

Nous sommes restés amis jusqu’à l’heure actuelle. Cette expé- rience de chimiste a été très enrichissante. Nous recherchions les éléments radioactifs issus des expérimentations nucléaires dans les algues, les poissons, le sable, le lait... C’était une recherche intéressante, très originale à l’époque. Nous avions un matériel extraordinaire mais il y avait des querelles et des jalousies entre les officiers au sujet des plans de recherche ; ce qui a compromis l’efficacité et la qualité de notre travail.

Ce passage dans les laboratoires de la Marine a été pour moi une promotion extraordinaire. Vers la fin des années 60, cela faisait très bien de travailler dans un laboratoire de la Marine sur la radioactivité. Ensuite, le confort n’était pas le même dans la Marine que dans l’armée de terre. Le confort de la Marine était très remarquable alors que celui de l’armée de terre était déplorable.

À l’armée, j’ai terminé ma maîtrise de biologie végétale. En effet, je me suis retrouvé à l’automne 1968 avec l’équivalent de l’ancienne licence, que j’ai dû transformer en maîtrise. Il me manquait une partie d’enseignement pour l’obtenir. Étant d’a- bord incorporé à Nîmes, je me suis inscrit à l’université de Montpellier pour terminer ma maîtrise. Entre-temps j’ai été muté à Cherbourg ; ce qui compliquait la situation. J’ai donc préparé la maîtrise à l’armée, ce qui n’était pas simple. J’ai tra- vaillé beaucoup à cette époque l’écophysiologie. J’ai eu la chan- ce de rencontrer des techniciens de la Marine qui travaillaient en météorologie et me donnaient d’excellents documents et un minimum d’instruction dans cette discipline. J’ai passé brillam- ment un certificat de biologie et d’écologie végétales à Montpellier, tout en étant à Cherbourg et en ayant eu une mononucléose carabinée. Durant les examens à Montpellier, je ne mangeais strictement rien et je me nourrissais exclusivement d’ampoules de fortifiants. J’étais très pugnace et cette expérien- ce difficile m’a renforcé dans ma détermination.

Quand j’étais à Cherbourg, je revenais régulièrement dans ma

famille en Bourgogne. Paris était sur le trajet Cherbourg-Dijon.

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J’en ai profité pour reprendre contact avec Yvette que j’avais un peu perdue de vue au cours des événements de mai 68.

À la fin de mon service militaire à Cherbourg, je me suis inscrit au DEA de Biologie végétale dirigé par le professeur Alexis Moïse. C’était un DEA très renommé dans la nouvelle universi- té d’Orsay, très orienté sur le métabolisme, la photosynthèse et les premières approches moléculaires chez les plantes. Y ensei- gnaient notamment Marie-Louise Champigny, M. Lioret, Robert Bourdu et Claude Costes, professeur de Biochimie à l’Agro qui donnait d’excellents cours sur les méthodes de marquage par les isotopes et la structure des biomembranes. Cela m’a plu tout de suite. J’ai commencé mon DEA en finissant l’armée.

J’avais acquis une certaine expérience à travailler dans le milieu militaire. Toutefois, je ne pouvais pas suivre les cours et je ne pouvais obtenir des permissions que pour effectuer une partie des travaux pratiques de biologie cellulaire. Dans ces conditions particulières, les collègues du DEA m’enregistraient les cours que ma future femme me renvoyait en les retranscrivant en par- tie sous forme écrite. Je reprenais ces cours le soir au mess, après la journée militaire, et les remettais en forme. Cela n’était pas facile car l’ambiance de la caserne n’était pas très favora- ble au travail. Malgré cela, j’ai passé avec succès le DEA à Orsay en 69 après avoir été libéré des obligations militaires.

Après mon DEA, je n’avais pas de travail et je ne savais pas trop où aller. J’avais réalisé mon stage pratique de DEA à Besançon chez J. Dubouchet, un professeur de Dijon, qui avait été muté entre-temps en Franche-Comté, et un ancien élève du fameux professeur de Lausanne, Pillet, spécialiste reconnu de l’auxine.

Après quelques mois de travail, j’ai vu très vite que ce n’était pas ma voie. Je suis revenu en région parisienne. Moïse m’a dit : “Vous devriez aller voir à l’INRA de Versailles. Il y a peut- être des endroits où vous pourriez travailler”. J’ai été aidé éga- lement par le patron d’Yvette, le professeur Busnel de l’INRA de Jouy-en-Josas qui connaissait très bien l’Institut. Il m’a conseillé de faire le tour des laboratoires de biologie végétale de l’INRA de Versailles. J’ai rencontré Georges Morel, chercheur très impressionnant, Jacques Mossé, Yves Coïc et Eugène Jolivet.

J’ai eu des pressions très fortes de la part de Moïse et de Mossé pour travailler chez Jolivet qui souhaitait développer des appro- ches de photosynthèse sur différents génotypes de maïs. Le pro- fesseur Moïse était très connu à l’époque dans le monde de la biologie végétale et particulièrement influent dans les Commis- sions CNRS. En octobre 69, après mon mariage avec Yvette, j’ai obtenu un poste au CNRS, pour travailler à Versailles sur le sujet proposé par Jolivet. Je crois également que mon dossier CNRS avait été apprécié par Claude Martin et Gustave Drouineau, chercheurs INRA très estimés également dans les milieux de la recherche.

Dans votre travail scientifique, qu’avez-vous trouvé de plus marquant ? Qu’est-ce qui vous a apporté satisfaction ?

Je me suis retrouvé fin 1970 à l’INRA de Versailles, au labora- toire du métabolisme, dirigé par Eugène Jolivet. C’était la gran- de époque de la Science du sol (Hénin, Chaussidon, Mamy...) et des agronomes physiologistes, Eugène Jolivet, Yves Coïc. Les labos étaient très liés à la profession, aussi bien à la grande cul- ture qu’à l’horticulture pour la nutrition minérale hors sol par exemple. En revanche Georges Morel et Jacques Mossé me-

naient des recherches en biolo- gie plus fondamentales. Morel développait des recherches de pointe sur les protoplastes avec de jeunes chercheurs de ma génération, Yves Chupeau et Jean-Pierre Bourgin. J. Mossé et Baudet étaient les spécialistes des protéines des graines.

Venant du CNRS, j’ai eu un peu de mal à m’adapter à Versailles.

On m’a chargé de la photosyn- thèse et cela tombait bien parce que c’était un peu mon dada. Je suis resté cinq ans en tant que CNRS à Versailles chez Jolivet.

E. Jolivet était un vrai agronome issu de l’Agro très lié à la pro- fession. En particulier, il s’occupait beaucoup de l’endive. C’était la période où l’INRA avait pris en charge le problème de la cul- ture de la chicorée et du forçage de sa racine pour obtenir le chicon, l’endive du commerce. La chicorée est cultivée en plein champ comme la betterave. On récolte les racines et on les force à l’obscurité pendant trois semaines pour obtenir le déve- loppement d’un bourgeon de feuilles jaunes pâles, le chicon d’endive. En 1970, le forçage se réalisait à l’extérieur, sur du fumier, les racines étant recouvertes de paille et de terre. Au bout de quelques semaines, on déterre les cultures pour récu- pérer les chicons d’endive développés exclusivement sur les réserves des racines.

L’INRA et les Instituts techniques comme le CTIFL ont voulu changer tout cela et mettre au point des techniques plus modernes, plus reproductibles et moins fastidieuses. En effet, récolter les chicons de chicorée à l’extérieur dans le nord de la France en hiver n’est pas une sinécure. Les chercheurs, ingé- nieurs et techniciens versaillais ont beaucoup œuvré dans ce domaine. Deconninck, ingénieur CTIFL, basé à Versailles, Mme Christiane Lesaint, la collaboratrice de Yves Coïc, ont mis au point les systèmes de forçage hors sol des racines de chicorée dans des sortes de poubelles avec un minimum de solution nutritive, adaptée pour le forçage de l’endive. L’équipe d’Hubert Bannerot de la station d’amélioration des plantes de Versailles a recherché de nouveaux génotypes de chicorée plus confor- mes avec ce type de forçage. E. Jolivet, qui s’occupait de nutri- tion minérale et du métabolisme, s’est intéressé à la physiolo- gie de la racine de chicorée. Les racines tubérisées de chicorée sont récoltées en octobre comme les betteraves. On les conser- ve en chambres froides à 2-4 °C pendant tout l’hiver. À date souhaitée, on les retire des chambres froides et on les place en forçage dans des pièces ou abris obscurs pendant trois semai- nes, à 18-20 °C, la base plongeant dans la solution nutritive, pour obtenir les chicons d’endive. Cependant, on peut rencon- trer des déboires. Pour obtenir un produit de qualité, il faut tenir compte de l’état physiologique de la racine, de l’état de ses réserves qui déterminent la qualité du chicon. Jolivet travaillait alors avec Vincent Fiala, un chercheur tchèque qui avait fui le régime communiste. Après avoir réalisé une approche de phy- siologie biochimique de l’état des réserves, en particulier des sucres (fructanes, polymères de fructoses) et des acides aminés, ils ont mis au point un test assez simple, le test d’oxydoréduc- tion, qui permet de suivre l’état physiologique global de la raci-

Versailles, 1974.

Expériences de marquage des maïs par

14

CO

2

.

73

(7)

ne d’endive et de déterminer à quel moment elle est apte à être mise au forçage. Ce test amélioré par Sylvie Wuillème et Mme Nicol au laboratoire a été très largement utilisé après par la pro- fession. Cela a permis de déterminer avec précision l’état physiologique de la racine d’endive et d’aboutir à de très beaux produits de forçage par la suite.

En début des années 1990, Vincent Fiala, Anis Limami et moi- même, avons continué les recherches sur la chicorée. En parti- culier nous avons essayé d’améliorer nos connaissances sur la physiologie de la racine et l’état de ses réserves, de manière à utiliser moins de nitrate lors du forçage, dans le but de réduire la pollution des nappes phréatiques en hiver. Il faut faire remarquer qu’un forçage des racines uniquement par l’eau n’aboutit à rien de bon. Seul un forçage en présence de solu- tion nutritive riche en nitrate amène à de bons résultats. Si le nitrate favorise la qualité du produit formé, il ne s’accumule pas dans le chicon.

Nous avons mené également, en relation avec les collègues de Génétique et d’Amélioration des Plantes, des approches de génétique moléculaire, recherchant des QTL liés à l’azote, au carbone et à la qualité du chicon d’endive. Tous ces résultats ont été exploités par la Fédération Nationale des Producteurs d’Endives (FNPE). En vingt ans, grosso modo, l’INRA de Versail- les en collaboration avec la FNPE et le CTIFL, par des approches génétiques, physiologiques et technologiques, a permis à la France d’être le premier producteur d’endives. Ces techniques ont été utilisées par les collègues belges et hollandais. Pour l’instant, ces recherches sont un peu au point mort. Le système de forçage hors sol est au point et permet de travailler dans des conditions acceptables. Il y a toujours quelques forçages de type traditionnel au champ mais cette technique de travail est très minoritaire par rapport au forçage hors sol ; il correspond à une demande de type culture biologique.

Y a-t-il des différences entre celles qui sont forcées et les autres ?

L’endive est quelque chose d’assez simple. Le chicon, c’est 95%

d’eau. Il contient quelques sucres polymérisés, de la cellulose par exemple, des acides aminés et quelques vitamines. Il renfer- me également des composés favorables au développement de bactéries intéressantes pour notre intestin. L’endive remplace la salade dans le nord de la France et de l’Europe, elle n’apporte que des fibres, quelques vitamines et de l’eau et quasiment rien au niveau énergétique ; c’est un excellent produit diététique.

Y a-t-il une différence de goût ?

Honnêtement, à mon avis, il n’y a pas beaucoup de différence de goût entre des endives traditionnelles, forcées sur du fumier au champ et les endives cultivées hors sol. Je respecte toutefois les personnes qui souhaitent des endives forcées sur du fumier en extérieur, le coût en étant plus élevé. La culture d’endives hors sol est plus aisée et plus régulière en qualité, les conditions de forçage étant mieux maîtrisées.

L’amertume, par exemple ?

L’amertume a été supprimée de la chicorée par voie génétique.

Quand j’étais gamin, on cultivait des endives de type ancien en Bourgogne dans les caves. Plus personne ne voudrait consom- mer ce type d’endive qui était extrêmement amer. On a sélec- tionné maintenant des génotypes peu amers plus acceptables par le public des villes. Certains le regrettent ; on pourrait remet- tre de l’amertume dans les nouvelles variétés, mais apparem- ment ce n’est pas à l’ordre du jour. On recherche plutôt des chicons d’endive colorés comme l’endivia. Dans tous les cas, ces nouvelles techniques de production d’endives permettent d’avoir un produit peu cher, de qualité, sur une grande partie de l’année, d’octobre à mai. On peut même en obtenir l’été puisque l’on peut garder les racines au froid mais ce n’est pas très intéressant, la concurrence des salades étant trop forte. La chicorée est une plante qui s’est extrêmement bien prêtée à ce type de forçage hors sol, en abris couverts.

Ce qui est intéressant dans cette recherche sur l’endive, c’est une triple approche. Il y a, à la fois, améliorer les conditions de travail difficiles des gens qui les cultivent...

C’était la chose essentielle. Ce travail est devenu beaucoup moins pénible et permet de contrôler la qualité du produit.

Ensuite économiser des nitrates et puis accroître la durée de production

La culture de l’endive est très bien maîtrisée même s’il reste encore certains problèmes à résoudre dont les pathologies. Les chercheurs de Versailles s’en sont occupés il y a une quinzaine d’années. Pour réduire ces problèmes, il faut veiller à ce que la teneur en azote des chicons ne soit pas trop élevée. Un força- ge réalisé avec beaucoup d’azote favorise généralement le développement de bactéries pathogènes qui risque de gâcher irrémédiablement la qualité des chicons, les rendant invenda- bles.

Photo :©INRA - Jean Weber

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Des chercheurs du département INRA de Technologie d’Avi- gnon se sont intéressés également à l’emballage des endives sur les marchés, cherchant à mettre au point des sacs qui lais- sent passer le moins de lumière possible afin d’éviter le verdis- sement des chicons, tout en gardant le produit visible, sinon les clients s’en désintéressent. Ils ont mis au point, je crois, des compositions d’atmosphère dans les sachets d’endives favori- sant leur conservation.

La recherche sur l’endive est délaissée maintenant à l’INRA. Elle est passée exclusivement aux mains de la Fédération des Pro- ducteurs d’Endives qui gardent des collaborations avec quel- ques laboratoires universitaires (Lille et Angers). De plus, on observe de fortes concentrations de producteurs dans le nord de la France. Il ne subsiste actuellement que quelques dizaines de gros producteurs de racines et quelques spécialistes du for- çage. La culture d’endive est devenue très industrielle. On peut le regretter mais elle est nettement moins pénible qu’autrefois et aboutit à un produit de bonne qualité avec un minimum de pollution de l’environnement. De plus, ces industriels ont formé un personnel capable de résoudre tous les problèmes tech- niques posés par la culture et le forçage de la chicorée.

Cela veut dire que maintenant les méthodes sont au point ? C’est une méthode qui est dans les mains de gros industriels du nord de la France. Signalons également qu’en collaboration avec la FNPE, nous avons réalisé quatre ou cinq thèses au moins, cofinancées, sur la biologie de la chicorée. De plus, pen- dant plus de dix ans, la FNPE a mis à ma disposition à l’INRA de Versailles un chercheur à temps complet,Anis Limami. Cette collaboration entre INRA et FNPE a été extrêmement étroite, un modèle du genre. Depuis, ce chercheur a été nommé professeur de physiologie à l’université d’Angers et continue à développer des approches fondamentales sur la génétique de la chicorée.

Vous avez travaillé sur d’autres sujets ? Le maïs ?

Comme j’étais CNRS, je devais faire une thèse ; ce qui n’était pas une obligation à l’INRA au début des années 1970. On m’a confié un sujet qui était l’étude de la photosynthèse chez un maïs normal et un maïs mutant appelé “opaque 2”. Ce maïs donnait des grains très riches en lysine et en tryptophane, deux acides aminés essentiels peu abondants chez le maïs normal.

Les gens qui se nourrissent exclusivement de maïs, en particu- lier les enfants dans les Andes, rencontrent des problèmes ali- mentaires. Le manque de lysine et de tryptophane peut provo- quer des désordres de croissance graves. Donc il fallait trouver un maïs qui puisse donner tous les acides aminés indispensa- bles à la croissance et au développement des humains ; ce qu’offrait le maïs opaque 2. Cependant, ce maïs avait un ren- dement beaucoup plus faible que le maïs normal et donc il était économiquement moins rentable. C’était l’époque où un géné- ticien américain N. Borlaug mettait au point ses blés rustiques et nains en Inde ; ce qui lui a valu le prix Nobel en 1970 et sa nomination comme père de la révolution verte. C’était une période idéaliste où l’on essayait de trouver des solutions im- médiates à la faim dans le monde. Après ces dernières décou- vertes, on espérait obtenir par les techniques de génétique des maïs équilibrés en acides aminés et nourrir ainsi correctement

tous les peuples d’Amérique latine gros consommateurs de maïs.

De plus, vers les années 1965-70, on venait de découvrir les dif- férents types de photosynthèse, celle des plantes que l’on appe- lait C3 et celle des plantes C4. Mes patrons, J. Mossé et E.

Jolivet, avaient pensé très naïvement que le maïs opaque 2 qui ne présentait pas une bonne croissance et un bon rendement, devait être de type C3, alors que le maïs normal qui croissait mieux était de type C4. Ils m’ont suggéré vivement de m’atta- quer à ce problème et de comparer les types de photosynthèse chez le maïs normal et mutant. Les différences que je devais observer au niveau du métabolisme photosynthétique devaient rendre compte de la moindre croissance et de la moindre pro- duction du maïs mutant opaque 2 par rapport au maïs normal.

Les premières expérimentations faites sur ces maïs, dans des conditions peu rigoureuses, il est vrai, semblaient conforter cette hypothèse.

On m’a donc chargé de la photosynthèse. Cependant avant de commencer les approches physiologiques et métaboliques sur le maïs, j’ai développé des outils de chromatographie permet- tant de séparer et d’identifier les composés de la photosynthè- se. Parallèlement j’ai commencé la mise au point de techniques de marquage et de suivi de la radioactivité dans les assimilats photosynthétiques marqués par le 14 C. J’ai perfectionné les techniques de chromatographie en introduisant les techniques de chromatographie haute pression, HPLC aujourd’hui. J’ai été aidé en cela par J.-C. Huet, un ingénieur du laboratoire de J. Mossé et spécialiste de la chromatographie des acides ami- nés, technique qui faisait la renommée de ce laboratoire. J’ai mis au point des techniques de séparation des acides orga- niques indispensables pour mes recherches en biologie végéta- le. J’avais publié en français les résultats de mes premiers tra- vaux dans un journal international de chromatographie,Journal of Chromatography. On publiait encore en français et en alle- mand au début des années 1970 dans les revues internationa- les. Puis à partir de 1973, j’ai osé publier en anglais, alors que je ne pratiquais pas cette langue. Ces publications en anglais m’avaient valu d’ailleurs les reproches de mon patron qui m’ac- cusait de me déculotter devant les Anglo-Saxons. Ces papiers étaient très techniques et intéressaient les pharmaciens et les médecins pour les analyses d’urine et de sang. De plus, vers les années 1970 les photocopies n’étaient pas toujours aisées à

Eugène Jolivet et mademoiselle Leconte, 1978.

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réaliser et en conséquence j’ai eu d’importantes demandes de tirés à part (plus de 600 pour un article). J’avais crevé les pla- fonds des demandes avec ces articles techniques que j’ai publiés entre les années 73, 75, 76 sur la chromatographie des acides organiques ; ce qui rendait un peu jaloux certains de mes collègues et même mon patron.

J’ai commencé à travailler sur le maïs normal et opaque 2. J’ai pataugé si l’on peut dire pendant trois ans, jusqu’au jour où j’ai rencontré Philippe Chartier. Je lui ai expliqué mon problème de recherche qui l’a intéressé et il m’a suggéré de venir travailler dans son laboratoire qui se préoccupait en bioclimatologie des problèmes de croissance et de photo- synthèse au sens large du terme. J’ai donc rejoint son laboratoire situé à La Minière, sur le plateau de Saclay, près de Guyancourt dans des bâtiments de cam- pagne. Il y a eu un accord avec mon patron, non sans peine, pour que je quit- te Versailles momentanément et que j’aille travailler au moins à temps partiel en bioclimatologie sous la direction de Philippe Chartier. Celui-ci a proposé un plan de thèse beaucoup plus logique et rigoureux. Avant d’entreprendre des études biochimiques coûteuses et diffici- les, il m’a suggéré de réaliser d’abord des approches globales ou intégrées de la photosynthèse de manière à dégrossir le problème. J’ai com- paré en premier lieu les croissances des différents génotypes de maïs dans différentes conditions expérimentales. Comme j’étais chercheur CNRS, j’ai eu la chance de pouvoir utiliser l’ex-phyto- tron de Gif-sur-Yvette où j’ai pu comparer la croissance des dif- férents maïs dans des conditions de culture variées. J’ai déter- miné les conditions de température, d’éclairement et de nutri- tion où ces plantes manifestaient le maximum de différences de croissance d’abord puis d’activité photosynthétique ensuite. Je cultivais ces maïs au phytotron et je les ramenais sur le plateau de La Minière où l’on pouvait déterminer dans des conditions expérimentales bien définies et stables l’activité photosynthé- tique. Pour cela on utilisait les chambres de photosynthèse mises au point par Philippe et Michel Chartier, à partir de recherches préliminaires réalisées dans les laboratoires anglo- saxons, hollandais et anglais notamment. J’ai pu associer les différences de croissance que j’observais à des différences d’ac- tivité photosynthétique. C’était déjà un grand pas. Ces analyses ont démontré par la suite que ce n’était pas les résistances sto- matiques, ou les phénomènes physiques tels que l’absorption de la lumière qui étaient impliqués dans ces différences mais les mécanismes biochimiques d’assimilation du carbone photosyn- thétique. Je revenais aux premières hypothèses.

Ces résultats m’ont conforté dans l’idée de continuer les appro- ches métaboliques. Pour réaliser ces recherches, je suis allé chez un ancien collègue de mon directeur de laboratoire, au CEA de Saclay, Eugène Roux, patron de Guy Paillotin. Ce dernier est devenu par la suite directeur scientifique puis Président de l’INRA. J’y ai rencontré deux chercheurs spécialistes du méta- bolisme de la photosynthèse, Jack Farineau et Jean-Michel Galmiche. En collaboration avec J. Farineau, j’ai entrepris l’étu- de du métabolisme photosynthétique des maïs normaux et opaque 2.

Des différences quantitatives ou des différences de mécanisme ? Donc ils étaient tous les deux en C4 Nous avons démontré que le maïs opaque 2 était un vrai maïs en C4 comme le maïs normal ; il n’y avait plus de doute là-des- sus mais le maïs opaque 2 manifestait une activité photosyn- thétique plus faible que le maïs témoin, le maïs normal.

Pouvez-vous préciser ce que signifie C4 et C3 ?

La photosynthèse C3 est la photosynthèse classique caractéri- sée par le fonctionnement du cycle de Calvin dans les années 1950-60. C’est la photosynthèse des plantes d’origine tempé- rée en général, donc du blé, des arbres... La photosynthèse C4 a été découverte dans les années 1960-70 par des collègues australiens et néo-zélandais. Réalisant des études sur la canne à sucre, ils ont observé que la photosynthèse de cette plante était très voisine de celle du maïs décrite par des chercheurs russes, Karpilov notamment, quelques années auparavant. Elle différait de celle que l’on observait dans la majorité des plantes, la photosynthèse C3, impliquant le seul fonctionnement du cycle de Calvin. À l’époque, Calvin venait d’être couronné par le prix Nobel et c’était très difficile d’aller contre le dogme de la photosynthèse unique, la photosynthèse C3.

Ce sont des intermédiaires qui sont en C4 au lieu d’être en C3 ?

Oui. Ces chercheurs australiens, néo-zélandais et russes, n’arri- vaient pas à publier leurs résultats qui étaient refusés par la majorité des revues en biologie végétale, n’acceptant pas la nouveauté scientifique. Ils ont donc publié les résultats de leurs travaux dans des journaux de seconde zone mais ils ont fini par faire admettre la véracité de leurs résultats. Entre les années 1965 et 70, on a montré en effet qu’il pouvait y avoir un autre type de photosynthèse que celle de type Calvin. En fait chez les plantes C4, le cycle de Calvin est fonctionnel mais s’y ajoute un second cycle, le cycle C4 ; ce qui améliore notablement les per- formances photosynthétiques de ces plantes. Les plantes C4 possèdent le cycle C3 de Calvin et le cycle C4 qui est un systè- me complémentaire ; les plantes C4 seraient des plantes qui posséderaient un moteur photosynthétique auquel on aurait associé un turbo. Le turbo est le processus C4 qui permet de fixer le carbone dans ces acides C4 et de le stocker momenta- nément dans la plante favorisant la carboxylation, ce qui amé- liore grandement les performances de la plante. De plus, ces plantes du fait de leur structure C4 manifestent très peu d’acti- vité photorespiratoire, processus antagoniste de la photosyn- thèse, mis en évidence à la même époque. Les plantes comme le maïs, la canne à sucre, le sorgho, etc, plantes d’origine tropi- cale, adaptées aux forts ensoleillements et aux températures élevées, possèdent des capacités photosynthétiques et de crois- sance plus importantes que les autres plantes, tout au moins dans ces conditions climatiques.

Dans les années 1975, au CEA de Saclay, j’ai donc repris les études du métabolisme photosynthétique des maïs normaux et opaque 2. J’ai pu travailler dans des conditions très rigoureuses de recherche avec des chercheurs qui avaient l’habitude d’utili- ser les isotopes radioactifs 14 C notamment. Ces collègues avaient pratiquement tous effectué des stages post-doctoraux

Avec Philippe Chartier, 1978.

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aux États-Unis d’où ils avaient ramené des techniques éprou- vées et fiables. De plus, le laboratoire de Saclay était très renom- mé en photosynthèse et recevait de ce fait de nombreux cher- cheurs étrangers qui y passaient, quelques mois ou quelques années. Le niveau scientifique y était excellent et les relations avec les collègues étrangers faciles.

Après quelques mois de travail avec J. Farineau, j’ai pu associer les différences de croissance observées entre mes deux maïs à des différences d’activité photosynthétique et métabolique.

Le maïs normal, à métabolisme C4 classique, incorporait le 14 C presque exclusivement dans l’acide malique, acide C4. Chez le maïs opaque 2, on observait des variantes du métabolisme.

La radioactivité du 14 C était retrouvée dans le malate mais éga- lement dans un autre composé C4, un acide aminé, l’asparta- te. En fait, tout se passait comme si le métabolisme du maïs opaque 2 était ralenti et le carbone photosynthétique détourné et stocké momentanément dans l’aspartate. Cette déviation

métabolique était-elle la cause ou la conséquence d’un autre processus modifié par la mutation opaque 2 ? Je n’ai jamais pu le mettre en évidence.

Nous étions fiers cependant d’avoir montré des relations entre croissance, activité photosynthétique et métabolisme photosyn- thétique C4. Cela m’a permis de soutenir ma thèse, une thèse d’État. Je l’ai terminée en 1978 et l’ai soutenue en janvier 1979.

Juste après ma soutenance, j’ai poursuivi, toujours en collabo- ration avec J. Farineau, les recherches sur la relation entre l’ac- tivité photosynthétique et l’activité photorespiratoire chez le maïs. Ces deux activités antagonistes, comme je l’ai déjà dit sont liées à une enzyme, la rubisco, la protéine la plus abondan- te à la surface de la Terre, qui fonctionne comme carboxylase et oxygénase. Dans le premier cas, elle permet la fixation du car- bone issu du CO 2 atmosphérique et dans le second cas, fixe

l’oxygène moléculaire de l’air et brûle des éléments carbonés 77

Appareil d’incorporation de

14

CO

2

mis au point par François Moutot, 1983.

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issus de l’activité carboxylase. Ces deux fonctions antagonistes sont importantes chez les plantes C3 connues pour perdre un quart à un tiers de leur carbone par photorespiration. En revan- che, les plantes C4, grâce à leur structure et leur anatomie spé- cifiques, le syndrome C4, évitent les pertes photorespiratoires de carbone et de fait sont plus efficaces. Il faut noter que chez les plantes C4, l’adaptation au fort ensoleillement et aux tem- pératures élevées résulte d’une anatomie particulière, de systè- mes emboîtés les uns dans les autres, comme des poupées rus- ses, qui permettent tout d’abord d’éviter les pertes d’eau et favorisent ensuite dans l’environnement de la rubisco, dans les tissus les plus internes de la feuille, une concentration élevée en CO 2 en raison d’un apport aisé de composés C4 décarboxylés en CO 2 . La structure C4 empêche de plus toute perte de CO 2 issu de la photorespiration, car le peu de CO 2 émis serait piégé immédiatement et efficacement par les carboxylases du cycle C4 situées dans les tissus les plus externes de la feuille.Ainsi, la structure C4 est très favorable à la carboxylation photosynthé- tique et réduit toute perte de carbone par photorespiration. Les plantes C4 par leur structure ont un mécanisme photosynthé- tique qui fonctionne sans photorespiration apparente, dans un environnement tissulaire (les tissus les plus internes entourant la gaine de faisceaux conducteurs) riche en CO 2 , donc dans une atmosphère proche de celle qui existait dans les premières périodes de la photosynthèse, il y a quelques millions d’années.

Ces premières années de recherche à Versailles, La Minière et Saclay, m’ont permis d’acquérir des compétences en écophysio- logie et en métabolisme. De plus, j’ai pu publier avec J. Farineau nos résultats en anglais dans de grandes revues américaines dont Plant Physiology ; ce qui était encore rare fin 1970, début 1980, dans le monde français de la biologie végétale.

En végétal ?

Oui. Mon épouse Yvette travaillant dans le domaine animal (labo de J. Glowinsky au Collège de France) publiait dans des revues internationales de neurobiologie depuis de nombreuses années. En végétal, c’était assez rare, nous étions très en retard et très franco-français. J’ai bénéficié en cela des compétences des laboratoires de Philippe Chartier et de Guy Paillotin qui avaient beaucoup de collaborations internationales avec les Anglais, les Hollandais, les Allemands, les Américains et les Australiens.

Après ma thèse, je ne savais plus trop quoi faire. Versailles paraissait à l’époque un peu vieillot et poussiéreux. J’ai pensé que ce serait peut-être utile de faire un post-doc ; ce qui n’était pas simple fin 1970, en particulier à l’INRA. Cela posait égale- ment des difficultés familiales. Nous avions déjà deux enfants et puis mon épouse travaillait en neurobiologie. Il fallait donc contenter tout le monde et trouver aussi un post-doc intéres- sant. Il y avait bien quelques collègues de Bioclimatologie, en particulier Alain Perrier et Jean-Louis Prioul qui étaient partis en Australie mais ils restaient des cas isolés. En végétal, on les comptait encore sur les doigts de la main. Ayant eu connais- sance de mes intentions de partir à l’étranger, mon patron, E. Jolivet, m’a dit : “Qu’allez-vous faire Morot-Gaudry en post- doc ? Vous n’êtes pas bien à Versailles ?”. J’ai répondu que je souhaitais travailler à l’étranger pour y découvrir de nouvelles techniques, de nouvelles approches et de nouvelles manières de travailler.

Une petite remarque. Quand je suis arrivé en 1970 à l’INRA de Versailles, c’était un rassemblement de personnes de différen- tes régions de France avec des traditions et des langues très dif- férentes, tout au moins dans leur petite enfance. Il y avait les Bourguignons, les Bretons, les Alsaciens... avec une langue commune qui était le français. Mes patrons, Y. Coïc et E. Jolivet par exemple, avaient été élevés en breton. Moi, gamin, je par- lais le patois bourguignon, le vieux français. De plus, étant bour- guignon, après-guerre, j’étais plus germaniste qu’angliciste. De ce fait, j’ai été beaucoup plus impliqué dans les échanges fran- co-allemands ; ce qui était très à la mode vers les années 1960 dans les provinces de l’est de la France. Je connaissais beau- coup mieux l’Allemagne de l’Ouest ou l’Autriche que l’ouest de la France, où l’on se rendait encore avec difficulté faute d’auto- routes et de trains rapides. J’étais très tourné vers le Benelux et l’Allemagne de l’Ouest, le noyau de la nouvelle Europe, la Lotharingie.

En Bioclimatologie, j’ai rencontré un collègue australien David Thomas avec lequel j’ai sympathisé. C’était un chercheur très original, compétent, peu conformiste ; ce qui choquait les mi- lieux bien-pensants australiens et versaillais. Il avait conservé de très bonnes relations scientifiques en Australie et m’a conseillé de réaliser un post-doc dans un laboratoire prestigieux à Canberra, le laboratoire du professeur Barry Osmond, le grand patron de la photosynthèse dans les années 1980. Avec les recommandations de D. Thomas, B. Osmond m’a accepté dans son laboratoire alors que je ne parlais quasiment pas anglais.

Toute la famille Morot-Gaudry, en 1981, est partie à Canberra.

J’y ai rencontré deux autres collègues d’Orsay et de Cadarache, Gabriel Cornic et Alain Gerbault, qui étaient eux aussi en post- doc. C’était l’étonnement pour les Australiens de voir trois Français dans un même labo, alors qu’ils n’en avaient quasi- ment jamais vus auparavant.

À Canberra, j’ai poursuivi les travaux sur la photosynthèse, plus exactement sur la photorespiration et le recyclage de l’ammo- nium issu de la photorespiration. En collaboration avec K.C.

Woo et R. Summons, collègues chinois et australien, utilisant un isotope stable de l’azote, 15 N, et la spectrométrie de masse, j’ai pu montrer que l’ammonium issu du métabolisme photorespi- ratoire (cycle du glycolate), n’était pas perdu mais recyclé pour donner à nouveau des acides aminés par une voie que l’on appelle en jargon de laboratoire, la voie GS/GOGAT. Cette voie venait d’être mise en évidence par des collègues anglais avec lesquels j’ai collaboré par la suite, Peter Lea notamment. C’était une grande première parce que, jusqu’aux années 80, on ne savait pas comment l’ammonium était intégré aux substrats organiques pour donner les acides aminés chez les plantes.

Nous avons publié ces résultats dans la revue Plant Physiology.

Nous sommes restés sept mois à Canberra, où j’ai essayé d’ap- prendre l’anglais. L’ambiance du laboratoire était extraordinai- re. J’y ai rencontré tous les grands pontes de la photosynthèse des années 1980.

Vous avez été tout de suite dans le bain ?

Fin 1981, je connaissais quasiment tous les chercheurs de la

biologie végétale de la planète, tout au moins les plus impor-

tants. C’était un laboratoire où il y avait une quarantaine de

personnes, aussi bien des chercheurs qui faisaient du molécu-

laire - à l’époque, c’était le tout début - que des chercheurs qui

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étudiaient la répartition des peuplements d’eucalyptus sur le territoire australien. Tout le monde assistait aux mêmes sémi- naires où l’on abordait aussi bien les structures des photosystè- mes que la gestion de l’eau par les plantes des déserts. Ces séminaires étaient très souvent suivis de superbes pots ou bar- becues très conviviaux où les échanges scientifiques et humains étaient très riches et chaleureux.

D’où votre intérêt aussi pour l’intégration des connaissances, du gène à la plante entière ?

On allait du gène ou de la molécule au peuplement végétal. On travaillait dur mais dans une très bonne ambiance tant scienti- fique qu’humaine. Il y avait tous les jours la cérémonie du thé à 10 et à 15 heures, obligatoire pour tous, où l’on rencontrait les chercheurs des autres laboratoires. À l’époque, il y avait un immense hall où tout le personnel de l’Institut, le RSBS, ainsi que les collègues du CISRO voisin, venaient et discutaient en prenant le thé, en toute liberté, sans hiérarchie apparente.

C’était très différent de la France où dans les années 1970, il n’y avait pas de familiarité avec les professeurs. On devait leur manifester beaucoup de respect et de réserve. Dans les pays anglo-saxons, on pouvait discuter avec qui l’on voulait, qu’il soit prix Nobel ou pas, sans distinction d’âge ou de grade.

À Canberra, je me suis initié à la chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse pour suivre le devenir des isotopes non radioactifs ; ce qui était indispensable pour l’azote en particulier parce qu’il n’y a pas d’isotope radio- actif facilement utilisable.

Vous n’avez pas retrouvé en France l’ambiance qu’il y avait là-bas ?

Cette ambiance, j’ai voulu la recréer en France naturellement. Je n’y suis pas vraiment arrivé. J’ai toujours gardé des contacts avec d’anciens collègues australiens qui nous ont par la suite rendu très souvent visite en France. B. Osmond est parti aux États-Unis, comme professeur à Duke University (NC), une uni- versité prestigieuse américaine. David Day, avec qui j’ai toujours des contacts, a été nommé doyen de l’université de Sydney.

L’ambiance a changé aussi là-bas ?

Oui. Tout a changé. L’intérêt pour la biologie végétale dans les années 1980 était très fort mais il est moindre maintenant et c’est un euphémisme ; de plus les systèmes de postes perma- nents dans la recherche ont disparu ou ont été extrêmement réduits, ce qui a rendu les conditions de travail beaucoup plus difficiles.

Cela ne tenait pas vraiment à l’organisation

Cela tenait à l’organisation australienne qui facilitait les échan- ges entre collègues de différents pays et entre jeunes et anciens plus diplômés et mieux installés dans la vie sociale. J’ai rencon- tré des gens de très haut niveau scientifique avec qui l’on pou- vait discuter simplement et librement. Fin des année 1970, le monde était convaincu que, si l’on améliorait les connaissances en biologie végétale, on pouvait améliorer les productions aussi

bien en quantité qu’en qualité et nourrir l’humanité. Cette gran- de idée a fait long feu. C’est vrai que les chercheurs avaient des convictions et étaient très optimistes quant aux retombées de leurs travaux de recherche.

Vous disiez que cela a été

l’un de vos meilleurs temps forts de recherche ?

L’INRA de Versailles jusqu’aux années 1980, était plutôt, sans être péjoratif, à part exceptions, le labo Morel ou certains labos de pathologie, Pierre Boistard et Jean Denarié, par exemple, un centre de recherche d’Agronomie, de Science du Sol, de Bioclimatologie, de Pathologie et d’Amélioration des plantes au sens général du terme, conduisant des recherches assez pous- sées certes mais en général très appliquées. Au niveau fonda- mental, il y avait un certain vide scientifique. Ce n’est qu’en 1980, grâce à Jean-Pierre Bourgin, Yves Chupeau, et l’arrivée de Michel Caboche, de Georges Pelletier, et à l’appui indéfecti- ble de Jean Marrou et ensuite de Guy Paillotin, que l’on a pu développer des recherches génériques qui ont fait de Versailles un grand centre de recherche fondamentale. Alain Coléno et Guy Riba ont poursuivi cette politique de recherche.

Quand je suis revenu d’Australie, je me suis posé la question de savoir si je restais à Versailles ou pas, parce que j’avais l’impres- sion de revenir dans un milieu qui se développait loin des grands courants de recherches scientifiques du moment. J’ai hésité, j’étais assez attiré par les recherches menées par Jean Guern, au CNRS à Gif-sur-Yvette et par Roland Douce au CEA à Grenoble, que j’avais rencontré en Australie. Avec le dévelop- pement du laboratoire de biologie cellulaire de l’INRA-Versailles et grâce aux collaborations que j’avais développées avec les laboratoires du CEA de Saclay qui me permettaient de travailler assez librement avec les laboratoires CEA de Grenoble et de Cadarache, je suis resté à Versailles.

De plus, pendant mon séjour en Australie, un jeune collègue à Versailles, François Moutot, avait travaillé très activement et avait relancé une dynamique qui m’a renforcé dans mes inten- tions de me ré-installer à Versailles.

Australie, 1981, avec David Day.

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Il est devenu chef de cabinet du ministre de l’Agriculture ? Moutot était un jeune agro très dynamique qui a travaillé une dizaine d’années avec moi. Il a réalisé une thèse sur la photo- synthèse comparée de lins oléagineux et textiles. Pour mener à bien sa recherche, il a mis au point également un appareil, unique au monde, qui permettait de réaliser des expériences de marquage par le 14 C, en photosynthèse stationnaire, dans des conditions d’environnement très contrôlées, sur des feuilles de maïs, lin, haricot, tomate, blé... F. Moutot était très ingénieux.

Nous avons travaillé à nouveau ensemble sur la photosynthèse à mon retour d’Australie.

Le CEA avait l’intention de mettre en place vers les années 1980 une antenne photosynthèse à Cadarache et souhaitait que cette antenne soit mixte CEA/INRA. Cette intention était encouragée également par de vieilles amitiés et des collabora- tions entre les chercheurs INRA et CEA de biologie végétale et d’agronomie, tous issus de l’agro qui avaient parfois travaillé ensemble au cours des années 1950, avant le développement de la recherche en biologie au CEA. Dans les années 1983-84, devenant relativement âgés, ils avaient envisagé de muter deux chercheurs INRA de Versailles à Cadarache pour monter cette petite unité de photosynthèse. Finalement, pour de nombreuses raisons que j’ignore en partie, cela ne s’est pas fait. J’ai poursui- vi cependant mes collaborations avec les chercheurs du CEA de Cadarache. François Moutot a pris une autre orientation dans les années 84. Il a préparé l’ENA et il a quitté le labo. Il est devenu directeur de Cabinet du ministre de l’Agriculture de l’époque, Mr Vasseur.

Après cet épisode, j’étais un peu désorienté et j’ai entamé des collaborations avec Jean-Claude Pernollet, un jeune scientifique arrivant au laboratoire de J. Mossé. J.-Cl. Pernollet, agro, avait réalisé sa thèse à l’université d’Orsay, dans le laboratoire du professeur Garnier, un ancien de l’INRA. Il était spécialiste des protéines. Nous nous sommes donc associés et avons réorien- té nos thèmes de recherche, pour étudier non plus les mécanis- mes biochimiques primaires de la photosynthèse mais le deve-

nir des produits de la photosynthèse élaborés à plus long terme dans les feuilles, le devenir de ces produits, acides aminés et sucres notamment, dans la plante entière et surtout dans les grains et les graines. Nous avons entrepris un gros travail entre les années 1984 et 90 sur le transport des photo-assimilats de la feuille aux grains dans l’épi chez le maïs. Nous avons mené d’excellents travaux grâce à notre maîtrise de l’utilisation des isotopes radioactifs 14 C, notre savoir-faire en chimie analytique et nos compétences en écophysiologie. Les résultats de ces tra- vaux ont fait l’objet de très bonnes publications dans les gran- des revues internationales des années 1985 à 90. Ce travail a été poursuivi avec mes collègues de l’université d’Orsay, Eliane Deléens, Jean-Paul Rocher et Jean-Louis Prioul, en complétant notre protocole expérimental par l’utilisation des isotopes sta- bles 13 C et 15 N. Nous possédions dans les années 1985-90 des systèmes de culture, des phytotrons et des chambres d’assimi- lation du 14 CO 2 , du 13 CO 2 et du 15 NO 3 qui montraient d’excel- lentes performances. Nous étions par exemple capables de maintenir constante la teneur en CO 2 des chambres d’assimila- tion tout en gardant stable la radioactivité ou l’enrichissement en isotopes stables pendant la durée de l’expérimentation. Ce système expérimental, développé par J.-C. Lescure et J.-P.

Rocher, était quasiment unique au monde et nous a permis de réaliser des travaux extrêmement originaux. Nous avons béné- ficié également des compétences du labo du CEA de Cada- rache où Marcel André avait mis au point déjà des cellules de culture similaires. Nous possédions également un système d’a- nalyse des acides aminés par chromatographie d’échange d’ions couplé à un système de détection et de mesure en conti- nu des composés analysés.

C’était très multidisciplinaire ?

Sans trop le savoir, nous réalisions des approches globales dites maintenant de biologie intégrative, vraiment de pointe, et que l’on n’a sans doute pas su exploiter au mieux. Nous aurions pu valoriser beaucoup mieux nos compétences expérimentales par un plus grand nombre de publications. Nous n’avons malheu- reusement exploité qu’une partie des résultats, ceux qui nous semblaient les plus intéressants. C’est un peu dommage. Nous avons été trop modestes et nous avons manqué sans doute d’ambition. Nous étions en France dans une sphère peut-être un peu trop confortable et protégée.

À partir de 1983, j’ai commencé à reconvertir l’ancien labo d’Y. Coïc et d’E. Jolivet, le laboratoire du métabolisme et de nutrition minérale des plantes. J’ai été nommé DU adjoint d’E. Jolivet et j’y suis resté jusqu’à son départ en retraite en 1987. Là, j’ai eu à gérer un ancien labo, au passé prestigieux certes, mais en fin de règne. Il y avait pléthore de personnels techniques avec des compétences variées en culture des plan- tes et en analyse des composés minéraux. J’ai dû engager une restructuration, sans trop de casse sociale, à une période où la biologie moléculaire faisait son entrée à grand fracas. Cette gestion en douceur m’a coûté beaucoup en temps, en persua- sion et en énergie, peut-être trop d’ailleurs. J’ai été sans doute un peu trop gentil et j’aurais dû être plus autoritaire et me consacrer un peu plus à la science. Cela aurait été plus utile pour les plus jeunes chercheurs qui devaient faire leur place dans un monde où la compétition devenait forte. C’était le début de la mondialisation.

Caroline du Nord (USA),

Duke University, 1985, avec Dick Volk.

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