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[Compte-rendu de :] Travailler dans le nucléaire, enquête au coeur d'un site à risques
BOURRIER, Mathilde
Abstract
Pierre Fournier revient sur ce qui a constitué un travail de thèse réalisé au début des années 1990 et dont il avait déjà tiré des articles, notamment sur les conditions d'observation dans l'univers fermé et contreversé des installations nucléaires, ou sur les risques pris par le chercheur lorsqu'il enfile les habits du sous-traitant intérimaire en zone contrôlée. Le terrain sur lequel se fonde ce nouvel ouvrage n'est donc pas récent. Il est évident que la catastrophe de Fukushima a dû donner l'envie à l'auteur de publier de façon plus approfondie l'ensemble de ses analyses réalisées à l'époque,arguant du fait que, selon lui, le travail des hommes du nucléaire est mal connu.
BOURRIER, Mathilde. [Compte-rendu de :] Travailler dans le nucléaire, enquête au coeur d'un site à risques. Revue de Sociologie du Travail, 2013, vol. 55, no. 2, p. 254-256
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254 Comptesrendus/Sociologiedutravail55(2013)245–276
SezinTopc¸u Centred’étudesdesmouvementssociaux,institutMarcel-Mauss,EHESS,
190-198,avenuedeFrance,75013Paris,France Adressee-mail: Sezin.topcu@damesme.cnrs.fr DisponiblesurInternetle9mai2013
http://dx.doi.org/10.1016/j.soctra.2013.03.006
Travaillerdanslenucléaire,enquêteaucœurd’unsiteàrisques,P.Fournier.ArmandColin, coll.«Sociétales»,Paris(2012).232pp.
Pierre Fournier revient surce quia constitué untravail de thèse réalisé au débutdes années 1990etdontilavaitdéjàtirédesarticles,notammentsurlesconditionsd’observationdansl’univers ferméetcontroversédesinstallationsnucléaires,ousurlesrisquesprisparlechercheurlorsqu’il enfileleshabits dusous-traitantintérimaireen zonecontrôlée.Leterrainsurlequel sefonde ce nouvelouvragen’estdoncpasrécent.IlestévidentquelacatastrophedeFukushimaadûdonner l’envie à l’auteur de publier de fac¸on plus approfondie l’ensemble de ses analyses réalisées à l’époque,arguantdufaitque,selonlui,letravaildeshommesdunucléaireestmalconnu.
Defait,P.Fournieraraisonlorsqu’ilécritetsuggèretoutàlafoisquelesobservationsréalisées ilyaprèsde20anssontencored’actualité.Celadevraitétonnerlelecteur.Mais,pourquiconque afréquentéunpeulessitesnucléairesparlepasséoudefac¸onplusrécente,ilestindéniableque cessitesfonctionnentavecdestechnologiesquiontpeuévolué.Lesproblèmesquiseposaientil ya20ansn’ontpasbeaucoupchangénonplus:
• intervenirenminimisantladoseindividuelleetcollectivederadiationsrec¸ue;
• réparerouremplacerdesmorceauxd’installationquivieillissent;
• minimiserlesindisponibilitésdematériel;
• produireunkilowatt/heure àmoindrecoût,tout en netransigeant pasavec lescontraintes de sûreté.
Tous ces éléments étaient déjà présents dans le paysage des années 1990. Il est indéniable que les questions de coûts et de rentabilité sont toujours plus importantes, mais elles l’étaient déjà. Même choseen ce quiconcerne lesexigencesde sûreté,quiont étérejointesunpeuplus récemment parlesnouvellesnormesenvironnementales. Pourcompléter le tableau, P.Fournier soulignequemêmela constructionactuelled’EPRà FlamanvilleetàOlkiluotoen Finlande, ne présente pas de saut technologique majeur par rapport aux centrales les plus récentes du parc nucléaire. Par conséquent,lesdonnéesanciennesprésentées dansle livre,gardent uneactualité industrielleet sociologique.Onpourraitpresque,àl’appui dulivrede P.Fournier,proposerune défensedudéterminismetechnologique,àlaquellebiensûrl’auteurnesouscriraitpas.Finalement, latechnologien’aguèreévolué,lescontraintesradiologiquesnonplus,lesorganisationsdutravail fontdusurplace,etlesdynamiquesettrajectoiresprofessionnellessontàcomprendreenintégrant uneconnaissance finedesvagues de recrutement à EDF, d’unepart, et sur chaque site, d’autre part. Dans le cas de P.Fournier, il s’agit du site historique de Marcoule. Le livre propose un constatrenouveléd’unerécurrencedesproblèmeset dysfonctionnements,déjàbienmisaujour parplusieurschercheursilyaquelquestemps.Maisfinalement,enselaissantconduireparl’auteur aucœurdelaviedeschantiers,desmanipulations,desessoufflements,desvertiges,desréussites comme des échecs, le doute s’installe et on se prend à se demander si toutes ces souffrances,
toutes cesinventionsquotidiennes, touscesajustements defortune sontbientoujourset encore justifiésetexigiblesaujourd’hui?
Autraversdesixchapitresencadrésparuneintroductionetuneconclusion,P.Fourniernousfait pénétrerdanslesentraillesdelacentraledeMarcoule.Acteuretobservateurdirect,ilreconstitue pièce à pièce, dans le premier chapitre, le scénario chaotique d’une erreur «humaine» bien involontaire. Dans le deuxième chapitre, l’auteur explique finement comment se construisent les savoirs de prudence des intervenants de maintenance, confrontés aux plongées en milieu radioactif. Dans le chapitre III, à nouveau au travers du récit d’un incident de contamination, P.Fournierdéploieunpeuplussesobservationsautourdelamanièredontlecollectifestmalmené parl’événement.Unpeuàlafac¸ondeDonaldRoydansBananaTime1,P.Fournierretracepasà pasce quecetincident«fait»au collectifen perturbantunéquilibredesforces,descaractères, des compétences. Il observe aussi comment le collectif se ressaisit et offre à ses membres des échappatoires pour sauver la face. Dans le chapitreIV, le sociologue-intervenant estlui-même en difficulté et au travers du récit d’une nouvelle intervention, il revisite le thème abordé au premierchapitreautourdel’erreursociale.Ilyajoutedesélémentssurlesparcoursdevieetles trajectoiresprofessionnellesdesintervenantsdugroupederéférence.DanslechapitreV,ilexplore plusenprofondeurl’influencedesmodalitésconcrètesderecrutementd’unsitecommeMarcoule pourapporterdesélémentsde compréhensionsurce quisejoueentre lesacteurs de terrain.Ce détoursociohistoriquenousconvaincunenouvellefois,s’ilenétaitbesoin,qu’ilmanquetoujours unehistoiresociale,économiqueetpolitiquede l’aventuredunucléairefranc¸ais.Depuis20ans, les sociologues ont écrit des bribes de récits et mis bout à bout, ils concourent à brosser une sociohistoire dunucléaire, hélasencore trop lacunaire. Enfin,dans le chapitreVIau travers du témoignaged’uncadredusitedeMarcouleàlaretraite,ladifficileélaborationdutravailhorsdes prescriptionsselaissedevinerautraversd’unrécithachéetdifficileàsuivre.
Ainsi,derrièrecettegestiondurisque«calculé»,partieintégranteduprogrammedunucléaire civil,deshommesetdesfemmes–décontaminateurs,techniciensderadioprotection,instrumen- tistes,mécaniciens,chaudronniers,automaticiens,ingénieurs,chimistes,rondiers,contremaîtres, chefs de quart, chargés d’exploitation, sous-traitants comme personnels EDF– prennent des risques, en évitent d’autres, réfléchissent sans cesse, esquivent, échafaudent sans relâche, nuit et jour, et ce, depuis 40ans. Cependant, une partie des récits de P.Fournier sont connus (F.Zonabend,A.Thebaud-Mony,C.Dejours,D.Duclos,G.Doniol-Shaw,B.Journé,M.Bourrier, C.Perin,P.Schulman,G.Rochlin,etc.):
• le traitement différencié des sous-traitants par rapport aux personnels EDF (pas les mêmes vestiaires,paslamêmecantine,paslesmêmesparkingspourlesvoitures),différencesquine concernent pasquela Franced’ailleurs,aux États-Unisaussi lescontractors n’ontpasaccès auxmêmesinfrastructures2;
• lerapportambigudespersonnelsfixesd’EDFparrapportauxsous-traitantsetviceversa;
• laquestiondel’intérimdanslesuniversàhaut-risque;
• ladélégationdu«sale»boulot;
• la nécessité d’enfreindre des règles de protection (en laissant son dosimètre de côté) pour justementaboutirdansdesinterventionscapitales.
1 Roy,D.1959.BananaTime:JobSatisfactionandInformalInteraction.HumanOrganization,18,158–68.
2 Bourrier,M.1999.LeNucléaireàl’épreuvedel’organisation.Paris,PUF.
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Onadonccetteimpressionétrangedereliredesscènesfamilières,quimêmesiellessurprennent parcertainsdétails,n’enrestentpasmoinsarchétypiques.L’autonomiesurleterraindeséquipes, leurgrandeperplexitéparfois,leursbrimades,leursolidarité,leursapproximations,leursrègles demétier,leurpeurdes«plongées»etlefloudanslequellescadressontlaissésetsecantonnent, fontpartieduquotidiendetravaildanslescentralesnucléaires.
Leméritedecelivreestdenouslerappeler,fortopportunémentaprèsledramedeFukushima, alors que tout le monde se demande ce qu’il est advenu des opérateurs de Tepco et que sont évoquéeslesmanœuvreshéroïquesauxquellesilsontdûrecourirpoursauvercequipouvaitl’être.
Danslemêmetemps,cerappel,20ansaprès,nousoblige,noussociologues(maisaussiergonomes etpsychologues)àfaireleconstatsuivant:pourquoi,alorsquetouscesrécitsconvergentetsont connus et publiés, qu’ils ont donné lieu à des communications connues et parfois financées par EDF et les autoritésde sûreté, et pour lesquelles toujours des autorisationsd’accès ont dû être demandées, pourquoi si peu de changements ontaccompagné ces hommeset cesfemmes dans le traitement quotidien des problèmes d’intervention sur les installations? Les centrales vieillissentetvontdevoirêtredémantelées.Leschantiersdemaintenancevontdoncsemultiplier.
Lesquestionsposéesautraversdel’enquêtedeP.Fourniersontstructurelles,enparticuliercelles quiconcernent le rapport aux procédures et leurmise à jour. Cependant, au bout de toutes ces annéesdefonctionnement,ilapparaîtquel’exploitationdescentralesnucléairesn’aguèreprisacte desimmensesexigencesorganisationnellesqu’elleréclame.Mêmesicetémoignagenouslaisse entrevoir et apprécier l’ingéniosité quotidienne dont sont capables lesacteurs de terrain, on se demandepourquoiilsdevraientàeuxseulssupporterlesimpensésd’unetechnologiedangereuse etcontroversée.Àcettequestiondedémocratieindustrielleetpolitique,lelivredeP.Fournierne donnepasderéponse.
MathildeBourrier Départementde sociologie,facultédesscienceséconomiquesetsociales,universitédeGenève,
40,boulevardduPontd’Arve,1211Genève4,Suisse Adressee-mail: mathilde.bourrier@unige.ch DisponiblesurInternetle9mai2013
http://dx.doi.org/10.1016/j.soctra.2013.03.011
L’Apocalypse joyeuse. Une histoire du risque technologique, J.B. Fressoz. Le Seuil, coll.
«L’univershistorique»,Paris(2012).313p.
Sommes-nous devenus assez inconscientspour ne plus voir les risques qui nous menacent, commelelaisseentendrecetitre—L’Apocalypsejoyeuse—enformed’oxymore?L’historiendes sciencesetdestechniquesJean-BaptisteFressozs’intéresse,danscelivre,auxracineshistoriques de la crise environnementale contemporaine et propose une thèse différente de celle d’Ulrich BecketAnthonyGiddens.Pourcessociologues,cettecriseestlerésultatd’unerécenteprisede conscience,appelée«réflexivité»,desdangersinduitsparla«modernité».Leuranalyseoppose deuxmodèlesdesociétés:celledelarévolutionscientifiqueettechniqueduxixesiècle,la«société duprogrès»,quiamodifiéde manièreinconscientesonenvironnementpendantdesdécennies; etcelledelacriseenvironnementalecontemporaine,la«sociétédurisque»,quiafiniparprendre consciencedesdangersinduitsparleserreursdupassé.
OrpourJean-BaptisteFressoz,cerécitsociologiqueestdoublement critiquable.Iltémoigne, d’abord,d’uneméconnaissancehistorique,car«lessociétéspasséesn’ontpasmassivementaltéré leursenvironnementsparinadvertance,ni sansconsidérer,parfoisaveceffroi, lesconséquences deleursdécisions.Laconfiancen’allait pasde soietil afalluproduirede manièrecalculée,sur