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View of L’entrance des auteurs africains dans le champ de la bande dessinée européenne de langue française

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Academic year: 2021

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108 IMAGE [&] NARRATIVE Vol. 22, No.1 (2021)

L’entrance des auteurs africains dans le

champ de la bande dessinée européenne de

langue française

Jan Baetens

Sandra Federici, L’entrance des auteurs africains dans le champ de la bande dessinée européenne de

langue française (1978-2016). Préface de Pierre Halen et Silvia Riva

Paris, L’Harmattan, série « Études culturelles », 2019 ISBN : 978-2-343-15925-6

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En 1975, dans le numéro inaugural des Actes de la Recherche en Sciences Sociales, Luc Boltanski publiait un article, « La constitution du champ de la bande dessiné » (vol. 1.1, pp. 37-59), dont le titre pouvait se lire de deux manières, puisque le texte « accomplit » ce qu’il « étudie ». La publication créait le champ qui avant lui n’existait pas en tant qu’objet scientifique. Certes, le champ de la bande dessinée existait déjà, de manière informelle, mais c’est grâce à Boltanski qu’il est devenu possible de l’étudier en tant que champ, au sens spécifique que lui donne la sociologie de Bourdieu. Toutes proportions gardées, le livre de Sandra Federici, issu d’une thèse défendue à l’Université de Lorraine en co-tutelle avec l’Université de Milan, a des ambitions comparables. À partir de la sociologie de la culture d’inspiration bourdieusienne, reprise dans ses grandes lignes mais critiquement interrogée à l’aide d’une série de recherches sur le fonctionnement « systématique » de la littérature en langue française et de ses rapports complexes avec la notion non moins complexe de francophonie, Federici se propose un double objectif : d’une part, étudier la manière dont les auteurs africains de bande dessinée de langue française trouvent – ou ne trouvent pas – une voie d’entrée – une parmi d’autres, s’entend, car les accès comme les barrages sont multiples – au marché européen ; d’autre part, son travail, qui en cela prolonge son engagement au sein de la revue Africa e Mediterraneo et de nombreuses autres initiatives interculturelles, est également une tentative de « faire entrer » cette production dans un champ qui était resté jusqu’ici très eurocentré.

À l’instar de Boltanski, Federici « constitue » donc le phénomène qu’elle étudie. Or, si elle emprunte bon nombre d’outils théoriques et de perspectives méthodologiques à l’approche sociologique de type bourdieusien, ni le cadre, ni l’approche ne sont tout à fait les mêmes.

Pour commencer, l’horizon de l’analyse n’est pas en premier lieu sociologique et théorique, mais culturel et pratique. Il ne s’agit pas de proposer, puis de tester une certaine conceptualisation théorique, mais de mettre à profit certaines idées, sociologiques mais aussi littéraires, en vue d’aboutir à une meilleure compréhension de la manière dont les auteurs africains de bande dessinée s’y prennent pour produire, puis diffuser « au Nord » des œuvres en dépit de difficultés souvent considérables et comment cette production dépend de toute une série de données contextuelles – économiques, idéologiques, logistiques, esthétiques, linguistiques, notamment – dont le rôle n’avait encore jamais été sérieusement étudié.

En second lieu, le champ en question s’avère aussi d’une diversité qui résiste sans doute à l’homogénéité implicite du concept de champ : non seulement l’Afrique francophone se laisse difficilement ramener à un seul ensemble (la situation dans les anciennes colonies françaises n’est pas celle du Congo, par exemple), mais les auteurs et la production africains travaillent aussi dans un champ, qu’on le pense au singulier ou au pluriel, qui ne constitue pas un champ à lui tout seul. Souvent trop faible pour être totalement indépendant, ce champ ne peut que se positionner par rapport à un centre, en l’occurrence le marché « mainstream » de la bande dessinée franco-belge. Dans le livre de Federici, c’est la notion d’antinomie qui permet de penser ensemble ce double écart par rapport à l’approche sociologique de la culture. Définie par Paul Dirkx comme « l’antagonisme entre une force qui favorise l’hétéronomie et une autre qui tend à l’autonomie », l’antinomie aide à distinguer la lecture de Federici des approches plus homogénéisantes du champ, tout en lui donnant un outil pour distinguer entre les différentes manières, plus ou moins antinomiques, qu’elle rencontre au cours de ses recherches. L’étendue de l’enquête de terrain est un troisième trait distinctif du travail de Federici. Son livre est le fruit de nombreuses années d’investigation et s’appuie sur une connaissance du terrain remarquable et une

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impressionnante série d’entretiens avec des représentants de la totalité de la chaîne du livre, au sens le plus étendu qui soit (éditeurs, critiques, instances publiques, sponsors associatifs, distributeurs, libraires, organisateurs de festivals). Trois études de cas (Barly Baruti, Pat Masioni et Marguerite Abouet) servent de base à des réflexions tout à fait passionnantes sur les « trajectoires d’auteur » (entre centre et périphérie, entre autonomie et hétéronomie, entre Afrique et Europe).

Le livre de Federici réunit un matériau immense, d’une grande utilité à tout futur chercheur. La quantité des informations réunies en fait toutefois un travail qui hésite parfois entre argumentation et encyclopédie, inévitable arme à double tranchant des thèses très fouillées : ces livres sont des guides sûrs, mais à consommer avec modération. La quasi-absence d’illustrations est sûrement un défaut, tout comme les références systématiques à des sources italiennes pourtant disponibles en français (c’est surtout gênant dans le cas des traductions de l’anglais ou de l’allemand). Enfin, il faut espérer que la nouvelle étape de cette recherche aussi utile qu’indispensable ouvrira le débat à d’autres médias que la seule bande dessinée. La comparaison avec d’autres champs de la production culturelle comme la musique ou la vidéo ne manquera pas de revenir sur des questions essentielles comme le droit d’auteur (piratage, création collective, techniques de distribution, modèles économiques) ou encore les échanges entre centre et périphérie (sur ce point, il sera fascinant d’examiner de plus près les similarités et disparités entre mondes francophone et anglophone, les notions de centre et de périphérie se posant de manière à la fois identique et différente de part et d’autre). Le livre de Federici ne va pas encore jusque-là, mais nous invite à commencer à faire ce pas supplémentaire.

Jan Baetens est Professeur de littérature et d’études culturelles à KU Leuven.

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