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Secret des origines et origine du secret

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Médecine

& enfance

P aternité non révélée, enfant né d’un viol, d’un inceste, adoption ou don d’enfant, don de sperme ou d’ovocyte, les secrets de famille tou- chent la plupart du temps les origines d’un enfant. Cela devient encore plus complexe avec les pratiques actuelles qui transgressent la loi française, la marchandisation de ces pratiques et leur internationalisation à travers inter- net et les voyages.

Amandine est née en 1982 par féconda- tion in vitro (FIV), Valentine en 1990 après un diagnostic préimplantatoire (DPI), suite au décès de ses deux frères.

En 2015 en France, 24 839 enfants sont nés d’une PMA (procréation médicale- ment assistée), soit 3 % des naissances.

Beaucoup parmi ces enfants sont nés par IAD (insémination artificielle avec donneur), et, malgré les nombreuses études qui leur ont été consacrées, on ne sait toujours pas s’ils constituent une population homogène dont on pourrait dire : « Les enfants nés par IAD sont… ».

Deux de ces études ont porté sur des milliers d’enfants nés par PMA, devenus eux-mêmes parents, et n’ont absolu- ment rien montré de particulier[1, 2]. Pour être complet, il faut savoir que des centaines de milliers d’embryons conge- lés sont en attente. Rappelons au passa- ge que l’assistance médicale à la pro- création (AMP) est couverte par la règle de l’anonymat du don de gamètes et que les enfants sont réputés être nés de leurs parents. Les pays qui ont dérogé à cette règle ont vu leur nombre de donneurs bénévoles considérablement chuter.

Malgré tout, on peut dire que le secret des origines pose la question de l’origi- ne de la constitution du secret, car c’est toujours à cet endroit-là que se pose le problème : pourquoi tel secret, tel mode de procréation, telle adoption ont-ils le statut de secret de famille ? Pour quel motif un sentiment de culpabilité, de faute, d’acte contre-nature va-t-il empê- cher quelqu’un de dire ce qui s’est passé ? Pourquoi à un moment précis ce secret est-il dévoilé, dans quelles condi- tions, pour quelle intention ? On pour- rait comprendre le secret dans le cas de

l’enfant adultérin, bien que cette notion et ce terme, surannés, n’aient aujour- d’hui plus beaucoup de sens. Mais, dans toutes les autres situations, qu’est-ce qui rend l’annonce impossible ?

Evoquer de nos jours le secret des ori- gines, c’est avant tout parler de deux types de filiation encadrés par la loi : l’adoption d’une part, l’insémination ar- tificielle avec sperme de donneur (IAD) et le don d’ovocyte d’autre part. La question d’ailleurs reste ouverte de sa- voir ce qu’il faut dire ou ne pas dire, et même les professionnels travaillant sur le sujet n’ont pas un avis concordant.

Lorsqu’il y a abandon en vue d’adop- tion, la mère a la possibilité(elle y est incitée, mais n’y est pas obligée) de lais- ser une enveloppe fermée à l’attention de son enfant pour le moment où celui- ci demandera à avoir accès à ses ori- gines. Elle peut y glisser une lettre, des photos, des objets, à sa convenance. El- le peut (ou non) laisser quelque chose qui permet de l’identifier ou de la re- trouver, jusqu’à ses nom et adresse si el- le le souhaite. L’enfant, ayant atteint l’âge de comprendre, pourra (ou pas) demander à y accéder, avec l’aide d’un professionnel. Un Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP) existe même pour y aider, et pour veiller à ce que les départements, sous l’égide des conseils départemen- taux, organisent cette possibilité.

Dans le cas de l’IAD ou du don d’ovocy- te, en revanche, la loi empêcheque ce se- cret des origines soit levé, et nul ne peut connaître l’homme qui a donné ses sper- matozoïdes pour féconder l’ovule de la mère ou l’ovule d’une femme inconnue dont la mère ne sera que la porteuse. Il est par conséquent possible aujourd’hui d’imaginer un enfant né de sa mère, en présence de son père, mais qui ne serait l’enfant ni de l’une ni de l’autre…

Voilà le roman familial des névrosés dé- crit par Freud en 1909 singulièrement complexifié ! Freud écrit en effet que, dans le cadre du complexe d’Œdipe, l’enfant imagine qu’il est né, non pas de ses parents réels, mais de parents (ou d’un père) prestigieux, ou encore qu’il

Secret des origines et origine du secret

M. Boublil,pédopsychiatre, centre d’action médico-sociale précoce (CAMSP) de Grasse

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est le seul enfant véritable de ses pa- rents, « ses frères et sœurs n’étant que des bâtards ». On retrouve ces phan- tasmes dans les délires paranoïaques de grandeur, de puissance mégaloma- niaque, mais aussi chez des gens nor- maux qui veulent se sentir au-dessus des autres de manière incontestable (ce que l’on peut rapprocher des achats de titres de noblesse ou de châteaux don- nant droit à arborer une particule).

Freud ne pouvait imaginer que l’on irait aussi vite vers des modes de procréation alors impensables. Mais la science va plus vite que la pensée humaine, la mo- rale ou les traditions. Nous sommes au- jourd’hui face à des techniques tou- chant des domaines qui relevaient au- trefois du sacré. C’est précisément ce qui rend nécessaires les comités d’éthique, où l’on débat des limites à imposer à la technique, mais aussi de ce qui est impensable et inimaginable, en même temps que l’on court derrière ce qui est déjà fait…

LE MÉCANISME

À L’ORIGINE DU SECRET

Sur le plan psychique, la question centra- le n’est pas l’événement en lui-même, mais bien plutôt le mécanisme qui fait de cet événement un secret, dont la patho- génicité va résider dans les motifs et les modalités du maintien de ce secret ou, au contraire, de sa révélation. Là, il convient de s’arrêter sur cinq cas de figure : il y a un secret pour protéger l’enfant ; il y a un secret pour protéger un parent ; il y a se- cret par consensus implicite de tous, sous la pression plus ou moins exprimée de certains ; il y a un secret pour préserver la parentalité ; il y a un secret dans une vi- sée manipulatoire consciente.

Les motifs et les modalités de la mise au secret sont parfois davantage à l’ori- gine de la pathogénicité que la nature du secret. C’est la raison pour laquelle on ne peut jamais donner ce conseil systématique ou absolu : « il faut tou- jours tout dire, sinon le refoulé réappa- raîtra sous forme de symptôme », pas plus que l’inverse : « ne rien dire vaut

mieux que de créer des problèmes là où il n’y en a pas ».

On peut, en guise de préambule, dire qu’un secret est un secret, et que les pa- rents qui souhaitent le conserver doi- vent le faire avec une fermeté, une téna- cité, une permanence et un maintien absolus, ce qui n’a rien de facile : la vie nous confronte à des situations où l’en- vie de se confier ou de se justifier est forte, où l’on est tenté de craquer, et pas toujours au meilleur moment ni auprès du meilleur confident. Passons en revue les cinq motifs de secret cités plus haut.

LA PROTECTION DE L’ENFANT

On pense dans ce cas précis que la com- plexité de la situation est telle que l’en- fant se portera mieux si on ne dit rien que si on parle. Qui peut en juger ? C’est la famille qui décide qu’un enfant né d’un viol ou d’un inceste ne doit pas le savoir. Qu’il le sache, ou que son envi- ronnement le sache, et il portera sur lui l’opprobre de l’horreur. Pareil secret est très lourd à porter par celui qui le tait, et l’enfant victime de sa divulgation se retrouve, enfant, dans une situation in- gérable, sans les moyens de la représen- tation de son sens, ni la possibilité de l’assumer face aux autres. J’ai vu nombre d’enfants nés normaux mais victimes ensuite d’une pareille divulga- tion, à l’école, dans l’environnement, dans la famille d’accueil, dans la famille adoptive. Ce sont des situations qui ont abouti pour eux à des catastrophes. Dif- ficile de faire la part des choses, entre

« c’est pour son bien » et « ça m’arrange », tant il est difficile de garder un secret tout au long de la vie. Le risque existe que des personnes souvent mal- veillantes fassent au mauvais moment des révélations inappropriées dans un but pervers, souvent sous couvert d’hon- nêteté ou d’attachement à la vérité…

LA PROTECTION DU PARENT

La « faute » d’un parent est la cause la plus fréquente. Au 19e siècle, on disait que la mère avait « fauté » ou que le père avait eu un enfant « adultérin ». Cela ne continue aujourd’hui d’avoir de l’impor- tance que dans certains milieux. En re-

vanche, la filiation avec un père violent, délinquant, agressif, malade mental ou meurtrier justifie un secret destiné à ne pas gâcher l’image du parent restant (« Comment as-tu pu faire un enfant avec lui ? ») ou à éviter l’identification de l’enfant à son père, et ce secret est le plus souvent catastrophique. Très vite, l’enfant à qui l’on ment, généralement par omission, « devient » son père sous l’action inconsciente du secret. La mère dit souvent : « J’ai voulu lui cacher qui il était, et il est son portrait craché ; tout ce que je craignais arrive comme si je l’avais provoqué ».

LE CONSENSUS IMPLICITE DE TOUS ET LA PRESSION DE CERTAINS

Il existe des familles où l’on ne parle pas du problème, un point c’est tout… On s’aperçoit qu’un (ou plusieurs) membre de la famille fait obstacle à la circula- tion d’une information. Le secret est mis hors champ. Si, lors d’une consultation, on en approche, la réponse fuse : « Je ne désire pas parler de cela », souvent après avoir demandé que l’enfant sorte de la pièce. Cela ne fait que renforcer chez l’enfant l’idée que quelque chose lui est caché.

LE SECRET NÉCESSAIRE À LA PARENTALITÉ

La paternité cachée. C’est un homme d’âge mûr ; il frise la cinquantaine, mais il veut se poser après une vie de travail et de voyages. Il est autoritaire, certains di- raient même tyrannique (c’est un carac- tère paranoïaque bien adapté sociale- ment, mais c’est un tyran domestique).

Aucune femme n’a jamais pu vivre avec lui, car il veut toujours imposer son point de vue, ce qui, dans la vie quotidienne, est vite épuisant. Il rencontre une femme plus jeune que lui et qui vient d’avoir un bébé ; elle a été abandonnée par le père (un scénario à la Pagnol en somme…). Il reconnaît l’enfant, à condition que la jeu- ne femme ne lui dise jamais qu’il n’est pas son père biologique. L’enfant est rapide- ment étouffant. Appelons le père Roger et l’enfant Lionel. Roger se révèle avec Lionel d’une rigidité prévisible. Il l’envoie Médecine

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en pension dès les premières difficultés de l’adolescence. Lionel ne tourne pas mal, son père ne le lui permettrait pas.

Mais à dix-neuf ans, il se marie et a rapi- dement trois enfants, qui adorent leur grand-père. Roger tombe gravement ma- lade et, à l’article de la mort, persiste à vouloir cacher la vérité à Lionel malgré l’insistance de sa femme. C’est le fils de Lionel que je vois en consultation. Il a des angoisses à l’occasion du décès de son grand-père, qui s’occupait beaucoup de lui en raison de sa dyslexie. L’origine du secret, dans ce cas, a été pour Roger son désir de légitimité éducative dans sa fonction paternelle. Lionel me dit (il connaît le secret depuis longtemps…) qu’il préférait que ce soit ainsi, et qu’il ne dirait pas lui-même à ses propres enfants qu’il n’était pas le fils de Roger (ses en- fants, bien entendu, le sauront, comme lui-même l’a su !). La raison en est que de ne pas savoir d’où l’on vient pose problè- me, et qu’il craignait que Roger l’aime moins s’il savait qu’il savait.

La paternité inexprimable.« Comment ex- pliquer à mon fils de sept ans que son père est une paillette congelée ? » C’est rempli de cette fureur que le père traîné à ma consultation par sa femme vient me voir. Je suis le second psy qu’ils consultent. Le premier aurait expliqué à l’enfant avec des mots d’adulte com- ment s’est déroulée la conception. Le père en a été si mal qu’il a déclenché dans la semaine qui a suivi une hernie discale qui a bien failli devoir être opé- rée. Avant même que je n’ouvre la bouche, le père, qui craint mon avis, m’affirme que jamais il ne dira rien à son fils, « qu’il est le père de son enfant et qu’il ne se laissera pas concurrencer par une paillette ». Il s’avérera que ce père avait un besoin absolu de se penser père de cet enfant pour l’élever ; que sa paternalité ne pouvait reposer que sur cette croyance, faute de quoi elle ne pourrait se développer normalement.

Ici, le père est confronté à l’irreprésen- table et à l’informulable (d’où cette ri- valité avec ce qu’il nomme avec mépris la « paillette »). On est en plein dans l’origine du secret, qui naît ici de l’inca- pacité pour les parents de se représen-

ter la procréation, au point que certains parents disent qu’il serait plus simple de donner le nom d’un géniteur imaginai- re ! Une famille dont l’enfant allait (étonnamment) bien avait même déci- dé de dire que c’était le Père Noël, dans une histoire poétique mais un peu folle.

Mais c’était des parents aimants et structurants, très présents, et l’enfant, aujourd’hui adulte, alterne les moments où il considère que ses parents sont dé- biles et d’autres où il ne voit pas bien ce qu’ils auraient pu lui dire…

LE BUT POURSUIVI EST PARFOIS MANIPULATOIRE

C’est le cas dans les divorces conflic- tuels ou lorsque l’enfant est utilisé com- me instrument par l’un contre l’autre.

Dans les cas de ce type, l’instrumentali- sation et la manipulation du secret sont au centre de la problématique. Ce sont toutes ces situations où on laisse en- tendre sans dire, et où on laisse dire sans entendre, avec toutes les variétés de perversions au sein desquelles les en- fants sont des victimes impuissantes. La manipulation des secrets constitue une forme cachée mais très pathogène de maltraitance infantile. C’est souvent dans ce cadre qu’entrent suicides, viols, vols, motifs de séparation, les « tu com- prendras plus tard », ou encore « ta mère t’a abandonné ».

Ces secrets sont d’ailleurs meilleurs à dire qu’à cacher, car à chaque fois que quelqu’un utilise un secret comme une arme, il est préférable que l’enfant soit mis au courant, par son parent bien- veillant, d’une certaine version du se- cret afin d’éviter la manipulation de l’autre. Un père en séparation explosive fait un procès pour déchoir la mère de ses droits sur leur bébé fille sous le pré- texte qu’elle a acheté à son insu (dit-il) un ovocyte (dont il a la facture) parce que le couple devait être ressoudé par un bébé…

CONCLUSION

Le titre de cette chronique reprend le célèbre Roman des origines et origine du romande Marthe Robert, essayiste qui a

étudié, tout au long de sa vie, selon un schéma psychanalytique, l’origine des inspirations de Freud, Kafka, Defoe ou Flaubert, en retrouvant l’origine du se- cret de leur création littéraire dans leur vie personnelle, dans leur histoire et leur généalogie.

Un secret est une chose que l’on ne dit pas, jamais.

Quand on le dit, ce n’est plus un secret, mais un secret dévoilé.

Un secret n’existe pas avant sa divulga- tion ; après, il devient un événement qui a un poids, une orientation, voire une utilité.

La manipulation de la révélation du se- cret et les modalités de son utilisation sont plus importantes que le secret lui- même.

Rétention, divulgation, menace de révé- lation, interprétation, ce sont autant d’étapes d’un secret. Le secret des ori- gines, lui, est particulier, car il corres- pond à des phantasmes mêlés à des si- tuations réelles. Chez tous, il est l’objet de souvenirs écrans et de remaniements des contenus mnésiques, à mi-chemin entre roman familial, souvenirs et re- constructions.

Pour conclure, tout peut être dit mais trois cas de figure sont dangereux :quand le secret est transmis dans une chaîne de révélations : la personne chargée de l’adoption sait des choses qu’elle transmet à la famille adoptante, laquelle ne connaît qu’une partie des choses et construit autour du récit une seconde histoire, etc. ;

quand le secret est l’objet de manipu- lations sous prétexte de vérité, et ce n’est pas si rare, surtout dans des situa- tions de couples en conflit ;

quand l’histoire est trop sordide et horrifie le porteur du secret, qui ne peut maintenir le secret. 첸

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

Références

[1] SUTCLIFFE A.G., MELHUISH E., BARNES J., GARDINER J. :

«Health and development of children born after assisted repro- ductive technology and sub-fertility compared to naturally conceived children: data from a national study», Pediatr Rep., 2014; 6 :5118.

[2] BASATEMUR E., SUTCLIFFE A. : «Follow-up of children born after ART», Placenta,2008 ; 29 suppl B :135-40.

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Références

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