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Mondes du Tourisme Varia. Varia

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8 | 2013

Varia

Varia

Édition électronique

URL : http://journals.openedition.org/tourisme/72 DOI : 10.4000/tourisme.72

ISSN : 2492-7503 Éditeur

Éditions touristiques européennes Édition imprimée

Date de publication : 1 décembre 2013 ISSN : 2109-5671

Référence électronique

Mondes du Tourisme, 8 | 2013 [En ligne], mis en ligne le 17 juin 2015, consulté le 05 octobre 2020.

URL : http://journals.openedition.org/tourisme/72 ; DOI : https://doi.org/10.4000/tourisme.72 Ce document a été généré automatiquement le 5 octobre 2020.

Mondes du tourisme est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.

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SOMMAIRE

Chroniques scientifiques

Le concept de champ pour une approche interdisciplinaire du tourisme

Discussion théorique à propos de Clivaz, Nahrath et Stock (2011), et perspectives de généralisation André Suchet

Lieux touristiques et gestion de l’altérité

Réflexions autour des pratiques de sociabilité Vincent Coëffé

Recherche. Varia

Expérience vécue chez un chef étoilé et achat de produits locaux par les clients

Marielle Salvador-Pérignon

Les guides touristiques : vers de nouvelles pratiques discursives de contamination

Annabelle Seoane

Tourist behavior and weather

Understanding the role of preferences, expectations and in-situ adaptation Martin Lohmann et Anna C. Hübner

Sustainable Tourism in Malaysia

Policies and Practices

Pradeep Kumar Nair et Toney K. Thomas

Actualités de la recherche

Comptes rendus de thèse

Compte rendu de thèse

Claudine Celhaiguibel, Mobilité temporaire de temps libre : événement exceptionnel ou routine ?

Thèse de doctorat en aménagement de l’espace et urbanisme à l’université Paris-Est, dirigée par Jean-Pierre Orfeuil (soutenue le 6 décembre 2013)

Claudine Celhaiguibel

L’espace touristique de la grande ville : une approche par les pratiques et les mobilités touristiques. Le cas de la destination Paris

Thèse de doctorat en géographie et tourisme de l’université d’Angers, dirigée par Philippe Duhamel (soutenue le 30 septembre 2013)

Laurie Lepan

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Lectures critiques

Lectures critiques

Salvador Anton Clavé (dir.), 10 Lecciones sobre turismo / 10 Lessons on Tourism

Planeta, février 2012, 478 pages Philippe Duhamel

Lectures critiques

Laurent Bourdeau, Maria Gravari-Barbas et Mike Robinson (dir.), Tourisme et patrimoine mondial

Coll. “Patrimoine en mouvement”, Presses universitaires de Laval, mars 2012, 320 pages Philippe Violier

Lectures critiques

Sophie Chevalier, Emmanuelle Lallement et Sophie Corbillé, Paris, résidence secondaire.

Enquête chez ces habitants d’un nouveau genre

Collection “Anthropolis”, Belin, janvier 2013, 150 pages Christophe Guibert

Lectures critiques

Laurent Botti, Nicolas Peypoch et Bernardin Solonandrasana, Économie du tourisme

Collection “Les Topos”, Dunod, septembre 2013, 128 pages Cécile Clergeau

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Chroniques scientifiques

Scientific chronicles

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Le concept de champ pour une approche interdisciplinaire du tourisme

Discussion théorique à propos de Clivaz, Nahrath et Stock (2011), et perspectives de généralisation

André Suchet

Remerciements à Ioan Chioar pour ses conseils avisés au moment de l’écriture de ce texte.

1 Pour schématiser l’effet de concurrence entre les sites, les stations, ou plus largement les destinations touristiques et sportives, à partir de leur produit d’appel (le ski, le thermalisme, les activités de mer ou de montagne...), plusieurs études universitaires mobilisent la notion de “champ”, plus ou moins référée à l’approche théorique de Bourdieu (1984b, 1992) en sociologie. On pense notamment aux travaux de Dienot et Theiller (1992), Bourdeau (2000), Keerle (2002) ou encore Hallé (2008). Plus précisément, on peut noter que les auteurs soit mobilisent de façon caricaturale le dispositif théorique de Bourdieu – c’est le cas de Hallé (2008), bien que le titre de sa recherche ne l’annonce pas –, soit sollicitent imperceptiblement les capacités du concept de champ, mais restent tellement prudents qu’ils ne citent pas Bourdieu ou s’en acquittent trop rapidement – c’est le cas de Dienot et Theiller (1992) ; Bourdeau (2000). Plus encore, on pourrait surtout citer nombre de mémoires de recherche qui mobilisent sans aucune précaution le concept de “champ touristique” ou de “champ du tourisme”. À la suite de ces études relativement démunies sur un plan théorique, un groupe d’auteurs basé à l’Institut universitaire Kurt Bösch de Sion formalise remarquablement le concept de champ pour des lieux géographiques mis en tourisme (Clivaz, Nahrath et Stock, 2011). Ils affirment : “Nous appelons champ touristique cette configuration où la reconnaissance d’intérêts spécifiques permet aux acteurs des stations touristiques de mobiliser et de jouer leur capital [...] afin de se positionner avec leurs avantages concurrentiels dans ce jeu à la fois marchand et non marchand. [...] L’existence d’un champ touristique, où les agents seraient constitués par les acteurs des stations touristiques (voire par les stations en tant qu’acteurs collectifs)” (Clivaz, Nahrath et Stock, 2011, pp. 278-279). Bien qu’il s’agisse d’un modèle annoncé comme encore provisoire, cette publication de

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l’Institut universitaire Kurt Bösch dans la revue francophone de recherche Mondes du tourisme1 ainsi que le programme collectif dont elle est tirée (Stock, 2013)2, représentent, selon nous, une avancée majeure dans la recherche sur le tourisme.

2 Le présent article – après un cadrage disciplinaire, et en l’occurrence interdisciplinaire –, discute les apports et les limites de cette publication et formule certains éléments complémentaires de mise en œuvre et de généralisation d’une approche en termes de champ pour étudier le tourisme afin d’en arriver à une conceptualisation efficiente des effets de définition ou de redéfinition, de capitalisation ou de hiérarchisation, et surtout de concurrence relative entre les entités qui composent ce phénomène à travers le monde3.

Un travail de conceptualisation interdisciplinaire

3 Ce travail de conceptualisation, tout comme l’article de Clivaz, Nahrath et Stock (2011) auquel il apporte une suite et une réponse, est fondamentalement interdisciplinaire.

Ainsi que le recommandent justement Darbellay et Stock (2012a, 2012b) dans plusieurs articles du même programme de recherche, il s’agit de croiser la géographie, la sociologie, l’histoire, les sciences politiques (au pluriel comme au singulier) ou encore les sciences de gestion (elles-mêmes pluridisciplinaires), mais sans pour autant faire disparaître toute trace de rattachements disciplinaires (Darbellay et Paulsen, 2008 ; Rhein, 2003). Conséquemment, ce travail n’a aucune ambition transdisciplinaire – qui effacerait les frontières entre géographie, histoire, sociologie et psychologie ou science politique – et ne s’engage pas non plus dans la complexité d’une métadisciplinarité (cf.

tableau 1).

4 Plus précisément, ce travail est interdisciplinaire dans la mesure où un apport de la

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permet de lier des concepts de sociologie ou de science politique habituellement opposés par leur école de pensée (holisme/individualisme, structure/action, espace/

territoire…). Par exemple, la notion de “champ du tourisme de montagne” permet de lier certains acquis de Bourdieu (1979, 1984b) avec l’étude des organisations locales d’une vallée (au sens de Crozier et Friedberg, 1977 ; ou de Friedberg, 1997). Dans ce cadre, l’objet même d’une étude faite à partir du concept de champ touristique ou de champ du tourisme n’est plus seulement géographique, ni seulement historique ou sociologique, “il est co-construit dans et par le processus interdisciplinaire sur la base des compétences existantes, tout en étant irréductible à l’un ou l’autre des points de vue disciplinaires concernés” (Darbellay et Paulsen, 2008, p. 4).

Le concept de champ pour étudier le tourisme

5 Pour le dire de but en blanc, un des apports déterminants du travail de Clivaz, Nahrath et Stock (2011) réside dans la démonstration de l’existence d’un champ spatialisé que représente la concurrence des stations entre elles. Conformément donc au principe de travail interdisciplinaire, qui ne signifie pas la disparition des rattachements disciplinaires en eux-mêmes, le concept de champ passe ainsi de la sociologie à la géographie. Comme le précisent Clivaz, Nahrath et Stock (2011, pp. 278-279), il s’agit de la transposition des concepts de Bourdieu à des lieux géographiques.

6 De plus, les auteurs de l’Institut universitaire Kurt Bösch se préoccupent de la concurrence des stations entre elles, mais leur démarche peut s’élargir, selon nous, à une destination ou, inversement, à tout espace socialement approprié par un groupe d’acteurs dont il est le support identitaire, économique et politique, c’est-à-dire une formation territoriale. Pour le dire simplement, on accorde une validité au principe de champ à d’autres échelles géographiques. Conceptuellement, même si le vocable de

“territoire” n’est pas forcément sollicité, notamment au profit d’un vocabulaire spécifique au monde du tourisme (sites, stations, destinations…), ces dénominations correspondent à autant de lieux, de territoires de projet ou de “territoires qui se projettent” (Hazebroucq, 2009 ; Marchal et Duchesne, 2006). Sans pour autant formuler de correspondance entre site et lieu ou entre destination touristique et territoire, les dénominations par objets géographiques recoupent les concepts fondamentaux de lieu ou de territoire au sens de la géographie sociale (Raffestin, 1986 ; Berdoulay et Entrikin, 1998 ; Di Méo, 1998, 2001 ; Giraut, 2008). Autrement dit, la concurrence au sein du champ se situe entre les sites touristiques, entre les stations ou entre les destinations, tout comme elle existe entre les lieux ou entre les territoires.

7 Enfin, sur le plan méthodologique, la crainte que manifestent Clivaz, Nahrath et Stock (2011, p. 279) au sujet de la difficulté d’analyse induite par une délimitation floue du tourisme et des sous-champs de ce métasecteur ne nous semble pas un obstacle dans la mesure où les autres domaines étudiés par Bourdieu sont eux-mêmes variablement délimités. On pense notamment au champ littéraire, au champ religieux, au champ universitaire (Bourdieu, 1971, 1991, 1984a). Effectivement, Bourdieu (1992) estime que

“les limites du champ sont elles-mêmes un objet de lutte au sein du champ” dans la mesure où la définition de ceux qui appartiennent ou non au champ pose justement la question “de la définition légitime de la pratique” ou de “la bonne manière de pratiquer”. Autant de préoccupations fondamentales des occupants du champ.

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8 Théoriquement, rappelons que Bourdieu (1984b, 1992) affirme la présence de champs, au sens de milieux spécifiques, résultant du processus historique de différenciation que connaissent les sociétés contemporaines et caractérisés par certaines propriétés.

Bourdieu (1992, p. 73) note ainsi que “le cosmos social est constitué de l’ensemble de ces microcosmes sociaux relativement autonomes”. Mais tout groupe de personnes ne constitue pas forcément un champ. Le concept de champ formulé par Bourdieu est un espace de lutte, “un réseau ou une configuration de relations objectives entre des positions”. Ces positions sont définies objectivement dans leur existence et dans les déterminations qu’elles imposent à leurs occupants dans la distribution des différents capitaux en jeu dans le champ. Autrement dit, un champ se définit principalement par :

9 — La présence de capitaux spécifiques ou non. L’argent, le capital social (les relations entre personnes), les diplômes et certificats sont des capitaux non spécifiques, c’est-à- dire actifs dans l’ensemble de la société. Le nombre de lits d’une vallée en Haute-Savoie est un capital spécifique au tourisme. De même, un champion du monde de patinage artistique représente pour une destination de montagne un capital très spécifique pour atteindre notamment la clientèle féminine ou senior. Autant d’aspects que les auteurs de l’Institut universitaire Kurt Bösch tentent de formaliser par le concept intégratif de

“capital touristique” (Darbellay, Clivaz, Nahrath et Stock, 2011). Cette nouvelle formalisation paraît stimulante mais encore très délicate à utiliser. On ne s’engage pas ici sur cet aspect. Les chaînes hôtelières disposent d’un certain nombre de lits afin de loger un maximum de personnes, mais, à partir des bénéfices, il s’agit encore d’augmenter la capacité d’hébergement. De même, l’accumulation de devises étrangères en station de sports d’hiver est une fin, mais elle est aussi un moyen de croissance par capacité d’investissement, puis un moyen de dominer le champ international des destinations hivernales.

La présence d’une certaine croyance en la valeur des capitaux, en l’importance du domaine, et plus largement la présence d’un intérêt au jeu du champ : ce que Bourdieu nomme en latin l’illusio. Pour le dire très simplement : “Les individus doivent y croire.” Par exemple, certaines nations d’Asie centrale ou d’Afrique du Nord ne souhaitent pas s’engager dans une mise en tourisme à laquelle ils attribuent des valeurs négatives (occidentalisation, capitalisme, perte des traditions…) et restent à l’écart du champ, alors même que beaucoup d’autres États pensent leur avenir dans le tourisme. Ces derniers témoignent d’un illusio en faveur du tourisme et de ses capitaux (nombre d’arrivées, devises étrangères…).

La présence d’une lutte interne pour sa domination. Une concurrence objective qui passe par une concurrence subjective pour l’imposition des règles de hiérarchisation, c’est-à-dire tout à la fois les limites du champ (les concurrents admis) et la valeur des capitaux. Dans un champ, les personnes investissent des stratégies de conservation (maintenir la structure du champ) ou des stratégies de subversion (réorganiser le champ à son avantage). Dans le domaine sportif longuement étudié par quelques-uns des étudiants de Bourdieu – et par lui- même à plusieurs reprises –, cette lutte correspond à une lutte pour la définition légitime de la pratique (Bourdieu, 1987, pp. 203-216, 1992 ; Clément, 1994). Par exemple, en escalade, durant les années 1980, les partisans de la compétition tentent d’imposer l’escalade sportive, contre les tenants d’un alpinisme classique. Chacun des partis rivalise d’arguments pour imposer sa définition légitime de l’activité dans le champ, c’est-à-dire aussi la hiérarchie des légitimités entre les différentes formes de pratique. Comme l’attestent les études de Pociello (1995) et celles qu’il a dirigées à l’université d’Orsay, le même mécanisme se retrouve en nautisme, en rugby, en vol libre et dans bien d’autres activités.

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10 Il en est rigoureusement de même pour les destinations touristiques. Les stations, les sites pittoresques aménagés ou les zones urbanisées sont en concurrence, et cherchent à se positionner au sein d’un champ touristique ou sportif (Clivaz, Nahrath et Stock, 2011). Parmi les stations de sports d’hiver, chacune tente d’imposer la longueur de piste, la qualité environnementale, le nombre de remontées mécaniques ou autres critères avantageux pour s’afficher comme étant “la plus grande station de ski”, “le plus grand domaine skiable d’Europe”, “la plus belle station”… Effectivement, nul meilleur moyen n’existe pour être classé premier que de formuler soi-même les critères du classement en ayant déterminé les candidats autorisés à concourir. Plus encore : villégiature, ascensionnisme et séjours en montagne, sports d’hiver, thermalisme, climatisme, thalassothérapie, tourisme balnéaire, tourisme d’aventure… sont autant de catégories subjectives différenciées au cours du temps (Boyer, 1996 ; Équipe Mit, 2002, 2005 ; Knafou et Violier, 2000 ; Réau, 2007 ; Bataillou, 2010 ; Cousin et Réau, 2009), c’est-à-dire autant de champs ou de sous-champs dans lesquels une station, une vallée ou toute autre destination tente d’imposer sa prééminence (cf. figure 1).

11 Finalement, si l’apport essentiel des auteurs de Sion est de formaliser la dimension spatiale du tourisme en tant que champ économiquement, socialement, politiquement et symboliquement constitué, séparer la concurrence en jeu dans l’espace de celle en jeu dans l’ensemble de la société ne semble pas satisfaisant. Considérant l’influence du non-spatial sur le spatial, et inversement, à tous les niveaux (Frémont, Chevalier, Hérin et Renard, 1984 ; Chadefaud, 1988 ; Di Méo, 1998 ; Séchet et Veschambre, 2006 ; Di Méo et Buléon, 2005), voire même la concurrence entre objets spatiaux et non spatiaux (la limitation du temps disponible impose un choix entre la lecture, la télévision, les voyages ou le travail), on gardera l’idée d’un ensemble imbriqué dans d’autres ensembles (le sport, les loisirs, le travail…). Ainsi, plutôt que de se réduire formellement à ce champ touristique spatialisé que pointent Clivaz, Nahrath et Stock (2011), on estime – tout en reconnaissant l’existence de ce champ – qu’il faut étudier

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l’ensemble du jeu de concurrence entre les lieux, mais aussi entre acteurs et entre institutions situés hors de ces lieux (les maisons d’édition qui publient des livres de voyages en faveur de l’une ou l’autre des destinations, mais aussi les dirigeants de salles de cinéma qui représentent un groupe d’acteurs concurrents). Non pas que le champ touristique au sens de Clivaz, Nahrath et Stock (2011) ne soit pas un des secteurs importants du phénomène touristique mondial, mais dans le sens où il n’est que l’une des pièces d’un mécanisme global qu’il convient de ne pas trop longuement isoler au cours d’une recherche. On recommande donc d’utiliser ce concept de champ touristique, mais aussi et tout autant celui légèrement plus large de champ du tourisme, ou inversement celui plus restreint de sous-champ des stations de sports d’hiver (évidemment sans écrire nécessairement chaque fois le préfixe “sous”), et toutes les combinaisons possibles selon la centration du raisonnement sur l’un ou l’autre des aspects que l’on souhaite appréhender (le champ ou sous-champ des destinations thermales, le champ du tourisme culturel, le champ du tourisme souterrain, le champ des sites d’art roman, le champ des parcs à thème, etc.), tout en reconnaissant la pluralité des relations sociales et spatiales en jeu et en examinant les relations de ce champ – momentanément isolé pour les besoins de la recherche – avec un ou plusieurs autres champs selon le cas d’étude – le “champ du pouvoir”, comme le recommandait Bourdieu (1987, 1991), lorsque cela paraît pertinent, mais aussi le champ sportif ou encore le champ médical.

Conclusion

12 À la suite de multiples études relativement démunies sur un plan théorique, l’équipe universitaire de l’Institut Kurt Bösch en Suisse formalise remarquablement le concept de champ pour des lieux géographiques mis en tourisme. Sur la base du travail sociologique de Bourdieu (1984b, 1992), le texte rédigé par Clivaz, Nahrath et Stock (2011) ainsi que le programme collectif dont il est tiré (Stock, 2013) représentent, selon nous, une avancée majeure dans la recherche en tourisme.

13 Plus précisément, un des apports déterminants du travail de Clivaz, Nahrath et Stock (2011) réside dans la démonstration interdisciplinaire de l’existence d’un champ spatialisé que représente la concurrence des stations entre elles et que l’on peut admettre à d’autres échelles géographiques (y compris à l’échelle conceptuelle du lieu ou du territoire). Les limites de cette “première brique” empêchent cependant une généralisation solide. Séparer la concurrence en jeu dans l’espace de celle en jeu dans l’ensemble de la société ne nous semble pas satisfaisant, et l’on considère plutôt avec les acquis déjà anciens de la géographie sociale qu’il existe une influence du non-spatial sur le spatial, et inversement, mais aussi une concurrence entre objets spatiaux et non spatiaux. Selon nous, il convient donc de ne pas réduire au singulier ce concept de champ touristique (d’autres champs ou sous-champs existent indissociablement) : la pluralité des situations mérite indispensablement le pluriel conceptuel à plusieurs niveaux, y compris lorsque ces niveaux sont emboîtés les uns dans les autres. Ce pluriel – qui consiste à se focaliser sur l’un ou l’autre des champs et des sous-champs du tourisme, tout en étudiant les relations de ce dernier avec d’autres champs situés hors du tourisme – permet, dès lors, une généralisation à la fois simple et rigoureuse.

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NOTES

1. L’article qui nous préoccupe figure dans un numéro hors-série de cette revue, correspondant aux actes des IIIes Rendez-vous Samuel Champlain du tourisme co-organisés en 2010 par l’Université d’Angers : Christophe Clivaz, Stéphane Nahrath et Mathis Stock, “Le développement des stations touristiques dans le champ touristique mondial”, Mondes du tourisme, hors-série

“Tourisme et mondialisation”, 2011.

2. Pour d’autres résultats théoriques ou empiriques de ce groupe de recherche, voir notamment Clivaz, Nahrath et Stock (2010), Stock (2010), ou encore Nahrath et Stock (2012).

3. Cette publication de recherche théorique et de réponse aux travaux de l’équipe universitaire de Sion repose initialement sur un travail de thèse en géographie du tourisme (Suchet, 2012).

RÉSUMÉS

Cet article discute les apports et les limites d’un travail de Clivaz, Nahrath et Stock (2011), dont l’intention est de conceptualiser puis de caractériser l’existence d’un champ touristique mondial (en référence au concept sociologique de Bourdieu, 1984b, 1992). Par suite, l’article formule des éléments complémentaires de mise en œuvre et de généralisation d’une approche en termes de

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champ pour étudier le tourisme. Selon nous, il convient notamment de ne pas réduire au singulier ce concept de champ touristique (d’autres champs ou sous-champs existent indissociablement) ; la pluralité des situations mérite le pluriel conceptuel à plusieurs niveaux, y compris lorsque ces niveaux sont emboîtés les uns dans les autres.

This article discusses the benefits and limits of the work of Clivaz, Nahrath and Stock (2011), whose intention is to conceptualize and characterize the existence of a global tourism field (referring to the sociological concept of Bourdieu, 1984b, 1992). After this discussion, the article presents further elements in order to study tourism with the concept of field. In particular, we believe there is not only one tourism field, but the several existing situations require many conceptual levels, including when these levels overlap more or less each other.

INDEX

Keywords : tourism field

Mots-clés : champ touristique, recherche touristique

AUTEUR

ANDRÉ SUCHET

Docteur en géographie, ingénieur de recherche CNRS (contractuel), laboratoire PACTE (UMR 5194), université de Grenoble/CNRS

[a.suchet@wanadoo.fr]

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Lieux touristiques et gestion de l’altérité

Réflexions autour des pratiques de sociabilité

Vincent Coëffé

1 Le tourisme, invention britannique de la seconde mondialisation, peut être appréhendé comme un puissant moteur de mise en contact des lieux du monde, même si les échelles concernées par les mobilités touristiques ne sont pas forcément calées sur la plus grande extension. Les premières destinations mondiales sont pour l’essentiel européennes et les échanges entre elles continuent intensément. Ainsi, même s’il faut relativiser les statistiques produites par l’OMT (Organisation mondiale du tourisme), qui intègre notamment dans le tourisme des mobilités qui ne s’inscrivent pas dans la recréation (ensemble des pratiques rompant avec le quotidien, y compris avec la sphère professionnelle), les ordres de grandeur montrent que “sur le continent européen, 87 % des séjours internationaux sont le fait de ressortissants européens” (Dehoorne, Saffache et Tatar, 2008).

2 Mais contrairement à ce qui est ressassé dans le discours commun comme dans la vulgate scientifique (Christin, 2008), le monde n’a pas été tout à fait “uniformisé”, voire

“banalisé” par le tourisme même si cette forme de mobilité a rendu (et rend) possible la connaissance de lieux autres qui ont gagné en proximité. Par le seul fait de se déplacer temporairement vers des lieux du hors-quotidien, les touristes valorisent un différentiel d’altérité (la qualité de ce qui est autre) sans lequel ils n’auraient pas de raison de retrouver ailleurs ce dont ils pourraient se saisir ici.

3 Le constat d’une homogénéisation de l’espace touristique s’appuie bien souvent sur l’observation de ces flux qui n’ont pas cessé d’augmenter à l’échelle du monde depuis les années 1950 notamment, et par la saisie des indices les plus visibles d’une standardisation des lieux pratiqués par les touristes (chaînes hôtelières mondialisées notamment).

4 Il ne s’agit pas ici de nier certaines logiques de convergence des pratiques, images, valeurs, normes à travers le monde, processus auquel contribuent les acteurs du tourisme. L’aménagement de ce qui est représenté comme “autre” par les touristes

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potentiels est même une des conditions de leur mobilité, mais selon des modalités qui peuvent considérablement varier d’un individu à l’autre, notamment en fonction de leurs “compétences spatiales”, mesurée surtout à travers l’expérience capitalisée des lieux du monde.

5 Car il s’agit bien ici d’appréhender l’altérité comme un problème et non comme une évidence qui n’appellerait que des jugements de valeur coincés entre idéalisation “du”

touriste des “confins” (lieux d’une altérité dite “radicale”) et haine du touriste des lieux

“dédiés” (lieux du tourisme de masse, offrant les standards attendus).

6 Nous nous intéresserons ici plus particulièrement à l’altérité sous l’angle de la relation aux autres, que ces derniers soient touristes (cette catégorie posant d’ailleurs problème au sens où il n’existe pas a priori d’identité entre les individus identifiés comme tel) ou

“résidents”. La sociabilité est en effet au fondement des pratiques touristiques et en constitue toujours un des ressorts majeurs (Équipe Mit, 2011), sans que le phénomène ait rencontré jusqu’à présent un intérêt marqué de la part des chercheurs. Certes, des travaux sont disponibles (Amirou, 1995) mais ils ne prennent pas toujours suffisamment au sérieux la dimension spatiale des sociabilités.

7 Or les lieux touristiques ne sont pas ici de simples cadres des relations sociales mais incarnent en même temps qu’ils rendent possibles les différentes manières de produire des sociabilités. Nous faisons donc l’hypothèse que si les relations sociales en situation touristique prennent place dans le contexte du hors-quotidien et du déplacement à des fins de recréation (reconstitution du corps et de l’esprit, rupture avec la routine), leurs configurations sont plus ou moins changeantes dans le temps, de même que les acteurs du tourisme ont inventé ou maintenu des formes de lieu autorisant (ou non) leur mise en œuvre.

“Entre-soi”, “entre-lieu”

8 Alors que la rencontre est un moteur essentiel des pratiques touristiques, au point d’apparaître souvent comme un impératif moral (le touriste se doit notamment de rencontrer la “vraie” société, celle qui est perçue comme “locale”), celle-ci met sans doute d’abord en relation des touristes avec d’autres touristes.

9 Cela est vrai de l’aristocratie britannique qui crée au XVIIIe siècle les premiers lieux touristiques en recherchant de nouvelles formes de distinction. Il s’agit d’y maintenir les logiques d’intenses sociabilités circulant à l’intérieur de cette classe sociale. L’espace privé des châteaux et hôtels reste alors la “technologie spatiale” privilégiée pour assurer la reproduction sociale par l’entre soi.

10 Mais c’est vrai aussi lorsque la bourgeoisie s’invite un peu plus tard dans l’univers du tourisme : il s’agit là encore de garantir le fonctionnement des sociabilités mondaines.

Encore que l’innovation ne soit pas mince ici. À Bath, matrice de tous les lieux touristiques (Équipe Mit, 2005), l’élite marchande et financière crée les assembly rooms, lieux du jeu, de la danse et de la boisson à travers lesquels la haute société s’affiche cette fois sur la place “semi-publique” (on y est normalement accepté à condition d’être coopté). Des bals y sont organisés qui constituent autant d’occasions pour les jeunes gens à marier de faire leur entrée dans le monde, dans un cadre moins contraignant, plus ouvert (Équipe Mit, 2011).

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11 Certes la bourgeoisie souhaite entretenir ses mondanités dans les assembly rooms qui sont aussi des lieux autorisant la mise en scène d’une nouvelle étiquette. Mais la haute société ne peut empêcher totalement la classe laborieuse d’y accéder, les assembly rooms étant devenus l’objet de toutes sortes de convoitise et le lieu où les choses se passent (Équipe Mit, 2005).

12 Ainsi, alors que les stations créées par et pour les premiers touristes ont été conçues comme des lieux de l’entre-soi, elles n’étaient pas agencées pour autant comme de véritables enclaves hermétiques et la haute société a dû très tôt composer avec une certaine mixité sociale, d’autant que la mise en scène de pratiques ostentatoires n’avaient de sens qu’en présence des classes laborieuses comme le montre le déploiement des promenades qui permettaient de parader (Debié, 1993).

13 Cela dit, l’entre-soi est une figure de la sociabilité touristique qui traverse en réalité toute l’histoire du tourisme. Si les stations ont finalement garanti une certaine porosité en permettant la circulation et l’installation d’acteurs qui n’étaient pas des touristes (mais des résidents “permanents” notamment), un nouveau type de lieu est apparu, capable de garantir encore mieux l’entre-soi touristique à mesure qu’émerge le tourisme “de masse” et la fréquentation toujours plus nombreuse de lieux à fort différentiel d’altérité. Le comptoir, qui a constitué une invention littorale majeure dans le monde du tourisme (Duhamel et Violier, 2009) incarne sous la forme du village-club ce passage mais il ne s’agit plus de produire forcément un entre-soi “de classe” (oisive).

C’est ce que montre un modèle de lieu comme celui du Club Med. Le village-club avait été d’emblée conçu par ses fondateurs (Blitz et Trigano) comme un territoire garantissant l’accessibilité du plus grand nombre. Et la montée en gamme récente du tour-opérateur à la suite de difficultés financières, ne doit pas occulter le projet initial.

En accord avec les principes du tourisme social qui émergent dans les années 1950, le Club Med avaient imaginé une place pour les segments modestes (Équipe Mit, 2011).

14 En ouvrant un village-club aux Baléares et en Corse dès ce moment-là, l’agencement en comptoir garantissait aux touristes européens une distance suffisante avec l’environnement immédiat en même temps qu’il permettait de nouvelles proximités avec des mondes inconnus pour beaucoup d’entre eux (Équipe Mit, 2005).

15 Alors que l’aventure n’était pas forcément avec la société locale, elle était en tout cas privilégiée à l’intérieur du club entre des touristes pour la plupart anonymes les uns pour les autres, mais qui portaient certaines valeurs montantes comme la libération sexuelle. La réputation du Club Med s’est construite en partie sur ce mode de sociabilité qui fait de l’autre touriste un partenaire amoureux potentiel (quand ce n’est pas le

“gentil organisateur”). Le voyagiste constitue d’ailleurs encore aujourd’hui l’emblème de ce type de pratiques touristiques, malgré un repositionnement qui cherche aussi à prendre quelque distance avec cet héritage parfois un peu encombrant.

16 Alors que l’Autre peut avoir plusieurs figures (l’autre touriste que l’on n’a pas l’habitude de rencontrer dans le contexte du quotidien, l’autre résident, etc.), le comptoir qui rend possible l’entre-soi touristique peut très bien constituer une pointe avancée pour se rapprocher de la société locale. La force du comptoir, pour l’individu mal doté en “compétences spatiales” notamment, est son organisation éprouvée qui peut se lire aussi à travers les différentes formes de standardisation qu’il est capable d’offrir (hébergement, restauration, etc.), tout en assurant la coprésence rassurante d’un groupe construit autour d’une même position : celle d’être ici, temporairement, dans un contexte de recréation.

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17 De ce point de vue, le comptoir fonctionne comme un “sas”, une enveloppe protectrice qui permet d’affronter individuellement et collectivement l’altérité (Équipe Mit, 2002 ; Ceriani, 2005). Cette fonction d’“entre-lieu” (Lapierre, 2006) se retrouve d’ailleurs plus ou moins dans les voyages à forfait qui délestent les touristes d’une certaine dose d’inconnu et qui leur permettent de se rendre davantage disponibles aux autres.

18 Dans ce cadre, la station reste encore aujourd’hui largement valorisée pour les rencontres possibles qu’elle autorise, notamment entre touristes. Une des formes les plus abouties de ce projet est donnée à voir par la pratique du springbreak (Équipe Mit, 2011).

19 Alors que cette “pause de printemps” est une invention étasunienne à travers laquelle les étudiants notamment partent une semaine vers des destinations “tropicales”

comme Cancun ou Acapulco pour se recréer par la fête, le springbreak se diffuse en Europe où les étudiants élisent ici aussi leurs lieux, certaines stations balnéaires espagnoles comme Lloret de Mar figurant en bonne place. Pratique plus ou moins sulfureuse, suscitant régulièrement le scandale par les excès qui y sont mis en scène, cette forme de recréation n’en demeure pas moins suffisamment “normée” pour être intégrée dans les offres de certains tour-opérateurs (Playayfiesta, par exemple).

20 L’entre-soi constitue donc une catégorie plastique, capable de varier les échelles de la sociabilité touristique. Être entre-soi, cela peut prendre une grande diversité de formes.

Cela peut consister à entretenir les relations au sein d’un groupe d’amis déjà constitué mais dans lequel les membres souhaitent vivre touristiquement leur sociabilité (cela peut d’ailleurs consister, le temps des vacances, à intégrer de nouveaux membres dans le groupe). Ce peut être la volonté pour un individu ou un groupe de privilégier des proximités nationales dans le hors-quotidien comme dans le cas de certains quartiers touristiques à Palma (Majorque, Baléares) dans lesquelles les enseignes et les prestataires de service communiquent en langue germanique.

21 Ce peut être encore l’entre-soi du couple qui cherche à resserrer des liens conjugaux effilochés par des vies professionnelles fonctionnant à des rythmes différents, demande qui n’a pas échappé à certains voyagistes comme le Club Med, là encore, lequel propose dans certains de ses villages la garde des enfants en plus des prestations qui dégagent les parents des principales contraintes quotidiennes.

22 Mais ce peut être aussi l’entre-soi touristique d’un individu seul préparant à travers ce retranchement un futur déplacement au cours duquel il s’exposera davantage à la société locale.

Bains d’altérité et liens faibles : une immersion dans l’urbanité métropolitaine

23 Si stations et comptoirs peuvent favoriser plus ou moins l’entre-soi, ces types de lieu touristique ne sont paradoxalement pas pour rien dans la capacité d’un nombre toujours croissant de touristes à s’accommoder voire à privilégier des sociabilités moins programmées, plus ouvertes à de forts différentiels d’altérité.

24 En pointillés, et sans que les touristes en soient toujours pleinement conscients, les stations et comptoirs ont permis et permettent encore de réduire la distance (culturelle, cognitive) avec certains lieux, préparant les individus qui en font

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deux modèles de lieu ont favorisé la multiplication et l’extension des mobilités touristiques en sorte qu’elles ont contribué à l’accroissement des savoirs géographiques des touristes sur plusieurs générations, y compris en termes de compétences de sociabilité dans des lieux du hors-quotidien.

25 Nous comprenons mieux pourquoi – alors que les discours anti-urbains connaissent par ailleurs une longue carrière – les métropoles remportent un succès sans précédent auprès des touristes, qui viennent alimenter par la diversité de leurs provenances ces

“concentrés de Monde” que sont les grandes villes. Alors que les touristes peuvent toujours opter, à certains moments au moins du séjour métropolitain, pour un retranchement sur leur hôtel aux standards mondialisés, le choix de la métropole est celui d’un lieu qui continuerait de fonctionner sans eux, les touristes ne faisant qu’ajouter à la diversité ambiante qui caractérise l’urbanité, notamment “européenne”

(Lévy, 1997). Ainsi, l’entre-soi touristique n’est pas ici le mode de sociabilité privilégié.

Le projet des touristes visitant les métropoles est d’abord d’être immergé dans un bain hautement chargé en altérité.

26 Cela ne signifie pas forcément que les sociabilités avec les autochtones soient “fortes”.

Si les touristes sont d’abord des citadins, notamment des grandes villes, ils en ont acquis les manières d’être. Autrement dit, ils sont porteurs d’urbanité chaque fois qu’ils se déplacent, dès lors que l’on accepte avec Park l’idée selon laquelle “la ville est quelque chose de plus qu’une agglomération d’individus et d’équipements collectifs […] ; c’est également quelque chose de plus qu’une simple constellation d’institutions et d’appareils administratifs […]

. La ville est plutôt un état d’esprit […]” (Grafmeyer et Joseph, 1990, p. 83). Or les chercheurs de l’École de Chicago, qui se sont intéressés notamment aux modes de sociabilité urbaine l’ont bien montré : “L’accroissement du nombre d’habitants d’une communauté au-delà de quelques centaines oblige à limiter la capacité de chaque membre à connaître tous les autres personnellement” (Wirth dans Grafmeyer et Joseph, 1990, p. 266).

Dit autrement, le contexte urbain, “établissement relativement important, dense et permanent d’individus socialement hétérogènes” (ibid., p. 262), informe la dimension idéelle de ses habitants, notamment ceux des métropoles qui ont tendance à développer certaines stratégies cognitives : “Si l’incessante mise en contact superficielle d’une quantité de personnes dans la grande ville devait se recouper avec un nombre égal de réactions intérieures, comme dans la petite localité où chacun connaît presque tous ceux qu’il rencontre et entretient avec chacun d’eux une relation effective, on aurait une vie intérieure complètement atomisée et l’on tomberait dans un état mental inconcevable” (Simmel cité par Wirth, ibid., p. 267).

27 D’où le principe selon lequel “les contacts en ville peuvent effectivement être de face à face, mais ils n’en sont pas moins superficiels, éphémères et segmentaires. La réserve, l’indifférence et l’attitude blasée que les citadins manifestent dans leurs relations peuvent ainsi être considérées comme des dispositifs d’immunisation contre les revendications personnelles et les attentes de la part des autres” (Wirth, ibid.).

28 En visitant une métropole et les virtualités qu’elle offre, les touristes-citadins n’adoptent pas forcément une posture différente. Ils y mobilisent au contraire leurs compétences citadines au travers desquelles ils peuvent prendre plaisir à être immergés dans la diversité et la densité – propriétés urbaines selon la définition de l’urbanité proposée par Jacques Lévy (1994) –, tout en maintenant le jeu tendu entre proximité et distance aux autres.

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29 Si certains touristes peuvent se délecter du bain de foule en participant à l’animation métropolitaine (qu’ils tendent donc à intensifier), leurs relations aux autres se calent en grande partie sur une gestion des liens faibles (Coëffé, 2009 ; 2010 ; Équipe Mit, 2011). Certes la rencontre approfondie n’est pas exclue, et les métropoles touristiques rendent possibles des relations cosmopolites qui peuvent déborder le temps des vacances. Mais le mode de sociabilité le plus ordinaire est celui de la coprésence, régime par lequel la proximité physique n’implique pas forcément une “attention focalisée” (Goffman, 1973) des individus les uns pour les autres, mais davantage une attention diffuse, préservant les “territoires du moi” (ibid.), autrement dit l’espace intime de chacun, que ce dernier soit touriste ou résident. À rebours des discours convenus sur la superficialité des relations sociales en contexte urbain, Simmel et Wirth ont appréhendé les liens faibles comme un mode positif de sociabilité (dans Grafmeyer et Joseph, 1990). Richard Sennett a même montré plus récemment le régime productif opéré par la tension entre proximité et distance dans l’espace public : “Plus les gens ont de barrières tangibles entre eux, plus ils sont sociables, de même qu’ils ont besoin d’endroits publics spécifiques dont la seule fonction soit de les rassembler. (…) Les êtres humains ont besoin de se trouver protégés des autres pour être sociables. Augmentez le contact intime, vous diminuez la sociabilité” (1979, p. 24).

30 Pour autant, nous n’oublierons pas que la pratique touristique ouvre un régime de recréation c’est-à-dire de “relâchement des contraintes”, de rupture relative avec un fort autocontrôle des émotions (Stock, 2003), précisément celui qui imprègne ordinairement le style spatial (par la gestion de la distance aux autres) des citadins dans l’espace public. Or si la drague par exemple est un mode de sociabilité qui peut venir rompre “l’inattention polie” (Goffman, 1973) dans l’espace public, il n’est pas rare que cette pratique constitue pour certains touristes un enjeu important de leur relation aux autres, jusqu’à mettre à l’épreuve les normes citadines.

31 Il faut dire aussi que ce sont ces micro-événements qui donnent de l’épaisseur à l’espace public, et qui peuvent parfois faire bifurquer un itinéraire biographique.

L’immersion des touristes dans la foule anonyme des métropoles doit beaucoup à ces petites ruptures dans l’ordinaire, y compris sous la forme des malentendus qui servent aussi à amener à la conscience les normes. La déambulation dans la rue métropolitaine n’a bien souvent pas d’autres motifs que de prendre plaisir à être avec les autres, baigné par le flux différencié des passants dont la flânerie est scandée ici ou là par une interaction minuscule (Coëffé, 2010).

32 Ce régime peut d’ailleurs culminer la nuit, l’imaginaire nocturne ayant tendance à voir le contrôle social et les contraintes de rôles se relâcher durant ce temps social (Deleuil, 1994). À travers l’expérience touristique, il est à la fois différent du soi diurne et du soi quotidien. Plus attentif à soi dans le cadre d’un temps non contraint, l’individu temporairement touriste est aussi sans doute plus attentif aux autres, les forts différentiels d’altérité sollicitant plus que jamais l’appareillage sensoriel.

33 L’espace public métropolitain (mais aussi celui des stations) devient le contexte et l’enjeu d’une exposition aux autres à travers laquelle les jeux de miroir fonctionnent à plein régime. D’où ce travail attentif sur les apparences qui offrent des prises pour les autres passants, dans le contexte d’un anonymat assumé mais dont les membres coprésents cherchent en même temps à ouvrir la “boîte noire” (Coëffé, 2003).

34 La fréquentation des lieux les plus denses et les plus animés des métropoles, par les

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grandes villes d’Europe ayant constitué les matrices et les réceptacles du phénomène lui-même. Mais la tendance s’est exacerbée dans les dernières années à la faveur de la redistribution des citadins dans l’espace urbain.

35 Alors que ces derniers habitent de moins en moins les ville-centre durant leur quotidien, au profit des espaces péri voire suburbains, les citadins investissent plus que jamais, durant le hors-quotidien, les lieux aux gradients d’urbanité les plus élevés (où le couple densité-diversité est donc maximisé) (Knafou, 2007).

36 Cela se traduit notamment par la volonté des touristes de participer aux grands événements métropolitains (et aux micro-événements qui lui sont liés) au cours desquels ils se mêlent aux résidents, comme lors de l’opération “Paris-Plage” par exemple. Les touristes contribuent même à faire de la métropole en général et de la métropole européenne en particulier un événement permanent, en prolongeant l’animation des rues jusqu’aux confins de la nuit (Gravari-Barbas, 2007), et en propulsant certaines villes au rang de “lieu du moment” qui est peut-être en train de devenir un “moment de lieu”, comme c’est le cas de Barcelone et de ses ramblas très fréquentées, aux provenances mêlées (Équipe Mit, 2005).

37 Le goût de la grande ville peut se lire dans la pratique actualisée du citybreak, une pratique à travers laquelle les individus cherchent à habiter touristiquement une grande ville le temps d’un court séjour.

38 Certains opérateurs ont saisi là une nouvelle opportunité pour positionner leur offre.

Ainsi de Air Berlin qui tire parti du choix des étudiants allemands de passer la nuit du jeudi au vendredi à Palma, tout en les affranchissant de la nécessité de solliciter un hébergement grâce à son réseau dense de lignes activant un large faisceau de villes en Allemagne mais aussi de plus en plus ailleurs en Europe1.

Le modèle cruséen : seul avec le goût des autres

39 Il est toujours possible d’être seul au milieu d’une foule, la proximité des multitudes ne garantissant pas forcément l’investissement collectif de l’individu. Mais outre qu’il est difficile d’être totalement indifférent au contexte d’action, les touristes ont toujours le choix de se tenir à distance des foules si leur projet est de prendre congé du monde.

40 Ce projet n’est pas scandaleux en soi. Pour autant, un lieu comme la plage crée régulièrement le scandale aussi parce que le régime de sociabilité y laisse de la place pour la distanciation temporaire des individus à l’égard des autres.

41 C’est à travers la pratique de la sieste que ce retour sur soi s’observe sans doute le mieux. Alors que celle-ci parcourt un continuum de la somnolence au sommeil, Thierry Paquot a bien montré comment la sieste activait le rapatriement d’un temps à soi, “un moment, plus ou moins long, de mise-en-présence-avec-soi par l’absence, momentanée, d’avec le monde” (Paquot, 1998, p. 55). Il s’agirait d’un moment permettant “la réunion, la réunification, la reconstitution provisoire de notre personnalité éclatée, divisée, éparpillée”

(ibid.). Cette discontinuité temporelle et spatiale garantirait ainsi la possibilité de “faire le point” (ibid.) et constituerait un “opérateur d’apaisement du stress, favorisant du même coup la confiance dans le monde” (Coëffé, 2003, p. 667). Autrement dit, le retrait momentané du monde par la sieste, disponibilité à soi-même, peut aussi fonctionner comme un lieu préparant à la disponibilité aux autres. L’immobilité temporaire qui lui est associée, et qui est autorisée par certains lieux comme la plage, peut alors être une

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manière de rompre avec un quotidien organisé autour d’un régime d’hypermobilité qui oblige à multiplier les rencontres sociales dans le cadre de l’activité professionnelle.

42 Plus globalement, la volonté de solitude reste pour l’essentiel une parenthèse dans le séjour touristique. Partir seul s’apparente le plus souvent à une volonté d’agrégation aux autres, quoi qu’en disent certains touristes souhaitant par là faire surtout œuvre de distinction. Les professionnels ne s’y sont pas trompés qui proposent depuis plusieurs années des séjours “célibataire” qui affichent en creux une offre de rencontre amicale et/ou amoureuse.

43 Même quand les touristes décident de partir seuls, en s’affranchissant des encadrements proposés par les opérateurs touristiques, c’est dans le secret espoir de rencontre ou au moins d’accumulation d’un “capital symbolique” quand le séjour en solitaire pourra être échangé au retour à travers l’expérience rapportée (photos, récits, etc.).

44 La robinsonnade qui fait en même temps florès dans la communication touristique offre une lecture complexe de la relation des individus-touristes au monde. Une des interprétations les plus courantes se rapproche de celle de Rousseau, avec les figures de la sédentarité et de l’isolement qui lui sont associées (Urbain, 2002).

45 Or le modèle cruséen montre tout autre chose, Robinson pratiquant sur son île la double résidence et ne pouvant vivre dans la totale solitude, même si ses relations sociales sont par ailleurs calées sur le système aristocratique (dissymétrie des relations sociales notamment avec la figure de Vendredi). Certes la robinsonnade touristique incarnée par le modèle de l’île-hôtel (Équipe Mit, 2005) permet l’entre-soi de classe.

Pour autant, il n’autorise pas seulement la solitude, et le choix du retranchement peut aussi s’inscrire dans une stratégie de distinction de la part de la haute société qui souhaite surtout se tenir à distance de la diversité sociale pour entretenir ses sociabilités mondaines.

46 Il faut dire aussi que partir seul est une option qui n’est pas partagée par toutes les sociétés, notamment les plus holistiques d’entre elles, où les logiques communautaires l’emportent sur l’individu qui n’est pas, comme dans les sociétés individualistes (lesquelles se sont largement construites en Europe et ses projections, c’est-à-dire aux États-Unis notamment), positionné sur le “même plan que les collectifs et les organisations, acteur à part entière de l’action dans la société” (Durand, Lévy, Retaillé, 1992, p. 24). Pour autant, l’individualisation est un processus désormais mondialisé. Le paradigme nippon est intéressant de ce point de vue, surtout que le tourisme semble y catalyser les changements sociétaux en cours. Alors que les Japonais affrontant de forts différentiels culturels, se déplaçaient de manière quasi exclusive en groupe il y encore quelques décennies, il est de moins en moins rare de voir des touristes en provenance du Japon pratiquer seuls certaines destinations européennes ou étasuniennes par exemple, notamment les métropoles. Cela est autant le signe d’une autonomisation des Japonais à l’égard des opérateurs touristiques qu’une autonomisation croissante des individus au sein de la société nipponne.

47 Ainsi, alors que la solitude reste très faiblement valorisée par les touristes d’une manière générale, les pratiques touristiques solitaires peuvent très bien signifier la distanciation à l’égard d’un groupe devenu étouffant et le rapprochement vers un Autre plus ou moins désiré.

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NOTES

1. Nous remercions Miguel Segui Llinas pour nous avoir fourni cette information.

RÉSUMÉS

Le tourisme est un opérateur puissant de la mondialisation qui pose la question de la relation des touristes à l’altérité. Mais alors que la sociabilité constitue un ingrédient majeur des pratiques touristiques, son articulation à la dimension spatiale, notamment à travers les lieux, est rarement appréhendée. C’est l’objectif de cet article que de lancer une analyse permettant de mettre au jour au moins trois configurations : l’entre-soi, l’immersion métropolitaine, le modèle cruséen.

Tourism is a powerful operator of the globalization, which asks the question of the tourists’

relation to the otherness. But while the sociability constitutes a major ingredient of the tourist practices, its articulation with the spatial dimension, in particular through places, is rarely explored. The aim of this article is to start an analysis allowing to enlighten at least three configurations: “being with the same”, the metropolitan immersion, the model of “Robinson Crusoé”.

INDEX

Mots-clés : mondialisation, altérité, Robinson Crusoé, modèle cruséen Keywords : globalization, otherness, Robinson Crusoé, Robinson Crusoé model

AUTEUR

VINCENT COËFFÉ

Maître de conférences en géographie, UFR Ingénierie du tourisme, du bâtiment, et des services (UMR CNRS ESO 6590), Angers

[vincent.coeffe@univ-angers.fr]

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Recherche. Varia

Research. Varia

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Expérience vécue chez un chef étoilé et achat de produits locaux par les clients

Marielle Salvador-Pérignon

1 Le développement, depuis quelques années, des émissions de télévision, blogs, livres ou encore des coffrets de séjours gastronomiques illustre le regain d’intérêt pour la cuisine, et l’alimentation en général. Les sociologues de l’alimentation (Corbeau et Poulain, 2001) expliquent la quête de sens et de valeurs exprimée à travers les produits alimentaires par le paradoxe auquel sont confrontés les individus, tout du moins dans notre hémisphère : n’ayant plus désormais le souci vital de trouver leur nourriture, les voici confrontés à celui de choisir ce qu’ils désirent manger. Face aux crises alimentaires de ces dernières décennies, chacun cherche aujourd’hui une certaine authenticité dans son alimentation, un retour à des valeurs dans lesquelles il se reconnaisse et qui soient facteurs de réassurance. Or les produits locaux, parce qu’ils sont distribués et consommés à proximité de leur lieu de production, sont parmi les produits susceptibles de répondre à leurs attentes.

2 On retrouve aujourd’hui ces produits sur les plus grandes tables, ce qui contribue à rendre mémorable l’expérience vécue dans un établissement “étoilé” (c’est-à-dire distingué par une ou plusieurs étoiles par le guide Michelin). Michel Bras et Marc Veyrat, par exemple, qui ont à cœur de faire découvrir à leurs clients les produits les plus emblématiques du lieu, sont ainsi devenus, à travers leur cuisine, de véritables ambassadeurs de leur territoire (l’Aubrac et la Savoie, respectivement).

3 Dans un restaurant étoilé, la personnalité du chef et ses engagements dans la valorisation des produits issus de l’économie locale deviennent partie intégrante de l’expérience vécue. Le chef crée alors le haut lieu touristique (Bonnain-Dulon et Brochot, 2008). Dans ce contexte, s’il joue un rôle sur l’attractivité du territoire, tant auprès des touristes que des résidents du lieu, il pourrait également agir en tant que prescripteur et favoriser ainsi l’achat de produits locaux. Nous nous interrogeons donc sur le rôle effectif des chefs étoilés dans l’achat de produits locaux à travers

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