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Article « Réadaptation et psychothérapie des psychoses chroniques : Essai d’une approche cognitive en pays de langue française » Olivier Chambon et Michel Marie-Cardine

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« Réadaptation et psychothérapie des psychoses chroniques : Essai d’une approche cognitive en pays de langue française »

Olivier Chambon et Michel Marie-Cardine

Santé mentale au Québec, vol. 19, n° 1, 1994, p. 19-31.

Pour citer cet article, utiliser l'information suivante :

URI: http://id.erudit.org/iderudit/032291ar DOI: 10.7202/032291ar

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Santé mentale au Québec, 1994, XIX, 1, 19-32

ê EDITORIAL Réadaptation et psychothérapie des psychoses chroniques

Essai d'une approche cognitive en pays de langue française

Olivier Chambon*

Michel Marie-Cardine**

D ifférents niveaux de perturbations ont été mis de l'avant pour les patients psychotiques chroniques: troubles neuropsychologiques (troubles d'attention, de mémoire, de planification), déficit ou inadé- quation des habiletés sociales cognitives (troubles de résolution de problèmes), et perturbations psychologiques conceptualisées en schémas cognitifs dysfonctionnels et en biais cognitifs. Et des procé- dures thérapeutiques censées être spécifiques à chaque niveau de perturbations ont été mises au point ces dix dernières années, dans le cadre général du modèle cognitivo-comportemental. Ces interven- tions sont indiquées à la figure: le 1 représente les interventions sur les troubles cognitifs neuropsychologiques par le programme IPT de Brenner (Konen et al., 1993); le 2 les programmes d'entraînement aux habiletés sociales de Liberman ou les programmes de modifica- tion du milieu social (Thérapie familiale comportementale, Clubs d'entraide) permettant de remédier ou de pallier aux déficits en habiletés sociales, cognitives et comportementales (Chambon et Marie-Cardine, 1992 a,b,c); le 3 la psychothérapie cognitive de type

«Beck» (1979, 1990), développée par Perris chez les schizophrènes (1989), et visant les structures et processus cognitifs de niveau psy- chologique à l'origine des expériences psychotiques (Chambon et Marie-Cardine, 1993c).

Chacune de ces interventions a déjà été validée au plan interna- tional, et commence à l'être en langue française. Notre préoccupation consiste à les développer et à les intégrer dans un même programme

* Psychiatre au Centre hospitalier spécialisé du Vinatier.

** Psychiatre au Centre hospitalier spécialisé du Vinatier.

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de soins cohérent. Nous présenterons l'état actuel de ces interven- tions en France, puis nous montrerons en quoi une réflexion sur leur intégration est indispensable.

Les diverses approches disponibles

Les interventions visant à modifier les déficits neuropsycholo- giques des schizophrènes sont en cours de traduction et de validation en langue française par des équipes suisses, genevoise et lausannoise (Konen et al., 1993). Elles reprennent le programme développé par Brenner et al., appelé IPT

1

(Integriertes Psychologisches Thérapie programm), qui intègre le traitement des troubles cognitifs élémen- taires (attention, perception, capacité d'abstraction, de formation et de modulation de concepts) au traitement des perturbations du fonc- tionnement social.

Figure 1

Modèle intégratif et interactionniste des divers troubles cognitivo-comportementaux

dans la psychose et des interventions thérapeutiques disponibles

1 f X /^~~^\ 2

/ \ / habiletés \ / habiletés \ 5 ^ / sociales \ I cognitives I I cognitivo- J Vélémentairesy £ V comporte- J

V /\ V m e n t a l e s /

Interventions \ \ S N / / Entraînement cognitives \ Y \ A a u x n a b , l e t é s sociales

type IPT VPersonnaliteA (Liberman) (Brenner) b i a i s \

I attributions I

\ schémas /

3

Psychothérapie cognitive (Perris)

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Réadaptation et psychothérapie des psychoses... 21

Concernant l'entraînement aux habiletés sociales, le Réseau francophone des Programmes de réhabilitation psychiatrique (RFPRP), auquel nous sommes associés, travaille à fournir le maté- riel didactique et les supervisions nécessaires à la mise en place de programmes de réadaptation sociale. Ces programmes permettent l'apprentissage, par les patients, des habiletés sociales nécessaires à une vie adaptée et de bonne qualité dans la communauté. Le retentis- sement psychologique et social des symptômes psychotiques persis- tants peut aussi être largement atténué par l'emploi de techniques d'auto-contrôle, telles que Tarrier et al. (1990, 1993) les ont décrites et validées dans l'approche appelée «Coping Skills Enhancement», ou telles qu'elles figurent dans le module «Entraînement au contrôle des symptômes» de Liberman, bientôt disponible en français grâce au RFPRR

Ces programmes ont de nombreux avantages. Ils sont complé- mentaires aux autres thérapeutiques, et possèdent une efficacité lar- gement documentée, même dans des pays de langue française (revue dans Chambon et Marie-Cardine, 1992a; Favrod et al.,1993). Des manuels de formation pour animateurs y décrivent les procédures à suivre et les techniques spécifiques utilisées; des vidéocassettes en illustrent les modèles de thérapie. Ils permettent ainsi un apprentis- sage assez rapide et une application fiable par des équipes novices et dans des contextes de soins très variés (hospitalisation classique, hôpital de jour, dispensaire, etc.).

Il existe ainsi d'ores et déjà des programmes traduits, adaptés et testés en pays francophones et permettant des interventions:

— auprès du patient: entraînement aux habiletés sociales (EHS):

«habiletés de conversations»; «habiletés de résolution de pro- blèmes interpersonnels»; «gestion du traitement neuroleptique et connaissance de la maladie»;

— au plan communautaire: clubs d'entraide autogérés par les pa- tients (Friedlob et Siegel, adaptation française par G. Deleu), ou par des groupes au long cours permettant un soutien et la pour- suite de l'entraînement aux habiletés sociales pour faire face aux difficultés de la vie en communauté;

— au plan de l'environnement relationnel du patient: thérapies familiales et groupes de familles de patients psychotiques (pro- gramme «Profamille»).

Enfin, une approche plus individualisée est permise par la psy-

chothérapie cognitive.

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Une partie du travail consiste à corriger les croyances erronées ou les règles inconscientes gouvernant la vie du sujet, qui contribuent à ses difficultés. Le but de la thérapie cognitive originellement con- çue par Beck est en effet la modification des schémas cognitifs. Ces schémas sont des structures psychiques, développées dans l'enfance, déterminant les représentations et émotions du sujet vis-à-vis de lui-même (self-schéma), des autres (schémas interpersonnels), et du monde qui l'entoure (Piaget et Inhelder, 1969; Kelly, 1955; Markus, 1977). On entre ainsi dans le domaine de la psychologie cognitive en introduisant, dans le modèle classique du traitement de l'information, les notions d'émotions, de représentations, ainsi que de conflits et de processus inconscients. On aboutit même, parfois, à une reprise de la clinique psychanalytique des psychoses, ne serait-ce qu'en tenant compte de la fonction et de la signification individuelle des symptô- mes psychotiques, notamment en tant que mécanismes de protection de l'estime de soi.

La psychothérapie cognitive possède cependant l'avantage de proposer des attitudes et des techniques pragmatiques, centrées sur un changement spécifique à moyen terme. Son utilité chez les pa- tients psychotiques a été démontrée ces cinq dernières années en pays anglo-saxons

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; elle reste encore pratiquement inconnue en France (Chambon et al., 1993 a et b).

Nécessité d'un modèle articulant et intégrant ces approches Pour chaque patient, la question la plus importante à nous poser est la suivante: «Quel est le trouble central, sous-tendant les diverses manifestations de sa psychose, qui doive être traité en priorité?» Y répondre représente une tâche ardue, ne serait-ce que parce que chez le même patient plusieurs niveaux de perturbations peuvent coexister et que chaque niveau influence les autres. Nous suggérons un modèle intégratif, permettant de concevoir, pour chaque patient, une formu- lation individualisée de la nature de ses troubles, puis un traitement différencié, pouvant utiliser de manière cohérente les diverses métho- des d'interventions disponibles.

Sur plusieurs points, un tel modèle se heurte à l'insuffisance de

nos connaissances. Il n'existe pas encore de procédure standardisée

qui permettrait de guider le praticien et de l'aider à choisir la meil-

leure intervention, au moment le plus approprié, selon les perturba-

tions spécifiques de chaque patient. En outre, il n'y a pas de traite-

ment «pur», chaque stratégie thérapeutique possédant un impact sur

d'autres niveaux de perturbations que sur celui auquel elle était

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Réadaptation et psychothérapie des psychoses... 23

censée être spécifique. Enfin, à supposer qu'une intervention visant un niveau de perturbations soit choisie, restera à savoir quelles modi- fications y apporter pour tenir compte des perturbations constatées aux autres niveaux.

Interactions potentielles entre les différents niveaux et types de perturbations cognitives (cf. Figure 1)

Dans l'interaction, la flèche a souligne le fait que les troubles neuropsychologiques peuvent empêcher l'acquisition de compé- tences sociales essentielles (notamment pendant l'adolescence) avec, comme effet, l'absence de stratégies adaptatives adéquates dans le répertoire cognitivo-comportemental de l'individu.

La flèche b représente l'importance du type de stratégie cogni- tivo-comportementale adoptée par le sujet en présence d'un problème ou d'un stress. Certaines stratégies peuvent conduire à la résolution du problème et au relâchement de la tension, alors que d'autres accentuent le stress et désorganisent les processus de traitement de l'information déjà vulnérables du fait d'anomalies neuropsychologi- ques.

La flèche c montre que la personnalité influence le choix du type de réponse comportementale. Parfois un individu psychotique a déjà des habiletés sociales adéquates mais ne les utilise pas du fait de sa vision biaisée de lui-même, des autres et de la situation globale.

La flèche d représente l'influence que peuvent avoir les com- portements et expériences sur les schémas concernant le soi (sans valeur, impossible d'être aimé), les autres (à tenir prudemment à distance, dangereux, à ne pas croire) ou le monde (impossible à maîtriser, imprévisible, source de souffrance). Un individu dépourvu de compétences sociales aura le plus grand mal à développer et à maintenir un niveau satisfaisant d'estime de soi. Le simple manque de savoir-faire cognitif ou comportemental met le sujet dans des situations difficiles, conduisant au renforcement des schémas inadap- tés. Ainsi, un cercle vicieux s'instaure et se maintient, entre une vue négative de soi et l'échec dans les situations sociales, les faisant se potentialiser mutuellement.

La flèche e illustre à quel point la manière d'interpréter une

situation et donc, dans le modèle cognitif, de la vivre émotionnelle-

ment, peut conduire à des réactions de stress disproportionnées à sa

nature réelle, et perturbant sérieusement les processus de traitement

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de l'information déjà fragilisés par les anomalies neuropsychologi- ques.

Enfin, la flèche/suggère que les troubles neuropsychologiques peuvent avoir une influence directe sur la personnalité. Lorsque l'individu n'a pas à sa disposition l'équipement cognitif de base nécessaire à son adaptation au monde, il en vient à développer un locus de contrôle externe, le sentiment de vivre dans un monde dangereux qu'il n'est pas capable de contrôler et de maîtriser.

Parfois il ressentira aussi des sensations étranges, à l'intérieur même de ses processus de pensée et de perception, probablement liées à ses dysfonctions neuropsychologiques, qu'on appelle «dé- raillement cognitif» (cognitive slipagé). Ces sensations le convain- cront que quelque chose ou quelqu'un peut avoir accès à son intimité, peut l'influencer directement, et il développera ainsi un syndrome d'influence ou de passivité psychotique (Maher, 1988). Cela peut aussi induire un sentiment d'insécurité très précoce (parfois dès l'enfance), qui sera intégré aux schémas, avec un ensemble de straté- gies de protection, comportementales et cognitives, qui en dériveront (comme le retrait et une partie de la symptomatologie négative).

En outre, certains troubles neuropsychologiques pourraient fa- voriser l'émergence de biais cognitifs psychologiques. On assisterait ainsi à une interaction dynamique et développementale entre le fonc- tionnement cérébral et la personnalité. Garety et al. (1991) ont mon- tré que les patients schizophrènes tiraient plus rapidement des con- clusions que les patients normaux en conditions probabilistes. Cette tendance («jump to conclusion»), mesurée par des tests neuropsycho- logiques, est à rapprocher du biais cognitif appelé «inference arbi- traire», consistant à tirer rapidement une conclusion à partir d'une vue encore partielle d'une situation, et jouant un rôle dans la genèse de certaines expériences psychotiques, comme les idées délirantes de référence.

Il est même possible de combiner ces interactions: a i n s i / + c

illustrerait le fait que le déficit cognitif, même quand il est important

et dûment constaté, n'explique pas tout. Des facteurs psychologiques,

en partie indépendants de la machinerie cognitive neuropsychologi-

que, sont à intégrer. Van Den Bosch et al. (1992) ont montré que le

fonctionnement cognitif objectif ne prédisait pas le mode de réaction

aux problèmes sociaux des patients schizophrènes, alors que le fonc-

tionnement cognitif subjectif (façon dont le sujet perçoit ses capaci-

tés cognitives) était quant à lui corrélé à sa manière de réagir

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Réadaptation et psychothérapie des psychoses... 2 5

(«coping style») et notamment à l'efficacité de ses stratégies de résolution de problèmes.

Les «effets thérapeutiques croisés»

Une intervention peut avoir un impact sur d'autres niveaux que celui qu'elle était censée spécifiquement modifier. Par exemple, l'en- traînement aux habiletés sociales (2) permet un changement cognitif (3) par le biais de la décentration cognitive et de la prise en compte du point de vue des autres, réalisées lors des exercices de jeux de rôles et des techniques de résolution de problèmes. L'entraînement aux habiletés sociales peut aussi permettre aux patients de s'exposer à de nouvelles situations dans lesquelles le caractère inadéquat de leurs anciens schéma peut être souligné de manière caricaturale et où ils pourront être induits à développer une autre conception de soi ou d'autrui.

Toujours dans le domaine des interactions potentielles, l'entraî- nement des habiletés cognitives élémentaires (1) permet, par un principe de «généralisation ascendante», une amélioration secondaire d'habiletés cognitives plus complexes (de type «résolution de problè- mes») ayant un retentissement sur l'adaptation sociale (2). Cette interaction semble d'autant plus importante que Wykes et al. (1992) ont montré que les déficits cognitifs élémentaires des psychotiques chroniques semblent constituer un facteur de prédiction important de leur évolution lors de leur participation à un programme de réadapta- tion sociale. Ils peuvent en effet affecter sévèrement leurs capacités de traiter et de comprendre l'information thérapeutique.

Impact des divers troubles sur les modalités de prise en charge des psychotiques

La prise en compte des données concernant les biais et déficits

cognitifs permet à la fois: a) d'aménager les soins pour contourner

ces perturbations cognitives; b) faire la part de ce qui peut être

amélioré par des techniques psychologiques ou, au contraire, néces-

site des techniques de «réadaptation cognitive» (entraînement des

habiletés cognitives élémentaires); c) construire progressivement des

modèles théoriques plus scientifiques de la schizophrénie, intégrant

cependant ses déterminants psychologiques; d) enfin, tenir compte

des réactions psychologiques aux déficits cognitifs et de l'interaction

jamais définitive et toujours complexe entre la vulnérabilité cogni-

tive et la fragilité psychologique.

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a) Compenser les déficits cognitifs en adaptant le style de commu- nication thérapeutique

Les déficits cognitifs, accompagnés d'une motivation dé- faillante et d'une fragilité psychique, nécessitent l'utilisation de tech- niques actives et hautement structurées, la structure diminuant l'an- xiété et favorisant le développement d'un cadre cognitif interne pour intégrer les apprentissages. Les informations émotionnellement char- gées et complexes peuvent être de compréhension difficile pour cer- tains patients et cela nécessite une présentation didactique claire et simplifiée de l'information, associant la vérification de la compré- hension, la répétition des instructions, et la simplification des phrases prononcées par le thérapeute. Les mêmes raisons impliquent l'emploi cumulatif et répété de toutes les techniques de l'apprentissage: for- mulation de buts spécifiques, instructions multi-modales (utilisant différents canaux: verbal, vidéo, écrit), répétitions fréquentes (sur- apprentissage), retour (feedback) immédiat quant à l'atteinte du but, renforcement positif pour tout progrès ou effort si minimes soient-ils, progression étape par étape vers un but (shaping ou façonnage), observation et imitation de modèles (modeling), jeux de rôles avec techniques de mise en scène (faire des signes, diriger les mouve- ments, ou coaching) et directives verbales pendant le jeu (souffler des répliques ou prompting), enfin exercices «in vivo» en présence du thérapeute, et tâches à réaliser seul, afin de favoriser la généralisation des apprentissages.

Certains modèles cognitifs de la schizophrénie (Hardy-Baylé, 1993) mettent l'accent sur les déficits des processus psychiques con- trôlés de traitement du contexte et d'organisation de plans d'actions:

certains patients schizophrènes se distinguent des normaux par leur

incapacité à exploiter de bonnes stratégies pour le traitement du

contexte, notamment le contexte antécédent, se reportant trop aux

éléments extérieurs, sans sélectionner les éléments essentiels ni inhi-

ber le traitement des autres. Pour eux un entraînement aux habiletés

de résolution de problème - décomposant pas à pas les stratégies

d'analyse du contexte, les conséquences à court et à long terme des

actions, et l'évaluation des diverses possibilités - peut instaurer des

stratégies compensatoires. La prise en compte des troubles de la

planification s'impose aussi lors de la formulation de buts à long

terme avec ces malades: ils peuvent connaître de grosses difficultés à

identifier des buts spécifiques puis à s'y tenir. Il est alors nécessaire

de décomposer ces buts lointains en de nombreux objectifs à court et

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Réadaptation et psychothérapie des psychoses... 27

moyen terme, et d'adopter une approche beaucoup plus structurée et étayante pour les aider à les accomplir.

De même, le cadre thérapeutique doit tenir compte des possibi- lités réduites de traitement de l'information contextuelle de ces pa- tients: ainsi le thérapeute devra-t-il souvent repréciser le contexte du travail thérapeutique (au début de chaque séance et chaque fois qu'il y a un changement d'orientation dans la séance), rendre explicite les

«points-clefs» du travail en cours sur lesquels se concentrer (méta- communiquer sur le processus thérapeutique), vérifier au fur et à mesure du déroulement que le patient n'a pas perdu de vue le con- texte thérapeutique.

La dernière conséquence de ces déficits est la nécessité de répéter les interventions: un thérapeute peut avoir l'impression d'avoir provoqué un changement sensible chez un patient, pour s'apercevoir, la séance suivante, que ce progrès ne s'est pas manifesté dans une situation pourtant très proche de celle dans laquelle il s'était initialement réalisé. Le caractère concret de la pensée, l'absence de généralisation, la difficulté à changer de contexte, font partie des déficits cognitifs fondamentaux de la schizophrénie. Le thérapeute peut avoir à démontrer de nombreuses fois la même chose, en appor- tant chaque fois seulement de très faibles variations. En plus de l'apprentissage de la patience, ce processus est une forme de perlabo- ration, permettant au patient d'«incarner» dans la réalité, sous des angles légèrement différents, d'une séance à l'autre, le même chan- gement de point de vue.

b) Influence de Vorganisation psychique et des troubles de la personnalité sur les capacités d'apprentissage et d'adaptation sociale

Ce point illustre surtout les interactions positives et nécessaires

entre psychothérapie cognitive (3) et entraînement aux habiletés so-

ciales (2). Lors de l'entraînement aux habiletés sociales (EHS) le

thérapeute découvre souvent que le patient possède les habiletés

requises, mais que des pensées automatiques négatives, liées à des

schémas dysfonctionnels (self-schéma ou schéma interpersonnel)

l'empêchent de s'en servir au moment voulu. C'est pourquoi, notam-

ment, il faut tenir compte des émotions et pensées automatiques lors

du processus cognitif de résolution de problèmes; à chaque étape, en

effet, des distorsions cognitives peuvent interférer avec la résolution

efficace d'un problème, surtout s'il est d'ordre relationnel.

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Les situations de jeu de rôle tout autant que de résolution de problèmes, propres à TEHS, peuvent servir d'analyseurs cognitifs, le patient apprenant à repérer ces émotions et pensées automatiques qui en dévient ou en inhibent le déroulement. L'entraînement aux habile- tés sociales devrait donc être relié à l'évaluation et à la correction des cognitions dysfonctionnelles éventuelles qui peuvent sous-tendre tout déficit spécifique. Cette approche tient compte des remarques de Shepherd (1984), qui a relevé les échecs à transférer les habiletés acquises en situations d'entraînement dans d'autres situations de la vie quotidienne quand les cognitions dysfonctionnelles n'étaient pas parallèlement prises en compte.

Les troubles de la personnalité auront aussi un rôle essentiel à jouer dans la création de l'alliance thérapeutique et dans la motiva- tion des patients au cours du processus d'apprentissage de l'entraîne- ment aux habiletés sociales.

Comment choisir les modalités d'interventions prioritaires Il n'est évidemment pas possible ni souhaitable de faire un bilan systématique, pour chaque patient, visant l'évaluation des fonctions cognitives élémentaires, complexes, et psychologiques. Notre prati- que nous amène à suggérer de commencer, chaque fois que c'est possible, par une technique de bonne acceptabilité et d'utilité recon- nue, comme un groupe d'entraînement aux habiletés sociales. Les réactions du patient au processus groupai et à l'apprentissage permet- tront de préciser la nécessité ou non d'utiliser d'autres techniques.

C'est ainsi qu'un patient voyant ses capacités d'apprentissage très limitées par une attention faible ou des troubles de mémorisation, pourra recevoir un entraînement des fonctions cognitives élémentai- res selon les procédures de type «IPT».

Un autre patient pourra manifester des troubles de la personna- lité ou voir ses tendances paranoides (ou paranoïaques) entraver grandement son adaptation au groupe et ses capacités d'y apprendre d'autres comportements. Pour lui, l'adjonction de séances indivi- duelles de psychothérapie cognitive pourra s'avérer très utile. Ces suggestions, rappelons-le, sont sujettes à modifications, le domaine étant encore en plein développement.

Questions de recherche à partir du modèle interactif ébauché 1) Quels liens existent entre les déficits cognitifs élémentaires,

leur perception subjective, et les stratégies cognitivo-comporte-

mentales d'adaptation sociale adoptées par un sujet?

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Réadaptation et psychothérapie des psychoses... 2 9

2) La perception qu'un individu a de ses troubles cognitifs élémen- taires joue-t-elle un rôle dans la genèse de ses expériences psychotiques ou dans son style d'attribution cognitif?

3) Certaines habiletés sociales ou des schémas cognitifs particu- lièrement fonctionnels permettent-ils d'atténuer les effets néga- tifs de la vulnérabilité neuropsychologique?

4) Comment des schémas cognitifs dysfonctionnels, principale- ment ceux reliés au concept de soi (self-schéma) ou des autres (schémas interpersonnels), peuvent-ils limiter l'utilisation ou l'acquisition d'habiletés sociales, et quels retentissements ont- ils sur le processus d'apprentissage dans les programmes d'en- traînement aux habiletés sociales?

Ces questions nous conduisent à une préoccupation importante pour l'avenir: quelles modifications devrions-nous apporter aux pro- grammes d'entraînement aux habiletés sociales pour prendre en compte les limitations neuropsychologiques et psychologiques reten- tissant sur l'utilisation, la durabilité, et la généralisation des habiletés qui y sont acquises?

À partir de ces diverses considérations, on peut aisément con- clure à la nécessité et à la possibilité de concevoir, dès maintenant, des programmes de réhabilitation reliant de manière cohérente et signifiante (pour chacun des patients) les diverses thérapeutiques, de façon à favoriser le développement et l'intégration de leur propre personnalité.

NOTES

1. IPT= programme intégré de thérapies psychologiques; il s'agit d'une approche «cognitive», pas au sens psychologique, où nous l'enten- dons ici, mais au sens neuropsychologique.

2. Une description détaillée de ces études d'efficacité et de leurs résultats est disponible dans le premier ouvrage présentant ces techniques en Francophonie: O. Chambon, M. Marie-Cardine, 1993, La psychothé- rapie cognitive des psychoses chroniques, Editions Masson, Collec- tion Médecine et Psychothérapie, Paris.

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