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L'égalité en procès : sociologie politique du recours au droit contre les discriminations au travail

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Academic year: 2021

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Submitted on 11 Apr 2014

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droit contre les discriminations au travail

Vincent-Arnaud Chappe

To cite this version:

Vincent-Arnaud Chappe. L’égalité en procès : sociologie politique du recours au droit contre les discriminations au travail. Sociologie. École normale supérieure de Cachan - ENS Cachan, 2013.

Français. �NNT : 2013DENS0054�. �tel-00977374�

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1 THESE DE DOCTORAT

DE L’ECOLE NORMALE SUPERIEURE DE CACHAN

Présentée par

Monsieur Vincent-Arnaud CHAPPE

pour obtenir le grade de

DOCTEUR DE L’ECOLE NORMALE SUPERIEURE DE CACHAN

Domaine :

Sciences sociales - sociologie

Sujet de la thèse :

L’ÉGALITÉ EN PROCÈS. SOCIOLOGIE POLITIQUE DU RECOURS AU DROIT CONTRE LES DISCRIMINATIONS AU TRAVAIL

Thèse présentée et soutenue à Cachan le 3 décembre 2013 devant le jury composé de :

Jean DE MUNCK Professeur - UCL Président

Nicolas DODIER Directeur d’études - EHESS Rapporteur Daniel SABBAGH Directeur de recherches – Sciences Po Rapporteur Virginie GUIRAUDON Directrice de recherches – Sciences Po Examinatrice Robin STRYKER Professeure – Université d’Arizona Examinatrice Jacques COMMAILLE Professeur émérite – ENS Cachan Directeur de thèse

Institut des sciences sociales du politique (ISP) ENS CACHAN/CNRS/UMR 8166

61, avenue du Président Wilson, 94235 CACHAN CEDEX (France)

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5 À Olivier,

« Mais je ne veux pas être nègre ; je ne veux pas être blanc ; je ne veux pas être un homme marié ; je ne veux pas être un homme d’affaire ; je ne veux pas être seul. La vie ressemblait à un grand huit. Cela le terrifiait, assis là, dans le bus, comme si le temps l’avait englouti dans de noires mâchoires. »

Don Carpenter, Sale temps pour les braves.

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7 À l’issue de ce travail, je tiens à remercier tous ceux qui, d’une façon ou d’une autre, m’ont aidé et soutenu au cours de ces cinq dernières années et qui ont participé à en faire une expérience heureuse.

Ma gratitude va d’abord à mon directeur Jacques Commaille, pour son aide, sa confiance et ses encouragements qui m’ont porté tout au long de la thèse. Je remercie ensuite chaleureusement les membres du laboratoire ISP pôle Cachan, où j’ai eu l’opportunité, dans un environnement toujours bienveillant, de me former au métier de sociologue dans toutes ses dimensions. Je pense notamment à Benoît Bastard, Claire de Galembert et Laurence Dumoulin qui chacun ont su m’apporter leur soutien à divers moments cruciaux de ce parcours, ainsi qu’à Gérard Rosset et bien sûr à Brigitte Azzimonti et Christine Rose qui ont eu la patience de supporter ma désorganisation chronique. Je remercie également tous les membres du département de sciences sociales de l’ENS Cachan au sein duquel j’ai enseigné pendant trois ans, notamment Élodie Béthoux, Patrice Duran et Pierre-Paul Zalio. Merci à l’IEP de Lille et aux membres du laboratoire CERAPS pour leur accueil au cours de mes deux années d’ATER. Merci enfin à l’Université de Montréal et au laboratoire CRDP pour ces deux magnifiques mois passés au Québec.

Je remercie vivement tous mes « enquêtés » qui ont accepté de me consacrer du temps, de m’aider et de répondre à mes questions. Ce travail n’aurait pu être mené à bien sans leur bienveillante participation. Merci notamment à François Clerc pour la gentillesse et la disponibilité dont il a fait preuve depuis notre rencontre.

Merci à tous les professeurs et chercheurs qui ont accepté de discuter de mes travaux et de me faire part de leur expérience et de leurs conseils : Christian Bessy, Laura Beth Nielsen, Philippe Bezès, Gwénaële Calvès, Nicolas Dodier, Laurence Dumoulin, Liora Israël, Martine Kaluszynski, Éléonore Lépinard, Pierre Noreau, Jérôme Pélisse, Abigail Saguy, Robin Stryker. Un grand merci à Pierre-Yves Baudot, Laure Bereni, Élodie Béthoux, Aude Lejeune et Anne Revillard avec qui j’ai énormément apprécié travailler. Merci aux membres du réseau thématique « sociologie du droit et de la justice », et tout particulièrement parmi ceux que je n’ai pas cités, à Rachel Vanneuville.

Je remercie également tous ceux qui ont accepté de relire, commenter, annoter, corriger avec patience et minutie les chapitres de ma thèse : Anne-Sophie Béliard, Céline Borelle, Hervé Chappe, Alban Jacquemart, Milena Jakšić, Michèle Jaudel, Keltoume Larchet,

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8 commentaires critiques et leur œil affuté ont été déterminant

Le soutien apporté par les membres du CMH-Pro pour la « suite » a été d’une grande aide, me permettant de me projeter au-delà de la thèse – et de me forcer à la finir ! Un merci particulier à Laure Bereni, Cécile Guillaume, Liora Israël et Sophie Pochic pour la confiance qu’elles m’ont accordée.

Merci ensuite à tous les doctorants ou anciens doctorants de l’ISP et d’ailleurs que j’ai croisés au cours de ces dernières années, qui souvent ont été beaucoup plus que des simples camarades de parcours, et parfois même des amis. En vrac et en m’excusant auprès de ceux que j’oublie, merci à Yasmine Bouagga, Pierre-Yves Condé, Marion Dalibert, Laura de Lisi, Constance Georgy, Alban Jacquemart, Sarah Lécossais, Aude Lejeune, Annick Lacroix, Julie Le Gac, Claire Miot, Sidonie Naulin, Axel Pohn-Weidinger, Nicolas Sallée, Johannes Schmidt, Emmanuelle Yvert, pour leur présence et leur amitié.

Le soutien de tous mes amis a été – ils le savent –capital pour tenir jusqu’au bout sans trop de dégâts ! Merci à Marie Lamellière (et bises à Marceau et Bruno), à tous les amis de mon frère Olivier (Aude, Bruno, Domitille, Ghislain …), à Claire Bader, Pauline Caron, Jenny Jenkins, Sophie Genre, Émilie Henriat, Martin Kessler, Flavie le Tallec, Camille Marginèdes, Marie Nicknig, Anne Valat, Félicien Vallet, Nicolas et Solène Yédikardachian, et à tous les autres que j’oublie qui, sans que je sache toujours bien leur expliquer ce que je faisais, ont été d’une amitié indéfectible au cours de ces années. Merci à Roger Federer, ma muse, et à mes autres partenaires de tennis, réels ou imaginaires. Merci au Pantalon, au 10, à la Cagnotte, au Folie’s, au Pataquès, à la Fontaine Henri IV, et à d’autres.

Un grand merci à toute ma famille pour m’avoir encouragé et supporté au cours de ces dernières années, à mes grands-parents, cousins, oncles et tantes, etc., et bien sûr tout particulièrement à ma mère, Michèle Jaudel, et mon père, Hervé Chappe, qui m’ont toujours fait confiance dans cet étrange choix de faire une thèse. Merci à Romain Juston, cousin, futur co-auteur et beaucoup plus !

Enfin, le plus grand des mercis à Céline Borelle, à Samer Ghamroun, à Édouard Gardella, à Milena Jakšić, à Narguesse Keyhani, à Keltoume Larchet, à Marie Trespeuch et à Liliane Umubyeyi : je leur dois à chacun énormément, pour nos discussions, nos débats, nos projets, nos idées, nos restaurants et nos verres.

Et puis bien sûr, last but not least, merci à Anne-Sophie Béliard, qui a su être toujours là, pour tout, et depuis bien longtemps.

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Glossaire

AAI : Autorité administrative indépendante.

ANDRH : Association nationale des DRH

AVFT : Association européenne contre les violences faites aux Femmes au Travail BIT : bureau international du travail

CADIS : Centre d’analyse et d’intervention sociologique CFDT : Confédération française démocratique du travail CGT : Confédération générale du travail

CJCE : Cour de justice des Communautés européennes CJUE : Cour de justice de l’Union européenne

CODAC : Commission départementale d’accès à la citoyenneté

COMEDD : Comité pour la mesure et l’évaluation de la diversité et des discriminations COPEC : Commission pour la promotion de l’égalité des chances et de la citoyenneté CRAN : Conseil représentation des associations noires

CRE : Commission for Racial Equality

DAJ : Direction des affaires juridiques (Halde) DPE : Direction de la promotion à l’égalité (Halde) EEOC : Equal Employment Opportunity Commission

FASILD : Fonds d’action et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations GED : Groupe d’étude sur les discriminations

GELD : Groupe d’étude et de lutte contre les discriminations GISTI : Groupe d’information et de soutien des immigré-e-s

HALDE : Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité HCI : Haut conseil à l’intégration

INED : Institut national d’études démographiques

LICRA : Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme MGIS : Mobilité géographique et insertion sociale

MJD : Maison de justice et du droit

MRAP : Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples OIT : Organisation internationale du travail

ONU : Organisation des nations unies SAF : Syndicat des avocats de France

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Sommaire

Remerciements ... 7

Glossaire ... 9

Sommaire ... 11

Table des encadrés, tableaux, graphiques et documents ... 15

Introduction : une sociologie du droit de la non-discrimination en action ... 19

A. La lutte contre les discriminations : l’échec d’une politique publique ? .... 20

B. Égalité des chances et lutte contre les discriminations en France au prisme d’une sociologie critique ... 29

C. Vers une sociologie compréhensive des usages du droit de la non-discrimination ... 40

D. Une sociologie pragmatique, pluraliste et politique du droit ... 49

E. Méthode, terrains, démarche ... 57

F. Présentation du plan ... 67

Partie I : Genèses, ancrages moraux et mise en politique du droit de la non-discrimination en France ... 73

Introduction de la partie I ... 73

Chapitre 1. Les fondements politiques et moraux de la prohibition juridique de la discrimination dans le code pénal et le code du travail ... 75

A. Les fondements républicains de la non-discrimination ... 76

B. Ancrage démocratico-industriel et matrice syndicale de la non- discrimination dans le droit du travail (1982-2000) ... 99

Conclusion ... 116

Chapitre 2. La décennie 2000, un changement de paradigme inachevé dans la lutte contre les discriminations ... 119

A. Le droit de la discrimination pré-2000 : un droit ineffectif ? ... 120

B. Les années 2000 : un changement de paradigme ? ... 143

C. Vers la Halde : la confirmation du cadrage juridique de la lutte contre les discriminations ... 171

Conclusion ... 183

Conclusion de la partie I ... 185

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12 Partie II : La Halde comme instrument juridico-politique de mise en œuvre de la lutte contre

les discriminations ... 187

Introduction de la partie II ... 187

Chapitre 3 : Le traitement des plaintes par la Halde : un légalisme contraint ... 189

A. La victime : entre ressource centrale et contrainte pour l’organisation .... 191

B. Les victimes mises à distance : le rôle des correspondants locaux ... 205

C. Un traitement juridique sans victimes ? ... 221

Conclusion ... 230

Chapitre 4. Grandir les cas individuels, prouver son autonomie, perdre son indépendance : les actions de politisation de la Halde contraintes par sa position institutionnelle ... 231

A. Dénonciation juridique et montée en généralité ... 233

B. La construction inaboutie d’une autonomie institutionnelle ... 269

C. De la Halde au Défenseur des droits : chronique d’une sanction politique 290 Conclusion ... 303

Conclusion de la partie II. ... 307

Partie III. Dénoncer la discrimination en justice. De la blessure morale à l’épreuve judiciaire ... 309

Introduction de la partie III... 309

Prologue : cadrage statistique de la « pyramide des plaintes » ... 313

Chapitre 5 : Dénoncer les discriminations : de l’injustice à la plainte judiciaire ... 322

A. Expérience de la/des discrimination(s) et rapports au droit : deux récits . 325 B. Prise de conscience de la discrimination et ressorts de l’injustice ... 336

C. De la plainte au contentieux ... 345

Conclusion ... 364

Chapitre 6 : Reconnaissance et réparation au prisme de l’épreuve judiciaire ... 367

A. Expériences de l’épreuve judiciaire : deux récits ... 370

B. Prouver la discrimination : appuis matériels et figures de la conviction .. 382

C. L’épreuve judiciaire : une épreuve de force ? ... 403

Conclusion ... 441

Conclusion de la partie III ... 443

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13 Partie IV. Faire vivre le droit de la non-discrimination : actions et stratégies des mouvements

sociaux ... 445

Introduction de la partie IV ... 445

Chapitre 7 : La discrimination syndicale, matrice d’une mobilisation réussie. Le cas du collectif « lutte contre les discriminations » de la CGT ... 447

A. L’ « affaire Peugeot », tournant dans la lutte contre les discriminations syndicales 448 B. Constitution d’un collectif et judiciarisation des discriminations syndicales 461 C. Stratégie de lutte, rapport au droit et montée en généralité ... 480

Conclusion ... 503

Chapitre 8 : La politisation difficile du droit de la non-discrimination : le cas de SOS Racisme ... 505

A. Les logiques de la judiciarisation du répertoire d’action de l’association 508 B. Recevoir, exclure et traiter la plainte ... 548

C. Les tensions d’une stratégie juridico-politique ... 566

Conclusion ... 579

Conclusion de la partie IV ... 581

Conclusion générale ... 583

Chapitre neuf : enjeux, contraintes et conditions d’une politique contentieuse de lutte contre les discriminations ... 583

A. Enjeux et contraintes internes de la lutte contre les discriminations ... 585

B. Tensions, critiques et arrangements : la lutte contre les discriminations entre justice, droit et politique ... 597

C. Les conditions d’une politique de lutte contre les discriminations par le droit : approche normative ... 605

D. Ouverture : pour une sociologie pragmatique de la judiciarisation ... 614

Bibliographie ... 619

Annexes ... 649

Table des matières ... 733

Résumé ... 739

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Table des encadrés, tableaux, graphiques et documents

Encadré : La discrimination, de la qualification juridique à l’outil sociologique ... 35

Une du numéro 180 de Droit et Liberté ... 82

Article du n°309 de janvier 1972 de Droit et liberté... 90

Évolution du taux de syndicalisation en France entre 1945 et 2005 ... 107

Encadré méthodologique : analyse longitudinale des articles de Droit social en lien avec le droit de la non-discrimination (1976-2000) ... 132

Encadré : les spécificités de la lutte contre les discriminations en raison du sexe ... 134

Tableau récapitulatif des différences entre les rapports Stasi et Belorgey ... 180

Encadré méthodologique : les difficultés de l’enquête à la Halde ... 190

Tableau de la répartition des effectifs de la Halde entre la DAJ et la DPE ... 194

Tableau de la répartition des acteurs à l’origine des saisines sur un échantillon de 91 délibérations dans le domaine de l’emploi ... 195

Encadré sur la répartition des saisines de la Halde selon le critère, le domaine et le genre du plaignant ... 195

Photographie d’une affiche dans le métro parisien incitant les victimes de discrimination à saisir la Halde (2007) ... 199

Graphique représentant l’évolution annuelle des saisines de la Halde entre 2005 et 2010 ... 201

Tableau de l’évolution des saisines adressées à la Halde, des agents de la DAJ et du budget global entre 2006 et 2010 ... 201

Graphique sur l’évolution du pourcentage des dossiers rejetés par la Halde rapportés aux dossiers traités annuellement (2005-2010) ... 202

Graphique de la répartition des motifs d’abandon par la Halde des saisines en pré-instruction sur l’année 2010 ... 204

Graphique sur l’évolution annuelle des médiations proposées par voie de délibération par la Halde entre 2005 et 2010 ... 236

Graphique sur l’évolution annuelle du pourcentage de médiations proposées par voie de délibération par la Halde rapportées au nombre total de délibérations annuelles entre 2005 et 2010 ... 236

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16 Graphique sur l’évolution annuelle du pourcentage de règlements amiables rapportés au nombre annuel de délibérations et de dossiers traités entre 2005 et 2010 ... 237 Graphique sur l’évolution annuelle du nombre de saisines du Parquet opérées par la Halde entre 2005 et 2010 ... 239 Graphique sur l’évolution annuelle des transactions pénales proposées par la Halde entre 2005 et 2010 ... 240 Graphique sur l’évolution annuelle du pourcentage de propositions de présentation des observations de la Halde devant les tribunaux, rapportées au nombre de délibérations, entre 2005 et 2010 ... 243 Analyse de correspondances multiples à partir d’une base de délibérations de la Halde portant sur l’emploi privé - projection des modalités des variables sur les axes 1 et 2 ... 253 Analyse de correspondances multiples à partir d’une base de délibérations de la Halde portant sur l’emploi privé - projection des modalités des variables sur les axes 1 et 2 – puis traçage des ellipses déterminées à partir d’une classification hiérarchique ascendante ... 256 Encadré : chronologie de la controverse autour de la loi sur l’immigration déposée par Brice Hortefeux ... 276 Tableau récapitulatif des raisons de ne pas porter plainte tirée de l’article de K. Bumiller

« Victims in the Shadow of the Law: A Critique of the Model of Legal Protection » ... 314 Tableau récapitulatif des raisons de n’avoir pas dénoncé la discrimination au travail (baromètre sur les discriminations au travail, Institut CSA, 2011) ... 319 Encadré méthodologique : échantillon des plaignants interrogés ... 324

« Tableau III.1 –Le type idéal d’intégration professionnelle et ses déviations » ... 358 Tableau récapitulatif : typologie des dynamiques de la plainte en matière de discrimination dans l’emploi ... 362 Photocollage d’annonces discriminatoires parues dans France Soir dans les années 1970 .. 389 Tableau récapitulatif des « figures de conviction » en matière de discrimination et de leurs prises à la critique ... 402 Représentation graphique d’une discrimination syndicale le long de la carrière utilisée dans le cadre d’un contentieux dans une grande entreprise ... 460 Encadré méthodologique : enquêter à SOS Racisme ... 507 Affiche de la campagne médiatique de SOS Racisme « La discrimination tue les talents » :

« Quand il sera grand, Moussa veut être policier mais pourquoi, quand il joue, est-il toujours le voleur ? » ... 514

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17 Affiche de la campagne médiatique de SOS Racisme « La discrimination tue les talents » :

« Pourquoi Leïla a le droit de chanter la Marseillaise mais pas le droit de rentrer dans certaines boîtes de nuit à Marseille ? » ... 515 Prospectus appelant à rejoindre SOS Racisme pour devenir « Testeurs de la République » . 524 Prospectus de SOS Racisme invitant à participer à des testing ... 525 Tableau récapitulatif des victoires judiciaires entre 1999 et 2002 où SOS Racisme s’était constituée partie civile (à partir d’un document interne) ... 529 Tableau de répartition des fiches de signalement remplies par les militants de SOS Racisme selon différents « grands domaines » ... 553 Tableau de répartition des fiches de signalement remplies par les militants de SOS Racisme selon une liste de domaines détaillés ... 554 Tableau de répartition des fiches de signalement remplies par les militants de SOS Racisme selon leur « situation » en avril 2011 ... 554 Tableau de répartition des dossiers gérés par le service contentieux de SOS Racisme selon différents domaines. ... 567 Tableau de répartition des dossiers gérés par le service contentieux de SOS Racisme les

« initiateurs » des dossiers et les domaines de discrimination au travail ... 568 Tableau récapitulatif des enjeux et règles pratiques émergeant à travers le recours au droit dans la lutte contre les discriminations dans l’emploi privé ... 596 Pistes de recherche ... 617

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Introduction : une sociologie du droit de la non- discrimination en action

Prologue

Le 29 avril 2011, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) organise une conférence de presse à l’occasion de la remise de son rapport sur l’année 2010. La Halde, autorité administrative indépendante créée en 2005, est en charge de deux missions : assurer un soutien juridique aux victimes de discrimination ; assurer la « promotion de l’égalité » au sein de la société française.

Fruit d’une double volonté nationale et européenne, elle est le produit le plus concret de l’engagement du pays dans la lutte contre les discriminations à un niveau national depuis la fin des années 1990.

Cette conférence est une occasion pour Éric Molinié, alors président de la haute autorité, de présenter et défendre le bilan de cette dernière. Pourtant, l’ambiance est maussade. L’année 2010 a été une année de crise. Les polémiques se sont enchaînées.

La prédécesseure du président en fonction, Jeannette Bougrab, n’est restée que quelques mois à la tête de la Halde, la quittant grandement fragilisée. Dans quelques jours, la haute autorité disparaitra formellement, et sa mission sera rattachée à une nouvelle institution, le Défenseur des droits. Le pouvoir politique en place présente cette évolution comme un progrès, mais au sein de l’agence et parmi mes contacts associatifs et syndicaux, personne ne semble dupe.

La conférence en soi n’apporte ni révélation, ni « coup de gueule ». Un certain nombre de questions portent sur l’affaire révélée quelques jours avant par le journal en ligne Mediapart, qui accuse la Fédération française de football d’envisager la mise en place de quotas discriminatoires visant notamment à limiter la présence de joueurs binationaux dans les centres de formation des futurs professionnels. Éric Molinié esquive toute prise de position dans ses réponses. À la fin de la conférence, le président, un temps pressenti pour prendre la tête du Défenseur des droits, exprime sa confiance dans la prise en charge des missions de lutte contre les discriminations et de promotion de l’égalité par ce dernier. Il se permet alors de formuler un souhait, que

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20 dans le futur Défenseur des droits, la mission de promotion de l’égalité prenne plus de place que celle de soutien juridique, jusqu’ici largement dominante.

En repartant de la conférence de presse, je croise à l’extérieur un groupe de manifestants. Ils sont une dizaine, distribuent des prospectus. Renseignement pris, ce sont des membres du « mouvement raëlien », considéré en France comme une secte.

Ils se disent discriminés, notamment à la suite du licenciement d’un des leurs qui n’a pu obtenir le renouvellement d’autorisation d’accès à une centrale nucléaire, indispensable à son activité professionnelle. Les adeptes du mouvement expriment leur mécontentement face au silence de la Halde, saisie de l’affaire depuis cinq ans.

A. La lutte contre les discriminations : l’échec d’une politique publique ?

À moitié plein, à moitié vide : grandeur et décadence du droit comme instrument de la lutte contre les discriminations

L’ensemble de la scène illustre bien à plusieurs égards les attentes investies dans politiques de lutte contre les discriminations, mais également les déceptions qu’elles ont suscitées. Treize ans plus tôt, le 21 octobre 1998, Martine Aubry, alors ministre de l’emploi et de la solidarité, pose les fondations d’une politique de lutte contre les discriminations1. Cette déclaration marque la date symbolique de ce que Françoise Lorcerie a nommé une

« requalification des politiques d’intégration »2: l’intégration n’est plus considérée comme de la seule responsabilité et volonté des étrangers qui rejoignent le territoire national, mais également de l’accueil et de l’hospitalité qui leur est faits ou, a contrario, pour rependre l’expression de Jean-Michel Belorgey dans un rapport public qui fera date, des « raideurs de la société d’accueil »3.

Depuis cette date, les déclarations publiques et décisions politiques se sont succédées, marquant un engagement toujours réaffirmé de la quasi-totalité de l’espace politique à lutter contre les discriminations, particulièrement dans le domaine de l’emploi, domaine qui nous intéresse particulièrement ici pour des raisons que nous précisons un peu plus loin. Les

1 Communication en conseil des ministres sur la politique d'intégration le mercredi 21 octobre 1998.

2 Françoise Lorcerie, « La lutte contre les discriminations ou l’intégration requalifiée », VEI Enjeux, 2000, no 121.

3 Jean-Michel Belorgey, Lutter contre les discriminations. Rapport à Madame la Ministre de l’emploi et de la solidarité, Paris, Ministère de l’emploi et de la solidarité, 1998, p. 17. Pour la version publiée, voir Jean-Michel Belorgey, Lutter contre les discriminations : stratégies institutionnelles et normatives, Paris, Maison des sciences de l’homme, 2001.

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21 dispositifs d’action se sont multipliés : GED, GELD, CODAC, COPEC, Halde, FASILD, COMEDD1, pôles anti-discrimination, Défenseur des Droits : autant d’agences, d’organisations, de comités de réflexion, d’autorités administratives indépendantes, de dispositifs de liaison, qui ont eu pour charge de faire vivre ce projet politique. Tous n’ont pas survécu, tous n’ont pas été efficaces, mais ils ont eu comme point commun de reprendre comme mot d’ordre, parfois de façon exclusive, l’engagement à lutter contre les discriminations et à faire vivre l’égalité républicaine.

Une telle formulation reste largement indéterminée. Son sens, ses instruments d’action, son étendue, ont évolué et fluctué au cours de ces années. Le problème public des discriminations, comme tout problème public, ne se donne pas de façon évidente : il est construit à l’intersection d’un espace de mobilisations d’acteurs aux statuts variés2. Le terme de discrimination va se voir ainsi accompagner de différentes expressions témoignant des variations du paradigme, exprimant parfois des « requalifications » profondes de son sens3 : égalité de traitement, égalité des chances, égalité professionnelle, discrimination positive, diversité, etc. Au sein de cette pluralité des constructions et des approches de la discrimination, l’une d’entre elle forme plus directement l’objet de cette thèse.

Progressivement, au début des années 2000, le droit s’est imposé comme la médiation sociale à travers laquelle s’est réalisée «l’invention française des discriminations ». Le langage juridique, langage par excellence de l’État dans les sociétés démocratiques capitalistes4, a établi un – ou plutôt des – supports partagés pour coordonner les acteurs engagés contre la discrimination, en la définissant comme une inégalité de traitement individuelle, dans un certain domaine social et en raison d’un critère prohibé par la loi5. Il a également offert une

1 Pour la signification de ces acronymes qui seront réexplicités au fur et à mesure de leur apparition dans l’enquête, voir le glossaire des acronymes, annexe 2.

2 La littérature sur la construction des problèmes publics est foisonnante et constitue un champ entier de la sociologie politique de l’action publique. Elle porte sur les mobilisations des différents acteurs, le rôle des médias, des interfaces avec le système politique, des processus d’imputation des sens et responsabilités. Voir par exemple Joseph R. Gusfield, La culture des problèmes publics: l’alcool au volant : la production d’un ordre symbolique, Paris, Economica, 2009 [1981] ; Roger W. Cobb et Charles D. Elder, Participation in American politics: The dynamics of agenda-building, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1972 ; Pierre Favre,

« L’émergence des problèmes dans le champ politique », in Pierre Favre (dir.), Sida et politique. Les premiers affrontements (1981-1987), Paris, L’Harmattan, 1992, p. 537 ; Claude Gilbert et Emmanuel Henry, « La définition des problèmes publics: entre publicité et discrétion », Revue française de sociologie, 2012, vol. 53, no 1, p. 3559.

3 Alexandre Tandé, « Du refus à la requalification. L’ambivalente reconnaissance de la discrimination comme problème public », in Didier Fassin (dir.), Les nouvelles frontières de la société française, Paris, La Découverte, 2010, p. 245266.

4 Max Weber, Sociologie du droit, Paris, Presses universitaires de France, 2007.

5 Aujourd'hui, le droit pénal prohibe « toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur

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22 voie de recours pour ceux qui étaient victimes, dans la mesure où il est lié à un dispositif institutionnel – l’institution judiciaire – permettant la mise en œuvre des droits individuels attachés aux personnes1. Nous reviendrons plus en détail sur ce processus, mais le droit s’est imposé dans un premier temps comme l’instrument par excellence de l’action publique, instrument défini comme « un dispositif à la fois technique et social qui organise des rapports sociaux spécifiques entre la puissance publique et ses destinataires en fonction de représentations et de significations dont il est porteur »2.

L’instrumentation de la lutte contre les discriminations par le droit n’est pas qu’une question d’ingénierie politique. Par son processus de création et de légitimation, par son pouvoir « d’abstraction universalisante »3, il engage un rapport à l’universel censé garantir sa légitimité démocratique et neutraliser les rapports de pouvoir qui sont à son origine4. La problématisation de la lutte contre les discriminations comme enjeu juridique est à la fois un garant de sa légitimité politique, et un moyen de l’associer à un instrument qui se définit par sa performativité théorique, en tant que la norme de droit est censée orienter le comportement des individus.

Plusieurs enquêtes d’opinion attestent de la diffusion du vocable de discrimination dans l’espace public dans les années 2000. Elle apparaît d’abord à un niveau global, comme une prise de conscience de l’existence de discriminations et de leur illégitimité. Dans un sondage CSA/L’Humanité réalisé en janvier 2007 dans le cadre de la campagne présidentielle, 43 % des sondés jugent la lutte contre les discriminations « tout à fait prioritaire », 43 %

« importante », et 13 % seulement « secondaire. Les sondages annuels menés par l’institut d’opinion CSA avec la Halde et l’OIT, sous le nom de « baromètre de la perception des discriminations au travail », sont également parlants quant au succès de la notion dans l’espace public5. Depuis 2008, entre 95 % et 97 % des salariés du privé estiment qu’il est

orientation ou identité sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée », dans les domaines de la fourniture de biens et services, de l’exercice d’une activité économique quelconque, de l’emploi (embauche, sanction, licenciement) (articles 225-1 à 225-4 du code pénal).

1 Catherine Colliot-Thélène, « Pour une politique des droits subjectifs : la lutte pour les droits comme lutte politique », L’Année sociologique, 2009, Vol. 59, no 1, p. 231258.

2 Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès, « L’action publique saisie par ses instruments », in Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès (dir.), Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences Po, 2005, p. 1144, p. 13.

3 Daniel Sabbagh, L’égalité par le droit : les paradoxes de la discrimination positive aux États-Unis, Paris, Economica, 2003, p. 309.

4 Pierre Bourdieu, « La force du droit », Actes de la recherche en sciences sociales, 1986, vol. 64, no 1, p. 319.

5 Cinq vagues de sondage ont été menées jusqu’ici : janvier 2008, mars 2009, novembre 2009, novembre- décembre 2010, décembre 2011. Ils concernent à chaque fois aux alentours de 500 salariés du privés stratifiés

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23 important de lutter contre les discriminations (entre 96 % et 99 % pour les agents de la fonction publique), répartis selon les années entre 57 % et 65 % pour « très important » et entre 30 % et 39 % pour « plutôt important ». Si ces résultats ne nous indiquent rien de l’énergie réelle que les individus pourraient mobiliser en situation pour lutter contre les discriminations, ils attestent au moins d’un certain succès dans la constitution du fait discriminatoire comme problème public, c’est-à-dire , pour parler comme John Dewey, d’un problème dont les conséquences sont appréhendées comme collectives au-delà de ceux qui sont directement concernés, et qui pour cette raison doivent être prises en charge par la collectivité et son organe d’action étatique1.

Ces sondages montrent également la relative prégnance du ressenti personnel de la discrimination dans la population française, notamment parmi les populations minoritaires ou

« minorisées ». L’enquête EU-MIDIS (European Union Minorities and Discrimination Survey) menée par l’Agence desdroits fondamentaux de l’Union européenne en 2008 dans les 27 pays de l’Union Européenne pose ainsi la question du vécu d’une situation discriminatoire dans plusieurs domaines au cours de l’année précédant l’administration du questionnaire. Les résultats sont croisés avec l’appartenance de l’individu à différentes « minorités ethniques » selon les pays2. Pour la France, ces minorités définies a priori comme les plus pertinentes pour l’étude sont les minorités nord-africaines et sub-sahariennes. Pour ces deux populations en France, le taux de prévalence de la discrimination ressentie dans les 12 mois précédant l’enquête est respectivement de 25 % et 26 %. Dans le domaine de l’emploi, 17 % des Nord- Africains estiment avoir vécu une discrimination lors de la recherche d’emploi au cours des 12 derniers mois, et 15 % sur le lieu de travail sur la même période. Pour les Africains subsahariens, ces chiffres sont respectivement de 19 % et 26 %. L’enquête Eurobaromètre menée en 2009 par la Commission Européenne adopte une perspective plus large en prenant en compte les différents facteurs de discrimination et en ne se focalisant pas uniquement sur les discriminations ethniques. Au niveau de l’Union Européenne mais également de la France, 16 % des répondants estiment avoir eu, tous domaines confondus, à « subir personnellement une discrimination ou du harcèlement ».

La question du vécu d’une situation discriminatoire est également posée dans le baromètre annuel CSA. En décembre 2011, 28 % des salariés du privés affirment avoir

selon la méthode du quota, auxquels s’ajoutent à partir de 2009 aux alentours de 500 agents de la fonction publique. L’annexe 2 présente quelques tableaux issus du sondage mené en 2010.

1 John Dewey, Le public et ses problèmes, Paris, Folio, 2010 [1927].

2 EU-MIDIS Main Results Report, http://fra.europa.eu/en/publication/2012/eu-midis-main-results-report, consulté le 22 octobre 2012.

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24

« personnellement déjà été victime d’une discrimination ou d’un harcèlement discriminatoire dans le cadre de leurs activités professionnelles » – pour 36 % en décembre 2009. Quand on détaille les réponses pour savoir où exactement s’est située la discrimination, les individus interrogés pointent surtout la situation d’emploi (au quotidien, dans l’évolution de carrière, etc.) et moins les situations d’embauche. Les salariés du privé victimes de discrimination estiment également pour 26 % d’entre eux que cela est dû à leur âge, pour 25 % à la grossesse ou maternité, pour 23 % au sexe, pour 20 % à l’apparence physique, pour 16% à l’origine ethnique, pour 10 % au handicap, pour 8 % aux convictions religieuses et également pour 8 % aux activités syndicales.

La diffusion du vocable de la discrimination a permis aux individus de qualifier un certain nombre de situations vécues comme des injustices, notamment dans le monde du travail1. Elle a également suscité des attentes de justice (comme le montre par exemple la manifestation des adeptes de Raël), le lexique de la discrimination ayant été saisi par des collectifs militants pour dénoncer les inégalités dont ils sont victimes. Dans certains cas, l’adoption du vocabulaire de la discrimination s’est accompagnée d’investissements plus spécifiquement juridiques, dans l’optique de faire de ce droit une garantie d’égalité des traitements pour les groupes dominés.

Une rapide analyse de la situation une dizaine d’années plus tard provoque alors une certaine circonspection. Si la discrimination est toujours largement considérée comme un mal qu’il faut combattre, elle a incontestablement perdu de sa visibilité comme problème public, réduite pour certains à une politique « gadget »2, que ce soit sous l’effet de facteurs exogènes – on pense à la crise financière et économique de 2008 qui a profondément rehiérarchisé les priorités politiques – ou endogènes. L’invention de la « diversité » comme bien politique a éclipsé dans les discours publiques la notion connotée négativement de discrimination3 ; elle a également pu participer, avec d’autres concepts comme celui d’égalité des chances, à une dé- juridicisation de la question, au profit d’instruments d’action publique relevant non plus de la

1 François Dubet, Injustices. L’expérience des inégalités au travail, Paris, Seuil, 2006 ; François Dubet, Olivier Cousin, Éric Macé, et Sandrine Rui, Pourquoi moi ? L’expérience des discriminations, Paris, Seuil, 2013.

2 Gwénaële Calvès, « Répression des discriminations : l’adieu aux armes », in Véronique Champeil-Desplats et Nathalie Ferré (dir.), Frontières du droit, critique des droits. Billets d’humeur en faveur de Danièle Lochak, Paris, LGDJ, 2007, p. 4348, p. 4348.

3 Réjane Sénac-Slawinski, L’invention de la diversité, Paris, Presses universitaires de France, 2012.

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25 prohibition et de l’obligation, mais de l’incitation sur des bases contractuelles et négociées1. La disparition de la Halde apparaît bien à cet égard comme un symptôme de cette perte de visibilité publique du problème des discriminations.

S’en tenir à ce constat est néanmoins trompeur. La publicisation de la discrimination a eu des conséquences sociales importantes et irréversibles à moyen terme. Elle a fait de ce vocable un « motif » légitime de l’époque contemporaine pour dénoncer des injustices2, et pour les transformer – avec l’aide de nombreux acteurs juristes, militants, scientifiques – de

« soucis individuels en enjeux sociaux »3. Les espoirs qui ont été placés en lui ont bien eu une certaine réalité juridique. Les indicateurs statistiques de l’appareil judiciaire ne permettent de chiffrer que très partiellement l’évolution des contentieux de discrimination, et la réalité judiciaire n’est qu’un miroir très déformant de la réalité sociale, mais il est néanmoins incontestable que des progrès ont été faits. En matière pénale, on est passé d’une moyenne d’un peu plus de 17 condamnations par an sur la qualification principale de discrimination – tous types confondus – entre 1993 et 1999, à un peu moins de 29 par an entre 2000 et 20094. Ces chiffres ne prennent pas en compte les condamnations pour discrimination à titre secondaire, et surtout le volet quantitativement beaucoup plus significatif des contentieux jugés devant les tribunaux civils, et plus particulièrement prud’homaux dans le cas des conflits du travail. Dans leur enquête en cours à partir d’une base de données exhaustive des arrêts de cour d’appel des chambres sociales en matière de discrimination, Evelyne Serverin et Frédéric Guiomard ont ainsi codé sur la période 2007-2010 plus de 9000 arrêts impliquant une qualification principale ou secondaire de discrimination5.

Cette augmentation quantitative s’est accompagnée d’une amélioration

« qualitative » : la jurisprudence a évolué en faveur des victimes de discrimination, le droit

1 Laure Bereni, « “Faire de la diversité une richesse pour l’entreprise”. La transformation d’une contrainte juridique en catégorie managériale », Raisons politiques, 2009, no 3, p. 87105 ; Annie Junter et Réjane Sénac- Slawinski, « La diversité : sans droit ni obligation », Revue de l’OFCE, 2010, n° 114, no 3, p. 167195.

2 Charles Wright Mills, « Situated Actions and Vocabularies of Motive », American Sociological Review, 1940, vol. 5, no 6, p. 904913.

3 Selon les termes de Charles Wright Mills qui faisait de cette activité de publicisation des maux privés la tâche des sciences sociales, celles-ci ayant d’ailleurs joué un rôle important pour la révélation publique des discriminations comme on le verra plus loin. Charles Wright Mills, L’imagination sociologique, Paris, La Découverte, 1997 [1959], p. 190.

4 Selon les statistiques pénales dites Natinf que nous avons pu nous procurer par le biais de la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice, sur la période 2003-2011. Pour le résumé de ces données par année et par critère, voir l’annexe 3. Il est intéressant de remarquer que si les discriminations raciales sont les plus représentées en termes de contentieux, il y a progressivement une diversification des critères concernés par les procédures. On observe également une légère inversion de la courbe, notamment quand on l’observe à partir d’une moyenne flottante sur trois ans, sur les dernières années, sans qu’il soit pour autant possible d’en tirer des conclusions quant à une tendance à la baisse du contentieux sur moyen terme.

5 Chiffre qui reste relativement faible comparativement à l’ensemble des contentieux portés devant les cours d’appel des chambres sociales.

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26 s’est fait plus protecteur1. Son application a également évolué vers une vision moins formaliste, plus en prise avec les réalités sociales qu’il saisissait. Ces évolutions sont inégales selon les types de discrimination et leurs raisons, et elles sont difficiles à objectiver, mais elles existent et sont positives de l’avis de tous les acteurs qui font le droit, directement en le mettant en œuvre ou indirectement en le commentant.

Selon les analyses et les points de vue, le bilan peut être donc très différent. D’un côté, quand on regarde les arènes politiques, le pessimisme semble de rigueur. La période ne semble pas propice à une grande mobilisation générale contre les discriminations. Certaines inégalités sont toujours dénoncées dans les discours des pouvoirs publics, à l’instar de la question capitale de l’égalité salariale entre femmes et hommes. Mais le mot même

« discrimination » semble avoir perdu une partie de la force mobilisatrice qu’il avait pu avoir2. D’un autre côté, la législation n’a jamais été aussi protectrice et n’a jamais englobé autant de discriminations différentes. La presse fait ainsi régulièrement état de procès gagnés, de sommes importantes touchées par les victimes en guise de réparation. La règle même de non-discrimination semble changer de signification. De garantie définie par la négative comme une façon de protéger l’individu dans le cadre de relations de pouvoir, elle devient une exigence politique d’« égalisation », ce qu’explique Jérôme Porta : « « Il ne s’agit plus seulement de sanctionner le non-respect des exigences d’égalité, mais de s’assurer de l’effectivité de l’égalité. Ce droit de l’égalisation dévoile un souci spécifique, celui de ses effets imposant alors une construction différente des sens de l’égalité »3. De l’égalité formelle qui prend garde que les procédures de sélection ne soient pas entachées de discriminations manifestes, on passe, toujours pour Jérôme Porta4, à une exigence d’égalité approfondie sur trois dimensions distinctes : une dimension, matérielle prenant en compte les singularités de certains groupes sociaux5; une dimension substantielle portant l’exigence d’un environnement « accueillant » aux spécificités de certains groupes ou individus6 ; une

1 Lucie Cluzel-Métayer et Marie Mercat-Bruns, Discriminations dans l’emploi: analyse comparative de la jurisprudence du Conseil d’état et de la Cour de cassation, Documentation française, 2011.

2 Une partie seulement, comme le prouve son utilisation au cours des débats concernant l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe.

3 Jérôme Porta, « Discrimination, égalité et égalité de traitement. À propos des sens de l’égalité dans le droit de la non-discrimination. 1ère partie », Revue de droit du travail, 2011, no 5, p. 290297[version non paginée].

4 Jérôme Porta, « Discrimination, égalité et égalité de traitement. À propos des sens de l’égalité dans le droit de l’égalisation. 2ème partie », Revue de droit du travail, 2011, no 6, p. 354362.

5 A l’instar des femmes seules à subir la contrainte physique de la grossesse, ou des élus syndicaux qui doivent consacrer une partie de leur temps de travail à leurs mandats.

6 Par exemple les obligations d’aménagement de l’espace urbain pour les personnes présentant des handicaps physiques.

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27 dimension réelle avec la mise entre parenthèse du souci méritocratique et l’adoption de dispositifs mettant en œuvre une obligation de résultats1.

Ce constat paradoxal, contradictoire même, oppose deux mondes séparés, et en même temps indissociables, où prennent forme et se déploient des projets socio-politiques d’ordonnancement du collectif des humains, de « gouvernementalité » au sens où l’entend Michel Foucault2. D’un côté les arènes politiques institutionnelles, exécutives et législatives, où s’élaborent les lois et l’ensemble des normes secondaires qui constituent le socle des politiques publiques ; de l’autre les arènes judiciaires où se réalise l’interprétation de ces normes et où les juges, par ce pouvoir de dire ce que disent les textes, mettent en œuvre une autre forme de politique, contrainte mais réelle et puissante par ses effets, que Pierre Moore nomme « micropolitique du droit »3. Ces deux arènes sont guidées par des rationalités, des légitimités et des temporalités différentes, qui s’opposent traditionnellement en France depuis la révolution de 17894. De l’extérieur, tout se passe donc comme si la dynamique du projet de société porté par la lutte contre les discriminations était tiraillée entre ces modes de régulation partiellement déconnectés, la perte de puissance de la discrimination comme socle d’une politique publique n’empêchant pas l’approfondissement de sa performativité judiciaire.

Si maintenant on décale le point de vue vers celui des individus et des groupes susceptibles d’être victimes de discrimination, la situation paraît également mitigée. Le droit offre bien des ressources aux victimes de discrimination. Il renforce leur pouvoir, et apparaît donc comme un vecteur d’égalisation. Il semble avoir également poussé les discriminateurs potentiels à infléchir leur pratique. Les grandes entreprises ont inclus l’égalité de traitement et la diversité dans leur politique de communication et en ont fait un objet de leur

« responsabilité sociale ». Les discriminations les plus manifestes, les plus éhontées, qui se donnaient par exemple à voir publiquement dans certaines petites annonces, ont largement disparu.

Mais ces effets protecteurs de la loi semblent par ailleurs limités, dans la mesure où beaucoup de victimes n’en font tout simplement pas usage. L’enquête « EU-MIDIS » (European Union Minorities and Discrimination Survey) menée par l’Agence des droits

1 Comme dans le cas de quotas d’emploi, habituellement qualifiés de discrimination positive. Sur la réalité empirique de cette notion dans les dispositifs juridiques, voir l’ouvrage de synthèse de Gwénaële Calvès, La discrimination positive, Paris, Presses Universitaires de France, 2004.

2 Michel Foucault, Sécurité, territoire, population, Paris, Seuil, 2004.

3 Pierre Moor, Pour une théorie micropolitique du droit, Paris, Presses Universitaires de France, 2005.

4 Jacques Commaille, L’esprit sociologique des lois: essai de sociologie politique du droit, Presses universitaires de France, 1994.

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28 fondamentaux de l’Union européenne en 2008, montre qu’en France, seul 37 % des Africains subsahariens et 29 % des Nord-Africains ont signalé (ou ont vu signaler) le dernier incident de discrimination vécu. Selon un baromètre annuel CSA, en 2011, parmi les salariés du privé victimes ou témoins de discrimination, 42 % n’ont « rien dit », 29 % en ont parlé à leur direction ou leur encadrant direct, 20 % ont alerté les représentants du personnel ou les syndicats, 12 % ont démissionné ou demandé une mutation. Les recours impliquant une forme de juridicisation préalable à une judiciarisation du conflit sont plus rares : 12 % ont contacté l’inspection du travail, 6 % ont engagé une procédure contentieuse ou ont témoigné au cours d’une procédure, 4% ont pris conseil auprès d’un avocat ou d’une association, 3 % ont contacté la Halde ou le Défenseur des Droits. Les employés et ouvriers se taisent également plus volontiers que les cadres, professions libérales et intermédiaires (50 % contre 37 %). Au niveau des collectifs militants, associatifs ou syndicaux, si certains ont effectivement fait le choix de s’approprier «l’arme du droit »1, cette stratégie reste néanmoins rare, comme l’illustre par exemple le fait qu’aujourd'hui aucune organisation féministe n’ait clairement orientée sa stratégie de lutte contre les discriminations vers les arènes judiciaires2. Le droit reste un instrument peu exploité, et les pouvoirs publics ne semblent plus jouer le rôle d’impulsion qu’ils avaient pu avoir au début des années 2000 en invitant les victimes à s’approprier la ressource juridique. De plus, sans soutien politique, il est à craindre que les arènes judiciaires n’aient à elles seules le pouvoir d’imposer ce qui relève non pas seulement d’une norme formelle, mais plus fondamentalement d’une règle fondamentale d’organisation du lien social.

Le bilan esquissé relève parfaitement de l’utilisation que fait Robin Stryker de l’adage

« à moitié plein, à moitié vide » dans un état de l’art sur la capacité du droit à être un moteur de changement social et de réduction des inégalités3. Selon les dimensions où se porte le regard, l’analyse peut porter à l’optimisme ou au pessimisme, insister sur les progrès réalisés, l’« empowerment » réel des personnes discriminées, ou au contraire souligner la faiblesse ou l’épuisement d’une politique.

1 Liora Israël, L’arme du droit, Paris, Presses de Sciences Po, 2009.

2 Il faut néanmoins souligner l’usage des tribunaux faites par l’Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail (AVFT), mais qui concerne les situations de harcèlement et de violence, et pas directement celles relevant de discriminations, la frontière entre ces deux domaines restant néanmoins relativement floue et dépendante des contextes nationaux. Voir Abigail Cope Saguy, What is sexual harassment?

From Capitol Hill to the Sorbonne, Berkeley, University of California Press, 2003.

3 Robin Stryker, « Half empty, half full, or neither: law, inequality, and social change in capitalist democracies », Annual Review of Law and Social Science, 2007, vol. 3, no 1, p. 6997.

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29 Notre objectif n’est pas de trancher cette ambiguïté, mais plutôt de la prendre au sérieux, comme un élément significatif des potentialités et limites d’une politique de lutte contre les discriminations passant par le droit. Plus précisément, nous faisons l’hypothèse générale que ces contradictions se retrouvent sous forme de tensions dans les pratiques concrètes des acteurs, individuels ou collectifs, qui se saisissent du droit de la non- discrimination, et participent ainsi à faire vivre l’égalité des chances comme projet collectif.

Nous proposons ainsi de sortir d’une vision évaluative en termes d’effectivité du droit, pour comprendre ce qui se joue en pratique quand des acteurs formalisent en droit leur dénonciation de discriminations dans l’emploi privé. Avant de revenir beaucoup plus précisément sur la définition et la problématique générale de ce travail, la conception du droit qui le porte et la méthode d’enquête adoptée, nous allons maintenant préciser à grands traits la généalogie du principe d’égalité des chances et préciser son contenu dans le contexte français.

B. Égalité des chances et lutte contre les discriminations en France au prisme d’une sociologie critique

L’exigence d’égalité : ancrage social, ancrage républicain

La question des inégalités et de leur justification est centrale dans la constitution d’une communauté politique et la légitimation de l’ordre existant. La disparition d’une société de castes1 et l’avènement d’un « esprit démocratique » ont largement délégitimé l’existence d’inégalités « héréditaires » et de frontières rigides entre les groupes sociaux. Cet amour de l’égalité que Tocqueville a diagnostiqué dans les sociétés démocratiques s’est pourtant accommodé avec la persistance d’inégalités fortes et multidimensionnelles au sein des sociétés modernes2. Dans un récent ouvrage, Pierre Rosanvallon trace une généalogie des conceptions de l’égalité – et des ses crises – depuis la fin du XVIIIème siècle3. L’ouvrage, centré sur la France tout en réservant une large place à d’autres démocraties (notamment les États-Unis), détaille trois dimensions de l’égalité qui caractérisent «l’esprit de l’égalité tel qu’il s’était forgé dans les révolutions américaine et française »4 : la « similarité » de l’ordre de « l’égalité-équivalence » qui s’exprime dans la conscience de vivre dans un monde de

« semblables » ; l’« indépendance » qui pointe vers une « égalité-autonomie » qui s’oppose à la subordination (notamment dans les relations de travail) ; la « citoyenneté » qui est une

1 Louis Dumont, Homo hierarchicus: essai sur le sysème des castes, Paris, Gallimard, 1967.

2 Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, tome 2, Flammarion, 1993 ; Patrick Savidan, Repenser l’égalité des chances, Paris, Grasset, 2007.

3 Pierre Rosanvallon, La société des égaux, Paris, Seuil, 2011.

4 Ibid., p. 21.

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30

« égalité-participation » et qui prend la forme d’une communauté de citoyens dont le suffrage universel sera le symbole principal1. Ces trois dimensions dessinent une égalité comprise non comme une simple relation arithmétique, mais beaucoup plus fondamentalement comme une forme spécifique de lien social, « une façon de faire société, de produire et de faire vivre le commun »2.

P. Rosanvallon montre alors comment cette conception généreuse et extensive de l’égalité s’est retrouvée en crise pendant le XIXème siècle sous l’effet des forces centrifuges liées aux révolutions industrielles et à leurs conséquences en termes de paupérisation des

« classes laborieuses », provoquant alors des ruptures théoriques qu’il qualifie de

« pathologies de l’égalité »3: l’idéologie libérale-conservatrice, le communisme utopique, le national-protectionnisme et le racisme constituant. Le XXème siècle voit alors apparaître une nouvelle conception exigeante de l’égalité caractérisée par la « révolution de la distribution » dont le principal symbole est l’impôt progressif sur le revenu4. Cette période se caractérise par la volonté politique de redistribution des richesses à destination des plus pauvres et la limitation des inégalités entre les extrémités de la société en termes de revenus et de possessions ; par l’avènement d’une logique actuarielle de mutualisation des risques5 ; par la mise en place de régulations collectives des relations de travail. Ces transformations sont principalement la conséquence de la mobilisation des mouvements ouvriers et des milieux réformistes6. Elles prennent leur place dans une conception renouvelée de la société comme un tout, au fondement de la solidarité qui unit les individus, et pour laquelle l’État joue un rôle de régulation7. Ces évolutions aboutissent au début de la seconde moitié du XXème siècle à une stabilisation de la question sociale autour de ce que Robert Castel nomme la « société salariale »8 : ce rapport social se caractérise par la généralisation du salariat comme relation de travail (au-delà des ouvriers), et la promesse faite à chacun de profiter des progrès de la richesse nationale et de pouvoir s’élever dans la société : « La société salariale paraît emportée par un irrésistible mouvement de promotion : accumulation de biens et de richesses,

1 Ibid., p. 22.

2 Ibid., p. 21.

3 Pierre Rosanvallon, La société des égaux, op. cit. partie II.

4 Ibid., p. 227 et s.

5 François Ewald, L’État providence., Paris, Grasset, 1986.

6 TOPALOV C. (dir.), Laboratoires du nouveau siècle: les nébuleuses réformatrices et ses réseaux en France, 1880-1914, Paris, École des hautes études en sciences sociales, 1999.

7 Émile Durkheim, De la division du travail social, Paris, Presses Universitaires de France, 2007 [1893].

8 Robert Castel, Les métamorphoses de la question sociale : une chronique du salariat, Paris, Gallimard, 1999, p. 519 et s.

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31 création de positions nouvelles et d’opportunités inédites, accroissement des droits et des garanties, multiplication des sécurités et des protections »1.

Dans cette configuration sociale, l’intégration sociale via le rapport salarial permet un accommodement avec les inégalités, dans la mesure où la croissance économique offre des perspectives ascendantes à tous ; où l’État redistributeur se charge de limiter l’amplitude des inégalités au sein de la société ; où l’État providence (notamment dans sa dimension

« conservateur-corporatiste »2) protège des « risques sociaux » et de leurs potentielles conséquences dramatiques sur les trajectoires des individus. La fin de la période des Trente Glorieuses et le ralentissement de la croissance économique à partir des années 1970 vont néanmoins affaiblir les fondations de ce rapport social. L’État providence chargé de contenir les inégalités va être à la fois fragilisé par une crise financière concernant l’équilibre de ses recettes, une crise idéologique liée à la critique de son efficience et à la dénonciation de ses effets pervers, et une crise philosophique passant par une remise en cause du principe assurantiel de mutualisation des risques3. Ces mutations socio-économiques s’accompagnent d’une augmentation régulière du chômage, réduit les perspectives individuelles pour les générations post baby-boom d’amélioration du bien-être économique4, et aboutit à la création d’une nouvelle classe de « surnuméraires » exclus du rapport salarial et des droits auquel il permet d’accéder5.

L’égalité des chances apparaît dans ce contexte comme un nouveau socle conceptuel sur lequel penser les relations d’égalité qui structurent la société. Sa formulation n’est pas nouvelle, et prend notamment une place importante dans la construction juridique et symbolique du modèle républicain français. L’article 1er de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 stipule que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. » Est ainsi posé le principe d’égalité de tous en droit mais également de la limitation de ce principe, les distinctions pouvant être légitimées si elles sont rapportées au principe supérieur que constitue l’utilité commune. La généralité du principe et sa traduction juridique masquent néanmoins l’ampleur des pratiques discriminantes institutionnalisées. Ainsi pour Patrick

1 Ibid., p. 522.

2 Gøsta Esping-Andersen, Les trois mondes de l’État-providence: essai sur le capitalisme moderne, Paris, Presses universitaires de France, 1999 [1990].

3 Pierre Rosanvallon, La nouvelle question sociale: repenser l’État-providence, Paris, Seuil, 1998.

4 Louis Chauvel, Le destin des générations structure sociale et cohortes en France du XXe siècle aux années 2010, Paris, Presses universitaires de France, 2010.

5 Robert Castel, Les métamorphoses de la question sociale, op. cit., p. 621.

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