LE LOUP DU MASSIF DES LAURENTIDES
Avancement des travaux Mars 1998
par
Hélène Jolicoeur
Le projet sur le loup du massif des Laurentides, entrepris en 1995 par le ministère de l'Environnement et de la Faune avec ses partenaires, se terminera le 31 mars 1998. Ce document présente quelques résultats préliminaires.
Partenaires
Cette étude a été rendue possible grâce à la participation de différents partenaires : la SÉPAQ en collaboration avec la compagnie Mikïn, la Société de développement des activités dans le parc de la Jacques-Cartier, la Fondation de la faune, l'Université Laval et l'Association des trappeurs du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Sans leur sup- port physique et monétaire, certains aspects de cette étude n'auraient jamais pu être documentés avec autant de précision.
Les Directions régionales de Québec et du Saguenay-Lac-Saint-Jean, par l'entremise de leur Service d'aménagement et d'exploitation de la faune, leur Service des Parcs ainsi que leur Service de la Conservation de la faune, ont aussi contribué à la réalisation de ce projet.
Objectifs
Ce projet, rappelons-le avait pour objectifs : 1) de vérifier l'exactitude d'une méthode d'inventaire du loup à partir de signes indirects relevés sur le terrain ; 2) de documenter le nombre de meutes de loups qui ont une influence sur le caribou des Grands-Jardins ainsi que l'étendue de leurs territoires ; 3) d'étudier la dynamique (état
de la population, natalité, mortalité, déplacements, étendue des territoires, etc.) d'une population de loups se nourrissant principalement d'orignal et finalement 4) d'évaluer le dérangement engendré par des activités écotouristiques, tel l'appel nocturne du loup, sur le comportement des loups.
Marquage
Pour rencontrer ces objectifs, une soixantaine de loups différents ont été capturés au cours des trois années qu'a duré l'étude. Les loups étaient capturés au début de l'automne avec des pièges ou encore en hiver avec l'aide d'un fusil lance- filet ou de fléchettes contenant des produits immobilisants, tirés du haut d'un hélicoptère. Ces loups étaient ensuite munis de colliers-émetteurs puis relâchés après quelques manipulations d'usage (mesures corporelles, prises de sang, etc.).
Le nombre maximal de colliers en opération chaque année a été de 4 colliers en 1994, 13 colliers en 1995, 22 colliers en 1996 et 30 colliers en 1997. Lorsqu'un de ces colliers restait immobile plus de six heures, un signal particulier se déclenchait nous avertissant ainsi que le loup était mort ou qu'il avait perdu son collier. La carcasse de l'animal était alors récupérée dans un délai rapide pour être en mesure de déterminer la cause de mortalité.
Repérage
Les loups marqués avec des colliers- émetteurs étaient repérés en avion durant l'hiver à environ toutes les deux semaines.
Au début de l'hiver, un dénombrement exhaustif des loups était fait à l'aide d'un hélicoptère pour évaluer le niveau des populations. À l'approche de la période de reproduction, en février-mars, une attention toute particulière était portée pour découvrir l'emplacement des tanières. A l'été, des appareils de mesure étaient placés, lorsque possible, à proximité de certaines tanières pour enregistrer de façon continue les allées et venues des loups à la tanière.
Trois tanières ont pu être suivies en 1996 et en 1997.
Nombre de meutes
Le territoire de la réserve faunique des Laurentides est occupé présentement par sept meutes de loups (figure 1). Du nord au sud, nous trouvons les meutes du Pételle, du Montagnais, du Gîte, des Hauteurs, du Malbaie, des Grands-Jardins et de la Jacques-Cartier. Il est possible que d'autres meutes de loups venant de la Zec Mars- Moulin au nord-est et de la Zec de la Rivière Blanche au sud-ouest puissent pénétrer momentanément à l'intérieur de la réserve. Des loups solitaires ou âgés peuvent également vivre en marge des territoires des meutes que nous avons suivis. Deux de ces loups solitaires ont été aperçus en 1996-1997 en périphérie des territoires des meutes du Malbaie et des Grands-Jardins.
Étendue des territoires
Le calcul de la superficie exacte des territoires de loups n'a pas encore été effectué mais il est évident que ceux-ci sont très grands. Dans la partie nord, nord- ouest, là où les densités d'orignaux et de castors sont plus élevées; la grandeur des territoires serait autour de 500 km2. Dans la partie centre et sud de la réserve, les territoires de loups seraient supérieurs à 1 000 km2. Même approximatives, ces superficies sont de loin supérieures à celles qui ont été précédemment trouvées à la réserve de La Vérendrye (400 km2) et à la réserve de Papineau-Labelle (250 km2). Le
type de proie principal (cerf de Virginie et/ou orignal) et sa densité expliquent probablement ces variations de superficie au niveau des territoires de loups.
Population potentielle
Les densités de loups au Québec sont estimées depuis 1983 dans différentes réserves fauniques du Québec à partir d'indices (observations directes, pistes, excréments, hurlements) recueillis auprès des chasseurs qui participent à la chasse contrôlée à l'orignal dans les réserves fauniques. Avant l'ouverture du piégeage dans les réserves fauniques, les densités de loups dans les habitats où il n'y avait que de l'orignal comme proie principale dépassaient rarement une moyenne de 1 loup/100 km2 alors qu'elles pouvaient atteindre 2,5 loups/100 km2 dans les habitats où c'est le cerf de Virginie qui constitue la proie principale. D'après ces chiffres, le potentiel pour la réserve faunique des Laurentides se situeraient à environ 80 loups (1 loup/100 km2 X 8 000 km2).
Population réelle
En 1996, notre méthode d'évaluation des densités de loups à partir des questionnaires distribués aux chasseurs d'orignaux fixait le nombre de ceux-ci à 52 loups avant prélèvement. Nous en avons dénombré par comptage direct seulement 40. Les évaluations pour 1997 ne sont pas encore terminées mais les chiffres semblent indiquer qu'il y avait un minimum de 45 à 47 loups au 1' septembre 1997.
Taille des portées
Les portées que nous avons dénombrées ne dépassent pas 7 louveteaux à la naissance. Une femelle âgée de la meute du Montagnais n'avait, au moment de sa mort, qu'un seul foetus.
Mortalité
La mortalité des loups dans la réserve faunique des Laurentides est très élevée de l'ordre de 50 %. La cause principale de mortalité est le piégeage. En effet, sur les
54 cas de mortalités que nous avons documentés, 39 provenaient du piégeage (72 %), 6 d'accidents routiers (11 %), 3 de causes naturelles inexpliquées (6 %), 2 de braconnage (4 %), 2 de cannibalisme (4 %) et 2 de stress de capture (4 %). La mortalité se fait sentir également dans toutes meutes répertoriées. La plus faible mortalité a été observée au niveau de la meute du Malbaie. Celle-ci a accusé tout de même un taux moyen de mortalité de 35 % entre 1994 et 1998.
La mortalité par le piégeage se produit à l'intérieur de la réserve et aussi à l'extérieur de celle-ci. Au cours de l'hiver 1997-1998, la meute des Grands-Jardins a perdu la majorité de ses effectifs sur les terres privées du Séminaire de Québec.
Désorganisation des meutes
La mortalité affecte l'organisation des meutes de façon très marquée. Tous les individus de la meute, les jeunes comme les adultes, sont susceptibles d'être touchés par l'une ou l'autre des différentes causes de mortalité. Des meutes bien structurées, c'est-à-dire composées du couple reproduc- teur, de leur progéniture de l'année et de quelques juvéniles nés l'année précédente, se trouvent réduites à la fin de l'hiver à deux individus. Parfois, les loups qui survivent ne sont que des mâles, comme cela a été le cas pour la meute de la Jacques-Cartier en 1995-1996 et pour la meute des Grands-Jardins à l'hiver 1997- 1998, ou un mâle avec une femelle juvénile, comme cela s'est produit en 1996- 1997 au sein de la meute des Grands- Jardins. Ces mâles doivent donc se trouver rapidement une femelle mature s'ils veulent reconstituer une famille. Lorsqu'ils en trouvent une, le délais qui s'écoule peut compromettre la saison de reproduction ou la retarder. C'est ainsi que nous avons été témoins de la production de deux portées
« tardives ». Les louveteaux nés, avec visiblement un mois de retard, étaient à l'automne de taille inférieure aux autres louveteaux. Nous croyons que ces loups, plus petits que la moyenne, sont moins aptes à participer avec les adultes aux activités de chasse et sont par conséquent
plus portés à visiter les appâts disposés par les trappeurs.
Dispersion
Nous avons été rarement témoins de cas de dispersion chez les loups que nous suivions. En 1996-1997, deux femelles en âge de se reproduire ont quitté la meute des Hauteurs pour aller rejoindre le seul mâle qui restait de la meute de la Jacques- Cartier. En 1997-1998, une femelle de deux ans a quitté la meute du Malbaie pour aller rejoindre deux mâles survivants de la meute des Grands-Jardins. Une femelle de la meute du Malbaie s'est également jointe à un mâle des Grands-Jardins pour constituer une nouvelle meute à l'extérieur de la réserve faunique des Laurentides.
Les tanières
Les loups de la réserve faunique des Laurentides choisissent les sites pour établir leurs tanières en fonction du type de sol, des pentes et de l'exposition de celles- ci. La végétation environnante semble être moins importante car nous avons trouvé des tanières en bordure des coupes forestières, dans un brûlis récent, dans des bancs d'emprunt, etc. Les loups creusent leurs tanières dans des sols sableux comportant un peu d'argile et de limon ou encore dans du sable fin bien compacté.
Ces types de sols sont faciles à creuser, se tiennent bien et ne retiennent pas beaucoup l'eau. L'abri ainsi constitué est donc solide et relativement sec. Les loups sont en mesure alors de réutiliser année après année la même tanière s'ils ne sont pas dérangés. Les loups choisissent aussi des sites surélevés de 4 à 5 mètres et exposés vers le sud, le sud-est ou le sud- ouest. Les sites propices à l'établissement de tanières de loups sont peu nombreux dans la réserve faunique des Laurentides.
On estime que moins de 10 % de la superficie de la réserve offre des conditions propices à l'établissement de tanières.
L'accouplement des loups se produit dans la réserve faunique des Laurentides vers la mi-février. Les louveteaux naissent donc entre la mi-avril et le début de mai. Ils restent à la tanière jusqu'à la fin du mois de juillet. Les tanières doivent donc être
aménagées avant l'hiver car à la mi-avril ou au début de mai, au moment de la mise bas, le sol de la réserve faunique est encore gelé.
Informations à venir
Il reste beaucoup d'informations à tirer de l'étude sur les loups de la réserve faunique des Laurentides. Certains aspects, comme le régime alimentaire des loups en été, l'impact de l'écotourisme, la condition physique et la caractérisation physique des loups de la réserve, vont faire l'objet d'une analyse plus approfondie au cours des prochains mois.
Conclusion
La densité de loups dans la réserve faunique des Laurentides est faible en raison de la faible productivité de ce milieu en terme de proies. Les loups pour se nourrir doivent donc parcourir de grands territoires ce qui les exposent à une très forte mortalité. La mortalité par le piégeage est très élevée causant une désorganisa- tion répétée des meutes. Les effets de cette déstabilisation continuelle restent à être évalués en fonction des objectifs de conservation et de mise en valeur de cette population de loups.
Figure 1 : Délimitation approximative des territoires de loups dans la réserve faunique des Laurentides 1995-1998).