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La SNCF face à la Shoah

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Academic year: 2022

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Revue d'études juives du Nord

 

83 | 2022

La SNCF face à la Shoah

La SNCF face à la Shoah

Ses infrastructures, son personnel Danielle Delmaire

Édition électronique

URL : https://journals.openedition.org/tsafon/4695 DOI : 10.4000/tsafon.4695

ISSN : 2609-6420 Éditeur

Association Jean-Marie Delmaire Édition imprimée

Date de publication : 15 juin 2022 Pagination : 25-48

ISSN : 1149-6630 Référence électronique

Danielle Delmaire, « La SNCF face à la Shoah », Tsafon [En ligne], 83 | 2022, mis en ligne le 01 juillet 2022, consulté le 24 juillet 2022. URL : http://journals.openedition.org/tsafon/4695 ; DOI : https://

doi.org/10.4000/tsafon.4695

Tous droits réservés

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Tsafon, revue d’études juives du Nord, no 83, juin 2022, pp. 25-48.

LA SNCF FACE À LA SHOAH

Ses infrastructures, son personnel

Danielle Delmaire Professeur émérite en histoire contemporaine Université de Lille

L

e train, les wagons, les rails sont devenus les emblèmes de la mise en œuvre de l’extermination des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. L’affiche générique du film Shoah de Claude Lanzmann donne à voir en gros plan le conducteur d’un train qui se dirige vers Auschwitz. Plus récemment, Laurence Schram, l’historienne et archiviste du Musée Kazerne Dossin à Malines en Belgique, a choisi, pour la couverture de son livre sur la Caserne Dossin, la reproduction d’une peinture où un personnage est placé devant un train qui semble vouloir le broyer1. Un wagon sur ses rails se trouve souvent sur un lieu de mémoire. C’est le cas par exemple du wagon à l’entrée de la Cité de la Muette à Drancy, de celui sur le site du camp des Milles, ou d’un autre situé à l’entrée du musée de la Caserne Dossin à Malines (Belgique) ou encore de celui placé sur le site de Yad Vashem à Jérusalem, comme en suspension dans l’espace avec ses rails qui se tordent, se brisent et aboutissent dans le vide (voir en annexes). Le train et la logistique qui en dépend : rails, gares, constituent donc l’élément central de l’application et de la coordination des décisions de Wannsee du 20 janvier 1942, à savoir l’organisation de la « Solution finale ». Une carte intitulée « L’Europe d’Auschwitz » montre la toile d’araignée formée par les voies de chemins

1. — Laurence Schram, Dossin. L'antichambre d'Auschwitz, Bruxelles, Racine, 2017, 350 p.

Il s’agit de l’édition de sa thèse soutenue en 2015. La couverture reproduit un tableau qui provient des collections du musée Beth Lohamei Hagetaot en Israël, il a été peint par Irène Spicker, épouse Awret, à la caserne Dossin. Son titre est Le train de la mort.

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de fer qui se dirigent toutes vers un point : Auschwitz2. Avec les camps et les chambres à gaz, la voie ferrée et le train sont un instrument de la performance technique de l’élimination des Juifs en Europe. Les lignes ferroviaires pénètrent dans les camps car ceux-ci sont souvent érigés en leur bordure. C’est le cas, par exemple de la Caserne Dossin à Malines entre Bruxelles et Anvers, lieu de départ vers l’Est des Juifs de Belgique et du Nord et du Pas-de-Calais, qui est choisie par les Allemands car une voie ferrée la longe (voir en annexes). Des historiens n’ont pas manqué de souligner cette relation : voie ferrée-camp.

[…] le massacre systématique des Juifs de Pologne est réalisé en moins de 18 mois dans des « usines d’abattage humain », toutes les trois éri- gées près d’une voie de chemin de fer dans le Gouvernement général : Belzec (mars 1942), Sobibor (avril 1942) et Treblinka (juillet 1942).3 Kulmhof et Belzec […] les deux sites ont été choisis pour leur accessibilité par la route et le chemin de fer. Kulmhof […] se trouve sur une route principale et à proximité d’une voie ferrée qui relient le centre de mise à mort aux ghettos de la région. […] S’agissant de celui de Belzec, Globocnik choisit sa localisation car le village se situe à l’intersection des districts de Lublin, Cracovie et de Galicie où vivent un million de Juifs, qu’il est traversé par une ligne de chemin de fer reliant Lublin à Lwow et proche du nœud ferroviaire de Rawa Ruska, permettant de relier le site à Cracovie.4 En France, le réseau ferroviaire de la SNCF fait partie de cette toile d’araignée. Les voies ferrées sur lesquelles roulent les trains de la dépor- tation, les gares où sont rassemblées les victimes avant de monter dans un train en partance pour Auschwitz, le personnel qui conduit les trains, les entretient, régule leur circulation, tous appartiennent à la SNCF, société nationalisée peu de temps avant la guerre, en 1938. « En France, comme ailleurs, le concours des chemins de fer était indispensable pour la mise en œuvre de la ‘Solution finale’ de la question juive en Europe »5. Mais la SNCF n’est pas qu’une entreprise avec ses infrastructures, elle fonctionne grâce à un personnel : une direction et aussi des ouvriers, des employés de bureau, du personnel d’aide sociale, etc. C’est donc tout cet ensemble que cet article souhaite ausculter pour déterminer, autant que

2. — Georges Bensoussan, Atlas de la Shoah. La mise à mort des Juifs d’Europe, 1939-1945, Paris, éd. Autrement, Flammarion, 2021 (2e édition), p. 53.

3. — Ibid., p. 42

4. — Christophe Tarricone, « Les centres de mise à mort », dans Alexandre Bande, Pierre-Jé- rôme Biscarat et Olivier Lalieu (dir.), Nouvelle histoire de la Shoah, Paris, Passés/composés, 2021, pp. 85-104, ici p. 93. Kulmhof ou Chelmno.

5. — Jochen Guckes, « Le rôle des chemins de fer dans la déportation des juifs de France », Revue d’histoire de la Shoah, n° 165, janvier-avril 1999, pp. 29-110, ici p. 30.

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27 faire se peut, le rôle de la SNCF dans la déportation des Juifs en France

et aussi dans leur vécu pendant la guerre : l’importance des trains dans la fuite vers des zones moins dangereuses, les trains ou les gares sont-ils des lieux de sauvetage ? Et quel est le sort du personnel juif de la SNCF ?

Les exemples d’aide, de secours, de sauvetages apportés aux Juifs en proie à une féroce persécution, dans les trains et dans les gares, sont nombreux, pour toute la France quelle que soit la Zone : occupée, non occupée ou rattachée à Bruxelles. Les fonds d’archives départementales et nationales, ceux de la SNCF peuvent être exploités abondamment et utilement mais, dans le cadre de ce modeste article, il m’a fallu limiter mon investigation à des lectures et des témoignages. Divers thèmes paraissant dans cet article pourront être développés grâce à des recherches en archives.

Le train, pour fuir vers des lieux refuges

Si le train est le moyen de transport qui mène à la mort, il est aussi emprunté par les Juifs pour se protéger et fuir vers des zones moins dangereuses. Grâce à un réseau ferroviaire secondaire plus dense que le réseau actuel et qui pénètre dans des régions de campagne ou de montagne reculées6, les Juifs parviennent à s’éloigner des villes où sont implantées les administrations allemandes ou vichystes et ainsi à contourner le programme d’extermination des nazis qui les menace.

Lors de l’exode du printemps 1940 ou lorsque la menace s’alourdit avec les rafles de 1942, nombreux sont les Juifs de la Zone occupée et de la Zone rattachée au Commandement militaire de Bruxelles qui cherchent à fuir vers la Zone sud qui n’est pas encore occupée. Le voyage peut se faire en voiture mais toutes les familles n’en possèdent pas. Alors le train est le seul moyen pour fuir. C’est ce que décident les parents de Violette Silberstein lorsqu’ils l’envoient à Paris car la capitale leur paraît plus sûre que Le Havre, où cette famille originaire de Roumanie vit depuis 1927 :

« C’est la guerre qui m’avait mise dans le train » reconnaît Violette dans ses souvenirs7. Pour scander le rythme des fuites vers d’autres lieux, elle répète le bruit du train, dans le récit de ses pérégrinations avant l’arres- tation puis la déportation :

6. — Cette remarque a été développée par Jacques Sémelin lors d’un visio-conférence du groupe Paris-ouest de l’Amitié judéo-chrétienne de France, le 19 novembre 2020.

7. — Violette Jacquet [née Silberstein], Les sanglots longs des violons de la mort, Paris, éd.

Oskar jeunesse, 2005, p. 11.

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Broun roun roun. Le train s’éloignait de la mer et m’emmenait [du Havre à Paris]. La locomotive fonçait dans l’horizon, sans jamais s’essouffler […]

1942. Broun roun roun. Maman, papa et moi étions cette fois tous les trois dans le train, ensemble. Nous roulions vers Lille, où nous attendait le frère de ma mère [qui les avait convaincus d’une vie tranquille à Lille…].

[Puis voyage final] Broun roun roun. Le train. Nous n’étions plus en pre- mière classe, ni en seconde, ni en troisième. Nous n’étions pas non plus en dixième classe ou en centième classe. Nous étions dans la dernière, l’ultime classe : un wagon à bestiaux, où hommes, femmes, enfants étaient entassés.8 C’est le bruit des roues sur les rails qui reste gravé dans la mémoire de la jeune fille qui erre de refuge en refuge. Ce ne sont pas la vue et les yeux qui sont sollicités mais l’ouïe et l’oreille.

Les Juifs ne sont pas seuls d’ailleurs à fuir, ils se fondent dans une cohue de civils car les trains sont peu nombreux à cause d’un trafic réduit en raison des bombardements et de la priorité accordée aux transports militaires. D’autres personnes craignent pour leur sécurité, aussi se dirigent-elles vers le sud. Cette cohue dans laquelle circulent deux enfants, Joseph Joffo la décrit dans son livre Un sac de billes. Un soir de 1942, après l’obligation de porter l’étoile jaune, le père de Maurice et Joseph leur annonce qu’ils vont devoir se rendre seuls à Dax pour ensuite passer la ligne de démarcation, atteindre la Zone non occupée puis rejoindre leurs frères. Ils s’y rendront en train.

Nous sommes en gare d’Austerlitz. Peu de trains en partance et les quais sont envahis. Qui sont tous ces gens ? Des Juifs aussi ? […]

Mais il ne faut pas penser à cela. Pour le moment il faut prendre le train […]

Ça y est, voici le train. Maurice pousse un juron. Il y a de quoi : les wagons sont bondés : partout dans les couloirs, dans les soufflets. On ne pourra jamais entrer. On devine par les portières ouvertes des amoncellements de valises, de sacs.9

Face aux dangers de plus en plus sérieux, des parents se séparent de leurs enfants et, pour les mettre en sûreté, les confient à des adultes qui les évacuent vers le sud toujours en utilisant le train. C’est le sort de Bernard Prazan et de sa sœur aînée Jeannette. En 1942, après la rafle du Vel d’Hiv, les enfants âgés de dix et sept ans se trouvent sans leurs parents. Leur tante les confie à une « passeuse » qui doit les emmener, en

8. — Ibid., pp. 11, 14 et 17 du chapitre II qui évoque les étapes de la fuite du Havre vers Lille où, finalement, elle est arrêtée avec ses parents et déportée à Auschwitz. Sa survie à Auschwitz en tant que violoniste de l’orchestre du camp puis à Bergen-Belsen fait l’objet des chapitres suivants.

9. — Joseph Joffo, Un sac de billes, Paris, Le livre de poche, 2017, pp. 41-42. 1ère édition, Paris, J-C Lattès, 1973.

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29 train, près d’Orléans pour leur faire franchir la ligne de démarcation et

leur trouver un refuge sûr. Dans le train puis dans la gare, l’enfant sent confusément que la passeuse n’est peut-être pas fiable. Le train et la gare sont le théâtre de son angoisse10.

Le 13 juillet 1942, deux familles lilloises, que des liens d’amitié rapprochent, s’unissent pour fuir vers Dax en empruntant des trains au gré des étapes. Elles se rendent d’abord dans la capitale et, dans le train, l’une des mamans prend soin d’arracher les étoiles de leurs vêtements et de les jeter hors du train. À Paris, attendant en vain un passeur qui doit les amener dans le sud, les familles décident de rejoindre Dax toujours par chemin de fer. Le voyage s’effectue sans encombre et reprend toujours en train, la direction de Saint-Jean-Pied-de-Port11.

Le train, les voies ferrées participent donc à la survie des Juifs, en France, durant la guerre. Certes, d’autres proscrits ont pu emprunter ce moyen de transport pour fuir également vers des lieux plus sûrs, mais s’agissant de la menace d’extermination d’un peuple, il est important de souligner le rôle du réseau ferré dans le secours apporté aux Juifs.

Le train, lieu de sauvetage

Avec la complicité de cheminots ou d’autres passagers, le train devient un lieu de sauvetage, un endroit où l’on peut se cacher, disparaître. C’est le cas encore des frères Joffo qui assistent à l’arrestation de certains voyageurs (voir plus loin) mais, le prêtre qui partage leur compartiment comprend vite que les enfants sont en danger d’autant plus que Joseph, le plus jeune, lui confie qu’ils n’ont pas de papiers. Lors du contrôle, le prêtre prétend qu’il a la charge des enfants : « Les enfants sont avec moi » répond-il à l’Allemand qui n’en demande pas plus12. La scène aurait pu se dérouler dans un autre cadre mais la cohue dans le train facilite le subterfuge.

Même échec de l’arrestation de Maria Redlus et sa sœur Raymonde, deux jeunes filles juives qui fuient Douai en train, « vers 1941-1942 ». Lors du contrôle par les Allemands au passage de la ligne de démarcation, elles doivent être embarquées car elles n’ont pas de carte d’identité. Mais Maria a le réflexe de se prétendre catholique et se souvient-elle : « j’ai récité toutes les prières que je connaissais : ‘je vous salue Marie’, ‘Notre

10. — Son fils Michaël Prazan a réalisé un film documentaire qui reconstitue la fuite des deux enfants : La passeuse des Aubrais, co-production INA / Arte France, 2016. Bernard Prazan y évoque, entre autres épisodes de sa vie d’enfant caché, la fuite en train vers la gare des Aubrais-Orléans.

11. — Témoignage de Léon Mohr, les 25 septembre et 10 octobre 2019 et autre témoignage dont l’auteur souhaite conserver l’anonymat, le 10 janvier 2020.

12. — Joseph Joffo, Un sac de billes, op. cit., p. 51.

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Père’ », prières qu’elle avait apprises lorsqu’elle fréquentait le patronage à Douai, une dizaine d’années auparavant. Il s’ensuit une protestation des autres voyageurs : « Vous voyez bien qu’elles ne sont pas juives » lancent-ils aux Allemands qui obtempèrent13. Pour ces deux exemples, le train est bien le lieu d’un sauvetage : ce sont les voyageurs qui agissent en faveur des Juifs, la proximité dans le compartiment rend possible le geste salvateur.

Le train de marchandises est aussi une cachette pour les proscrits.

Dans ce cas c’est le cheminot qui, nécessairement, est complice comme le raconte François Dembin à propos de ses parents qui ont décidé de quitter la région nord pour se réfugier en Dordogne.

Mes parents franchissent la ligne de démarcation dans un train de mar- chandises avec le concours de cheminots. Le train fait de nombreux arrêts. À l’occasion d’un arrêt assez long, ils entendent : Aufmachen ! [« Ouvrir ! »]. Mes parents se sont aménagés une cache dans le wagon, mais mon frère Maurice, à ce moment, n’y est pas. Un cheminot ouvre la porte, voit Maurice mais l’Allemand qui était là ne le voit pas. Le cheminot ferme vite la porte, en disant : « Vous voyez il n’y a rien…

que du sucre… ».14

La famille parvient à rejoindre Périgueux et s’installe, non loin, dans la ferme d’un lieu-dit très reculé.

C’est aussi un wagon de marchandises qui permet à un groupe d’en- fants de se cacher pour tenter un passage vers la Suisse. Fanny Ben-Ami, née Eil et âgée de treize ans, doit s’introduire en Suisse avec ses deux sœurs plus jeunes qu’elle. Durant son périple, d’autres enfants seuls se joignent à elle qui finit par se trouver à la tête d’une douzaine d’enfants.

Elle doit rencontrer, à Annemasse, une dame qui l’aidera à franchir la frontière mais le petit groupe est arrêté dans une gare car plus loin les ponts sont coupés. Coincée à cet endroit inconnu, elle s’informe auprès d’un cheminot sur un autre itinéraire possible :

– On ne peut aller à Annemasse que de Lyon, il n’y a vraiment pas d’autre chemin possible ? insistai-je auprès du cheminot.

– Sauf si tu veux prendre un train de marchandises, me répondit l’homme, qui me croyait toute seule.

13. — Témoignage de Maria Beighelrut née Redlus, le 13 février 2006 auprès de Monique Heddebaut que je remercie pour me l’avoir communiqué.

14. — Cité dans Franck Fajnkuchen, YZKOR. Une famille juive en France entre 1940 et 1944, Beaumontois-en-Périgord, éd. Secrets de Pays, 2021, pp. 112-113. Franck Fajnkuchen est un cousin de François Dembin. Dans son livre, il décrit les différents périples des membres de sa famille élargie.

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– D’accord, décidai-je sans prendre le temps de réfléchir, on prendra un train de marchandises. Vous comprenez, nous n’avons pas le choix.

Mes parents nous attendent à Annemasse et ils ne savent pas ce qui nous est arrivé.

Il prit un ton paternel.

– Bien, dit-il d’une voix douce, je vais t’arranger un coin dans le train de marchandises, mais je le fais seulement parce que je ne veux pas que tes parents s’inquiètent.

– Merci beaucoup ! répondis-je.

Je fis un signe de la main pour dire à tous les enfants de se regrouper autour de moi. Le cheminot écarquilla des yeux ; son regard passa de moi aux enfants, puis repassa sur moi avant de se reposer sur mes compagnons.

– C’est qui, ceux-là ?

– Ce sont les enfants qui voyagent avec moi, répondis-je.

– Tous ?

Il était clair qu’il n’avait pas envisagé cette possibilité.

– Je pensais qu’il n’y avait que toi ! Je secouai la tête.

– Nous devons tous arriver là-bas. Nous n’avons pas le choix, nos parents nous attendent.

Il semblait hésiter. Il fronça les sourcils. Il avait probablement compris que nous étions des Juifs en fuite. Cependant, il haussa les épaules : – D’accord, céda-t-il, je vais essayer de vous arranger quelque chose.

Il entra dans le bâtiment de la gare, en ressortit quelques minutes plus tard pour nous ordonner de le suivre et nous fit entrer dans le wagon postal du train de marchandises.15

Fanny et ses compagnons parviennent à rejoindre Annemasse en circulant dans ce train de marchandises qui ne subit aucun contrôle.

Il est évident que le voyage en train de marchandises présente moins de risques de contrôle mais un tel train n’est accessible que grâce à un cheminot prêt à aider. Outre le wagon de marchandises, le train offre aussi une autre cachette sûre : le tender où est entassée la réserve de charbon nécessaire à l’alimentation de la locomotive à vapeur qui fonctionne grâce à un feu constant. Les contrôles dans les trains de marchandises sont moins fréquents que dans les trains de voyageurs mais le tender, dont les Allemands ne vérifient pas le contenu, est la meilleure des cachettes.

À l’été 1940, la famille Wainstein de Lille, les parents et quatre enfants, décide de quitter le Nord. Le fils aîné, qui vit à Lyon où il s’est marié,

15. — Fanny Ben-Ami, Le voyage de Fanny, Paris, Seuil, 2016 (2e édition), texte original paru en hébreu, Milo Publishing, Israël (1986), pp. 68-69. Adapté au cinéma par Lola Doillon, film sorti en 2016.

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vient les chercher. Les six membres de la famille et le fils aîné circulent alors dans le tender d’une locomotive. « C’était un passage périlleux » avoue, dans son témoignage, Patrick Wainstein, le petit-fils ; périlleux mais bien protégé et toute la famille réussit son voyage16.

C’est le même moyen de transport qui permet à des évadés des

« camps pour Juifs » de la région de Boulogne-sur-Mer de passer les différentes lignes de démarcation qu’il fallait franchir pour sortir de la Zone rattachée à Bruxelles. Les cheminots E. Floart et P. Leroy en ont caché dans leur tender pour les acheminer vers Abbeville ou Arras17.

La gare, lieu d’entraide et de sauvetage, ou de danger ?

La gare, quant à elle, peut selon les circonstances être un lieu d’en- traide. Il est arrivé que les détenus juifs d’un camp situé à proximité puissent bénéficier de l’aide de cheminots dans le cadre même de la gare. C’est le cas de la gare de Revin dans le département des Ardennes qui est le lieu de travail de prisonniers juifs. À 5 ou 6 km, le Judenlager du village Les Mazures, érigé pour servir l’Organisation Todt, regroupe, depuis l’été 1942, des Juifs d’Anvers qui fournissent un travail épuisant pour la fabrication du charbon de bois. Ils vivent sous un régime très dur et leur quotidien n’est fait que d’humiliations et de brimades sans compter une nourriture et une hygiène bien insuffisantes. Quelques-uns de ces Juifs forment un Kommando de travail en gare de Revin sous surveillance allemande. C’est sur le site même de la gare qu’ils trouvent de l’aide grâce à l’audace du chef de gare Léon Devingt et de son épouse Madeleine. Ils doivent décharger des camions qui transportent du char- bon de bois pour le transférer dans des wagons mais il leur arrive aussi de manipuler des sacs de pommes de terre. Les cheminots acceptent de détourner momentanément l’attention des gardes allemands pour leur permettre de faire disparaître quelques sacs dans la cave du chef de gare.

Grâce à cette réserve, Madeleine Devingt prépare clandestinement un repas pour les prisonniers affamés. D’autres victuailles sont aussi glissées vers les travailleurs :

16. — Témoignage de Patrick Wainstein, fils de Félix, l’un des quatre enfants, le 25 novembre 2019.

17. — Témoignage de E. Floart, le 1er juillet 1987. Voir aussi Danielle Delmaire, « ‘Les camps des Juifs’ dans le Nord de la France (1942-1944) », dans Bulletin de MEMOR, n° 8, décembre 1987, pp. 48-65, ici p. 61.

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Ceux qui travaillaient aux wagons n’avaient franchement pas grand- chose à manger. Alors ma mère faisait un pot-au-feu avec 10 kg de pommes de terre. On planquait la grande casserole au fond d’un wagon…

À l’époque, les fruits n’étaient heureusement pas contingentés. Et ils arrivaient à la gare. Les déportés qui travaillaient ici en bas, nous demandaient s’il était possible de leur en donner en douce […]

Et pour le pain, mon père s’était arrangé avec un boulanger de Revin […]18 Cette gare de Revin est encore le lieu de rencontres clandestines entre les prisonniers qui y travaillent et des membres de leur famille toujours grâce au couple Devingt. Il les reçoit dans leur logement et même parfois les héberge.

Au train du soir est descendue une dame blonde. Elle était accom- pagnée de deux petits enfants : une fille et un garçon qui se prénom- mait Dany. Elle voit mon père et lui dit qu’on lui a recommandé de s’adresser au chef de gare. Mon père l’a fait monter chez nous et après l’avoir écoutée, lui a proposé de souper et de loger sur place […]

D’autres femmes ont commencé à arriver pour voir leur mari. Mon père et ma mère les logeaient deux ou trois jours à la gare. Je n’ai franchement jamais compris comment on a fait pour être toujours en vie et pour ne pas être dénoncés.19

À Revin, la gare sert aussi de boîte à lettres qui favorise la communi- cation entre les prisonniers du Judenlager et leurs familles20.

La gare devient encore un lieu de sauvetage quand celle-ci est une étape lors d’un transfert de prisonniers qui, souvent, s’effectue dans la confusion ce qui permet toutes les audaces. C’est ce qui se passe lors du transfert des prisonniers juifs ou « demi-juifs » du camp d’Aurigny (île anglo-normande transformée en camp d’internement pour l’Organisa- tion Todt qui érige le Mur de l’Atlantique) vers les « camps de Juifs » du Boulonnais, en mai 1944. Le convoi, des wagons à bestiaux, concerne 600 prisonniers qui quittent Aurigny le 7 mai. Il fait étape à Rouen le 12 mai ce qui permet à David Trat de s’évader avec la complicité d’un cheminot. Le convoi continue sa route puis s’arrête, le soir du 16 mai,

18. — Témoignage de Geneviève Horreaux-Devingt, fille aînée du couple Devingt, auprès de l’historien du Judenlager des Mazures, Jean-Émile Andreux. Cité par celui-ci : « Les Mazures un camp de juifs en Ardennes françaises », Tsafon revue d’études juives du Nord, n° 46, automne 2003-hiver 2004, pp. 117-147, ici p. 129. Il est également l’auteur d’un Mémorial des déportés du Judenlager des Mazures, Tsafon revue d’études juives du Nord, n° 3 hors-série, octobre 2007. Cette aide alimentaire pratiquée par le couple Devingt en gare de Revin reste également dans la mémoire de Joseph Peretz, lire son témoignage en annexe.

19. — Témoignage de Geneviève Horreaux-Devingt, cité dans ibid., pp. 136-137.

20. — Même témoignage cité dans ibid., p. 137.

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en gare d’Hazebrouck, nœud ferroviaire situé à mi-chemin entre Lille et Dunkerque avec des voies qui bifurquent vers Boulogne-sur-Mer.

Les prisonniers sont parqués dans un hangar à partir duquel 15 autres évasions peuvent être effectuées21.

La petite gare d’Amagne-Lucquy est aussi le théâtre de l’évasion de trois internés du Judenlager des Mazures. Au petit matin du 5 janvier 1944, le camp est liquidé et les prisonniers sont transportés en camion jusqu’à Charleville-Mézières d’où un train doit les emmener à Drancy. Lorsque le train arrive en gare d’Amagne-Lucquy, des cheminots parviennent à déverrouiller un des wagons à bestiaux ; dix personnes sautent, vite récupérées par des résistants22.

La gare de Lille-Fives est le lieu d’un important sauvetage qui dure quasiment toute la journée du 11 septembre 1942. En ce jour, une grande rafle décime les judaïcités des deux départements du Nord et du Pas-de- Calais. Plus de 600 personnes doivent être déportées, elles sont véhiculées par train de voyageurs, en 3e classe, de leur ville d’arrestation (Valen- ciennes, Lens, Douai) vers la gare de Lille-Fives pour être ensuite dirigées vers Malines, internées à la Kazerne Dossin avant la déportation vers Auschwitz. Les familles arrêtées le matin à Lille, arrivent en gare et doivent attendre les convois venus des autres villes. C’est alors que la confusion commence à régner et que des cheminots parviennent à cacher des adultes et des enfants dans les locaux de la gare, sans attirer l’attention des gardes allemands. Puis la confusion grandit lorsque les trains provenant des autres villes entrent dans la gare. Des personnes parviennent à descendre et demandent l’aide des cheminots qui de nouveau dissimulent d’autres adultes et enfants, les enfermant dans des locaux obturés par des armoires.

Les cheminots ne sont pas seuls à sauver des Juifs de la déportation. Des voisins ou des amis réussissent à se faufiler dans la gare. C’est ainsi que le petit Maurice Baran, âgé de 9 ans, est sorti de la gare par l’employée de ses parents pour l’emmener dans sa famille près de Dunkerque et que son jeune frère, un bébé de quatre mois, est lui aussi sorti de la gare par une élève infirmière qui est parvenue jusqu’au train et l’enferme dans son sac à dos pour l’exfiltrer afin de le recueillir à la clinique Ambroise Paré où elle travaille, non loin de la gare. Les directrices de l’établissement

21. — Benoit Luc, Les déportés de France vers Aurigny, 1942-1944, Marigny-le-Lozon, éd.

Eurocibles, 2010, pp. 134-136. Lire aussi le témoignage de Jacques Laufman, interné à Aurigny et transféré à Boulogne-sur-Mer, le 7 mai 1944, dans Bulletin de MEMOR, n° 10, octobre 1989, p. 16.

22. — Jean-Émile Andreux, « Les Mazures un camp de juifs en Ardennes françaises », Tsafon revue d’études juives du Nord, op. cit., pp. 142-143.

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35 hébergent l’enfant jusqu’à la fin de la guerre. Au total ce sont 40 à 60

personnes qui échappent à la déportation23.

Cette gare se présente comme un lieu idéal pour sauver les Juifs en route vers la mort. Gare de triage, les voies y sont nombreuses, les trains arrivent à divers moments et sur des voies différentes, ce qui oblige les Allemands à faire descendre certaines personnes qui parviennent à solliciter l’aide des cheminots. Plusieurs trains sont stoppés et l’un peut en cacher un autre, ce qui complique la surveillance. Les cheminots sont présents pour la mise en route des trains, de ce fait ils peuvent apporter du secours. Enfin, la gare possède des locaux, des bureaux où les évadés peuvent être soustraits à la vigilance des gardes24.

Les gares sont donc des lieux d’entraide et de sauvetage possible dans la mesure où les trains y ralentissent, ce qui permet d’en sauter, ou bien s’y arrêtent, ce qui permet à des cheminots d’aider une évasion. Reste ensuite à prendre en charge les Juifs qui ont ainsi bénéficié de ce sauvetage.

Si les trains et les gares sont des lieux de sauvetage, cela n’empêche pas de constater que c’est aussi dans les trains ou dans les gares que des Juifs sont arrêtés car les lieux sont investis par les Allemands et leurs supplétifs français qui contrôlent étroitement les voyageurs. Joseph Joffo en rapporte des exemples lorsque son frère et lui arrivent à destination après avoir embarqué en gare d’Austerlitz pour fuir la capitale :

– Halt !

Le cri vient de dehors et nous nous précipitons à la fenêtre.

Un homme court là-bas, à l’autre bout !

Ils sont une douzaine qui s’éparpillent à travers les voies. Un civil donne des ordres en allemand, court lui aussi, grimpe sur le marchepied de la voiture voisine et tire un sifflet de sa poche, les coups stridents vrillent mes tympans. Soudain un homme jaillit, juste au-dessous de moi, il a dû passer sous le train, entre les roues […]

Je vois encore le couple de tout à l’heure revenir entre deux S.S., ils sont tout petits à présent et la femme étreint toujours sa mallette comme si

23. — Sur ces sauvetages spectaculaires en gare de Fives-Lille, lire Monique Heddebaut,

« Sans armes face à la rafle du 11 septembre 1942 (dans la « Zone rattachée » à Bruxelles) », Tsafon revue d’études juives du Nord, n° 70, automne 2015 – hiver 2016, pp. 119-168.

24. — Les cheminots fivois ne sont pas les seuls à avoir permis l’évasion de prisonniers, leurs collègues de la gare de Sorgues, dans le Vaucluse, avec la complicité de leur chef de gare, se montrent tout aussi héroïques pour venir en aide à des détenus et leur permettre de fuir hors de la gare. Ces évadés ne sont peut-être pas des Juifs mais les faits, qu’ils se déroulent à Fives ou à Sorgues, relèvent de la même implication de cheminots convaincus de la nécessité de secourir les proscrits et de s’opposer à l’occupant nazi, ceci dans le cadre d’une gare. Voir l’article de Christian Chevandier dans ce dossier.

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36

sa vie était dedans, elle marche vite, ils passent devant nous et je me demande ce qu’elle voit dans ses grands yeux noyés.

D’autres ont été pris là-bas, le jour éclaire les casques et les culasses des fusils […]

– Papiers

La dame maigre tend la feuille blanche. […] L’Allemand lit, épluche, rend la feuille et tend la main vers la grand-mère limonade qui tend un papier vert, une carte d’identité.

L’Allemand les regarde à peine.

– C’est tout ?

Elle sourit et opine de la tête.

– Prenez votre valise et sortez dans le couloir.25

Le train et la gare, lieux de sauvetage et d’entraide, sont aussi des lieux dangereux. Tout dépend de l’attitude des voyageurs qui circulent dans ces trains et ces gares ainsi que du personnel qui y travaille.

Le personnel de la SNCF, les sauveurs, les révoqués

Les sauveurs

Les Juifs ne peuvent réussir leur fuite, leur sauvetage ou leur évasion qu’avec le concours d’autrui. Situés en première ligne, les cheminots sont donc sollicités dès lors que le proscrit, le clandestin emprunte la voie fer- rée, se trouve dans une gare. Ils portent secours à tous les clandestins : Juifs et résistants. Eux-mêmes résistants, beaucoup ont payé de leur vie leur engagement contre l’occupant nazi. Au lendemain de la guerre et durant de nombreuses années, ils ont été mis à l’honneur pour leur courage, le plus bel exemple en est Bataille du Rail, film de Réné Clément, sorti en 1946, qui héroïse la Résistance chez les cheminots. Il insiste davantage sur les sabotages et les déraillements qui perturbent la circulation que sur l’aide apportée par les cheminots aux personnes en fuite26.

Peu à peu, grâce aux démarches de plusieurs Juifs, les actes salvateurs des cheminots ont été valorisés notamment par les témoignages déposés auprès de l’institut israélien Yad Vashem pour l’attribution du titre honorifique de Juste parmi les Nations. 55 cheminots Justes parmi les Nations ont été dénombrés par Laurent Thévenet27. Cependant d’autres membres du personnel de la SNCF ont sauvé des Juifs sans que cette

25. — Joseph Joffo, Un sac de billes, op. cit., pp. 48-50. La « grand-mère limonade » est une dame âgée qui partage le compartiment des enfants et leur a offert de la limonade alors qu’ils avaient très soif. Méfiants, ils la soupçonnaient de vouloir les dénoncer en les amadouant.

26. — Lire l’article de Christian Chevandier dans ce dossier.

27. — Lire son article dans ce dossier.

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37 reconnaissance leur ait été attribuée. Certes, les personnes sauvées de

manière impromptue car il y a urgence n’ont pas toujours connaissance de l’identité de leur sauveur. Ils ne peuvent donc pas entreprendre des démarches auprès de Yad Vashem. Pourtant parfois les noms sont connus, comme ceux du couple Devingt de la gare de Revin et des 24 cheminots de la gare de Lille-Fives28. Mais seul, à ce jour, Marcel Hoffmann a été honoré du titre de Juste parmi les Nations en novembre 2021.

C’est à partir de 1963, peu de temps après le procès Eichman, que l’État d’Israël décerne le titre de Juste parmi les Nations. Parmi ces premiers récipiendaires de France, on compte des cheminots : Émile Marquillie de Lomme, près de Lille, est le premier cheminot29 à recevoir le titre, avec son épouse Pauline, en 1971, pour avoir hébergé plusieurs familles juives, en 1942 puis en 1943. Puis ce sont Albert Loillier qui a caché des enfants juifs et Charles Gombert qui a recueilli des Juifs échappés d’un train qui furent honorés respectivement en 1976 et en 1977. Il faut ensuite attendre les années 1990 pour que 14 cheminots reçoivent le titre, après toutefois une seule nomination en 1987. Le diplôme a été décerné aux 37 autres dans les années 2000-2020.

Il serait équitable d’honorer aussi des membres du personnel SNCF qui ne sont pas des cheminots mais qui sont employés dans des services sociaux ou médicaux de l’entreprise. Des assistantes sociales ont souvent aidé au sauvetage de résistants et de Juifs. Deux exemples m’ont été don- nés par Laurent Thévenet. Gabrielle Lavoine est assistante sociale de la SNCF auprès des cheminots de la grande gare de triage Lille-Délivrance à Lomme. Elle dirige la famille Grosskopf, d’origine allemande, qui vient d’échapper à la grande rafle du 11 septembre 1942, vers le couple de che- minots Émile et Pauline Marquillie. Elle récidive en 1943 pour leur confier une autre famille juive et des enfants. De même Suzanne Leclézio, assistante sociale de la SNCF au centre d’hygiène sociale du 22 rue Marcadet dans le 18e arrondissement de Paris. Elle procure un logement à une famille juive, après les grandes rafles de l’été 1942. Entrée en résistance, elle est dénoncée et déportée à Ravensbrück par le convoi du 15 août 1944. Survivante de la déportation de répression, elle est rapatriée en France le 25 mai 194530.

28. — Monique Heddebaut a publié leurs noms dans son étude : Monique Heddebaut,

« Sans armes face à la rafle du 11 septembre 1942… », op. cit., p. 148.

29. — Le premier Français à être reconnu Juste parmi les Nations est le P. Fleury, en 1964.

Lire l’article de Laurent Thévenet dans ce dossier.

30. — Je remercie Laurent Thévenet d’avoir attiré mon attention sur le rôle joué par ces deux assistantes sociales de la SNCF dans l’aide apportée aux Juifs et de m’avoir fourni ces données biographiques.

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38

Il est vain d’ambitionner, dans le cadre d’un modeste article, d’établir une liste exhaustive de tous les cheminots et personnel de la SNCF qui ont secouru des Juifs durant la guerre. La liste des Justes parmi les Nations est, de toute évidence, bien incomplète. Les sources archivistiques de la SNCF doivent permettre à l’historien de découvrir bien d’autres sauveurs mais il en manquera toujours, notamment ceux qui ont agi dans l’ombre, sans réclamer aucune reconnaissance et dont les protégés n’ont pas toujours pensé à témoigner.

Les révoqués

Le sort du personnel juif semble aléatoire. Tous ne sont pas révoqués parce que juifs. C’est le cas de Raymond Lévy mais il n’est nullement à l’abri d’une arrestation qui s’effectue à son domicile le 28 novembre 1942.

Fils d’un couple mixte, il est déporté d’abord à Drancy et vers d’autres camps en France puis aux « camps des Juifs » d’Aurigny et de Boulogne- sur-Mer où des Juifs doivent travailler dans des conditions très pénibles à l’édification du Mur de l’Atlantique31.

Mais nombreux sont les cheminots qui sont révoqués parce que juifs. Ici encore, quelques exemples suffisent, sans aucune prétention à l’exhaustivité. Salomon Chich, né à Alger en 1911, travaille au dépôt de la gare de Lyon à Paris, au début de la guerre. Il est marié et père de cinq enfants qui sont prudemment placés en nourrice dans la Nièvre. Modeste employé, il est licencié dès 1941 et rien ne le protège.

En octobre 1941, alors que les quatre premiers enfants vivent cachés à Tazilly, Salomon demande une dérogation au statut des Juifs, qui est transmise par le Ministère au Commissariat général aux Questions juives (CGQJ). Mais il est licencié le 1er novembre 1941. Salomon qui s’est fait recenser comme Juif et a fait tamponner sa carte d’identité, est arrêté le 6 juin 1942 à la gare de Lyon, alors qu’il prend le train pour se rendre auprès de ses enfants. Motif : infraction à la 6e ordonnance du 7 février 1942, interdisant aux Juifs de prendre le train sans autorisation.32 Deux autres exemples peuvent être cités. Ils ont été présentés dans le n° 7 hors-série de la Revue d’Histoire des Chemins de Fer. Suite à une demande de la Wehrmacht-Verkehrsdirektion à Paris, sur la situation d’« agents juifs » se trouvant éventuellement à des postes de direction, le

31. — Lire en annexe, le témoignage de sa fille.

32. — Il est interné au camp de Drancy puis déporté par le convoi 3, du 22 juin 1942, vers Auschwitz dont il ne revient pas. Témoignage de son petit-fils Jacques Darmon, « Drancy, 28 juin 1943. La lettre perdue et retrouvée de Viviane Jaïs ma grand-mère », Généalo-J, revue française de généalogie juive, n° 148, décembre 2021, pp. 36-42, ici p. 38.

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39 directeur général, Robert Le Besnerais, informe dans sa lettre du 30 juillet

1941 : « qu’aucun agent juif ne remplit actuellement l’une des fonctions énumérées dans votre lettre », fonctions à des postes de direction, dans la Zone occupée. Toutefois, il ajoute que « quatre fonctionnaires titulaires du grade d’Ingénieur principal […] sont utilisés à des études correspon- dant à leurs compétences techniques particulières mais qui ne sont pas en contact avec le public » ; et il donne les noms : Robert Lévy, Robert Lang, Pierre Lévy qui tous trois étaient en poste jusqu’au 20 décembre 1940 et André Lévy qui l’était jusqu’au 20 mai 1941. L’auteur de la lettre précise que « les trois premiers peuvent être conservés par la SNCF » selon l’article 3 de la loi française du 2 juin 194133. Le directeur du service central du personnel, R. Barth, confirme quant à lui, dans une note du 28 août 1941, que Robert Lévi « a cessé de signer toutes correspondances engageant la SNCF »34. Robert Lévi, ingénieur en chef adjoint du service central des Installations fixes depuis le 31 juillet 1939, est donc exclu en application du statut des Juifs du 3 octobre 1940. Sa demande de déro- gation, pour services militaires et présence très ancienne de sa famille en France, est rejetée par le Conseil d’État, toutefois la SNCF parvient à le maintenir dans sa charge mais sous surveillance allemande. Robert Lévi reçoit une note datée du « 18-12-40 » qui l’informe de « sa mise à la retraite de l’Administration des Ponts et Chaussées » à partir de cette date et « [son] détachement à la SNCF cessera donc, de ce fait, à partir de la même date »35. Toutefois ajoute l’auteur de la note, il peut être admis « au cadre permanent de la SNCF » avec maintien de son traite- ment fixé lors de son embauche en 1938. Finalement, après la rafle du 12 décembre 1941, la SNCF lui propose de partir en Zone non occupée sans affectation précise. Il préfère demander sa mise en disponibilité36. Dans ce cas précis, la direction de la SNCF n’a pas pu enfreindre la loi qui exclut les fonctionnaires juifs des services de l’État. Néanmoins, elle agit de manière à éviter la complète révocation d’un de ses agents dont d’ailleurs elle ne souhaite pas se priver de ses compétences37. Dans ses

33. — Document reproduit par Bernard Lévi, « Robert Lévi ‘otage présumé’ à la SNCF ? », Revue d’Histoire des Chemins de Fer, n° 7 hors-série, 2004, 2e édition revue et augmentée, p. 225.

L’auteur publie plusieurs documents conservés par son père ce qui permet de mener cette brève étude sur un cheminot, cadre de la SNCF, évincé parce que juif. Robert Le Besnerais est le directeur de la Compagnie du Nord puis premier directeur de la SNCF à partir de 1938, Jacques Pagniez, Les cheminots du Nord. Pionniers du rail, Lille, éd. La Voix du Nord, 2009, p. 8.

34. — Bernard Lévi, « Robert Lévi ‘otage présumé’ à la SNCF ? », Revue d’Histoire des Chemins de Fer, op. cit., pp. 226 et 224.

35. — Ibid., p. 223.

36. — Ibid., p. 227.

37. — Ibid., p. 223.

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40

mémoires Rober Lévi fait la part des responsabilités : « Je ne pouvais pas garder rancune à la SNCF, de la manière ignoble dont son président s’était comporté à mon égard »38.

Le sort de son collègue Henri Lang est plus tragique. Lui aussi est ingénieur des Ponts et Chaussées détaché à la SNCF. En application de la loi du 3 octobre 1940, décidée par le Gouvernement de Vichy, il est exclu des cadres de l’entreprise. Il est arrêté le 12 décembre 1941 et interné au camp de Compiègne-Royallieu puis déporté à Auschwitz-Birkenau par le premier convoi du 27 mars 1942. Il est victime de la rafle des otages en représailles à l’assassinat d’un officier allemand. Tous les hommes de ce convoi sont d’anciens combattants et français. La direction de la SNCF obtient une tardive réintégration en 1943 : « Le Maréchal Pétain a signé sa libération sauf qu’il était mort depuis plus d’un an », rapporte sa fille39.

La SNCF avec ses trains, ses gares, son personnel a donc été utilisée par l’occupant pour mettre en œuvre la « Solution finale ». Elle a été le maillon logistique indispensable pour la déportation. C’est indubitable, d’où les dangers, pour les Juifs et les autres proscrits, d’emprunter un train, de s’attarder dans une gare. Mais à l’inverse c’est grâce aux cheminots, tout personnel confondu, grâce aux gares petites ou grandes, que les persécutés parviennent à trouver un refuge, une aide, un sauvetage.

La SNCF a donc aussi été un élément de sauvegarde des Juifs en France pendant la Shoah.

38. — Lettre photographiée dans ibid., p. 220.

39. — Catherine de Béchillon, « Dans les ombres de la SNCF. Témoignage », dans ibid., pp. 232-247 (ici pp. 233-234). L’auteur est la fille de Henri Lang et elle a témoigné auprès de l’historienne Marie-Noëlle Polino qui a transcrit l’enregistrement effectué le 2 juillet 1997.

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41

ANNEXE : Témoignages

Itinéraire d’un cheminot juif pendant la guerre

Mme Pocholle née Lévy

Le récit qui suit provient d'écrits de mon père, il a tout noté, appa- remment au fur et à mesure de ses déplacements. Il a rencontré ma mère un an après son retour, il n'a jamais reparlé de cette période. Petite anecdote, curieusement il demandait souvent à ce qu'on lui cuisine des rutabagas, des crosnes, il avait toujours du raifort à disposition, racines qui l’avaient nourri dans le camp.

Mon père, Raymond LÉVY est né le 17 août 1913 à Tonnay-Charente (17) et il est décédé le 1er janvier 1981 à Paris 10e. Son grand-père Lazard est né en Alsace en 1848, il a opté pour la nationalité française en 1872.

Son père Louis LÉVY, a été gravement blessé lors de la Première Guerre mondiale. Il a été arrêté le 22 septembre 1942, rue Faidherbe à Paris, par la police française en tant que juif. Il a été dénoncé par un voisin M. Mounier, propriétaire demeurant 41 rue Faidherbe Paris XIe, auprès des autorités allemandes.

Il a été interné dans différents camps :

– Drancy du 23 septembre 1942 au 9 mars 1943 – Beaune-La-Rolande du 9 mars 1943 au 12 juillet 1943 – Querqueville du 12 juillet 1943 au 11 octobre 1943

– Départ de Cherbourg pour l'île d'Aurigny au camp N° 2 dit Norderney du 11 octobre 1943 au 13 janvier 1944.

Grâce à l'intervention d'un médecin du camp, les personnes d'un certain âge ont été ramenées sur le continent. Mon grand-père était le plus vieux des internés puisque né en 187440. Il a été hospitalisé à l’hôpital Rothschild et enfin libéré le 12 mai 1944. Raymond et Louis ne se sont jamais vus lors de leur internement.

Ma grand-mère Émilia BABEAU était catholique et baptisée. Elle est partie à pied de Paris jusqu'en Charente-Maritime pour obtenir, auprès

40. — Benoit Luc, qui m’avait contactée lorsqu’il préparait son mémoire de master, a oublié de le mentionner dans son ouvrage qui a été édité : Les déportés de France vers Aurigny, 1942-1944, Marigny-le-Lozon, éd. Eurocibles, 2010.

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du curé de son village de naissance, des certificats de baptême sur trois générations. C’est ce qui sauva son mari et son fils des camps de la mort.

Les Allemands ont quand même vérifié que mon père n'était pas circoncis.

Raymond LÉVY a fait ses études à l'École Nationale d'Arts et Métiers de 1930 à 1933. Il en est sorti avec un brevet d'ingénieur, médaillé d'argent, en 1935. Après son service militaire, il est entré à la compagnie du Chemin de Fer du Nord. En 1938, cette compagnie est devenue la SNCF41, il sera affecté à la Région nord.

Il est arrêté à son domicile le 28 novembre 1942 à Paris par la police judiciaire française, au motif qu’il est israélite, selon une liste nominative de la Gestapo ou du SD (Sicherheitsdienst ou Service de sécurité de la SS). Il aurait pu s'échapper par la fenêtre, les policiers sont restés sur le pas de la porte mais il a eu peur des représailles exercées sur sa mère.

Il a aussi été interné dans différents camps – Drancy du 28 novembre 1942 au 9 mars 1943 – Beaune-la-Rolande du 9 mars 1943 au 24 mars 1943

– Drancy du 24 mars 1943 au 26 juillet 1943 où il est promu infirmier – Querqueville du 26 juillet 1943 au 12 août 1943, en tant que tra-

vailleur

– Aurigny (île anglo-normande) du 12 août 1943 au 7 mai 1944. En partant de Cherbourg, pour se nourrir, en compagnie de deux

« copains » il a fait cuire des rats, a mangé des racines, comme le raifort, des crosnes, du rutabaga…

– Entre le 7 et 16 mai 1944, mon père n'a pas noté où ils avaient débarqué, le groupe est parti à pied entouré de soldats allemands puis en train jusqu'à Hazebrouck.

– Boulogne-sur-Mer du 18 mai 1944 au 1er septembre 1944. Les prisonniers portent des sacs de pierre de 10 kg qui servent à la construction des murs de fortification.

Il s’est évadé le 2 septembre 1944 de Colembert (62) en se faufilant dans un bois lors du chemin de retour au camp. Il passe la journée à

41. — Sous le gouvernement du Front Populaire, la SNCF est créée le 1er janvier 1938, en application d’un décret-loi de 1937. Les cinq grandes compagnies du réseau ferroviaire français fusionnent pour donner naissance à cette société nationalisée. (Note de la Rédaction).

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43 Colembert d'où il repart à 17 h 30. Il arrive à 19 h 30 à Hocquinghen où il

passe la nuit dans une ferme. Les fermiers lui offrent une grosse assiettée de pâtes. Il dort sur de la paille dans la grange. Le 3 septembre, il arrive à Licques (je ne sais pas où il loge) et le 5 septembre les Canadiens, qui libèrent la région, le prennent en charge jusqu'au 9 septembre.

Il part vers Saint-Omer à pied. En route, il passe la nuit à Quercamps et arrive à Saint-Omer le 10 septembre où il est hébergé au foyer SNCF42. Il repart, en train, le 12 septembre pour arriver à Lille. Puis il fait étape à Arras où il passe la nuit. Le lendemain, toujours en train, il arrive à Corbie, puis va à Amiens en camion canadien, où il passe la nuit. Le 14 septembre, il repart à 7 h 20, encore en train, jusqu'à Creil où il débarque à 10 heures.

Puis il circule de Creil à Chantilly en camion-benne, et enfin de Chantilly à Paris un camion l’y amène en gare du Nord. Il en descend à 18 heures.

Enfin, il se rend chez sa mère qui ne le reconnaît pas tellement il est bouffi.

Trois jours plus tard, il reprend son travail à la SNCF, retrouve ses collègues, l'accueil est très chaleureux.

Pendant la guerre, mon père n'a pas été révoqué, il a travaillé nor- malement, à son poste jusqu'à son arrestation, pendant son internement, sa mère a reçu la moitié de son salaire. Il retourne à la SNCF quelques jours après son retour.

Témoignage recueilli en plusieurs fois en février-mars 2022.

42. — Tous les villages cités se situent entre Boulogne-sur-Mer et Saint-Omer. Les deux villes sont distantes d’une soixantaine de kms. (Note de la Rédaction).

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ANNEXE : Témoignages

Un prisonnier juif secouru par un cheminot

Transcription partielle d’un film en hommage à Léon et Madeleine Devingt par Joseph Peretz (2021)

Joseph Peretz fut interné au Judenlager des Mazures Léon Devingt était chef de gare à Revin

Lors des commandos de travail forcé à la gare de Revin, les déportés juifs faisaient passer des sacs de pommes de terre dans la cave des Devingt qui leur faisaient à manger en cachette.

Nous déchargeons des pommes de terre et j’ai demandé au chef de gare de Revin d’ouvrir la cave et à un autre gars d’aller parler aux Alle- mands […] je pense qu’on a pris trois ou quatre ou cinq sacs de 50 kg de pommes de terre. Et ils sont descendus dans la cave et Madame Devingt, jour après jour, nous préparait un repas ; elle cuisait les pommes de terre et d’une manière ou d’une autre elle rajoutait une sauce ou quelque chose dans la nourriture et nous nous régalions ; nous disions toujours à quelqu’un d’aller parler pour que l’Allemand ne voie pas ce qui se passait. Et cela se faisait la majorité du temps que nous étions là. Ces gens [les Devingt] étaient comme des anges de vrais anges… ils étaient si gentils, si gentils […].

Même durant les fêtes juives, les Devingt essayaient d’accommoder les déportés juifs, dépourvus de tout.

Et donc, ils demandaient sans arrêt aimeriez-vous ceci, aimeriez-vous cela, pouvons-nous vous préparer quelque chose ; nous vous préparons des œufs ou autre chose pour les fêtes juives ; c’était la première fête juive et c’était aussi ma dernière fête juive. Cela s’est arrêté là. Mais les gens [les Devingt] étaient si gentils. Les deux filles, elles avaient leur vieux grand- père qui était assis devant le feu ouvert et il était assis là en fumant il ne disait jamais un mot, il ne parlait pas et il était très vieux […].

Elles [Geneviève et Lisette Devingt, filles de Léon et Madeleine] étaient là tout le temps elles voulaient absolument m’aider si elles pouvaient m’aider ou me donner à manger c’est extrêmement… je n’ai jamais ren- contré des gens qui étaient si ouverts à aider des étrangers nous sommes des étrangers mais ils avaient pitié de nous.

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ANNEXES PHOTOGRAPHIQUES : Les wagons

Placés dans l’enceinte de lieux de mémoire, ils symbolisent la déportation des Juifs

Drancy

© Photo Danielle Delmaire (2011)

Les Milles

© Photo Danielle Delmaire (2013)

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Le parc de Yad Vashem à Jérusalem (Israël)

© Photo Danielle Delmaire (2012)

Kazerne Dossin, à Malines (Belgique)

© Photo Monique Heddebaut (2018)

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La caserne Dossin à Malines

LesJuifs et les Tsiganes y furent internés dans l’attente d’une déportation vers Auschwitz.

Laproximité d’une ligne de chemin de fer qui longe le bâtiment explique le choix de la caserne.

© Malines Getto’s fighters House Israel-11475

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© Photo Danielle Delmaire (2021)

La plaque en l’honneur de Léon et Madeleine Devingt en gare de Revin Le couple aida des prisonniers du Judenlager des Mazures

(Ardennes, France).

© Photo Danielle Delmaire (2021)

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