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Le nouveau droit international privé communautaire en matière de responsabilité extracontractuelle

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Le nouveau droit international privé communautaire en matière de responsabilité extracontractuelle

KADNER GRAZIANO, Thomas

KADNER GRAZIANO, Thomas. Le nouveau droit international privé communautaire en matière de responsabilité extracontractuelle. Revue critique de droit international privé (Rev.

crit.) , 2008, p. 445-511

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:44597

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1. - DOCTRINE ET CHRONIQUES

Le nouveau droit international privé communautaire en matière de responsabilité

extracontractuelle

(règlement Rome Il)*

Thomas kADNER GRAZIANO Genève

A. - INTRODUCTION

B. - LA RESPONSABILITÉ DÉLICTUELLE

I. - Le rattachement subjectif: autonomie de la volonté 1. L'élection ex post

2. L'élection ex ante

3. Choix de règles non étatiques 4. Liberté de choix et droits des tiers

(*) Littérature sommaire : Bernard Audir, Droit international privé, 4' éd., Paris, 2006 ; Th. M. de Boer, « Party Auronomy and irs Limitations in rhe Rome II Regularion », Yearbook of Private International Law 2008. 19-29 ; Olivera Boscovic, " Le domaine de la loi appficable '" in Corneloup er Joubert (dir.), infta, p. 183-195 ; Carine Brière,

" Réflexions sur les interactions entre la proposition de règlement "Rome II" er les conventions internationales '"]Dl 2005. 677-694 ; Sabine Corneloup er Natalie Jou- bert (dir.), Le règlement communautaire " Rome Il» sur la loi applicable aux obligations extracontractuelles, Paris, 2008 ; Sabine Corneloup, " La responsabilité du fair des pro- duits », in Corneloup er Joubert (dir.), supra, p. 85-106 ; Patrick Courbe er Fabienne Jaulr-Seseke, " Droir international privé janvier 2007-mars 2008 '" D. 2008. 1507, § B ; Dicey, Morris er Collins, Conflicr of Laws, 14' éd., Londres, 2006; Jan von Hein,« Die Kodifikarion des europaischen IPR der auBerverrraglichen Schuldverhalrnisse vor dem

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II. - Le rattachement objectif: règles générales 1. Lex loci delicti commissi

2. Risque d'une réparation partielle du dommage en cas d'application de la !ex loci delicti commissi ?

3. Application de la loi de la résidence habituelle commune des par- ties dans le même pays

III. - Rattachement en cas de lien manifestement plus étroit avec un autre pays

1. Rattachement accessoire

2. Rapport entre rattachement accessoire et choix du droit applicable ex ante

IV. - Le droit applicable aux accidents de la circulation routière 1. La relation entre le règlement Rome II et la Convention

de La Haye de 1971

2. Perspectives pour une future solution du problème (article 30, alinéa 1, litt. ii, du règlement Rome II)

V. - Le rattachement du préjudice subi par les victimes par ricochet VI. - Délits complexes ou à distance

1. Règle générale

2. Responsabilité du fait des produits défectueux

Abschluss ? », Versicherungsrecht (VersR), 2007. 440-452 ; Peter Huber/Martin Illmer,

« International Product Liability - A Commentaty of Article 5 of the Rome II Regu- lation >>, Yearbook of Private International Law, 2008. 31-47; Natalie Joubert,« Les règles de conflit spéciales en matière de délits dans le règlement du 11 Juillet 2007 (Rome

II) >>, in Corneloup et Joubert (dir.), supra, p. 55-84 ; Thomas Kadner Graziano, La

responsabilité délictuelle en droit international privé européen, Bâle et al., 2004 ; idem, Gemeineuropaisches Internationales Privatrecht, Tübingen, 2002 ; idem, « La coordination des règlements européens et des conventions internationales en matière de droit inter- national privé - L'exemple des futurs règlements "Rome II" et "Rome I" : appréciation des différentes options, critique et proposition, Revue suisse de droit international et européen (RSDIE), 2006. 279-293 ; idem, « Todliche Flussfahrt auf dem Mekong - Anknüpfung der Ansprüche von Angehi:\rigen im europaischen Deliktskoordinationsrecht (zum Urteil der franzosischen Cour de cassation, 1" Ch. civ., 28.10.2003, Pays-Fourvel c. Société Axa Courtage >>, Praxis des Internationalen Privat- und Verfahrensrechts (IPRax), 2006.

307-313 ; Jan Kropholler, Internationales Privatrecht, 6' éd., Tübingen, 2006 ; Stefan Leible/Andreas Engel, « Der Vorschlag der EG-Kommission fur eine Rom II-Verord- nung », Europaische Zeitschrift far Wirtschaftsrecht (EuZW), 2004. 7-17 ; Stefan Leible/Matthias Lehmann, « Die neue EG-Verordnung über das auf auGervertragliche Schuldverhaltnisse anzuwendende Recht (Rom II) », Recht der Internationalen Wirtschaft (RIW), 2007. 721-735 ; Gérard Légier, « Le règlement Rome II sur la loi applicable aux obligations extracontractuelles, Aperçu rapide »,]CP 2007, Actualités n° 348 ; Eric Loquin, « La règle de conflit générale en matière de délit dans le règlement d~l 1 juillet 2007 (Rome II) », in Corneloup et Joubert (dir.), supra, p. 35-53 ; Yvon Loussouarn/Pierre Bourel/Pascal de Vareilles-Sommières, Droit international privé, 9' éd., Paris, 2007 ; Pierre Mayer/Vincent Heuzé, Droit international privé, 9' éd., Paris, 2007 ; Gerhard Wagner, Die neue Rom II-Verordnung, IPRax 2008. 1-17 ; idem, « Internationales Deliktsrecht, die Arbeiten an der Rom II-Verordnung und der europaische Deliktsge- richtsstand », IPRax 2006. 372-390.

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3. Atteintes à l'environnement

4. Concurrence déloyale et actes restreignant la libre concurrence 5. Atteintes aux droits de propriété intellectuelle

6. Responsabilité du fait de grève ou de lock-out

7. Atteintes à la vie privée et aux droits de la personnalité

C. - BREF APERÇU DES RATTACHEMENTS DES AUTRES RESPONSABILITÉS EXTRA CONTRACTUELLES

I. - Culpa in contrahendo II. - Gestion d'affaires

III. - Enrichissement sans cause D. -QUESTIONS GÉNÉRALES

I. - Domaine de la loi applicable 1. Principe

2. La prescription

II. -Action directe et subrogation 1. L'action directe

2. Subrogation

III. - Dispositions impératives et ordre public 1. Dispositions impératives

2. La réserve d'ordre public IV. - Exclusion du renvoi E. - Bilan et perspectives

À partir du 11 janvier 2009, le « règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II) » (1) sera applicable dans vingt-six États membres de l'Union européenne (2).

Il s'appliquera aux faits générateurs de dommages survenus à partir du 19 août 2007 (3). Le règlement a un caractère universel (4) et s'appliquera par conséquent même si la loi désignée n'est pas celle

(1) JOUE L 199 du 31 juillet 2007, p. 40-49. Pour un aperçu du droit internatio- nal privé en vigueur en Europe avant l'entrée en vigueur du règlement Rome II, v. Kad- ner Graziano, La responsabilité délictuelle en DIP européen, 2004.

(2) Le Royaume-Uni et l'Irlande participent à l'adoption et à l'application du règle- ment Rome II, v. le considérant 39 du règlement Rome II. Conformément aux articles l" et 2 du protocole sur la position du Danemark annexé au Traité sur l'Union européenne et au Traité instituant la Communauté européenne, le Danemark ne participe pas à l'adoption du règlement Rome II, v. le considérant 40 du règlement Rome II. Pour la date d'entrée, v. l'article 32 du règlement Rome II.

(3) Art. 31 du règlement Rome II. Le règlement est entré en vigueur 20 jours après la publication dans le JOUE.

(4) Art. 3 du règlement Rome II.

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d'un État membre de l'Union européenne. Par rapport au DIP français en matière extracontractuelle, le règlement Rome II apportera des changements considérables et de nombreuses solutions nouvelles (5).

La contribution suivante présentera les points de rattachement du règlement Rome Il. Elle mettra l'accent sur les raisons d'être de ces rattachements, soumettra des propositions pour l'interprétation des dispositions du règlement et analysera les interactions entre le règle- ment Rome II et les deux Conventions de La Haye en matière de responsabilité délictuelle. Finalement quelques lacunes du règlement Rome II seront mises en évidence et feront l'objet de propositions visant à les combler.

A. - INTRODUCTION

Le droit international privé en matière de relations extracontractuelles est resté pendant longtemps dans l'ombre du droit international privé des obligations contractuelles. Alors qu'en matière contractuelle, l'u- nification du DIP a connu un grand succès avec l'entrée en vigueur de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles [Convention Rome 1, qui sera bien- tôt remplacée par le règlement Rome I (6)], l'unification du DIP en matière extracontractuelle est restée tout au plus partielle. Il y a lieu de citer deux Conventions de La Haye, l'une portant sur le droit applicable aux accidents de la circulation routière, l'autre désignant pour les États membres le droit applicable à la responsabilité du fait des produits (7). Pour le reste, la matière a été laissée aux droits nationaux de la coordination.

Depuis la deuxième moitié du 20e siècle, les situiltions relevant de la responsabilité délictuelle et présentant un élément d'extranéité se sont pourtant multipliées : accidents de la circulation et accidents

(5) V. Corneloup et Joubert, in idem (dir.), p. 9: il «bouleversera sur de nombreux points les solutions traditionnelles de la jurisprudence française» ; Joubert, in Corne- loup et Joubert (dir.), p. 55 (56) : « [ ... ] du point de vue du droit international privé français, le changement sera radical ».

(6) Règlement du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obli- gations contractuelles (Rome I), Bruxelles, 31 mars 2008, 2005/0261(COD).

(7) Convention de La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable en matière d'acci- dents de la circulation routière et Convention de La Haye du 2 octobre 1973 sur la loi applicable à la responsabilité du fait des produits ; texte des conventions et état des sig- natures et des ratifications in www.hcch.net.

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de sport à l'étranger, atteintes aux droits de la personnalité par les médias à diffusion internationale, dommages causés par des produits défectueux, atteintes transfrontalières à l'environnement et litiges rele- vant du droit de la concurrence dans un contexte international.

Suite à la multiplicàtion des situations soulevant des questions de droit applicable en matière extracontractuelle, des rattachements spé- cifiques ont été introduits dans de nombreux pays européens, soit par les législateurs, soit par la jurisprudence. Ces règles diffèrent d'un pays à l'autre à bien des égards (8).

Alors que dans la grande majorité des pays européens les points de rattachement se sont diversifiés depuis les années 60 et surtout à partir des années 80, la Cour de cassation française a par contre refusé de soumettre les prétentions extracontractuelles à un autre critère de rattachement que celui du lieu du délit et s'est montrée hostile à la diversification des règles de DIP en la matière (9). Le DIP français a ainsi de plus en plus fait figure d'exception en Europe.

Sur le plan européen, le fait que les points de rattachement diver- geaient d'un pays à l'autre avait pour conséquence que la solution d'un cas concret pouvait varier selon le for du litige et le DIP appli- cable. Dans de telles conditions, les demandeurs et leurs avocats avaient alors largement l'occasion de réfléchir aux possibilités de forum shop- ping (IO).

Le règlement Rome II introduira pour la première fois dans l'his- toire moderne du DIP des règles de rattachement communes aux Pays membres de l'Union européenne en matière de responsabilité extracontractuelle. Une fois le règlement Rome II entré en vigueur, les règles de conflit dans les États membres désigneront la même loi nationale, quel que soit le pays dans lequel l'action sera introduite.

La finalité du législateur européen était en effet de favoriser la prévi- sibilité de l'issue des litiges, de créer la sécurité quant au droit appli-

(8) V. Kadner Graziano, La responsabilité délictuelle en DIP européen, p. 20 s.

(9) Loussouarn/Bourel/de Vareilles-Sommières, Droit international privé, n° 180-1 ; Mayer/Heuzé, Droit international privé, 8' éd., 2004, n° 680 ; Audit, Droit international privé, n° 798.

(10) Commission européenne, Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations non contractuelles Rome II »), Brux- elles 2003, COM(2003) 427 final, Exposé des motifs, p. 6 s. ; pour des exemples de forum shopping, v. Kadner Graziano, La responsabilité délictuelle en DIP européen, p. 123 s.

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cab le et de mettre fin au forum shopping sur le plan européen ( 11).

Or, si le règlement Rome II est parvenu à ces fins sur de nombreux points, d'autres questions attendent encore une réponse (12).

B. - LA RESPONSABILITÉ DÉLICTUELLE

La responsabilité délictuelle est aujourd'hui de loin la partie des obligations non contractuelles la plus significative en pratique. Elle a aussi été la plus complexe et la plus controversée (13).

I. - Le rattachement subjectif: autonomie de la volonté En matière de responsabilité délictuelle, 1' autonomie de la volonté a occupé une place toujours plus importante dans les lois modernes sur le DIP (14). Le règlement Rome II a suivi ces tendances et a prévu une place centrale au pouvoir des parties de convenir du droit appli- cable en matière extracontractuelle (article 14 du règlement Rome II).

De nombreux arguments ont plaidé en effet pour la reconnais- sance de la volonté des parties en matière extracontractuelle : le choix du droit applicable par les parties permet de lever les doutes en ce qui concerne la loi applicable et renforce ainsi la sécurité juridique.

Etant donné que le choix de faire valoir ses droits est presque tou- jours ouvert au lésé et que les parties ont la possibilité de transiger, le lésé devrait également pouvoir déterminer, d'entente avec le défen-

(11) Considérant 6 du règlement Rome II ; v. aussi Légier, ]CP 2007, Actualités n° 348, p. 4.

(12) V. infra, B.Vl.7 (atteintes à la vie privée et aux droits de la personnalité); B.IV.l et B.VI.2.h (coordination entre le règlement Rome II et les Conventions de La Haye en la matière) ; B.Il.2. et D.1.2. (dans certaines situations : protection des victimes en cas de dommages corporels).

(13) Pour un aperçu des divergences entre les droits nationaux de la responsabilité civile qui donnent souvent lieu à des litiges concernant le droit applicable, v. la propo- sition de la Commission de 2003 (note 10), p. 5 ; Kadner Graziano, Gemeineuropais- ches !PR, 2002. 105 s. ; idem, La responsabilité délictuelle en DIP européen, p. 10 s.

(14) L'autonomie des parties était reconnue, sans limite notoire, à l'article 35, alinéa l, de la loi autrichienne sur le DIP, à l'article 39, alinéa 1, de la LDIP du Liechten- stein et à l'article 6 de la loi néerlandaise sur le DIP. Ailleurs, l'élection de droit était admise ex post, v. art. 42 du EBGB allemand ; art. 101 de la loi belge sur le DIP ; art.

132 de la loi suisse sur le DIP ; art. 1219, al. 3, de la Ill' partie du Code civil russe ; v. pour le DIP français : Cour de cass. 19 avril 1988 (Roho cl Caron et autres), cette Revue, 1989. 68, note H. Batiffol.

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deur, le droit applicable. Enfin, les parties sont les mieux placées pour savoir quel droit applicable permettrait au mieux de défendre leurs intérêts et d'aboutir à la solution souhaitée (15).

Par conséquent, lors de l'application du règlement Rome II se posera dorénavant d'abord la question de savoir si les parties ont trouvé un accord sur le droit applicable (16).

1. Lélection ex post

Selon l'article 14, alinéa 1, litt. a, du règlement Rome II, les parties peuvent choisir la loi applicable à l'obligation non contractuelle par un accord postérieur à la survenance du fait générateur du dommage.

Dans les cas où le rattachement objectif conduit, selon le DIP du for, à l'application d'une loi étrangère, l'élection de droit ex post con- stitue souvent une option intéressante pour les parties. Même la par- tie envers laquelle le droit matériel qui peut être choisi semble, à première vue, être quelque peu défavorable peut avoir de bonnes raisons d'opter pour l'élection de droit, en particulier (mais pas seule- ment) en faveur de l'application de la lex fori : c'est le cas par exem- ple si le droit choisi peut être établi de manière aisée, rapide et fiable, réduisant d'autant les risques et les coûts du procès, ou encore si les règles sur le fardeau de la preuve du droit élu avantagent en fait cette partie ( 17). Le choix de la lex fori est également intéressant

(15) Pour les avantages que comporte le choix de la loi applicable pour les parties, v. déjà Paul Lagarde, Le principe de proximité dans le droit international privé contem- porain, Rec. des cours, vol. 196 (1986-I), p. 9 (104) ; Légier, ]CP 2007, Actualités, n° 348, p. 4 s. ; v., dans le cadre de la responsabilité du fait des produits, Corneloup, in Corneloup et Joubert (dir.), p. 85 (100) : « il faudra, à l'avenir, très fortement encou- rager les parties à une transaction à exercer cette faculté de choix afin de remédier aux incertitudes résultant de la coexistence d'une pluralité de sources juridiques en la matière» ; Kadner Graziano, La responsabilité délictuelle en DIP européen, p. 31 s.

(16) L'article 14 crée une véritable règle de rattachement au niveau du DIP, dans le sens où, par le choix du droit applicable, les parties opèrent un « rattachement primaire » à la loi choisie. Les parties placent ainsi « l'ensemble d'une situation juridique dans un ordre juridique choisi », v. déjà Loquin, in Corneloup et Joubert (dir.), p. 35 (51).

(17) Sur les avantages que comporte lapplication de la loi du for, v. par ex. Th. M.

De Boer, « Facultative Choice of Law - The procedural status of choice-of-law rules and foreign law », in Rec. des Cours, vol. 257 (1996), p. 223 (331), qui se réfère à une pratique (souvent couronnée de succès) des tribunaux néerlandais suggérant aux parties de parvenir à un accord au sujet du droit applicable certes de préférence au profit de la lex fori - étant donné que la détermination du droit étranger par le tribunal entraîne souvent un retard considérable ; v. aussi Hans van Houtte, « Internationale Forumshop- ping bij onrechtmatige daad », Mél. Roger O. Dalcq, Bruxelles, 1994, p. 574 (576) ; et Axel Flessner, « Fakultatives Kollisionsrecht », RabelsZ, vol. 34 (1970), p. 547 (549 s.).

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lorsque l'application du droit étranger ne peut faire l'objet d'un appel et que les parties souhaitent se ménager la possibilité de faire con- trôler l'application du droit matériel par les instances supérieures.

Le règlement Rome Il ne permet pas que le choix de la lex fori (18).

Les parties pourront aussi opter, par exemple, pour la loi neutre d'un pays tiers (19).

Tout comme l'article 3, alinéa 1, de la Convention Rome I ainsi que l'article 3, alinéa 1, du futur règlement Rome I, l'article 14, alinéa 1, du règlement Rome Il prévoit, dans sa deuxième phrase, que le choix doit être « exprès » ou résulter « de façon certaine [ ... ] des circonstances ». Avant l'entrée en vigueur du règlement Rome II, dans certains États européens, les tribunaux ont admis l'élection de droit tacite au cours du procès, en tous cas en faveur de la lex fori. Ils ont ainsi déduit du silence des parties un choix implicite en faveur de la loi du for (20). I..:article 14, alinéa 1, exclura doréna- vant une telle pratique, et ce à juste titre. En effet, tribunaux et avo- cats négligent encore souvent les aspects de droit international privé et, notamment, la possible application d'un droit étranger. Déduire une élection de droit du simple silence des parties ne serait ainsi qu'une pure fiction dans la plupart des cas (21).

2. Lélection ex ante

Lorsqu'il existe une relation particulière entre les parties, notam- ment du fait qu'elles sont liées par un contrat, l'article 14, alinéa 1, litt. b, du règlement Rome Il admet également, sous certaines con- ditions, une élection de droit antérieure à un tel événement.

(18) En DIP européen, seuls le DIP suisse, le DIP russe et, jusqu'à l'entrée en vigueur de Rome II, le DIP lituanien, admettent uniquement le choix en faveur de la !ex fari, v. art. 132 de la loi sur le DIP suisse, art. 1219, al. 3, du Code civil russe, et art. 1.43, al. 3, du Code civil lithuanien.

(19) Pour le choix de règles non étatiques, v. infta, B.I.3.

(20) Jurisprudence constante de la Cour fédérale allemande (BGH) 6 novembre 1973, Neue ]uristische Wochenschrift (NJW) 1974. 410 ; BGH 24 septembre 1986, BGHZ 98, 263 (274) ; BGH 22 décembre 1987, N]W-Rechtsprechungsreport (RR), 1988. 534 (535) ; aux Pays-Bas, v. par ex. Hof 's-Hertogenbosch 29 novembre 1995, Nederlands lnterna- tionaal Privaatrecht (NIPR), 1996. 105.

(21) En Autriche, au Liechtenstein et en Suisse, l'élection de droit a toujours dû être expresse ou ressortir de façon certaine des circonstances, v. art. 11, al. 2, de la LDIP autrichienne ; art. 11, al. 2, de la LD IP du Liechtenstein et, par analogie, à l'art. 116, al. 2, I" phrase, de la loi sur le DIP suisse.

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Le choix du droit applicable ex ante permet aux parties d'être immédiatement au clair quant aux bases légales régissant d'éventuelles prétentions délictuelles. Les parties auront ainsi la possibilité de soumet- tre d'avance l'ensemble de leurs relations juridiques, contractuelles et extracontractuelles, à un droit déterminé et de mettre ainsi, sur un même plan, les divers types de responsabilité pouvant intervenir (22).

S'il existe, avant l'événement dommageable, un rapport juridique particulier entre les parties, le règlement Rome II prévoit que le rat- tachement de la responsabilité extracontractuelle se fonde, acces- soirement, non pas sur le lieu du délit, mais sur la loi applicable à cette relation particulière (v. l'article 4, alinéa 3, du règlement Rome II). Étant donµé que le règlement Rome II admet le « rattachement accessoire » (23), certains auteurs ont remis en doute la nécessité d'admettre également le choix du droit applicable ex ante en matière délictuelle (24).

Le législateur européen n'a pas partagé ces doutes, et ce à juste titre : un besoin d'avoir des règles sur l'élection de droit existe, en tout cas, si les relations contractuelles entre les parties sont régies par du droit uniforme, notamment par la Convention des Nations unies sur les contrats de vente internationale de marchandises, ou si les parties ont convenu de soumettre leurs relations contractuelles à des règlements non étatiques (25) tels que les Principes du droit européen des contrats (« Principes Lando ») (26) ou les Principes relatifs aux contrats du commerce international (« Principes UNIDROIT ») (27). À l'avenir, pareil besoin pourrait également se faire sentir si les parties choisissaient d'appliquer un futur instru-

(22) La règle du non-cumul des responsabilités contractuelles et délictuelles du droit français est très exceptionnelle en Europe. La grande majorité des ordres juridiques permet le concours (libre) des deux systèmes de responsabilité. V. aussi infra, B.III. l. avec réf.

(23) Infra, B.III. l.

(24) V., par ex. , Huber/Bach, « Die Rom II-VO. Kommissionsentwurf und aktuelle Entwicklungen '" IPRax, 2005. 73 (75); de Boer, Yearbook of Private International Law, 2008. 19 (27).

(25) V. le considérant 13 du futur règlement Rome I qui prévoit expressément cette possibilité en ces termes : « Le présent règlement n'interdit pas aux parties d'intégrer par référence dans leur contrat un droit non étatique ou une convention internationale "·

(26) Commission pour le droit européen des contrats, Principes du droit européen des contrats (« Principes Lando »), version française par Georges Rouhette et al. Paris, 2003 ; texte en langue française, anglaise, allemande. espagnole, italien et néerlandaise in http://frontpage.cbs.dk/law/ commission_on_european_contract_law/index.html.

(27) Institut international pour l'unification du droit privé (UNIDROIT), Principes relatifs aux contrats du commerce international(« Principes UNIDROIT »),Rome 2004, in www.unidroit.org.

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ment communautaire en matière contractuelle (28). Étant donné que ni la Convention des Nations unies sur les contrats de vente inter- nationale de marchandises, ni les règlements non étatiques ne con- tiennent de dispositions sur la responsabilité extracontractuelle, le rattachement accessoire est exclu dans toutes ces situations. Finale- ment, le fait de prévoir de façon expresse, à l'article 14, alinéa 1, du règlement Rome Il, la faculté de convenir du droit applicable, donne une indication claire aux parties quant à cette possibilité et à ses limites en matière de responsabilité extracontractuelle.

Pour éviter des abus et pour protéger des acteurs considérés comme faibles, le règlement Rome II limite la liberté de choix ex ante aux parties qui « exercent toutes une activité commerciale » (article 14, alinéa 1, litt. b) (29). Pour des contrats de consommation, le choix du droit applicable ne sera par conséquent possible qu' ex post (30).

Le choix du droit applicable avant la survenance du fait généra- teur du dommage doit être effectué « par un accord librement négo- cié » (article 14, alinéa 1, litt. b). Il sera ainsi très probablement exclu que ce choix se fasse uniquement dans des conditions générales soumises par une partie à une autre, à moins que ce choix ne soit expressément confirmé par cette autre partie (31). Si, par contre, les parties prévoient, dans leurs conditions générales, l'application du même droit, il n'y a aucune raison de ne pas respecter ce choix.

(28) V. le considérant 14 du futur règlement Rome I : « Si la Communauté adopte dans un instrument juridique spécifique des règles matérielles de droit des contrats, y compris des conditions générales et clauses types, cet instrument peut prévoir que les parties peuvent choisir d'appliquer ces règles ». Pour un premier pas vers un tel instru- ment optionnel, v. Princip/es, Definitions and Mode! Rules of European Private Law - Draft Common Frame of Reference, Interim Outline Edition, Munich, 2008 ; pour le choix du CFR, v. Paul Lagarde, « Cadre commun de référence et droit international privé », in Reiner Schulze (éd.), Common Frame of Reference and Existing EC Contract Law, Munich, 2008, p. 263-283. Pour un aperçu des arguments pour ou contre un Code contractuel européen optionnel, v. Thomas Kadner Graziano, « Le futur de la Codification du droit civil en Europe : harmonisation des anciens Codes ou création d'un nouveau Code ? », in Jean-Philippe Dunand/Bénédict Winiger (éd.), Le Code civil français dans le droit européen, Bruxelles, 2005, p. 257-274, avec de nombreuses réf.

(29) Le texte ne le précise pas mais cette clause ne devrait s'appliquer que si les faits dommageables ont un rapport avec l'activité commerciale visée par l'accord négocié entre les parties, v. aussi Loquin, in Corneloup et Joubert (dir.), p. 35 (52).

(30) Pour une critique de cette limite à la liberté de choix, v. de Boer, Yearbook of Private International Law 2008. 19 (27 s.).

(31) Pour un avis contraire, v. Wagner, IPRax 2008. 1 (13 s.), selon qui l'article 14, alinéa l, litt. b, du règlement Rome II risquerait d'être alors privé de toute utilité praàque.

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Le choix ex post ou ex ante doit être « exprès » ou résulter « de façon certaine des circonstances ». Lorsqu'il existe une relation contrac- tuelle entre les parties et lorsqu'elles choisissent un droit applicable, se pose alors la question de savoir s'il résulte « de façon certaine des circonstances » que les parties ont souhaité étendre ce choix à une future responsabilité extracontractuelle. Une clause selon laquelle le droit choisi couvrira « toute relation entre les parties » devrait cepen- dant suffire à remplir les conditions de l'article 14, alinéa 1, du règle- ment Rome II.

3. Choix de règles non étatiques

Larticle 14 du règlement Rome II permet le choix d'une « loi applicable ». Tout comme c'est le cas en matière contractuelle (32), Rome II offre aux parties en matière de responsabilité extracontractuelle la possibilité de convenir de l'application de règles non étatiques dans la mesure où le droit qui est applicable selon les critères objectifs de rattachement est dispositif. On pourrait ici penser, en premier lieu, au choix des Principes de droit européen de la responsabilité civile (Princip/es of European Tort Law) qui ont été présentés, il y a quelques années, par le European Group on Tort Law et qui sont parfaitement adaptés aux besoins d'acteurs transfrontaliers (33).

(32) Pour le choix de règles non étatiques ou du nouveau cadre commun de référence en matière contractuelle, v. le considérant 13 du futur règlement Rome I (notes 6 et 25). A ce propos, v. Gian Paolo Romano, « Le choix des Principes UNIDROIT par les contractants à l'épreuve des dispositions impératives », in Eleanor Cashin Ritaine/Eva Lein (éd.), The UNIDROIT Princip/es 2004 - Their Impact on Contractual Practice, jurisprudence and Codification, Zurich 2007, p. 35 s. =]DI 2007. 473 s. ; Ralf Michaels,

« Privatautonomie und Privatkodifikation - Zu Anwendbarkeit und Geltung allgemeiner Vertragsrechtsprinzipien », RabelsZ 62 (1998), p. 580 s. ; Wulf-Henning Roth, « Zur Wahlbarkeit nichtstaatlichen Rechts », in H.-P. Mansel/Thomas Pfeiffer/Herbert Kro- nke/Christian Kohler/Rainer Hausmann (éd.), Festschrift for Erik jayme, vol. I, Munich, 2004, p. 757 s. ; et Friederike Schafer, « Die Wahl nichtstaatlichen Rechts nach Art. 3 Abs. 2 des Entwurfs einer Rom I VO - Auswirkungen auf das optionale Instrument des europaischen Vertragsrechts », Zeitschrift for Gemeinschaftsprivatrecht (GPR), 2006.

54 S.

(33) European Group on Tort Law (éd.), Princip/es of European Tort Law - Text and Commentary, Vienne/New York, 2005 ; texte en 16 langues in www.egtl.org. Sur les travaux du Groupe, v. par ex. Jaap Spier, in European Group on Tort Law (éd.), ibid, p. 12 s. ; Helmut Koziol, « Die "Principles of European Tort Law" der "European Group on Tort Law" », ZEuP 2004. 234 s. ; Bernhard Koch, «The Work of the Euro- pean Group on Tort Law - The Case of "Strict Liability" », InDret Working Paper, n° 129, Barcelone 2003, in www.indret.com ; v. aussi Thomas Kadner Graziano, « Les Principes du droit européen de la responsabilité délictuelle (Principles of European Tort Law) - Forces et quelques faiblesses », in Bénédict Winiger (éd.), La responsabilité civile de demain!Europiiisches Haftungsrecht morgen, Zurich, 2008, p. 219-247.

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4. Liberté de choix et droits des tiers

Selon l'article 14, alinéa 1 in fine, du règlement Rome II le choix du droit applicable « ne porte pas préjudice aux droits des tiers ».

La disposition concerne en particulier l'assureur de la personne tenue pour responsable (34). On pourrait cependant penser à distinguer ici le cas du choix ex ante et celui de l'élection ex post.

Quand les parties conviennent du droit applicable avant la sur- venance du fait générateur du dommage, il faudrait leur accorder, tout comme en droit contractuel, une marge de liberté sans que l'as- sureur puisse invoquer l'article 14, alinéa 1 in fine. La liberté de choisir le droit applicable perdrait sinon tout intérêt pour les par- ties, ainsi que toute utilité pratique (35).

Par contre, pour l'élection ex post, l'article 14, alinéa 1 in fine, du règlement Rome II s'applique en principe sans réserve. Si une per- sonne assurée cause un dommage transfrontalier et si cette personne en informe son assureur tout en respectant ses obligations contractuelles ou légales envers ce dernier, on peut imaginer que, selon le droit matériel applicable, l'assureur doive informer l'assuré qu'il s'oppose à un éventuel choix d'un droit applicable qui serait différent de celui désigné par le règlement Rome II. Si l'assureur omettait une telle indication, on pourrait imaginer qu'il perde la possibilité d'invoquer l'article 14, alinéa 1 in fine, du règlement Rome II.

II. - Le rattachement objectif: règles générales

1. Lex loci delicti commissi

Depuis les origines des réflexions sur le rattachement des délits jus- qu'à nos jours, le rattachement au lieu du délit et l'application de la lex loci delicti commissi a constitué en Europe le rattachement objec- tif principal en la matière. Avant l'entrée en vigueur du règlement Rome II, le rattachement au lieu du délit ou de l'accident était déjà

(34) V. la proposition de la Commission de 2003 (note 10), p. 24.

(35) Thomas Kadner Graziano, « Freedom to choose the applicable law in tort - Articles 14 and 4(3) of the Rome II Regulation », in William Binchy/John Aher (eds),

The Rome II Regulation on the Law Applicable to Non-Contractual Obligations : A New Tort Litigation Regime, Leiden, 2009 paraître prochainement).

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dans l'Union européenne « la solution de base en matière d' obliga- tions non contractuelles dans la quasi-totalité des États membres» (36).

:Larticle 4, alinéa 1, du règlement Rome II consacre cette solu- tion : si les parties n'ont pas convenu du droit applicable et« [s]auf dispositions contraires [ ... ] la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient [ ... ] ».

Si, par exemple, sur le périphérique de Paris, une voiture imma- triculée aux Pays-Bas entre en collision avec un autocar imma- triculé en Allemagne, et si les occupants ont leur résidence habituelle dans ces pays (37), l'article 4, alinéa 1, du règlement Rome II mènera à l'application du droit français (38). Si sur une piste de ski autrichienne, une personne domiciliée en Angleterre entre en collision avec une personne qui a sa résidence habituelle en Pologne (39), le cas sera analysé selon le droit autrichien de la responsabilité civile.

Le rattachement au lieu du délit (ou de l'accident) est simple, facilement applicable, efficace et favorise la sécurité juridique. :Lap- plication de la lex loci delicti commissi est une solution neutre par rapport aux différents acteurs, elle ne favorise aucune des parties et est conforme à l'intérêt de l'État dans lequel le dommage survient.

Finalement, cette solution correspond, en principe, aux attentes et aux intérêts des parties et elle est souvent juste et ressentie comme telle par les parties (40).

(36) V. le considérant 15 du règlement Rome II ; Kadner Graziano, La responsabi- lité délictuelle en DIP européen, p. 20 s. avec de nombreuses réf.

(37) V. par ex. l'affaire néerlandaise Rechtbank Rotterdam 9 mai 1996 [R. Latzel (Duitsland)] t. P.K. Tijl (Nederland), NIPR 1996. 538.

(38) Le règlement Rome II serait applicable devant les tribunaux allemands, mais pas devant les tribunaux français et néerlandais dans un tel cas de figure, v. in.fa, B.IV.

(39) Pour de nombreux arrêts en Europe qui traitent d'accidents de sport transfrontaliers, v. les réf. in Kadner Graziano, La responsabilité délictuelle en DIP européen, p. 8.

(40) V., par ex., Mayer/Heuzé, Droit international privé, n° 678. Dans l'exposé des motifs du projet de codification du DIP néerlandais de la responsabilité délictuelle, la Staatscommissie néerlandaise pour le D IP a qualifié cette règle comme étant la règle de conflit « naturelle » pour la responsabilité délictuelle(« de "naturlijke" conflictregel voor onrechtmatige daden », cependant « met de mogelijkheid van uitzonderingen daarop »).

Pour les arguments en faveur de cette solution, v. Kadner Graziano, La responsabilité délictuelle en DIP européen, p. 22 s. avec de nombreuses réf.

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2. Risque d'une réparation partielle du dommage en cas d'ap- plication de la lex loci delicti commissi ?

a) Le rattachement au lieu de l'accident peut conduire à l' appli- cation d'une loi qui n'est pas celle du pays de la résidence habituelle de la victime. Lors de la préparation du règlement Rome II, le Par- lement européen a exprimé son inquiétude de voir les victimes d'ac- cidents corporels indemnisées uniquement de manière partielle en cas d'application d'une loi étrangère. Le Parlement a proposé qu'« [e]n cas de dommages corporels découlant d'accidents de la circulation routière, le tribunal saisi applique les règles relatives au montant des dommages-intérêts du lieu de résidence habituelle de la victime» (41) ou que, « [p]our la quantification des dommages et intérêts dans des affaires relatives à des lésions corporelles, le tribunal saisi applique le principe de la restitutio in integrum, en tenant compte des cir- constances réelles dans le pays de résidence habituelle de la victime» (42).

Ces propositions du Parlement auraient conduit à un dépeçage du rattachement des délits (première proposition) ou à l'introduc- tion d'une solution de droit matériel dans le règlement Rome II en menant à l'application du principe de la restitutio in integrum (deux- ième proposition). Elles n'ont finalement pas été retenues.

(41) Résolution législative du Parlement européen sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations non contractuelles («Rome II»), COM(2003) 0427 - CS-0338/2003 - 2003/0168(COD), Procédure de codécision : première lecture, in www.europarl.europa.eu/oeil/FindByProcnum.

do?lang=l&procnum=COD/2003/0168, art. 4, al. 2 : « Toutefois, en cas de dommage corporel découlant d'un accident de la circulation routière et eu égard à la directive rela- tive à l'assurance automobile, le tribunal saisi ainsi que l'assurance du conducteur res- ponsable appliquent, s'agissant des modalités des dommages-intérêts et du calcul de leur montant, les règles en vigueur sur le lieu de la résidence habituelle de la victime, à moins que cette solution ne soit inéquitable pour la victime. Sur le plan de la responsabilité, la loi du lieu de !'accident est la loi applicable » ; - art. 7 (Accidents de la circulation routière), al. 2 : « En cas de dommages corporels découlant d'accidents de la circula- tion routière, le tribunal saisi applique les règles relatives au montant des dommages- intérêts du lieu de résidence habituelle de la victime, à moins que cette solution ne soit inéquitable ».

(42) Résolution législative du Parlement européen relative à la position commune du Conseil en vue de l'adoption du règlement du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (« ROME II »), 975117/2006 - C6- 0317/2006 -2003/0168(COD), Procédure de codécision : deuxième lecture, art. 22 (Dommages et intérêts) : « Pour la quantification des dommages et intérêts dans des affaires relatives à des lésions corporelles, le tribunal saisi applique le principe de la resti- tutio in integrum, en tenant compte des circonstances réelles dans le pays de résidence habituelle de la victime ''-

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b) À travers les propositions mentionnées, le Parlement européen souhaitait garantir une indemnisation complète des victimes d' acci- dents corporels survenus à l'étranger.

La grande majorité des systèmes nationaux de responsabilité civile poursuivent déjà le but et le principe de la réparation intégrale du dommage, une fois que les conditions de la responsabilité sont éta- blies (43). Tant qu'un de ces systèmes nationaux s'applique, les vic- times sont, en principe, indemnisées entièrement. Le principe de la restitutio in integrum est ainsi respecté, et ce même si la loi appli- cable est une loi étrangère.

Dans d'autres systèmes nationaux, certains montants d'indemni- sation ne sont cependant pas calculés en fonction du dommage concrè- tement subi par la victime. Ces systèmes appliquent en effet obli- gatoirement des barèmes d'indemnisation (« baremos ») calculés sur la base de données internes à ces pays (44). Pour une victime ayant sa résidence habituelle dans un autre pays, une indemnisation totale n'est alors plus garantie dans ces conditions.

Dans les cas où un tel système s'applique, l'inquiétude du Parle- ment européen de voir les victimes d'accidents corporels indemnisées uniquement de manière partielle semble alors parfaitement fondée.

c) Dans les ordres juridiques qui indemnisent les victimes de dom- mages corporels sur la base de barèmes contraignants, le principe de la restitutio in integrum est contourné au niveau du droit matériel. Il est par conséquent difficile d'envisager une manière satisfaisante de résoudre ce problème au niveau du droit international privé. Le pro- blème de l'indemnisation partielle des victimes d'accidents devrait ainsi être résolu au niveau du droit matériel applicable.

(43) V. les art. 10:101 s. des Principes de droit européen de la responsabilité civile (note 33). L'art. 10:101, l" phrase, des Principes prévoit que« [l]es dommages et intérêts consistent en le paiement d'une somme d'argent visant à compenser le préjudice de la victime, c'est-à-dire, à la replacer, pour autant que l'argent y parvienne, dans la posi- tion qui aurait été la sienne si l'atteinte dont elle se plaint n'avait pas été commise ».

La version anglaise se lit comme suit : « Damages are a money payment to compensate the victim, that is to say, to restore him, so for as money can, to the position he would have been in if the wrong complained of had not been committed ».

(44) Il s'agit avant tout de l'Espagne et du Portugal. V. à ce propos Miquel Martin- Casals, « An Outline of the Spanish Legal Tariffication Scheme for Persona! Injury Resulting from Traffic Accidents », in Festschrift für Pierre Widmer, Zurich et al. 2003, p. 235 s. ; « Reglero Campos », Tratado de Responsabilidad Civil, 2' éd., Madrid, 2002, n° 587 s. ; Thomas Mannsdorfer, « Regulierung von Sach- und Personenschaden bei Motorfahrzeugunfallen nach spanischem Recht - Eine Einfuhrung », Haftung und Ver- sicherung (HAVE), 2005. 12 s.

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Dans son considérant 33, le règlement Rome II entreprend de don- ner une première réponse à ce problème. Selon ce considérant, un tri- bunal saisi dans l'Union européenne devrait, lors de 1' application de la loi nationale désignée, et « lors de la quantification des dommages- intérêts accordés au titre du préjudice corporel dans les cas où 1' acci- dent survient dans un État autre que celui où la victime a sa résidence habituelle, [ ... ] prendre en compte toutes les circonstances de fait per- tinentes » concernant cette victime. Ceci devrait inclure « notamment, les pertes totales et les coûts du traitement et des soins médicaux ».

Les législateurs et, dans la mesure du possible, les tribunaux des pays qui appliquent actuellement des barèmes contraignants, pour- raient par exemple prévoir des exceptions à 1' application des barèmes dans les cas où la victime possède une résidence habituelle à 1' é- tranger. Les indemnités accordées à ces victimes pourraient ainsi être calculées en respectant le principe de la restitutio in integrum qui prendrait en considération les besoins des victimes dans leur pays de résidence habituelle - tout comme ceci est prévu dans le considérant 33 du règlement Rome II (45).

d) La Commission européenne, « [c]onsciente de la disparité des pratiques suivies dans les États membres en ce qui concerne le niveau des indemnisations accordées aux victimes d'accidents de la route », a publié une Déclaration sur les accidents de la route (46) dans laquelle elle envisage d' « examiner les problèmes spécifiques que ren- contrent les résidents de l'Union européenne impliqués dans des acci- dents de la route dans un État membre autre que celui où ils rési-

(45) Lors de la réparation du dommage relatif à des biens, le baremo ne s'applique pas. La jurisprudence espagnole prend ainsi en considération les besoins de la victime dans le pays de sa résidence habituelle, v. par ex. les arrêts Aud. Prov. de Burgos du 4 juillet 1975 ; Aud. Prov. de Alicante du 10 octobre 1975 ; et Aud. Prov. de Taragona du 11 novembre 1976, in L. Garau Juaneda, Revista espaftola de derecho internacional (Rev. esp. der. int.), 1980. 241 s. - Lors de la fixation de l'indemnité pour rort moral, le Tribunal fédéral suisse a pris en considération le coût de la vie au domicile de !'ayant droit, v. les arrêts Recueil officiel des arrêts du Tribunal fedéral suisse (ATF), 123 III 10 du 10 janvier 1997 dans lequel il est constaté que le coût de la vie en Suisse est vingt fois supérieur à celui de la Chine; et TF 6 décembre 1999, ATF 125 II 554 dans lequel l'indemnité d'une victime domiciliée en Voïvodine a été réduite de moitié compte tenu du fait que le coût de la vie dans cette province yougoslave est nettement inférieur à celui de la Suisse ; v. à ce propos Vincent Brulhardt, « Le projet de règlement "Rome II" sur la loi applicable aux obligations non contractuelles : son incidence en matière de circulation routière, notamment à la lumière du droit suisse», HAVE 2007. 3 (11).

(46) JOUE L 199 du 31 juillet 2007, p. 49. V. aussi : Adoption du règlement du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations non contractuelles («ROME II») - troisième lecture - Déclarations, le 25 juin 2007, 10569/07, ADD 1 et COR 2 (fr), 2003/0168 (COD), p. 1 et 2.

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dent habituellement ». À cet effet, la Commission « mettra à la dis- position du Parlement européen et du Conseil, avant la fin de l'an- née 2008, une étude portant sur toutes les possibilités, notamment en matière d'assurance, d'améliorer la situation des victimes trans- frontalières ; cette étude préparerait la voie à un livre vert ».

En attendant le résultat de cette étude, si, dans un cas concret, l'application des dispositions d'un système étranger de responsabilité civile (notamment l'application d'un baremo contraignant) conduisait à une indemnisation uniquement partielle des victimes d'accidents, et si ces lacunes étaient manifestement incompatibles avec l'ordre public du for, un examen de la situation dans le cadre de l'article 26 du règlement Rome II pourrait avoir lieu, et l'application de la loi étrangère pourrait éventuellement être écartée (47).

3. Application de la loi de la résidence habituelle commune des parties dans le même pays

Selon l'article 4, alinéa 2, du règlement Rome II, si « la personne dont la responsabilité est invoquée et la personne lésée ont leur rési- dence habituelle dans le même pays au moment de la survenance du dommage, la loi de ce pays s'applique » à la place de la loi du pays du lieu de l'accident.

Si, par exemple, un groupe de scouts belges ayant leur résidence habituelle en Belgique campe pendant quelques jours aux Pays-Bas où un membre du groupe subit un préjudice à cause d'une négligence du chef de groupe (48), la question de la responsabilité extracontractuelle du chef du groupe sera régie par le droit belge. Si deux membres des forces armées anglaises ont un accident de voiture à Malte, et si ces deux personnes ont leur résidence habituelle en Angleterre, la respon- sabilité extracontractuelle sera régie par le droit anglais (49).

(47) V. aussi infra, D.III.2; Thomas Kadner Graziano/Christoph Oertel, « Ein europaisches Hafi:ungsrecht für Schaden im Strassenverkehr ? Eckpunkte de lege lata und überle- gungen de lege ferenda », ZVglRWiss, 2008. 113-163.

(48) V. le cas de figure dans l'affaire belge Hof van Cassatie 18 juin 1993, Revue générale des assurances et responsabilités (RGAR), 1994, n° 12.366 ; v. aussi le cas néer- landais Ktg. Zaandam 14 novembre 1991, NIPR 1992. 404: mauvais traitements infligés à un adolescent néerlandais dans un camping en France.

(49) V. le cas de figure dans le fameux précédent anglais Boys v Chaplin 25 juin 1969 [1971] A.C. 356 (House of Lords).

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La Cour de cassation française n'a jamais été favorable aux excep- tions faites à l'application de la lex loci delicti commissi (50). Dans la majorité des pays européens, le rattachement à la résidence habi- tuelle a, par contre, été adopté ces dernières années (51), et ce à juste titre.

Le critère de rattachement de la résidence habituelle commune des parties présente l'avantage de rendre applicable les normes de responsabilité délictuelle auxquelles les deux parties sont habituées du fait qu'elles résident dans le même État, qui est en outre l'en- droit où les parties auront à vivre les conséquences de l'événement dommageable. Au lieu de traiter de la même manière tous les cas survenant dans un même État, on privilégie ainsi l'application des normes d'indemnisation du pays dans lequel vivent les personnes concernées. Le cas est ainsi considéré comme ayant eu lieu dans l'État de la résidence habituelle des parties. Plus le lien des parties avec le lieu du délit est superficiel, plus cette exception à la lex loci delicti commissi se justifie.

Étant donné que le nombre de personnes qui résident de façon durable à l'étranger sans modifier leur statut national a beaucoup augmenté depuis la seconde moitié du :XXe siècle, il est tout à fait justifié que le critère de rattachement choisi dans le règlement Rome II soit la résidence habituelle des parties et non leur nationalité.

Selon le règlement Rome II, dans les cas où plusieurs personnes sont impliquées dans l'événement dommageable (par exemple lors d'accidents de la route impliquant plusieurs véhicules), le rattache- ment à la résidence habituelle commune des parties dépend uni- quement du fait que la personne dont la responsabilité est invoquée ainsi que la personne lésée ont leur résidence habituelle dans le même État. Il n'est par contre pas requis que toutes les personnes impli- quées aient leur résidence habituelle dans ce pays.

(50) Cette attitude a suscité la critique de la doctrine, v. par ex. Mayer/Heuzé, Droit international privé, Se éd., n° 680.

(51) V. art. 32, al. 3, du décret-loi sur le DIP hongrois (1978) ; art. 133, al. 1, de la Loi sur le DIP suisse (1987); art. 40, al. 2, l" phrase, de l'EGBGB allemand (1999);

art. 1.43, al. 4, du Code civil lituanien (2001) ; art. 165, al. 1, des Principes du Code civil d'Estonie ; art. l, al. 3, de la loi néerlandaise sur le DIP des délits (2001) ; art.

99, § 1, al. l, du Code de DIP belge (2004).

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