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6es Journées du CRIR AVS PACA - Marseille, 10 et 11 décembre 2015

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6 es Journées du CRIR AVS PACA

Marseille, 10 et 11 décembre 2015

P. Delbrouck*, C. Jego*

* Pôle de psychiatrie adulte, centre hospitalier de Saint-Nazaire.

Penser le virtuel

Le virtuel renvoie à ce qui existe sans se manifester.

Espace sans support, mais bien réel, il floute la démarcation d’avec l’imaginaire, brouille des codes jusqu’alors bien établis.

Les avatars, pseudos et autres versions de soi viennent compléter l’identité, l’image de soi et les relations sociales de tout un chacun. Certains comportements, voire troubles psychiatriques, trouvent dans le virtuel un lieu d’expression, tantôt comme objet du trouble, tantôt comme moyen.

Générant des comportements addictifs ou trans- gressifs, ou se substituant à la “real life”, le virtuel exprime le paradoxe d’un réel qui n’aurait presque aucun support. Comment, dès lors, penser le rapport au virtuel et ses conséquences ? De l’innovation techno logique à l’usage, et de l’usage au mésusage, le virtuel, comme espace et comme média, modifie peu à peu le rapport au langage, aux autres et au temps.

En premier lieu, Yves Abrioux (professeur à l’uni- versité Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, école docto- rale Pratiques et théories du sens, équipe Transferts critiques et dynamique des savoirs) a exploré la fonc- tionnalité du virtuel informatique et le fantasme de toute-puissance qu’il emblématise, en montrant que ce fantasme dépasse largement le champ, non seulement des jeux vidéo et de leurs mondes virtuels, mais aussi des relations virtuelles de tout ordre avec un ou des internautes contactés sous le couvert d’un avatar ou d’un pseudonyme, pour ne pas parler de ce que l’on a pu caractériser comme une compulsion à la programmation, diagnostiquée chez certains informaticiens. Il a suggéré qu’un imaginaire

C’est à Marseille que se sont tenues les 6es journées du Centre ressource pour les intervenants de la région PACA dans la prise en charge des auteurs de violences sexuelles (CRIR AVS PACA), les 10 et 11 décembre 2015, sur le thème : “Le virtuel et ses enjeux : nouvelles technologies, violence et symptôme”.

Divisée en 2 parties, cette manifestation a abordé dans un premier temps la place du virtuel dans la société ; puis, dans un second temps, elle a évoqué la question des liens entre les mondes virtuels et les conduites criminelles pédopornographiques.

de la toute-puissance, induit par des pratiques et des relations virtuelles, marque des pans entiers de la pratique ordinaire de l’informatique.

Ensuite, il a présenté le concept deleuzien du virtuel, en soulignant tout ce qui le distingue de la fonction- nalité virtuelle, et en insistant tout particulièrement sur la réceptivité très spécifique qu’il implique, aux antipodes de la toute-puissance et de ses fantasmes.

Puis la question de la présence dans la réalité virtuelle a été évoquée par le philosophe Olivier Nannipieri (maître de conférences à l’université de Toulon). Elle ne peut être abordée qu’à condition de prendre conscience des présupposés qu’elle comporte. Présupposés relatifs, d’abord, à notre rapport à la réalité quotidienne. C’est, par consé- quent, en partant de l’analyse de la présence dans la réalité qu’O. Nannipieri a examiné les notions de réalité virtuelle puis de présence dans la réalité virtuelle.

Si “la réalité virtuelle ne fait que généraliser ce principe qui consiste à offrir un produit privé de sa substance, de son noyau de réel, de résistance maté- rielle, tel le café décaféiné qui a le goût et l’odeur du café sans en être vraiment, la réalité virtuelle est une réalité qui ne l’est pas vraiment.” comme l’écrit Slavoj Žižek (1), alors comment expliquer la présence, c’est-à-dire la sensation d’être dans un environnement qui n’est pas l’environnement réel ? De la même manière, comment expliquer que cette sorte de présence puisse avoir des effets réels sur le comportement d’un sujet ? Plus précisément, si la présence dans la réalité virtuelle n’est qu’une illu- sion, comment, par conséquent, peut-elle constituer un outil efficace dans le cadre, par exemple, d’une thérapie comportementale ?

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Au-delà des 2 dimensions identifiées dans la revue de la littérature, à savoir la présence personnelle et la présence de la personne à son environnement, émerge une présence mixte où le sujet éprouve la sensation paradoxale d’être présent à la fois dans l’environnement virtuel et dans l’environnement réel.

C’est probablement ce caractère mixte de la présence qui garantit au sujet la possibilité de maintenir l’exis- tence d’un processus inhérent à son immersion dans la réalité virtuelle : importer, consciemment ou non, des schèmes sensorimoteurs et cognitifs, non seulement de l’environnement réel vers l’envi- ronnement virtuel, mais également, en retour, de l’environnement virtuel vers l’environnement réel.

Concrètement, c’est probablement parce qu’un sujet immergé dans un environnement virtuel n’est pas intégralement présent dans cet environnement – au sens où il ne se coupe pas totalement de la réalité – que l’expérience qu’il vit dans l’environnement réel, en dépit de son caractère artificiel et illusoire, peut avoir un effet sur son comportement réel.

Parmi les populations exposées aux influences des mondes virtuels, les adolescents occupent une place centrale. Quelles en sont les conséquences sur le lien social ? Tel était le thème de l’intervention de Tiphaine Krouch (praticien hospitalier, hôpital Valvert, Marseille) et de Sophie Campredon (prati- cien hospitalier, service du Pr Da Fonseca, APHM).

Nés et baignant depuis leur plus jeune âge dans cet univers aux facettes multiples, les adolescents d’aujourd’hui sont plus doués que leurs aînés dans la manipulation et la compréhension de cet univers tant fantasmé. Les outils sont nombreux, faciles d’accès et d’utilisation. Ils sont les premiers objets offerts à Noël et aux anniversaires, et ils évoluent vite. Les adultes que nous sommes, et qui n’avons pas grandi dans cet environnement numérique, se posent légitimement de multiples questions sur les effets de ces nouvelles technologies. Probablement sommes- nous la dernière génération à nous les poser, les futurs jeunes parents étant eux-mêmes issus de cette nouvelle culture. Une des craintes les plus répandues est, justement, son retentissement sur les liens sociaux. Que penser de ces ados branchés 24 heures sur 24 à ces écrans, souvent plusieurs à la fois, répondant d’un côté à un SMS, d’un autre à un Snapchat, et encore d’un autre jouant en réseau avec plusieurs personnes de toutes origines, de tous pays ? Ils ne lisent plus, sortent moins, mais revendiquent un nombre impressionnant d’amis. À cet âge, alors que la relation au corps est particulièrement compli- quée, avec tous ses changements, et notamment l’émergence de la sexualité, l’écran vient comme

une protection, comme une seconde peau, et le lien à l’autre s’en trouve “objectalisé”, facilité, banalisé.

Nombreuses sont les consultations de pédopsychia- trie où les parents se montrent inquiets du recours trop important de leurs enfants à ces écrans, le terme d’“addiction” revenant régulièrement. Pour autant, la prudence reste de mise, et il est nécessaire de dissocier les adolescents dont le lien aux autres ne se voit pas fondamentalement modifié par ces outils, de ceux qui n’ont que ce moyen de relation, l’addiction constituant une étape de plus dans la pathologie.

La plupart du temps, cette sur-utilisation ne semble finalement que temporaire, et la majorité de ces ados seront des adultes sans difficultés notables dans leur relation à l’autre et sauront utiliser modérément l’outil virtuel. N’oublions pas que nombre d’adultes en usent aussi.

Le virtuel dans le champ des relations sociales a sûre- ment un impact sur les liens sociaux de par ce qu’il autorise, facilite et projette, notamment à un âge où le lien à l’autre, et l’engagement tant psychique que physique qu’il exige, peuvent être source d’an- goisse et de craintes : il pourra renforcer la phobie sociale des uns, l’agressivité et la toute-puissance des autres, quand, pour d’autres encore, il sera un outil de soins. Reste que, pour la majorité, il n’est qu’un banal outil de relations à ses pairs.

Mondes virtuels et sexualité

Dans tous ces champs virtuels, la sexualité occupe une place à part en raison de son rôle central dans la vie des individus et de son caractère potentielle- ment criminogène.

Comme l’a expliqué Laure Grellet (médecin sexologue et addictologue, Montpellier), les nouveaux moyens de communication et Internet ont pris une place grandissante dans la vie de chacun, y compris dans le champ de la sexualité et de l’intimité. On estime ainsi que 6 % de ses utilisateurs (soit 13 millions de personnes dans le monde) souffriraient d’une forme quelconque d’addiction sexuelle à Internet.

Ces nouveaux modes de communication font partie de la vie quotidienne des adolescents et des enfants, et ce, de plus en plus tôt. Cette plus grande liberté et la disponibilité accrue de ces médias peuvent-elles devenir source de souffrance ou de comportements addictifs chez les adolescents et les adultes qu’ils vont devenir ? Comment prévenir et repérer ces troubles ? Qu’il s’agisse des expériences sexuelles virtuelles non interactives (consultation d’images pornographiques animées ou non) ou

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des expériences sexuelles virtuelles interactives (sexting, réseaux sociaux), les modalités d’utilisation des nouvelles technologies dans le champ de la sexualité ont été décrites dans la population générale (enquête IFOP 2013 [2]) ainsi que chez les adolescents. Mais des questions importantes restent documentées de façon contradictoire : quels sont les facteurs de risque, les comorbidités (addictologiques et psychiatriques) et l’impact réel de leur utilisation sur les individus et leur sexualité, particulièrement chez les adolescents ? Répondre à ces questions permettrait de comprendre l’attractivité de ces technologies, leurs risques et leurs conséquences négatives concernant le développement psychosexuel des adolescents et leur devenir.

Notre société, dite de consommation, nous facilite un accès illimité aux images entrevues et inter- dites, qui constituent la cyber-pédopornographie.

Psychologue clinicien au sein du CRIAVS LR (Centre ressource pour les intervenants auprès d’auteurs de violences sexuelles en Languedoc-Roussillon), Magali Teillard-Dirat a pu constater, dans le cadre du soin, l’apparition de cette nouvelle problématique transgressive qui vient questionner notre clinique quant aux liens entre téléchargement d’images pédopornographiques et passage à l’acte pédophile.

La recherche sur ce sujet précis n’est pas très abondante. C’est en effet une thématique encore peu explorée, de par son apparition récente, qui date de la diffusion d’Internet, mais aussi de par la judiciarisation récente de la détention d’images pornographiques de mineurs stockées sur ordinateur.

On constate cependant que toutes les personnes condamnées pour violence sexuelle sur mineur ne visionnent pas d’images pédopornographiques (le pourcentage des cas d’agression sexuelle sur mineur coexistant avec le téléchargement d’images pornographiques juvéniles varie, selon les études, entre 10 et 25 %). Certains auteurs affirment que l’agression sexuelle n’est pas causée par la pornographie juvénile, mais serait plutôt le souvenir et la répétition d’un acte sexuel qui a pris place dans le passé. Selon d’autres auteurs, la consommation d’images pornographiques juvéniles peut renforcer et légitimer des idées déviantes et des comportements qui leur sont associés, et, par conséquent, prédisposer certains individus à commettre des infractions sexuelles. Les résultats démontrent que seule une minorité des sujets concernés par le téléchargement ont des antécédents d’agression sexuelle sur mineur, ce qui laisse supposer que la majorité d’entre eux ne passerait pas à l’acte. Toutefois, la prévalence des

passages à l’acte de nature sexuelle est beaucoup plus élevée parmi eux que dans la population générale.

En conséquence, les personnes condamnées pour téléchargement d’images pédopornographiques présentent un risque plus important de commettre une agression sexuelle que la population générale.

Ainsi, se pose la question de la prise en charge de ces personnes et de la pertinence qu’il y a à la distinguer de celle des sujets agresseurs sexuels d’enfants. De nombreux liens cliniques existent entre le visionnage pédopornographique et le passage à l’acte pédophile, le point d’achoppement se situant au carrefour de 2 virtualités, psychique et numérique. C’est pourquoi l’on peut considérer que le virtuel numérique a pour fonction, chez ces sujets, de prolonger leur propre virtualité psychique, de telle sorte que le désir d’image(s) viendrait combler le manque de l’objet réel.

Outre la question de ces changements dans notre relation à la sexualité et aux autres, se pose égale- ment celle de l’adaptation du droit pénal aux évolu- tions de la criminalité, comme l’a rappelé Caroline Kazanchi (docteur en droit, université d’Aix-Marseille).

La cybercriminalité est une notion en vogue, mais, paradoxalement, elle souffre de son absence de définition légale. La difficulté à circonscrire le phénomène, en constante évolution, explique en grande partie cette carence, que la théorie tente de pallier en apportant un éclairage nécessaire. Les ramifications en sont en effet nombreuses : atteintes aux biens, atteintes à la Nation, atteintes aux personnes, et toutes les catégories infractionnelles du code pénal trouvent à s’exprimer sur son champ.

Précisément, la catégorie “atteintes aux personnes”

semble connaître une évolution notable depuis 2010, ce qui s’explique en grande partie par l’essor de la répression des infractions à caractère sexuel au moyen d’un réseau de communications électroniques. Se dessine ainsi une nouvelle nomenclature des cyber-atteintes aux personnes, révélatrice des inquiétudes d’une société face aux évolutions technologiques ainsi que de l’adaptation de la réponse pénale aux nouvelles formes de délinquance.

Au sein de celles-ci, la pédopornographie occupe une place centrale, comme l’a expliqué Pierre Penalba (chef du groupe de lutte contre la cybercriminalité, antenne de la police judiciaire de Nice, et capitaine de police à Marseille) : si Internet est un instrument fabuleux, qui permet des échanges démultipliés et donne accès à presque toutes les connaissances humaines, ce réseau a grandi de façon anarchique, quasiment sans règles.

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La pédophilie, autrefois confinée à une frange étroite de la société, a vu dans Internet un vecteur de propagation, en raison de facteurs particuliers : facilité d’accès aux contenus pédopornographiques, anonymat et solitude des usagers devant leur écran, impunité relative des internautes, aggravée par les moyens d’anonymisation. Ces facteurs ont donné naissance à une vague de nouveaux consommateurs d’images et de films pédopornographiques.

Ces sujets rejoignent la communauté pédoporno- graphique en tant que spectateurs et certains d’entre eux finissent par passer à l’acte. Chaque année, les services de police constatent que de plus en plus de personnes téléchargent ou consultent régulièrement ces contenus pédopornographiques (près de 12 000 en 2014 et plus de 14 000 en 2015).

Des interpellations sont effectuées, la plupart du temps à la suite d’un passage à l’acte. Dans son travail quotidien, la justice a affaire à tous les cas possibles : des enfants pervertis par leurs décou- vertes, incapables de s’épanouir dans leur sexua- lité, de jeunes adultes fascinés par les images et les films, des retraités qui découvrent cet univers et y sombrent corps et biens.

La prévention de ces comportements et l’aide aux sujets victimes de ces addictions sont de véri- tables enjeux de société ; or celle-ci n’est souvent qu’orientée vers le côté répressif. La justice apporte une réponse pénale, en se fondant sur le travail des experts psychiatres, mais elle ne permet pas la guérison, malgré la fameuse obligation de soin :

“Tous les pédophiles nous ont affirmé qu’ils avaient du mal à être suivis et qu’un rendez-vous par mois n’était en aucun cas suffisant”, a conclu P. Penalba.

Les mécanismes psychopathologiques et les prises en charge possibles ont été abordés par Jean Farisse (service de psychiatrie du Pr Lançon, hôpital de la Conception, Marseille). Dans un premier temps, il a rappelé l’importance du droit de l’enfant, reconnu par l’Organisation des Nations unies, le droit français et le Conseil de l’Union européenne.

L’ECPAT (End child prostitution, child pornography and trafficking of children for sexual purposes), ONG fondée en 1997, reconnue d’intérêt général, qui lutte contre les idées reçues concernant l’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales a fait l’objet d’une mention particulière. Au niveau physiopathologique, on peut aujourd’hui s’ap- puyer sur la neuro-anatomie fonctionnelle afin de mieux comprendre les possibilités thérapeutiques (médicamenteuses ou non) et les passerelles avec les balbutiements de ce qu’il est convenu d’ap- peler les neuro-lois ou les “forensic neuroscience”.

Une mise en lumière du rôle du cortex orbitofrontal et du circuit sous-cortical modulateur qui se projette sur l’amygdale (lobe temporal) en passant par les principaux noyaux gris centraux devrait conduire à une meilleure compréhension des modèles usuels évoqués comme supports physiopathologiques de ce type de trouble des conduites (à savoir le modèle des TOC et celui des addictions, qui béné- ficient actuellement d’un regain d’intérêt). Enfin, l’étude de l’hypersexualité induite par certains agonistes dopaminergiques indirects (traitement anti parkinsoniens) complète utilement cet abord étiopathogénique, en permettant de souligner l’in- térêt des molécules renforçant le contrôle inhibiteur (traitements anti-impulsifs).

Dans un second temps, J. Farisse a explicité les pratiques de soins, majoritairement représentées par des prises en charge non pharmacologiques complétées par des traitements pharmacologiques, qui bénéficient depuis déjà quelque temps de recom- mandations de bonne pratique (Haute Autorité de santé, 2010 [3]). Au niveau pharmacologique, seules 2 molécules possèdent une autorisation de mise sur le marché (AMM) dans cette indication (le cypro- térone acétate et la triptoréline), mais l’éventail s’élargit, fort heureusement, avec des antidépres- seurs de type ISRS (inhibiteurs sélectifs de la recap- ture de la sérotonine) ainsi que d’autres molécules anti-impulsives (hors AMM). L’apparente simplicité de l’abord médicamenteux est mise en perspective avec sa difficile et trop rare mise en œuvre dans le cadre des soins, pénalement ordonnés ou libres.

L’expertise psychiatrique, clef de voûte du système, y joue un rôle central.

Un exemple de la complexité de ces prises en charge a été donné par Gilles Tanvez (psychologue clinicien, centre de consultations spécifiques [CCS], centre hospitalier de Montperrin, Aix-en-Provence), au travers de cas cliniques suivis dans le cadre d’une obligation ou d’une injonction de soins. Les patients étaient des personnes reçues en consultation psycho- logique présentant une addiction à la cyber-pédo- pornographie et se déclarant timides.

Le corollaire de cette timidité était l’absence de confiance en soi, à l’origine de pensées négatives quant à leur valeur personnelle et leur compétence sociale, et d’une honte face au regard de l’autre. Par ailleurs, cette timidité handicapait leur vie amou- reuse et sexuelle en diminuant fortement leurs occa- sions de rencontres, mais aussi en augmentant le risque de troubles sexuels tels que les difficultés d’érection et l’éjaculation précoce dans cette popu- lation exclusivement masculine.

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Cette souffrance “narcissique” liée à l’expérience de soi qui naît du rapport à l’autre s’exprime, chez le timide, dans un vécu de transparence psychique. Un traumatisme dans les relations précoces, où la sécu- rité liée à l’intériorité est très dépendante de l’altérité, est souvent à l’origine de ce sentiment de transpa- rence : l’omniprésence et l’omniscience de la figure maternelle semble envahir l’espace psychique du timide au risque du refus de son intériorité.

Un investissement désirant massif ayant pour but de protéger le sujet contre les dangers extérieurs finit par le persécuter. Il oscille alors entre un idéal de familiarité absolue avec l’autre et une menace d’invisibilité, un désir d’amour exclusif de l’autre et la crainte que cet autre juge, rejette ou bien humilie.

Dans ce contexte, l’addiction à la cyber-pédopor- nographie mêle le voyeurisme, comme façon de se protéger du regard de l’autre, à l’exhibition- nisme, comme désir de reconnaissance. Le plaisir sexuel recherché virtuellement, et difficilement atteignable dans la réalité, semble venir colmater temporairement cette souffrance narcissique. Cette addiction va de pair avec un mouvement de l’indi- vidu hors de soi, qui lui permet de voir et se voir, où il s’agit de comprendre ce qui, depuis son intériorité, s’extériorise au travers de l’image qui tient lieu de fantasme, l’empêchant ainsi de penser l’absence et de passer par la représentation. En utilisant de façon compulsive la cyber-pédopornographie, le sujet canalise son angoisse et tente de scénariser ses expériences traumatiques, qui n’ont pas pu se penser ni se dire.

Face aux difficultés d’appropriation subjective de ces expériences de souffrance, souvent exprimées corporellement, aider ces personnes timides à les intégrer dans leur histoire suppose de les solliciter en prenant garde de ne jamais être intrusif.

Enfin, pour tenter de conclure, il ne faut pas oublier que, en termes de technologie, la loi ne cesse de courir après la réalité, menaçant de devenir ainsi virtuelle, à moins qu’elle ne s’autorise à imposer dans le réel des crimes virtuels. C’est ce paradoxe

qu’a abordé Pierre Lamothe (psychiatre, responsable de l’antenne de Lyon du CRIAVS).

Les outils infographiques modernes accessibles à tous permettent de créer une réalité virtuelle

“réaliste”. L’évolution de la loi et des pratiques judi- ciaires frôle de plus en plus la répression morale : elles permettent de réprimer, par le biais de l’ab- sence de définition d’un document à caractère pornographique, non plus seulement l’intention mais la “pensée coupable”. Recréer dans un ordi- nateur une situation d’abus sexuel qui n’a pas eu lieu sur un enfant qui n’existe pas peut exposer à la condamnation pour présomption de communication de cette image.

Pour le thérapeute, le dialogue se complique avec le sujet pervers, qui ne manque pas de faire état de la discrimination dont il est l’objet : sa “petite cuisine”

(dont il peut devenir fétichiquement dépendant !), sur laquelle il pourrait impunément échanger à l’écrit, devient crime dès lors qu’elle est figurée par l’image. Où commence le passage à l’acte ; où cesse le fantasme, toujours licite, même s’il est immoral ? La poésie joue depuis toujours dans la marge méta- phorique sur la même ambiguïté entre l’imaginaire, le réel et le symbolique. Faudra-t-il définir ce qu’est une pensée pédophilique inacceptable, comme les confesseurs du xixe siècle avaient précisé ce qu’ils entendaient par le péché en pensée, ou, comme l’ac- tualité terroriste pourrait nous y inciter, s’agira-t-il de définir le propos incitant à la haine ?

On le voit, les enjeux du virtuel atteignent notre monde réel et redessinent de nouveaux champs d’exploration, mais aussi de nouveaux risques. ■

1. Žižek S. Bienvenue dans le désert du réel. Paris : Flammarion, 2005.

2. IFOP : Enquête sur le sexe virtuel via les webcams et les nouvelles technologies. Le “sexe 2.0”, 2013.

3. http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_930913/prise-en- charge-des-auteurs-dagression-sexuelle-a-lencontre-de- mineurs-de-moins-de-15-ans?xtmc=&xtcr=2

Références bibliographiques

P. Delbrouck déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

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