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Nouveautés en oncologie : beaucoup de bruit pour rien ?

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Academic year: 2022

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S. Zimmermann

D. Betticher

introduction

Le diagnostic et le traitement du cancer ont connu des chan- gements colossaux au cours des dernières décennies. Le dé- pistage organisé du cancer du sein et celui opportuniste du cancer colorectal et de la prostate se sont répandus, avec des initiatives en cours en ce qui concerne le cancer du poumon.

Des progrès majeurs ont été obtenus dans les domaines de l’imagerie diagnostique, du profiling génétique des tumeurs et dans le traitement, notamment l’introduction de nouvelles thé rapies ciblées et d’immunothérapie. Parallèlement à la multiplication des options thérapeutiques, les coûts connaissent une escalade vers des niveaux prohibitifs. Légitimement se pose la question de l’impact réel de ces nouveautés sur le devenir du patient individuel. Que retire le patient aujourd’hui de ces multiples nouveautés qui sont venues compléter l’arsenal thé- rapeutique ? A-t-il réellement une meilleure «chance» face au cancer aujourd’hui qu’il y a dix ou vingt ans ?

tendancesépidémiologiques

Qu’en est-il au niveau populationnel ? Les données épidémiologiques ne peu- vent répondre qu’indirectement à la question. Un coup d’œil aux statistiques les plus récentes montre que la survie tend à augmenter au cours du temps dans les pays occidentaux, et ceci pour la majorité des types de cancer. A titre d’exemple, les données du SEER (Surveillance, Epidemiology, and End Results Program), le programme du National Cancer Institute américain, nous montrent que la survie relative (tableau 1) à cinq ans d’un carcinome pulmonaire est passée de 12,5%

entre 1975-1979 à 17% en 2005, celle d’un cancer du sein de 75 à 92%, celle d’un cancer colorectal de 50 à 66% et celle d’un mélanome de 82 à 93%.1 En Europe, la survie relative à cinq ans est significativement plus élevée pour un patient diagnostiqué entre 2005 et 2007 qu’entre 1999 et 2001.2 L’augmentation absolue dépasse 5% pour les patients souffrant de cancer colorectal, de la prostate ou de lymphome non hodgkinien. De telles augmentations de survie relative ne reflè- tent toutefois pas nécessairement de réels progrès dans le traitement du cancer.

En effet, la détection précoce et le dépistage, qui augmentent à la fois l’incidence New anticancer drugs : much ado about

nothing ?

Multiple new cancer drugs have been marke- ted during the last decade, and among those many molecularly targeted agents. Their im- pact on clinical outcomes population-wide remains hard to measure. Are we merely seeing the development of expensive and toxic drugs that benefit a minority of patients, or are battles actually won in the war on can- cer ? Both epidemiologic trends and clinical trial data show that a patient’s outcome to- day is significantly better than 10 or 20 years ago, in terms of cure rates and survival time for advanced disease.

Rev Med Suisse 2014 ; 10 : 788-93

La dernière décennie a vu la multiplication des traitements oncologiques multiples, en particulier des thérapies ciblées.

L’impact clinique de ces nouvelles thérapies reste difficilement mesurable. Observons-nous le développement d’une pléthore de molécules chères, toxiques, et efficaces pour une minorité de patients seulement, ou au contraire assistons-nous à des avancées significatives dans la lutte contre le cancer ? Tant les tendances épidémiologiques que les études cliniques succes- sives, réalisées dans certaines pathologies tumorales, mon trent que le devenir du patient est aujourd’hui clairement meilleur qu’il y a dix ou vingt ans, ceci tant en termes de chance de gué- rison qu’en termes de survie pour les stades incurables.

Nouveautés en oncologie :

beaucoup de bruit pour rien ?

perspective

Drs Stefan Zimmermann et Daniel Betticher

Clinique de médecine Hémato-oncologie

HFR Fribourg – Hôpital cantonal 1708 Fribourg

stefan.zimmermann@h-fr.ch daniel.betticher@h-fr.ch

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et la survie, peuvent certainement accroître le diagnostic de cancers précoces susceptibles de mieux répondre au trai- tement, mais peuvent également entraîner un surdiagnos- tic et un lead time bias, qui prolongent la survie sans réduire la mortalité. Les données de EUROCARE-5, une étude po- pulationnelle européenne, montrent que ceci est particu- lièrement vrai pour le cancer du sein, de la prostate et le mélanome, tous des cancers ciblés pour la détection pré- coce. D’autre part, la survie relative à cinq ou dix ans étant estimée sur des cohortes de patients nouvellement diag- nostiqués, les tendances observées maintenant ne reflè tent pas encore les avancées les plus récentes.

Certains épidémiologistes considèrent ainsi que l’évo- lution de la survie relative au cours du temps reflète plutôt les changements de pratique diagnostique que l’améliora- tion du pronostic d’un patient donné, et que la méthode la plus fiable pour évaluer les changements du pronostic du cancer au niveau populationnel reste la comparaison des taux de mortalité. L’analyse du registre européen EUREG montre que la mortalité de la plupart des cancers tend à diminuer au cours du temps en Europe occidentale.3 Aux Etats-Unis, la mortalité due au cancer a diminué de 20%

entre 1991 et 2010.4 L’analyse des tendances de mortalité ne considère toutefois que partiellement les progrès réalisés chez les patients incurables, qui peuvent vivre beaucoup

plus longtemps tout en succombant finalement à leur can- cer. De plus, l’objectif d’un traitement anticancéreux chez un patient en stade incurable peut être autre chose qu’une seule amélioration de sa survie. Les nouvelles thérapies ont dans cette indication principalement pour but d’induire une réponse sur la tumeur (fonte tumorale) et de donner au patient un «temps de vie» libre de symptômes, bref d’assurer une bonne qualité de vie. Ces thérapies transfor- ment la maladie oncologique jusqu’alors souvent agressive et associée à de multiples symptômes en maladie chroni- que, sans impact notable sur la mortalité.

L’impact des progrès thérapeutiques sur ces tendances réjouissantes reste donc élusif : quelle est la part respective du dépistage, de l’accès facilité aux soins et des avancées dans le traitement ? Seules des études épidémiologiques de haute résolution, qui incluent des données pronosti ques importantes telles que le stade au moment du diagnostic et les protocoles de traitement, peuvent identifier les fac- teurs associés à ces améliorations.

études cliniques

Une autre manière d’estimer indirectement l’impact des avancées thérapeutiques récentes serait de se pencher sur les progrès marquants cumulés, obtenus ces dernières an- Survie Ratio entre la survie globale d’une cohorte de patients oncologiques et la survie attendue dans la population générale avec une relative distribution identique en termes de sexe et d’âge.

Mesure ainsi l’excès de mortalité associée directement ou indirectement au diagnostic de cancer et inclut ainsi les complications du cancer et des traitements.

Lead time La détection précoce ou le dépistage permettent de diagnostiquer une maladie à un stade plus précoce qu’il ne le serait sans dépistage.

bias Ce temps est le lead time. Si l’outcome (le moment du décès) n’est pas modifié par le dépistage, par exemple parce que la curabilité n’est pas meilleure précocement, et que par conséquent aucune survie additionnelle n’est obtenue pour une personne dépistée, intervient le lead time bias : la durée de survie depuis le moment du diagnostic est plus longue pour une personne dépistée que pour une personne non dépistée, sans aucun bénéfice réel.

Stage Le stage migration décrit les modifications dans la distribution d’un stade, dans une population oncologique donnée, induites soit par migration un changement du système de staging lui-même ou l’introduction d’une nouvelle technologie plus sensible permettant une détection bias plus précoce de l’extension métastatique. Le stage migration peut conduire à des phénomènes statistiques étonnants comme le

phénomène de Will Rogers : déplacer un mauvais élément d’un groupe vers un moins bon groupe améliore la performance moyenne de chacun des deux groupes. Ce phénomène survient à condition que :

1) l’élément retiré d’un groupe est inférieur à la moyenne du groupe. Le fait de le retirer augmente la moyenne des éléments restants ; 2) l’élément retiré est supérieur à la moyenne du groupe vers lequel il est déplacé. Le fait de l’ajouter améliore la moyenne de ce groupe.

Effet de Dans certaines études cliniques en oncologie, les patients dont la maladie tumorale progresse dans le bras standard «croisent» vers le crossover traitement du bras expérimental. Ce crossover non planifié peut introduire des biais dans l’analyse, parce que les patients qui

«croisent» vers l’autre bras ont un pronostic qui diffère souvent de ceux qui ne «croisent» pas, par exemple parce que les patients les moins malades sont sélectivement choisis pour recevoir le traitement expérimental. Par ailleurs, l’analyse intention to treat, c’est-à-dire selon l’attribution initiale du traitement, est diluée : il peut n’y avoir aucune différence de survie globale médiane entre deux bras de traitement comparés, parce que le traitement est finalement administré dans les deux bras, alors que la survie des patients qui reçoivent le traitement est radicalement différente de ceux qui ne le reçoivent pas.

Analyse Une analyse intention to treat (ITT) des résultats d’une étude est basée sur l’attribution de traitement initiale, et non pas le traitement intention réellement administré. L’analyse ITT vise à éviter les biais qui peuvent survenir dans des études interventionnelles, tels qu’une attribution to treat pas complètement aléatoire ou un crossover. L’analyse ignore la non-compliance, les violations de protocole, et tout autre événement

survenant après la randomisation. L’analyse ITT maintient l’équilibre pronostique généré par l’attribution aléatoire du bras de traitement.

Par opposition, une analyse per protocol analyse la population ITT qui a effectivement terminé l’étude sans violation majeure du protocole.

Hazard ratio Le risque instantané (hazard) est le taux de décès observé sur une courte période du suivi entre t et Dt. Bien que mathématiquement il corresponde au risque de décéder durant une période de temps infinitésimale, en pratique, on peut l’associer, par exemple, au risque de décéder durant un jour ou une semaine ou un mois, en fonction de la gravité de la pathologie.

Le hazard ratio (HR) est le rapport du risque instantané dans le groupe traité divisé par le risque dans le groupe contrôle. Par exemple, dans un essai de mortalité versus placebo, un hazard ratio de 0,5 signifie que, sous traitement, le risque instantané de décès est seulement la moitié du risque (instantané) sans traitement. En d’autres termes, chaque jour les patients sont exposés à un risque de décès dans la journée réduit de moitié. Le hazard ratio correspond tout le temps au risque de survenue de l’événement. Un effet bénéfique se traduit donc par une valeur inférieure à 1.

Tableau 1. Glossaire

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nées dans les études cliniques : les petits ruisseaux font les grandes rivières. La plupart des types de tumeur ont béné- ficié d’innovations successives. Un exemple prototypique est le mélanome métastatique : historiquement, les patients souffrant de mélanome métastatique bénéficiaient d’une chimiothérapie de type dacarbazine, qui promettait un taux de réponses de 10-20%, une durée médiane de réponse de cinq à six mois, mais aucune amélioration de la survie glo- bale médiane qui atteignait dix mois, avec moins de 10%

des patients encore en vie à cinq ans. L’introduction de l’immunothérapie par ipilimumab (tableau 2) a permis un pas de géant. L’ipilimumab (Yervoy) a été approuvé en Suisse, en Europe et aux Etats-Unis en 2011. Il s’agit d’un anticorps monoclonal qui interfère avec le système immu- nitaire en ciblant le cytotoxic T-lymphocyte-associated antigen 4 (CTLA-4), une protéine de surface lymphocytaire T co-inhi- bitrice limitant l’acquisition de la fonction effectrice, la prolifération et la capacité cytotoxique des lymphocytes, entraînant une régulation négative de la réaction immuni- taire antitumorale. Une analyse poolée, présentée au con- grès annuel de l’European Society of Medical Oncology, en octobre 2013, des patients inclus dans plusieurs études de phases II et III comportant ce médicament montre, malgré un taux de réponses de seulement 10-15%, un taux de sur- vie à trois ans de 22% et de 17% à sept ans, sans décès par la suite, soit un plateau dans la courbe de survie débutant à trois ans, concernant un patient sur cinq.5 Plus récente encore, il y a l’immunothérapie par nivolumab (tableau 2).

Le nivolumab se trouve actuellement en étude de phase

III dans le traitement des patients souffrant de mélanome métastatique, de carcinome pulmonaire non à petites cel- lules avancé et de cancer du rein avancé. De manière simi- laire à l’ipilimumab, cet anticorps monoclonal bloque l’in- teraction du récepteur programmed death 1 (PD-1) avec son ligand PD-L1 présent sur la surface des cellules tumorales, et empêche ainsi la modulation négative de la réponse im- munitaire antitumorale. Une actualisation de l’étude pilote a été présentée au congrès annuel de l’American Society of Clinical Oncology en juin 2013.6 Chez des patients prétrai- tés, ce traitement permet un taux de survie à un an de 62%

et de 43% à deux ans. Les résultats très préliminaires de la combinaison concomitante des deux anticorps laissent espérer un taux de survie à un an de 82%.7 De manière ca- ricaturée, le taux de survie à un an passe ainsi par incré- ments d’environ 30% avant l’ère de l’immunothérapie par check-point blockade à 50% avec l’ipilimumab, 62% avec le ni- volumab, et 82% avec la combinaison, et le spectre d’un contrôle à long terme de la maladie. Là où un patient at- teint de mélanome métastatique, dans les années 1990, avait plus d’une chance sur deux de décéder la première année, et moins d’une chance sur dix de vivre au-delà de cinq ans, diagnostiqué en 2014, il a quatre chances sur cinq de vivre au-delà d’une année, et plus d’une chance sur cinq de vivre à long terme avec sa maladie. Il s’agit d’un réel chan- gement de paradigme. Et bien que le mélanome soit de facto le domaine pionnier de ces nouveaux traitements d’immunothérapie, les résultats appliqués sur d’autres his- tologies sont des plus prometteurs. Si bien que nombre

Substance Nom Description Indication en Suisse (01.01.2014)

commercial

Ipilimumab Yervoy Anticorps monoclonal dirigé contre CTLA-4 Mélanome avancé (non résécable ou métastatique)

Nivolumab Anticorps monoclonal dirigé contre PD-1 Non approuvé

Trastuzumab Herceptin Anticorps monoclonal humanisé recombinant, • Cancer du sein métastatique avec surexpression tumorale se liant sélectivement au domaine extracellulaire de HER2

de HER2 • Cancer du sein HER2 positif au stade précoce, traitement

adjuvant adénocarcinome métastatique de l’estomac ou de la jonction œsogastrique HER2 positif

Lapatinib Tyverb Inhibiteur de la tyrosine kinase des récepteurs Cancer du sein avancé ou métastatique avec surexpression de EGF (ErbB1) et ErbB2 (HER2) HER2, chez les patientes présentant une récidive après un

traitement au trastuzumab ou réfractaires à celui-ci, en association avec la capécitabine

Pertuzumab Perjeta Anticorps monoclonal IgG1 recombinant humanisé Cancer du sein HER2 positif métastatique ou localement se liant spécifiquement au domaine de dimérisation récurrent, non résécable, en association au trastuzumab extracellulaire (sous-domaine II) du récepteur HER2, et au docétaxel

(alors que le trastuzumab se lie au domaine IV)

T-DM1 Kadcyla Conjugué anticorps-médicament dirigé contre le Cancer du sein HER2 positif, inopérable, localement avancé ou HER2, se composant du trastuzumab, un anticorps métastatique et prétraité par le trastuzumab et un taxane humanisé IgG1 anti-HER2, qui est relié par une liaison

covalente à l’agent antimicrotubule DM1 (un dérivé de la maytansine) par l’intermédiaire de l’agent de liaison stable thioéther MCC

Rituximab MabThera Anticorps monoclonal chimérique (murin/humain) • Monothérapie, chimio-immunothérapie et traitement de dirigé contre CD20 maintenance des lymphomes non hodgkiniens CD20 positifs

• Polyarthrite rhumatoïde

• Vasculites à ANCA Obinutuzumab Gazyva Anticorps monoclonal humanisé dirigé contre CD20 Non approuvé Tableau 2. Substances actives citées

CTLA-4 : cytotoxic T-lymphocyte-associated antigen 4 ; PD-1 : programmed cell death protein 1 ; HER : human epidermal growth factor receptor ; EGF : epidermal growth factor ; ANCA : anticorps antineutrophiles cytoplasmiques.

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d’oncologues ont le sentiment d’assister à un tournant de l’histoire de l’oncologie. Des résultats extrêmement pro- metteurs ont été constatés notamment dans le traitement des carcinomes pulmonaires non à petites cellules et le cancer du rein.8 L’administration de ces nouveaux médica- ments représente sans aucun doute un nouveau paradigme

«de soutenir ses propres défenses immunitaires» face à la maladie. Toutefois, le lecteur averti sera attentif aux biais évidents inhérents à ce genre de comparaisons entre co- hortes historiques.

Citons en particulier le stage migration : les progrès réali- sés en imagerie diagnostique, surtout l’usage du PET-scan, permettent d’identifier des métastases à distance chez des patients qui auraient été attribués à un stade plus pré- coce ; le retrait de ce «mauvais cas» du groupe des cancers précoces améliore le pronostic de ce groupe ; l’attribution de ce cas au groupe métastatique améliore également le pronostic de ce groupe, car il s’agit d’un cas métastatique relativement précoce. Ce phénomène est également appelé phénomène de Will Rogers, célèbre humoriste originaire de l’Oklahoma, qui disait «When the Okies left Oklahoma and moved to California, they raised the average intelli- gence level in both states». Peu révérencieuse pour son Etat d’adoption, la Californie (Hollywood en a fait une célé- brité), la citation illustre bien le paradoxe : retirez les moins bons cas d’un collectif et attribuez-les à un collectif moins bon, et vous améliorerez le pronostic des deux groupes, sans modifier le moins du monde la survie d’aucun des individus de cette population.

Un autre biais important est celui de sélection et de participation : le choix de patients inclus dans les essais cli- niques ne reflète pas la situation de la vie de tous les jours.

Outre l’immunothérapie, les thérapies ciblées ont éga- lement eu un impact profond sur certains sous-groupes de patients. Le cancer du sein en Europe représente, chez les femmes, 30% de tous les cas de cancer diagnostiqués et 17% des décès par cancer. Parmi ces cancers, 15-25% sur- expriment la protéine human epidermal growth factor receptor (HER)-2, codée par l’oncogène HER2, qui contribue via de multiples processus à la pathogenèse du cancer du sein et son agressivité, et confère indépendamment un moins bon pronostic, y compris une survie réduite.9,10 Le trastuzumab (Herceptin) (tableau 2), un anticorps monoclonal dirigé contre le domaine extracellulaire du HER2, est approuvé en Europe depuis 2000, et son utilisation dans le contexte adjuvant après la chirurgie des cancers opérables est largement éta- blie. Une analyse poolée, incluant plus de 3000 femmes opérées d’un cancer du sein HER2 positif, montre que l’ad- jonction d’une année de traitement par trastuzumab à la chimiothérapie permet une diminution de moitié du risque de récidive à deux ans, de moitié du risque de récidive métastatique à distance, et d’un tiers du risque de décès par rapport à la chimiothérapie seule.11 Ces résultats sont encore dilués par le phénomène de cross-over : après pu- blication des résultats intermédiaires, de nombreuses pa- tientes, incluses dans le bras chimiothérapie seule, ont pu bénéficier du trastuzumab, tout en étant comptabilisées dans le bras chimiothérapie seule dans l’analyse intention to treat. Une modélisation basée sur l’étude de trastuzumab adjuvant (HERA) suggère qu’entre 2005 et 2015, l’utilisation

du trastuzumab permettra une réduction annuelle de 2,5%

du nombre de femmes avec cancer du sein développant des métastases à distance, en Europe, soit 28 femmes de moins chaque année en Suisse.12 A l’heure actuelle, pas moins de quatre médicaments ciblant la protéine HER2 sont sur le marché suisse, approuvés pour le traitement des stades métastatiques, qui représentent généralement le pre mier setting pour les innovations pharmaceutiques : outre le trastuzumab, l’oncologue dispose du pertuzumab (Perjeta), du lapatinib (Tyverb) et du T-DM1 (Kadcyla) (ta- bleau 2). Ajouté au trastuzumab et à la chimiothérapie de première ligne, le pertuzumab, un anticorps monoclonal humanisé anti-HER2 inhibant la dimérisation du récepteur essentielle à son activation, permet un blocage plus com- plet de la signalisation HER2. Cela se traduit par une sur- vie sans progression de la maladie passant de 12,4 à 18,7 mois, et une nette augmentation de la survie globale, avec un risque de décès diminué de 34% (hazard ratio 0,66).13 Le T-DM1, ou trastuzumab emtansine, est un conjugué anti- corps-médicament dirigé contre le HER2. Il se compose du trastuzumab, un anticorps humanisé IgG1 anti-HER2, qui est relié par une liaison covalente à l’agent anti-microtubule DM1 (un dérivé de la maytansine) par l’intermédiaire de l’agent de liaison stable thioéther MCC. La conjugaison de DM1 au trastuzumab procure au principe actif cytotoxique une sélectivité pour les cellules tumorales surexprimant HER2, ce qui améliore la délivrance de DM1 directement à l’intérieur des cellules malignes. Administré en monothé- rapie chez des patientes prétraitées, progressant sous tras- tuzumab et chimiothérapie, le trastuzumab-emtansine pro- longe la survie sans progression de la maladie de 6,4 mois à 9,6 mois, et la survie globale de 25,1 mois à 30,9 mois, en comparaison avec un traitement standard associant chimio- thérapie et lapatinib.14 Aussi mo destes que ces chiffres puissent paraître, l’addition des gains en survie addition- nelle avec la multiplication des lignes de traitement devient de plus en plus significative.

Avec plus de recul, le rituximab (MabThera) (tableau 2), un anticorps monoclonal chimérique murin-humain dirigé contre l’antigène CD20, a transformé les stratégies de trai- tement des hémopathies malignes. Son introduction, à la fin des années 1990, coïncide avec une cassure de la courbe de mortalité, imputée aux lymphomes non hodgkiniens. A nouveau, selon les données du SEER, alors que la mortalité croissait de plus de 1,6% par année depuis 1975, elle se met à décroître de 2,8% par année entre 1997 et 2003.1,15 Son adjonction à la chimiothérapie standard dans le traite- ment des lymphomes diffus à grandes cellules B chez les patients âgés a vu les taux de survie à dix ans passer de 28% à 43%. L’antigène CD20 représente une cible thérapeu- tique incontournable, et d’importants efforts sont en cours afin de développer de nouveaux anticorps monoclonaux présentant une efficacité accrue par rapport au rituximab, culminant récemment avec le développement de l’obinutu- zumab (tableau 2). Il s’agit d’un anticorps anti-CD20 huma nisé de type 2, avec une portion Fc modifiée, pour une affinité accrue pour ses récepteurs sur les cellules immunes effec- trices, dans le but d’éliciter une plus grande cytotoxicité cellulaire dépendante de l’anticorps. Dans une population de patients souffrant de leucémie lymphocytaire chronique

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avec comorbidité, une chimio-immunothérapie d’obinutu- zumab et chlorambucil a été comparée à une chimio-im- munothérapie de rituximab et chlorambucil, et a obtenu une augmentation de la survie sans progression médiane de 16,3 mois à 26,7 mois et un triplement du taux de ré- ponses complètes, passant de 7 à 20%.16 Les prochaines études cliniques sont attendues avec impatience.

Incontestablement, des coûts importants sont associés à ces innovations : le traitement du cancer en Europe re- présente en moyenne 4% des coûts à la charge du système de santé, dont 27% en moyenne sont attribuables aux mé- dicaments oncologiques, avec une participation dispropor- tionnée des nouveaux médicaments.17 L’augmentation an- nuelle des coûts par patient reste toutefois similaire à ce qui est observé dans les domaines des maladies cardio- vasculaires, du diabète et des maladies respiratoires.

conclusion

L’intégration des nouveaux traitements oncologiques dans les plans thérapeutiques a ainsi eu un impact majeur

à la fois sur les tendances épidémiologiques et sur le pro- nostic qu’un patient individuel peut espérer. Nombre d’in- novations ont radicalement changé le cours naturel de la maladie. La majorité des nouveaux traitements sont intro- duits en pratique clinique chez les patients en stade avancé, ce qui en découle une survie prolongée, mais ces traite- ments ont également un impact mesurable dans la situa- tion précoce, où ils peuvent améliorer les chances d’une guérison. Plusieurs centaines de nouvelles molécules sont aujourd’hui en phase d’essai clinique. Il ne reste plus au médecin qu’à réapprendre son oncologie.

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* à lire

** à lire absolument

Bibliographie

Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.

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