REVUE MÉDICALE SUISSE
WWW.REVMED.CH 30 novembre 2016
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Entre contrainte et choix
Tout d’abord, on peut se sentir coincé, chacun de nous, par des contraintes d’ordre social, familial, culturel. Des contraintes issues de l’éducation reçue de nos parents, de l’école, du milieu de notre enfance et de notre adolescence. Tout cela doublé par l’idée que nous aurions pu devenir tout autre que ce que nous sommes réellement devenu si, justement, nous n’avions pas eu à subir un tel système éducatif, un tel milieu initial de notre existence. Victime que nous serions d’idées reçues, de pré
jugés inculqués, de craintes absurdes et exagérées. D’une diabolisation préalable à propos de certaines manières de se con
duire, de certaines manières de voir les choses.
Ces contraintes, qu’elles soient présu
mées ou réelles, paraissent en pratique nous entourer de limites infranchis sables, nous plonger dans un carcan
à certains égards injuste et malchanceux. Cependant, nous pourrions découvrir, hélas, un terrible paradoxe : qu’à côté de cette autoperception de n’être que des victimes, se nicherait le soupçon que ces contraintes nous protègent contre des excès, des impulsions aveugles
et momentanées, contre des conflits aigus avec notre entourage, voire avec nos amis.
Que pour finir nous y tenons dur comme fer, à nos habitudes quotidiennes, à des attitudes désormais allant de soi. Habi
tudes alimentaires, par exemple, ou habi
tudes relatives à l’emploi du temps. A notre silhouette perçue dans un miroir ou dans les regards de ceux qui nous entourent.
Choisir de changer de route, par exem ple, pour tomber peutêtre dans des friches, dans des endroits émotionnellement dé
sertiques et humainement inhabitables.
Devoir choisir entre un certain type de désir et, par conséquent, un certain type de satisfaction. Entre des goûts person
nels et des suggestions impératives de la mode du moment. Entre l’emprise de la publicité et, par contre, une puissante envie personnelle de révolte, de dégoût envers l’allant de soi. Dans les domaines difficiles à démarquer de troubles psy
chiatriques proprement dits, comme celui d’être harcelé par des phobies parfois en soi ridicules, mais s’apercevant en même temps que ces peurslà nous faisaient éviter
des crises d’angoisse, des désagréments intérieurs. Ou alors des TOC tels à exiger de nous un besoin de mettre sans cesse de l’ordre ou de nous laver les mains à tout moment. Bref, des troubles dits compul
sifs qui, exécutés sans trop de réserves ou d’hésitations, pouvaient nous garantir, quoi qu’on en dise, une certaine paix inté
rieure, ne fûtelle que momentanée. En clair, jongler entre une légitime autopro
tection et la crainte de nous endommager de nos propres mains.
Contraint vraiment de choisir, ou poussé à choisir les contraintes ? Risquer de choisir le pire, ou de choisir le mieux ? Choisir de ne pas choisir ? Choisir peut
être un remède pire que le mal ? Ou saisi que nous serions soudain par une bouffée de jalousie visàvis des gens, connus ou inconnus, qui, eux, semblent capables de choisir toujours comme il faut ?
Il peut être terrible de devoir se trouver à une sorte de carrefour où l’on doit opter entre un choix qui risque d’être très provisoire et un choix qui pourrait, au con
traire, se montrer comme un choix de vie. Coincé, quoi qu’il en soit, entre trop de choix et un choix unique qui deviendrait, dans ce cas, une contrainte camouflée.
Perspectives devant l’embarras entre des choix qui pourraient donc ressembler à des contraintes, et des contraintes qui pourraient se confondre tant bien que mal avec des choix. Choix subliminaux, pour ne pas dire inconscients ou simplement impulsifs. Contraintes, alors, ambiguës et mal définies.
Devoir choisir entre des besoins nor
matifs et passepartout et, au contraire, un soudain besoin d’être à tout prix différent de tout le monde. Devoir se laisser tenter par des transgressions plutôt que par la régularité. Devoir même se complaire dans une identité maladive plutôt que de trop se laisser faire par une identité comme il faut, normale. Victime de souvenirs per
sistants de choix prétendus appropriés, ou tout à fait inappropriés. Persécuté parfois que nous serions par des autocritiques effectuées dans notre passé dont nous n’aurions pas tenu suffisamment compte.
Persécuté que nous pourrions être aussi par la contrainte de devoir un jour mourir,
et par contre par des tentations qu’une forme ou une autre de suicide pourrait nous fournir la certitude d’un libre choix par rapport justement à la mort en tant que telle.
Devoir choisir entre un certain type De
Désir et, par conséquent, un
certain type De satisfaction
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