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Expériences et expertises usagères : de l'informalité instituante dans les institutions de la solidarité à la française

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Academic year: 2021

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Expériences et expertises usagères :

de l'informalité instituante dans les institutions de la solidarité à la française Claire Heijboer

Je voudrais remercier Patrick pour son invitation aujourd’hui et pour la réflexion que suscite sa proposition d’explorer les catégories d’informalité et d’informalisation, à nouveaux frais, dans le contexte économique, social et politique actuel en France, à l’aune de son acception italienne comme réponse de la société civile aux dérégulations institutionnelles de maintien de la cohésion sociale que vivent nombre de sociétés occidentales aujourd’hui.

Introduction

Je souhaite ainsi, pour participer à la discussion qui nous anime aujourd’hui, présenter une réflexion à partir de mes travaux de thèse sur l’expertise usagère : entendue comme expertise détenue, parfois à son insu, par l’usager des services publics, notamment de solidarité, qui fait l’expérience de la confrontation de ses questions personnelles, sociales et politiques aux institutions censées y répondre au nom de la reconnaissance citoyenne de chacun d’entre nous et de la dette solidariste qui nous lie.

Je voudrais aborder avec vous le caractère matriciel de l’expertise usagère dans la formation du lien social qui se noue entre usagers et institutions du travail social ; et penser ce que je nommais comme un désajustement des capacités de représentation des institutions françaises de la solidarité (encore aujourd’hui massivement institutionnalisées, et sous égide des pouvoirs publics plus que des citoyens qui en bénéficient, pour faire comparaison avec l’action sociale et médico-sociale à l’anglo-saxonne) à l’aune des catégories d’informalisation et d’informalité.

Plus que de dérégulation ou de dégradation des protections sociales et individuelles du citoyen, je voudrais poser l’hypothèse avec vous d’une informalité possiblement instituante dans les institutions de la solidarité et d’une informalisation de la production des institutions, jusqu’à la question ontologique de leur légitimité même à exister, qui laisse présager d’une reconstruction des protections sociales sur un modèle encore en émergence mais qui, selon toutes évidences, se construit contre et tout-contre les formes institutionnalisées et étatisées (organiques) qui lui pré- existent.

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Je finirai cette introduction en parlant d’époque gramscienne que celle qui nous occupe, celle d’un ancien monde qui se meure alors que le nouveau tarde à apparaître… et dans ce clair- obscur peuvent surgir les monstres.

Généalogie du désajustement des capacités représentatives des institutions du travail social

La question de départ de ma recherche doctorale a été celle-ci : quel est l’impact de la mise en œuvre du droit à la participation individuelle et collective des usagers à la vie des institutions sociales et médico-sociales (instauré par la loi n°2002-2 du 2 janvier 2002 de rénovation de l’action sociale et médico-sociale) sur la reconfiguration des rapports sociaux et de pouvoir dans ces mêmes institutions ? Car de fait, cette loi a profondément interrogé et réinterrogé, les modalités de prise en charge des personnes en situation de vulnérabilité, les organisations institutionnelles du travail social et la modalité même de production des institutions. Nous avons situé notre enquête dans le champ de la santé mentale, car ce secteur s’adressant à des personnes en situation de handicap psychique est exemplaire du développement de la participation des usagers à la vie des institutions.

En effet, fleurissent au sein de ce secteur particulier, nombre d’établissements

« désinstitutionnalisés » (les GEM, les SAVS...) au sein desquels les usagers ne sont plus seulement bénéficiaires d’un service mais sont envisagé comme coproducteurs effectifs.

Pour aborder la question d’une informalité possiblement instituante de l’expertise usagère et caractériser le désajustement des capacités représentatives des institutions de la solidarité qu’elle induit, dans le contexte français, je propose, dans un premier temps, une périodisation des formes organisationnelles de l’action sociale et médico-sociale autour de deux axes : le sens des politiques sociales d’une part, c’est-à-dire la façon dont elles racontent leur contexte social d’émergence et, d’autre part, les figures tutélaires organisant les rapports sociaux du professionnel et du destinataire de l’intervention sociale.

J’ai mis en lumière quatre périodes qui valident le caractère historique de la promulgation de la loi 2002-2 et entérinent l’hypothèse d’une historicité potentielle du mouvement social des usagers de la santé mentale qui revendiquent ce principe de participation individuelle et collective à la vie des institutions depuis les années 70.

Nous faisons l’hypothèse d’un « mouvement social des usagers » eu égard à la fois sa

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observation de sa force représentative pour l’ensemble des / autres usagers / citoyens / à travers l’universalité actuelle de leurs revendications ; et nous postulons l’historicité potentielle de ce mouvement, entendue au sens d’Alain Touraine, et signalons ainsi le caractère central, selon nous, de la catégorie d’usager dans / les transformations actuelles / l’informalisation actuelle /des modalités de protections sociale et individuelle dans notre société.

La première période : celle de l’assisté, s’étale de 1945 à 1975. Au cours de cette période, la nécessité d’une solidarité de tous envers tous émerge. Progressivement, on offre une protection sociale au travailleur dès les lois des 4 et 19 octobre 1945 et un droit à l’assistance à l’indigent, handicapé ou inadapté social à partir du décret n°53-1186 du 29 novembre 1953 relatif à la réforme des lois d'assistance. Au nom de la solidarité donc, héritée du principe solidariste de Léon Bourgeois, chaque citoyen doit pouvoir subvenir à ses besoins et être protégé ; mais le choix fait par la France, d’une protection sociale universelle, clive la société en deux : celle, travailleuse, qui acquière ses droits à la protection sociale de l’assurance sociale et celle, exclue du travail de plus en plus rare, qui acquière ses droits de l’assistance sociale. Idéologiquement, l’ambition des politiques sociales d’assistance de cette période est centrée sur la réadaptation des personnes handicapées au travail envisagé comme grand intégrateur. Rien en dehors du travail si ce n’est la charge d’une famille, l’assistance et/ou l’enfermement.

La seconde période : celle de l’émergence de la personne derrière l’assisté, s’étale de 1975 à 2002. Avec cette période l’assistance sociale se professionnalise, s’institutionnalise, le champ du médico-social se cré par divorce avec le champ sanitaire et les personnes handicapées sortent des familles et des hôpitaux psychiatriques pour rejoindre les institutions sociales et médico-sociales fraîchement unifiées par les lois n°75-534 et 535 du 30 juin 1975 relatives aux institutions sociales et médico-sociales et en faveur des personnes handicapées. Concomitamment, le travail social est le théâtre du retour de « l’autre France » comme l’a nommée René Lenoir en 1974 : une France pauvre de l’augmentation du chômage qui interroge de fait l’idéal assurantiel de la protection sociale.

Progressivement au cours de la période, les caisses de l’État se vident et un raidissement budgétaire se fait sentir. Surgit alors un nouveau paradigme de la protection sociale, nommé activation de la personne, parfaitement décrit par Isabelle Astier, et qui débouche sur une inversion de la dette sociale (et une première franche attaque sur l’universalité de la protection sociale) observable dans la formulation du Revenu Minimum d’Insertion de Michel Rocard, voté en 1988.

En effet, cette loi instaure l’idée que l’individu ne jouit plus de fait des avantages de la société mais

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doit démontrer l’envie d’y adhérer pour bénéficier d’une assistance. Le RMI est le premier échange d’un secours pécuniaire contre la démonstration d’insertion de la personne, par voie de contrat.

Dans la troisième période : celle de l’usager qui remplace la dénomination d’assisté ou de personne, et qui s’étale de 2002 à 2015, s’opère un vrai retournement qui prend ses racines, presque sa force, dans les périodes précédentes et qui interroge les modalités même d’acquisition de la protection sociale du citoyen, travailleur ou non (handicapé, exclu ou non) et la légitimité de la catégorie travail à fabriquer de l’intégration sociale et de la cohésion sociale.

La loi n°2002-2 du 2 janvier 2002 de rénovation de l’action sociale et médico-sociale, renforcée par la loi n°2005-201 du 11 février 2005 de rénovation en faveur des personnes handicapées, instaure un droit des usagers à la vie des institutions et des outils de garantie de ces droits et font du désormais « usager » la catégorie sociale désormais centrale de la modernisation du travail social. C’est un retournement, car au cours de la période précédente, la circulaire Questiaux de 1982 avait fait des professionnels cette catégorie sociale modernisatrice.

Dans l’exposé des motifs de ces lois, le projet sociétal sous-jacent est clair : il s’agit de reconnaître de façon pleine et entière la participation des personnes au cœur même des services et établissements dont ils font usage en tant que déclaration de la volonté d’adhérer à la société… de participer de l’effort général… en dehors de la catégorie travail.

La période de l’usagent, néologisme désigant le dépassement de l’usager, que nous faisons débuter en 2015 avec la publication du plan interministériel d’action en faveur du travail social et du développement social est celle d’une refondation institutionnelle « totale » de l’action sociale et médico-sociale par la participation des usagers qui, après son affirmation en droit, devient un principe directeur de la fabrication des politiques publiques et de l’organisation de la protection

sociale.

Ambition de la communication

L’ambition de cette communication est double :

D’une part, décrire ce que la participation des usagers fait à la relation d’accompagnement, aux gouvernances institutionnelles et à la fabrication du travail social avec une méthodologie de recherche intégrée à l’action, inspirée de l’Intervention sociologique d’Alain Touraine.

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D’autre part, caractériser les contours de l’ambition de solidarité de notre société qui se construit autour d’une forme émergente que je nomme « solidarité d’usage » qui pondère les solidarités mécaniques et organiques qui lui préexistent.

Et enfin, montrer que l’usager, entendu comme citoyen faisant usage d’une institution de santé, sociale, médico-sociale, d’éducation ou de transports - publique, privée ou associative – est à la société du 21ème siècle ce que l’ouvrier était à la société du début du 20ème : son catalyseur de lien sociaux de production et de liens sociaux de solidarité.

Description de l’enquête empirique

L’enquête empirique qui soutient ce travail de recherche se déroule de 2014 à 2017, principalement au sein de l’Œuvre Falret qui est une association gestionnaire de 36 établissements sociaux et médico-sociaux, acteur majeure de santé mentale en île-de-France. Cette association accompagne 3000 personnes et emploie 700 salariés.

L’enquête se compose de deux volets :

- L’un exploratoire, visant la définition des caractéristiques principales des rapports sociaux d’usage entretenu par les usagers avec les professionnels et les institutions d’action sociale et médico-sociale et la valeur matricielle de l’expertise usagère dans leur organisation,

- L’autre interventionnel, visant l’émergence de l’expertise des usagers sur leur propre situation « d’usage » des institutions et sa discussion avec les expertises professionnelles et scientifiques par une action de recherche dite « usagère » parce qu’ils sont la classe d’acteurs considérée comme centrale dans la refondation institutionnelle de l’action sociale et médico-sociale et « coopérative » car elle nécessite de co-opérer, au sens d’opérer ensemble dans l’action de recherche.

Le volet exploratoire est composé d’un questionnaire adressé à 140 établissements de l’ouest de l’Île-de-France et d’une trentaine d’entretiens individuels avec des usagers, des professionnels, des cadres et des administrateurs.

Le volet interventionnel est composé d’une démarche de recherche usagère coopérative menée dans 4 établissements de l’association Œuvre Falret (un GEM, une MAS, un FAM et un FVO). La recherche usagère coopérative est un processus de valuation et d’évaluation des pratiques institutionnelles d’accompagnement et, conjointement, une méthodologie de recherche visant de

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production de connaissances intégrées et hybridées sur les rapports sociaux et de pouvoir entre différentes classes d’acteurs.

Résultats mobilisés pour la communication

En termes de résultats principaux, nous observons que le taux de pénétration des outils légaux de garantie du droit des usagers à la participation à la vie des institutions est différencié en fonction qu’ils sont individuels ou collectifs. Nous observons que les outils de garantie individuels (comme le livret d’accueil ou le contrat d’accompagnement) sont massivement mis en place dans les établissements enquêtés (99 % des 140 établissements enquêtés) alors que les outils collectifs tels que les Conseils de la vie sociale ne sont mis en place que dans 50 % des établissements enquêtés.

Notons également que seulement 50 % de ces établissements sont dotés d’organes de suivi des plaintes des usagers. Les plaintes sont traitées non pas comme un possible conflit opposant l’usager à l’institution mais comme mal-positionnement de l’usager qui est alors renvoyé vers… le psychologue. Le traitement réservé à la parole de l’usager l’invalide. Le traitement de l’usager est celui d’un individu souffrant de manques, qui n’est pas cru lorsqu’il se plaint, qui n’est pas

« informé de ses droits ».

En effet, du point de vue des professionnels, les figures de l’usager sont celles de l’acteur, du citoyen et de l’expert sur le plan discursif ; mais, rejoignant le point de vue des usagers, sur le plan du vécu et des pratiques concrètes d’accompagnement, l’usager est traité comme un individu massifié, considéré de façon grégaire, d’un contractant obligataire ou d’un sous-citoyen. Du point de vue des cadres, pour compléter le tableau, l’usager est envisagé comme un membre d’équipe ou un client, utile au fonctionnement institutionnel, très facilement envisagé comme expert lorsque cela sert un management participatif.

Ainsi, les rapports sociaux d’usage ne sont-ils pas majoritairement médiatisés par la technologie juridique (le droit, les droits à la participation) comme nouvelle forme ré- institutionnalisation par l’État de la protection sociale ; mais sont davantage médiatisés par la résistance socio-politique des usagers comme fabrique hybridée : organico-mécanique, de l’institution. Il existe ainsi un continuum entre bien-être individuel et utilité sociale individuelle de la personne vulnérable qui prend ses racines dans la révoltes des usagers contre le mépris social

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À ce titre, notons également que la reconnaissance des compétences usagères, des savoirs, expériences et expertises usagères des usagers, définies comme transférables de la situation d’handicapé institutionnalisé à celle d’aidant d’un pair, d’un proche ou d’un professionnel, pour faciliter l’adaptation de la réponse institutionnelle, est un point nodal de la reconnaissance citoyenne des personnes handicapées. Ainsi, l’expertise usagère : sa reconnaissance, sa valorisation et sa mise en dialogue avec les expertises professionnelles et scientifique est le fond matriciel de la création des liens sociaux d’usage.

L’informalité instituante de l’expertise usagère

Ainsi, dans un contexte d’égalisation massive des conditions matérielles d’existence des personnes face aux risques économiques et climatiques, acceptant que les conditions d’usager et d’handicapé sont des conditions et expériences sociales universelles de l’homme moderne, notre recherche démontre, d’une part, le caractère incontournable, anthropologique, de l’utilité sociale individuelle de la personne dans la production du citoyen, et, d’autre part, l’urgence sociétale de reconnaître l’expertise usagère comme partie prenante de l’expertise sociale.

Je propose de voir une solidarité d’usage émerger : plus sociétaire que contractuelle.

Mécanique parce qu’elle se crée au sein d’une communauté restreinte d’appartenance, Organique parce qu’elle est simultanément institutionnalisée. Cette solidarité d’usage s’appuie sur les volontés d’utilité sociale individuelle et contribue à la solidarité générale et à la cohésion sociale…, en dehors de la catégorie travail.

L’émergence de la solidarité d’usage entérine l’hypothèse d’un nouvel âge de la solidarité qui engage à poursuivre la réflexion sur la réforme de notre système de protection sociale dit universel encore insuffisamment rompu à la construction usagère de ses cadres institutionnels de support.

La catégorie d’informalisation me semble définir cette incursion des activités et expertises usagères en lieu et place de missions assumés précédemment par l’institution. Le clivage de la société induite des politiques sociales différenciées d’assistance et d’assurance sociales me semble aujourd’hui se réduire sur l’autel du travail qui ne peut plus être envisagé comme grand intégrateur.

Références

Documents relatifs

• BECKER, Jean-Jacques. Histoire politique de la France depuis 1945. Histoire de la République française et de ses présidents. Elections et démocratie. Gallimard Jeunesse, 2007.

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