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Academic year: 2022

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Sur la liberté académique

TERRIER, Claudius P.

TERRIER, Claudius P. Sur la liberté académique. Genève : Georg, 1964, 34 p.

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:151019

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UNIVERSITÉ DE GENÈVE S:ÉANCE DE RENTRÉE

21 octobre 1964

Claudius TERRIER, recteur

INSTITUT DE MINÉRALOGIE ET PÉTROGRAPHIE DE L'UNIVERSITÉ

Quai Ecole de Médecine GENÈVE

Sur la liberté académique

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UNIVERSITI3 DE GENjjVE SÉANCE DE RENTRÉE

21 octobre 1964

Claudius TERRIER, recteur

INSTITUT DE MmERALOGIE ET PËTfiOû!MPHIE Dé l'UNIVfRSIT~

Quai Ecole de Médecine

GENÈVE

Sur la liberté

académique

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Sommaire:

Avant-propos

I. La liberté académique dans l'histoire

de l'Alma Mater genevoise II. Le devoir des maîtres

et des étudiants en regard de la liberté académique III. Conclusion.

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Avant-propos

En gravissant le perron de l'Université, côté Bastions, on peut lire contre la façade de !'Ecole une légende gravée dans la pierre:

« Le peuple de Genève, en consacrant cet édifice aux études supérieures, rend hommage aux bienfaits de l'instruc- tion, garantie fondamentale de ses libertés » (loi du 26 juin 1867).

Dans l'esprit de Voltaire, l'idée de liberté correspond à quelque chose de sublime et de romantique. C'est la déesse éternelle des humains et elle habite sur les bords heureux de son lac, le premier, le lac de Genève.

D'une manière de voir plus prosaïque, Littré distingue trois grandes sortes de libertés : la liberté naturelle, la liberté civile et la liberté politique. La liberté naturelle, c'est pour l'homme le pouvoir de disposer de ses facultés comme il l'entend. La liberté civile, c'est pour le citoyen la jouissance des droits constitutionnels. Enfin, la liberté politique, c'est pour un peuple la faculté de choisir et de contrôler son gou- vernement.

Revenons à la liberté naturelle, pour admettre qu'une de ses formes, non la moins précieuse, est la liberté académique.

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Dans le «Guide de l'étudiant à l'Université de Genève», Bernard Gagnebin a relevé avec bonheur qu'elle est une des constantes de notre institution et que, jaloux de leur indé- pendance intellectuelle, nos maîtres ont constamment rejeté toute intrusion politique au sein de l' Alma Mater.

Dans un essai de confrontation entre l'Académie du XVIe siècle et l'Université du X.Xe, Jaques Courvoisier emprunte au domaine religieux une interprétation de la « liberté aca- démique».

Se livrant à l'exégèse d'un texte hébreu rapporté sous un portrait de Calvin : « La crainte du Seigneur est le commen- cement de la Science », la théologien rappelle comment le terme Darhat «évoque aussi bien la connaissance des choses que des êtres, des choses visibles que des choses invisibles ».

Et cette même connaissance offerte à la recherche de l'homme est sans limite, « le domaine à explorer est infini » ; il est essentiellement libre 1 . Telle est une première manière de concevoir la liberté académique.

En voici une seconde.

Dans un des chapitres de la Classification des sciences 2 intitulé « Sciences de l'idéal ou des règles de l'activité », Adrien Naville nous présente la liberté académique sous un autre jour. «La science de l'idéal, dit-il, c'est l'exposé des règles dont la pratique assurerait la réalisation du meilleur possible ». Puis, tout en soulignant l'influence exercée par l'étude historique sur la conception de la perfection suprême, Naville rappelle qu'on ne peut confondre la science de l'idéal avec l'histoire, car ce qui sert à la constitution de celle-là, c'est la critique et non la constatation des faits. En termes qu'il nous faut citer, «les règles de l'activité n'expriment pas la façon dont les choses se passent, mais celle dont elles

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doivent se passer ; non pas ce qui est, mais ce qui doit être ; et ce qui doit être n'est nullement imposé à l'homme, il est seulement proposé à sa liberté ».

Ainsi dans la diversité et l'étendue du savoir, le chercheur qui découvre, le maître qui enseigne ou l'élève qui étudie ne sauraient connaître d'autres limites que celles de leur choix et d'autres contraintes que celles de leur raison. Par contre, l'idée que l'un ou l'autre peut se faire de l'objet même de la science demeure essentiellement variable. En voici la raison : Lorsque j'avais vingt ans, a dit il y a une douzaine d'années, à l'Université de Lausanne, le professeur Gustavo Colonnetti, directeur d'un centre de recherches, j'aurais répondu - si on m'avait demandé quel était le but suprême de la science - « tout simplement et exclusivement la con- quête de la vérité et tout homme de science se devrait de poursuivre ce but sans se soucier aucunement des résultats et des conséquences possibles de son travail ~>.

Puis, il a aussitôt ajouté : « à cinquante ans de distance, aimant toujours la science pour la science, la réalité des choses au milieu desquelles se déroule notre travail de cher- cheurs, mais ayant changé, je n'ai plus le courage de faire des déclarations aussi nettes et si absolues » 3•

On peut trouver l'explication de ce changement d'attitude vis-à-vis de l'objet de la science dans l'accélération avec laquelle s'opère de nos jours le rapprochement entre la théo- rie et la pratique.

A l'Université de Neuchâtel, dans une communication sur le thème «Etat, université et industrie»\ le ministre G. Bauer a donné une image saisissante de la réduction symptomatique du temps qui s'écoule désormais entre l'acquisition de cer- taines connaissances et le moment de leur application. Voici

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quelques exemples : Entre la découverte de la photographie (1727) et les débuts de son utilisation (1839) il s'est écoulé 112 ans. Entre celle du téléphone (1820) et son application (1876), il y a 56 ans. Le nombre d'années qui sépare l'inven- tion de la radio (1867) de son application (1902) n'est plus que de 35 ans; pour la télévision (1922-1934): de 12 ans et pour le transistor (1948-1953) : de 5.

C'est dire finalement que si le concept de l'idéal scienti- fique peut varier, par contre celui de la liberté académique ne change pas.

C'est ce que l'histoire de l'Académie et de l'Université de Genève nous prouve en rappelant abondamment qu'il n'est pas permis de concevoir un enseignement supérieur qui ne serait pas libre, sans manquer de nous prévenir qu'à l'instar de la recherche de la vérité, la liberté académique est une éternelle conquête.

Bien que nous sachions la jeunesse plus curieuse de l'avenir que du passé - l'histoire demeure un enseignement - nous ne résistons pas à la tentation de reprendre dans l'œuVre magistrale de Charles Borgeaud et de Paul-Edmond Martin 5 quelques-uns des moments les plus émouvants de la défense des libertés académiques genevoises.

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Au début du chapitre qu'il a consacré au « caractère de l'œuvre de Calvin dans l'école», Charles Borgeaud situe cette œuvre du fondateur de la vieille Académie en sou- lignant que ce dernier s'est tenu à deux principes fondamen- taux: l'unité de l'école, - l'union intime de l'école et de l'Eglise.

A la fin du même chapitre, embrassant d'un regard la tâche accomplie par le réformateur, Borgeaud juge que Calvin, en faisant de notre ville tout à la fois, une église, une école et une forteresse, a assuré l'avenir de Genève, « pre- mière place forte de ]a liberté dans les temps modernes» 6 •

Sous le rectorat de Théodore de Bèze, alors que« le carac- tère de séminaire théologique qui avait été dominant dans la haute école de Calvin » s'était sensiblement atténué, que l'Académie avait pris un «cachet plus universitaire», les études juridiques comprenaient des cours publics, des leçons particulières et des exercices d'argumentation ou «disputes»7 • Ces dernières, inaugurées dans l'école de droit, en 1573,

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avaient lieu une fois par mois. Calvin en avait établi le dérou- lement et Charles Borgeaud, commentant les dispositions prises par le réformateur se plaît à relever la publicité du débat et la liberté de parole qui étaient de règle à ce sujet.

Il ne faudrait pas croire que l'usage qu'on en fit par la suite ne donna lieu à aucune querelle entre la Compagnie des pas- teurs et le Conseil de la ville. En 1642, !'Ecossais Morris, qui avait tout d'abord obtenu la chaire de grec à l'Académie et qui fut recteur de 1645 à 1649, se vit obligé de revendiquer en une certaine mesure la liberté de l'enseignement supérieur et de rappeler qu'il n'avait pas «étudié pour copier des com- mentaires, mais pour produire ses conceptions comme d'autres docteurs orthodoxes» 8 •

Avec l'appel de Jean-Robert Chouet à la chaire vacante de philosophie, en mai 1669, on perçoit les premiers signes d'un mouvement d'émancipation qui devait donner un tour nou- veau à l'entendement du principe du libre examen dont les réformateurs semblaient n'avoir pas admis jusqu'alors« qu'o~

en tirât les conséquences » 9 scolaires.

Il vaut la peine pour mieux saisir l'action de Chouet, neveu de Louis Tronchin qui était recteur de l'Académie et qui avait déjà fait «entendre à la Compagnie (des pasteurs) étonnée, une première revendication de la liberté de pensée », de citer un des plus savoureux passage de l'histoire de Borgeaud s'y rapportant :

... «L'autorité scolaire genevoise avait veillé, pendant plus d'un siècle, sur l'orthodoxie péripatéticienne de son auditoire de philosophie ni plus ni moins que le syndic de la garde veillant sur les remparts. Lorsque l'écho menaçant des vic- toires d'une génération nouvelle pénétra dans le cloître de St-Pierre, la Compagnie des pasteurs, habituée à prévoir et

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à lutter, pensa qu'il suffisait, comme autrefois, de bien fermer ses portes, d'amener les ponts-levis, d'armer les tours maî- tresses, pour que la bannière triomphante, avec sa cohorte redoutable de jeunes audacieux passât au large des grands fossés et des hauts murs. Mais cette fois, quand elle songea à la résistance, l'ennemi était au cœur de la place. Il était venu, sans éclat de fanfares, en modeste, en banni, et tout porte à croire que ceux qui y avaient pris garde n'étaient point éloignés de lui avoir souhaité la bienvenue » 10•

Les démêlés de Chouet avec la Compagnie des pasteurs tiennent une large place dans les registres de l'époque. Obligé de signer une formule d'adhésion aux règlements de 1647 et 1649 de la dite Compagnie, Chouet ne manqua pas de sou- ligner que l'appel qui lui avait été lancé était très librement formulé. Il n'en demeure pas moins que le nouveau professeur s'écartant de la philosophie, «science de toutes choses», rechercha désormais dans le champ des sciences naturelles l'occasion de s'engager plus librement, «de douter avant de conclure et de se déterminer sans acceptation d'autorité d'aucune sorte». Jacob Vernet qui fit l'éloge de ce savant a pu dire que «personne n'a mieux entendu que lui l'art d'en- seigner et l'art de faire aimer ce qu'il enseignait » 11•

Quelque 50 ans après, les accents enthousiastes du discours prononcé à Saint-Pierre aux promotions de 1704 par le rec- teur Turrettini portent aussi témoignage de l'essor de la liberté académique genevoise et de la primauté de la confé- rence des professeurs et des « scholarques » dans la direction effective de l'enseignement supérieur 12•

Ce n'est toutefois que beaucoup plus tard que l'édit de 1782 enlèvera à la compagnie des pasteurs sa compétence en matière d'instruction publique.

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« Heureuse, trois fois heureuse notre époque - proclame le recteur - où l'on dit un dernier adieu aux subtilités de l'Ecole pour s'attacher à une œuvre réelle, pour marcher au vrai par un chemin plus droit. Veut-on - souligne-t-il - les meilleurs préceptes qu'ait trouvé la raison humaine ? Qu'on lise cette courte, mais considérable, mais incomparable, mais royale dissertation de la «Méthode » de Descartes. Et si l'on n'en retire pas plus de fruit que de toutes les spéculations de la logique vulgaire, je veux perdre ma cause et qu'on m'accuse de chicane» i s.

Mais empressons-nous de relever avec Ch. Borgeaud que si la science genevoise va désormais considérer que le con- trôle des opinions scientifiques échappe à l'Eglise, elle demeu- rera cependant« profondément respectueuse de l'ordre moral et religieux». A nulle époque et en aucun pays, l'évolution de la pensée des théologiens et des savants ne s'est produite d'une façon aussi connue, aussi conjuguée, et cependant aussi libre» 14•

* * *

Dans le volume intitulé « L'Académie de Calvin dans l'Université de Napoléon», nous ne prélevons, comme pour celui qui le précède, que les traits les plus frappants se rap- portant à notre sujet. Nous nous contentons de relever que Bonaparte avait une haute idée de notre Ecole et qu'il

« résolut de la laisser tout entière aux Genevois à condition qu'ils en fissent les frais ».

Il me paraît fort intéressant de citer dans les considé- rations formulées par Ch. Borgeaud dans ce deuxième volume un passage qui établit un rapprochement saisissant entre le 14

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concept de l'enseignement supérieur imaginé par Calvin et celui qui est issu de la Révolution française.

« On l'a vu - écrit Ch. Borgeaud - en proclamant l'en- seignement une fonction de l'Etat parce que c'est un besoin de la nation, en faisant de l'école supérieure, comme de l'école secondaire et primaire, un établissement public, la Révolution française n'avait rien appris aux Genevois, dès longtemps accoutumés à ce régime par l'école de Calvin.

Depuis sa fondation, l'Académie de Genève dépendait de la République, tenait d'elle, et d'elle seule, son existence et ses lois. Mais la puissance publique, en ce qui la concernait, se manifestait par l'intervention combinée du Conseil, de la Compagnie des pasteurs et de ses propres docteurs... orga- nisée en Sénat académique. Elle était une, comme l'Eglise et comme la cité, et concourait autant qu'elles à constituer, à

imposer~ cette personnalité historique qui s'appelle Genève.

« Haec civitas, Ecclesia et Schola » dira Théodore de Bèze en parlant de la République 16 • »

* * *

L'histoire de l'Université de Genève est une fresque admi- rable qui nous ramène à l'esprit des lois de Montesquieu parce que la place faite à l'Ecole de la Cité-refuge répondait à cette puissance de l'éducation dont dépend le sort des républiques.

On découvre à chaque page du récit des nouveaux motifs d'édification et de réconfort. A celui qui pourrait se sentir accablé sous le poids de sa charge, la lecture de cette pre- nante épopée redonnerait aussitôt le courage d'aller son che- min.

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Chaque siècle offre toutes sortes d'épisodes montrant l'atta- chement des théologiens, des humanistes, des jurisconsultes, des savants et aussi des hommes d'Etat à la noble cause de la liberté académique. Le XIXe nous offre à son tour un vivant exemple.

Sitôt après la Restauration, le besoin de déterminer et de concentrer d'une manière plus précise et plus valable les attri- butions et les compétences des organes directeurs de l'ins- truction publique s'était fait ressentir. Tel fut l'objet de l'arrêté du 2 juillet 1816, puis des lois de libéralisation sco- laire de 1834 et 1835 opérant une «véritable révolution au profit de l'Académie ».

Aux critiques souvent virulentes inspirées par la jalousie ou l'amour-propre blessé succèdent d'ardents plaidoyers.

«En des termes qu'on n'est pas fâché - écrit Ch. Bor- geaud - de trouver sous la plume de James Fazy, la condi- tion et la cause de la liberté académique se trouvent habi- lement défendues. Il vaut la peine de rapporter de quelle manière le célèbre tribun s'est exprimé devant l'opinion publique.»

«La loi qui a donné au corps académique la faculté d'agir avec indépendance sur une foule de points, a bien plus pro- tégé l'enseignement que si le Conseil d'instruction (organe d'Etat) eût été institué plus absolu ... C'est en organisation académique une balance nécessaire que celle de certains droits académiques opposés aux prétentions gouvernemen- tales, en général si variables et de si peu de suite ... L'académie n'a rien gâté de ce qui lui a été confié et sous ce rapport elle a un mérite que n'ont pas toutes les administrations gene- voises. Et à qui ces résultats sont-ils dûs ? Précisément à ce que vous vous attaquez, à l'indépendance du corps acadé-

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mique et à l'influence de ces sciences d'observation, qu'on ne pratique jamais sans prendre quelque supériorité dans 1' esprit. » 1 7

Tandis que le XIXe siècle passe dans l'histoire de la Répu- blique et canton de Genève pour une période de luttes poli- tiques assez vives, l'autonomie et l'organisation de l'ensei- gnement supérieur se trouvent remis en discussion au sein même du corps académique par Albert Rilliet qui, pour des mobiles d'ordre personnel, prétend que l'Académie n'est pas un corps indépendant, mais subordonné. Ce n'est pas une institution libre, c'est une institution officielle, légale et par surcroît politique 18•

Le professeur Chastel qui défend l'indépendance de l'en- seignement supérieur lui répond en des termes qui, selon l'avis même de Ch. Borgeaud, valent d'être inscrits dans l'his- toire de l'Académie. Nous regrettons de ne pouvoir en rapporter que quelques-uns.

« Si par cela seul qu'il est nommé, payé et révocable par l'Etat, l'homme chargé de l'enseignement public doit se con·

sidérer comme l'homme, l'agent, l'instrument de ceux qui gouvernent l'Etat, ou comme l'organe passif de la majorité qu'il représente, comme un serviteur qui a aliéné sa liberté et qui, en échange de la faveur qu'on lui fait et du salaire qu'il reçoit, se voue corps et âme à son maître, pour agir aveuglé- ment d'après ses inspirations, je comprend que, la majorité qu'il servait étant changée ou vaincue, il se croie par là réduit au silence et obligé de tomber avec les maîtres qu'il servait.

Mais quel homme chargé de l'enseignement public a jamais pu se former de ses fonctions des idées si peu relevées ? ...

» •. .l'enseignement n'est pas un métier, c'est une mission. Et cette mission ce n'est pas assurément de combattre le gouver-

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nement, mais ce n'est pas non plus de le servir, c'est de servir le public par le noble ministère de la science ... »

Précisant l'idée qu'il se forme du professeur, Chastel ajoute: «Qu'on l'appelle fonctionnaire, subordonné, agent salarié, employé même, si l'on veut, et à ce titre on ne laisse de choix qu'entre servir et se taire, qu'importe si lui-même envisage tout autrement sa mission. Les termes humiliants n'avilissent que ceux qui veulent bien s'en croire avilis. » Et Chastel de se demander fort à propos: «le pouvoir a-t-il eu jusqu'à présent la prétention de dicter ce qui fait l'essentiel de sa charge et intéresse véritablement sa conscience de pro- fesseur, le fond même de son enseignement ? Jamais » 19•

Dans le cas où une telle éventualité viendrait à se pro- duire, Chastel trace très fermement sa ligne de conduite :

«Nous protesterons par notre résistance et nous lui laisse- rons (au gouvernement) le soin de nous briser; nous ne quitterons pas notre poste, nous attendrons qu'il nous en arrache.>

Si les constitutions de 1842 et de 1847 n'ont pas changé le statut de l'Académie que la charte de 1814 avait déclaré maintenir telle que les siècles l'ont faite, il ne faudrait pas inférer que l'Ecole est restée en dehors des débats politiques.

Aux préjugés assez étranges de Rilliet, inspirés semble-t-il de la conception napoléonienne de l'Université française, Chastel a répondu de vigoureuse et nette manière. La fer- meté de son attitude procède de ce respect des choses de l'esprit, de cette caractéristique de la mentalité genevoise que la malice des temps et la diversité des régimes politiques n'ont pu amoindrir. Preuve en est au terme de cette consultation de l'histoire la déclaration formulée par Antoine Carteret lors de l'inauguration, en 1876, de l'Ecole de médecine 20 •

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« Une fois le professeur nommé à Genève, conformément à la loi, il est absolument maître de sa chaire ... Il ne relève que de sa conscience. » Preuve en est encore ce passage de l'allo- cution prononcée au Dies academicus du 7 juin 1955, par le chef du Département de l'instruction publique, Alfred Borel : ... «si grand que puisse être le désir du Conseil d'Etat de voir l'Université s'acheminer vers un toujours plus grand destin, ce même Conseil d'Etat n'entend en aucun cas porter ombrage à une liberté et à une indépendance qui sont le seul climat favorable que puisse et doive connaître notre Alma Mater» 21•

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II

Un écrivain russe, Berdiaeff, a dit de la liberté qu'elle n'est pas un droit, mais une obligation. Ce dernier terme étant synonyme de celui d'engagement personnel, on infère direc- tement que le privilège de la liberté académique impose un rude devoir à ceux qui en ont la jouissance. Comment le com- prendre et l'accomplir? Fermant le livre d'histoire, c'est la question que nous nous proposons d'examiner du point de vue des étudiants comme de celui des professeurs.

Dans un ouvrage récent et très remarqué, intitulé « Pour- quoi des professeurs » 22 un philosophe de l'Université de Strasbourg, Georges Gusdorf, essaie de dégager la significa- tion permanente de l'entreprise éducative en se demandant non sans astuce ce qu'est un maître et ce qu'est un disciple.

S'inspirant de Karl Jaspers, l'auteur distingue trois catégories de maîtres qui vont nous aider à mieux saisir les exigences du devoir universitaire.

La première catégorie correspond aux maîtres qui se con- tentent de distribuer le savoir qu'ils possèdent. La deuxième comprend les maîtres du système ; ils savent tout et font figure d'autocrates intellectuels. La troisième catégorie, la plus valable, est celle des maîtres qui se refusent à professer une doctrine, quelle qu'elle soit et dont l'enseignement est 20

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constamment animé par le désir d'un dialogue, « d'une dia- lectique sans résolution ». Ce qu'il y a de plus valable d'après Gusdorf n'est pas dans ce que le maître dit, mais dans ce qu'il ne dit pas.

Indépendamment de cette idée socratique que la vertu d'un enseignement réside dans ce surplus qui ne s'enseigne pas et qui est donné comme par surcroît, il y a un autre aspect de la maîtrise, un autre devoir de la liberté académique. Il se trouve dans l'effort que tout enseignant se doit de faire pour redonner à ceux de ses élèves qui l'auraient perdu, le goût aux humanités. Car, il faut bien le reconnaître, les étudiants qui le cultivent ne représentent plus aujourd'hui qu'un petit nombre d'entre eux. Pourquoi, sans soutenir que tout va mal, ne pas vouloir voir son temps comme il est? L'avenir pourrait bien nous le reprocher.

Or, dans la civilisation utilitaire où nous vivons, seule la formation humaniste permet de saisir les ensembles et les lointains, la liaison de toute chose, la relation de cause à effet, la compréhension d'un univers gigantesque.

Il s'ensuit, pour toutes sortes de raisons que par souci de brièveté nous ne pouvons évoquer, que la culture générale n'est plus, à l'âge des robots et de l'électronique, le suc exclusif de quelques disciplines nobles et privilégiées. Elle n'est plus désormais un article de programme, le fait d'un seul cours.

Apprendre à vouloir apprendre, bien« qu'on tienne pour un fait que le résultat le plus ordinaire de l'enseignement est d'éteindre le goût d'apprendre» 23• Chaque leçon est occasion de culture parce que tout peut être matière à culture.

Sait-on qu'après s'être initié à la connaissance d'une disci- pline bien modeste, considérée comme mineure par nombre

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d'universitaires, la comptabilité en partie double, le génial Goethe avait pu considérer cette dernière comme un moyen de culture et dire« qu'elle était une des plus belles inventions humaines ... » (Wilhelm-Meisterslehrjahre) ?

Apprendre à être curieux de toute chose est la seule con- dition qui continue de s'imposer de manière prenante à tout le corps professoral et cela malgré l'échec des «cours géné- raux. » et le faible retentissement du « studium generale ».

Car, il faut bien l'avouer, la plupart des étudiants se com- portent comme s'ils n'avaient «plus de temps à perdre dans les disciplines voisines de leur domaine propre ... , ils sont pressés de se faire une situation et ne prennent à l'Université que le minimum de matières enseignées pour les examens » 24•

De plus si la plupart d'entre eux ont l'ambition de devenir de vrais sportifs - et nous ne les en blâmons nullement - on est loin de retrouver dans la rédaction de leurs travaux d'examens ou de séminaires la manifestation de cet esprit compétitif dont ils savent si bien faire preuve sur tous les terrains de jeux et de sports. Il est cependant juste de recon- naître qu'une fois entrés dans la pratique, aux prises avec les difficultés de la vie quotidienne, ils se prennent peu à peu à regretter de n'avoir pas su profiter du beau temps de leurs études; ils s'emploient alors à retrouver le chemin de l'école 25• Le succès grandissant des cours « post graduate »

de perfectionnement pour adultes ne prouve-t-il pas ce désir de reconquête des valeurs culturelles et leur primauté dans une civilisation hantée par la productivité ?

La recherche et la défense de la liberté académique ne sont pas confinées au seul domaine de l'esprit, elles se retrou- vent également dans le secteur plus prosaïque de l'adminis- tration universitaire.

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Si, dans des temps à jamais révolus, la recherche et l'en- seignement pouvaient être les seules occupations dignes du professeur, la crise de l'Université due à l'avancement des sciences et à l'augmentation considérable du nombre des étu- diants a bouleversé cette manière de voir. La croissance de notre institution pose de lourds et délicats problèmes ; ils ne pourront être judicieusement résolus que grâce au fonction- nement normal de ses divers rouages. Or, les maîtres qui ne répondent pas à l'appel du Sénat, qui désertent le dies aca- demicus et les séances de rentrée représentent près des deux tiers du corps professoral. La démission académique ne se légitime pas plus que la démission civique. Si le pouvoir politique meurt de sa solitude ainsi qu'on l'a prétendu dans un congrès mondial de sciences politiques tenu à Paris en 1961, l' Alma Mater pourrait cruellement souffrir de cette coupable indifférence à son égard, de ce désintéressement sans excuse qui pourrait bien engager les pouvoirs politiques à se substituer aux pouvoirs universitaires. Se demande-t-on, en face de cette évidente conjecture, ce qu'il adviendrait de la liberté académique?

Il est encore un autre sujet de méditation relatif à la défense des libertés académiques et qui n'est pas sans rapport avec le précédent. C'est celui depuis longtemps déploré du cloisonnement entre les différentes facultés et souvent aussi entre les différentes branches du savoir. L'unique lien qui semble dans bien des cas rappeler leur dépendance commu- nautaire est la méthode scientifique. Croit-on que ce seul dénominateur commun est susceptible d'assurer une certaine unité d'action dans l'édification de l'université de l'an 2000 ? Faut-il rappeler - et par analogie - la phrase incisive par laquelle Olivier Reverdin dénonçait le mal dont souffre

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actuellement la démocratie et qui trouve son pareil dans celui dont souffre les hautes écoles ?

« Quand chacun attribue à ses droits la prépondérance sur ses devoirs, il devient pour la société un facteur de désordre et d'anarchie. » 26

Et quand il se désintéresse - peut-on ajouter - de la communauté à laquelle il appartient, il compromet son bon fonctionnement.

De la cohésion du Sénat, dépendent tout à la fois son auto- rité, son autonomie et son efficacité. L'oublier par égoïsme ou par crainte des responsabilités, c'est manquer à son devoir, c'est refuser de vivre pleinement sa carrière universitaire.

L'incontestable privilège de la liberté académique n'im- pose pas des devoirs qu'aux maîtres chargés d'enseigner, mais aussi à leurs élèves chargés d'apprendre. A notre époque de proclamation solennelle des droits de l'homme, de la femme et... des étudiants, il ne serait pas inutile de rappeler à ces derniers leurs devoirs respectüs. En les envisageant, nous le faisons sans nul esprit d'acrimonie, sans nulle intention de censure, animé du seul désir de faciliter le dialogue néces- saire entre la chaire et l'auditoire. Toutefois, dans le cadre d'un propos forcément limité, il n'y a place que pour quel- ques réflexions qui ne sont pas sans offrir quelque symétrie avec les précédentes.

«De l'enfance à la maturité, la succession des maîtres accompagne la promotion de la conscience » dit quelque part Gusdorf dans son livre si bien formulé 27 • Ailleurs, il nous rappelle justement que si l'homme vient au monde selon les lois de la nature, la culture est une seconde naissance 28 •

Enfin, parlant du maître universitaire, notre auteur ne manque pas de souligner qu'il est «le dernier tuteur, la der- 24

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nière assurance avant la solitude de la vie où chacun doit prendre ses responsabilités » 29 •

Il nous est souvent arrivé à ce propos de prévenir nos étudiants que les responsabilités professionnelles sont plus exigeantes que les responsabilités scolaires. En effet, dans sa mansuétude l'école allège ces dernières en admettant qu'un examen raté puisse être répété : en revanche, la vie active a beaucoup moins de sollicitude envers ceux qui ne répondent pas du premier coup aux obligations qu'elle leur impose.

Quand il nous arrive de nous retourner vers le passé, nous nous plaisons à retrouver ceux de nos maîtres - trois ou quatre tout au plus - qui nous ont donné ce surplus dont il a été précédemment question et de nous dire que nous n'aurons jamais assez de reconnaissance envers eux de nous avoir rendu curieux de beaucoup de choses. Aussi est-ce en scrutant la vie que nous comptons achever notre leçon de choses humaines.

Qui dit spécialisation dit utilitarisme et de là à considérer la mission de l'Université comme une école essentiellement polytechnique et professionnelle, il n'y a qu'un pas. Bien plus, le danger de ne voir dans le progrès technique que des ressources pratiques est grand. Que sont devenues les Uni- versités des pays totalitaires où l'esprit s'est mué en « intelli- genzia » au service exclusif de la matière et de la force ! Les fins suprêmes de l'humanité sont-elles dans la production d'un nombre toujours plus grand de kilowatts, dans la vitesse toujours plus grande des avions supersoniques, dans la conquête du monde nucléaire et la suprémc:itie militaire ou dans le règne de l'ordre, de la justice, de l'amour et de la paix?

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Toutefois, pour parler un langage plus direct et plus proche, nous allons demander à l'économie appliquée de nous convaincre que si la spécialisation est un mal nécessaire, la généralisation en est le salutaire antidote 30• Voyons tout d'abord comment le comportement de l'homme compte davantage dans la voie du progrès déchaîné que le progrès lui-même.

Voici deux éloquents témoignages : le premier est de Carnegie, le second d'un chef d'une grande entreprise de com- merce en gros.

« ... si j'étais mis en demeure de perdre ou mes usines ou mon organisation, a dit un jour Carnegie, je n'hésiterais pas à sacrifier mes usines que je pourrais reconstruire, tandis que je ne pourrais, en une génération, refaire mon organisation, c'est-à-dire un personnel bien choisi, bien formé, dont chaque membre a été orienté dans la voie où il peut rendre le plus de services, a été habitué à collaborer avec son chef, avec ses collègues, avec ses inférieurs. »

«Après trente-cinq ans passés dans les affaires, j'en arrive à croire - c'est le second témoignage - que l'expérience est à la fois le plus coûteux et le plus extravagant des éduca- teurs. L'élève des universités, entraîné à l'étude, sera plus apte à acquérir, en quelques années, une expérience appro- fondie et profitable aux affaires que la moyenne des hommes du même âge, d'un égal degré d'intelligence, mais dépourvu d'instruction, n'en acquerra pendant toute une existence traversée par de rudes coups du sort, par les succès et les échecs.>

Chose curieuse, autre signe des temps, réflexion encou- rageante pour tous ceux qui étudient, on rencontre de plus en plus fréquemment dans la littérature économique et tech- 26

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nique la notion d'investissement culturel. A l'heure où les soucis majeurs de la vie industrielle semblent graviter autour des problèmes d'investissement financier et de productivité, n'est-il pas réconfortant de voir la primauté des richesses de l'esprit marquer le pas sur celles de la matière? La production de masse, le passage au Marché commun, l'établissement de plans à long terme exigent aujourd'hui davantage de réflexion que de calculs ; jamais la faculté de jugement n'a été solli- citée à un si haut degré qu'aujourd'hui.

A une revue de synthèse et de recherche économique 31, paraissant à Paris, nous empruntons, en la résumant, une image saisissante de la transformation de la civilisation et de ses exigences mentales sous l'influence du progrès tech- nique. Entre les contemporains de César et ceux de N apo- léon, bien que cent générations de sagesse et d'affinement se soient succédé, il y a moins de différence qu'entre les trois ou qq.atre générations dont nous sommes les descen- dants. En effet, durant vingt siècles, la limite d'énergie pro- ductrice : la force musculaire, la limite de vitesse : le galop du cheval, la limite linguistique : la langue nationale, sont demeurées sans changement. Mais nous, sans remonter très haut, que de changements ne présentons-nous pas par rapport à nos proches ancêtres !

Notre individualité n'est-elle pas à la fois divisée et amoin- drie dans le collectif ? Nous crevons le mur du son et l'auto- matisation produit à notre place ! Sous l'effet du progrès technique et en moins d'un demi-siècle, la vie a changé de dimensions. Un monde de nouvelles relations humaines et sociales que les jeunes humanistes voudraient dominer comme le scientifique domine la machine, est né. Et ce phénomène d'un univers en accélération pose à nouveau le

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problème de la formation de base de l'enseignement, d'une conception plus « prospective > de la mission de l'Université.

Et l'auteur de ce saisissant tableau, d'ajouter que sans aucunement négliger l'apport d'introspection et de philo- sophie des grands humanistes connus, on doit admettre que celui des Armand Carrel, Jean Fourastié, François Perroux, André Piètre, Jean Marchal, Alfred Sauvy, Louis Armand doit être situé sur le même plan de la formation scolaire.

Bien sûr pourrions-nous ajouter que cette pensée est celle d'un économiste, mais qui peut nier aujourd'hui la dépen- dance toujours plus grande, la solidarité toujours plus étroite des connaissances humaines, la réelle plénitude du savoir professionnel quand il s'inscrit dans le cadre d'une solide culture générale ?

Nous nous excusons d'insister à ce sujet sur la gravité et l'étendue d'un devoir incompris de beaucoup d'étudiants, mais notre expérience de la vie nous le commande. Dans un ouvrage préfacé par Paul Valéry intitulé « Métier d'hommes » 32 , Raoul Dautry a pu résolument dire que la qualification des meilleurs techniciens reposait sur 25 % d'instruction professionnelle, 25 % d'imagination et 50 % de culture générale. N'est-ce donc pas cette dernière qui plus que jamais est capable de faire de l'étudiant un homme «relié»

à la manière dont le concevait Saint-Exupéry, « un homme qui appartient à une communauté >.

* * *

Un dernier témoignage du pouvoir que confère la culture générale, c'est aux objectifs originaux et aux méthodes très neuves de l'Institut des sciences et techniques humaines, créé à Paris en 1956 et animé par des universitaires, que nous 28

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l'empruntons. Dans une étude intitulée « 10 ans d'investisse- ments intellectuels dans l'économie », les auteurs rapportent comment au sein d'un cours de perfectionnement des cadres, un chef de service appartenant à un groupe de travail se livrait à des exercices de méthodologie et de culture générale en faisant part de ses réflexions personnelles sur « Le vieil homme et la mer» d'Hemingway. L'exposé était suivi d'une discussion générale sur les aspirations de l'homme d'aujour- d'hui qui était conduite par un agrégé· de lettres. Un autre exemple, relaté par le même institut et non moins suggestif que le premier, est celui d'une série de discussions en com- mun, consacrée à « la condition humaine à travers le théâtre de Sartre » et faisant suite à un exposé de l'un des participants sur « Huis clos > 33•

Pourquoi ne pas idéaliser tout cela en rappelant ce pre- nant passage du « Petit-Prince » où la rose est l'emblème par excellence de la culture générale :

« •.• Et il revint vers le renard:

- adieu dit-il ...

- adieu dit le renard. Voici mon secret. Il est très simple : on ne conçoit bien qu'avec le cœur. L'essentiel est invisible pour les yeux.

- L'essentiel est invisible pour les yeux, répéta le Petit Prince, afin de se souvenir.

- C'est le temps que tu as perdu pour ta rose, qui fait ta rose si importante ;

- . C'est le temps que j'ai perdu pour ma rose ... fit le Petit Prince afin de se souvenir.

- Les hommes ont oublié cette vérité, dit le renard. Mais tu ne dois pas l'oublier. Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé. Tu es responsable de ta rose ... »

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m

Il est temps de conclure.

On peut lire dans le compte rendu de la première réunion de l'Assemblée générale de !'Association des Universités entièrement ou partiellement de langue française, tenue à la Sorbonne en 1963, ce que voici à propos de la liberté aca- démique:

c: La plupart des maux dont souffre l'enseignement supé- rieur viennent de ce que l'on n'a pas toujours donné à l'Uni- versité l'indépendance dont elle doit jouir, tout autant que la magistrature dans l'exercice de ses fonctions. La liberté aca- démique est une des plus vieilles traditions universitaires et il importe que dans les institutions que l'on crée actuellement on la respecte autant que dans les plus anciennes qui ont dû lutter pour la maintenir. Elle est essentielle au bon fonction- nement des institutions de haut savoir et elle s'exerce par la volonté du corps enseignant de maintenir ses prérogatives et même ses privilèges. >

Il est également rappelé que si l'Université doit se confor- mer aux lois qui la régissent, ces lois ne doivent en aucune 30

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façon subordonner ce qui relève de la compétence des maîtres aux caprices de la politique.

A cette déclaration de principe qui est en quelque sorte le précieux aboutissement de l'histoire des universités sécu- laires et notamment de celle de Genève, nous croyons devoir en ajouter une seconde.

La liberté académique n'est pas un bienfait des dieux. Elle est une conquête des hommes. Il faut savoir la mériter, la maintenir et la défendre. Tout comme la recherche de la vérité, elle est une éternelle conquête.

Le devoir majeur qu'impose la liberté académique au professeur réside avant tout dans l'esprit qui anime son enseignement et la manière dont il va à la rencontre de ses étudiants. La matière d'un cours compte moins que le « sup- plément d'âme» qu'elle aura servi à donner.

La spécialisation n'est rien tant que l'on ne saisit, ni ne comprend le « pourquoi » des choses.

De plus, l'intérêt général de 1' Alma Mater qui est plus grand que la somme des intérêts particuliers des facultés, laboratoires ou instituts, implique que chaque membre du Sénat se souvienne que le sort de la communauté à laquelle il appartient dépend de sa participation active à la vie com- mune.

Quant au devoir majeur de l'éttJ,diant à l'égard de la liberté académique, il réside dans l'obligation de mieux observer, 'de mieux saisir, de mieux comprendre un monde nouveau, en un mot d'être cultivé. Ce devoir a ceci de parti- culier qu'il ne résulte généralement pas des prescriptions réglementaires qui, elles, recourent la plupart du temps à des ensembles de connaissances choisies en fonction d'une pré- paration à des activités diverses. Il se signale davantage par

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le fait que c'est moins aux jurys d'examens qu'aux réalités multiples et changeantes de la vie qu'il importe en dernière analyse d'apprécier comment il a été rempli.

Une autre vertu de la culture générale, librement acquise, c'est sa contribution évidente à l'épanouissement de la per- sonnalité humaine. Sans individualité consciente de toutes choses, l'homme demeure servilement tributaire de toutes les techniques ; il manque d'originalité, et, en toute circonstance, il se trouve pris au dépourvu à cause de son conformisme imitateur.

On pourra nous reprocher de nous être quelque peu écarté, dans notre manière de conclure, du sujet même de not~e propos. En réalité, il n'en est rien. Car si maîtres et étudiants devaient se soucier de moins en moins de leurs devoirs intel- lectuels fondamentaux, les universités ne seraient plus dignes de leur nom et leur mission génératrice. Elles ne s'intéres- seraient plus aux sciences que dans la perspective de leur utilité, ayant perdu de vue la préénùnence du spirituel.

Esclave de l'intérêt particulier et des impératifs de la tech- nique, la liberté académique ne serait alors plus qu'un sou- venir et l'Université : une pauvre école !

32

(36)

Notes bibliographiques

1 J. COURVOISIER, c De l'Académie à l'Université >, Librairie de l'Uni- versité. Genève 1958, p. 7 et ss.

2 A. NA VILLE, " De la classification des sciences >, Genève 1888, p. 30 et ss.

s Conférence prononcée le 3 novembre 1955, c Revue économique et sociale -, Lausanne, janvier 1956, p. 5 et ss.

'Tirage à part de la • Revue universitaire suisse ., fasc. IV, 1962.

5 Ch. BORGEAUD et P.-Ed. MARTIN, c Histoire de l'Académie et de l'Université '" Genève, 4 vol. et 2 numéros à la librairie de l'Université.

6 op. cit., Vol. I, pp. 81 et 83.

1 op. cit. p. 153.

a op. cit. p. 356.

e op. cit. p. 407.

10 op. cit. pp. 408-409-410.

11 op. cit. pp. 411 et 412.

12 op. cit. p. 496.

1s op. cit. pp. 487 et 488.

u op. cit. p. 564.

1e Ch. BORGEAUD, c L'académie de Calvin dans l'Université de Napoléon'"

Genève 1909, p. 125.

11 Cf. également FAZY, Emile YUNG, etc. c Le livre du centenaire 1814- 1914 >, Genève 1914, p. 456.

1e op. cit. pp. 322-324.

10 op. cit. pp. 322-324.

20 op. cit. p. 465.

21 P. Ed. MARTIN, "Histoire de l'Université de Genève - l'Université de 1914 à 1956 >, Genève 1958, p. 339.

22 Georges GUSDORF, « Pourquoi des professeurs ? », Paris 1963, p. 121.

2s" Esprit>, numéro spécial, mai-juin 1964, p. 1147.

24 Centre d'études LAENNER, " Mission de l'Université '" Paris 1953, pp. 107-108.

(37)

2s Cf. c Bastions de Genève "• Revue de !'Association des anciens étudiants de l'Université de Genève, No 12, hiver 1963-64, commentafre·s de l'enquête auprès des étudiants, p. 81 et ss .• avis sur les cours de culture générale.

2a c Journal de Genève> du 2 janvier 1964.

27 op. cit. p. 33.

2s op. cit. p. 56.

211 op. cit. p. 56.

30 Bien que se rapportant à un domaine particulier, ces observations semblent se prêter à des déductions de portée générale.

s1 " Hommes et commerce>, La promotion culturelle des cadres, no 74, juillet-septembre 1963.

32 R. DAUTRY, c Métier d'hommes>, Paris 1958, p. 11.

33 c Hommes et commerce >, Revue de synthèse et de recherches écono-

miques, p. 32-33.

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DISCOURS

prononcés par les Recteurs à l'occasion de leur accession au rectorat William E. RAPPARD :

«L'Université et les temps actuels.»

26 octobre 1936, Genève, Secrétariat de l'Université.

Victor MARTIN :

« Penser difficilement. »

25 octobre 1938, Genève, Secrétariat de l'Université.

Eugène PITI ARD :

« Conseils d'un vieil étudiant à de jeunes étudiants. » 5 novembre 1940. Manuscrit.

Eugène BUJARD :

« Quelques réflexions d'un biologiste. »

20 octobre 1942, Genève, Secrétariat de l'Université.

Antony BABEL :

«L'Université a-t-elle failli à sa mission ? >>

30 octobre 1944, Genève, Librairie de l'Université, Georg & Cie S. A.

Paul-E. MARTIN :

«L'Université militante. »

21 octobre 1946, Genève, Librairie de l'Université, Georg & Cie S. A.

Georges TIERCY :

«L'homme de science devant l'architecture et l'économie de l'univers.»

21 octobre 1948, Genève, Librairie de l'Université, Georg & Cie S. A.

Eugène BUJARD :

«A propos de quelques problèmes de la vie. »

26 octobre 1950, Genève, Librairie de l'Université, Georg & Cie S. A.

Antony BABEL :

«Le levain dans la pâte. »

30 octobre 1952, Genève, Librairie de l'Université, Georg & Cie S. A.

Henri de ZIÉGLER :

«L'Université et l'époque. »

28 octobre 1954, Genève, Librairie de l'Université, Georg & Cie S. A.

Paul E. WENGER:

« A propos de quelques aspects de la science. »

30 octobre 1956, Genève, Librairie de l'Université, Georg & Cie S. A.

Jaques COURVOISIER:

«De l'Académie à l'Université. »

27 octobre 1958, Genève, Librairie de l'Université, Georg & Cie S. A.

Eric MARTIN:

«Dignes de vos privilèges et riches de votre diversité. »

3 novembre 1960, Genève, Librairie de l'Université, Georg & Cie S. A.

Jean GRA VEN :

«Penser, agir, vivre selon le droit. »

5 novembre 1962, Genève, Librairie de l'Université, Georg & Cie S. A.

Imprimé en Suisse Imprimerie L. Reg!Pani Genève

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