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Le WIR en Suisse : la révolte du puissant ?

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Le WIR en Suisse : la révolte du puissant ?

VALLET, Guillaume Antoine

Abstract

La monnaie WIR existe en Suisse depuis 1934. Née dans un contexte de crise économique et monétaire, elle est parvenue à résister aux changements économiques et sociaux et à se développer. Utilisée aujourd'hui par plus de 60 000 entreprises en Suisse, son succès renvoie à un modèle économique et social cohérent que véhicule cette monnaie particulière. Cet article cherche à comprendre les raisons de cette force, et à les mettre en relation avec le système monétaire suisse officiel. Nous nous interrogeons en particulier sur la possible contestation de ce dernier par la monnaie WIR, du fait de son réseau et des valeurs qu'elle incarne. Nous mettons en évidence que le WIR est en fait intégré au système monétaire suisse officiel, mais que son existence et sa force permettent à la dynamique d'ensemble de bien fonctionner. Le WIR est « puissant » car il est au cœur du fonctionnement économique et social de la Suisse, montrant par son exemple que la pluralité monétaire sert l'unité monétaire du pays, tout comme la force du tissu industriel de ses PME, en s'appuyant sur la « force des liens [...]

VALLET, Guillaume Antoine. Le WIR en Suisse : la révolte du puissant ? Revue de la régulation , 2015, vol. 18 / 2e sem. - Autumn 2015

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:79865

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Revue de la régulation

18  (2e semestre / Autumn 2015)

Contestations monétaires. Une économie politique de la monnaie

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Guillaume Vallet

Le WIR en Suisse : la révolte du puissant ?

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Guillaume Vallet, « Le WIR en Suisse : la révolte du puissant ? », Revue de la régulation [En ligne], 18 | 2e semestre / Autumn 2015, mis en ligne le 20 décembre 2015, consulté le 06 janvier 2016. URL : http://

regulation.revues.org/11463

Éditeur : Association Recherche & Régulation http://regulation.revues.org

http://www.revues.org

Document accessible en ligne sur : http://regulation.revues.org/11463

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Guillaume Vallet

Le WIR en Suisse : la révolte du puissant ?

Introduction

1 La Suisse est souvent associée, dans l’imaginaire collectif, à ses banques, son secret bancaire et sa monnaie nationale, le franc suisse. Ces éléments seraient au cœur de son modèle et de sa réussite, puisque la Suisse est un des pays les plus riches de la planète (78 928 $ en termes de PIB par habitant en 2012). Or d’autres facteurs doivent être considérés lorsque l’on aborde le cas helvétique. Si l’industrie joue en particulier un rôle très important dans ce succès (Schär et Schwarz, 2012), l’existence de monnaies parallèles au franc suisse est présentée comme assurant une certaine souplesse au fonctionnement d’ensemble de l’économie. La monnaie WIR, émise par la banque WIR, est sans doute l’exemple le plus significatif, puisqu’en Suisse près de 60 000 entreprises l’utilisent comme unité de compte et comme monnaie de règlement, et ce depuis sa création en 1934. La monnaie WIR est, par conséquent, au cœur d’un système d’échanges inter-entreprises qui fonctionne comme un réseau préférentiel, dont le but économique est de multiplier les opportunités d’échanges entre participants. Pour se faire, il s’appuie plutôt sur le modèle de plates-formes d’échanges, avec une efficacité telle qu’il est une source d’inspiration pour d’autres expériences internationales récentes, comme Sardex en Sardaigne. Du point de vue français, le système WIR fait partie des exemples « modèles » cités par un rapport du Ministère du Redressement Productif commandé en 2013. On reconnaît, en particulier, sa capacité à générer des opportunités de croissance économique soutenable pour les territoires (Pipame, 2013). Les raisons d’un tel résultat et d’une telle « longévité » interpellent, principalement en ce qui concerne les modes et les effets de la coexistence de cette monnaie avec le franc suisse. Autrement dit, le WIR n’est-il qu’une simple monnaie parallèle, intégrée au système franc suisse existant, ou représente-t-il, au contraire, une concurrence à l’égard de la monnaie nationale helvétique ? Cette question est déterminante pour nous, étant donné qu’elle induit une réflexion relative au débat pluralité/unicité monétaire, qui se joue ici dans le cadre d’un petit pays ouvert dont l’unité monétaire est relativement récente sur le plan historique (création de la Banque Nationale Suisse en 1907), et s’intègre dans un contexte de crise économique à l’œuvre depuis 2007.

2 Pour répondre à l’interrogation posée ci-dessus, nous nous baserons essentiellement sur des documents internes à la banque WIR, ainsi que sur les témoignages de hauts responsables de la banque, recueillis lors d’entretiens. Cela signifie que nous nous appuierons majoritairement sur la perspective de la banque WIR. Ceci étant précisé, nous procéderons en trois temps.

Une première partie présentera les principales caractéristiques du système WIR, notamment à travers une perspective historique. Une seconde partie mettra en évidence la « puissance » d’un tel système dans le cadre de l’économie suisse, avec la perspective sous-jacente de la contestation monétaire en Suisse à laquelle le WIR participerait. Enfin, une troisième partie tranchera le débat, mettant en avant la compatibilité des systèmes WIR et franc suisse, dont la synergie institue la « force » de la monnaie dans ce pays sur les plans économiques et sociaux.

1. Présentation du système WIR : fondements et principes

3 Revenons tout d’abord sur les éléments historiques et théoriques relatifs au WIR, indispensables à la compréhension de son mode de fonctionnement actuel.

1. 1. Une perspective historique et théorique

4 La monnaie WIR a été fondée le 16 octobre 1934 — soit il y a tout juste 80 ans — par deux hommes d’affaires et intellectuels suisses, Werner Zimmermann et Paul Enz1, en réaction au contexte récessif de la Suisse des années 1930. Comme ailleurs dans le monde, cette période est marquée, en Suisse, par les effets dévastateurs de la crise de 1929 qui se répercutent notamment sur le système bancaire helvétique traditionnel. Celui-ci est fortement déstabilisé par une crise systémique entre 1931 et 1934, comprenant la disparition de la Banque de Genève en 1931, et le sauvetage in extremis de la Banque Populaire Suisse — une des grandes banques nationales

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en 1933 —, par l’action conjointe de la Banque Nationale Suisse (BNS) et du Conseil fédéral helvétique. Ces tensions ont également des répercussions sur l’économie : le crédit bancaire et la demande sont en chute libre, et ce d’autant plus que la BNS accorde la préférence à l’ancrage à l’or pour préserver l’attractivité de la place financière suisse (Ponsot et Vallet, 2013).

5 Zimmermann et Enz ont alors l’idée de créer une coopérative nommée WIR-Cercle économique société coopérative (nom qu’elle a gardé jusqu’en 1998). Il s’agit plus précisément d’une organisation d’entraide pour les entreprises de différents secteurs, permettant à ses membres de renforcer leur coopération tout en stimulant leurs échanges. Le but étant, pour chacun, de mettre son pouvoir d’achat au service des autres afin d’accroître la performance d’ensemble du système. D’où l’idée d’instituer une monnaie permettant de faciliter l’accès au crédit et les échanges, à une époque où l’on estime que 20 % des billets en circulation sont thésaurisés en Suisse (Wüthrich, 2008). Ce programme devient effectif en 1936, avec l’obtention d’une licence officielle de banque. Très critiques à l’égard de la thésaurisation et plus largement du développement du capitalisme financier, Zimmermann et Enz s’inspirent à cet égard des idées de Silvio Gesell, lequel militait pour l’instauration d’une

« monnaie franche ».

6 À l’instar de Keynes, Gesell conteste la loi de Say (ou loi des débouchés) selon laquelle toute offre engendre sa propre demande par l’intermédiaire des revenus qu’elle contribue à distribuer, empêchant, de fait, tout dysfonctionnement macroéconomique. Selon Gesell, ce schéma n’est pas valide dans une économie monétaire, car les producteurs souhaitent, quoi qu’il arrive, écouler leur production (Clerc et Finckh, 1998). Ce désir peut être contrarié par la volonté des demandeurs de ne pas dépenser leur argent : il y a contradiction entre les fonctions de la monnaie « moyen de paiement » et « réserve de valeur ». Une telle relation asymétrique dépend du niveau d’inflation et du taux d’intérêt, dans la mesure où ces derniers modifient l’arbitrage intertemporel consommation-épargne des agents économiques.

7 Pour Gesell, il est donc nécessaire que les détenteurs de monnaie soient incités à utiliser cette dernière, ce qu’il exprime par l’expression « monnaie fondante ». Il est fondamental de définir un équilibre entre coût de détention de la monnaie et coût de détention d’un bien pour que le système fonctionne. Il faut, pour cela, dévaloriser régulièrement la valeur monétaire des moyens de paiement, et limiter voire annuler toute référence à un taux d’intérêt :

[…] la réforme proposée revient, au fond, à imposer un intérêt négatif sur les fonds détenus par une personne. Si je prête cette somme, je transfère à l’emprunteur le coût de la liquidité : cela permet de réduire d’autant le niveau de ma rémunération, puisque, en prêtant, je réalise une économie.

(Clerc et Finckh, 1998)

8 Il ne s’agit pas d’éliminer tout intérêt devant rémunérer la prise de risque, mais l’intérêt « pur » qui renvoie à une rente néfaste.

9 Blanc (2002, p. 11) donne davantage de précisions en montrant que, selon Gesell, le taux d’intérêt se décompose en 3 éléments :

• une prime de risque (liée au risque de défaut) ;

• une prime de hausse (le taux d’inflation anticipé) ;

• et un intérêt fondamental ou «  tribut  », qui est «  le taux d’intérêt fondamental qui rémunère les avantages de la monnaie sur les autres biens  ». Ce dernier est le taux d’intérêt « pur » dont nous avons parlé précédemment. C’est cet intérêt qu’il faudrait éliminer dans la mesure où il rémunère la détention de la monnaie, et à terme perturbe l’activité économique.

10 Plus largement, cela signifie donc que pour Gesell l’exploitation humaine ne se situe pas forcément dans les rapports de production, mais davantage dans la sphère de la distribution en lien avec les dysfonctionnements de la monnaie (Onken, 2000). La monnaie délivre à qui la détient un pouvoir « exorbitant » sur le marché et les acteurs y échangeant, car d’une part c’est un actif qui peut être thésaurisé, notamment pour des motifs de spéculation, empêchant la monnaie de circuler dans l’économie  ; d’autre part, c’est un actif dont la liquidité est supérieure à celle des biens et services échangés, ce qui confère à son détenteur un avantage indéniable. En résumé, si «  l’économie monétaire libre  » de Gesell n’est pas le laisser-

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faire, elle ne correspond pas non plus au communisme. Ce serait plutôt une « économie de marché sans capitalisme » (Onken, 2000, p. 614), c’est-à-dire sans capitalisme non libéral et financier, porteuse de nouvelles valeurs économiques et sociales incarnées dans la monnaie.

De ce point de vue, Gesell considère « l’économie monétaire libre » comme une « utopie créatrice », pour reprendre Schnapper (1996), au sens où sa concrétisation permet de faire exister matériellement des valeurs et des principes moraux.

11 Zimmermann et Enz se situent dans cette perspective lorsqu’ils instaurent le système WIR : ce dernier n’est pas réductible à une opération « technique » dénotant une rupture en degré, mais renvoie à tout un système économique et social marquant un changement en nature.

C’est l’ensemble des relations entre les participants qu’il s’agit de transformer par la mise en place de ce système. Le nom donné à la société est, à ce titre, particulièrement éclairant : si WIR correspond à l’abréviation allemande de « Cercle économique société coopérative », Zimmermann en a fait un jeu de mot pour qu’elle soit l’inverse du mot « moi » dans cette langue (« ICH »). Le WIR, c’est le « nous » qui renvoie à un collectif et à la coopération de ses membres pour mieux défendre les entités individuelles (Wüthrich, 2008).

12 Ces principes ont guidé le fonctionnement du système WIR jusqu’à nos jours, comme nous l’examinons ci-après.

1. 2. Le fonctionnement actuel du WIR

13 En 1934, Zimmermann et Enz, à partir d’un capital initial de 42 000 francs suisses, mettent en place le système suivant :

• dans le but de compenser la limitation de l’émission de francs suisses (liée en grande partie au choix de l’étalon-or, rappelons-le), ils créent une monnaie parallèle pour un nombre limité de participants, avec ses avantages spécifiques associés. En sciences économiques, nous dirions qu’il s’agit d’un « bien club », c’est-à-dire un club fonctionnant sur les principes de l’exclusion mais pas de la non-rivalité ;

• ils font en sorte de décourager la détention de la monnaie et donc la thésaurisation. Les avoirs en WIR ne sont pas rémunérés, et un droit de rétention est perçu. En d’autres termes, l’acteur économique qui ne dépense pas les montants dont il dispose paie un droit (sous forme de timbre à l’époque).

14 Depuis l’époque de son instauration, le système WIR a évolué et il est parvenu à se maintenir dans le paysage économique helvétique. De la première convention WIR —les 1 et 2 août 1936

— à nos jours, le nombre de participants comme le montant des transactions en WIR n’ont fait que progresser : 900 participants en 1945 pour 717 000 CHF de transactions en WIR ; 12 000/53 millions CHF en 1958 ; 18 000/180 millions CHF en 1970 pour 60 000/1,43 milliard CHF en 2013. C’est une performance remarquable si l’on tient compte du fait que de nombreuses expériences de monnaies parallèles existent historiquement, mais sont, la plupart du temps, éphémères. En ce qui concerne le WIR, son adaptabilité a sans doute joué un rôle majeur dans son attractivité croissante. En effet, initialement réservée aux PME helvétiques compte tenu de ses statuts coopératifs, la coopérative s’est transformée en banque en 1998.

Celle-ci a élargi son offre dans deux directions :

• d’une part, en plus des PME, elle cherche à déployer ses « activités en faveur de la classe moyenne » (Banque WIR, 2014), soit à des particuliers ;

• D’autre part, elle propose, depuis les années 2000, divers produits financiers en francs suisses. Ces produits sont des produits d’épargne et de prévoyance non risqués, ce qui permet à la banque WIR de respecter sa philosophie tout en réalisant les bénéfices nécessaires à son maintien (Banque WIR, 2015). Il s’agit, plus concrètement, de comptes d’épargne et non de participation à des fonds « compliqués » (Dubois, 2015).

15 Conformément aux idées de Zimmermann et Enz, le système WIR fonctionne donc avec sa propre monnaie, et ce toujours en l’absence d’intérêts sur les avoirs et les crédits WIR au niveau du taux d’intérêt « pur » cité plus haut. Compte tenu cette suppression, la banque WIR demande entre 1 et 3 % du montant de chaque transaction pour afin de couvrir ses frais de fonctionnement et le risque encouru. Dans le but d’élargir son réseau, la banque WIR a par

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contre renoncé au principe de monnaie fondante en 1948. Les patrons de PME acceptaient mal ce principe qui leur donnait le sentiment d’être t doublement lésés : une première fois sous forme de pénalité à payer à la banque, une seconde fois par rapport à l’inflation en Suisse.

Il a alors été décidé de retirer la première pénalité, car le système WIR, qui porte un taux d’intérêt très faible, perd automatiquement de son pouvoir d’achat. En 1948, le phénomène de l’inflation a donc été assimilé au principe de monnaie fondante par les dirigeants de la banque WIR (Dubois, 2015).

16 Ce faible taux nécessite cependant de se couvrir grâce aux dépôts en WIR, d’où la nécessaire évolution de l’offre proposée pour attirer de nouveaux clients. L’offre est attractive car les crédits WIR « peuvent être combinés avec des crédits en francs suisses et font partie des offres de financement les plus avantageuses sur le marché suisse » (Banque WIR, 2014) : le cas des taux d’intérêt en vigueur pour les emprunts liés à des projets de construction, développé infra, le confirme. Par conséquent, la banque recycle les francs suisses convertis en WIR pour proposer, en plus des produits d’épargne, des crédits combinés ou mixtes (CHF/WIR) qui simplifient le quotidien des PME tout en permettant à la monnaie de toujours circuler pour financer des projets industriels. Cela fait dire à Dubois2 que sans la possibilité d’octroyer des crédits – donc d’être une banque –, le système WIR n’aurait pas survécu (Dubois, 2014a).

Il serait resté trop localisé et aurait manqué de dynamisme. Un système de prêts est ainsi le moteur d’échanges interentreprises qui, sinon, aurait tendance à s’essouffler avec le temps (Pipame, 2013)  : avec le WIR, la dynamique d’ensemble est continuellement maintenue puisque le client qui a emprunté en WIR a l’obligation de rembourser en WIR, ce qui l’incite à réaliser des échanges en WIR. Le WIR est d’ailleurs relié au franc suisse selon une certaine parité (1 CHF = 1 WIR), mais à travers un système de convertibilité asymétrique : s’il est possible de convertir des francs suisses en WIR, la réciproque n’est pas vraie depuis 1973.

17 Les participants au système sont donc incités à utiliser tous leurs montants en WIR, ce qui évite de faire baisser l’attractivité du WIR en le « bradant », et donc renforce les principes de fonctionnement du système. Cette décision de convertibilité asymétrique, qui date de 1973, s’est révelée nécessaire car de nombreux participants du système abusaient de ce dernier en s’enrichissant par l’achat et la vente d’avoirs WIR. Désormais, si une entreprise veut quitter le système WIR, elle n’a pas d’autre possibilité que de ne plus accepter de l’argent WIR et de dépenser ses avoirs WIR restants (Dubois, 2015).

18 Kalinowski l’explique de façon encore plus détaillée :

[…] les membres s’engagent à accepter de régler une certaine part de la transaction en WIR (typiquement, 50  % du paiement jusqu’au plafond de 2000 francs suisses)  : du point de vue de l’acheteur, la part WIR de la transaction équivaut à un crédit non bancaire, crédit qu’il lui faudra rembourser en vendant à son tour ses produits en WIR ; du point de vue du vendeur, cette part représente non pas une promesse de paiement futur – comme c’est le cas avec le crédit interentreprises traditionnel –  mais l’argent comptant qu’il peut aussitôt utiliser pour acheter d’autres biens et services. Autre différence de taille : le prêt n’est pas accordé par le vendeur mais par le cercle d’échange lui-même. (Kalinowski, 2011, p. 3-4)

19 Par rapport au dernier point évoqué, le système WIR possède effectivement, telle une banque centrale, sa propre chambre de compensation. Elle centralise toutes les transactions et mutualise les risques de défaut pour assurer la viabilité du système. C’est la banque WIR qui possède alors la fonction de clearing. Enfin, la monnaie WIR est uniquement électronique, puisqu’elle n’existe qu’à travers les activités de cette chambre de compensation enregistrées électroniquement.

20 En résumé, une entreprise reçoit du WIR soit parce qu’elle est payée par un fournisseur (une forme de « crédit mutuel », mais avant tout liée à une transaction), soit parce qu’elle obtient un crédit WIR de la part de la banque WIR, selon la situation de l’entreprise par rapport à la chambre de compensation, et sachant que c’est la banque qui détient le pouvoir de création monétaire (« crédit bancaire ») (Banque WIR, 2015). Le schéma 1, ci-dessous, synthétise ce mode de fonctionnement incluant la chambre de compensation.

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Schéma 1 : Chambre de compensation et système WIR

Source : auteur

21 Le système WIR semble ainsi particulièrement attractif et incitatif, au regard de son fonctionnement décrit ci-dessus. Nous développons plus en détail cette idée dans une seconde partie, où la « puissance » du WIR est mise en avant.

2. Le WIR : la puissance d’une monnaie parallèle en Suisse

22 La longévité et la progression du WIR nécessitent de présenter dans un premier temps le succès du WIR et ses explications. Cette « puissance » est ensuite abordée au regard de notre questionnement central : le WIR menace-t-il le franc suisse ?

2. 1. Le succès du réseau WIR

23 Aujourd’hui, ce sont surtout 60 000 participants, dont 50 000 PME suisses qui utilisent le WIR, soit un cinquième du total de toutes les PME présentes sur le territoire helvétique. Elles paient leurs fournisseurs, leurs partenaires et leurs charges avec cette monnaie. Ainsi, on considère que les transactions en WIR se chiffrent à 2 milliards de WIR chaque année, dont 1 milliard d’encours de crédit (Migchels, 2012). Le secteur du bâtiment représente un tiers de cette économie, mais d’autres comme le commerce (gros, détail) et la manutention sont aussi de forts utilisateurs (Kalinowski, 2011). L’utilisation du WIR est en progression constante : en 2008 par exemple, il n’y avait « que » 1,5 milliard de transaction en WIR (Lietaer, 2011). Le tableau suivant offre davantage de détails sur l’utilisation du WIR dans l’économie suisse :

Tableau 1 : Nombre, part et chiffre d’affaires des entreprises suisses utilisant la monnaie WIR en 2005

Secteur Suisse WIR WIR/Suisse (%) Chiffre d’affaires (en

milliers de CHF)

Commerce de détail 62 380 14 275 22,9 345 757

Services 164 709 10 380 6,3 213 515

Hôtellerie 28 006 3 438 12,3 73 021

Construction 57 268 21 162 37 527 619

Industrie 38 421 7 310 19 230 196

Vente de gros 21 762 4 138 19 223 631

Total 372 546 60 703 16,3 1 613 739

Source : auteur, à partir de Stodder (2010)

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24 Originaire de la Suisse alémanique — avec son siège social à Bâle — le système WIR possède aujourd’hui tout un ensemble de ramifications en Suisse avec six succursales (Berne, Lausanne, Lucerne, Lugano, Saint-Gall et Zürich) et deux agences (Coire et Sierre). Si le chiffre d’affaires est concentré dans le cœur géographique et historique du système (les régions d’implantation récente comme la Suisse romande et le Tessin ne réalisent environ que 60 millions de WIR), le réseau WIR illustre parfaitement la « force des liens faibles » mise en évidence par Granovetter (1973). Fonctionnant comme un club avec des avantages spécifiques pour ses membres — exclusion et non rivalité, rappelons-le — il exerce une attractivité sur les participants extérieurs. Ainsi, la diversité des membres en termes d’activité économique crée un maillage particulier des relations, où c’est la monnaie WIR qui rassemble au-delà des différences. Le réseau développe ainsi sa connexité par le phénomène de transitivité, comme l’illustre le graphique 1 ci-après :

Graphique 1 : la transitivité des relations entre A, B et C

Source : auteur, à partir de Granovetter (1973)

25 D’après ce graphique, on voit que A et B et A et C entretiennent un lien fort, symbolisé par le trait plein. Dans notre exemple, ce seraient deux entreprises d’un même secteur qui échangent majoritairement entre elles avec la monnaie WIR. Or, selon Granovetter, il existe une « triade interdite » : étant tous les deux partenaires de A, il y a de fortes probabilités que B et C soient amenés à nouer un contact et à entrer eux aussi dans le réseau. La connexité de ce dernier repose à la fois sur des liens forts et un lien faible (lien non redondant entre B et C [trait en pointillés]), qui est susceptible de modifier la nature des relations entre les partenaires, et de renforcer l’effet club. Le graphique 2 ci-après en offre une illustration :

Graphique 2 : Plusieurs types de relations triadiques induites par la transitivité des relations

Source : auteur, à partir de Granovetter (19733)

26 Mais la non-redondance de toutes les relations couplée à la transitivité permet, selon Granovetter, au réseau de s’étendre avec une certaine souplesse d’ensemble. Effectivement, comme le montre le graphique 3, les liens faibles, représentés par des traits en pointillés, permettent de relier entre eux différents groupes autrement isolés. Si les liens forts sont plus cohésifs que les liens faibles, ils induisent un fonctionnement en réseau fermé qui limite les

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externalités de réseau et les économies d’échelle. D’où l’importance de coupler liens forts et liens faibles pour que le cœur comme la périphérie profitent de ses avantages : , ce que permet le système WIR à travers la diversité des activités proposées par la banque WIR, les secteurs d’activité concernés et sa ramification géographique.

Graphique 3 : Les ponts entre les groupes sociaux par la force des liens faibles

Source : auteur, à partir de Granovetter (1973)

27 Selon Kalinowski (2011), cette « force des liens faibles » au sein du WIR se traduit par une hausse du chiffre d’affaires de 5 % liée à l’« effet fidélisation au sein du club », à partir de la stabilité des relations. De plus, comme le souligne Dubois, l’appartenance au réseau WIR accroît, pour les participants, le chiffre d’affaires comme le bénéfice :

[…] grâce au fait que l’argent WIR est du pouvoir d’achat à l’état pur, ce qui favorise la considération réciproque des participants WIR. Il en résulte des contacts fournisseur-acheteur qu’on n’aurait jamais eu sans participation au système. Il s’agit d’un phénomène de solidarité dû au système. (Dubois, 2014b)

28 Le Rapport Pipame confirme cet avantage essentiel de l’utilisation d’une monnaie alternative dans les plates-formes d’échanges interentreprises :

[…] ce mode de transaction peut constituer une source complémentaire de richesse pour les entreprises en leur permettant de valoriser des actifs inutiles ou inutilisés et de tisser des liens avec des partenaires qui peuvent devenir à terme des clients, des fournisseurs, des associés . [C’est aussi] un instrument de marketing. Comme participant WIR, les autres participants au système me donneront la préférence comme partenaire, car chez moi ils pourront placer ou dépenser leurs avoirs WIR. (Pipame, 2013, p. 12)

29 Pour illustrer cette force, nous pouvons nous appuyer sur le type d’exemple que donne ce rapport, en le reliant à notre explication théorique précédente des graphiques 1 à 3. Dans le système WIR, A doit payer 5000 CHF à B (B est le prestataire qui fixe le plafond, qui n’atteint jamais 100 % du montant). A décide de répartir son paiement entre 4000 CHF et un crédit de 1000 WIR ouvert auprès de la chambre de compensation en faveur de B. 1000 CHF ont ainsi été créés ex nihilo, qui sont une dette de A et un crédit de B vis-à-vis de la chambre de compensation. Si B doit payer 10 000 CHF à C, elle utilise de la même façon le système : elle utilise ses 1000 CHF de crédit disponibles auprès de la chambre de compensation, et répartit le reste du montant entre paiement en francs suisses et paiement en WIR (dans la limite du plafond décidé par la chambre de compensation).

30 En somme, ce sont les entreprises elles-mêmes, via la centralisation et le « droit de regard » opérés par la chambre de compensation, qui décident en réalité du montant de la création monétaire, et non pas un tiers, comme c’est le cas pour le système bancaire traditionnel (même si c’est bien sûr la banque WIR qui accorde les crédits bancaires). Nous percevons mieux ici la force du réseau dans l’approfondissement comme dans l’élargissement de ses liens : les entreprises acceptent d’être payées en WIR car elles savent qu’elles pourront à leur tour l’utiliser avec une certaine souplesse. Pour le dire autrement, le réseau crée de la confiance favorable à la stimulation de l’activité économique entre ses membres.

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31 C’est pourquoi, on peut considérer que le système WIR est plus qu’un réseau. C’est une communauté, comme son nom l’indique (le fameux « nous » évoqué au début), qui renvoie à une dimension spatiale et sociale de la monnaie. C’est à la fois une communauté de paiement, au sens où des transactions particulières s’opéreraient en son sein, et une communauté de valeurs, c’est-à-dire une « monnaie du lien » (Servet, 2012) :

[…] la monnaie médiatise l’appartenance au collectif et à une communauté de valeurs. Elle apparaît comme la forme politique d’une communauté de paiement qui n’est autre que le tout social représenté sous forme monétaire. (Théret, 2007, p. 48)

32 Son territoire n’est alors pas «  exactement celui de l’espace physique mais de celui de l’alternative et de l’économie vertueuse » (Guyomart, 2013, p. 64). La référence aux valeurs est patente si l’on s’intéresse aux raisons de choisir le WIR : d’un point de vue purement économique, il est indéniable que le franc suisse est plus simple à utiliser pour les PME, car il est accepté partout en Suisse. En moyenne, les 50 000 PME qui échangent en WIR s’en servent à hauteur de 5 à 7 % de leur chiffre d’affaires (Banque WIR, 2015). Mais malgré ce chiffre relativement faible, elles le font pour afficher l’appartenance à une communauté qui croit en des formes d’échanges différentes, au-delà de l’aspect économique : c’est une forme de développement marketing à finalité industrielle et sociale.

33 Cette communauté de valeurs se matérialise notamment par l’existence de groupements régionaux WIR qui sont des cellules de la coopérative dans les régions animées par les participants WIR eux-mêmes3. Dans ce cadre, quatre fois par an, des foires sont organisées à l’attention des participants, leur permettant d’exposer leurs marchandises et de tisser des liens (Pipame, 2013). Cette communauté crée des dettes économiques mais aussi sociales, ce qui est fondamental pour la confiance et la cohésion, car elle lie des «  territoires- acteurs » (Calame, 2009) autour d’enjeux communs (Kalinowski, 2012). Les principes de solidarité et de territorialité sont donc au cœur de la communauté.

34 Par conséquent, cette « puissance » du système WIR à l’échelle de la Suisse pose la question des relations entre la monnaie WIR et le franc suisse. La monnaie WIR incarne-t-elle une contestation monétaire susceptible de remettre en cause l’existence même du franc suisse sur le territoire helvétique ? Nous traitons de cette question centrale dans le point suivant.

2. 2. Le WIR et le franc suisse : David contre Goliath ?

35 Comme Helleiner (2002) le souligne, les monnaies nationales en usage aujourd’hui sont à relier à la constitution de l’État-nation au XIXe siècle. En effet, la monnaie nationale a d’une part joué le rôle d’unificateur économique, social et politique par l’unification du marché ; d’autre part, elle a permis à l’État d’imposer le règlement des activités économiques et des impôts en monnaie nationale dans le but d’asseoir une autorité légitime sur la nation. Or Guyomart précise que, même si elle n’est pas uniforme et unique, la logique des monnaies parallèles fait que l’on «  glisse de l’influence de l’État sur un espace physique à celle d’acteurs spécifiques qui trouvent dans le marquage d’un espace économique le symbole de leur pouvoir » (Guyomart, 2013, p. 56). Autrement dit, en s’appropriant un réseau et une communauté spécifiques sur un territoire donné, les monnaies parallèles cherchent à imposer leur souveraineté, qui entre apparemment en contradiction avec celle de l’État, lequel doit imposer, dans le domaine monétaire comme dans d’autres domaines, son monopole de la violence légitime (Weber, 1971). Ces monnaies circulent dans des «  espaces monétaires alternatifs » (Leyshon et al., 2003) qui remettent en cause le cadre du monopole hérité des monnaies liées aux États-nations. Par cette expression d’« espaces monétaires alternatifs », les auteurs font référence à la capacité des acteurs utilisant cette monnaie de bénéficier des avantages des échanges monétaires en dehors du cadre monétaire national (dimension économique), tout en s’inscrivant dans une structure de valeurs spécifiques (dimension sociale) : autonomie, solidarité, entraide…

36 Le WIR s’insère dans ce cadre de réflexion du fait de ses principes originels et de l’étendue de son réseau. Bien qu’il ne représente environ que 1 % de la masse monétaire M1 en francs suisses sur le territoire helvétique (soit entre 800 et 850 millions de francs suisses), le système repose sur la capacité de création monétaire. Celle-ci est même « spontanée », dans le sens

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où elle est gérée directement par des agents économiques non situés — au moins initialement

— dans le réseau bancaire traditionnel (Kalinowski, 2011). C’est au niveau des transactions gérées par la chambre de compensation évoquée plus haut que s’opère la création monétaire.

37 En effet, si pour chaque participant il existe des débits et des crédits (le dépassement sans intérêt compensatoire est autorisé, mais en contrepartie d’un certain plafond), la somme des crédits et des débits pour le système est toujours de zéro. Pour Studer, cette capacité à coupler souplesse et équilibre fait que le potentiel de création monétaire du WIR est « pratiquement sans limites » (Studer, 1998, p. 31), compte tenu des montants échangés qui restent limités en raison de l’utilisation faite par les entreprises. La différence entre le WIR et les monnaies virtuelles tient au fait que le premier possède une capacité de propagation plus grande. De ce fait, l’inflation systémique pour le WIR est possible, comme ce fut le cas dans les années 1970 suite à l’émission d’une masse trop importante de WIR. Selon ce point de vue, une instabilité du système WIR peut constituer une menace pour la BNS.

38 Si nous avons évoqué dans le titre de cette partie la puissance du WIR qui, en apparence, se serait constitué en opposition forte vis-à-vis du franc suisse. Il constituerait alors une illustration de « révolte monétaire », où le faible (David) affronte et menace le fort (Goliath).

39 En effet, lors de sa création dans les années 1930, le contexte monétaire international est propice à la remise en cause des monnaies nationales et des politiques monétaires très orthodoxes associées, avec le choix d’un retour à l’étalon-or pour de nombreuses banques centrales. Ainsi, d’autres systèmes tels que le WIR voient le jour au Danemark, en République tchèque ou en Autriche. Ils sont inspirés des initiatives fortes lancées en Allemagne, à la fin de l’année 1932. On y dénombre une cinquantaine de systèmes proches du WIR, dont certains comme le German Ausgleichskasse (AK), ont été des sources d’inspiration pour Zimmermann et Enz. Or ces monnaies locales, outre leur réussite, ont d’emblée eu une vision antisystème, ce qui justifia pour les autorités monétaires et politiques concernées leur interdiction, surtout en Allemagne et en Autriche (Witt, 2008).

40 Mais le système WIR présente aussi un certain nombre de faiblesses. La principale étant la taille de son réseau  : si pour exister il a besoin de s’étendre, son développement est aussi susceptible de provoquer la diluer ses principes originels (Banque WIR, 2014c). De plus, comme tout réseau, la force de ce dernier dépend des biens et services spécifiques qu’il est en mesure d’offrir, ce qui renvoie à sa densité et à sa taille. Ainsi, « le système limite la liberté économique d’achat ou se voit dénaturé en s’ouvrant totalement sur d’autres monnaies  » (Inaise, 2000, p.  115). La seconde faiblesse s’apparente à un coût de nature temporelle : les entreprises impliquées dans les réseaux WIR et franc suisse doivent être actives dans les deux réseaux, notamment établir deux budgets et deux comptabilités. Cela demande donc d’investir du temps (Dubois, 2014b) mais aussi de dépenser tous les WIR, ce qui est parfois jugé contraignant par certaines entreprises (Banque WIR, 2014c).

41 Si le WIR est indéniablement « puissant », ce n’est pas, semble-t-il, dans la contestation du franc suisse et du système monétaire helvétique que cette puissance contestatrice trouve à s’exprimer. Au contraire, c’est en étant un des maillons internes essentiels à ce système qu’il trouve toute sa place et offre une possibilité de régulation d’ensemble. La troisième partie en explique les raisons.

3. « Wirtus » in « Sweetzerland » ?

42 Comme nous le développons dans une première sous-partie, le WIR est intégré au système monétaire national helvétique et représente donc, davantage une monnaie complémentaire au franc suisse qu’une monnaie de contestation. Or, tel qu’indiqué dans le second point, c’est cette complémentarité qui assure la force de l’ensemble.

3. 1. Le WIR, une monnaie complémentaire du franc suisse

43 Contrairement à la dénomination retenue jusque-là, il apparaît que le WIR est davantage une monnaie complémentaire locale qu’une monnaie parallèle, et encore moins une monnaie alternative au sens de contestataire. Nous reprenons ici la définition que donne Guyomart des monnaies complémentaires locales, et qui nous paraît particulièrement adaptée au cas du WIR : « […] les monnaies complémentaires locales regroupent donc des initiatives de

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mise en place d’une monnaie locale, matérialisée par des billets et à parité avec la monnaie nationale. » (Guyomart, 2013, p. 59)

44 À l’inverse des monnaies, internes comme externes, circulant sur le territoire suisse au

XIXe siècle et au début du XXe siècle — notamment le franc français — et contre lesquelles la BNS a du s’affirmer pour imposer son monopole de création monétaire (Weber, 1988) le WIR ne s’oppose pas à la logique de la banque centrale helvétique. Il n’est pas en dehors de son système, mais en est au contraire une de ses composantes. C’est d’ailleurs pour aboutir à son intégration que la licence bancaire obtenue en 1936 dont nous avons parlé supra, a été accordée. Sur ce point, Dubois précise que :

[…] les pionniers WIR n’en avaient jamais fait la demande, ce fut un “cadeau” des autorités. Cela ne s’est pas fait par amitié ou sympathie, mais par méfiance. En effet, les autorités fédérales ont ainsi soumis l’organisation WIR à la Loi sur les Banques et ainsi au contrôle des autorités. Cela s’est avéré très bénéfique pour le système. » (Dubois, 2014b)

45 Par conséquent, le WIR restant soumis à la législation helvétique en matière d’activité bancaire et de moyens de paiement légaux, en particulier parce qu’il dépend d’une banque, il demeure, quoi qu’il arrive, « vassalisé » au franc suisse. De plus, la législation sur les banques suisses, qui prévoit un certain ratio entre les fonds propres et les actifs, concerne la banque WIR : chaque prêt est soumis à une garantie bancaire ou entraîne la souscription à une assurance- crédit obligatoire. Le WIR n’est alors pas une menace pour le système monétaire national puisque, de fait, le volume de crédit et le risque de défaut sont limités (Pipame, 2013).

Plus largement, comme le rappelle le Conseil fédéral (2014), le WIR, considéré comme les autres monnaies électroniques, est une monnaie acceptée en Suisse, mais qui n’est pas un moyen de paiement ayant cours légal dans ce pays. Simplement, au sein de l’unité monétaire suisse, le WIR représente une possibilité de pluralité monétaire, cette dernière correspondant à « un système où une ou plusieurs monnaies parallèles circulent à l’intérieur d’une économie aux côtés de la monnaie principale – en la complétant et sans l’ambition quelconque de la remplacer » (Kalinowski, 2011).

46 C’est pourquoi la BNS adopte une position officiellement neutre à son égard : elle n’est ni en faveur ni contre le WIR, elle ne fait qu’observer son développement, qui ne menace ni n’améliore selon elle son monopole d’émission monétaire et le système de paiement du pays.

Le franc suisse offre en effet une simplicité d’utilisation, des externalités de réseau et une confiance institutionnelle liée à la BNS sans égales, ce qui lui donne un avantage — pour l’instant — inaliénable par rapport à d’autres monnaies comme le WIR. L’optimalité monétaire de la zone franc suisse, au sens de Mundell (1961), ne nécessite pas le développement de la pluralité monétaire au sens de concurrence entre les monnaies. Il n’y a donc pas de compétition possible, car les Suisses dans leur ensemble ne la souhaitent pas.

47 Pour Kalinowski (2011), les éléments précédents sont aussi à relier aux attentes des utilisateurs du système WIR, qui achètent en WIR mais préfèrent conserver la possibilité d’être payés en francs suisses. Si la taille du réseau WIR et la longévité du système WIR limitent cette asymétrie entre offre et demande, notamment via la non-convertibilité des WIR en francs suisses, les principes du WIR confrontent, malgré tout, ses utilisateurs à cette situation. Dans l’économie suisse, l’instrument de paiement libératoire ultime accepté par tous à tout instant reste le franc suisse, tout comme pour le recouvrement des dettes et surtout des impôts, dont la monnaie de facturation et de paiement exigée assure sa légitimité.

48 D’ailleurs, quand on regarde le bilan de la banque WIR, on constate que les transactions en francs suisses restent majoritaires (tableau 2). Les dirigeants de la banque se fixent d’ailleurs une fourchette relativement basse de leur chiffre d’affaires en WIR relativement à celui en francs suisses, soit 5 à 7 % du total (Banque WIR, 2014b). C’est sans doute cette articulation avec le franc suisse qui fait aussi sa force (Dubois, 2014b) :

Tableau 2 : Bilan de la banque WIR au 30 juin 2014 et au 31 décembre 2013 30 juin/2014 31 décembre/2013 Variation

Somme du bilan 4 442 300 799 4 174 115 069 6,4

Actifs 597 848 936 512 484 176 - 2,4

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Créances envers les clients en CHF

Créances hypothécaires en CHF

Créances envers les clients en WIR

Créances hypothécaires en WIR

2 377 532 159 194 354 480 648 154 688

2 300 169 874 206 141 009 647 244 773

3,4-5,7 0,1

Passifs

Obligations envers les clients à titre d’épargne et d’investissement en CHF Autres obligations envers les clients en CHF Autres obligations envers les clients en WIR

2 014 623 839 425 933 544 763 708 989

1 871 773 943 336 734 008 772 970 989

7,6 26,5 -1,2

Source : Wirplus, 2014, p. 5

49 En conclusion sur ce point, nous pouvons affirmer, en reprenant la terminologie d’Hirschman, que dans le système monétaire helvétique, le WIR ne serait ni le « voice », ni l’« exit », mais bien le « loyalty » (Hirschman, 1974). Il existe en complément du franc suisse, et permet par ses caractéristiques et son intégration au système de le faire fonctionner de façon efficiente.

Ainsi, la référence à Weber sur le monopole de la violence légitime en matière monétaire demeure justifiée : la Confédération helvétique, via la délégation assurée à la BNS, conserve le monopole de la définition des moyens de paiement acceptés en Suisse. Elle en délègue cependant la concrétisation, comme à travers le système WIR. Par conséquent, ce dernier démontre que l’autonomie monétaire n’est pas l’indépendance monétaire : si le WIR possède des marges de liberté, celles-ci se réalisent au cœur du système existant. C’est indéniablement ce qui en fait sa force, tout comme pour le système monétaire, économique et social helvétique considéré dans son ensemble.

3. 2. Le WIR dans « l’écosystème » helvétique : des aménités positives

50 La monnaie complémentaire WIR incarne la possibilité d’innovations économiques et sociales dans un monde plus instable, en particulier pour le secteur bancaire marqué par des crises profondes et fréquentes. De ce point de vue, même si la BNS ne le reconnaît pas officiellement, la monnaie WIR peut être considérée comme un instrument de stabilisation. La force du réseau évoquée supra par la confiance incarnée et véhiculée par celui-ci permet aux entreprises suisses d’utiliser le WIR à discrétion, ce qui est très efficace lors des crises ou lors du resserrement de l’offre de crédit des banques et de la BNS. Ainsi, le système offre une possibilité de souplesse aussi bien macroéconomique que microéconomique (ce sont les agents impliqués dans le système WIR qui décident et qui gèrent eux-mêmes, comme nous l’avons souligné), et même une possibilité de stabilisation économique du fait de son rôle contra- cyclique. C’est ce que relève Stodder (2009), pour qui la demande de WIR tend à progresser en période de crise et à régresser lors des phases de croissance économique. Ainsi, même s’il existe à long terme un lien positif entre croissance de la masse monétaire et la croissance des transactions en WIR, c’est essentiellement son rôle de stabilisateur contra-cyclique qui est notable.

51 Selon Kalinowski (2011), cet effet se réalise via 3 canaux majeurs :

• via le volume de transactions : lors des crises, le WIR n’accélère pas la vitesse des transactions puisque la « vélocité de la monnaie » (PIB/stock de monnaie, M3 la plupart du temps) est sensiblement la même entre le franc suisse (2,9) et le WIR (2,6) en 2012 (Stodder et Lietaer, 2012). De ce point de vue, la vision de Gesell évoquée supra sur la

« monnaie fondante » n’est pas respectée. Par contre, son utilisation permet d’accroître significativement le nombre des transactions en Suisse, d’où l’effet macroéconomique contra-cyclique. Nous prolongeons ce point en apportant un argument essentiel  : l’utilisation du WIR plutôt que du franc suisse permet de conserver des liquidités en

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francs suisses pour d’autres charges, ce qui s’avère utile en cas de crise. Idem pour les taux d’emprunt, même si, à l’heure actuelle, la faiblesse des taux pratiqués par la BNS réduit l’avantage compétitif de la banque WIR sur ce plan. Mais contrairement à ceux de la BNS, les taux d’intérêt WIR n’augmentent pas, ce qui, couplé aux risques de défaut limités liés aux réglementations du crédit, permet aux entreprises l’utilisant de se projeter à long terme. Ce sont donc des arguments qui renforcent la dimension contra-cyclique du WIR, comme le résume parfaitement Dubois : « lors de crise et de baisse conjoncturelle, l’intérêt au système WIR augmente énormément auprès des PME. Le système réagit de façon anticyclique. En effet, au moment où les carnets de commande commencent à accuser le coup et montrent de gros trous, les PME se concentrent davantage sur le marché WIR avec son tissu strictement PME qui ne souffre pas des humeurs des consommateurs. Cela fait que le système gagne en élan et que plus la crise ou la baisse conjoncturelle se fait sentir, plus le marché WIR gagne en dynamisme. Cela se voit au chiffre d’affaires WIR des 80 dernières années. Bien des PME ont ainsi survécu à une crise en compensant une partie des commandes perdues en CHF par des commandes en WIR » (Dubois, 2015) ;

• les firmes à la périphérie du système, soit celles qui n’utilisent le WIR que de façon irrégulière, et en profitent le plus. Nous retrouvons ici notre idée de « force des liens faibles » dans le système WIR, idée illustrée par le graphique 3 ;

• les PME en bénéficient relativement plus, car elles sont davantage sensibles que les grandes aux variations de la conjoncture. Comme précisé dans le premier point, les PME ont, par ce biais, accès au crédit sans passer par les canaux traditionnels, dont l’offre de crédit est susceptible de se restreindre ou de proposer des taux d’intérêt plus élevés.

Structures motrices de l’activité, les PME peuvent alors s’appuyer sur cette souplesse qui renforce leur résistance et leur résilience face aux chocs.

52 Pour Stodder (2010), le système WIR offre un autre avantage au système macroéconomique et monétaire suisse, ce que souligne également et plus largement Guyomart (2013) à propos des monnaies complémentaires locales. La complexification des relations économiques et monétaires, accélérée par les nouvelles technologies, rend désormais plus difficile le traitement optimal des flux divers. Or les monnaies complémentaires locales donnent la possibilité d’innover au niveau des supports de la monnaie comme de ses cercles de diffusion, ce qui maximise l’efficacité du fonctionnement monétaire d’ensemble. Le système WIR a beaucoup à gagner des nouvelles technologies de l’information et de la communication pour son développement futur, notamment pour renforcer les échanges entre les participants (Banque WIR, 2014b). Symétriquement, dans un monde marqué par l’instabilité bancaire et financière croissante, l’économie suisse a tout intérêt à posséder ce genre de modèle monétaire, à la fois alternatif « sur la forme » et synergique « sur le fond » (Banque WIR, 2014b). Autrement dit, la pluralité monétaire améliore l’unité monétaire systémique, qui repose justement sur un certain degré de décentralisation. Nous insistons à nouveau sur le fait que c’est pour cette raison que l’autonomie monétaire du WIR ne signifie pas l’indépendance monétaire, et accroît au contraire la dynamique d’ensemble.

53 C’est tout à fait le sens que nous donnons au terme « écosystème helvétique » ainsi qu’à sa dynamique. À l’instar d’un milieu biologique, l’écosystème monétaire helvétique est « vivant » car il repose sur une structure d’ensemble stable basée sur le franc suisse — lui-même relié à une politique monétaire de la BNS historiquement crédible et efficace, et à des institutions et un projet national autour de la monnaie forts et cohérents (Ponsot et Vallet, 2013) — et sur une diversité intérieure d’organisations productives qui assurent sa vitalité, donc sa régulation et sa reproduction. Chaque type d’organisation a une place et un rôle articulés positivement à d’autres, assurant la cohérence du fonctionnement d’ensemble sans qu’il y ait substitution. Le WIR offre alors clairement ces aménités aux incidences positives sur l’écosystème.

54 Plus largement, le système WIR est l’illustration de l’articulation réussie, en Suisse, entre le monde bancaire au sens large, le secteur industriel et les coopératives. L’histoire suisse nous révèle en particulier que la puissance du franc suisse et du secteur bancaire, construite historiquement, s’est réalisée en partie pour les besoins de l’industrie, pouvant bénéficier de ce

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fait d’un faible coût du capital et se spécialiser dans des segments très capitalistiques à haute valeur ajoutée (Laurent et Vallet, 2014). En d’autres termes, il y a un « projet industriel » inhérent à la monnaie en Suisse, ce que nous retrouvons à l’échelle du WIR pour les PME, lequel est complémentaire de la force du franc suisse pour les plus grandes entreprises. Ainsi, la banque WIR participe au renforcement du tissu local, régional voire national des PME helvétiques par le jeu de la « force des liens faibles » évoquée supra pour celles qui utilisent le WIR (Dubois, 2015) : par exemple, pour la construction, les taux d’emprunt sont actuellement de 0,5 %, ce qui de ces taux les plus attractifs du marché (Banque WIR, 2015). Le système WIR offre donc un complément au crédit bancaire « classique ».

55 Mais le système WIR incarne aussi la volonté helvétique de favoriser l’entrepreneuriat et le

« self-help » dans un souci de coopération, ce qui est à nouveau représentatif de la place, du rôle et du statut importants donnés aux coopératives dans ce pays (Boson, 1965). En Suisse, il y a 10 000 coopératives qui génèrent 11 % du PIB (Coop, 2012). C’est déterminant pour un pays marqué géographiquement par des conditions de production difficiles et culturellement par la diversité (Church et Head, 2013). Le WIR, à l’instar d’autres projets coopératifs en Suisse, développe l’idée selon laquelle il est possible de gérer le bien commun différemment, c’est-à- dire en associant les initiatives individuelles, en développant l’autonomie et la responsabilité individuelles, tout en renforçant les principes d’égalité et de solidarité.

56 Comme le rappelle Dubois, la force de la banque WIR, pour elle-même comme pour la Suisse, est qu’elle ne vise pas la spéculation et la recherche du profit. Elle représente le « renoncement à ma maximisation », en lien avec son statut coopératif. Il cite une étude réalisée en 2009 sur les évaluations données par les entreprises utilisant le WIR, faisant apparaître que celles-ci y sont très attachées institutionnellement comme émotionnellement. Elles apprécient surtout

« l’aspect “swissness”, la solidité, la petitesse comparé aux grandes banques classiques, les structures simples, la modestie ainsi que l’absence de discussions concernant les bonus des patrons ainsi que de scandales bancaires » (Dubois, 2014b).

57 En somme, comme l’affirment les responsables de la banque WIR :

[…] notre mode de réflexion coopérative implique de ne pas orienter nos décisions stratégiques exclusivement vers les bénéfices mais de rester constamment conscients de notre responsabilité envers la collectivité. Les valeurs telles que stabilité, sécurité de même que la confiance de nos groupes d’ayants droit nous importent tout autant que les performances et la croissance. Notre objectif est un équilibre stable entre les intérêts de tous les ayants droit. La balance entre les objectifs commerciaux, collectifs et économiques est une partie déterminante de notre stratégie d’entreprise. (Banque WIR, 2014b, p. 6)

58 Plus concrètement, cela signifie qu’elle ne souhaite pas étendre ses activités, de même qu’elle refuse de devenir une banque universelle et la banque des grandes industries qui concurrencent les PME4 : elle reste sur son « cœur de métier éthique », et c’est certainement ce qui participera à sa pérennité.

59 Pour résumer, un jeu de mot en langue allemande fréquemment utilisé en Suisse incarne parfaitement la place, dans la société suisse, des projets coopératifs  : ces derniers («  Genossenchaft  ») seraient représentatifs de l’esprit de la confédération (« Eidgenossenchaft »). La Suisse est en effet un petit pays fortement ouvert internationalement et diversifié culturellement, fonctionnant avec une grande autonomie laissée aux cantons dans le souci du fédéralisme et de la démocratie directe. Avec la neutralité, ces deux principes sont au cœur du « triangle identitaire helvétique » (Vallet, 2010) qui donne tout son sens à la subsidiarité. De ce fait, le pays est au centre de forces centrifuges et centripètes qui se sont fréquemment entrechoquées au cours de son histoire. En participant à la prospérité aussi bien qu’à la solidarité nationale, les projets coopératifs tels que le WIR aident à atténuer les chocs mais surtout à renforcer directement le lien social et le développement plurisectoriel équilibré : c’est « le support économique d’un segment de la société » (Dubois, 2014b).

60 Le WIR constitue aussi une forme d’ancrage local, déterminant dans la démocratie suisse. S’il ne peut et ne veut pas être un système global, le système WIR épouse par contre parfaitement le territoire suisse, bien que le tissu économique soit différent selon les régions. C’est pourquoi nous concluons en insérant le WIR dans le « trilemme de Rodrik » (Rodrik, 2011) : si d’après

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ce-dernier hyperglobalisation, État-nation et démocratie ne peuvent exister simultanément, il s’avère que le WIR constitue une délégation monétaire de l’État-nation à un niveau inférieur, qui permet aux Suisses d’exercer les principes de la démocratie dans un contexte de très forte ouverture internationale du pays.

Conclusion

61 Cet article a mis en évidence l’importance de la monnaie WIR en Suisse, dont la place, le statut et le rôle n’ont cessé de s’accroître depuis la création du système WIR en 1934. Son importance s’est affirmée et renforcée non seulement sur le plan économique et monétaire, mais également au niveau social, en parvenant à s’adapter au changement économique et social. C’est dans ce cadre que nous avons parlé de « puissance » du WIR. Cependant, nous avons montré que celle-ci ne s’affirmait pas contre le franc suisse et le système monétaire national dans une perspective de concurrence ou de contestation monétaire. Au contraire, le WIR est une composante majeure intégrée à celui-ci. Il offre, à partir de là, des aménités positives à l’écosystème suisse, en améliorant ses capacités de résistance et de résilience. En d’autres termes, le WIR peut être assimilé à une monnaie complémentaire indispensable à la stabilité du système, où l’unité monétaire est réalisée dans la pluralité monétaire.

62 Certes, le WIR possède aussi des limites et ne doit pas être idéalisé ni perçu comme « LA » solution face aux problèmes économiques, monétaires et sociaux de tout pays. Mais cette articulation positive entre les différents échelons et acteurs du système renforce l’idée selon laquelle la zone franc suisse est une zone monétaire optimale, moins au sens où l’entend Mundell qu’au sens d’un système monétaire national géré par la BNS correspondant aux besoins économiques et sociaux de toute la zone. Sans ce « projet politique national » inhérent au franc suisse, il pourrait y avoir dénationalisation monétaire, avec concurrence entre les monnaies. Cela ne signifie pas que le franc suisse soit à l’abri de toute contestation : par exemple, la BNS surveille désormais en Suisse les transactions en bitcoins, monnaie virtuelle non définie par rapport au franc suisse, non rattachée à une banque et affirmant ostensiblement sa volonté de se soustraire du giron des banques centrales en tant que système de paiement décentralisé. Mais le franc suisse résiste largement, car il est au sens maussien un « fait social total », montrant que “everything that a people desires, does, suffers, is reflected in a people’s monetary system” (Schumpeter, 2014, p. XIV).

63 Nous souhaitons terminer en citant Dubois, dont la proposition monétaire pour la zone euro nous paraît très éclairante et novatrice :

[…] il s’agit d’introduire une monnaie complémentaire dans la région X afin que l’argent qui s’y trouve ne puisse pas s’écouler ailleurs et doit être impérativement investi dans cette région X. Car la monnaie complémentaire de la région X n’a aucune valeur dans la région Y ou Z. À mon avis, c’est un non-sens économique complet ce qui se passe dans l’UE de « pomper » des milliards d’euros dans les économies faibles. Une grande partie de cet argent repart sans délai ailleurs où les investissements sont rentables (d’où le boom des bourses… et sans parler des conséquences à long ou moyen terme). Si par contre l’argent gagné dans la région X doit impérativement être réinvesti dans cette région, cela donne une dynamique à la région X… et en outre ne fait pas s’endetter le pays X encore plus, car il crée la monnaie complémentaire lui-même et cela ne lui coûte rien. (Dubois, 2014b)

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