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Marché du sexe et violences à Genève

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Marché du sexe et violences à Genève

CHIMIENTI, Milena, FÖLDHAZI, Agi

Abstract

En 2003, le Bureau de l'égalité entre femmes et hommes a lancé la campagne « La violence est inacceptable », destinée de manière globale aux migrantes vivant à Genève. L'espace prostitutionnel se trouve à l'intersection de différents champs de tension tels que rapports sociaux de sexe, enjeux de sexualité et de santé publique, politiques de migration ainsi que de conditions de travail (féminin). Supposant que cette situation conduit à un risque de violence accru dans le marché du sexe et que les personnes y travaillant ont dès lors des besoins spécifiques, le fonds genevois de prévention de la violence a mandaté l'association Aspasie d'examiner les facteurs de vulnérabilité dans ce domaine. La présente étude vise à mieux connaître les violences subies par les femmes travaillant dans le marché du sexe dans le but d'adapter à ce contexte particulier la campagne de 2002.

CHIMIENTI, Milena, FÖLDHAZI, Agi. Marché du sexe et violences à Genève . Genève : Université de Genève, 2007

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:55373

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En 2003, le Bureau de l’égalité entre femmes et hommes a lancé la campagne « La violence est inacceptable », destinée de manière globale aux migrantes vivant à Genève. L’espace prostitutionnel se trouve à l’intersection de différents champs de tension tels que rapports sociaux de sexe, enjeux de sexualité et de santé publique, politiques de migration ainsi que de conditions de travail (féminin). Supposant que cette situation conduit à un risque de violence accru dans le marché du sexe et que les personnes y travaillant ont dès lors des besoins spécifiques, le fonds genevois de prévention de la violence a mandaté l’association Aspasie d’examiner les facteurs de vulnérabilité dans ce domaine. La présente étude vise à mieux connaître les violences subies par les femmes travaillant dans le marché du sexe dans le but d’adapter à ce contexte particulier la campagne de 2002.

Àgi Földhàzi est assistante d'enseignement et chercheuse au Département de Sociologie de l'Université de Genève.

Milena Chimienti est chargée d'enseignement et chercheuse au département de Sociologie de l'Université de Genève.

Géraldine Bugnon, Laurence Favre et Emilie Rosenstein sont étudiantes de l'atelier de recherche de sociologie des prostitutions de l'Université de Genève.

ISBN 978-2-940386-01-7

Marché du sexe et violences à Genève

Àgi Földhàzi, Milena Chimienti

avec la collaboration de Géraldine Bugnon, Laurence Favre et Emilie Rosenstein

DÉPARTEMENT DE SOCIOLOGIE

Sociograph n°2 / 2007

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Marché du sexe et violences à Genève

Àgi Földhàzi, Milena Chimienti

avec la collaboration de Géraldine Bugnon, Laurence Favre et Emilie Rosenstein

Sociograph n°2 / 2007

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Mandant : Association Aspasie, Genève Période : avril 2006 à octobre 2006

Citation conseillée : Àgi Földhàzi, Milena Chimienti avec la collaboration de Gé- raldine Bugnon, Laurence Favre et Emilie Rosenstein (2006). Marché du sexe et violences à Genève. Sociograph n°2, Département de sociologie, Université de Genève.

ISBN 978-2-940386-01-7

Publication sur Internet : www.unige.ch/ses/socio/

Table des matières

Avant-propos... 5 Introduction... 7

Objectifs et questions de recherche 7

Quelques remarques méthodologiques 9

Plan du rapport 12

1. De la violence circonscrite à l’omniprésence de la violence ... 13 1.1 Violence genrée : femmes victimes et hommes agresseurs 14

1.2 Violence et marché du sexe 16

2. Violences dans le marché du sexe à Genève : auteur-e-s, formes et logiques ... 19

2.1. Violences dans le cadre du travail 27

2.2 Violences dans la vie privée 50

2.3. Violences - Synthèse 58

3. Ressources face aux violences ... 62 3.1 Ressources individuelles vis-à-vis des clients 62 3.2 Autres ressources individuelles face aux violences liées à l’activité 72

3.3 Ressources externes 75

3.4 Réactions et explications : attitudes face aux violences 80

3.5 Ressources -Synthèse 86

4. Conclusions... 89

4.1. Un continuum de violence 89

4.2 Formes de réaction et protection contre la violence 91 4.3 Le droit comme instrument de protection ? 91 5. Recommandations... 95 Bibliographie ... 104 Annexes... 110

Annexe 1 – Aperçu des informatrices 110

Annexe 2 – Liste des campagnes consultées 113

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Annexe 3 – Exemple de messages de prévention de la violence 115 Annexe 4 – Difficultés rencontrées et limites de l’étude 120 Annexe 5 – Pistes pour de futures recherches 122

Liste des tableaux et des encadrés

TABLEAU 1-NOMBRE D'INFORMATRICES PAR MILIEU 10

TABLEAU 2-SYNTHESE DES VIOLENCES PAR AUTEUR-E ET MILIEU 58

ENCADRE 1-LES ACTIVITES DE LA BRIGADE DES MOEURS 75

ENCADRE 2-LES ACTIVITES DU RESEAU INSTITUTIONNEL 76

TABLEAU 3-LES RESSOURCES FACE AUX VIOLENCES PAR MILIEU 86 ENCADRE 3-SITUATION PRECAIRE ET RECOURS A LA JUSTICE 92

TABLEAU 4-RECOMMANDATIONS 98

Avant-propos

Le marché du sexe concentre des enjeux particuliers liés à la santé publi- que, au flux migratoire, à la sexualité ou encore au statut de la femme dans le monde du travail. Ce n’est donc pas un hasard si parmi les premières ini- tiatives lancées par le Fonds de prévention de la violence créé par le Conseil d’Etat genevois en novembre 2001, figure la présente recherche auprès des personnes prostituées. Nous saluons ici la perspicacité des responsables de ce fonds qui ont financé cette étude, ainsi bien entendu qu’Aspasie qui a amené à cette prise de conscience et nous a mandatées pour cette recherche.

Mener une étude dans un milieu réputé difficile d’accès et dans de brefs délais (entre avril et octobre 2006) requiert de pouvoir s’appuyer sur des personnes de confiance et connaissant le domaine. Nous avons eu la chance de bénéficier de l’expérience d’un atelier de recherche mené au département de sociologie de l’Université de Genève au cours duquel nous avons pu déjà acquérir une large connaissance du domaine. Cette étude a été menée par Àgi Földhàzi, Géraldine Bugnon, Laurence Favre et Emilie Rosenstein, sous la direction de Milena Chimienti.

L’étude a été rendue possible par la confiance des femmes qui ont accep- té de partager leurs expériences. Ce travail a également bénéficié du soutien actif d'un groupe d'accompagnement qui a suivi ses diverses phases de déve- loppement (liste des participant-es du groupe dans l’annexe 1). Nous tenons à remercier l’équipe d’Aspasie pour leur soutien et patience.

Nos remerciements vont également aux collaboratrices du Service pour la promotion de l’égalité entre homme et femme, Muriel Golay et Maria Luiza Vasconcelos, pour leurs conseils en matière de campagne de préven- tion à l'adresse des migrantes, ainsi qu’à Marina Janssen, responsable de projets de prévention à l'Institut Suisse de Prévention d'Alcool, qui a contri- bué à l’élaboration des messages de prévention. Pour finir, nous tenons à remercier le département de sociologie, en particulier Sandro Cattacin et Luc Gauthier, pour avoir accueilli cette recherche.

Genève, le 22 novembre 2006 Milena Chimienti et Àgi Földhàzi

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Introduction

En 2003, le Bureau de l’égalité entre femmes et hommes a lancé la cam- pagne « La violence est inacceptable », destinée de manière globale aux mi- grantes vivant à Genève. L’espace prostitutionnel se trouve à l’intersection de différents champs de tension tels que rapports sociaux de sexe, enjeux de sexualité et de santé publique, politiques de migration ainsi que de condi- tions de travail (féminin). Supposant que cette situation conduit à un risque de violence accru dans le marché du sexe et que les personnes y travaillant ont dès lors des besoins spécifiques, le fonds genevois de prévention de la violence a mandaté l’association Aspasie d’examiner les facteurs de vulné- rabilité dans ce domaine. La présente étude vise à mieux connaître les vio- lences subies par les femmes travaillant dans le marché du sexe dans le but d’adapter à ce contexte particulier la campagne de 2002.

Une première étape du projet menée par Judith Viranyi s’est intéressée aux femmes travaillant dans les salons de massage. Ces lieux étant à l’époque de la soumission du projet peu connus tant des associations de dé- fense des personnes prostituées (notamment Aspasie) que des autorités de contrôle (notamment la brigade des mœurs). Durant la même période, Mile- na Chimienti a isolé d'importants éléments d'information lors de sa recher- che sur le thème des risques et ressources de santé des femmes migrantes dans les salons de massage, les cabarets et les bars à champagne (Chimienti, Fonds national suisse de la recherche 2004 et 2005, à paraître). Cette étude récente porte sur les travailleuses et travailleurs du sexe à Genève et à Neu- châtel. Elle démontre que la recherche sur les violences aurait aussi intérêt à viser le milieu des cabarets et des bars à champagne. En effet, l’alcool et la précarité des permis de séjour des travailleuses du sexe y constituent des facteurs de risques supplémentaires. En comparaison, les risques seraient moins importants pour les femmes évoluant dans des salons de massage où ces dernières disposent de conditions de travail plus indépendantes. Les té- moignages des médiatrices culturelles d'Aspasie ont également mis en évi- dence la vulnérabilité particulière des personnes travaillant dans la rue. La présente recherche se fonde en particulier sur les résultats de ces deux pré- cédentes études.

Objectifs et questions de recherche

L’objectif du projet est de concevoir les outils de la campagne de pré- vention de violence en les adaptant aux différents milieux du marché du

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sexe à Genève (voie publique, salon, bar, cabaret). A cette fin, le mandat identifie les formes de violence propres aux quatre milieux du marché du sexe. Ce travail se base sur les témoignages des principales concernées. Il porte essentiellement sur la violence telle que perçue par les travailleuses du sexe, mais relève également les cas de violences banalisées par ces derniè- res.

Le présent rapport identifie les acteurs des violences : ses auteurs et les modes de défense des femmes travaillant dans les différents milieux du marché du sexe. De même, il traite des limites ou obstacles rencontrés et propose des mesures opérationnelles pour réagir et agir contre les violen- ces.

Le développement de nouvelles modalités de prostitution durant les quinze dernières années a rendu les travailleuses et travailleurs du sexe moins visibles et plus vulnérables (Sardi et Froidevaux, 2003; Glardon 2004). Ce changement du contexte et des modes de consommation du sexe soulève plusieurs questions :

- à quelles violences sont exposées les personnes travaillant dans di- vers contextes de l'industrie du sexe ?

- quelles stratégies de prévention utilisent-elles ?

- quelles nouvelles stratégies de prévention peut-on envisager de mettre en oeuvre ?

- les personnes prostituées subissent-elles des violences spécifiques du fait que le rapport sexuel consenti est tarifé ?

- dans quelle mesure les violences subies par les personnes travaillant dans le marché du sexe sont-elles assimilables à la violence à l’encontre des femmes en général?

- quel est le rôle des identités de genre dans le rapport que femmes et transgenres1 prostitué-e-s entretiennent à la violence ?

Les premiers éléments du travail, ainsi que la très bonne connaissance du terrain dont disposent les intervenants d’Aspasie, ont permis de reprendre la recherche de Judith Viranyi avec des éléments significatifs. Le travail de recherche s’appuie sur les hypothèses suivantes :

- les personnes pratiquant une activité prostitutionnelle ont, indivi- duellement, plus ou moins de ressources de prévention et de dé- fense contre les violences.

1 Ce terme désigne les individus qui se revendiquent d’un genre différent de celui dont ils se sont vus attribué socialement à la naissance.

- l’existence de ressources de prévention et le degré de vulnérabilité face aux violences dépendent, notamment, du contexte de travail, de l’ancienneté dans le métier, du niveau d’éducation, du statut lé- gal et du degré de désaffiliation sociale (processus qui amène petit à petit les individus en marge de la société) (Chimienti, à paraître).

Quelques remarques méthodologiques

Terrain d'étude. La prostitution étant licite en Suisse si elle est exercée à titre indépendante (soit non salariée), notre terrain d’étude est composé tant de la prostitution officielle que de la prostitution non officielle. Dans le premier cas il s’agit de personnes bénéficiant du statut d’indépendante et par conséquent d’un permis d’établissement donnant accès au travail non salarié tandis que dans le second cas les personnes sont des employées s’adonnant à la prostitution parallèlement à leur activité salariée. Ces dernières sont au bénéfice d’un permis de séjour à durée limitée ne donnant pas accès au sta- tut d’indépendante. Or, les lieux2 du marché du sexe délimitent les zones officielles et non officielles de la prostitution. Dans une minorité de cas il peut encore s’agir de personnes sans autorisation de séjour qui, quel que soit le lieu où elles exercent, pratiquent la sexualité tarifée de manière non offi- cielle en raison de leur situation de séjour irrégulière. Parce que nous suppo- sons qu’en fonction de sa licité, les risques de violence de l’exercice de la prostitution diffèrent, nous nous sommes intéressées à étudier quatre lieux de la prostitution : la voie publique et les salons de massage caractérisent la prostitution officielle tandis que les bars à champagne et cabaret la prostitu- tion non officielle. Cette catégorisation comprend donc tant un caractère juridique qu’analytique afin de nous faciliter l’étude des différents cas de figure.

Méthode. Dans un premier temps, nous souhaitions compléter les entre- tiens en profondeur prévus dans le projet initial par six focus groups (FG) réunissant des situations de travail différenciées. Cette méthode a été choisie parce qu’elle permet de récolter des informations dans un délai restreint,

2 Par lieu, nous entendons « un lieu physique qui a été socialement défini. Dé- fini par les usages attendus, par les attentes partagées sur le genre de personnes qui viendront prendre part à ces activités, et par les arrangements financiers qui sous-tendent tout cela. Et défini surtout par un environnement social plus vaste, qui en même temps fournit des opportunités et assigne des limites à ce qui peut se passer » (Becker, 2000 ; cité dans Brochier 2005 :82).

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d'obtenir un consensus et de mettre en évidence les différences. Cette dé- marche se prête bien à l'exploration des pratiques, à la préparation des inter- ventions et à l'évaluation des nouveaux matériaux d'information (Morgan et al. 1998).

Cependant, nous avons rencontré des difficultés dans notre mobilisation des personnes pour un entretien en groupe : sur les six focus groups prévus, seuls deux ont pu être menés (danseuses de cabaret et transgenres).

Dès lors, nous avons effectué des entretiens individuels auprès des fem- mes travaillant sur la voie publique, dans les salons et dans les bars à cham- pagne. De manière détaillée, les entretiens suivants – individuels ou collec- tifs – ont été réalisés avec 36 personnes (cf. tableau 1).

Tableau 1 - Nombre d'informatrices par milieu

Contexte Nombre de femmes rencontrées De manière individuelle En groupe

Rue hispanophone 5 personnes 2 personnes

Rue thaï - 2 personnes

Salon francophone 3 personnes 5 personnes Salon thaï 1 personne - Cabaret russophone - 7 personnes Bar francophone 6 personnes -

Transgenres - 5 personnes

Total 36 personnes

Recrutement et description des informatrices. Les participantes ont été sélectionnées selon leur lieu de travail (rue, salon, bar à champagne ou caba- ret). Dans certains cas, le mélange entre deux milieux a été admis puisqu’il reflète une réalité des travailleuses du sexe (p.ex. rue et salon pour les trans- genres). Un deuxième critère était d’analyser la barrière linguistique, nous avons donc recruté des personnes allophones et d’autres francophones. Par- mi les allophones, une certaine homogénéité linguistique a été recherchée.

Nous avons rencontré des informatrices francophones, russophones, hispa- nophones, lusophones et thaï. Le recrutement des participantes se basait

également sur la durée de l’activité, comprenant un minimum de six mois d'expérience de travail en Suisse, particulièrement à Genève3.

Le cas des personnes prostituées toxicodépendantes n’est pas examiné dans le présent rapport, considérant que cette population particulière cumule des facteurs de fragilisation. Toutefois, des recherches récentes montrent la diversité des expériences au sein de ce groupe (Epele 2001 ; Guggenbühl et Berger 2001).

Les médiatrices d'Aspasie ont collaboré avec l'équipe de recherche au recrutement des informatrices et dans certains cas à la traduction des messa- ges de prévention que nous voulions tester (en russe et en thaï). Nous avons également été soutenues par l'équipe d'Aspasie qui nous a mis en contact durant ses heures de permanence avec des femmes travaillant en studio ou exerçant dans la rue. Dans le cas des salons, nous avons aussi obtenu des entretiens en contactant les personnes concernées via leurs annonces dans les journaux.

Les participantes à l'étude ont reçu une compensation de 50 frs. D’autres informations sur notre démarche et la méthode (profils des informatrices, guide d’entretien ou encore déroulement des entretiens) figurent en annexe.

Notre matériel complète ainsi les entretiens effectués en 2005 avec des masseuses de salon. Les entretiens exploratoires menés par Judith Viranyi auprès des expertes (liste en annexe 1), nous ont fourni des pistes de ré- flexion supplémentaires. Nous avons également bénéficié de discussions informelles avec les médiatrices d’Aspasie lesquelles ont partagé leur expé- rience, contribuant ainsi à l’élaboration de l’étude et de la campagne.

Analyse. Les entretiens ont été retranscrits dans leur intégralité. Les té- moignages en langue étrangère ont été traduits, et chaque entretien a été complété par des notes indiquant nos impressions générales et observations.

Chaque entretien a reçu un code afin d'assurer l'anonymat des personnes. Ce code indique le type de lieu où travaille l'informatrice, l’ordre chronologi- que de l’entretien et l’origine géographique (par exemple bar_2_afrique). La liste des informatrices, comprenant leur profil socio-professionnel, figure en annexe (cf annexe 1).

Nous avons utilisé une méthode d'analyse qualitative, le but étant de dé- gager les ressemblances et différences relatives à chaque thème abordé. La

3 Nous avons été amenées à trois reprise à conduire des entretiens avec des femmes ayant une expérience plus courte: une travaillant dans un salon, une au- tre dans un bar, et d’autres débutant comme danseuses de cabaret.

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partie empirique de ce rapport accorde une place importante aux entretiens.

Nous souhaitons ainsi présenter les perceptions de violence et les tactiques d'autodéfense au plus près des mots de nos informatrices.

La triangulation des différentes sources d'information (littérature, entre- tiens avec des informatrices, entretiens informels avec les médiatrices, ob- servation participante et données) nous permet d’appréhender l’objet de l’étude dans sa globalité.

Difficultés. L’obstacle principal était le manque d'intérêt ou l’incompréhension des femmes concernées. Une deuxième difficulté a trait à la nature même du marché du sexe: tout entretien se déroulant sur un lieu de travail (salon et bar) gêne potentiellement l’activité lucrative des personnes sollicitées. Ces dernières n’accordaient dès lors qu’une durée limitée à notre enquête. Un troisième handicap résultait du calendrier de la recherche. Le travail de terrain s’est déroulé pendant l’été, saison creuse facilitant à priori la disponibilité des informatrices. Cependant, l’été est aussi la période des vacances pour les travailleuses de sexe et nous avions plus de difficultés à réunir le nombre souhaité d’entretiens.

Plan du rapport

Le présent rapport se compose de cinq parties. Le premier chapitre passe en revue l’état de la littérature concernant le concept de la violence, plus particulièrement celui de la violence genrée ainsi que des études consacrées à la violence dans le domaine du marché du sexe. Le deuxième chapitre présente les différents contextes dans lesquels des personnes proposent des rapports sexuels tarifés, ainsi que les formes de violences décrites par nos informatrices. Le troisième chapitre étudie les ressources que ces femmes ont développé pour faire face aux violences diverses.

Le quatrième chapitre examine les liens entre la violence à l’encontre des travailleuses du sexe et les théories sur la violence en général. Nous proposons également une réflexion sur les limites du droit comme instru- ment de protection dans un environnement caractérisé par la précarité. Fina- lement, le rapport recommande des mesures visant l’amélioration des condi- tions de travail et de vie des personnes proposant des rapports tarifés, ainsi que des modalités pour la campagne future.

1. De la violence circonscrite à l’omniprésence de la violence

Le thème de la violence a été pensé et étudié différemment dans le temps. Pensée d’abord comme circonscrite, puis considérée comme diffuse, la définition de la violence s’est élargie.

Dans sa compréhension actuelle, la violence engendre la violence. Ainsi, nous pouvons parler de spirales, d’effets miroirs, ou encore, de continuum de la violence. La violence structurelle (violence de pauvreté, faim, exclu- sion sociale et humiliation) se traduit inévitablement en violences intime et domestique. La violence ne doit pas être comprise en termes uniquement physiques – force, attaque, ou douleur. Elle implique également des attaques contre la personnalité, la dignité et le sens de valeur que la victime a d’elle- même. Ses dimensions sociales et culturelles donnent à la violence sa force et sa signification.

La violence défie une catégorisation facile. La violence s’articule autour d’une dichotomie – explicite ou implicite – entre légitime/illégitime, visi- ble/invisible, nécessaire/inutile, insensée/gratuite ou extrêmement ration- nelle/stratégique. Des actes permissibles s’opposent aux actes défendus, ain- si, la violence « légitime » d’un Etat est distinguée de la violence indiscipli- née et illicite d’une foule agitée.

Parlant de violence, on pense aux guerres, aux génocides, à la violence coloniale, à la violence révolutionnaire. Les « violences en temps de paix » concernent le désespoir économique, le racisme ou l’ostracisme de classe.

L’étude des violences produites dans les structures et mentalités de la vie quotidienne attire notre attention vers les pathologies de l’inégalité de classe, race et de genre.

Aucune violence n’existe sui generis, il s'agit plutôt d'un continuum de la violence, se composant d’une multitude « de petites guerres et génocides invisibles » (Scheper-Hughes, 1996) conduites dans des espaces normatifs tels que écoles publiques, cliniques, salles d’urgences, salles de tribunal, bureaux d’état civil, prisons, centres de détention, etc. Ce continuum reflète la capacité des acteurs sociaux à réduire les personnes vulnérables à des êtres dispensables et d’assumer l’autorisation – voire même le devoir – de contrôler ou d’éliminer ces dernières, La violence comprend toute forme de

« processus de contrôle », qui touche à des libertés humaines individuelles ou collectives (Scheper-Hughes, Bourgois 2004).

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Dans cette perspective, « l’objet visé par la sociologie n’est pas la vio- lence, qui en tant que fait n’a pas de pertinence sociologique. Elle n’en ac- quiert qu’en référence à un contexte social qui lui donne sens. Ainsi, on ne saurait traiter de la même manière la violence du dominant et du dominé, sous peine d’amalgamer des phénomènes sociologiquement différents.

L’objet sociologique pertinent est donc la relation sociale sous-jacente à la violence » (De Puy, Gillioz, Ducret 2002 : 59).

1.1 Violence genrée : femmes victimes et hommes agresseurs Notre recherche se place dans une perspective genrée, examinant les pa- rallèles avec la violence à l'égard des femmes en général dans la mesure où les femmes sont largement majoritaires comme prestataires de services dans l'industrie du sexe.

De même, il est à noter que parlant de violence, dans la plupart des cas, nous parlons d’une violence perpétuée par des hommes, donc d’une vio- lence genrée (Dixon 2006). Le phénomène de la violence envers les femmes n'a été problématisé comme « sociopolitique » que récemment. Pendant longtemps les formes de violence spécifiques qui affectaient des femmes étaient considérées comme individuelles, sans liens entre elles. Depuis, le concept de la violence à l'égard des femmes a évolué et s’est développé, as- similant le viol, l'agression sexuelle, le harcèlement sexuel, l'exploitation sexuelle des femmes, la traite des femmes ou la violence domestique. Ces différentes formes d'agression sont considérées dorénavant comme consé- quences d'un statut subordonné des femmes et de discriminations à leur égard dans nos sociétés. Dans cette perspective, c’est l'existence des rap- ports d’inégalité ou de domination entre les sexes, qui "autoriserait" les hommes à frapper des femmes. (De Puy, Gillioz, Ducret 2002).

Des recherches, qui pour la plupart se focalisent sur la vie privée des femmes, ont mise en évidence également des normes et des structures inhé- rents à nos sociétés qui légitiment (explicitement ou implicitement) les agressions à l'égard des femmes. L'attention spécifique portée à la violence envers les femmes se voit justifiée par les caractéristiques particulières de ce phénomène. Par exemple, des hommes seraient plus probablement attaqués par un inconnu ou une connaissance, tandis que les femmes seraient plus probablement agressées par un membre de leur famille ou un conjoint (Ell- sberg, Heise, 2005).

Les femmes ont en effet plus de probabilité de subir des violences de la part d’hommes avec qui elles sont émotionnellement liées et dont, souvent, elles dépendent financièrement (Killias et al. 2005). Plus récemment, les

violences d'ordre psychique, comme le harcèlement, ont également été in- clues dans la liste des formes examinées.

Nous utiliserons pour la recherche la définition adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies, et acceptée par l'OMS. La Déclaration sur l'éli- mination de la violence à l'encontre des femmes (1993) donne la définition suivante de la violence à l'égard des femmes : « tous actes de violence diri- gés contre le sexe féminin, et causant ou pouvant causer aux femmes un pré- judice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y com- pris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée ».

Cette définition « englobe, entre autres, la violence physique, sexuelle et psychologique exercée au sein de la famille et au sein de la collectivité, y compris les coups, les sévices sexuels infligés aux enfants de sexe féminin, les violences liées à la dot, le viol conjugal, les mutilations génitales et au- tres pratiques traditionnelles préjudiciables à la femme, la violence non conjugale, la violence liée à l'exploitation, le harcèlement sexuel et l'intimi- dation au travail, dans les établissements d'enseignement et ailleurs, le proxénétisme, la prostitution forcée et la violence perpétrée ou tolérée par l'État." (Fact-sheet OMS; « la violence à l'égard des femmes » 2000).

En 2000, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans son rapport sur la violence envers les femmes, la qualifie pour la première fois de pro- blème de santé publique. La violence – particulièrement celle qui affecte les femmes – fait partie des priorités de l’OMS. L’Organisation finance actuel- lement une étude comparative multipays, en coordination avec le CHANGE (Center for Health and Gender Equity), dont les premiers résultats et les re- commandations, notamment méthodologiques sont accessibles (Ellsberg et Heise, 2005).

Une autre enquête internationale comparative, IVAWS, International Violence Against Women Survey (Killias et al., 2005) étudie la violence à l’encontre des femmes dans les sphères privée et publique. Les premiers résultats indiquent que les violences n’affectent pas exclusivement les fem- mes dans la sphère privée, et que les caractéristiques des auteurs de violence sont plus signifiants que celles de la victime ou du comportement de cette dernière.

En Suisse, dès 2002, la violence interpersonnelle est nommée en tant que problème global de santé publique. La Société suisse de santé publique (SSSP) fixe parmi ses objectifs une « diminution d’au moins 25% de l’incidence des actes de violences domestique, sexuelle et organisée, leurs

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conséquences sur la santé et la mortalité qui en découlent » dans le docu- ment « Buts pour la santé en Suisse ».

Néanmoins relativement peu de recherches ont été conduites sur ce thème en Suisse. En 1982, l’étude « Violence contre les femmes en Suisse » de la Commission fédérale pour les questions fédérales introduit le sujet et un Programme National de Recherche (PNR 35 – 1993) plus général a per- mis de récolter des informations précieuses sur la réalité suisse.

Le FNRS finance diverses études, notamment une étude des foyers des femmes battues (Gloor, Meier, Verwey 1995) ainsi qu’un examen quantita- tif et qualitatif de la violence vécue par des femmes en couple (Gillioz, De Puy, Ducret 1997). Plus tard, le programme nr. 40 (« Violence quotidienne et crime organisé ») a donné lieu à plusieurs études correspondantes (Killias et al. 2005).

Les conclusions de ces recherches ont notamment mis en évidence le lien qui existe entre violences physiques et rapports de dépendance dans les couples: les rapports de pouvoir au sein du couple, dont l'accès des femmes aux ressources financières et/ou le contrôle de la vie sociale des femmes par leur conjoint, concourent directement aux rapports de violences subies par les femmes. Ces dernières années, la croissance du nombre d’études témoi- gne de l’importance de ce thème. Les liens dynamiques de la violence en- vers les femmes dans la sphère privée et publique sont progressivement mis en évidence.

1.2 Violence et marché du sexe

Le travail du sexe a ceci de particulier, dans le contexte des violences à l’égard des femmes, qu’il est majoritairement exercé par des femmes. Cel- les-ci sont dans ce sens non seulement des victimes potentielles dans leur sphère privée, mais – en raison de leurs conditions de travail et des stigma- tes qui s’y attachent – également dans la sphère professionnelle.

Depuis l’émergence des études féministes, l’analyse de la prostitution en terme de rapports sociaux de sexe se divise en deux courants majeurs : dé- nonciation de l’ultime forme d’exploitation que subissent les femmes de la part des hommes (Barry, 1979) ou mise en avant de l’autonomie poten- tielle des prostituées (Pheterson 2001). L’attitude adoptée à l’égard des per- sonnes prostituées est influencée par le courant dans lequel les théories se fondent. Nous nous intéressons ici surtout au deuxième courant et à son ana- lyse du processus d'exclusion du marché du travail dit légitime. L’entrée dans la prostitution est notamment considérée comme une alternative à la

sortie de la société salariale, donc comme une conséquence du processus de désaffiliation (Castel, 1995).

Dans le contexte international, une recherche sur les violences (Cler- Cunningham et Christenson 2001) qui affectent les travailleuses du sexe de Vancouver (la prostitution est légale au Canada mais ni le fait de racoler, ni celui de vivre des revenus de la prostitution), conduite auprès de 183 per- sonnes, constate que plus de 80 % d'entre elles étaient agressées plus d’une fois dans le courant de l’année (harcèlement, vol et tentative de meurtre confondus). Cependant, la plupart des femmes violentées n’ont pas porté plainte auprès de la police. Les plaintes déposées n’ont pas donné lieu à des condamnations dans plus de 90% des cas.

En Europe, le Rapport européen inachevé sur les violences faites aux femmes dans les activités et métiers liés à la sexualité masculine (Welzer- Lang, Chaker, 2002) est l’un des rares travaux centré sur les personnes pros- tituées, qui souligne la diversité des activités et ainsi le degré divers d'expo- sition aux violences.

Une enquête internationale financée par DAPHNE, et conduite en colla- boration par cinq ONGs du terrain (France, Autriche, Espagne, Italie), a présenté ses résultats dans une publication de Cabiria, Femmes et migra- tions en Europe. Stratégies et empowerment (2004). Ce travail insiste sur la distinction entre "migration" et « traite des femmes ». La recherche a donné lieu à une campagne d'information et d'empowerment auprès de la popula- tion concernée.

Ces travaux sont essentiellement axés sur la problématique de santé, en lien avec le VIH. Toutefois, l’étude DAPHNE (Guillemaut 2004) souligne des formes multiples que recouvre la violence auprès des travailleuses du sexe migrantes4 : tant politique (par exemple : répression étatique), écono- mique (par exemple : exploitation professionnelle), que physique (par exemple : agressions physiques ou sexuelles) et psychique (par exemple : insulte, humiliation).

En Suisse, en dehors des (rares) travaux traitant du contexte de la prosti- tution (cf. état de littérature dans Chimienti, à paraître ), deux recherches soulignent les problèmes liés au cadre de travail dans les différents milieux de la prostitution ainsi qu’au contexte législatif des différents cantons. Chi- mienti (à paraître) examine les conditions de vie et de travail de travailleu- ses migrantes dans les bars à champagne, cabarets et salons de massage des

4 Modèle inspiré des travaux de Philippe Bourgeois (2002).

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cantons de Genève et de Neuchâtel et leurs effets sur les comportements de santé. L’étude de Dahinden et Stants (2006) compare la situation des dan- seuses de cabarets dans différents cantons suisses, afin notamment de com- prendre l’effet du permis de séjour.

Au moment de notre étude, une recherche bâloise, ayant une perspective similaire à la nôtre, est en préparation. LeBreton et Büschi s’intéressent aux formes de violence envers les travailleurs et travailleuses du sexe migrant-e- s, ainsi qu’aux ressources et stratégies d’action que ces dernier-e-s ont pu développer.

2. Violences dans le marché du sexe à Genève : au- teur-e-s, formes et logiques

L’exercice de la prostitution est licite en Suisse. Elle est considérée comme une activité lucrative privée et relève du principe de la liberté éco- nomique. Plus précisément, l’exercice de la prostitution est licite s’il est ef- fectué de manière indépendante, soit non salariée. Seules les citoyen-ne-s suisses, les migrantes au bénéfice d’un permis d’établissement (permis C) et, depuis l’entrée en vigueur des bilatérales en 2004, les détentrices d’un permis de séjour particulier et d’un passeport européen peuvent se déclarer5. L’article 199 du Code pénal définit et punit l’exercice illicite de la pros- titution. Il stipule qu’une personne qui enfreint les dispositions cantonales réglementant les lieux, heures et modes d’exercice de la prostitution est pu- nissable des arrêts ou de l’amende. La loi fédérale établit ainsi une norme- cadre qui oriente l’action des cantons. Ceux-ci ne peuvent pas interdire la prostitution, mais seulement la limiter (Sardi et Froidevaux 2003 ; Chimien- ti, à paraître).

En introduisant en 1994 un règlement sur la prostitution, Genève a fait œuvre de pionnier. La pratique genevoise considère les rapports tarifés comme du « travail du sexe » et réglemente ce domaine. Le canton tient un fichier des personnes prostituées et toute personne pratiquant cette activité est tenue de s’annoncer à la brigade des mœurs. Cependant, beaucoup de femmes préfèrent de ne pas se faire encarter pour éviter d’être associées à ce statut stigmatisé.

Or, les lieux du marché du sexe présentent des différences importantes influencées par des facteurs comme la licité de la prostitution ou le statut des personnes l’exerçant (indépendante, salariée, pourvue d’un permis de séjour précaire ou disposant d’une situation stable). Ces différences permet- tent de comprendre les formes variées que la violence y incarne.

5 Ainsi, les étudiantes disposant d'un permis B ne sont pas autorisées à exercer, de même que – pour l’heure - les ressortissantes des pays ayant récemment rejoint l'Union Européenne.

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Voie publique

Les personnes prostituées exerçant dans la rue doivent disposer d’un sta- tut d’indépendante. Généralement, elles rencontrent leurs clients dans la rue ou dans des établissements publiques mais effectuent généralement « la passe » dans des endroits qu’elles louent – ou plus souvent, sous-louent6. Récemment, on note dans ce milieu une augmentation des femmes venues d’autres cantons suisses ou de pays de l’Europe des quinze.

La frontière entre voie publique et salon de massage s’estompe avec le phénomène des sex-centers. Dans ces nouveaux lieux de prostitution, les femmes indépendantes acceptent un « contrat de prestation » avec la direc- tion de l’établissement et risquent ainsi de ne plus être en mesure d’organiser leur activité librement. En effet, les horaires, prestations et prix sont en grande partie déterminés par les pourvoyeurs de ce type d’espace de travail (Aspasie 2005).

Salon de massage

Les salons de massage sont également des lieux de prostitution officielle pour les personnes pouvant prétendre à un statut d’indépendante. Le terme salon de massage recouvre une réalité multiple : personne travaillant seule (nous parlerons dans ce cas de studio) ou à plusieurs dans un même local (nous parlerons dans ce cas de salon). Ces lieux relèvent de la sphère privée et n’ont dès lors pas besoin de patente particulière pour ouvrir.

Le contact avec la clientèle s’effectue habituellement par voie d’annonces dans les journaux ou via Internet. L’offre de service peut aussi se passer dans la rue ou dans un établissement public (Viranyi, 2005).

L’augmentation de l’activité prostitutionnelle dans les salons « semble sui- vre une évolution qui répond tant au choix d’une clientèle plus désireuse d’anonymat qu’à une opinion publique qui accepte plus facilement la dissi- mulation de l’exercice d’une activité considérée généralement comme plus dérangeante lorsqu’elle est plus visible » (Sardi et Froidevaux 2004 : 186).

Parallèlement, les moyens de télécommunications actuels (téléphones porta- bles et Internet) rendent les femmes plus mobiles et facilitent ainsi la sollici- tation des clients par des moyens variés.

6 Nous n’avons pas mené d’entretiens avec des travailleuses du sexe exerçant en voiture.

Bar à champagne

Les bars genevois sont considérés comme des lieux publics. La prostitu- tion et l’incitation à la consommation d’alcool n’y sont pas autorisées. Lors d’un contrôle de la police des mœurs, les employées sont enregistrées comme hôtesses. Cette activité est tolérée alors qu’aucune autorisation ne le permet formellement. Ce paradoxe illustre le fait que seul le statut de séjour des employées – et pas la nature de leur travail - préoccupe les organes de contrôle. L’employeur court plus le risque de se voir sanctionné pour emploi illégal plutôt que pour encouragement à la prostitution.

Les employées doivent être au bénéfice d’un contrat de travail stipulant notamment les conditions salariales, l’activité et les horaires. Dans la prati- que, ce n’est presque jamais le cas. L’informalité caractérise ce milieu, tant sur le plan législatif que dans les conditions réelles de travail.

Les hôtesses reçoivent un gain journalier et un pourcentage sur les bois- sons consommées par elles et leurs clients. Dans ce milieu, comme dans celui des cabarets, les employées sont contraintes à boire : leurs consomma- tions et celles de leurs clients sont en effet la condition sine qua non de tout contact avec ces derniers. La sexualité tarifée à l’intérieur des bars demeure particulière. Discrète et accompagnée d’autres activités, la fréquence des passes est moins rapide que dans les lieux reconnus de la prostitution (Chi- mienti, à paraître).

Cabaret

Les cabarets emploient des danseuses salariées pour effectuer des spec- tacles de strip-tease. L’incitation à la consommation de l’alcool et l’activité prostitutionnelle y sont officiellement interdites. La directive fédérale stipu- lant « qu’aucune autorisation pour danseuse de cabaret ne sera accordée aux établissements offrant des chambres séparées, clubs privés et salons de mas- sage ; ou aux locaux qui proposent des représentations devant le client, au bar ou sur les tables » et sensée limiter la prostitution clandestine des dan- seuses, n’est pas appliquée dans le canton de Genève.

Le permis L, dont bénéficient les danseuses de cabaret ressortissantes de l’UE ou de l’AELE, est lié à un contrat de travail et n’est valable qu’un mois. Permis et contrat sont renouvelables mensuellement jusqu’à huit mois maximum par année. Ce permis provisoire ne permet en aucun cas un éta- blissement en Suisse. Il n’autorise pas le regroupement familial et ne donne

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pas le droit de travailler dans un autre secteur d’activité. L’activité de dan- seuse doit être exercée à plein temps7. (Chimienti, à paraître).

Les bases légales régissant l’emploi de danseuses avec permis L relèvent de l’ordonnance fédérale limitant le nombre d’étrangers en Suisse (OLE).

Cette dernière fixe les contingents de danseuses étrangères par canton. Mais la marge de manœuvre des cantons reste importante concernant la gestion des établissements et l’emploi des danseuses, la majeure partie des décisions concernant les permis L relevant de la seule compétence cantonale (le nom- bre de danseuses par établissement, le salaire minimum, les contrôles et sanctions). Actuellement, quelque 200 permis sont délivrés par mois à Ge- nève selon des chiffres communiqués par Aspasie. (Pour une comparaison des pratiques en Suisse, cf. Dahinden et Stants 2006).

Situation précaire : statut de séjour et niveau économique

Dans les quatre contextes étudiés, une situation de séjour provisoire ou irrégulière s’avère être un facteur particulièrement fragilisant pour les tra- vailleuses du sexe migrantes. Onze de nos informatrices étaient dans une telle situation (cf. annexe 1) disposant de statuts de séjour provisoire (per- mis L, touriste, sans permis) et dix autres bénéficiaient d’un permis B8. Le statut précaire diminue considérablement la marge de manœuvre face aux différentes formes de violence précitées et renforce l’impression des fem- mes qu’elles ne peuvent pas s’adresser à la police.

« …les personnes illégales ne peuvent pas avoir une opinion, n’ont pas la possibilité de choisir. Moi aussi quand j’étais illégale je devais faire ça [obéir à la patronne]. Mais à partir du moment que j’ai mes documents, je fais ce que je veux. Si la patronne me dit « tu vas faire ça » je ne suis pas obligée. Je n’accepte pas, je ne me laisse pas faire. Même si elle est exigeante, je dis : « ou c’est comme ça, ou je m’en vais. Mais les personnes sans papiers n’ont pas d’autres op- tions, elles doivent accepter, ou si elles n’acceptent pas, s’en aller. (…) Et si tu n’as pas où aller, tu es obligée d’accepter. » (FG_trans_C_amérique latine).

7 Une étude récente (Dahinden et Stants 2006) a conclu que le permis L pro- tège davantage qu’il ne détériore la situation des danseuses.

8 Seulement douze disposaient d’une situation de séjour stable (un permis d’établissement C ou suissesses). Pour trois personnes la situation de séjour n’a pas pu être identifiée.

De même, certaines migrantes ont dû s’endetter pour effectuer le voyage vers l’Europe et ont passé une première période à rembourser leurs dettes :

« Quand je suis venue, j’ai accepté une dette, d’une va- leur X très haute, dieu merci j’ai réussi à payer»

(FG_trans_E_amérique latine).

Evoquant un trajet migratoire difficile, quelques informatrices relatent des cas de séquestration (ayant eu lieu hors de Genève) qui pour une minori- té9 ont été vécus personnellement :

« [La pression psychologique des patrons consiste à]

prendre 50%, à laisser la personne enfermée et à l’obliger à travailler sans pouvoir sortir...une pression extrêmement forte. » (FG_trans_B_amérique latine).

« [A Lausanne] il y a eu des personnes qui amenaient des gens du Brésil, les enfermaient dans une chambre, leur demandaient 15000 ou 20000 euros et ne laissaient la per- sonne s’en aller que quand elle avait tout payé. Ils obli- geaient à faire des clients, il y avait une taxe…Quand la personne avait tout l’argent, on la libérait. Donc elle était obligée de rester enfermée, elle ne sortait que quand elle payait. Il paraît que certaines de ces personnes ont été en prison. Mais pas toutes…ça existe encore sûrement. » (FG_trans_C_amérique latine).

« Quand je suis arrivée en Suisse, on voulait m’exploiter.

On m’exploitait, on m’exploitait…On me faisait coucher à 4h du matin, on me faisait lever à 8h. Jusqu’à ce que je dise non, je m’en vais, je ne peux pas vivre comme ça. » (rue_5_amérique latine).

Certaines sont venues attirées par de fausses promesses (comme par exemple un poste de travail dans le restauration) et ont débuté le travail du sexe suite à une déception.

« Moi je n’avais pas de papier, je suis venue ici pour voir ma soeur qui est à Zurich, j’ai travaillé onze mois là-

9 Quatre femmes ont abordé ce sujet lors des entretiens, mais il est toutefois possible que d’autres cas existent au sein de notre échantillon.

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bas, elle a rien payé. Moi je lui ai dit « Je veux partir. » (…) J’ai dit que je voulais partir alors je suis venue là, je connaissais une copine, j’habitais avec les réfugiés (…) et une copine m’a dit « Tu viens à Payerne, tu viens travail- ler. » [dans un salon]. J’ai travaillé trois mois, la patronne elle m’a adoré, jusqu’à maintenant. Je suis partie, j’ai connu mon mari là-bas. » (salon_4_amérique latine).

Ces éléments (dettes, séquestration, fausses promesses) nous rappellent certains aspects de la définition du trafic voir même de la traite des femmes.

Ces filières de prostitution « peuvent être qualifiées de formes opportunistes de trafic de femmes, en ce sens qu’elles ne dépendent pas de projets crimi- nels structurés, basés sur la contrainte et inscrits dans la durée, mais qu’elles résultent d’activités illégales destinées d’une part, à répondre aux besoins du marché local de la prostitution et, d’autre part, à rentabiliser l’exercice de la prostitution mené la plupart du temps de manière volontaire (tourisme sexuel) » (Sardi et Froidevaux 2003 :8). Les cas énoncés représentent des situations de vulnérabilité et de violence extrêmes. Cependant les informa- trices concernées ne se sont pas définies comme des victimes.

Un statut de séjour irrégulier a pour autre effet de criminaliser dans cer- tains cas les personnes dans cette situation (Wolffers 2001). Les personnes interviewées hésitent pour ces raisons à recourir au système légal et crai- gnent la police :

« Dans mon cas, pour quelqu’un qui n’a pas de papiers, des fois tu passes par des choses dans la rue, de la violence, et personne n’appelle la police par peur…que la police dise : « Ah, toutes les deux vous n’avez pas de papiers.

Alors toi tu retournes dans ton pays, et toi dans le tien ! » Et ça arrive souvent. Il y a déjà eu le cas d’une amie à moi, (…) elle a eu une histoire avec un Africain, une agression.

Elle a appelé la police, et c’est elle qui a été expulsée, lui il est resté. Et ça je crois que c’est le plus grand problème.

C’est [de la violence] psychologique aussi, la peur d’être expulsée» (FG_trans_E_amérique latine).

Certaines travailleuses du sexe, sans papiers, sont cachées par leurs col- lègues à l’arrivée de la police. Ainsi, dans nombre d’établissements, les dis- positifs de caméras de surveillance serviraient autant à détecter les policiers que les clients agressifs. Ces informations corroborent l’hypothèse selon laquelle la prostitution de salons serait plus propice au développement d’une prostitution illégale (Sardi et Froidevaux 2003).

Dans les bars, les femmes en situation irrégulière qui n’auraient pas le temps de quitter les lieux avant le contrôle policier, tenteraient alors de se fondre dans la clientèle.

« Les filles qui n’ont pas de papier (…) en général, si el- les croient qu’il y a la police, elles partent [par la] sortie de secours. Ou bien elles s’habillent tout de suite et elles font comme si c’était des clientes. » (bar_4_afrique).

Hormis la question du séjour précaire, nos informatrices courent des ris- ques de violence en raison des difficultés économiques qu’elles rencontrent.

Si le marché du sexe a toujours été un milieu où les gains sont imprévisibles et fluctuants, l’augmentation du nombre de travailleuses du sexe et des types de services (pour n’en citer que quelques-uns en dehors de ceux étudiés dans cette recherche : escorting, sexe center ou encore téléphone rose) tend à susciter une offre plus importante que la demande. Il s’en suit une baisse du chiffre d’affaires qui serait liée à une crise généralisée touchant les lieux de la sexualité tarifée. Cette difficulté économique crée une forme diffuse de pression qui est perçue comme une violence supplémentaire de la part des femmes interrogées sans qu’on puisse désigner un auteur en particulier.

« [Le plus grand problème] c’est de ne pas avoir de client. Ça c’est un gros problème : il n’y a pas de client, il y a plus de femmes que de clients. » (FG_salon_amérique la- tine).

« Dans ce travail, t’es un esclave. Si tu ne l’es pas, tu le deviens, parce que par exemple si tu te fais un horaire de travail, mais avec cet horaire, tu ne gagnes pas ce dont tu as besoin, alors tu dois faire plus d’heures pour gagner ce dont tu as besoin économiquement. » (rue_7_amérique latine).

Une collaboratrice d’Aspasie note qu’il est émotionnellement difficile de gérer le fait d’être dans le besoin puis de recevoir subitement une forte somme d’argent. Day (1994) dans son travail concernant le rapport de cer- taines prostituées londoniennes à l’argent indique également le fossé qui semble séparer deux tactiques concurrentes : le désir de dépenser au- jourd’hui et celui d’économiser en prévision de l’avenir10.

10 Un troisième cas de figure concerne celles qui ne peuvent pas économiser d’argent, car, comme de nombreuses autres migrantes, elles envoient la plus

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Enfin, un élément concret accentue les difficultés financières : les frais de publicité dont les travailleuses indépendantes doivent s’acquitter. Certai- nes de nos informatrices ont déploré les pratiques des agences publicitaires qui font payer plusieurs fois le prix d’une annonce standard les annonces en rubrique « détente »11.

Afin d’avoir une compréhension globale de la violence à l’égard des personnes travaillant dans le marché du sexe nous distinguons la violence exercée dans la sphère publique de celle ayant lieu dans la sphère privée, les rapports de pouvoir et par conséquent la capacité de défense de la personne qui subit la violence étant différents dans ces deux sphères. Dans un premier temps nous nous intéressons à la violence dans la sphère publique, soit la violence exercée dans le cadre du travail (chapitre 2.1). Puis, nous obser- vons les cas de violence dans la sphère privée (chapitre 2.2). Les cas de vio- lence discutés sont structurés selon les auteur-e-s ou les causes (lorsque au- cun auteur n’est évoqué) des différentes manifestations de violence, étant donné qu'une même manifestation de violence est perçue différemment par la victime, en fonction du contexte (identité de son auteur-e ou situation personnelle de la victime). Nous les présentons par ordre décroissant d’importance (des plus cités aux moins cités) : violence commise par les clients (2.1.1) ; par les collègues (2.1.2) ; par les responsables du lieu de l’exercice (2.1.3) ; par des passants (2.1.4) ; par la police (2.1.5) et finale- ment de type institutionnelle (2.1.6). Pour chaque cas, nous analysons trois types de violence : économique, physique et psychologique en mettant en évidence les homologies et différences entre les lieux de l’exercice. Ainsi nous considérons la forme spécifique que prennent les situations de prostitu- tion en fonction du lieu en regroupant - partout où cela fait sens – l’expérience des femmes disposant d’un statut d’indépendante (rue et salon) et celle des salariées (bar et cabaret). Les personnes transgenres travaillent dans plusieurs milieux (rue, salon, cabaret) et ont des statuts de séjour di- vers. Nous nous concentrons dans la conclusion sur les particularités de leur parcours prostitutionnel.

grande part de leurs gains à leur famille restée au pays d’origine afin que celle-ci puisse simplement survivre ou parfois vivre mieux et élever leurs enfants restés sur place (Mossuz – Lavau et Teixeira 2005).

11Suite aux protestations des usagères, il n'est plus nécessaire de présenter une version dactylographiée des annonces.

2.1. Violences dans le cadre du travail

Dans la sphère de travail, les personnes prostituées sont exposées à di- verses contraintes, partiellement liées à la nature de leur activité, partielle- ment induites par des logiques d'une économie informelle. Les informatrices interrogées ressentent et identifient ces contraintes, aux origines multiples, comme des violences.

2.1.1. Clients

Malgré les différences de fonctionnement entre les milieux, le marché du sexe implique toujours une demande que personnifie le client. Ainsi les vio- lences commises par les clients forment le point commun principal entre les quatre milieux examinés. Ces violences prennent cependant des formes va- riées, mais nous n’avons pas observé de différences majeures en fonction des diverses conditions de travail propre à chaque lieu.

Les travailleuses du sexe rapportent l’insistance des clients pour des rapports non protégés qu’elles perçoivent comme une pression pénible. De même, elles soulignent la vigilance nécessaire pour prévenir des actes de

« sabotage » : les cas où le client essaie de retirer, voir d’endommager, le préservatif pendant le rapport à l’insu de la femme.

« Certains disent : Ah, on va faire sans. Et on dit que non. Et certains essaient de l’enlever sans qu’on le remar- que. » (rue_2_amérique latine).

Les informatrices ont également déploré l’irresponsabilité du client qui, en cas de rupture de préservatif, ne se laisse pas contrôler.

« Une fois, avec un client, le préservatif s’est déchiré.

J’ai appelé la patronne et… j’étais en état de panique, alors il [le client] nous a donné un faux numéro. On devait contrôler le numéro sur le coup mais on n’a pas contrôlé le numéro du monsieur pour qu’il fasse l’analyse lui-même. » (salon_2_maghreb).

Il est intéressant de constater que les travailleuses du sexe conçoivent de nos jours la demande de rapports sexuels tarifés non protégés comme une violence ce qui n’était pas le cas au début de l’épidémie du VIH/sida (Ma- thieu 1999, 2004 ; Handman 2005). A ce sujet, il semble y avoir une diffé- rence entre les lieux. Le thème des rapports sexuels non tarifés et

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l’insistance pour des rapports non protégés de la part des clients est plus dif- ficile à aborder dans les lieux où la prostitution n’est pas officielle et où les femmes ne bénéficient pas d’une situation stable de séjour. Cela a pour conséquence un certain manque de professionnalisme des femmes travail- lant dans ces lieux, impliquant une sexualité tarifée non protégée (notam- ment avec des clients avec lesquels un lien de confiance a été établi) ou tari- fée par des « cadeaux » plutôt que par de l’argent (Chimienti à paraître).

La violence du client à caractère économique est également parmi les cas de violence les plus mentionnées et des plus problématiques pour nos informatrices (tout lieu confondu). Elle prend différentes formes : du vol à l’insu de la travailleuse du sexe au refus de paiement en passant par le mar- chandage.

« Ça peut arriver que le client ne veut pas payer ou consomme quelque chose et après il ne veut pas payer. Et puis après ça peut faire des problèmes. Bon, ils ont un peu bu mais… » (bar_1_europe de l’est).

Un vol peut s’accompagner de violences physiques. L’informatrice sui- vante raconte par exemple qu’une fois le rapport consommé, certains clients reprennent leur argent de force ou volent les valeurs de la travailleuse du sexe.

« Beaucoup veulent qu’on leur rende l’argent ou ils nous volent. (…) Bon, on est les deux, normal, le temps supposé est passé, j’ai fait ce que j’avais à faire [le service sexuel], et voilà, et il commence : « mon argent, je veux que tu me le rendes », sinon ils nous le prennent, devien- nent agressifs et commencent à nous frapper et nous insul- ter aussi. » (rue_1_amérique latine).

Le vol paraît plus courant dans le contexte de la rue et des salons, et moins fréquent dans les bars et cabarets. Nous supposons que la présence de nombreuses personnes dans l’espace de travail (collègues, personnel du bar, portier, etc.) préserve les femmes qui y travaillent.

La violence physique sans but spécifique serait plus rare12, mais néan- moins présente dans les quatre milieux comme en témoigne les citations suivantes :

12 Il est à noter que nous n’avons pas enregistré des récits de viol de la part des clients.

« J’ai une copine, il y a un mec qui est venu au salon et puis il l’a un peu violentée, un peu secouée, quoi. » (sa- lon_1_UE).

« Ils ne s’en rendent pas compte, peut-être ils partent…

comment dire… ils partent trois, quatre secondes dans un délire. Le client est capable de faire comme cela [geste de strangulation], il ne s’en rend pas compte. » (sa- lon_2_maghreb)

Différentes situations regroupent tant des aspects de violence physique que psychologique. Une doléance particulière – et récurrente – concerne par exemple le manque d’égard qu’ont les clients pendant la « passe » :

« Et puis la façon dont ils nous prennent on va dire.

C’est très fort, on va dire, comme une machine. (…) s’il me prend comme une machine, ça me fait mal » (sa- lon_4_amérique latine).

Des cas semblables d’humiliation ont lieu dans différents types de rap- ports sexuels tarifés, dont notamment pendant la fellation :

« La violence physique [c’est de] forcer la fille à la fel- lation, enfin la forcer… appuyer sur sa tête » (salon_1_UE).

Ce type de violence peut également être attribué à toute transgression des codes implicites du lieu. Ces codes (non écrits) régissent la vie à l’intérieur de l’établissement dans le menu détail et impliquent notamment une « cartographie des corps » (Welzer-Lang, 1994 :155), c’est-à-dire une hiérarchisation et valorisation des différents parties du corps des travailleu- ses du sexe. Etant donné que dans les bars et cabarets la sexualité tarifée est moins directe (Chimienti, à paraître), les barrières sont plus importantes, ce que ne respectent pas certains clients. Ainsi, le client du bar qui caresse les fesses d’une hôtesse dès son arrivée se comporte « normalement », mais un homme qui toucherait des zones du corps de l’hôtesse auxquelles il n’aurait accès qu’après une certaine dépense, est considéré comme un rustre.

« [Le client te paye] une coupe et il va t’emmerder. Voi- là, bla bla bla bla, et il veut te toucher [la poitrine] pour une coupe. » (bar_4_afrique.)

Certains clients inciteraient les travailleuses du sexe à consommer de la drogue :

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« Il y a beaucoup de clients qui te proposent, mais moi je n’accepte pas. (…) Ils proposent, ils ne m’obligent pas.

(…) Dans la prostitution, c’est courant. » (FG_trans_salon_amérique latine).

Un reproche concerne encore le manque de hygiène de certains clients dans la rue dont la saleté est perçue comme une forme de mépris :

« Le manque d’hygiène des clients, c’est aussi un pro- blème. Du moins pour moi. Il viennent souvent sales, et même si on a une douche… » (rue_2_amérique latine).

La violence psychologique est donc très courante et revêt différentes formes. Cependant ce type de violence bien qu’ayant des conséquences psy- chologiques sur les informatrices est celle contre laquelle elles parviennent le moins à s’opposer. Les propos racistes ont souvent été critiqués par nos informatrices:

« Bon, il arrive, il te fait même des insultes parce que t’as la peau noire : « Vous les africaines… » Moi une fois, j’ai été vers un client qui est arrivé, j’étais toute gentille avec lui et il me dit « Ho vous les africaines, on vous connaît hein, vous êtes comme ça, vous êtes ceci, vous êtes cela. » Et il dit « Il y a quelque chose qui ne vous plait pas ? », [j’aurais aimé répondre] « Non, mais va te faire foutre. » (bar_2_afrique).

La violence verbale paraît omniprésente dans les quatre milieux, elle est cependant banalisée par certaines femmes.

« [Quand le client dit pour] humilier, « Sale pute !», vous voulez dire quoi ? Hein ? Si ça lui fait du bien. (Rires) Moi je n’ai pas envie de rentrer dans son jeu, je dis rien. » (salon_3_ch).

« Une fois un mec [un client] m’a dit « tire-toi!! »…

« Tire-toi connasse » et tout!! Je te jure, je pleurais. (…) [Ça touche aussi les autres filles]…sur le moment, elles font comme si…pfft!ça ne les touchait pas… (…) mais après…tu les vois dans la salle de bain en train de pleurer.»

(bar_6_afrique).

Une dernière forme de violence psychologique concerne le harcèlement de la part des clients qui contactent les femmes pour leur déclarer leur

flamme. Souvent, ces déclarations insistantes sont des préliminaires pour une tactique de marchandage :

« Il y a beaucoup de clients qui te racontent n’importe quoi, ils viennent ils te disent qu’ils t’aiment, t’invitent à faire l’amour et quand ils reviennent après, ils veulent tout avoir gratuit. » (bar_3_europe de l’est).

Une collaboratrice d’Aspasie remarque la volonté des clients de passer d’une relation professionnelle à une relation de nature privée, dans le but d’avoir des rapports gratuits. Cette forme de harcèlement est plus courante dans les bars et les cabarets, de par la logique du fonctionnement des lieux : une illusion de flirt entre les clients et les professionnelles. Les menaces ou les appels insistants touchent davantage les femmes exerçant en salon ou dans la rue :

« J’ai un client maniaque qui continue à m’envoyer des messages obscènes, et même si je lui dis de ne plus m’en envoyer…Je vais devoir changer de numéro. [Ça te stresse beaucoup ?] Ben, il t’envoie des messages à 2h ou 3h du matin, tu es en train de dormir…. (rue_6_amérique latine).

Le fait de travailler seule (comme c’est plus souvent le cas dans la rue ou dans un salon) et la consommation d’alcool (plus fréquente dans les bars et les cabarets) augmentent l’ensemble de ces risques.

2.1.2 Collègues

L’insécurité régnant dans le marché du sexe notamment en termes éco- nomiques crée d’importantes tensions entre les femmes travaillant dans ce domaine. La situation de concurrence est perçue comme particulièrement violente par la plupart des personnes interrogées, sans distinction du milieu.

La violence est dans ce cas double : hormis la manifestation de violence, le fait de ne pouvoir compter sur ses pairs est ressenti comme une violence supplémentaire.

Une collaboratrice d’Aspasie remarque cependant que les collègues concurrentes, les « bouc émissaires » changent avec le temps : comme dans d’autres secteurs d’activité, les nouveaux travailleurs (souvent caractérisé par les migrants) représentent une concurrence. Ainsi après les toxicodé- pendantes et les « Russes », c’est au tour des transgenres d’être accusées de

« voler » les clients, de baisser les prix de la passe ou encore d’exercer sans

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« éthique » professionnelle en acceptant voire en proposant des passes non protégées.

Cette concurrence donne lieu à de la violence de type psychologique no- tamment verbale. Dans la rue, elle engendre des conflits de territoire :

« Des bagarres de territoire, toujours le territoire, comme si elles avaient acheté la rue. Toujours en train de se battre pour le petit morceau. Pour rien d’autre que ça. La majorité c’est ça, elles se battent pour… « Non, ne te mets pas là, ne reste pas là, ne me regarde pas là » aïe, toujours pour le territoire. » (rue_1_amérique latine).

Dans les établissements (salons, bars ou cabarets), les disputes concer- nent l’approche des clients et le premier contact avec ceux-ci :

« On avait une collègue, elle ouvrait toujours les portes quand monsieur montait, alors on trouvait ça pas juste, in- correct ! Laissons les gens aller où ils ont envie. Donc elle essayait toujours d’ouvrir la porte et puis, « Pssst, pssst… » et puis, voilà. Donc là on n’est pas d’accord, évidemment ça, ça donne des problèmes. » (salon_3_CH).

Toutefois, ces divergences sont souvent banalisées et comparées à n’importe quel autre conflit de travail :

« Mais on passe plus de temps ici qu’à la maison donc c’est normal. De temps en temps, on va dire on s’engueule, mais après on se parle et on règle le problème. Et si ça ne s’arrête pas, on laisse passer un temps (…) L’argent, le nombre de clients, c’est de la jalousie et puis c’est partout de toute façon, que ce soit pour le boulot, moi j’ai vu des copines qui bossaient pour Rolex, et puis sa collègue qui ar- rivait, « T’as fais combien de pièces aujourd'hui ? », tout ça pour savoir si elle en avait fait plus qu’elle, donc… ça se voit partout, partout où tu vas t’auras une mauvaise entente avec un collègue, ou… ça peut passer partout, c’est comme je dis, on ne peut pas être aimé par tout le monde, heureu- sement. » (salon_4_C_UE).

Lorsque la concurrence déloyale se manifeste par la transgression des codes implicites des lieux, celle-ci n’est cependant plus tolérée par les col- lègues de travail. Ces codes régissent notamment la manière dont on peut – ou pas - s’approcher des clients.

« Nous sommes mécontentes des collègues dominicai- nes car elles sont trop insistantes, vont trop vite. A peine le client est-il arrivé, qu’elles sont déjà sur ses genoux.

(…)[Selon les règles du cabaret] tant que le client n’a pas son verre de champagne devant lui, on ne l’approche pas.

Et par exemple cette fille dominicaine y va directement.»

(FG_cabaret_europe de l'est).

Dans un contexte où plusieurs femmes travaillent dans un même espace (cabaret, bar, certains salons), médire sur ses collègues auprès des clients est une pratique courante bien que fortement critiquée :

« Des fois elle [la collègue du travail] peut dire que t’es une conne ou bien « C’est une voleuse » ou quelque chose comme ça, c’est toujours de la jalousie, ce genre de truc.

C’est pour que le client ne reste pas avec toi. Ou bien « Elle est agressive, elle se bagarre tout le temps avec toutes les autres, elle a arraché la tête à un autre. », des choses comme ça. Alors après, forcément, le client a peur. (Rires). » (bar_4_afrique).

Afin de lutter contre la personne déloyale, il peut se produire « une guerre larvée de tous contre tous pouvant aboutir à des pratiques d’exclusion de l’espace (au sens matériel du terme) de la prostitution ou d’agression physique, ensemble de pratiques que l’on pourrait qualifier de

« conduites de désagrégation collective » (Mathieu, 2000 : 112).

« [S’il y a une fille qui pose problème, qui n’est pas ap- préciée par les autres, il arrive que les autres se liguent contre elle]… Jusqu’à ce qu’elle parte. Ça peut arriver quant une fille elle travaille mieux que toutes les filles. Et puis après les filles lui mettent tellement la pression que elle ne peut que craquer la fille. (…) On lui montre qu’elle n’est pas bienvenue. (…) En parlant à côté d’elle, qu’elle entende bien ce qu’on lui dit sur elle. » (bar_6_afrique).

Cette opposition ne signifie pas cependant qu’une solidarité s’installe en- tre les collègues, mais ressemble davantage à une alliance provisoire de for- tune, symbolisant une communauté de destin sans véritable cohésion identi- taire au groupe (Mathieu 2004).

« On va se regrouper, on va faire un clan contre telle fille, du coup elle va se retrouver toute seule et puis bon,

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