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Troubles de la personnalité. Personnalité normale et pathologique

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Chapitre S16-P01-C06 0060

Troubles de la personnalité.

Personnalité normale

et pathologique

C06P01-S16-

PATRICK HARDY ET JEAN-FRANÇOIS COSTEMALE-LACOSTE

La personnalité peut être définie comme l’organisation fonction- nelle qui intègre les composantes psychiques et somatiques d’un sujet en interaction avec son environnement, et qui lui confère son unicité, sa singularité et sa permanence. Elle est aujourd’hui considérée comme le fruit d’une interaction permanente entre deux composantes souvent difficiles à distinguer :

– une composante génétiquement et biologiquement déterminée : le « tempérament » ;

– une composante développementale, issue des interactions entre le tempérament et les expériences psycho-environnementale du sujet : le

« caractère ».

Les premières études de la personnalité s’inscrivent dans une double tradition : celle de la médecine hippocratique et de sa description des tempéraments, d’une part, et celle de la philosophie morale et de son analyse des caractères (Théophraste), d’autre part. Ce n’est qu’à partir du XIXe siècle que va se développer l’approche psychologique de la per- sonnalité. Dans la même période va émerger le concept de « folie morale » ou moral insanity (J.C. Prichard, 1837), qui fait entrer cer- tains types de personnalité dans le champ pathologique et médical.

Aujourd’hui, la notion de personnalité intéresse tout médecin dans son exercice clinique : la personnalité est l’un des facteurs déterminants de la relation médecin-malade et de l’alliance thérapeutique ; elle peut représenter un facteur de risque pour le développement de troubles mentaux, mais aussi de pathologies somatiques ; elle peut, enfin, s’exprimer sur un mode pathologique et nécessiter de ce fait des théra- peutiques adaptées.

Personnalité normale et pathologique : modèles descriptifs, développementaux et diagnostic

Modèles descriptifs de la personnalité normale et pathologique [4]

Historiquement, trois principaux modèles descriptifs de la person- nalité ont été utilisés : le modèle typologique, le modèle multidimen- sionnel et le modèle structural. Chacun d’entre eux est issu d’un domaine d’étude particulier et se distingue des autres, sur le plan théo- rique comme sur le plan descriptif. Ces modèles s’appuient en effet sur un panel d’éléments descriptifs (psychologiques et/ou comportemen- taux) et sur des modalités de recueil spécifiques.

Le modèle typologique est le plus ancien. Il a guidé les premières des- criptions de la personnalité, issues de la médecine hippocratique (doc- trine des tempéraments) et du théâtre antique, mais aussi de la littérature et de la philosophie morale (Théophraste et, plus tard, La Bruyère).

Selon ce modèle, l’ensemble des individus peuvent être décrits et classés selon leur degré de proximité avec un petit nombre de « types » idéaux (par exemple : le « sanguin », l’« avare »). Cette conception met l’accent sur le caractère intégratif de la personnalité, l’hétérogénéité liée aux différents aspects d’une personnalité apparaissant secondaire au regard de leur forte intégration autour du caractère central.

C’est à cette conception que se réfère l’école psychiatrique qui, dès 1837, fait émerger le concept de « folie morale » ou moral insanity (J.C.

Prichard) et introduit ainsi certains types de personnalité dans le champ pathologique et médical. Pour les classifications psychiatriques qui vont suivre à partir de 1888 (J.L.A. Koch), les types de personna- lité, décrits en termes de catégories diagnostiques, sont supposés cor- respondre à des classes naturelles. Dans ces classifications, le modèle typologique est associé à une approche catégorielle, binaire (on pré- sente ou on ne présente pas un trouble borderline, un trouble para- noïaque de la personnalité, etc.). Bien adaptée au modèle médical, cette approche ne rend pas compte du continuum existant entre les formes les plus atténuées et les formes les plus sévères de chaque type de personnalité.

Le modèle multidimensionnel est apparu dès la naissance du courant psychologique auquel il est associé (Guelfi in [4]). Issu de ce courant, T. Ribot (1885) est considéré comme l’un des fondateurs d’une nou- velle approche scientifique de la personnalité qui trouvera, grâce à la méthode statistique d’analyse factorielle mise au point par C. Spear- man (1904), un outil pour son développement. Fondée sur cet outil, l’approche dite « multidimensionnelle » postule que la personnalité ne peut être décrite qu’à partir d’une pluralité de traits, regroupés en fonc- tion de leur co-occurrence statistique, au sein de quelques dimensions fondamentales. Elle met l’accent sur la diversité des dimensions de la personnalité, considérées comme relativement indépendantes les unes des autres, et non plus sur une dimension intégrative unique. Chaque individu peut ainsi être décrit en fonction de sa position (par exemple : plus ou moins introverti ou extraverti) sur chacune des dimensions retenues. En psychologie, cette approche s’est développée à partir des travaux de R.B. Cattell (1946), qui a proposé seize facteurs descriptifs de la personnalité, pour aboutir au modèle actuellement dominant, celui des « cinq facteurs » ou big five (Rolland et De Fruyt in [4]). Les cinq principales dimensions (ou « domaines ») retenues par ce modèle sont l’« ouverture à l’expérience », le caractère « consciencieux », l’« extraversion », l’« agréabilité/coopération » et le « névrosisme », chacun de ces domaines étant constitué de six traits de personnalité ou

« facettes ». L’approche multidimensionnelle a également été utilisée dans une perspective plus psychobiologique, notamment par C.R. Cloninger, dont les premiers travaux publiés en 1986 [3] condui- ront à un modèle de personnalité organisé en sept dimensions.

Le modèle structural de la psychanalyse freudienne est intimement lié à ce courant et a sensiblement contribué à la constitution des catégories diagnostiques actuelles pour les troubles de la personnalité. Son influence se retrouve ainsi dans les concepts de personnalité dépendante, narcissique ou plus récemment, de personnalité borderline. Tenue d’intégrer dans son modèle descriptif la subjectivité de l’évaluateur et, par conséquence, les fortes variations qui en découlent, la psychanalyse n’a pas pu imposer ses orientations dans les classifications psychiatriques.

Pour elle, une personnalité se définit avant tout par un mode d’organi- sation dynamique, plus que par des comportements dont la signification peut selon elle renvoyer à des organisations très diverses.

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Le débat sur la pertinence et l’intérêt de chacune de ces approches est loin d’être clos. Il doit avant tout tenir compte de leurs champs d’application. De nombreux auteurs considèrent ainsi que le modèle typologique est le plus adapté à l’étude des pathologies de la personna- lité, tandis que le modèle multidimensionnel devrait être privilégié pour les études en population non clinique.

Développement de la personnalité normale et pathologique

La constitution de la personnalité résulte d’un processus interactif long et complexe impliquant de très nombreux facteurs : des facteurs génétiques et biologiques, qui sont acquis dès avant la naissance et qui déterminent le « tempérament » ; des facteurs environnementaux et socioculturels ; des facteurs psychologiques, enfin, qui déterminent les modalités d’adaptation du sujet à son environnement, mais aussi ses capacités de changement. Conditionnée par ces facteurs psycholo- giques et le tempérament, l’empreinte des facteurs socio-environne- mentaux sur le sujet constitue progressivement le « caractère », dans un jeu modelant d’interactions réciproques. La personnalité résulte de la fusion du tempérament et du caractère, entités par ailleurs difficiles à discriminer. On ne peut de ce fait parler de personnalité qu’à l’issue du processus développemental, c’est-à-dire à la fin de l’adolescence ou au début de l’âge adulte.

Du fait de la multiplicité des facteurs impliqués, les modèles déve- loppementaux de la personnalité s’appuient sur des disciplines et des courants de recherche très divers, qui vont de la génétique à la sociolo- gie, en passant par la psychologie. Faute de modèle intégratif suffisam- ment élaboré et reconnu, cette diversité se traduit par une grande hétérogénéité des théories, que l’on peut regrouper en deux grandes catégories : les théories psychologiques, cognitives et psychanalytiques, d’une part ; les théories biologiques et génétiques, d’autre part.

Théories psychologiques

Issue des travaux de S. Freud (1856-1939), l’approche psychanaly- tique propose une théorie fondée sur un modèle structural de la per- sonnalité, qui distingue trois niveaux d’activité mentale (l’inconscient, le préconscient et le conscient) et trois instances (le ça, le moi et le surmoi). Centrée sur l’étude du caractère plus que sur celle de la per- sonnalité, la psychanalyse freudienne fait jouer aux conflits intra- psychiques liés à l’émergence des pulsions, mais aussi aux mécanismes de défense mis en œuvre pour éviter l’angoisse issue de ces conflits, un rôle majeur dans la genèse de la personnalité et de ses troubles. Elle souligne également l’importance des composantes identificatoires et des fixations aux traumatismes dans la constitution du caractère [6].

À partir des années 1960 et des travaux d’A.T. Beck, s’est dévelop- pée une approche de la personnalité centrée sur l’étude des schémas cognitifs. Étroitement liées à ses applications thérapeutiques (psycho- thérapies cognitives), ces théories cognitives postulent que la person- nalité est constituée de l’ensemble des schémas cognitifs dont dispose le sujet pour interpréter le monde. Ces schémas sont des représenta- tions personnelles et automatiques de la réalité, qui permettent un trai- tement inconscient de l’information et influent sur les stratégies d’adaptation. Les troubles de la personnalité seraient issus de schémas lacunaires, inadaptés ou trop rigides. De ce fait, l’individu ne filtre de la réalité que ce qui correspond au schéma, ce qui conduit à des distor- sions cognitives. La principale distorsion est l’inférence arbitraire, qui consiste à tirer des conclusions sans preuves. En résultent des états émotionnels et des comportements néfastes (J. Cottraux in [4]).

Théories biologiques et génétiques [4]

Apparue dès l’Antiquité, la théorie des humeurs est venue témoigner de l’importance attribuée aux facteurs constitutionnels dans la forma- tion du tempérament. Longtemps tombée en désuétude, cette approche a été réactualisée à partir des années 1960, notamment par

les travaux de H.J. Eysenck et de J. Gray. En 1986, C.R. Cloninger propose un modèle psychobiologique de la personnalité [3]. Le modèle final comporte sept dimensions : quatre dimensions de tempérament (recherche de nouveauté, évitement du danger, dépendance à la récompense et persistance) et trois dimensions de caractère (autodéter- mination, coopération et transcendance). Bien que non totalement confirmé, ce modèle s’est révélé d’une grande valeur heuristique pour les études sur la personnalité.

Les travaux actuels s’orientent vers plusieurs directions :

– étude de l’héritabilité de certaines dimensions ou certains traits de personnalité : des études de jumeaux, d’adoption et familiales ont ainsi montré l’héritabilité des cinq domaines du modèle à cinq facteurs ;

– recherche de liens entre certains traits/dimensions de personnalité et certains marqueurs biologiques (imagerie cérébrale fonctionnelle, variables neuroendocriniennes, neurotransmetteurs, variables électro- physiologiques, etc.) ou génétiques. Les traits les plus étudiés ont été l’inhibition comportementale, la recherche de sensation, l’impulsivité, ou encore le névrosisme, et les résultats apparaissent prometteurs.

Diagnostic positif et différentiel des troubles de la personnalité

Diagnostic positif

Le normal et le pathologique [4]

Depuis G. Canguilhem (1966), il est habituel de distinguer trois types de critères susceptibles de fixer les limites entre le normal et le pathologique : la normalité statistique, la normalité idéale et la norma- lité fonctionnelle. La normalité statistique est celle qui assimile la norme à la fréquence. Dans cette optique, l’individu normal est l’indi- vidu « moyen », les individus susceptibles d’être pathologiques sont des individus déviants. La normalité idéale désigne une perfection à laquelle aspire la communauté. Dans cette conception dite « norma- tive », un comportement qui n’obéit pas aux règles ou aux institutions sociales est considéré comme pathologique. La normalité fonctionnelle correspond à l’état qui paraît le plus approprié à un individu selon ses potentialités et ses caractéristiques psychologiques propres.

Les deux premières approches sont peu adaptées à la personnalité.

Bien que bien accepté par le corps médical, qui s’appuie sur lui pour identifier certaines situations pathologiques (troubles tensionnels, de la glycémie, par exemple), le critère statistique ne peut être utilisé dans le domaine de la personnalité : le choix d’une limite pour les variables psychologiques serait arbitraire et l’application d’un tel critère condui- rait à considérer comme pathologiques tous les individus originaux. Le critère « normatif », qui assimile l’équilibre psychologique à la norme sociale, est tout aussi critiquable. L’inadaptation sociale n’est que rare- ment un marqueur de personnalité pathologique. Les règles et les aspi- rations sociales idéales étant très variables d’une société à l’autre, ce critère paraît en outre peu universalisable. Certains comportements

« hyperadaptés » peuvent témoigner, enfin, d’une souffrance psy- chique pathologique.

Le critère de normalité fonctionnelle paraît le plus approprié à l’étude de la personnalité, bien qu’il ne soit pas non plus sans défaut : il ne permet pas en effet d’identifier aisément les fonctionnements pathologiques de type pervers, sauf à étendre la notion de fonctionne- ment optimal de l’individu à ses interactions avec l’environnement.

C’est le choix qu’ont fait les classifications psychiatriques actuelles.

Aux trois critères précités, J.D. Guelfi [4] en ajoute un quatrième, qui est un facteur de confusion : celui de la normalité subjective de l’évalua- teur. Il souligne en effet l’influence majeure que peuvent avoir les repré- sentations personnelles de la normalité de l’évaluateur sur son appréciation des comportements, des attitudes et/ou des pensées d’autrui.

Critères des classifications psychiatriques

– Pour porter un diagnostic de trouble de la personnalité et avant même de spécifier le type de personnalité en cause, les classifications

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psychiatriques actuelles (CIM-11 [5] et DSM-5 [1]) exigent de valider un certain nombre de critères généraux.

Fidèle aux conceptions classiques, le DSM-5 estime que le trouble de la personnalité « est stable et prolongé » et que ses premières mani- festations « sont décolables au plus tard à l’adolescence ou au début de l’âge adulte » (critère D). Il indique toutefois qu’« on ne peut diag- nostiquer un trouble de la personnalité chez une personne de moins de 18 ans que si les caractéristiques ont été présentes depuis au moins un an » (le diagnostic de personnalité antisociale ne pouvant être établi avant l’âge de 18 ans). Il considère, enfin, que le trouble ne peut pas survenir au-delà d’un certain âge et que « son début doit être caracté- risé dès l’adolescence ou le début de l’âge adulte » (critère D).

Un deuxième ensemble de critères permet de définir le passage du normal au pathologique. Selon le critère A du DSM-5, les troubles de la personnalité se caractérisent comme « un ensemble persistant d’expériences subjectives et de comportements qui dévient notable- ment de ce qui est attendu dans la culture de l’individu ». Ces caracté- ristiques doivent en outre se manifester dans deux des quatre domaines suivants : celui des cognitions, celui de l’affectivité, celui du fonction- nement interpersonnel et celui du contrôle des impulsions. Cet ensemble persistant est « inflexible et persistant dans un large éventail de situations personnelles et sociales » (critère B). Il doit, enfin, entraî- ner « une souffrance cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants » (critère C).

Un dernier type de critère du DSM-5 (critère F) permet d’établir le diagnostic différentiel avec un autre trouble mental (critère E), les effets de certaines substances ou une affection médicale générale.

Le diagnostic de trouble de la personnalité nécessite une enquête rétrospective couvrant la totalité de la vie du sujet. Les éléments d’information pertinents étant parfois très anciens et souvent difficiles à rapporter par le sujet lui-même, il importe de se référer chaque fois que cela est possible aux informations extérieures et notamment à celles fournies par les proches.

La dernière version de la CIM-11, qui doit être adoptée en mai 2019 par l’Assemblée mondiale de la Santé, est résolument novatrice. Au vu des études témoignant de la faible stabilité temporelle des troubles de la personnalité, elle admet la possibilité de variations au fil du temps et considère qu’un diagnostic peut être porté dès lors que les manifesta- tions « ont persisté sur une longue période de temps (e.g., 2 ans ou plus) ».

Diagnostic différentiel

Si les troubles de la personnalité doivent en premier lieu être distin- gués des autres pathologies psychiatriques, ce diagnostic différentiel se heurte à trois types de difficultés :

– les manifestations cliniques d’un trouble psychiatrique peuvent être proches de celles d’un trouble de la personnalité. Il importe ainsi de savoir différencier les variations émotionnelles d’une personnalité borderline des fluctuations thymiques d’un trouble bipolaire, l’isole- ment social d’une personnalité schizoïde du retrait autistique schizo- phrénique, ou encore l’anxiété d’une personnalité évitante de celle d’une phobie sociale ;

– certains troubles cliniques peuvent modifier, parfois durablement, certains traits de personnalité. C’est notamment le cas pour les troubles dépressifs, les troubles anxieux, les états de stress post-traumatique et il convient de ce fait de réévaluer périodiquement, au fil de l’évolution, les hypothèses diagnostiques initiales ;

– la distinction entre trouble de la personnalité et autre trouble psy- chiatrique peut, enfin, donner lieu à controverse. Fortement apparen- tée aux troubles schizophréniques, la schizotypie est ainsi classée par la CIM-11 dans la même catégorie diagnostique que ces derniers, tandis que le DSM-5 la range parmi les troubles de la personnalité. Suivant la même logique, la CIM-11 inscrit la personnalité cyclothymique parmi

les troubles bipolaires ou associés et non pas dans le chapitre des troubles de la personnalité. Plus généralement, la difficulté à séparer clairement les troubles de la personnalité des autres troubles mentaux ont conduit les auteurs du DSM-5 à renoncer à classer les troubles de la personnalité sur un axe diagnostique (axe II) différent de celui réservé aux autres troubles mentaux (axe I).

Les troubles de la personnalité doivent par ailleurs être distingués des troubles induits par la prise de substances, par certaines pathologies organiques ou par certains contextes environnementaux. À titre d’exemple, les troubles du comportement associés à la prise de produits illicites et, le syndrome amotivationnel induit par la prise de cannabis, ne doivent pas être considérés comme des traits de personnalité. La possibilité de modifications durables de la personnalité directement liées aux effets physiopathologiques d’une maladie organique associée est par ailleurs reconnue par la CIM-11 comme par le DSM-5. Ces troubles font l’objet d’un diagnostic spécifique.

Clinique des troubles de la personnalité

Classifications et description des personnalités pathologiques

Après d’intenses débats, les auteurs du DSM-5 ont décidé, en 2013, de maintenir le système classificatoire des troubles de la personnalité en vigueur dans la précédente édition (DSM-IV-TR, 2000) et qui identifie dix principaux troubles spécifiques de la personnalité : les personnalités paranoïaque, schizoïde, schizotypique, antisociale, borderline, histrio- nique, narcissique, évitante, dépendante et obsessionnelle-compulsive.

La CIM-10 (1992) retient huit de ces dix catégories (les personnalités antisociale et obsessionnelle-compulsive étant respectivement dénom- mées « dyssociale » et « anakastique ») et exclut deux d’entre elles : la per- sonnalité narcissique et la personnalité schizotypique (la schizotypie étant classée avec les troubles schizophréniques).

Le maintien de ce système classificatoire s’est fait au détriment du système « hybride » (à la fois catégoriel et dimensionnel) proposé par la « task-force » (voir section III du DSM-5) en réponse aux nom- breuses critiques dont il a fait l’objet. Cinq d’entre elles méritent d’être soulignées [7] :

– les co-occurrences entre différents troubles de la personnalité sont excessivement fréquentes (en clinique, plus de 60 % des patients pré- sentant un trouble spécifique de la personnalité ont au moins un autre trouble de la personnalité) ;

– il existe une très grande hétérogénéité entre patients recevant le même diagnostic ;

– le seuil délimitant le passage de la personnalité normale à la per- sonnalité pathologique apparaît arbitraire ;

– les catégories diagnostiques ont un faible pouvoir descriptif, sachant que le diagnostic de « trouble de la personnalité non spécifié » est le plus fréquemment porté ;

– elles ont, enfin, une faible utilité clinique, sachant qu’il n’existe pas ou peu de correspondance entre un diagnostic de trouble de la per- sonnalité et un traitement spécifique.

Résolument novatrice, la dernière version de la CIM-11 a tenu compte de ces critiques [8] et propose une démarche diagnostique en trois étapes :

– la première consiste à porter le diagnostic de trouble de la person- nalité, sur la base de critères généraux,

– la deuxième permet de caractériser la sévérité du trouble selon trois niveaux : léger, modéré ou sévère,

– la troisième permet de spécifier la nature du trouble à l’aide d’un système dimensionnel comportant cinq domaines : affectivité néga- tive, détachement, antagonisme, désinhibition et anakastie. Ces domaines correspondent aux dimensions figurant dans le système hybride du DSM-5, à l’exception du domaine « annakastie » qui se

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substitue à la dimension « psychoticisme ». A ces cinq domaines, la CIM-11 associe le pattern « borderline », domaines et pattern pouvant éventuellement être associés chez un même sujet.

Notre présentation des troubles de la personnalité se réfère au DSM-5 et divise les dix catégories diagnostiques en trois groupes : le groupe A (individus souvent « bizarres et excentriques », le groupe B (sujets appa- raissent souvent « sous un jour théâtral, émotifs et capricieux ») et le groupe C (sujets fréquemment « anxieux et craintifs »). S’y associent trois autres catégories réservées aux troubles de la personnalité liés à une affec- tion médicale générale, aux troubles de la personnalité spécifiés autres et aux troubles de la personnalité non spécifiés.

Le diagnostic de trouble de la personnalité est souvent difficile d’autant plus que le sujet considère habituellement comme égosynto- niques ses traits de personnalité (y compris les traits pathologiques) et perçoit souvent comme une menace pour son intégrité toute perspec- tive de changement. D’après les études épidémiologiques, la préva- lence des troubles de la personnalité en population générale est d’environ 6 % (4 à 15 %) [8].

Personnalités du groupe A Personnalité paranoïaque

La caractéristique essentielle du trouble est un mode général de méfiance soupçonneuse à l’égard des autres, dont les intentions sont interprétées comme malveillantes (hypersensitivité). Ce trait principal s’associe à une hypervigilance qui alimente les perceptions menaçantes, à une fausseté du jugement source de raisonnements pseudo-logiques et à une rigidité psychique qui rend les croyances du sujet particulière- ment inamovibles. Il s’accompagne également d’une propension à l’antagonisme et d’une tendance marquée à l’introversion/autonomie.

L’hypertrophie du moi et le manque d’empathie des sujets para- noïaques sont également soulignés.

Il existe de nombreuses variétés de personnalités paranoïaques.

E. Kretschmer distinguait trois types de personnalité paranoïaque : de combat (ou quérulent), de souhait et sensitive. Plus récemment T. Million et R.R. Davis (cités par P. Le Bihan et M. Bénézech in [4]) ont proposé cinq catégories de paranoïaques : fanatiques, malins, inflexibles, quérulents et insulaires.

Le trouble de personnalité doit être distingué du délire paranoïaque, qui représente une évolution possible mais très inconstante. On consi- dère que l’entourage souffre davantage du trouble que le sujet lui- même, les risques médico-légaux (procédures, voire passages à l’acte) ne sont pas rares. La prévalence du trouble est de 2 à 4 % en popula- tion générale, ce qui en fait un trouble de la personnalité fréquent.

Personnalité schizoïde

Ce trouble de la personnalité est caractérisé par le fait que le sujet ne recherche, ni n’apprécie, les relations proches, y compris les relations intrafamiliales. Il choisit presque toujours des activités et une vie soli- taires et n’éprouve que peu ou pas de plaisir dans ses activités. Il fait preuve d’une froideur et d’un détachement affectifs marqués, mais la vie imaginaire n’est pas appauvrie.

Relativement rare, la personnalité schizoïde doit être distinguée de la schizophrénie. Elle en paraît relativement indépendante, même si des traits schizoïdes sont souvent observés dans la phase prémorbide de la psychose. Le trouble est fréquent en population générale (environ 3 %), mais rare en clinique.

Personnalité schizotypique

Sa caractéristique principale est un trouble de l’adaptation dans le domaine social et interpersonnel lié à des modalités de pensée et d’expression inhabituels : le sujet paraît bizarre et excentrique. S’y associent des troubles cognitifs à type de croyances bizarres et d’idées de référence et persécutives (non délirantes, toutefois), des perceptions inhabituelles (illusions corporelles, par exemple), des affects pauvres et/ou inappropriés et un isolement social.

Relativement fréquent (2-3 % en population générale), ce trouble de la personnalité est considéré comme appartenant au spectre de la schizo- phrénie : en témoignent les études d’agrégation familiale et de nombreux travaux fondés sur des marqueurs biologiques de la maladie. Les sujets ayant reçu à l’adolescence ou au début de l’âge adulte un diagnostic de schizotypie ont un taux de transition vers la schizophrénie de 40 % après quinze ans d’évolution. Ces sujets présentent en outre de fréquentes comorbidités psychiatriques, notamment avec les troubles de l’humeur (dépression), les troubles anxieux (phobie sociale, trouble panique, état de stress post-traumatique) et l’abus de substances. Le trouble est fré- quent en population générale (2 à 3 %), mais rare en clinique.

Personnalités du groupe B Personnalité antisociale

La personnalité antisociale était qualifiée de dyssociale par la CIM- 10. Les termes de personnalité psychopathique ou sociopathique ont également été utilisés. Elle a inspiré les travaux de J.C. Pritchard sur la

« folie morale », qui sont à l’origine du concept de personnalité patho- logique. Elle se caractérise par une propension générale au mépris des droits d’autrui et des règles sociales. En résultent des comportements transgressifs et des conflits interpersonnels répétés, souvent en infrac- tion avec la loi, habituellement impulsifs et fréquemment agressifs. La personnalité antisociale est égocentrique et, au-delà d’un premier contact souvent charmeur, abuse d’autrui pour son propre intérêt, sans remords ni empathie, parfois avec un plaisir qui peut être pervers. Elle ne supporte pas la frustration, et son impulsivité est source d’une irres- ponsabilité persistante vis-à-vis des obligations ordinaires. Ces caracté- ristiques construisent dès l’adolescence une biographie chaotique caractéristique, marquée par l’instabilité, l’impulsivité et l’inadapta- tion sociale.

L’évolution est marquée par la fréquence des conduites suicidaires et des troubles addictifs (alcool, toxiques), voire dépressifs. Les prises de risque et les comportements illégaux exposent le sujet à des accidents, à une surmortalité prématurée et à des incidences médicolégales. En dépit de certaines caractéristiques communes, la personnalité psycho- pathique doit être distinguée de la personnalité borderline. L’existence de trouble des conduites et/ou d’un trouble déficit de l’attention/

hyperactivité avant l’âge de dix ans, est un facteur de risque important pour son développement. Le trouble est fréquent (2 à 3 % en popula- tion générale) et prédomine nettement chez l’homme.

Personnalité borderline

Identifiée au cours des années 1960, la personnalité borderline se caractérise par une instabilité marquée dans le domaine des relations interpersonnelles, de l’image de soi et des affects, associée à une forte impulsivité. Le sentiment d’identité est imprécis, diffus, variable et des épisodes de dissociation, voire des épisodes psychotiques transi- toires peuvent se manifester. L’instabilité affective s’accompagne d’une hyperréactivité de l’humeur : le moindre événement vécu comme une perte ou un abandon peut provoquer de violentes réac- tions dysphoriques ou dépressives et acutiser l’anxiété diffuse qui, chez ces sujets, est souvent associée à un sentiment de vide ou de manque. Les accès de colère et d’agressivité sont fréquents. Les rela- tions interpersonnelles sont intenses et souvent fusionnelles, mais aussi instables, caractérisées par des alternances soudaines entre idéa- lisation et dévalorisation. L’impulsivité se manifeste dans de nom- breux domaines : épisodes boulimiques, consommation d’alcool ou de toxiques, conduites à risque, hétéro- ou auto-agressivité (tentatives de suicide, automutilations).

Des antécédents de traumatismes infantiles (abus sexuels) sont fré- quemment retrouvés et doivent être recherchés. L’évolution est carac- térisée par un risque suicidaire majeur (plus de 10 % de décès par suicide), mais aussi par la fréquence des comorbidités psychiatriques : troubles dépressifs et bipolaires, état de stress post-traumatique et

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autres troubles anxieux, troubles des conduites alimentaires et troubles addictifs. Le diagnostic différentiel avec un trouble bipolaire atténué peut être difficile à établir. Si la prévalence en population générale est dans la moyenne (1 à 2 %), le trouble s’observe très fréquemment en population clinique.

Personnalité histrionique

La personnalité histrionique dérive de la personnalité hystérique qui est l’une des plus anciennement décrite. Elle est caractérisée par un besoin inextinguible d’être au centre de l’attention d’autrui. De cette dépendance résulte un mode comportemental destiné à attirer l’atten- tion (hyperexpressivité « théâtrale », tentatives de séduction) ou à la maintenir (suggestibilité) et des réactions affectives démesurées, que ce soit dans les débuts d’une relation (excès d’enthousiasme) ou au décours d’une frustration (irritation, colère, voire « crise de nerfs »).

À la labilité émotionnelle et aux excès comportementaux, s’associent un besoin constant de nouveauté et une forte prégnance de la subjec- tivité dans la vie psychique. L’ensemble confère à la personnalité son aspect factice.

L’évolution est marquée par le risque dépressif et la fréquence des troubles somatoformes. Le trouble prédomine chez la femme. Chez l’homme, il s’exprime par une forte capacité à se faire valoir par le dis- cours, selon le modèle du « fanfaron ». Sa prévalence en population générale est de 1 à 2 %.

Personnalité narcissique

Elle est l’une des catégories diagnostiques les plus contestées et n’a été maintenue qu’avec difficultés dans le DSM-5. Sa caractéristique est une surestimation par le sujet de sa propre importance et un besoin de voir celle-ci reconnue. En résultent le sentiment d’être au-dessus des autres et que tout lui est dû. Le sujet n’éprouve aucune empathie pour autrui, celui-ci n’étant considéré que comme un moyen de parvenir à ses fins. Mû par l’envie, il se présente comme hautain et arrogant.

L’évolution est marquée par le risque de rejet social, mais aussi par le risque dépressif et suicidaire, notamment lors des pertes liées au vieil- lissement. Le trouble est rare en population générale.

Personnalités du groupe C Personnalité évitante

La personnalité évitante n’apparaît dans les classifications qu’à partir du DSM-III (1980). Elle est caractérisée par un sentiment d’infériorité et d’incompétence sociale, associé à une peur envahissante d’être criti- qué ou rejeté par autrui. Elle se manifeste par l’évitement des activités et des situations susceptibles d’accentuer cette inquiétude, que ce soit dans le domaine professionnel ou dans celui des relations interperson- nelles. L’autonomisation de ce trouble a été critiquée du fait de sa grande proximité avec la phobie sociale généralisée. Elle doit être dis- tinguée de la timidité qui est un trait non pathologique.

Personnalité dépendante

D’individualisation récente, cette personnalité dérive des concepts plus anciens de personnalité hystérique, psychopathique, asthénique,

« immature », « passive-agressive » ou « à conduite d’échec ». Elle est caractérisée par un besoin excessif d’être pris en charge. Le sujet fait en sorte de laisser à autrui la responsabilité de secteurs importants de sa vie. Il a du mal à exprimer un désaccord, à prendre des décisions, ou à initier un projet. Particulièrement anxieux, mal à l’aise et inhibé quand il est seul, il recherche systématiquement chez un tiers l’appui dont il estime avoir besoin, quitte à se soumettre à des désagréments. Les troubles anxieux et dépressifs représentent le principal risque évolutif.

Personnalité obsessionnelle-compulsive

Identifiée à la fin du XIXe siècle comme personnalité « anakastique », ce trouble a depuis lors conservé une grande stabilité descriptive. Il est caractérisé par un excès de préoccupations concernant l’ordre, la per- fection, le contrôle de soi et de l’environnement proche, ainsi que par

la mise au premier plan du devoir et du travail aux dépens du plaisir et de l’affectivité. Cette personnalité rigide et scrupuleuse est préoccupée par les détails et rechigne à déléguer des tâches, au point d’entraver l’achèvement de certaines activités. Réticente à jeter des objets obso- lètes, elle se montre fréquemment avare. L’avarice, associée au souci excessif de l’ordre et à l’entêtement constitue le caractère anal. Le sen- timent d’incomplétude, associé au doute, à l’aboulie, à l’indécision, caractérisent la psychasthénie décrite par P. Janet : ils s’observent fré- quemment dans la personnalité obsessionnelle-compulsive.

Cette personnalité s’associe fréquemment à un trouble de l’humeur (dépression, trouble bipolaire) et à un trouble des conduites alimen- taires. Elle est fréquente en population générale (prévalence de 2 à 8 %).

Risques liés aux troubles de la personnalité et aux traits de personnalité pathologiques

Du fait de leur rigidité, les traits pathologiques de la personnalité induisent de multiples difficultés d’adaptation psychosociales, source d’événements de vie stressants qui accroissent en retour ces difficultés.

Les troubles de la personnalité s’accompagnent d’un risque accru de comorbidités psychiatriques (mais aussi somatiques) et d’une réduc- tion de l’espérance de vie estimée : celle-ci serait inférieure de 18- 19 ans à celle de la population générale [8].

Conduites suicidaires

L’existence d’un trouble de la personnalité peut considérablement majorer le risque suicidaire, que ce soit de manière directe ou en tant que cofacteur d’un trouble psychiatrique associé (dépression, par exemple). Les personnalités borderline et antisociale (groupe B du DSM-5) sont les plus à risque et ont été, de ce point de vue, les plus étudiées.

D’après le critère 5 du DSM-5, la personnalité borderline est carac- térisée par la « répétition de comportements, de gestes ou de menaces suicidaires, ou d’automutilations ». Ce critère invite à différencier les automutilations, qui sont ici fréquentes, des tentatives de suicide. Il souligne l’importance du risque suicidaire, que confirme l’épidémiolo- gie : chez les sujets borderline, le risque de suicide est 400 fois supérieur à celui de la population générale, tandis que 3 à 10 % des personnalités borderline cliniquement identifiées décèdent par suicide. Les conduites suicidaires représentent de ce fait une des principales cibles thérapeu- tiques pour ce trouble de la personnalité.

Les personnalités antisociales présentent également un risque suici- daire élevé. On estime que 5 % des sujets antisociaux décèdent par sui- cide, sachant que cette population est également caractérisée par une surmortalité liée aux accidents et aux homicides.

Les traits de personnalité les plus fréquemment associés au risque suicidaire sont le névrosisme, l’introversion/extraversion, l’impulsivité, l’agressivité (colère/hostilité/irritabilité) et le sentiment de désespoir.

Conduites addictives et troubles des conduites alimentaires La prévalence des conduites addictives est particulièrement élevée dans certains troubles de la personnalité. C’est le cas pour les person- nalités paranoïaques et narcissiques, et plus encore pour les personna- lités antisociales et borderline. Les consommations font alors souvent appel à de nombreux produits (substances licites et illicites).

Les études épidémiologiques montrent que près de la moitié (22 à 78 %) des patients ayant un trouble lié à la consommation d’alcool présentent également un trouble de la personnalité. Concernant les patients toxicomanes, 38 % des abuseurs présentent un trouble de la personnalité, la prévalence étant de 69,5 % chez les sujets dépendants.

L’association d’un trouble de la personnalité à un trouble addictif com- plique beaucoup la prise en charge de ce trouble et réduit l’efficacité des thérapeutiques.

Un trouble des conduites alimentaire est fréquemment retrouvé chez les patients ayant une personnalité borderline ou obsessionnelle-

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compulsive. Il s’agit souvent d’un trouble boulimique chez les sujets borderline, tandis que la personnalité obsessionnelle-compulsive favo- rise une alimentation restrictive.

Troubles de l’humeur

Les troubles dépressifs sont fréquemment associés aux troubles de la personnalité. Cela est particulièrement vrai pour les personnalités para- noïaque, schizotypique, antisociale, borderline, narcissique, évitante, dépendante et obsessionnelle compulsive.

La dépression accentuant les traits de dépendance, il faudra se garder de porter trop hâtivement un diagnostic de personnalité dépendante chez un sujet déprimé. Chez les sujets narcissiques, la dépression prend volontiers la forme chronique et atténuée de la dysthymie.

La personnalité borderline connaît de fréquents épisodes dépressifs et s’associe fréquemment à un trouble bipolaire. La question du diag- nostic différentiel entre ces deux troubles peut néanmoins se poser lorsque les variations thymiques demeurent à un niveau sub-syndro- mique. Une comorbidité bipolaire est également fréquente chez les personnalités obsessionnelles compulsives.

Troubles anxieux

Il existe une association comorbide entre les troubles anxieux et plu- sieurs troubles de la personnalité : troubles de la personnalité du groupe B (personnalités borderline et antisociale) et, surtout, du groupe C (personnalités évitante, dépendante et obsessionnelle-com- pulsive). La personnalité évitante et la phobie sociale peuvent être asso- ciées, mais peuvent également poser un problème de diagnostic différentiel. La personnalité borderline est également associée de façon fréquente à un état de stress post-traumatique.

Certaines dimensions de personnalité sont particulièrement liées à la survenue d’un trouble anxieux. C’est notamment le cas chez les sujets ayant un niveau de névrosisme élevé et chez ceux qui ont un faible niveau d’extraversion.

Pathologies somatiques

Les relations entre personnalité et maladies somatiques ont davan- tage été étudiées à partir des traits qu’à partir des troubles de person- nalité (S.M. Consoli in [4].). Certaines études ont utilisé des profils de personnalité construits en vue de cette approche : profil comporte- mental de type A (Friedman et Rosenman), personnalité de type C (Temoshok), personnalité de type D (Denollet). Des liens entre type A ou B et maladie coronarienne ont ainsi été retrouvés, sans être toujours confirmés, toutefois. D’autres études ont porté sur les liens entre le névrosisme et la survenue de problème de santé, avec de nom- breuses confirmations. D’autres études, enfin, se sont intéressées au rôle protecteur de certains traits de personnalité.

Si les troubles de la personnalité ne semblent pas constituer des élé- ments prédictifs majeurs pour la survenue d’une pathologie soma- tique, ils n’en déterminent pas moins la qualité et la durée de l’alliance thérapeutique. Le médecin aura tout intérêt à identifier les traits de personnalité les plus saillants de ses patients, de manière à renforcer cette alliance ou, à défaut, éviter les préjudiciables ruptures de soins.

Traitements et aspects médicolégaux des troubles de la personnalité

La stabilité et le caractère « profondément enraciné et durable » des troubles de la personnalité (CIM-10) ont longtemps donné à penser que ces troubles étaient au-delà de toute ressource théra- peutique. D’autre part, les traits de personnalité sont spontané- ment perçus comme égosyntoniques par le sujet, qui ne les considère pas comme pathologiques. Le statut de « maladie » des

troubles de la personnalité a pu, de ce fait, être contesté. Si l’on excepte certaines formes particulières de troubles de la personna- lité non forcement répertoriées par les classifications, notamment les personnalités perverses [9], beaucoup de troubles de la person- nalité peuvent bénéficier de thérapeutiques [2]. Les thérapies psy- chosociales permettent (dans certaines limites) d’atténuer les impacts sociorelationnels de ces troubles, de réduire certains traits particulièrement délétères et de développer des stratégies adapta- tives favorables au sujet. Les traitements pharmacologiques per- mettent de leur côté de traiter les comorbidités psychiatriques et de réduire certains traits tempéramentaux ou symptômes associés pharmaco-sensibles.

Thérapies psychosociales

Elles s’appuient sur des techniques psychothérapiques extrêmement variées : thérapies psychanalytiques, thérapies cognitivo-comporte- mentales (TCC), thérapies systémiques ou autres psychothérapies, uti- lisées isolement ou de façon combinée, voire intégrée. Ces thérapeutiques s’appuient en parallèle sur des prises en charge visant au renforcement du support social, relationnel et professionnel. L’indica- tion de tel ou tel type de psychothérapie est peu codifiée. Elle dépend de la nature du trouble, mais aussi beaucoup de l’offre de soins (et de leur coût) et de la formation des praticiens.

Groupe A

Ces troubles de la personnalité sont peu sensibles aux psychothéra- pies, même si un travail sur les schémas cognitifs et les habiletés sociales (TCC) semble possible avec certaines personnalités paranoïaques ou schizotypiques.

Groupe B

Les personnalités borderline ont fait l’objet d’un grand nombre d’études. Premières à avoir été utilisées dans cette indication, les thérapies psychanalytiques ont dû s’adapter à l’instabilité comporte- mentale des patients borderline en aménageant le cadre thérapeu- tique (face à face, focalisation sur les événements de vie actuels, aide à la mentalisation et à la verbalisation des affects, attitude soute- nante et disponibilité suffisante). Depuis lors, de nombreuses théra- pies ont été développées, d’orientation cognitivo-comportementale, psycho-éducative, ou intégratives. D’inspiration comportementale et bouddhiste, la thérapie comportementale dialectique proposée par M. Linehan a démontré une bonne efficacité, au prix d’un inves- tissement particulièrement lourd en termes de temps et sur le plan institutionnel.

Chez les personnalités antisociales, les thérapies sont difficiles à mettre en œuvre du fait de l’instabilité des patients et beaucoup d’études ont été effectuées en milieu carcéral. Les thérapies cognitives basées sur l'entrainement aux compétences sociales et à la résolution de problèmes pourraient ainsi réduire le risque de récidive chez les person- nalités antisociales délinquantes.

Groupe C

De nombreuses études contrôlées ont confirmé l’efficacité des psychothérapies dans ce groupe de personnalité. Cette efficacité a été démontrée pour les psychothérapies psychodynamiques et les thérapies cognitivo-comportementales. Elle se manifeste en termes d'améliora- tion du fonctionnement social et de réduction du sentiment de détresse. La taille de l’effet est considérée comme relativement impor- tante (effet moyen à large selon une méta-analyse).

Traitement pharmacologique

Le traitement médicamenteux des troubles de la personnalité vise à réduire certains traits tempéramentaux pharmaco-sensibles et/ou à

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traiter les troubles et les symptômes comorbides. Ce dernier aspect ne sera pas abordé ici.

Groupe A

Les personnalités schizotypiques peuvent bénéficier d’un traitement antipsychotique, qui permet de réduire l’intensité des manifestations symptomatiques. L’indication doit toutefois être évaluée au cas par cas.

Groupe B

Les troubles caractérisant la personnalité borderline offrent de nom- breuses cibles pharmaco-sensibles. Les thymorégulateurs peuvent ainsi être utilisés pour réduire l’impulsivité, notamment dans ses expressions agressives et suicidaires, et la labilité de l’humeur. Les antipsychotiques peuvent être utilisés dans les mêmes indications ou, à faibles doses, pour réduire les dysfonctions perceptuelles-cognitives. L’intérêt des antidépresseurs reste peu documenté en dehors des épisodes dépressifs comorbides. Les benzodiazépines doivent être utilisées de façon restric- tive compte tenu de leur potentiel addictif.

Ces traitements médicamenteux ne doivent être utilisés en première intention, mais en support du traitement psychosocial et de façon limi- tée dans le temps.

Groupe C

L’intérêt des traitements pharmacologiques est ici limité, en dehors des personnalités évitantes qui, à l’instar de la phobie sociale, pour- raient dans certains cas, bénéficier d'un traitement antidépresseur.

Aspects médicolégaux

L’approche médicolégale des troubles de la personnalité comporte de multiples facettes (JL Senon et al. in [4]). Il faut en premier lieu souligner la forte concentration de troubles de la personnalité chez les sujets en relation avec la justice et le fait que les deux tiers des per- sonnes incarcérées ont un trouble de la personnalité [8]. Les troubles de la personnalité ne sont pas considérés comme un motif d’applica- tion de l’article L. 122-1 du Code pénal, qui permet de considérer comme pénalement irresponsable la personne « atteinte au moment des faits d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ». L’existence d’un trouble de la personnalité permet toutefois de conclure dans certains cas à une res- ponsabilité atténuée.

En matière civile, une mesure de protection selon la loi du 5 mars 2007 (sauvegarde de justice, curatelle, tutelle) peut être envisagée en cas de trouble de la personnalité sévère se manifestant par une instabi- lité/impulsivité ou par une inhibition compromettant son adaptation sociale.

Conclusion

Le praticien est quotidiennement confronté à la question de la per- sonnalité de ses patients. Celle-ci détermine le type de relation qu’il établit avec ceux-ci et les stratégies adaptatives qu’il devra parfois adop- ter pour préserver ou renforcer l’alliance thérapeutique. Lorsqu’elle se manifeste sur un mode pathologique, le praticien doit être en capacité de le reconnaître et d’orienter son patient vers une prise en charge adaptée.

Les troubles de la personnalité demeurent un des sujets les plus com- plexes de la psychiatrie et continuent à susciter de nombreux débats conceptuels, étiopathogéniques, classificatoires et thérapeutiques. Les années futures devraient voir l’ouverture des classifications à une approche plus dimensionnelle de ces troubles. Elles devraient égale- ment connaître un approfondissement des connaissances sur le déve- loppement de la personnalité, notamment dans le domaine des interactions gène-environnement. Elles devraient, enfin, permettre le développement de stratégies thérapeutiques adaptées à chaque type de trouble et éclectiques, centrées sur les thérapies psychosociales mais ouvertes à des traitements médicamenteux focalisés sur certains traits de personnalité pharmaco-sensibles.

Bibliographie

1. AMERICAN PSYCHIATRIC ASSOCIATION. Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, 5e éd. (DSM-5). Paris, Elsevier-Masson, 2015, 1176 pages.

2. BATEMAN AW, GUNDERSON J, MULDER R. Treatment of personality disorder.

Lancet, 2015, 385 : 735-743.

3. CLONINGER CR. A unified biosocial theory of personality and its role in the development of anxiety states. Psychiatr Dev, 1986, 4 : 167-226.

4. GUELFI JD, HARDY P. Les personnalités pathologiques. Paris, Lavoisier/Méde- cine Sciences, 2013, 331 pages.

5. ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTÉ. International Classification of Diseases 11th Revision (ICD-11), 2018 version, https://icd.who.int/browse11/l-m/en.

6. RODIÈRE-REIN C. Approches psychanalytiques. In : A Féline, JD Guelfi, P Hardy. Les troubles de la personnalité. Paris, Flammarion Médecine- Sciences., 2002 : 35-45.

7. SKODOL AE, BENDER DS. The future of personality disorders in DSM-5 ? Am J Psychiatry, 2009, 166 : 388-391.

8. TYRER P, REED GM, CRAWFORD MJ. Classification, assessment, prevalence, and effect of personality disorder. Lancet, 2015, 385 : 717–726.

9. ZAGURY D. Perversion-perversité : une recomposition à partir de la clinique médico-légale. In : R Coutanceau, J Smith. Troubles de la personnalité. Paris, Dunod, 2013 : 50-61.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Hardy P, Costemale-Lacoste JF. Troubles de la personnalité. Personnalité normale et pathologique. In : L Guille- vin, L Mouthon, H Lévesque. Traité de médecine, 5e éd. Paris, TdM Éditions, 2019-S16-P01-C06 : 1-7.

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