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L'hétéronormativité genrée : exemples de la vie quotidienne

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L'hétéronormativité genrée : exemples de la vie quotidienne

NIELSEN, Joyce McCarl, WALDEN, Glenda, KUNKEL, Charlotte A.

CHAMBON, Perrine (Transl.), MALBOIS, Fabienne (Transl.), VUILLE, Marilene (Transl.)

Abstract

Cet article est fondé sur une analyse qualitative de travaux d'étudiant·e·s portant sur les transgressions de la norme de genre – lorsque par exemple des femmes fument le cigare, réparent des voitures ou portent la moustache ou que des hommes font le ménage, portent un sac à main, se vernissent les ongles ou pleurent en public – en lien avec la littérature scientifique sur l'hétérosexualité. Les auteures montrent comment, dans l'arrière-plan culturel contemporain, des attentes et des interdits hétéronormatifs d'ordinaire incontestés ressurgissent au moment où une personne franchit les frontières de genre. Elles montrent que l'hétéronormativité elle-même est genrée, qu'elle «homosexualise» les hommes perturbateurs de la norme tandis qu'elle «hétérosexualise» les femmes perturbatrices de cette même norme. Cet article décrit et compare des situations dans lesquelles des étudiant·e·s et d'autres personnes sexualisent certaines attitudes ou certains actes non explicitement sexuels. Ces procédés de sexualisation ont recours à des dénégations ou des étiquetages homophobes ainsi qu'à [...]

NIELSEN, Joyce McCarl, WALDEN, Glenda, KUNKEL, Charlotte A., CHAMBON, Perrine

(Transl.), MALBOIS, Fabienne (Transl.), VUILLE, Marilene (Transl.). L'hétéronormativité genrée : exemples de la vie quotidienne. Nouvelles Questions Féministes , 2009, vol. 28, no. 3, p.

90-108

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:99934

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

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L'hétéronormativité genrée: exemples de la vie quotidienne

Author(s): Joyce McCarl Nielsen, Glenda Walden and Charlotte A. Kunkel

Source: Nouvelles Questions Féministes, Vol. 28, No. 3, Théories anglophones du genre (2009), pp. 90-108

Published by: Nouvelles Questions Féministes & Questions Feministes and Éditions Antipodes

Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40620541 Accessed: 04-12-2017 10:51 UTC

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Champ li

L'hétéronormativité genrée:

exemples

de la vie quotidienne1

Joyce McCarl Nielsen, Glenda Waiden, Université du Colorado Charlotte A. Kunkel, Luther College

«II y a une fille canon qui fume un cigare !» confia une serveuse à son patron dans un restaurant d'une ville universitaire. Cette «fille canon» était notre étude de cas 151 (1987), une étudiante en sociologie réalisant son travail sur la transgression de la norme de genre dans le cadre du cours «Sex and Gender in Society» («Sexe et genre dans la société»). La réaction de la serveuse est typique de celles que l'on observe lorsque des femmes «agissent contrairement aux règles ou aux usages de leur sexe». Telle était la définition de la transgression de la norme de genre donnée aux étu- diant-e-s. Les réactions provoquées par les étudiants transgressant la norme furent similaires: un jeune homme mettant soigneusement de côté des bons de réduction à l'épicerie par exemple (étude de cas 185, 1986) dont la mère s'est demandé s'il n'était pas gay, l'a prié de se comporter comme un homme et lui a interdit de l'accompagner à l'épicerie. D'autres lui ont dit:

«Tu feras un bon petit mari au foyer plus tard pour une chanceuse», «II y en a une qui aura la chance d'avoir un bon petit mari au foyer».

Les données de notre étude sont constituées de 658 rapports d'infraction à la norme de genre pareils aux exemples ci-dessus. Ils ont été accumulés de façon inédite, sur une période de quinze ans de 1975 à 1990, dans le cadre des cours en études de genre donnés par les auteures de cet article, dans une ville universitaire dont la population est majoritairement blanche,

1. N.d.l.é. : Joyce McCarl Nielsen, Glenda Waiden Nous remercions les auteures et la revue de nous et Charlotte A. Kunkel (2000). «Gendered Hetero- avoir autorisées à traduire cet article ainsi que normativity: Empirical Illustrations in Everyday Blackwell Publishing Ltd de nous avoir octroyé Life». The Sociological Quarterly, 41 (2), 283-296. une licence de publication.

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2. Le cas 059 (1976) est presque unique dans cette étude, car les effets du genre et de l'origine eth- nique y sont conjointement étudiés. Une étudiante afro-américaine dont le projet était de «mettre la main aux fesses» des hommes dans un syndicat étudiant rapporte que l'une de ses «cibles» a véri- fié qu'elle ne lui avait pas volé son portefeuille avant d'ajouter: «Elle est pas mal, remarque.»

3. Voir Gilfoyle, Wilson et Brown (1993) pour une exception empirique à ces écrits par ailleurs forte- ment théoriques.

4. Au sein des études ethniques et raciales, on peut faire un parallèle avec les travaux de Fran- kenberg (1993) centrés sur les Blanches.

Édito | Grand angle [fl^^Mnffil Parcours | Comptes rendus | Collectifs t/hétéronormativité genrée : exemples de la vie quotidienne oyce McCarl Nielsen, Glenda Waiden, Charlotte A. Kunkel

plutôt aisée et jeune2. Nos étudiant-e-s ont dressé des comptes rendus écrits de leurs expériences (ce qu'elles et ils avaient fait et comment les autres y avaient réagi) que nous avons ensuite interprétées. Nos analyses ont donné lieu à des résultats cohérents par rapport aux postulats du féminisme radi- cal, de la théorie queer ainsi que des théories culturelles féministes et les- biennes sur Thétérosexualité et le genre.

Nous développons ici la thèse que les transgressions de genre perpé- trées par nos étudiant-e-s ont provoqué des réactions de sanction qui tra-

hissent les attentes heteronormatives d'une société où l'hétérosexualité est

institutionnalisée. Les concepts d'«hétérogenre» et d'«hétéronormativité»

font partie d'un corpus grandissant de littérature scientifique qui ques- tionne l'hétérosexualité (Adkins et Merchant, 1996; Kitzinger, Wilkinson et Perkins, 1992; Maynard et Purvis, 1995; Richardson, 1996; Wilkinson et Kitzinger, 1994)3. Les chercheur-e-s font notamment référence à l'hétéro- sensibilité (Epstein et Steinberg, 1995), à l'hégémonie hétérosexuelle (par exemple, Thompson, 1992), à l'hétéropatriarcat (Ramazanoglu, 1994), à l'hétérocentrisme (Kitzinger et al, 1992), aux technologies de l'hétéro- sexualité (Gavey, 1993) et à l'imaginaire hétérosexuel (Ingraham, 1994). De différentes façons et à des degrés divers, tous ces termes permettent de sai- sir que l'hétérosexualité institutionnalisée est obligatoire en même temps qu'elle va de soi. Toutes ces tentatives théoriques visent à mettre au jour un aspect souvent négligé de la sexualité (à savoir que l'hétérosexualité constitue un choix par défaut) et à souligner son hégémonie culturelle.

Cette «approche par le haut» selon l'expression de Michael Messen (1996) (qui s'attache à étudier le pôle dominant dans la dichotomie conceptuelle établie par une culture) survient après de nombreuses années passées à étudier la minorité défavorisée (homosexuelle) 4. Cela marque un tournant conceptuel significatif dans le domaine de la théorie féministe et queer/lesbienne, et dans les études de genre en général, grâce au lien établi entre hétérosexualité et inégalité de genre, une relation longuement analy- sée par les théories féministes radicales (MacKinnon, 1989; Millet, 1970;

Rich, 1980).

Nous développerons ces problématiques en décrivant deux moyens à travers lesquels l'hétérosexualité est établie et renforcée. Plus spécifi- quement, nous montrerons comment, dans notre étude, les femmes qui transgressent la norme sont avant tout hétérosexualisées, tandis que les hommes, eux, sont péjorativement catalogués homosexuels.

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Méthodologie

En tant qu'enseignantes-chercheuses féministes (Maher et Tetreault, 1994;

Oakley 1981 ; Jayaratne et Stewart, 1991), nous avons considéré cet exer- cice à la fois comme un projet de recherche personnel et un moyen pour les étudiant-e-s d'aborder les questions de genre, de pouvoir et de privilège.

Les étudiant-e-s ont endossé les rôles de chercheure-s adjoint-e-s et de cobayes de leurs propres expériences dans le processus de récolte des don- nées. Elles et ils ont travaillé sur le terrain (Lofland et Lofland, 1995), ont recueilli et enregistré des témoignages puis les ont transcrits pour créer une base de données sous une forme narrative (Ellis et Flaherty, 1992).

Nous avons ensuite codé et analysé ces données tout en interprétant avec elles et eux les résultats au fur et à mesure qu'ils s'étoffaient, leur permet- tant ainsi d'y réagir.

Durant le travail de terrain, les étudiant-e-s-chercheur-e-s devaient se doter d'une complice qui observerait et rapporterait les réactions suscepti- bles de ne pas être remarquées par l'étudiant-e intensément engagé-e dans l'action. Le compte rendu écrit devait exposer le type d'action entrepris, la date, le lieu, le contexte, les réactions verbales ou non verbales d'autrui ainsi que les conclusions et les idées que l'on pouvait en tirer. Ces lignes directrices ont permis d'obtenir des données mieux structurées que de sim- ples notes de terrain, mais moins élaborées que des entretiens enregistrés.

Chaque rapport prend la forme d'un récit individuel relatant une expé- rience personnelle, guidé par les questions et les exigences propres aux travaux académiques (Riessman, 1993).

Nous utilisons le terme de «récit» pour décrire ces comptes rendus d'é- tudiantes-chercheures car ils ont nécessité une contextualisation, une argumentation et une écriture plus formalisée (Clandinin et Connelly,

1994) que l'on ne trouve habituellement dans les travaux d'étudiant-e-s.

Elles et ils ne se sont pas contenté-e-s de raconter leur expérience. Leurs textes sont structurés par la temporalité, l'observation méthodique, les exi- gences académiques, et «les tentatives de l'auteure d'articuler différentes compréhensions d'une situation donnée, d'une forme culturelle ou d'un processus social» (Denzin, 1997: 235.) Ces textes originaux sont devenus par la suite «le lieu d'un nouveau travail d'interprétation», de sorte que notre analyse constitue un nouveau texte à la fois critique et interprétatif (Denzin, 1997: 235).

Le processus de sélection opéré par les étudiantes peut biaiser les données. Bien qu'il ne s'agisse pas ici d'échantillonnage stricto sensu, cela affecte le caractère généralisable des résultats (Neuman, 1994). Les étu- diant-e-s ont contrôlé les observations, décidé de ce qu'elles et ils jugeaient ou non pertinent, de ce qui avait sa place dans le récit, et de la forme que prendrait ce dernier. La longueur du compte rendu, la quantité de détails et les citations directes ainsi que les formules «il semble que...» leur incom- baient. C'est bien entendu toujours le cas des recherches en sciences sociales

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lorsque la récolte des données repose sur la mémoire et sur l'honnêteté intellectuelle. Il se peut que certaines réactions aient été exagérées (d'où la vérification, infra), plus nombreuses que celles rapportées ou enregistrées, ou encore évincées car jugées inappropriées dans un travail académique, notamment les réactions explicitement ou manifestement sexuelles. Ce dernier cas de figure ne ferait que renforcer les assertions et inferences que nous tirons des données.

Une fois les travaux évalués, nous avons sollicité de la part des étu- diant-e-s un exemplaire pour cette étude, en insistant sur le fait qu'il s'agis- sait d'un acte volontaire et sans compensation. En quinze ans, seul-e-s six étudiant-e-s ont refusé. Chaque travail a été numéroté et rendu anonyme. À la fin de leur travail, les étudiant-e-s ont dû indiquer si le compte rendu était correct ou s'il avait été embelli de quelque façon que ce soit. Le faible pourcentage de comptes rendus non conformes à la réalité n'a pas été uti- lisé pour cette étude. Les récits sont donc aussi fidèles et précis qu'une interview ou un sondage et soumis aux mêmes risques d'erreur et de non- réponse (dans ce cas de non-participation) (Neuman, 1994).

Les données ainsi obtenues ont été transcrites et codées de façon à séparer et condenser les informations pertinentes comme suit :

1. Qui a fait quoi, où et quand? Par exemple: «Une femme fume la pipe lors d'une fête d'étudiant-e-s»; «Un homme porte du vernis à ongle rouge vif en classe».

2. Réactions des autres. Par exemple: «Quel pédé!»; «Ils m'ont regardé-e

bizarrement».

3. Justifications et explications données par l'étudiant-e. Par exemple:

«C'est un travail pour un cours».

4. Éléments particuliers rapportés tels quels (verbatim) dans les comptes rendus des étudiant-e-s. Par exemple: «J'ai ressenti de la haine envers les personnes qui [me] fixaient des yeux».

Une fois codées, les données ont été confiées à trois chercheur-e-s indépendant-e-s qui les ont lues attentivement et analysées d'après la méthode de la «Grounded Theory» (Glaser et Strauss, 1967). Le processus de codification ne s'est pas accompli en une seule fois. Nous avons relu les comptes rendus, réorganisé, restructuré les catégories et les thèmes tout en conservant ou modifiant certains concepts apparus dès le départ, en nous appuyant sur la littérature pour l'élaboration théorique. Étant donné le nombre de cas (658), nous avons rapidement atteint le point de saturation théorique (Glaser et Strauss, 1967). Les 3% des cas, soit dix-huit cas, se sont révélés impossibles à coder, pour des raisons d'illisibilité, de manque d'informations ou de non-pertinence avec le schéma conceptuel déve- loppé. Nous les avons exclus de l'analyse.

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Résultats

Nous avons construit l'indicateur de «transgression de la norme» (voir la liste, tableau 1), en nous fondant sur le genre de l'auteure de la transgres- sion ainsi que sur Faction entreprise (par exemple, porter un sac à main et utiliser les toilettes pour femmes lorsqu'on est un homme, connaître la mécanique et ne pas faire le ménage lorsqu'on est une femme, etc.).

Le Tableau 1 propose une liste complète des catégories utilisées dans les travaux des étudiant-e-s-chercheur-e-s, par ordre de fréquence, ainsi que le code sous lequel nous avons classé les actions, à savoir «explicitement sexuel» ou «non explicitement sexuel». C'est là qu'apparaît le caractère arbitraire de toute catégorisation5. Dans la vie quotidienne comme dans la pensée théorique, de Freud au féminisme, il existe un continuum (plutôt que deux catégories opposées) dans la perception de la sexualisation.

Selon Catharine A. MacKinnon (1989), toute action, en particulier entre- prise par une femme, est soumise à une interprétation sexuelle. Cependant, dans la mesure où nous avons dès le début de l'enquête repéré les interpré- tations sexuelles d'actions qui, en soi, ne comportaient apparemment aucune intention sexuelle (par exemple, lorsqu'un homme utilise des cou- pons de réduction au supermarché), nous estimons qu'il est important de faire cette distinction. Pour expliquer ce que nous entendons par «non explicitement sexuel», nous avançons qu'un homme fumant le cigare peut être considéré par certain-e-s comme sexy. Il n'en demeure pas moins que cela n'est pas interprété comme explicitement sexuel ; rien dans son atti- tude n'est choquant. Personne ne l'insulterait, ne l'accuserait de perversion ni ne lui demanderait de rendre des comptes sur son orientation sexuelle.

Freud lui-même a écrit: «Parfois, un cigare n'est qu'un cigare.» En revanche, on considère en général qu'un homme qui offre un verre à une femme dans un bar est en train de lui faire des avances polies. D'après nous, la plupart des femmes interprètent ce geste comme l'expression d'un intérêt sexuel. C'est pourquoi, dans notre codage, lorsqu'une femme offre un verre à un homme, nous avons qualifié cette action d'« explicitement sexuelle».

L'étude a bien entendu comporté des attitudes beaucoup plus ouvertement sexuelles. Certains cas spécifiques ont suscité la discussion et le débat

5. Nous remercions les expertes anonymes de The Sociological Quarterly de leurs critiques sérieuses concernant cette catégorisation ainsi que leurs propositions d'amélioration. Elles et ils ont remis en question cette codification pour la raison qu'elle s'appuie sur notre compréhension de ce que «la plupart» des gens considèrent comme sexuel ou non. Elles et ils ont suggéré que cette catégori- sation gagnerait en validité si elle était confirmée par un jury extérieur. D'après nous, en «grounded theory» et en analyse qualitative, les catégories sont créées puis affinées à partir des données elles-mêmes, des théories existantes, et enfin, des interprétations et de la compréhension de sens

commun des enquêteurs et enquêtrices (Glaser et Strauss, 1967). Que des personnes extérieures à l'é- quipe d'enquête confirment, ordonnent les catégo- ries et leurs variations, permettrait en effet un contrôle de la clarté conceptuelle et de la représen- tativité. Cependant, les jugements et évaluations d'une tierce personne dépendent des mêmes fac- teurs (les données, la théorie et le sens commun).

Cela a été bien montré dans le cadre de recherches en psychologie sociale sur la «féminité» et la «mas- culinité» (Nielsen, 1990: 125-129). Il n'en demeure pas moins que la discussion suscitée par les com- mentaires des expert-e-s anonymes nous a permis de repenser et de renommer nos catégories.

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parmi les analystes en raison de la difficulté à déterminer s'ils relevaient ou non de la catégorie des actes sexuellement explicites. Ces cas contro- versés n'altèrent pas la validité de la thèse principale de cet article.

La discussion ci-dessus fait référence aux différentes situations consi-

gnées dans les rapports de recherche : ce qui s'est passé et comment nous l'avons codé. Dans ce paragraphe, nous décrivons notre codage des inter- prétations des étudiant-e-s ou d'autres personnes impliquées dans ces actions. Dans la mesure du possible, nous avons utilisé leurs propres mots et reporté uniquement les actions qui, au départ non explicitement sexuelles, ont été sexualisés d'une façon ou d'une autre. C'est en tenant pour acquise, en mettant en question et/ou en imposant - et ce, parfois simultanément - l'hétérosexualité de la personne qui transgresse la norme que la sexualisa- tion opère6. En outre, la réaction repose toujours sur un cadre binaire d'opposition entre hétérosexualité et homosexualité - sur le mode «ou bien... ou bien». L'identité sexuelle de celui ou celle qui enfreint la norme devient un problème : on commente ou on questionne une hétérosexualité qui devrait aller de soi. Ce phénomène prend deux formes distinctes selon que l'auteure de la transgression est un homme ou une femme. Pour les hommes, la réaction la plus courante est de les catégoriser homosexuels ou homosexuels potentiels, comme dans le cas du jeune homme qui mettait de côté les coupons de réduction de l'épicerie. En ce qui concerne les femmes, c'est la conformité de celle qui enfreint une hétérosexualité considérée comme allant de soi qui est mise en question, comme dans la contradiction implicite que suppose le fait d'être jolie et de fumer le cigare ; ou dans les cas où l'on dit à une femme qui mâche du tabac (cas 362, 1983) ou fume la pipe (cas 172, 1986) que personne ne peut vouloir sortir avec elle ou l'em- brasser. Ainsi, nous avons dégagé trois formes de sexualisation : le démenti homophobe, l'homosexualisation et l'hétérosexualisation. Cette dernière catégorie varie en intensité pour atteindre parfois l'hyperhétéro-sexualisa- tion. Ces trois catégories constituent ce que nous appelons «l'hétérogenre», c'est-à-dire une norme qui définit les femmes et les hommes selon leur potentiel hétérosexuel: un-e-tel-le pourrait-il/elle faire un-e bon-ne parte- naire, que l'on a envie d'embrasser, avec qui l'on a envie de sortir, etc.

Le recours des étudiant-e-s à l'interprétation bisexuelle brille par son absence. Sur un total de 658 rapports réunis en l'espace de quinze ans, un seul fait référence à la bisexualité: il s'agit de la mention de «bisexuelles cinglées» utilisant les toilettes pour hommes. Alors même que la bisexualité aurait pu servir d'explication plausible dans plusieurs cas, la notion semble

6. Les expert-e-s anonymes nous ont demandé en quoi notre approche de la sexualisation était diffé- rente de l'interprétation psychanalytique selon laquelle presque tout aurait une signification sexuelle. En fait, dans le cas présent, la sexualisa- tion émerge essentiellement quand et parce qu'un individu du «mauvais» sexe accomplit telle activité

ou adopte telle attitude. Cela n'empêche pas que certaines théories s'attachent à tirer au clair les rapports entre sexuel et non sexuel dans le but de déstabiliser l'ordre hétéronormatif. D'après nous, ce n'est pas le cas de la pensée psychanalytique

traditionnelle.

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Tableau 1 : Catégories de transgression de la norme de genre (nombre de transgressions entre parenthèses)

Transgressions féminines non explicitement sexuelles de la norme de genre:

- Acheter/fumer le cigare (24) - Acheter/fumer la pipe (19) - Acheter/mâcher du tabac (19)

- Voitures : changer les roues, acheter, fixer les composants, ouvrir le capot, faire un test de conduite, en parler en connaissance de cause (18)

- Entrer dans/utiliser les toilettes des hommes (16) - Se bagarrer en public (13)

- Ouvrir la porte pour un homme (10)

- Occuper des postes typiquement masculins (pilote, avocat, soldat, géologue, charpentier, videur, emploi dans la construction) (10)

- Ne pas faire le ménage (9)

- Inviter un homme à sortir et payer la soirée (9)

- Parler fort/de façon agressive (en regardant du sport ou saluant quelqu'un) (8) - Se rendre seins nus à des manifestations sportives (7)

- Acheter/essayer des costumes d'hommes (5) - Cracher en public (4)

- Porter la moustache (4) - Parler des règles des femmes (3)

- Soulever des poids à la salle de sports (3)

- Acheter, louer, s'intéresser à du matériel de construction (3) - Porter du parfum pour hommes (3)

- Acheter un slip de sport (3)

- Marcher seule, sortir seule le soir (3) - Porter une tenue de football (2)

- Porter une tenue de Rambo, des vêtements militaires (2) - Envoyer des fleurs à un homme (2)

- Se goinfrer en public (2)

- Jouer au poker avec ses potes (2)

- Ne pas se raser les jambes ni les aisselles (2)

- Porter un portefeuille d'homme, une pince à billets (2) - Roter, péter en public (2)

- Ne pas savoir faire la lessive (1) - Céder sa place à un homme (1)

- Tenir sa chaise à un homme, lui prendre son manteau (1) - Doubler les hommes à la piscine (1)

- Jouer au basket avec des hommes (1) - Défier des hommes au tennis (1) - Pratiquer les arts martiaux (1) - Faire du skateboard (1)

- Cracher avant de frapper la balle de base-bail (1) - S'asseoir les jambes écartées (1)

- Porter un tatouage visible (1) - Être chauve (1)

- Porter une kippa à la synagogue (1) - S'habiller en prêtre (1)

- Paraître androgyne (1) - Uriner au bord de la route (1)

- Être réceptionniste et ne pas sourire (1) - Fréquenter un club de sport pour hommes (1) - Aller à la chasse (1)

- Intégrer un club réservé aux hommes (1)

- Intégrer un groupe religieux exclusivement masculin (1)

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Édito I Grand a ngi e H^^Mnffll Parcours | Comptes rendus | Collectifs

L'hétéronormativité genrée : exemples de la vie quotidienne Ijoyce McCarl Nielsen, Glenda Waiden, Charlotte A. Kunkel

Transgressions féminines explicitement sexuelles de la norme de genre:

- Inviter un homme à danser, lui offrir des verres, draguer des hommes dans des bars (38) - Enfreindre la norme hétérosexuelle : draguer, danser avec, se montrer affectueuse

envers des femmes, fréquenter des bars lesbiens (22) - Assister à des spectacles de strip-tease (19)

- Faire des clins d'œil, siffler, évaluer des corps masculins en public (18) - Fréquenter un sex shop (17)

- Acheter des préservatifs (13)

- Toucher, pincer, caresser des hommes (11)

- Acheter un modèle masculin de bague de fiançailles (5) - Lire Playgirl (4)

- Demander à des hommes de poser nus (4) - Passer des coups de fil obscènes (3) - Parler de sexe (2)

- Lire, utiliser la pornographie (2) - Demander quelqu'un en mariage (2)

- Placer dans le journal une annonce pour rencontrer un homme (1) - Se gratter l'entrejambe (1)

- Raconter des blagues salaces (1)

Transgressions masculines non explicitement sexuelles de la norme de genre:

- Essayer, porter, acheter des vêtements/chaussures pour femmes en public (28) - Porter du maquillage, du rouge à lèvres, ou utiliser la chirurgie esthétique (22) - S'épiler le corps, se colorer ou se friser les cheveux, porter des fleurs dans les cheveux (8) - Porter du vernis à ongles, avoir recours à une manucure (23)

- Porter des boucles d'oreilles (9)

- Faire ou aider à faire les courses, le ménage, être un homme au foyer (9) - Postuler pour ou occuper un emploi féminin : garde d'enfants, écoute et soutien

aux femmes victimes de viol (8) - Coudre, broder, tricoter en public (7) - Pleurer en public (5)

- Porter un sac à main (3)

- Utiliser les toilettes pour femmes (3)

- Témoigner de l'intérêt pour les robes de mariées (2) - Acheter des serviettes hygiéniques (2)

- Demander à une femme d'offrir le restaurant (2) - Parler comme une féministe (2)

- Porter une chemise rose pendant une semaine (1) - S'offrir une pédicure (1)

- Laisser une femme courir plus vite (1) - S'intéresser à la mode (1)

- Soigner ses cheveux (1)

- Porter un tablier et un filet à chignon (1) - Donner des poignées de mains molles (1) - Organiser une soirée Tupperware (1)

- Prendre le rôle de la femme dans les danses de salon (1) - Jouer la demoiselle d'honneur aux répétitions de mariage (1) - Lire des romans à l'eau de rose (1)

Transgressions masculines explicitement sexuelles de la norme de genre:

- Enfreindre la norme hétérosexuelle : danser avec, montrer de l'affection pour les hommes, fréquenter des bars gay (21)

- Essayer, porter des sous- vêtements féminins, porte-jarretelles, nuisette, maillot de bain (12) - Être candidat à un concours de beauté (1)

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totalement étrangère aux paradigmes d'interprétation historiques et cultu- rels des étudiant-e-s comme du reste de la population. Cela constitue en soi une découverte non négligeable qui met au jour Tune des dimensions constitutives du processus d'hétérosexualisation, à savoir de gommer les choix en matière de sexualité.

Nous n'avons pas classé ces conclusions selon le type d'actions entre- prises par les étudiant-e-s, mais selon leurs interprétations, et ce afin de mettre en avant le fait suivant: un large panel d'actes non explicitement sexuels a donné lieu à une gamme de réactions très réduite et récurrente.

Aussi, les réactions, les réponses et les interprétations se sont avérées plus aisées à cataloguer que les actions elles-mêmes. On peut noter le nombre de catégories du Tableau 1 qui ne comportent que peu de cas (voire un seul), ce qui indique la grande variété de situations mises en scène par les étudiant-e-s. Les réactions les plus courantes cependant se traduisent en termes d'hétérogenre, même lorsque les actions entreprises ne compor- taient pas d'interactions sexuelles explicites ni d'indicateurs sexuels conventionnels. Même des dispositifs de recherche inédits tels que celui où un homme organisait des réunions Tupperware ou celui d'une femme por- tant la moustache suscitèrent des réactions assez semblables à celles pro- voquées par des actions plus communes (hommes vêtus en femme, femmes draguant des hommes). Ces schémas permettent de souligner que c'est le fait de transgresser le genre, plutôt que la nature ou le contenu exact de la transgression, qui active des présupposés hétéronormatifs.

Par ailleurs, nous avons découvert qu'à l'éventuelle exception des hommes qui portent des boucles d'oreilles (et aujourd'hui, des femmes qui fument le cigare)7, l'année où l'expérience a été réalisée n'a eu aucune influence sur leur contenu ni sur l'interprétation par les étudiant-e-s ou d'autres personnes8. Nous avons toujours indiqué l'année de réalisation de l'expérience à la suite du numéro du cas, afin de montrer que nous som- mes attentives au contexte historique et de suggérer que l'époque n'a que très peu influencé les attitudes.

7. Le port des boucles d'oreilles par les hommes constitue la seule action dont la signification a changé au cours de la période étudiée (1975- 1990). Dans l'aire géographique où ont été réali- sées la majorité de ces expériences, le port d'une ou deux boucles d'oreilles par un homme était interprété, dans les années 1970, comme une marque d'homosexualité. Au cours des années 1980, il est devenu courant pour des hétérosexuels de porter une boucle à l'oreille gauche. Dans les années 1990, la frontière s'est complètement estompée, même s'il est toujours assez rare qu'un hétérosexuel porte une boucle à chaque oreille. La consommation d'un cigare par une femme consti- tuait encore une transgression de la norme de

genre durant la période 1975-1990. Depuis les années 1990, c'est devenu à la mode, peut-être même un symbole sexuel pour certaines femmes.

Ces deux cas de figure sont codés comme des

actions non sexuelles dans le Tableau 1 .

8. Les personnes qui ont évalué les versions pré- cédentes de cet article ont été réticentes à accepter ce résultat de nos analyses quantitatives et quali- tatives (à savoir que, durant toute cette période, le choix d'actions des étudiant-e-s et les réactions

reçues n'ont pas changé). Nous ne pouvons qu'in- sister sur ce point, à l'intention de nos lectrices et lecteurs: si le moindre changement était apparu, nous aurions eu le plaisir de le rapporter, mais il n'y en a pas eu.

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Le thème qui domine dans tous ces comptes rendus est celui d'hétéro- genre. Comme on pouvait s'y attendre, les transgressions de la norme de genre explicitement sexuelles (par exemple danser avec, embrasser, tenir la main d'une personne du même sexe ; les femmes qui sifflent les hommes et évaluent leurs atouts) ont provoqué des réactions plus ouvertement sexuel- les que celles non explicitement sexuelles. Mais le plus intéressant est le nombre relativement important d'actions à caractère sexuel non explicite qui ont donné lieu à des interprétations hétérogenrées, ce que nous analy- sons plus loin.

L' heterogen re

Démentis homophobes lors de transgressions de la norme de genre

Un nombre non négligeable d'étudiant-e-s ont commencé leurs rapports en insistant sur leur hétérosexualité, de peur que nous (pourtant seules lectri- ces potentielles), ou d'autres personnes au courant de leur expérience, les jugions homosexuelle-s. Cette précaution est apparue pour bon nombre

d'actions enfreignant explicitement les normes hétérosexuelles et s'est souvent accompagnée d'un déni d'homosexualité ou de l'expression de la peur d'être pris-e pour un-e homosexueHe9. Cependant, même celles et ceux qui mettaient en scène des transgressions moins explicitement sexuelles ont cru devoir préserver une image hétérosexuelle. Par exemple, l'étudiant qui avait organisé chez lui une réunion Tupperware (cas 532, 1990) avait prévenu ses invité-e-s: «Quoi qu'il arrive ce soir, rappelez-vous queje ne suis pas gay,» Un autre, qui s'était verni les ongles en «rouge vif»

(cas 005, 1986), avait précisé à trois passantes différent-e-s que c'était pour un travail universitaire et avait remarqué leur soulagement «d'ap- prendre queje n'étais pas gay.» Un autre (cas 135, 1990), qui avait adopté une poignée de main molle dans trois contextes différents, a rapporté qu'il avait tellement peur de passer pour gay qu'il n'avait cessé de «parler de filles pour que John ne me prenne pas pour un homo. » Ce même étudiant avait intitulé son papier «Homo ou pas homo?» Ces exemples illustrent bien l'utilisation de l'opposition binaire homo/hétéro et de l'autocensure de la part de celles et ceux qui enfreignent la norme : elles et ils ont anticipé

9. Quelques exemples: une femme dans une bijouterie qui se montrait affectueuse avec une autre femme (cas 121, 1978) a rapporté: «Nous

nous considérions comme des hétérosexuelles nor-

males... être cataloguées homosexuelles nous a profondément répugné.» Un étudiant ayant choisi de transgresser la norme en dansant avec des hommes (cas 708, 1978) raconte: «Je sais queje suis hétérosexuel, ou du moins je crois l'être, et pourtant j'ai été furieux qu'on me dise ce genre de choses (dépréciatives).» Une femme qui était entrée

dans une bijouterie avec une amie pour acheter des anneaux (cas 903, 1990) écrit: «Plusieurs fois durant l'expérience, j'ai eu envie de préciser queje n'étais pas réellement lesbienne.» Un homme qui a demandé à essayer de la lingerie dans un magasin d'une ville universitaire (cas 426, 1983) raconte qu'il est retourné une semaine plus tard dans la boutique expliquer à la vendeuse qu'il s'agissait d'une expérience pour un travail universitaire, afin qu'elle «ne croie pas que j'étais gay».

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les soupçons d'homosexualité et affirmé leur hétérosexualité, et ce même avec des inconnu-e-s 10.

L'étiquetage homosexuel

Nous nommons «étiquetage homosexuel» les termes péjoratifs culturelle- ment définis à l'intention des gays et des lesbiennes, tels que «pédé» ou «gouine». Quand ils sont utilisés par autrui, nous parlons d'homophobie «externe»; quand ils sont utilisés par celles et ceux qui enfreignent la norme, nous qualifions cet étiquetage d'homophobie «interne». Nous avons conscience que ces termes ont été revendiqués et réinterprétés par certaines communautés homosexuelles qui les utilisent de façon positive.

Il nous semble cependant que tel n'était pas ici leur usage. Comme le mon- trent les exemples, ces étiquettes étaient utilisées dans le but de stigmatiser et marginaliser une conduite jugée inappropriée du point de vue du genre en la définissant comme une déviation sexuelle.

Les étudiants qui ont mis en œuvre les transgressions se sont vus éti- quetés homosexuels de façon ouverte et insultante. Ils ont essuyé des moqueries sous-entendant à la fois qu'ils étaient des femmes et/ou des

homosexuels.

Les étudiants ont exprimé des associations courantes entre certaines actions (non explicitement sexuelles) et le fait d'être homosexuel. Un jeune homme a par exemple écrit :

«Je considérais les boucles df oreilles comme un symbole de liberté; dans le contexte de l'étude, cela devenait un symbole de féminité et de perversion: le pro- pre d'un homosexuel.» (Cas 332, 1979; voir note 6 concernant le changement culturel d'interprétation dans le port des boucles d'oreilles par les hommes).

De la même façon, un homme qui achetait des cosmétiques (cas 021, 1981) a livré cette réflexion: «L'usage masculin du maquillage est un acte de vanité ou, pire, peut engendrer l'homosexualité.»

10. Transgresser la norme hétérosexuelle (par exemple, danser avec un-e partenaire du même sexe ou fréquenter des bars gay) soulève la question sui- vante: comment les étudiant-e-s bi/homosexuel-le-s ont-ils/elles traité la consigne? Au fil des années, elles et ils furent de plus en plus nombreux à venir nous dire qu'elles/ils constituaient déjà une «infrac- tion vivante» à la norme, que leur vie n'avait été qu'une immense et perpétuelle transgression de genre. Nous leur avons recommandé de consigner leur expérience ou de choisir une forme de trans- gression inédite pour eux. En quinze ans, seul-e-s

deux d'entre elles/eux ont opté pour la première possibilité ; elles/ils ne font pas partie de notre pré- sente analyse. Sur six cents étudiant-e-s qui ont participé à ce projet, sept ont affiché ouvertement leur homosexualité dans leur compte rendu. Leurs expériences consistaient à porter du maquillage en public pour un homme, danser avec une partenaire pour une femme, montrer de l'affection aux femmes d'un groupe dont une seulement se disait lesbienne, avoir une querelle amoureuse en public pour deux femmes, porter du vernis et se limer les ongles pour un homme.

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L'hétéronormativité genrée : exemples de la vie quotidienne IJoyce McCarl Nielsen, Glenda Waiden, Charlotte A. Kunkel

Le même type de confusion entre homosexualité et attitudes non explicitement sexuelles, mais cette fois-ci «féminines» ou traditionnelle- ment réservées aux femmes, s'est révélé dans plusieurs situations où des hommes achetaient des vêtements pour femmes ou des produits d'hygiène.

Dans deux cas, clientes et vendeuses ont eu la réaction suivante: «II n'a- vait pourtant pas l'air homo» et «J'ai compris qu'il était gay seulement quand il a ouvert la bouche» (cas 046, 1983 et 352, 1988 respectivement).

Quand un étudiant a avoué que sa séance de manucure faisait partie d'un travail universitaire (cas 586, 1877), l'esthéticienne a répondu: «Je m'en suis doutée, vous n'avez pas l'air homo. » Le même étudiant rapporte que ses amis l'ont taxé, pour rire, de «tapette». Un homme qui portait des bou- cles d'oreilles dans le cadre de son expérience (cas 332, 1979) a relaté la réaction de sa petite amie: qu'il arrête de les porter car il avait l'air gay.

Un homme qui portait une fleur dans les cheveux (cas 554, 1979) reçut ce type de réactions: «T'es tout mignon aujourd'hui!» et «Regardez- moi ça s'il est mignon!» Un homme qui s'est promené sur le campus et en ville vêtu d'une jupe a suscité des commentaires tels que: «Quel pédé!»

(cas 001, 1988). Dans un bar de quartier, deux hommes en robe reçurent ce genre de commentaires: «C'est interdit aux pédales ici!» (cas 324, 1979).

Deux autres hommes vêtus de la même façon (cas 111, 1981) firent l'objet de railleries: «Regardez ces tarlouzes!» et «Salut le pédé, tu m'invites à danser?» Une fois de plus, des actes non explicitement sexuels se sont vus sexualisés.

Les femmes ayant transgressé la norme de genre ont suscité des réac- tions similaires, tout en étant moins souvent en butte à l'homophobie. Par exemple, une femme ayant déclenché une bagarre avec un homme dans un bar, lui donnant un coup de poing au passage, a été jugée «un peu camion- neuse sur les bords» (cas 767, 1982). Par ailleurs, une femme et un homme ayant inversé les rôles du dragueur et du dragué lors d'une fête et dans un bar (cas 234, 1990) ont été respectivement traités de «gouine, salope» et de «pédé».

Si l'étiquetage homosexuel (homophobie externe) a été moins souvent utilisé pour disqualifier les femmes, celles-ci ont cependant exprimé leur crainte d'être prises pour des lesbiennes (homophobie interne). Afin d'illus- trer l'ampleur de ces craintes et la présence de l'homophobie dans un grand nombre d'expériences, nous dressons ici une liste de cas de figure : les femmes ont craint de passer pour lesbiennes lorsqu'elles portaient un parfum d'homme (cas 309, 1987), faisaient du sport dans une salle entière- ment masculine (cas 704, 1978), ne s'épilaient ni les jambes ni les aisselles (cas 152, 1987 et 483, 1988), essayaient des costumes d'hommes (cas 754, 1976), assistaient à une soirée entre filles vêtues d'un costume cravate (cas 415, 1990), fréquentaient un bar seules (cas 133, 1990), fumaient la pipe (cas 286, 1978), achetaient et consommaient des cigares (cas 494, 1986). Le cas d'une femme ayant invité un collègue à dîner (cas 034, 1979) et s'inquiétant qu'il puisse la croire lesbienne s'avère particulièrement

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intéressant car il démontre que n'importe quel acte est susceptible d'être étiqueté homosexuel Qu'une femme invite un homme à sortir devrait, semble-t-il, laisser penser qu'elle est hétérosexuelle. Or, le simple fait d'a- voir osé le premier pas avec cet homme a suffi à soulever chez l'étudiante la crainte qu'il la soupçonne d'être lesbienne !

Le cas 770 (1975), celui d'une femme portant une moustache, illustre à la fois l'homophobie interne et l'hétérosexualisation. L'étudiante rapporte : «J'ai dû me faire violence pour ne pas me maquiller, alors que je ne me maquille pas d'habitude (un désir d'affirmer mon identité sexuelle?)» et elle reçut ce genre de réactions: «Un petit bisou du matin? Non finale- ment, j'ai changé d'avis.»

Hétérosexualisation

L'hétérosexualité obligatoire a été imposée aux femmes via le processus d'hétérosexualisation, celui-ci pouvant prendre trois formes: l'hétéro- sexualisation indirecte, manifeste ou l'hyperhétérosexualisation. Les fem- mes ont été jugées et évaluées avant tout d'après l'effet d'attraction de leurs actions sur les hommes. On n'a rapporté aucun cas d'homme soumis à l'hétérosexualisation (c'est-à-dire jugés d'après leur capacité à attirer les femmes).

Hétérosexualisation indirecte

L'hétérosexualisation indirecte renvoie au «sex-appeal» et à la disponibi- lité des femmes vis-à-vis des hommes (si une femme est jolie, mignonne, charmante). Par exemple, une femme venue demander du bois dans un magasin spécialisé (cas 095, 1983) a été décrite par l'un des employés comme «l'un des plus jolis charpentiers que j'aie jamais vus». Et à deux femmes qui avaient commencé une bagarre (cas 682), on a demandé: «Est- ce une façon de se comporter pour deux jolies jeunes filles?» Parfois, on leur a prodigué des conseils en termes hétérosexuels. La mère d'une femme qui fumait un cigare devant famille et amis (cas 446, 1977) lui a conseillé de «ne pas agir de la sorte devant des hommes».

Dans un autre exemple, un homme a répondu à une femme qui mâchait du tabac (cas 649, 1990): «C'est la première fois qu'une fille me demande du tabac à mâcher. Et je n'aurais pas cru qu'elle aurait été si mignonne.» La qualification de mignonne n'échappa pas à celle qui avait enfreint la norme sexuelle, puisqu'elle rapporta: «Son (...) commentaire me décrivant comme mignonne m'a vraiment énervée (...) je l'ai interprété (...) de la façon suivante : une femme n'est véritablement une femme que (...) quand elle garde (...) sa féminité.» Une autre femme, qui fumait un cigare lors d'une soirée entre hommes (cas 400, 1987), a remarqué que «la pré- sence du cigare empêchait les hommes de la draguer».

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L'hétéronormativité genrée : exemples de la vie quotidienne Ijoyce McCarl Nielsen, Glenda Waiden, Charlotte A. Kunkel

Hétérosexualisation manifeste

D'autres dispositifs de recherche engendrèrent des commentaires encore plus explicites concernant la disponibilité sexuelle et la sexualité des femmes.

Par exemple, à une femme travaillant à la mine de charbon (cas 679, 1979), on a dit: «Tu devrais poser pour les pages centrales de Playboy au lieu de travailler à la mine. » Une autre femme qui portait une boîte à outils et des bottes renforcées (cas 523, 1988) s'est sentie «offensée» qu'un homme lui ait demandé avec un regard plein de sous-entendus: «Etes- vous sûre de savoir utiliser tous ces outils?» Alors qu'elles étaient en train de faire leur boulot (activité non sexuelle), on s'est adressé à elles ou on les a définies en termes hétérosexuels11.

Les exemples qui suivent soulignent l'importance pour une femme

d'être attirante afin de maintenir des relations socialement reconnues avec les hommes. Ils illustrent en cela un autre aspect de l'hétéronormativité.

Dans le cas 172 (1986), une femme avait fumé la pipe devant le groupe de séminaire de son mari. Quelqu'un lâcha: «Heureusement qu'elle est mariée car personne ne voudrait sortir avec elle. » Deux femmes qui mâchaient du tabac et fumaient des cigares dans une petite ville universitaire (cas 517,

1988) rapportèrent les propos d'un passant: «Jamais je ne sortirais avec une fille qui fume le cigare.» Dans le cas 182 (1986), une femme qui portait la moustache lors d'un rendez-vous arrangé reçut comme commentaire:

«Elle ne trouvera jamais de mari.»

Le cas 141 (1990) témoigne d'une hétérosexualisation encore plus manifeste. Une femme garagiste qui réparait les voitures chez elle comme au garage raconte qu'un homme l'a remerciée avant de lui caresser la main de façon suggestive. Les hommes ont souvent montré un grand enthou- siasme sexuel face aux femmes qui transgressaient la norme de genre. Par exemple, à une femme l'invitant à danser (cas 287, 1978), un homme répondit: «Mon dieu, c'est une première. Allons dans ma voiture.» La même ardeur a été provoquée par les actions non explicitement sexuelle. Deux femmes ayant postulé à des emplois «typiquement masculins» (cas 735,

1977) se sont vues répondre: «Vous ne ressemblez pas à des mécaniciens, mais pourquoi ne pas en discuter autour d'un verre?» On les a refusées comme mécaniciennes, mais on a vu et estimé leur potentiel sexuel.

Même des actions entreprises par des femmes pénétrant dans des espaces réservés aux hommes (Goffman, 1977), par exemple les toilettes pour hommes, ont suscité des remarques sexuelles: «Tu peux rester un peu plus longtemps, poupée», «Tu veux me tenir la main?» (cas 029, 1986) et «Tu veux m'en tailler une petite tant que tu y es?» (cas 418, 1990).

11. De la même façon, la plupart des femmes dont l'expérience consistait à fréquenter un club de strip-tease ou un sex-shop présentèrent leur action comme une tentative d'entrer dans un lieu «inter-

dit» - autrement dit, il s'agissait d'envahir un ter- ritoire considéré comme masculin. La probléma- tique liée à la sexualité est toutefois apparue au moment où elles ont passé à l'action.

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Une femme qui avait envoyé des fleurs à un homme (cas 471, 1981) écrivit (afin de justifier son infraction à la norme?): «Une fille a autant le droit qu'un homme de coucher à droite et à gauche», comme si envoyer des fleurs s'apparentait à un rapport sexuel.

L'hyperhétérosexualisation: l'ombre de la salope

Enfin, l'attribution d'une activité sexuelle accrue, voire très accrue (hyper- hétérosexualité), a constitué une réponse fréquente aux expériences menées par des femmes. Les appétits et goûts sexuels des étudiantes ont été soumis au jugement et/ou jugés «faciles» par d'autres et parfois par elles-mêmes.

Une femme assise jambes écartées dans une salle de cours à l'université, dans un centre commercial et lors d'un mariage (cas 186, 1986) a livré la réflexion suivante: «Les gens ont eu tendance à interpréter ma façon de me tenir comme une invite sexuelle plutôt que comme une attitude masculine.»

Cet exemple témoigne bien de la tendance à interpréter l'attitude des fem- mes en termes d'hétérosexualité, car son action consistait simplement à adopter le langage corporel masculin. Dans un autre cas (cas 218, 1986), une femme qui avait envoyé des fleurs à un homme s'est entendu dire par un ami qu'en réalité elle signifiait qu'elle voulait coucher avec cet homme.

Enfin, une femme qui avait décidé d'aller à la chasse avec son mari et les amis de ce dernier (cas 629, 1977) rapporta: «Une fille m'a téléphoné, sous- entendant que j'étais une sorte d'obsédée sexuelle.» Elle ajouta: «La plupart des épouses conclurent queje courais après leur mari.»

Ces exemples montrent que quand une femme adopte une attitude inha- bituelle, on présume souvent qu'elle est sexuellement agressive ou qu'elle couche avec tous les hommes, même en l'absence de message ouvertement sexuel. En somme, les références au sex-appeal des femmes, les sous-enten- dus sexuels, ainsi que l'insistance sur le caractère sexuel des relations hom- mes-femmes supposent toujours l'hétérosexualité. Ces schémas démon- trent que la vie quotidienne des femmes est colonisée par l'hétérosexualité «obligatoire» tant et si bien que même des actes affichés de transgression de la norme de genre ou de rébellion sexuelle sont ignorés ou banalisés.

Discussion

Nous pouvons résumer brièvement nos conclusions: les attentes et les interdits hétéronormatifs, d'ordinaire acceptés sans remise en question, qui forment la toile de fond de la culture américaine contemporaine, émergent quand les frontières traditionnelles de genre sont franchies. Par ailleurs, l'hétéronormativité elle-même est genrée, preuve en est l'homosexuali- sation des hommes perturbateurs et l'hétérosexualisation des femmes per- turbatrices. Cette étude contribue à plusieurs titres à la compréhension de l'hétérosexualité institutionnalisée et de la manière dont elle opère dans la vie quotidienne.

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Édito I Grand angle QQ99DEEI Parcours | Comptes rendus | Collectifs t'hétéronormativité genrée : exemples de la vie quotidienne

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Premièrement, malgré l'utilité de la distinction entre hétérosexualité institutionnalisée et hétérosexualité ressentie ou vécue (Jackson, 1996), nos résultats soulignent à quel point les attentes heteronormatives s'im- miscent dans l'expérience vécue au quotidien. Certes, la littérature ne manque pas d'exemples sur les avantages non reconnus d'une vie d'hété- rosexuel-le comparés aux inconvénients d'une vie d'homosexueMe. Il n'en demeure pas moins que les situations rapportées ici, dans lesquelles des personnes ont été confrontées au discours explicitement formulé de l'hété- rosexualité institutionnalisée, précisément parce qu'elles avaient franchi les frontières du genre, sont tout à fait spectaculaires. Elles mettent au jour les interconnexions entre la structure sociale et l'expérience individuelle, ainsi que la relation étroite entre le genre et la sexualité.

Deuxièmement, même si nous appréhendons l'hétérosexualité institu- tionnalisée comme allant de soi et parfaitement assumée par les individus, notre étude montre que l'hétérosexualité nécessite une réactivation cons- tante. Il apparaît qu'elle est vigoureusement maintenue (de façon interne et externe) par une stigmatisation à laquelle s'ajoute une invisibilisation de toute alternative. Parallèlement, la confusion entre genre et sexualité est mise en évidence dans les actes les plus quotidiens. La transgression du genre menace les privilèges que les hommes tirent de l'hétérosexualité;

pour les femmes, elle engendre une évaluation de leur désirabilité et dispo- nibilité sexuelle vis-à-vis des hommes. Comprendre comment fonctionnent le genre et l'hétérosexualité institutionnalisée, et que tous deux sont socia- lement construits, peut guider notre action en vue de les démanteler.

Si la théorie débat de ces problématiques, il est cependant utile de les illustrer par des données riches et systématiques. De plus, nos illustrations viennent combler un vide empirique. Rosemary Pringle (1992) et Steven Seidman (1996) rappellent que la théorie et la recherche en sciences socia- les n'ont pas encore montré comment l'hétéronormativité œuvre au quoti- dien, même si sa présence dans les représentations culturelles est relative- ment bien étudiée. La valeur de l'enquête de terrain est encore plus visible dans les cas où les hypothèses théoriques sont sujettes à controverse ou contredites par certaines recherches. Prenons pour exemple la théorie d'Al- lan Hunter (1992) selon laquelle le lien conceptuel entre masculinité et hétérosexualité masculine est moins fort que celui établi entre féminité et hétérosexualité féminine. Nos données suggèrent que la différence entre les deux n'est pas quantitative mais qualitative. Quoi qu'il en soit, il est inhabituel de comparer dans un même article les mécanismes de l'hétéro- sexualité obligatoire aussi bien chez les femmes que chez les hommes. Bien que les spécialistes du genre, toutes disciplines confondues, reconnaissent les liens constitutifs qui unissent masculinité hétérosexuelle et homopho- bie d'un côté (Connell, 1992; Herek, 1986; Lehne, [1980] 1998), féminité hétérosexuelle et inégalité de genre de l'autre, ces thématiques sont en général traitées dans des travaux distincts.

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Nous n'avons pas directement étudié l'inégalité de genre, mais nos résultats sont congruents avec les travaux théoriques qui établissent un lien entre sexualité et inégalité de genre. L'un des présupposés des premiè- res théories féministes radicales états-uniennes était que «l'hétérosexualité est le pilier de l'inégalité de genre» (MacKinnon, 1989, p. 113). Adrienne Rich (1980) a formulé son caractère institutionnalisé sous la notion d'« hétérosexualité obligatoire». Pour beaucoup de chercheur-e-s dans ce domaine, le système de genre se fonde sur le contrôle de la sexualité des femmes (Renzetti et Curran, 1999; Lorber, 1994), même si d'autres expres- sions de la subordination des femmes (et notamment l'appropriation de leur travail) sont également reconnues. Les théories queer (Fuss, 1991 ; Richard- son, 1996; Rubin, 1984; Warner, 1993) et les théories féministes culturalistes (par exemple Butler, 1991) ont ensuite développé l'idée que l'hétérosexualité institutionnalisée se situe à l'intersection des systèmes de genre et de sexua- lité. Ces théoriciennes défendent l'idée que c'est l'hétérogenre plutôt que le genre lui-même qui constitue la base de l'inégalité (Ingraham, 1994). Nos résultats confortent cette approche de la stratification de genre. Par ailleurs, les exemples rapportés ici montrent qu'un facteur clé du maintien de l'iné- galité de genre et du privilège hétérosexuel est le renforcement et l'accepta- tion des différences - qu'elles soient d'apparence ou de comportement - entre les femmes et les hommes. C'est essentiellement quand les femmes entreprennent des actions «masculines» et vice versa que la sexualité devient un enjeu. Bien que nombre d'auteur-e-s, dont les théoricien-ne-s du queer en particulier, soutiennent que ce ne sont pas tant les différences en elles-mêmes, mais leur évaluation et leur signification sociales, qui sont la clé de l'inégalité, notre étude insiste sur le rôle décisif du renforcement des différences dans le maintien de l'hétérogenre. Il apparaît ainsi que la ques- tion de 1'« identité» [«sameness»] est peut-être plus importante pour l'égalité qu'on ne le pensait.

Cette discussion forcément abrégée des implications de nos résultats montre que ceux-ci sont précieux car potentiellement susceptibles d'affi- ner et de compléter les théories de genre existantes. D'un point de vue pra- tique, une compréhension plus globale et approfondie du système d'(hétéro) sexe/genre, de ses points vulnérables et de son fonctionnement quotidien, ne pourra que multiplier les possibilités de transcender l'hétéro- genre lui-même. ■

Traduction de l'anglais (États-Unis) par Penine Chambón et les éditrices

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108. | NQF Vol. 28, No 3 / 2009

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