D U M Ê M E A U T E U R TOUKARAM, TAUREAU SAUVAGE
Prix « La Joie par le Livre » 1962 publié une première fois sous le titre
TOUKARAM OU L'AGE DE L'AMITIÉ
TOME I
LA D E R N I È R E CHARGE TOME II
COLLECTION S P I R A L E
LA MONTAGNE I N T E R D I T E
J E A N - F R A N Ç O I S P A Y S
Prix « La Joie p a r le Livre » 1962
MARCUS IMPÉRATOR
(Le signe de Rome III)
SOCIÉTÉ NOUVELLE DES ÉDITIONS G. P.
80, RUE SAINT-LAZARE, PARIS-9e
© 1964 - Société Nouvelle des Éditions G. P., Paris
ROME
au centre de tout,
longuement, patiemment et puissamment, mesure, pèse et prévaut.
P. CLAUDEL.
Ma cité et ma patrie, en tant qu'Antonin, c'est Rome ; en tant qu'homme, l'univers.
MARC AURÈLE.
P R I N T E D IN FRANCE
Pour tous les garçons, pour toutes les filles
qui, au travers de leurs manuels scolaires, sentirent battre le cœur de ce monde disparu et l'aimèrent.
POUR MARIE-BRIGITTE QUI L'AIMA
J.-F. P.
PROLOGUE
E livre est le dernier volume de la trilogie du « Signe de Rome ».
Il fait immédiatement suite au roman intitulé « La Dernière Charge », ainsi qu'à « Toukaram, taureau sauvage » (Prix La Joie par le Livre 1962), publié une première fois sous le titre « Toukaram ou l'Age de l'amitié ».
Nous donnons ici un bref résumé de ces deux ouvrages, résumé sans lequel le présent roman serait incompréhensible.
TOUKARAM, TAUREAU SAUVAGE
Sous le règne de l'empereur Hadrien, dans les forêts de la Gaule méri- dionale, vit un jeune garçon solitaire. Toutes les bêtes sauvages sont ses amies. Lorsque, par les nuits claires, son chant s'élève, accompagné de la cithare, toutes s'approchent et le regardent... Toutes, sauf une, pourtant : un taureau d'une force, d'une bravoure et d'une beauté extraordinaires, que Loïx rêve d'apprivoiser. Une fois déjà, sous sa caresse, l'animal blessé ne s'est-il pas laissé maîtriser ?... Chaque jour, désormais, grandit l'amitié de Loïx, le jeune Gaulois, et de Toukaram, le taureau.
Cependant, les circonstances conduisent Loïx jusqu'au palais du gouver- neur romain de la province, le propréteur Appius Sertorius Calcero, où il est amené à mesurer ses forces et son adresse à celles de Marcus, le fils du gouverneur. Jaloux de la supériorité du garçon, Marcus décide de le frapper dans ce qu'il a de plus cher et, à l'insu de sa sœur Josia, devenue l'amie de Loïx, il donne l'ordre à son esclave Phocion de capturer le taureau et le fait expédier à Rome, où il doit être livré aux jeux cruels du Colisée.
Dès qu'il apprend la raison exacte pour laquelle Marcus lui a demandé
de s'emparer de Toukaram, Phocion, géant au cœur d'or, regrette la part
active qu'il a prise dans cette affaire et, de lui-même, va trouver Loïx pour
lui proposer son aide. Loïx accepte.
Une poursuite éperdue s'engage. Phocion et Loïx, après avoir été vic- times, à Marseille, des agissements d'un aigrefin nommé Artex, réussissent à s'embarquer à bord d'une galère en partance pour Rome.
Au cours de la traversée, le navire est attaqué par les pirates au large de la Corse. Les Romains sortent vainqueurs de cette rencontre mais sont contraints à faire escale à Carista pour réparer les dommages subis par leur vaisseau.
Loïx en profite pour se lier d'amitié avec les garçons du village, dont les parents s'ingénient à rendre service aux Romains.
Loïx et Phocion arrivent enfin à Rome au moment où, sous les yeux de l'empereur Hadrien, Toukaram affronte dans l'arène un tigre redoutable.
Au péril de sa vie, Loïx parvient à rejoindre le taureau.
L'empereur, mis au courant de la vérité par Phocion, arrête le combat et blâme Marcus, qu'il décide de garder auprès de lui pour s'occuper de son éducation. Après l'avoir traité avec magnificence, il donne à Loïx en toute propriété une petite île, pour qu'il puisse y vivre heureux et tranquille en compagnie de Toukaram. Il rachète Phocion et lui rend la liberté. Enfin il nomme Fabius, le commandant de la galère, préfet de l'escadre de Ravenne.
Un beau matin d'hiver, Loïx et Toukaram s'embarquent pour leur île.
Sur le quai d'Ostie, Marcus, en compagnie de l'empereur, regarde s'éloi- gner le navire...
LA DERNIÈRE CHARGE
Le voyage de Loïx tourne court. Les événements séparent une nouvelle fois le garçon de son taureau.
Dans l'entourage de l'empereur Hadrien, les bruits les plus fantaisistes circulent : Loïx ne serait pas né en Gaule et la vie de cet adolescent serait une menace pour la paix du monde si les Parthes, d'aventure, apprenaient sa véritable identité. Loïx ignore tout de ces rumeurs.
En compagnie de quelques camarades de son âge dont Vani, personnage
antipathique, séduisant et mystérieux tout à la fois, il brave de nombreux
dangers et vit de multiples aventures avant de retrouver la trace de Touka-
ram. Mamer, soldat bon enfant en rupture de garnison, l'y aide de son
mieux tandis qu'à Rome Marcus, sous la surveillance de l'empereur, amende sa conduite, se jette à corps perdu dans l'étude et rêve de conquérir un jour l'amitié de Loïx.
Toukaram a été vendu à Orchomène, roi d'Antirane, ville située sur les rivages du Pont-Euxin, au pied du Caucase. Poussé par les Parthes, enne- mis héréditaires des Romains, Orchomène prend les armes contre Rome.
Hadrien, empereur de la paix, se voit contraint d'envoyer une armée pour circonscrire le conflit et mater la ville révoltée. Cette armée est conduite par Caïus Licinius Rufili et par Marcus, nommé pour la circonstance légat impérial.
Parallèlement, Loïx et ses compagnons arrivent à Antirane pour déli- vrer Toukaram. Phocion et Fabius les y rejoignent.
Sur le point d'être vaincu, Orchomène, abandonné par les Parthes, sombre dans la folie et donne l'ordre d'incendier la ville. Tandis que les flammes s'élèvent de toutes parts, Loïx réussit à s'introduire dans la prison de Toukaram. Cerné par le feu, le garçon se prépare à mourir aux côtés de la bête. Mais le taureau à la folle bravoure charge une dernière fois et, au prix de sa vie, sauve celle de son jeune ami.
L'aube se lève, humide et froide, sur la ville aux trois quarts détruite.
Loïx reprend connaissance dans les bras de Marcus. Devant les légions assemblées, les deux garçons se jurent une amitié éternelle. Vani s'approche alors du jeune patricien et, tirant brusquement un poignard de sa botte de fourrure, il s'écrie :
— De la part de mon père, l'empereur des Parthes, je t'apporte la mort.
Au divin Marcus Aurelius Antoninus César Auguste Imp.
Germanique, Arméniaque et Parthique Fils d'Antonin
Petit-fils d'Hadrien Philhellène
Revêtu pour la douzième fois de la puissance tribunitienne Prince du Sénat
Grand Pontife Père de la Patrie Deux fois triomphant Maître du monde.
A sa divine épouse Faustine Lucius Aelius Commodus leur fils Lucius Aurelius Verus
Auguste.
CHAPITRE PREMIER
GUERRE OU PAIX
L pluie fine qui tombait depuis le matin avait détrempé le sol déjà amolli par le constant va-et-vient des patrouilles et le passage des chariots.
Vani était assis sur une natte, les mains liées derrière le dos par un
lacet de cuir. Neuf soldats l'entouraient. Seul au centre de ce demi-
cercle d'airain, l'adolescent faisait face à la cour martiale qui, présidée
par Rufili et composée des principaux officiers que l'ancien gouverneur
de Bretagne avait sous ses ordres, siégeait en plein vent, sous un vélum
de toile rouge.
Mamer avait tracé de l'accusé un portrait haut en couleur et narré de façon plaisante les épisodes les plus marquants de l'aventure qu'il avait vécue à ses côtés. Puis Loïx avait longuement relaté sa première rencontre avec Vani dans les grottes de Carista. Il avait dépeint son ancien compagnon comme un garçon serviable mais renfermé, sujet à de brusques sautes d'humeur.
Nombre de légionnaires se pressaient le long des palissades dont on avait enclos le tribunal et pariaient entre eux quant à la rigueur du verdict. Les tenants de la peine de mort étaient les plus nombreux.
Le procès touchait à sa fin.
Commis d'office, un obscur avocat d'Antirane assurait la défense de l'accusé. Vani écoutait avec attention la plaidoirie de cet homme mala- droit mais plein de bonne volonté et souriait lorsque celui-ci, pour ponctuer une période particulièrement ronflante, faisait voler autour de ses maigres bras les manches trop larges de sa tunique.
Rufili observait l'adolescent à travers ses paupières mi-closes. Secoué par de violentes quintes de toux, le vieux sénateur ramenait parfois un pan de sa toge devant sa bouche. On eût dit un chat jouant avec une souris et prenant plaisir à ce jeu cruel.
Abrité sous la tente de Rufili, Marcus attendait la fin des débats et revivait par la pensée le déroulement de l'attentat dont il avait failli être la victime.
Au moment où Vani tirait son poignard, Loïx avait eu le réflexe de se jeter dans les jambes du meurtrier. Déséquilibré, celui-ci avait chu, laissant échapper son arme. Puis, soustrait d'extrême justesse à la fureur des soldats qui voulaient le lyncher, Vani avait été conduit sous une tente pour y être sommairement interrogé.
— Je m'appelle Vaniomène et non Vani, avait-il déclaré. Je suis fils d'Osroès, empereur des Parthes. Si je meurs, mon père me vengera et massacrera votre armée.
A l'appui de ces dires, l'adolescent avait tiré de sa botte un petit disque en or : le sceau arsacide (1).
(1) Les notes sont groupées e n fin d e volume, pages 175 à 187.
V a n i V a n i o m è n e , f i l s d ' O s r o è s , p r i n c e p a r t h e !
E n m o i n s d ' u n e h e u r e , l a n o u v e l l e a v a i t f a i t l e t o u r d u c a m p . L e s s o l d a t s a v a i e n t e n v o y é u n e d é l é g a t i o n a u p r è s d e R u f i l i a f i n d ' o b t e n i r d u v i e u x s é n a t e u r l a m i s e e n j u g e m e n t i m m é d i a t e d u g a r ç o n . C e t t e d é m a r c h e a v a i t m o n t r é à q u e l p o i n t r e s t a i t v i v a c e l a h a i n e q u i o p p o - s a i t R o m a i n s e t P a r t h e s . L a p l u p a r t d e s l é g i o n n a i r e s p r é s e n t s à A n t i - r a n e é t a i e n t d e s v é t é r a n s d e l ' a r m é e d e T r a j a n e t g a r d a i e n t d a n s l e u r c œ u r l e s o u v e n i r d e s h u m i l i a t i o n s s u b i e s d i x - h u i t a n n é e s a u p a r a v a n t , l o r s q u e l e s v i l l e s m é s o p o t a m i e n n e s s ' é t a i e n t r é v o l t é e s e t a v a i e n t c o n t r a i n t l e s a i g l e s r o m a i n e s à b a t t r e e n r e t r a i t e j u s q u ' a u x f r o n t i è r e s d e l ' A r m é n i e ( 2 ) .
C o n t r e t o u t e a t t e n t e , R u f i l i a v a i t a c c u e i l l i c e t t e d é l é g a t i o n a v e c b i e n - v e i l l a n c e e t s ' é t a i t e m p r e s s é d e l u i d o n n e r s a t i s f a c t i o n .
S u r l ' h e u r e , V a n i a v a i t é t é t i r é h o r s d e l a t e n t e e t m i s e n p r é s e n c e d e l a c o u r m a r t i a l e q u i d e v a i t d é c i d e r d e s o n s o r t .
P o u r M a r c u s , l e p r o b l è m e é t a i t a v a n t t o u t d ' o r d r e p o l i t i q u e . U n a r r ê t d e m o r t r e n d u à l ' e n c o n t r e d u p r i n c e a r s a c i d e é q u i v a u d r a i t à u n e d é c l a r a t i o n d e g u e r r e . V a n i n e l ' a v a i t p a s c a c h é . M a r c u s s a v a i t q u ' H a - d r i e n n e v o u l a i t p a s d e c e t t e g u e r r e ( 3 ) . I l é t a i t p r ê t à p a r d o n n e r à s o n m e u r t r i e r p o u r é v i t e r u n t e l d é s a s t r e .
R u f i l i f e r a i t - i l p r e u v e d e c l é m e n c e ? L e j e u n e p a t r i c i e n e n d o u t a i t . I l n ' a v a i t p a s é t é s a n s r e m a r q u e r c e r t a i n s s i g n e s a l a r m a n t s d a n s l e c o m p o r t e m e n t d u v i e u x g é n é r a l .
S o u c i e u x d e n e p a s s e c o m p r o m e t t r e d a n s c e t t e a f f a i r e e t d e g a r d e r s a l i b e r t é d ' a c t i o n , M a r c u s a v a i t d o n c r e f u s é d e s i é g e r p a r m i l e s m e m b r e s d u t r i b u n a l , o ù s a v o i x n ' a u r a i t p u p r é v a l o i r . P a r c o n t r e , i l a t t e n d a i t a v e c i m p a t i e n c e l e m o m e n t o ù l e s j u g e s r e g a g n e r a i e n t l e p r a e t o r i u m ( 4 ) p o u r d é c i d e r d u s o r t d e V a n i e t , p a r l à m ê m e , d e c e l u i d e l a p a i x .
S u i v a n t l a f a ç o n d o n t l e s c h o s e s t o u r n e r a i e n t , M a r c u s i n t e r v i e n d r a i t a l o r s d e l a m a n i è r e q u ' i l j u g e r a i t l a p l u s o p p o r t u n e .
A t r a v e r s l a t o i l e d e l a t e n t e , l a p l a i d o i r i e l u i p a r v e n a i t b r i b e s p a r b r i b e s , h a c h é e p a r l e v e n t .
— N e p r o n o n c e z p a s u n e s e n t e n c e d ' i n i q u i t é . . . N ' a j o u t e z p a s u n c r i m e à u n a u t r e c r i m e . . . V o y e z l a j e u n e s s e d e m o n c l i e n t ! Q u i d e v o u s a u r a l e c o u r a g e d e t r a n c h e r l e f i l d ' u n e v i e . . .
M a r c u s h a u s s a l e s é p a u l e s . I l s a v a i t R u f i l i p a r f a i t e m e n t i n s e n s i b l e à c e g e n r e d ' a r g u m e n t s .
S u r l a t a b l e d e t r a v a i l d u g é n é r a l , d e u x c a r t e s é t a i e n t p l a c é e s c ô t e à c ô t e . T o u t e s d e u x f i g u r a i e n t l a r é g i o n c o m p r i s e d ' u n e p a r t e n t r e l ' A r m é n i e e t l ' E u p h r a t e , d ' a u t r e p a r t e n t r e l a S y r i e e t l a B a c t r i a n e ( 5 ) . S u r l a p r e m i è r e , u n e v i n g t a i n e d e p e t i t s c u b e s d e b o i s p e i n t s d e d i v e r s e s c o u l e u r s e t p o r t a n t c h a c u n u n n u m é r o é t a i e n t d i s p o s é s d e p a r t e t d ' a u t r e d ' u n e l i g n e i m a g i n a i r e j o i g n a n t l e T i g r e à l a v i l l e d ' E d e s s e . O n r e t r o u v a i t l e s m ê m e s c u b e s s u r l ' a u t r e c a r t e , m a i s d i s p o s é s d ' u n e m a n i è r e d i f f é r e n t e .
T o u t d ' a b o r d , M a r c u s s e c r u t e n p r é s e n c e d ' u n d e c e s j e u x t r è s e n f a v e u r d a n s l e s é t a t s - m a j o r s r o m a i n s ( 6 ) .
— V o y o n s . . . , v o y o n s . . . N o u s a v o n s i c i t r o i s c u b e s e t p l u s l o i n h u i t . . . D e u x s e u l e m e n t s u r l ' a u t r e c a r t e . . . D i e u x ! J e r ê v e ! . . . s ' e x c l a m a - t - i l s o u d a i n .
S t u p é f a i t p a r l ' i m p o r t a n c e d e l a d é c o u v e r t e q u ' i l v e n a i t d e f a i r e , l ' a d o l e s c e n t r e s t a d e l o n g s i n s t a n t s i m m o b i l e , i n c a p a b l e d ' u n e p e n s é e p r é c i s e . P u i s s o n e s p r i t s e m i t à t r a v a i l l e r à t o u t e v i t e s s e . C e r t a i n e s p h r a s e s j a d i s p r o n o n c é e s p a r s o n p è r e r e m o n t è r e n t b r u s q u e m e n t d u f o n d d e s a m é m o i r e .
I l s e l e v a e t s e g l i s s a h o r s d e l a t e n t e p a r l a p o r t e o p p o s é e a u f o r u m ( 7 ) .
L a p l a i d o i r i e t e r m i n é e , l e s m e m b r e s d u t r i b u n a l g a g n è r e n t l e p r a e - t o r i u m p o u r y d é l i b é r e r .
R u f i l i n é g l i g e a s a c h a i s e c u r u l e ( 8 ) , m o n t r a n t p a r l à s a v o l o n t é d e m e n e r r o n d e m e n t l e s d é b a t s .
— T r i b u n s , d i t - i l , j e r e q u i e r s c o n t r e l ' a c c u s é l a p e i n e p r é v u e p a r n o s l o i s , c ' e s t - à - d i r e l a m o r t .
F a b i u s n e p u t r e t e n i r u n g e s t e d e p r o t e s t a t i o n .
— C e r t a i n s d ' e n t r e v o u s , p o u r s u i v i t R u f i l i , o b j e c t e r o n t c e r t a i n e m e n t q u ' e n s a q u a l i t é d e p r i n c e p a r t h e V a n i V a n i o m è n e m é r i t e q u e l q u e s m é n a g e m e n t s e t q u ' i l v a u t m i e u x l a i s s e r u n c r i m e i m p u n i q u e r i s q u e r u n e g u e r r e . J e r é p o n d r a i à c e u x - l à q u e l e s a r m é e s r o m a i n e s n e s o n t g u è r e h a b i t u é e s à s e l a i s s e r i n t i m i d e r e t q u ' u n e c a m p a g n e , s i d u r e
s o i t - e l l e , n ' e s t p a s p o u r l e s e f f r a y e r . N o m b r e d e p e u p l e s o n t a p p r i s à l e u r s d é p e n s l a v a l e u r d e n o s s o l d a t s e t n o m b r e d e t ê t e s c o u r o n n é e s o n t d û s ' i n c l i n e r , b o n g r é , m a l g r é , d e v a n t n o s a i g l e s . J ' a j o u t e r a i q u e l a j u s t i c e d o i t s e p l a c e r b i e n a u - d e s s u s d e c e s c o n s i d é r a t i o n s e t q u e v o u s a v e z à v o u s p r o n o n c e r s a n s v o u s s o u c i e r d e s i n c i d e n c e s p o l i t i q u e s d e v o t r e v e r d i c t . L e v o t e s e f e r a à m a i n l e v é e .
U n e à u n e , l a q u a s i - t o t a l i t é d e s m a i n s s e l e v è r e n t . S e u l d e t o u s l e s o f f i c i e r s p r é s e n t s , F a b i u s s ' a b s t i n t .
R u f i l i g r o g n a d e s a t i s f a c t i o n e t p r i t u n b o n b o n a u m i e l d a n s l e p e t i t d r a g e o i r e q u ' i l p o r t a i t t o u j o u r s s u r l u i .
— T r i b u n s , d i t - i l , j e v o u s r e m e r c i e . Q u a n t à t o i , F a b i u s , e x p l i q u e - n o u s t o n a t t i t u d e .
— I l y a e u t e n t a t i v e d ' a s s a s s i n a t . I l n ' y a p a s e u a s s a s s i n a t , r é p o n - d i t l e p r é f e t .
— C ' e s t j u s t e . M a i s i l y a e u c r i m e d e l è s e - m a j e s t é ( 9 ) .
— D a n s l a s i t u a t i o n o ù n o u s s o m m e s , l a c l é m e n c e n ' e s t p a s u n e v e r t u m a i s u n e n é c e s s i t é . I l e s t d e n o t r e d e v o i r d ' o f f i c i e r d e r e s p e c t e r l e s v o l o n t é s d e l ' e m p e r e u r e t d ' é v i t e r l e c o n f l i t . E n o u t r e , l e s i m p l e b o n s e n s n o u s c o m m a n d e d e n e p a s p r o v o q u e r O s r o è s , q u i p e u t m e t t r e e n m o i n s d ' u n e s e m a i n e t r o i s c e n t m i l l e h o m m e s e n l i g n e a l o r s q u e n o u s n e d i s p o s o n s q u e d e d e u x l é g i o n s . S o u v i e n s - t o i , R u f i l i , l e p a y s p a r t h e s ' e s t t o u j o u r s m o n t r é f u n e s t e à n o s a r m e s . C r a s s u s ( 1 0 ) y a p e r d u l a v i e e t T r a j a n y a v u s e t e r n i r s a g l o i r e . S u r l e p l a n m i l i - t a i r e , j ' a j o u t e r a i q u e n o t r e p o s i t i o n n ' e s t g u è r e b r i l l a n t e . N o u s s o m m e s s é p a r é s d e n o s b a s e s p a r p l u s i e u r s c e n t a i n e s d e m i l l e s e t l e s A l a i n s ( 1 1 ) n o u s m e n a c e n t d e t o u t e s p a r t s . E n t a n t q u e j u g e , e n f i n , j e n e p u i s q u e m ' é l e v e r c o n t r e u n e t e l l e c o n d a m n a t i o n . N o u s n e s a v o n s r i e n d e l ' a c c u s é , s i c e n ' e s t s o n i d e n t i t é . P o u r q u o i a - t - i l t e n t é d ' a s s a s s i n e r M a r c u s ? Q u e l b u t p o u r s u i v a i t - i l ? Q u i a a r m é s o n b r a s ? A u t a n t d e q u e s t i o n s c a p i t a l e s q u e l a m o r t d e c e g a r ç o n l a i s s e r a i t d é f i n i t i v e m e n t s a n s r é p o n s e . L a c l é m e n c e e s t p a r f o i s s œ u r d e l a g r a n d e u r . E l l e l ' e s t t o u j o u r s d e l a s a g e s s e .
R u f i l i s o u r i t a v e c c o n d e s c e n d a n c e .
— V o i l à u n b e a u d i s c o u r s d i g n e d e s r o s t r e s ( 1 2 ) m a i s q u i n e t i e n t a u c u n c o m p t e d e s r é a l i t é s . L ' a r m é e d ' O s r o è s n e s e r a p a s p r ê t e à e n t r e r e n c a m p a g n e a v a n t u n b o n m o i s . D ' i c i l à , u n e d i z a i n e d e l é g i o n s s e r o n t
v e n u e s r e n f o r c e r n o s r a n g s . Q u a n t a u x A l a i n s , u n e s i m p l e o p é r a t i o n d e p o l i c e s u f f i r a à n e t t o y e r l e p a y s d e c e t t e r a c a i l l e . . .
R u f i l i h é s i t a q u e l q u e s i n s t a n t s . F a b i u s l e s e n t i t à b o u t d ' a r g u m e n t s .
— D e t o u t e f a ç o n , r e p r i t l e v i e u x s é n a t e u r , l e t r i b u n a l a r e n d u s o n v e r d i c t e t l a s e n t e n c e d o i t ê t r e e x é c u t é e . . .
— C ' e s t u n s u i c i d e ! s ' é c r i a F a b i u s . P a s u n d e t e s s o l d a t s n ' é c h a p - p e r a a u m a s s a c r e .
— C ' e s t a u c o n t r a i r e l e d é b u t d ' u n e g l o r i e u s e c a m p a g n e , r é p l i q u a l e g é n é r a l , e t à l ' a u t o m n e n o u s s a c r i f i e r o n s t o u s a u C a p i t o l e !
P u i s , s ' a d r e s s a n t a u x o f f i c i e r s p r é s e n t s :
— F i d è l e à s a m i s s i o n c i v i l i s a t r i c e , c o n c l u t - i l , R o m e a d é c i d é d e m e t t r e f i n a u x a g i s s e m e n t s d ' u n p e u p l e r é p u t é p o u r s a f o u r b e r i e e t s a c r u a u t é . S u r l a t ê t e d e m o n f i l s T i b e r i u s , j e j u r e d e v o u s c o n d u i r e à l a v i c t o i r e . Q u e l e s d i e u x m ' e n t e n d e n t e t q u e l e u r c o l è r e r e t o m b e s u r l a t ê t e d e c e g a r ç o n s i j e f a i l l i s à m o n s e r m e n t ( 1 3 ) !
C H A P I T R E I I
L E S A L A I N S
L n ' a v a i t p a s v o u l u a s s i s t e r a u p r o c è s e t n ' y a v a i t t é m o i - g n é q u e s u r l e s c o n s e i l s d e P h o c i o n .
L a f a t i g u e , j o i n t e a u x é m o t i o n s d e l a n u i t p r é c é d e n t e , m a r q u a i t s e s t r a i t s . U n v a s t e c e r n e c r e u s a i t s e s o r b i t e s a u f o n d d e s q u e l l e s b r i l l a i e n t s e s y e u x r o n g é s d e f i è v r e e t r o u g e s d ' a v o i r t r o p l o n g t e m p s l u t t é c o n t r e l e s l a r m e s .
R i e n n e s e m b l a i t a v o i r d ' i m p o r t a n c e e n r e g a r d d e l ' i m m e n s e c h a - g r i n q u i l ' é t o u f f a i t . I l n e p o u v a i t s ' e m p ê c h e r d e s o n g e r q u e T o u k a - r a m n e s e r a i t p e u t - ê t r e p a s m o r t s i , a u d e r n i e r m o m e n t , l e t a u r e a u n e
s ' é t a i t c o u c h é s u r l u i p o u r l e p r o t é g e r e t l e s a u v e r . D e c e t t e m o r t , L o ï x s e s e n t a i t r e s p o n s a b l e .
R é f u g i é s o u s l a t e n t e d e M a r c u s , l e g a r ç o n r u m i n a i t s a n s c e s s e c e s s o m b r e s p e n s é e s . D e t e m p s à a u t r e , l e v e n t f a i s a i t c l a q u e r l a t o i l e e t l u i a p p o r t a i t q u e l q u e s c r i s v e n u s d u f o r u m , d e c e t t e p l a c e b o u e u s e o ù V a n i j o u a i t s a t ê t e .
V a n i ! L o ï x n ' a v a i t j a m a i s a i m é c e g a r ç o n . M a i s l ' a v e n t u r e q u ' i l s a v a i e n t v é c u e c ô t e à c ô t e l e s a v a i t l i é s l ' u n à l ' a u t r e . Q u ' i l f û t p r i n c e e t m e u r t r i e r , V a n i n ' e n r e s t a i t p a s m o i n s u n d e c e u x q u i l ' a v a i e n t a i d é à r e t r o u v e r T o u k a r a m .
M a r c u s f i t i r r u p t i o n s o u s l a t e n t e . S o n v i s a g e t r a h i s s a i t u n p r o f o n d d é s a r r o i .
— C ' e s t f i n i ! d i t - i l . T o u t e s t f i n i ! V a n i m o u r r a e t R u f i l i a u r a s a g u e r r e .
L e j e u n e p a t r i c i e n s e l a i s s a t o m b e r s u r s o n l i t e t r e p r i t s a r e s p i r a t i o n . P u i s i l d o n n a à L o ï x u n e d e s c r i p t i o n d é t a i l l é e d e c e q u ' i l a v a i t v u s u r l a t a b l e d u g é n é r a l .
— J ' a i t o u t d ' a b o r d p e n s é q u ' i l s ' a g i s s a i t d ' u n j e u . E n f a i t d e j e u , c e n ' é t a i t n i p l u s n i m o i n s q u ' u n p l a n d e c a m p a g n e p r é p a r é a v e c u n e e x t r ê m e m i n u t i e . L e s p e t i t s c u b e s n u m é r o t é s e t p e i n t s d e d i f f é r e n t e s c o u l e u r s r e p r é s e n t a i e n t l e s l é g i o n s . A l o r s , b r u s q u e m e n t , j e m e s u i s s o u v e n u d ' u n e h i s t o i r e q u e m ' a v a i t r a c o n t é e m o n p è r e e t à l a q u e l l e , s u r l e m o m e n t , j e n ' a v a i s a t t a c h é a u c u n e i m p o r t a n c e .
» C e l a s e p a s s a i t i l y a d i x - h u i t a n s , l o r s q u e l ' e m p e r e u r T r a j a n , à l a t ê t e d e s o n a r m é e , r é d u i s a i t l ' A r m é n i e e n p r o v i n c e , t r a v e r s a i t l e T i g r e e t s ' e m p a r a i t d e C t é s i p h o n ( 1 4 ) . M o n p è r e é t a i t a l o r s t r i b u n m i l i t a i r e e t a v a i t p o u r c o l l è g u e C a ï u s L i c i n i u s R u f i l i . C e t h o m m e a v a i t é p o u s é u n e S é l e u c i e n n e ( 1 5 ) q u ' i l a d o r a i t . T r a j a n a v a i t e n c o u r a g é c e t t e u n i o n , p e n s a n t i m i t e r A l e x a n d r e d e M a c é d o i n e ( 1 6 ) e t s c e l l e r p a r l e m a r i a g e d e s e s s o l d a t s a v e c l e s h a b i t a n t e s d e s v i l l e s c o n q u i s e s u n e i n d é f e c t i b l e a l l i a n c e e n t r e l e s d e u x e m p i r e s .
» L o r s q u e l e p a y s t o u t e n t i e r s e s o u l e v a c o n t r e n o u s , l e s f e m m e s q u i s ' é t a i e n t u n i e s à d e s R o m a i n s f u r e n t m a s s a c r é e s . F o u d e d o u l e u r , R u f i l i j u r a d e s e v e n g e r . I l a l l a t r o u v e r T r a j a n e t l e s u p p l i a d e m a r c h e r s u r l e s v i l l e s r é v o l t é e s . M a l a d e , l ' e m p e r e u r l e l u i p r o m i t m a i s m o u r u t p e u d e t e m p s a p r è s , à S é l i n o n t e d e C i l i c i e , l a i s s a n t l e t r ô n e à H a d r i e n
D é p ô t légal n° 1202 - I trimestre 1964 Mai 1964
Ce livre
MARCUS IMPÉRATOR de Jean-François Pays illustré par Michel Gourlier
est le deux cent deuxième de la
BIBLIOTHÈQUE ROUGE ET OR Série " Souveraine "
Il a été imprimé sur les presses de l'Imprimerie Maillet et C
à Saint-Ouen Photogravure S.T.O.
En collectionnant ces vignettes, vous
pouvez obtenir un livre gratuit.
Renseignez-vous
chez votre libraire
Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement
sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.
Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.
Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire qui a servi à la numérisation.
Cette édition numérique a été fabriquée par la société FeniXX au format PDF.
Couverture :
Conception graphique ‒ Manon Lemaux Typographie ‒ Linux Libertine & Biolinum, Licence OFL
*
La société FeniXX diffuse cette édition numérique en vertu d’une licence confiée par la Sofia
‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒ dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.