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REVUE SCIENTIFIQUE DROGUES ET POISONS

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REVUE SCIENTIFIQUE

DROGUES ET POISONS

Les empoisonnements criminels par l'arsenic n'ont jamais cessé d'être pratiqués depuis des siècles, grâce à la facilité de se procurer l'acide arsénieux, sous forme de mort-aux-rats, et de le mêler aux aliments où sa faible saveur ne le décèle pas. Depuis la célèbre affaire Lafarge (1840) jusqu'au récent procès Marie Besnard les résultats d'expertise ont donné lieu à des discussions qui continuent malgré le perfectionnement des méthodes d'analyse.

On l'a vu il y a quelques temps dans les journaux à la suite d'une étude du professeur Olivier, de la Faculté de médecine. L'arsenic est pourtant la substance la plus facile à découvrir dans les matières organiques parce qu'elle n'est pas altérée par le corps et qu'on a des techniques d'une sensibilité extrême. Elles procèdent pour la plupart de l'appareil inventé par Marsh en 1836, qui consiste à hydrogéner l'arsenic puis à décomposer par la chaleur Parséniure formé : le métal est libéré sous forme d'anneaux brillants le long d'un tube capillaire.

Les améliorations introduites par Gautier et Bertrand permettent de doser un millième de milligramme, ce qui dépasse largement les besoins puisque la dose toxique est de 7 centigrammes du métal.

Mais dans les empoisonnements chroniques et dans les cas très tardifs on peut avoir à mettre en évidence des quantités beaucoup plus faibles. On sait que, sauf dans les cas de mort immédiate où l'on retrouve le poison dans le tube digestif, il peut avoir disparu de ces organes et se retrouver en quantité bien plus faible dans le foie et le cerveau ; alors il faut pouvoir disposer d'une sensibilité au milligramme. Enfin le savant toxicologue qu'est M. Kohn- Abrest nous rappelle, dans son Précis de toxicologie (1) que l'arse-

(1) Troisième édition, Dota éditeur, Paris 1955.

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nie persiste plusieurs mois dans les cheveux et les poils et que l'approximation du cent-millième devient nécessaire.

C'est à ce moment que commencent les difficultés. Orfila avait prétendu jadis que l'arsenic pouvait exister normalement dans le corps. Une commission, nommée en 1841 par l'Académie des Sciences, démentit cette affirmation après des expériences soi- gneuses. Mais les progrès de l'analyse permirent de reviser ce juge- ment. Armand Gautier, il y a un demi-siècle, puis Gabriel Bertrand, le maître des infiniment petits chimiques, montrèrent que le métal- loïde existe chez tous les êtres vivants. Chez l'homme la quantité est d'une fraction de milligramme. Grâce à cette découverte les avocats de cour d'assises purent jeter le trouble dans la cons- cience des jurés, mais elle ne dérangea en rien celle des experts.

Voici en effet les règles posées par M. Kohn-Abrest : ne pas tenir compte de la présence d'un milligramme d'arsenic dans la totalité des viscères. Entre 1 et 3 milligrammes mettre en cause probable un traitement arsenical comme celui de l'arséno-benzol. Lorsque la dose atteint des centigrammes, alors on peut présumer l'empoi- sonnement. Avec ces règles simples les toxicologues sont certains qu'on ne commettra plus d'erreurs judiciaires comme celle du pharmacien Danval qui en 1878 fut condamné à perpétuité, les experts ayant trouvé un milligramme d'arsenic dans le corps de la victime présumée. On sait que l'innocent fut réhabilité vingt-cinq ans plus tard.

La découverte d'arsenic normalement dans la terre a provoqué de nouveaux scrupules et de nouvelles disputes, lorsque l'expertise était faite longtemps après une inhumation. Aussi ne manque-t-on pas aujourd'hui de prélever la terre qui avoisine le cercueil quand il aurait pu y avoir contamination. Les eaux d'infiltration ne sau- raient être incriminées, l'acide arsénieux n'étant pas soluble dans l'eau de pluie. Enfin il est de nombreux cas où le poison aurait pu s'introduire dans la nourriture, notamment par le vin quand les vignes ont été traitées tardivement à la bouillie arsenicale, mais aussi par la bière, par les papiers de tenture et les animaux empail- lés.

D'après ses propres expériences le professeur Olivier n'estime pas cependant que les règles d'expertise soient absolument sûres.

D'une part il prétend que l'arsenic ne reste pas indéfiniment dans le cadavre. D'autre part il ne croit pas qu'on puisse distinguer si aisément entre l'arsenic ingéré et celui qui peut venir de l'extérieur.

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Dans la terre l'arsenic peut passer en solution, tout comme le fer et le manganèse, sous l'influence des ferments microbiens ; les cheveux peuvent le fixer après le décès. Selon lui le jugement des experts devrait être plus réservé dans les cas délicats des exhuma- tions. Les chimistes devraient recevoir l'assistance d'un médecin.

Malgré des cas sensationnels le poison des Borgia et de la Brinvilliers a perdu beaucoup de sa vogue chez les empoison- neurs. L'empoisonnement criminel est d'ailleurs en déclin par la diminution salutaire du risque d'impunité. L'arsenic a été remplacé longtemps par le phosphore qu'on pouvait se procurer aisément gar les anciennes allumettes et qui tuait à la dose de 15 centigrammes.

Du jour où l'on a employé le sesquisulfure de phosphore, très peu toxique, et malgré l'existence de pâtes phosphorées pour la destruc- tion des rats, l'intoxication par cet élément passa dans la catégorie des maladies professionnelles. Le phosphore se décèle du reste moins facilement que l'arsenic car il s'acidifie et s'oxyde au contact des tissus. Seules son odeur d'ail et sa phosphorescence le trahissent quand les recherches n'ont pas lieu trop tard. La pharmacie emploie des huiles phosphorées qui restent dangereuses.

Après le phosphore c'est l'acide prussique ou cyanhydrique qui fut utilisé autant pour le crime que pour le suicide car son action est foudroyante à la dose mortelle. Les Anciens savaient empoi- sonner leurs ennemis avec les infusions de laurier-cerise et les amandes amères qui libèrent par la seule fermentation le redoutable gaz. On se rappelle qu'il en fut trouvé à une certaine époque dans les haricots de Java. Le cyanure de potassium ou le cyanure de mer- cure, les sels les plus communément employés, sont des poisons extrêmement agissants à la dose d'un décigramme. Ils se révèlent par leur odeur vive d'amandes amères et leur causticité. Mais oinq ou six de ces amandes peuvent tuer un enfant. Il faut donc éviter de manger toutes celles que renferme le noyau des fruits. Le mau- vais kirsch lui-même peut être dangereux, car il peut contenir plus d'un centigramme d'acide cyanhydrique, dose limite tolérée en médecine en une fois. Le poison est très difficile à déceler si l'analyse n'est pas immédiate, sa transformation étant très rapide.

Les sels de plomb, de cuivre et de certains autres métaux sont plus ou moins toxiques. Quant aux acides et aux alcalis forts et à l'acide oxalique, présent dans le sel d'oseille, leur causticité est trop grande pour pouvoir être dissimulée et elle empêche leur ingestion.

Les poisons organiques n'ont malheureusement pas cette pro-

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priété en général ; niais ils laissent aussi peu de chances que l'atten- tat ne soit découvert. On lit parfois dans les romans policiers qu'il a été fait usage d'un poison exotique ignoré ne laissant aucune trace.

Aujourd'hui il n'est plus de ces poisons mystérieux, la chimie ayant fait des progrès étourdissants et analysé les plantes des cinq parties du monde. On connaît les sucs dans lesquels les primitifs et les sauvages trempaient leurs flèches pour rendre leur blessure mortelle.

Les premiers empoisonnements ont été des procédés guerriers et le mot « toxique » vient du nom grec de l'arc (toxon et toxicon).

Dans l'Amérique du sud les Indiens employaient le curare, dont le principe très complexe, extrait de certaines plantes, s'apparente à la strychnine. Claude Bernard a montré que le curare introduit dans le sang paralyse les muscles, en premier lieu le muscle respira- toire, alors que la strychnine, extraite de la graine du vomiquier ou d'autres plantes asiatiques (noix vomique et fève de Saint Ignace) agit sur le système nerveux seul. La strychnine, et son congénère moins actif, la brucine, est un des alcaloïdes les plus meur- triers qu'on connaisse. 3 à 5 centigrammes entraînent la mort chez l'adulte sain. Elle est très facile à caractériser dans l'expertise bien qu'elle puisse disparaître sans laisser de traces. La première ques- tion que doit se poser l'expert est de savoir si elle n'a pas été admi- nistrée médicalement comme agent énergétique ou comme antidote des drogues barbituriques..

Ces dernières drogues, bien connues du grand public, sont des hypnotiques dont l'abus peut devenir un vice dégradant. Le véro- nal et le gardénal en sont les chefs de file. Quelques grammes peuvent faire entrer dans le coma. S'ils donnent lieu surtout à des suicides, ils peuvent aussi servir au crime. Les alcaloïdes tirés de l'opium, et dont la morphine est le plus important, sont des stupéfiants encore plus dangereux. La morphine, et son dérivé acétylé l'hé- roïne, ainsi que la codéine, agissent sur le système nerveux central de l'homme plus que sur celui des animaux. Elles sont toxiques à raison de 1 à 3 milligrammes par kilogramme de poids. Un à deux grammes d'opium font mourir. Une seule tête de pavot peut tuer un bébé au berceau. Quant à la cocaïne, autre stupéfiant de la galanterie, dont l'ivresse « réalise l'idéal nietzschéen », dit le profes- seur René Fabre en ses belles Leçons de toxicologie (1), c'est l'alca- loïde principal de la coca,' drogue tirée d'une plante de l'Amérique

(1) Hermann éditeur, Paris 1935.

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du sud. Un demi-gramme de son chlorhydrate, même beaucoup moins, peut donner la mort. Est-ce une surveillance accrue de la fabrication, mais « les stupéfiants font moins parler d'eux », dit M. Kohn-Abrest.

Parmi une trentaine d'alcaloïdes qui pardonnent encore moins à la dose de quelques milligrammes, il faut citer la digitaline, l'aco- nitine, la colchicine, l'atropine, la strophantine, l'ouabaïne, la cantharidine, etc.. Par bonheur ce sont des substances rares que seuls possèdent les pharmaciens dans leur armoire aux poisons et dont il serait facile de découvrir la provenance. Elles sont inscrites au tableau A des substances vénéneuses qui ont l'étiquette rouge et qu'on ne peut délivrer sans ordonnance médicale. Les doses qu'on peut administrer sont soigneusement établies par le Codex.

Ainsi que Claude Bernard l'a démontré il n'y a donc pas de frontière nette entre le poison mortel et le médicament guérisseur. Ce n'est qu'une question de quantité. La science des poisons, a dit M. Fabre, à l'origine science malfaisante, est devenue une science bienfaisante, tant par les antidotes qu'elle a découverts que par les remèdes qu'elle a tirés des produits les plus terriblement nocifs. C'est à elle qu'on doit l'institution de l'hygiène industrielle qui surveille l'effet des poisons absorbés à dose insensible mais d'une façon continue par l'air, par la bouche, par la peau. Par exemple le plomb amène à la longue les fameuses coliques saturnines suivies de troubles inguérissables. On sait que la peinture à la céruse a été interdite eh 1909 et remplacée par celle au blanc de zinc, bien que le zinc ne soit pas un métal inoffensif. Dans ces cas industriels l'étude scientifique des poisons perd le caractère dramatique qu'elle a dans les faits-divers des tribunaux pour répondre à des préoccupations sociales bien plus importantes. Elle s'applique à limiter et à guérir les maux causés par la marche même de la civilisation.

Pour revenir aux poisons-remèdes, la feuille de digitale et ses glucosides, en particulier la digitaline cristallisée, contractent énergiquement le cœur et finissent par ralentir ses mouvements qui deviennent irréguliers pour s'arrêter en laissant le muscle contracté.

A ce phénomène dû à un excès de dose, il n'est pas d'antidote. Mais on comprend qu'à dose prudente la médecine puisse utiliser l'effet tonique du poison. La cantharide, poudre d'un certain coléoptère méridional, est un vésicant énergique qui a toujours été fatal à ceux qui voulaient en tirer des effets aphrodisiaques. La ciguë qui empoisonna Socrate contient un principe actif, la cicutine, qui est

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un antispasmodique à faible dosé ; mais quelques grammes de feuilles fraîches endorment pour toujours. La ciguë vireuse donne des convulsions comme la strychnine et amène rapidement le coma.

Osera-t-on dire, devant un vice encouragé par le Trésor public, que la nicotine, absorbée avec tant d'intrépidité par des millions d'hommes et de femmes, et qui médicalement ne sert à rien, est extrêmement toxique, dix ou quinze fois plus que la cicutine! Son danger est masqué par l'accoutumance mais les effets du tabagisme s'accumulent et abrègent la vie.

• Le poison le plus violent parmi les alcaloïdes est l'aconitine qui vient de la belle renonculacée bien connue. S'il est utile en thé- rapeutique pour combattre les névralgies faciales, il est d'emploi très périlleux car il n'y a pas beaucoup d'écart entre la dose médici- nale et la dose toxique. Un milligramme d'aconitine peut tuer sans délai et ne pas être retrouvé à l'autopsie ou bien échapper aux réac- tifs. Enfin l'atropine, qui provient de la belladone, de la jusquiame ou du datura, offre plus d'occasions d'empoisonnements accidentels car la baie rouge de la plante est tentante pour les enfants aussi bien que pour les oiseaux dont ensuite on fait un gibier. Les oculistes se servent d'atropine pour élargir la pupille. Son isomère l'hyos- ciamine est encore plus efficace à cet égard sans être moins toxique.

Elle est un antidote de la morphine et des substances qui excitent le parasympathique.

Ce doit être un des étonnements du philosophe de voir avec quelle diversité la nature a répandu des principes de composition incroyablement complexes et capables, à des écarts presque inap- préciables, de tuer ou de guérir les êtres les plus achevés de son évolution. Sous ce rapport les poisons se comportent comme les produits catalytiques, les ferments, les vitamines qui agissent à dose infinitésimale. En se bornant à l'étude pharmacologique des plantes il n'y a pas d'uniformité dans les fabrications chimiques de la vie. Pour peu qu'on pousse l'analyse, écrivait le grand botaniste Henri Colin, on ne trouve pas deux espèces dont la composition soit identique. Et la différence chimique est parfois plus considé- rable qu'on ne s'y attendait entre des plantes voisines les unes des autres.

Tous ces caractères chimiques des plantes sont enseignés aux médecins, aux pharmaciens et1 aux herboristes sous le nom suranné de « matière médicale » qui remonte à Dioscoride. C'est que jadis on ne connaissait pas d'autres remèdes que ceux qui étaient tirés

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des plantes. Comme le déclare le professeur Golse dans son remar- quable Précis de matière médicale (1), il est temps de rapportera étude des drogues végétales (exceptionnellement celles qu'on tire des ani- maux ou des minéraux) à leurs propriétés médicinales, c'est-à-dire finalement à la nature chimique de leurs principes immédiats. C'est aller avec raison contre le préjugé ancien qui attachait une valeur magique ou mystique aux sucs des plantes. Pharmakon chez les Grecs était aussi bien le poison que le remède et le charme des sor- ciers. Depuis Berthelot tout l'effort de la chimie organique a été de fixer la structure des principes naturels et d'établir leur formule développée. Cela a permis non seulement de les reproduire au labo- ratoire, mais en compliquant ou en simplifiant cette structure, d'aug- menter leur efficacité médicamenteuse. Certes il est de nombreux cas où la technique artificielle échoue ou se révèle plus coûteuse que l'extraction naturelle. Lorsqu'on peut cultiver aisément de la bette- rave on ne songe pas à fabriquer du sucre à partir du carbone et de l'eau; on renonce à préparer la caféine par la longue méthode*de Fischer, on l'extrait à meilleur compte du café. La |utte entre le camphre naturel et le camphre synthétique il y a un demi-siècle est un exemple de cette rivalité que dénoue seule la considération du prix de revient.

Constatons que la grande majorité des drogues et des poisons est d'origine végétale, même si le laboratoire doit leur faire subir des transformations chimiques. A cet égard la lecture d'un traité de matière médicale est d'un grand intérêt, aussi pour les profanes, car il retrace l'histoire des superstitions souvent poétiques aux- quelles ont donné lieu les plantes et les fleurs au cours des âges ; il guérit de la croyance naïve aux vertus des « simples », et prête à ces magnifiques créations de \a. nature une figure scientifique que même la botanique ignore.

RENÉ SUDRE.

(1) Doin-Miteur, Paris 1955.

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