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La prestation caractéristique en droit international privé des contrats et l'influence de la Suisse

KAUFMANN-KOHLER, Gabrielle

KAUFMANN-KOHLER, Gabrielle. La prestation caractéristique en droit international privé des contrats et l'influence de la Suisse. Annuaire suisse de droit internationalonal , 1989, vol.

45, p. 195-220

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:44108

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LA PRESTATION CARACTERISTIQUE EN DROIT INTERNA T IONAL PRIVE DES CONTRATS ET

L'INFLUENCE DE LA SUISSE

par

GABRIELLE KAUFMANN-KOHLER

«Pantin malléable à loisir» pour certains!, «œuf de Colomb» pour d'autres2, la doctrine de la prestation caractéristique suscite des appré- ciations très diverses. Développée en Suisse surtout, elle a essaimé à l'étranger jusqu'à être incorporée à la Convention des Communautés européennes concernant la loi applicable aux obligations contractuelles du 19 juin 1980, plus simplement Convention de Rome. L'approche de l'entrée en vigueur de cette convention 3 et l'illustre anniversaire que ce volume célèbre justifient doublement de se pencher aujourd'hui sur la trajectoire de la prestation caractéristique. D'où vient-elle? En quels lieux s'est-elle fixée? Où va-t-elle? Ainsi projetée, cette trajectoire révélera nécess_airement les points d'influence de la Suisse.

* L'auteur exprime sa reconnaissance à M< Quentin Byme-Sutton, docteur en droit, pour sa précieuse collaboration.

1 D'OLIVEIRA, «Characteristic Obligation» in the Draft EEC Obligation Convention, XXV Am. J. Comp. L. (1977) 326.

2 ScHNITZER, Handbuch des intcrnationalen Privatrechts, vol. II, 4e éd., Bâle 1948 643, plus particuüèrement à propos de la nature non caractéristique de la prestation monétaire.

3 A ce jour, la convention est ratifiée par 7 pays: France, Italie, Danemark, Luxembourg, RFA, Belgique (Rev. crit. 1987 4 71 et 1988 398) et Grèce (selon information reçue du Conseil de la CEE). Pour qu'elle entre en vigueur, il faut 7 ratifications (art. 29 al. 1) émanant des Etats membres ayant constitué !'«Europe des 9». En conséquence, la ratification grecque est sans effet sur l'entrée en vigueur. En revanche, les Pays-Bas devraient en principe ratifier la convention au cours de l'année 1989 dans la mesure où le protocole additionel d'interpréta- tion par la Cour de Justice des Communautés en cours d'élaboration est accepté. On peut donc penser que la convention sera en vigueur au début des années 90.

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A. Ses origines

1. Les précurseurs

L'idée - non la formule de la prestation caractéristique fait sa pre- mière apparition notable en l 908 dans la résolution de Florence de l'Institut de droit international4. A défaut d'élection de droit, la loi applicable est «déduite de la nature du contrat, de la condition relative des parties ou de la situation de la chose»5. Introduit par les mots «c'est ainsi qu'on appliquera», suit alors un catalogue de rattachements par types de contrats6. Ce catalogue comprend, entre autres points de rattachement, le domicile du donateur, le lieu de l'établissement commer- cial du vendeur7, le siège de l'assureur, le lieu d'exercice d'une profes- sion réglementée (médecin, avocat), le siège de l'employeur pour les contrats de travail, ou encore l'établissement principal du transporteur, tous rattachements que, sous une forme ou une autre, on retrouvera bien plus tard notamment dans la jurisprudence du Tribunal fédéral et dans la loi fédérale de droit international privé (LDIP).

Suivant une distinction aujourd'hui disparue en matière de rattache- ment des contrats, la résolution de Florence ne concernait que la détermi- nation du droit matériel «supplétif», soit dispositif. Il fallait donc encore régler le problème combien plus épineux du droit impératif. Les travaux de l'Institut reprirent donc. S'ils se soldèrent par un constat d'échec vu «la profondeur des divergences de vue»s, ils n'engendrèrent pas moins une formule due à NOLDE, qui se référait expressément à la «loi du lieu d'exécution de l'obligation principale, caractéristique de la nature juridique [du contrat] et dont dérivent les autres obligations»9. Et NOLDE de citer à

4 Annuaire 1908 289. La résoluLion est le résultat de propositions soumises en 1900 par

HARBURGER et VON BAR (Annuaire 1900 50) et surtout par RoLIN en 1906 (Annuaire 1908 86), donl c'est avant tout le mériLc d'avoir établi le catalogue. Sur la résolution el son inOuence, MAKAROV, Oie ResoluLion des «lnslilul de droit international» über das interna- tionale Obligalionenrecht von 1908 und deren Einfluss auf die nationalen Kodifikationen des Kollisionsrechts, FS Lewald, Bâle 1953 299.

5 Art. 2; la résolution vise uniquement, d'une part, les effets des contrats et, d'autre part, le droit «supplétif», non impératif, les effets relevant généralement du droit dispositif.

6 Art. 2 al. 2.

7 Art. 2 al. 2 d ventes faites par un commerçant à un non-commerçant. A noter que les contrats faits dans des foires, marchés publics, ou bourses sont soumis à la loi du lieu de conclusion (Art. 2 al. 2 a).

8 Annuaire 1927, tome III, 336.

9 J\n. 2 al. 4 projet et exposé des motifs, rapport définitif de NOLDE, Annuaire 1925 132- 133; pour une énumération de précédents judiciaireR traitant de l'obligation princi- pale, voir 136-137. Une formule pratiquement identique se retrouve également dans un projet subséquenL de 1927 (art. VII; Annuaire 1927, tome III, 220).

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LA PRESlATION CARACTERISTIQUE EN DROIT INTERNATIONAL PRIVE 197

titre d'exemples l'obligation de livrer dans le contrat de vente, la remise du bien dans la donation, la cession de l'usage dans le bail 10.

Dans ces mêmes travaux de l'Institut on décèle encore d'autres élé- ments de la théorie de la prestation caractéristique: d'une part, la réte- rencc à la réalité économique et sociale du contrat et, d'autre part, la notion de «Schuldort», de lieu où la prestation est due, compris non comme le lieu d'exécution, mais comme le domicile du débiteur 11 .

En ces années vingt, l'Institut est d'ailleurs loin d'être seul à sc pencher sur le rattachement des contrats. C'est même d'une véritable effervescence juridique qu'il s'agit: théories doctrinales, travaux d'associations et confé- rences fleurissent. C'est ainsi qu'en 1926 la Pologne adopte une loi de d.i.p.

contenant un catalogue de rattachements calqué sur celui de la résolution de Florence 12, qu'en 1925 l'auteur suisse HoMBERGER suggère le recours au lieu d'exécution de la prestation typiquel3, qu'en 1926 et 1928

!'International Law Association et la Chambre de commerce internatio- nale préparent des projets de convention soumettant la vente à la loi du vendeur et les contrats de travail ou prestation de services au lieu d'acti- vité 14, qu'enfin en 1928 toujours la Conférence de La Haye préconise également de rattacher la vente au droit du vendeur15.

~. La systématisation doctrinale

Il y a donc de la prestation caractéristique dans l'air - il y en a même déjà dans certains textes - quand à la fin des années trente et au début de la

10 Rapport NOLDE précité, Annuaire 1925 68. Il est vrai que NoLDE préconisait en premier lieu l'application du lieu d'exécution et que, par cette formule, il cherchait à éviter le recours à divers droits en cas de pluralité des lieux d'exécution.

li Rapport NOLDE précité, Annuaire 1925 114 exposant la thèse de STRISOWER cl 122 discutant la noLion de Schuldort proposé par LEONHARn dans un ouvrage publié en 1907.

12 Suivant l'exemple d'un projet autrichien de 1913 resté lettre morte en raison de la guerre, décrit par MAKARov, précité 303. Sur l'inOuence de la résolution sur la loi polonaise, nombreuses références énumérées par MAKAROV, précité 304 note 23.

13 HOMBERGER, Die obligatorischen Vertragc im internationalen Privatrecht nach der Praxis des Schweizerischcn Bundcsgerichts, Berne 1925 16, 49; voir aussi NEUNER, Die Beurtcilung gegenscitiger Vertrage nach dem Recht des Schuldners, RabelsZ 1928 108s., 130ss., qui fait des propositions semblables et OsER/ScHOENENBERGER, Kommcntar zum Schweizeriscl1en Zivilgcsetzbuch, 2' éd., Zurich 1929 qui proposent des points de rattache- ment groupés par types de contrats.

14 InternaLional Law Association, Report 34Lh Conference (Vienna) 1926 509 et 710 et Report 35th Conference (Warsaw) 1928 296.

15 6' session de la Conférence de la Haye de 1928, dont les travaux, avec ceux d'une commission spéciale de 1931 et de la 7' session de 1951, menèrent à la Convention de la Haye du 15 juin 1955; voir réf. infra B.1.a.

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décennie suivante ScHNITZER formule la théorie de la prestation caracté- ristique 16_ Son mérite est d'assembler le puzzle, en d'autres termes de systématiser le fondement des apports antérieurs et de cristalliser le critère, la prestation caractéristique, distinguant les différentes catégories de con- trats 17 .

Qu'est-ce que la prestation caractéristique? Comme le dit joliment LAGARDE, c'est la prestation qui donne son nom au contrat. Ou comme l'écrit ScHNITZER, c'est l'activité contractuelle qui en allemand est généra- lement désignée par un verbe portant le préfixe «ver» 18. Au-delà des mots - qui certes sont rarement innocents - arrêtons-nous fort briève- ment à la prestation caractéristique telle que l'a définie ScHNITZER en 194419 .

Selon cet auteur, tout contrat doil être soumis au droit avec lequel il présente le rapport territorial le plus étroit. Ce rapport est déterminé par référence à la prestation caractéristique du contrat. Pour rechercher la prestation qui caractérise le contrat, il faut se fonder sur la nature et la fonction sociologique et économique du contrat: «Die Obligation ist vielmehr dort innerlich verankert, wo sie eine Funktion im Dasein der Menschheit ausübt»2o. Cette recherche ne s'effectue pas pour chaque contrat individuellement, mais· de manière collective par groupes de contrats. Ce faisant, on considère que dans un contrat synallagmatique c'est la prestation non monétaire qui est caractéristique.

Une fois la prestation caractéristique établie, il faut encore la localiser.

En d'autres termes, il faut choisir un point de rattachement. La localisa- tion <l'opère donc en deux temps: d'abord la détermination de la presta- tion caractéristique, puis le choix du point de rattachement. A ce stade, ScHNITZER opte pour le «Schuldort», le lieu où la prestation caractéristi- que est due (à ne pas confondre avec le lieu d'exécution) défini comme le

16 D'abord, pour le droil de change seulement, dans le Handbuch des lnternationalen Handels-, Wechsel-und Checkrechts, Bâle 1938 204ss.; ensuite, de manière générale, dans la deuxième édition du Handbuch des lnternationalen Privatrechts, Bâle 1944 515ss. (par la suite, nous nous ré!ererons, par la seule indication Handbuch, à la 4' éd. parue en 1957-58); voir aussi ScHNITZER, Les contrats internationaux en droit international privé suisse, Rec. Cours 1968 - T 54 J .

17 Qu'il n'y ait là «nichts grundsatzlich Neues» (ScHOENENBERGER/JAEGGI, Kommentar zum Schwcizerischcn Zivilgesetzbuch, Obligationenrecht, Teilband Via, 3' éd., Zurich 1973 86- 87, n° 233), ce que ScHNITZER conteste vigoureusement (Rec. Cours, précité 574), n'est pas exclu; n'empêche qu'il fallait néanmoins élaborer un système même si les ingrédients principaux étaient déjà connus.

18 Handbuch, précité 644.

19 Handbuch, précité 639ss.

20 Handbuch, précité 645.

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LA PRESTATION CARACTERISTIQUE EN DROIT INTERNATIONAL PRIVE 199

lieu d'activité commerciale ou professionnelle du débiteur de la prestation caractéristique 21.

3. L'adoption jurisprudentielle

En Suisse, l'émergence de la notion de prestation caractéristique dans la jurisprudence du Tribunal fédéral est liée à l'abandon de la grande et de la petite coupures, au remplacement progressif du concept de volonté hypothétique par la référence au lien territorial le plus étroit, au déclin du lieu d'exécution comme point de rattachement. D'autres ont fort bien retracé l'ensemble de cette évolution22, de telle sorte que nous nous limiterons à quelques indications strictement pertinentes à notre sujet.

Dès 1934, le Tribunal fédéral adopte la formule selon laquelle la prise en considération de la volonté hypothétique aboutit à la désignation du droit ayant le rapport territorial le plus étroit23. Toutefois, cette nouvelle formule ne vise encore que les effets des contrats (la grande coupure ne sera abandonnée qu'en 1952) et mène toujours à l'application du lieu d'exécution24. Afin de néanmoins appliquer le principe du lien le plus étroit de manière cohérente dans les contrats synallagmatiques, la juris- prudence commence à faire appel à la notion d'obligation caractéristi- que25. C'est ainsi, par la petite porte des effets du contrat, que la prestation caractéristique fait son entrée dans la jurisprudence.

Elle gagnera vite en importance. En effet, pour la première fois en 1945 - un an après la parution de la deuxième édition du Handbuch de ScHNITZER - le TF l'évoque comme critère de rattachement de l'ensem- ble du contrat:

«Als Kriterium, <las eine solche einheitlichc Behandlung gcstalten würde, wird ncucstcns die für das strittige Rechtsgeschlift charakteristische Leistung empfohlen: Das ganze Rechtsgeschaft soli <lem Recht des Schuldortes der charakteristischen Lcistung unter-

21 Handbuch, précité 647.

22 Sur l'évolution générale de la jurisprudence, voir notamment AUBERT, Les contrats internationaux dans la doctrine et la jurisprudence suisses, Rcv. crit. 1962 19; ScHOF-NENBER- GER/JAEGGI, précités 87ss. n°s. 235ss.; ScHNITZER, Rec. Cours précité 566ss.; KNAPP, Vers la fin de la coupure générale des contrats dans le droit international privé suisse des obligations?

ASDI 1948 83.

23 Nathan Institut A.G. c/ Schwcizerische Bank für Kapitalanlagen, JITF 60 II 294/

300-1.

24 Hunziker c/ Haug, ATF 63 II 44 et autres arrêts énumérés par ScHOENENBERGER/

jAEGGI, précités 87 n° 235.

25 Marki c/ Krebs, JITF 59 II 397; Hollas c/ Radolin, JITF 67 II 179; voir aussi KNAPP, précité 1 OO.

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slellt sein Die charakterisLischc Lcistung ist beim Kaufgeschaft die Leistung des Verkaufers, die Ware, wii.hrend die in Geld bestehende Gcgenleistung des Kiiufers jedes typischen Merkmals cntbchrt»26.

Cet ATF annonce la consécration de la notion de prestation caractéris- tique qui sera proclamée publiquement l'année suivante27. Il ouvre aussi la voie à une longue série de décisions par lesquelles le Tribunal fédéral, toujours fidèle au principe général du rapport le plus étroit, concrétisera le critère de la prestation caractéristique pour un grand nombre de contrats28 . Ce faisant, il retiendra le domicile29, plus tard parfois aussi la résidence habituelle3ü, comme point de rattachement.

4. L'apport doctrinal ultérieur

La doctrine a contribué de manière considérable à l'évolution qui a suivi l'apparition jurisprudentielle de la prestation caractéristique. VrsCHER notamment s'est penché sur les limites du rattachement par le biais de la prestation caractéristique31. Le Tribunal fédéral a en effet toujours admis que le rattachement fondé sur la prestation caractéristique puisse être écarté lorsque le contrat révélait des liens plus étroits avec un autre droit32. L'application a priori de la règle fondée sur la prestation carac-

téristique doit donc être tempérée par un examen a posteriori de son adéquation au vu du principe de proximité33.

Afin de diminuer l'insécurité juridique en résultant, VrscHER tente de cerner les exceptions au rattachement par la prestation caractéristique.

L'exception dite subjective est réalisée lorsque, sans avoir pour autant

26 Centrocooperacia A.G. c/ Reinhardt, ASDI 1948 113 - 114; voir aussi p.ex. Richner c/ Ringwald, ASDI 1953 346.

27 Chevalley c/ Genimportex, ATF 78 II 74.

28 Voir notamment VISCHER/VON PLANTA, Internationales Privatrecht, 2' éd., Bâle 1982 177ss. et ScHOENENBERGER/jAEGGJ, précités 89 n° 238 et 95ss. 11° 258ss.

29 P.ex. Burger & Widmer A.G. c/ Pirotte, filF 77 TT 84.

30 Voir par exemple KELLER/ScHULZE/ScHAETZLE, Die Rechtsprechung des Bundesge- rich ts im Internationalen Privatrecht, tome II, Zurich 1977 31.

31 VISCHER, Methodologische Fragen bei der objektiven Anknüpfung im internationalen Vcrtragsrecht, ASDT 1957 43ss.; id., Internationales Vertragsrccht, Bâle 1962 108ss.; id., The Antagonism between Legal Security and the Search for Justice in the Field of Con tracts, Rec. cours 1974- II; voir aussi VrscHER/voN PLANTA, Internationales Privatrecht, 2' éd.

Bâle 1982 184ss.

32 Même s'il semble s'être senti fortement lié à la jurisprudence qu'il a élaborée par type de contrats, voir not. à ce sujet ScHWANDER, T nternationales Vertragsschuldrecht - Direkte Zustii.ndigkeit und objektive Anknüpfung, FS Moser, Zurich 1987 83- 84 et réf; à titre d'exemples d'exceptions, voir Hungarian Discount and Exchange Bank Ltd. c/ Bankhaus K.leinwort, Sons & Co., ArF 67 II 215; Claitrade A.G. c/ Cern S.A., ArF 76 II 45.

33 VISCHER, Methodologische Fragcn, précité 58.

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LA PRESTATION CARACTERISTIQUE EN DROIT INTERNATIONAL PRIVE 201

tacitement élu un droit, les parties n'ont de toute évidence pas compté avec l'application du droit de la prestation caractéristique, application qui serait manifestement inéquitable34_

Quant à l'exception objective, elle recouvre plusieurs hypothèses. Tout d'abord, les cas où la ratio de la règle de la prestation caractéristique est inadaptée aux circonstances de fait concrètes (exemple: le «Kaufüber den Ladentisch» devrait être rattaché au lieu de conclusion) 35. Ensuite, le point de rattachement usuel peut s'avérer totalement isolé face à plusieurs éléments concordants désignant un autre droit; en d'autres termes le contrat est déjà localisé ailleurs36. De surcroît, un contrat peut être intimement lié à d'autres et, de ce fait, être rattaché au même droit que ceux-là37. Enfin, le point de rattachement retenu par la règle de conflit, par exemple le domicile, peut manquer de constance au moment décisif pour l'application de la règle3B.

Par la suite, VISCHER étendra encore les exceptions. Il admettra en effet qu'en ce qui concerne les contrats intégrés à la sphère sociale d'un Etat, la règle selon laquelle la prestation qui ne s'exprime pas en argent caractérise le contrat constitue une simplification exces.sive exigeant des réajustements39.

5. La codification

A quelques nuances près, la LDIP codifie la jurisprudence40_ En son article 11 7, elle prévoit que «le contrat est régi par le droit de l'Etat avec

34 VISCHER, Methodologische Fragen, précité 62 et Internationales Vertragsrecht, précité 134- 135. Exemple cité: Richner c/ Ringwald, ASDI 1953 346. Pour éviter de retomber dans le travers de la volonté hypothétique, il faut toutefois que le contrat soit objectivement localisé ailleurs ou que le droit désigné soit totalement étranger aux attentes raisonnables des parties (VISCHER/VON PLANTA, précités 186, apparemment plus restrictifs que les écrits antérieurs).

35 V1scHER, Methodologische Fragen, précité 64 et Internationales Vertragsrecht, précité 135- 137.

36 V1sCHER, Mcthodologische Fragen, précité 65 et Internationales Vertragsrecht, précité 137- 138. Exemple cité: Hungarian Discount and Exchange Bank Ltd. c/ Bankhaus K.lein- wort, Sons & Co., ATF 67 II 215/220.

37 VISCHER, Methodologische Fragen, précité 66 et Internationales Vertragsrecht, précité 138-140. Exemple cité: Willi Forst GmbH c/ Reichenbach, ASDT 1953 323.

38 V1sCHER, Methodologische Fragen, précité 87 et Internationales Vertragsrecht, précité 141- 142. Exemple cité: Müller c/ Kistler ATF, 78 II 191. Notons qu'il s'agit là d'une exception au point de rattachement du domicile, non à la notion de prestation caractéris- tique en tant que telle.

39 V1scHER, Rec. Cours, précité 62.

40 Sur le sujet, voir en particulier ScHWANDER, précité 79; KNOEPFLER, Le contrat dans le nouveau droit international privé suisse, in Le nouveau droit international privé suisse, Lausanne 1988 79; STOJANOVIC, Le droit des obligations dans la nouvelle loi fédérale suisse sur le droit internalional privé, Rev. crit. 1988 261.

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lequel il présente les liens les plus étroits». Ces liens sont «réputés exister»

(«vermutet») avec l'Etat de la résidence habituelle ou de l'établissement 1 commercial du débiteur de la prestation caractéristique. Suivent un cata-

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logue non exhaustif déterminant en principe la prestation caractéristique dans six catégories de contrats et divers rattachements particuliers4I.

Par le libellé de l'article 117 («réputés»), la clause échappatoire de l'article 1542 et les rattachements particuliers des articles 119 à 122, la LDIP offre une solution relativement souple, admettant des exceptions à la règle de la prestation caractéristique.

Le projet de la commission d'experts suivait une méthode différente. Le principe de proximité y était concrétisé non par la seule «présomption» de la prestation caractéristique, mais par trois présomptions équivalentes43.

A la prestation caractéristique s'ajoutait ainsi le besoin particulier de protection d'une partie et la localisation manifeste du contrat44. En vertu du besoin de protection, le contrat de travail, les contrats conclus avec des consommateurs et le cautionnement non commercial notamment étaient soumis au droit de la partie faible45. Au nom de la localisation manifeste, les contrats concernant des immeubles, les contrats faits en bourse et les emprunts publics en particulier étaient régis par le droit du lieu de leur localisation46. A l'encontre de ce trio de présomptions, les critiques furent vives47. On lui reprochait surtout l'incertitude résultant de l'absence de hiérarchie des présomptions et les risques de chevauche- ments48. Le trio fut donc balayé et la prestation caractéristique reprit sa suprématie, accompagnée - il est vrai - de rattachements particuliers remplissant en partie la fonction des présomptions écartées.

Doit-on voir dans l'épisode du trio de présomptions un malencontreux dérapage de la méthode conflictuelle rattrapé de justesse ou plutôt un

41 Art. 119: contrats relatifs aux immeubles; art. 120: contrats avec des consommateurs;

art. 121: contrats de travail; art. 122: contrats de propriété intellectuelle. A noter que la vente mobilière est régie par la Convention de la Haye de 1955 (art. 118).

42 Sur son articulation avec les art. 177 ss. voir STOJANOVIC, précité 279s.

43 Non au sens juridique usuel du terme.

44 Art. 120 al. 2, Loi fédérale sur le droit international privé (Loi de d.i.p.) - Projet de loi de la commission d'experts et Rapport explicatif, Zurich 1978.

45 Art. 122 (lieu d'activité ou résidence habituelle).

46 Art. 123 (lieu de situation de l'immeuble, de la bourse, de l'émission).

47 En particulier dans la procédure de consultation officielle; à ce sujet, STOJANOVIC, pré ci té 2 77.

48 LAGARDE, Les contrats dans le projet suisse de codification du droit international privé, ASDI 1979 77 - 80; Colloque de Fribourg relatif au projet suisse de loi ledérale sur le droit international privé suisse, Zurich 1979, critiques de LAGARDE 46-47 et dans des sens differents RIGAUX 50-51 et PAK 51-52.

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LA PRESTATION CARACTERISTIQUE EN DROIT INTER.t'IATIONAL PRIVE 203

aveu intolérable parce que trop flagrant du déclin de la prestation caracté- ristique? Ou plus simplement une formule impraticable parce que trop incertaine? La question est posée. Sa réponse ne fait pas l'objet de la présente contribution. Nous y reviendrons toutefois brièvement dans notre troisième chapitre.

Cela étant, la similitude étonnante entre les présomptions de l'avant- projet et les principes généraux énoncés par la résolution de Florence quelque soixante ans auparavant, au point de départ de l'évolution décrite, n'aura pas échappé au lecteur. Est-ce à dire: «Méfiez-vous du premier mouvement, c'est le bon»?

B. Les lieux de la prestation caractéristique

Après avoir survolé les origines de la prestation caractéristique et son évolution en Suisse, nous en rechercherons les traces à l'étranger. Sans prétention d'exhaustivité, nous orienterons cette recherche tout d'abord sur le droit conventionnel, puis sur les droits internes et, enfin, sur la jurisprudence arbitrale.

1. Droit conventionnel

a. Convention de la Haye de 1955

A titre de règle générale, l'article 3 de la Convention de la Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes à caractère international d'objets mobiliers corporels retient le rattachement au droit de l'Etat de la rési- dence habituelle du vendeur au moment de la réception de la commande.

Comme exception, la loi du pays de la résidence de l'acheteur s'applique toutefois si la commande est reçue dans ce pays49.

Bien que la convention privilégie formellement le droit du vendeur et que les travaux préparatoires rejettent le principe du rattachement au lieu

+9 Art. 3 al. 1 et 2. Cette convention est en vigueur dans 8 pays d'Europe de l'Ouest (Belgique, Danemark, Finlande, Norvège, Suède, France, Italie, Suisse) et au Niger. Sur cette convention, voir noLammcnt LoussoUARN, La Convention de la Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes à caractère international d'objets mobiliers corporels, Mélanges ]ULLIOT de la MoRANDIBRE, Paris 313; VON SPRECHER, Der internationale Kauf (Abkommen und Abkommensentwürfe zur Vereinheitlichung der Kollisionsnormcn des Kaufvertrages), thèse Zurich 195 7; V1scHER, Das Haager Abkommen betrefTend das auf den intcrnationalen Warenkauf anwendbare Recht und die Praxis des Schweizerischen Bundes- gerichts, ASDI 1964 49.

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de conclusion, l'exception de l'article 3 ouvre une large brèche en faveur du droit de l'acheteur. D'aucuns voient même dans le jeu de la règle et de l'exception une nette prédominance pratique du lieu de conclusion sur le principe de la prestation caractéristiqueso. On pourrait d'ailleurs aussi y percevoir un embryon de protection du consommateur51.

Plus que par une référence à l'un ou l'autre des critères de rattache- ment, le système choisi s'explique, comme le soulignait le rapporteur, par le souci de rechercher avant tout la simplicité et la clarté: «peu nous importe la loi, pourvu que nous sachions à laquelle obéir»s2.

La convention est le fruit des travaux de la sixième session de 1928, poursuivis par un comité spécial, qui soumit un projet en 1931, et repris par la septième session tenue en 1951. Le texte définitif de l'article 3 est identique à celui du projet de 193J53. Dès lors, bien qu'adopté à une époque où ScHNITZER avait déjà formulé sa théorie de la prestation caractéristique, le rattachement - limité - au droit du vendeur est davantage le résultat des efforts des années vingt que de l'évolution intervenue en Suisse.

b. Convention de la Haye de i985

La Convention de la Haye du 22 décembre 1986 sur la loi applicable aux contrats de vente internationale de marchandises54, destinée à rempla- cer la précédente, prévoit comme règle générale l'application du droit de

50 VoN SPRECHER, précité 80ss. avec réf. aux travaux préparatoires; LoussouARN, précité 321; LoussouARN, La Convention de La Haye d'octobre 1985 sur la loi applicable aux contrats de vente internationale de marchandises, Rev. crit. 1986 286-287.

51 BATIFFOL, Les contrats en droit international privé comparé, Institut de droit comparé McGill University, Montréal 1981 58.

52 Rapport dejuLLIOT DE LA MoRANDIERE, Doc. 7' session 1951 5 et 26.

53 Le projet de 1931 ainsi que le rapport y relatif émanant deJULLIOT DE LA MoRANDIERE sont publiés in Doc. 7' session 1951 4ss.; le rapport final ne fait que commenter les divergen- ces entre le projet de 1931 et le texte définitif, Actes 7' session 360ss., en particulier 362 indiquant que l'art. 3 fut adopté sans débats. Sur l'historique de la convention, VON SPRECHER, précité 22ss. et GuTZWILLER/NIEDERER, Bcitriige zum Haager lntcrnationalpri- vatrceht 195 l, Fribourg 1951, en particulier 14ss.

54 Cette convention (dite auparavant d'octobre 1985) - importante ne serait-ce que par le nombre d'Etats (54 représentés et 8 observateurs) qui ont participé à son élaboration - était signée au 1.3.1988 par l'Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Tchécoslovaquie, mais non encore ratifiée. Sur la convention, voir notamment LoussouARN, La Convention de la Haye d'octobre 1985 sur la loi applicable aux contrats de vente internationale de marchandises, Rev. crit. 1986 271; LANDO, The 1985 Hague Convention on the Law Applicable to Sales, RabelsZ 1987 60; McLACHLAN, The New Hague Sales Convention and the Limits of the Choice of Law Process, The Law Quarterly Review 1986 591.

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LA PRESTATION CARACTERISTIQUE EN DROIT INTERNATIONAL PRTVE 205

l'Etat de ]'établissement du vendeur au moment de la conclusion du contrat55_ Jusque-là, elle ne se distingue guère de la Convention de 1955.

Mais les choses changent quand on passe aux exceptions.

A titre d'exceptions particulières, la loi de l'acheteur prévaut lorsque le contrat est négocié et conclu dans l'Etat de l'acheteur56, lorsqu'une disposition contractuelle expresse prévoit la livraison dans le pays de l'acheteur57, lorsque la vente résulte d'un appel d'offres et est conclue à des conditions fixées par l'acheteur5B. Comme exception supplémen- taire, les ventes aux enchères ou en bourse sont soumises au droit du lieu des enchères ou de la bourse59. A titre d'exception générale, une clause échappatoire permet d'écarter les rattachements prévus au bénéfice d'une autre loi qui s'avérerait avoir des liens plus étroits60. Enfin, on notera que la convention exclut les ventes aux consommateurs61.

Ces dispositions appellent trois constations principales. Premièrement, la loi du vendeur prévaut formellement. Le rapport introductif constate une tendance générale en faveur de la loi du vendeur s'imposant soit de manière directe, c'est-à-dire par l'adoption d'une règle stipulant l'applica- tion de la loi du vendeur62, soit de manière indirecte, par la concrétisa- tion d'un critère de rattachement applicable à tous les contrats, ce critère étant celui du centre de gravité, du lieu d'exécution ou, surtout, de la prestation caractéristique. Au sujet de cette dernière, le rapport en appelle expressément à ScHNITZER, à la jurisprudence du Tribunal fédéral suisse

55 Art. 8 al. !.

56 Art. 8 al. 2 a, ce qui peut s'interpréter comme concession en faveur du lieu de conclusion.

57 Art. 8 al. 2 b, exception ayant pour origine une proposition de la délégation algérienne fondée sur la prestation caractéristique comprise comme visant le lieu d'exécution (Actes el doc. session extraordinaire 1985, commission I, doc. n° 53 363).

58 Art. 8 al. 2 c.

59 Art. 9; exception classique, qui se trouvait déjà à l'art. 4 de la convention de 1955 et constitue une concession au lieu de conclusion, mais s'explique égalemenl par une prise en considération de la localisation évidente du contrat de par l'application de règles impératives de droit public.

60 Art. 8 al. 3; l'application de cette disposition peut, à certaines conditions, être exclue par la réserve prévue à l'art. 21 al. 1 b, ce qui augmenlc encore la complexité de la convention; voir notamment LANDO, précité 69.

61 Art. 2 c, adopté fau le d'accord sur une règle de conflit à finalité matérielle, absence d'accord due à la disparité des législations internes, voir not. LAGARDE,, Le principe de proximité dans le droil inLernational privé contemporain, Rec. cours 1986- I 59- 60.

62 Outre les diverses réglementations en faveur de la loi du vendeur citées dans les différentes parties de cette contribulion, notons en particulier le § 110 des Conditions générales de livraison de marchandises applicables enlre les pays du COMECON (CMEA);

voir not. SZASZ, The CMEA Uniform Law for International Sales, 2' éd, Dordrecht, Boston, Lancaster 1985 83ss. et 284.

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206 GABRIELLE KAUFMANN-KOHLER

et au projet de LDIP63. Il y a donc là indubitablement une part d'influence suisse.

Deuxièmement, si le principe de la loi du vendeur est acquis, il est fortement diversifié et assoupli par les exceptions et la clause échappatoire.

Cela s'explique notamment - et non uniquement, nous y reviendrons - par la nécessité de concilier partisans des règles rigides et adeptes des règles souples64.

Comme troisième constatation, d'ailleurs étroitement liée à la précé- dente, on observe un très net glissement en direction de la loi de l'acheteur.

Cette évolution est due en partie à l'influence nouvelle des pays en voie de développement. Ces derniers cherchent en effet à obtenir l'application de leur propre loi, phénomène déjà bien connu en matière d'élection de droit.

Or, à l'heure actuelle, cette loi est le plus souvent la loi de l'acheteur65.

c. Convention de Rome

aa. Rattachements préconisés

La Convention CEE du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles66 adopte une structure des rattachements proche de celle de la LDIP67, à cette différence près que la convention ne contient pas de catalogue de rattachements par types de contrats. Comme règle géné- rale, l'article 4 alinéa premier de la convention retient le principe de la proximité. Le lien le plus étroit est présumé exister avec la résidence habituelle, l'administration centrale ou l'établissement de la partie four- nissant la prestation caractéristique68. Suivent deux autres présomptions

63 PELICHET, Rapport sur la loi applicable aux ventes internationales de marchandises, Actes et doc. session extraordinaire 1985 70- 71. Voir aussi Conclusions de la commission spéciale de décembre 1982, Actes et doc. session extraordinaire 1985 133, qui soulignent l'importance de la notion de prestation caractéristique en droit positif et dans la Convention de Rome.

64 VON MEHREN, Rapport de la Commission spéciale, Actes et doc. session extraordinaire 1985 186.

65 Dans le même sens, PELICHET, précité 68; LoussoUARN, La Convention de la Haye d'octobre 1985, précité 288.

66 Sur l'état des ratifications et l'entrée en vigueur voir note 3 supra. Sur les travaux préparatoires, voir GruuANO/LAGARDE, Rapport concernant la convention sur la loi appli- cable aux obligations contractuelles, Journal officiel des Communautés européennes n° C 282/1 du 31 octobre 1980 et GruLIANo/LAGARDE/VAN SASSE VAN YssELT, Rapport concernant l'avant-projet de convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles et non contractuelles, publié notamment in Europcan Private International Law of Obligations, Acts and Documents of an International Colloquium, Tubingen 1975 241.

67 Cela s'explique par le fait que la LDIP suit le texte de la convention, non l'inverse.

68 Art. 4 al. 2.

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LA PRESTJ\TION CARACTERISTIQUE EN DROIT INTERNATIONAL PRIVE 207 en matière d'immeubles69 et de contrats de transport 70. Toutes ces présomptions sont écartées si la prestation caractéristique n'est pas déter- minable ou si un autre droit s'avère plus proche de la transaction 71• Font enfin l'objet de rattachements spéciaux les contrats conclus avec des consommateurs et les contrats de travail 72 .

Pour apprécier leur importance, il faut ajouter que les règles de la convention ont vocation universelle, à savoir qu'elles s'appliquent quels que soient la nationalité, le domicile ou la résidence des parties et même si la loi désignée n'est pas celle d'un Etat contractant 73.

bb. Droit interne des pays membres et genèse de l'article 4

Lorsque la CEE entreprit l'élaboration de la convention le rattachement subsidiaire des contrats était loin d'être uniforme dans les pays mem- bres 74. L'Italie mise à part, il est vrai que tous les membres utilisaient des rattachements souples généralement fondés sur le principe de proximité et avant tout d'origine jurisprudentielle. Mais les similitudes s'arrêtaient là.

A un extrême, la législation italienne soumettait le contrat au droit de la nationalité commune des parties ou, à défaut, à celui du lieu de conclusion 7':>. A l'opposé, le droit anglais recherchait sur la base de l'ensemble des circonstances - aucune n'étant en soi déterminante - le système juridique présentant la «closest and most real connection» 76.

Entre ces deux pôles se situait le droit français fondé principalement sur la localisation objective du contrat en fonction d'un certain nombre d'indices tant subjectifs que matériels 77, le droit allemand faisant appel à la volonté hypothétique des parties ou, à défaut, au lieu d'exécution de chacune des obligations 78, et enfin le traité Benelux de 1969 portant loi uniforme relative au droit international privé, non en vigueur, qui retenait

69 Art. 4 al. 3: lieu de la situation.

70 Art. 4 al. 4: au lieu de l'établissement du transporteur s'il coïncide avec le lieu de chargement/déchargement ou d'établissement principal de l'expéditeur.

11 Art. 4 al. 5.

12 Art. 5 et 6.

73 Art. 2; G!ULIANO/LAGARDE, précités 9.

74 GruuANo/LAGARDE, précités 8.

75 Art. 25 al. 1 dispositions préliminaires CC; GrULIANo/LAGARDE, précités 19.

76 Bonython v. Commonwealth of Australia [1951) A.C. 201/209; GJULJANo/LAGARDE, précités 19.

77 BATIFFOL/LAGARDE, Droit international privé, tome Tl, 7' éd., Paris 1983 289ss.;

GIULIANO/LAGARDE, précités 19; MAYER, Droit international privé, 2' éd., Paris 1983 564.

78 KEGEL, Internationales Privatrecht, 6' éd., Munich 1987 425ss.; GIULIANO/LAGARDE, précités 19.

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208 GABRIELLE KAl:FMANN-KOHLER

le droit du pays présentant les rapports les plus étroits ou, subsidiairement, le lieu de conclusion 79.

Face à cette diversité, le groupe chargé de l'harmonisation du d.i.p. des Etats membres examina l'opportunité d'adopter l'une ou l'autre des solutions de droit positif national. A l'issue de cet examen, il exclut les rattachements rigides du droit italien, parce que trop fortuits, aussi bien que les rattachements souples se référant au seul principe de proximité, parce que générateurs d'insécurité juridique80. Pour garantir la sécurité du droit, qui constituait l'un des trois objectifs de toute l'entreprise81, il fallait trouver une voie médiane et c'est ainsi que les délégués s'accordè- rent pour tempérer le principe de ,Jroximité par le recours à la prestation caractéristique82.

Pour les rapporteurs, ce recours est «l'aboutissement d'une tendance qui s'est développée de plus en plus dans la doctrine et la jurisprudence de nombre de pays au cours des dernières décennies». Ils justifient cette déclaration en se référant avant tout à ScHNITZER et VrscHER83 et décrivent la théorie de la prestation caractéristique dans les mêmes termes que ceux-là par la fonction socio-économique du contrat. Ils précisent aussi que, dans les contrats synallagmatiques, la prestation non pécuniaire caractérise le contrat et ajoutent qu'il est «tout à fait naturel» que la résidence, voire l'établissement, l'emporte sur le lieu d'exécution84_ Le rapport relate encore que l'adoption d'un catalogue partiel désignant le droit applicable par catégories de contrats initialement envisagée ne fut pas retenue, car la formulation définitive de l'article 4 combinée avec les exceptions des articles 5 et 6 fournissait des solutions satisfaisantes pour la plupart des contrats sans autres règles plus spécifiques85. Enfin, les rapporteurs concluent que la prestation caractéristique «concrétise et objective la notion en soi trop vague de <liens plus étroits>» et simplifie la

79 Art. 13; RIGAUX, Droit international privé, 2' éd., Bruxelles 1987, tome 1 p. XXIV, et id., Le nouveau projet de loi uniforme Benelux relative au droit international privé, Clunet 1969 347; GJULIANo/LACAJlDE, précités 19.

80 GIULIANO/LAGARDE/VAN SASSE VAN YssELT, précités 271.

81 Gtur,IANo/LAGARDE, précités 5.

82 GruLIANo/LAGARDE/VAN SASSE vAN YssELT, précités 272.

83 GIULIANO/LAGARDE, précités 20.

84 Loc. cit. Voir aussi GruLIANo/LAGARDE/VAN SASSE VAN YssELT, précités 272-274. A noter qu'une proposition de BATIFFOL en faveur du lieu d'exécution avait été rejetée en raison - semble-t-il - des difficultés de détermination de ce lieu (GAUDEMET-T ALLON, Le nouveau droit international privé européen des contrats [Commentaire de la Convention C.E.E.

80/934 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980], Rev. trim. droit européen 1981 248).

85 GIULIANO/LAGARDE, précités 9.

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LA PR.ES'OO'ION CARACTERISTIQUE EN DROIT INTERNATIONAL PRIVE 209

recherche du droit applicable, puisqu'elle évite la détermination des lieux de conclusion et d'exécution86.

Certains ont relevé qu'il était curieux que la convention écarte les rattachements usuels dans les pays membres au bénéfice d'un système venu d'ailleurs87. Cela appelle deux observations.

Premièrement, la prestation caractéristique n'était pas complètement inconnue dans tous les Etats de la Communauté. Ainsi, un arrêt de la Cour d'appel de Paris - resté isolé, il est vrai - l'avait appliquée88. La jurisprudence néerlandaise y avait aussi recours pour certains types de contrats89. Et on en trouvait des traces en Allemagne fédérale égale- ment, bien que le BGH l'ait expressément rejettée9D.

Deuxièmement, le choix de la prestation caractéristique n'est guère étonnant si l'on considère l'état des droits positifs des pays contractants au momenl de l'élaboration. En effet, parce qu'elle offrait un compromis entre rigidité et souplesse, la prestation caractéristique pouvait rallier tous les suffrages. De surcroît, elle présentait l'avantage de la neutralité, per- sonne n'ayant à sacrifier son droit au profit de celui de quelqu'un d'autre.

2. Les législations internes

a. Les législations liées à la Convention de Rome

Dans la foulée de la signature de la Convention de Rome, plusieurs Etats de la Communauté décidèrent d'intégrer les dispositions conventionelles

86 GruLJANo/LAGARDE, précités 21.

87 D'ÜL!VEIRA, précité note 1 305;JuENGER, Parteiautonomie und objektivc Anknüpfung im EG-Übereinkommen zum internationalen Vcrtragsrecht, Eine Kritik aus amerikanischcr Sicht, RabelsZ 1982 76.

88 Arrêt SociétéJansen c. Société Heurtey du 27.1.1955, Rev. crit. 1955 330/335: « ... le statut de la convention ... est déterminé de façon objective par la circonstance que le con lral se trouve de par sa contexture et son économie localisé dans un certain lieu d'un certain pays, ce lieu avec lequel l'opération conventionnelle entretient le rapport le plus étroit étant celui où doit s'accomplir la prestation spécifique du contrat en question en exécution de l'obliga- tion caractéristique de sa nature ( ... ), la loi du pays d'exécution de cette obligation ayant vocation encore plus forte à régir le contrat quand c'est en cc pays qu'est domiciliée la partie à qui cette obligation incombe ... ».

89 Voir notamment réf. citées par SAUVEPLANNE, Quelques remarques relatives à l'avant- projet de convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles et non contractuelles, European Private International Law of Obligations, ouvrage précité note 66 189; voir aussi D'OuvEIRA, précité note 1, 305 et 324- 325.

90 Arrêt du BGH rejetant le recours à la prestation caractéristique: BGH du 19.9.1973, IPRspr. 1973 n• 11. Un arrêt plus récent mentionne toutefois la «vertragstypische Leistung»

pour déterminer le centre de gravité du contrat et - par là - la volonté hypothétique, BGH du 16.1.1981, IPRspr. 1981 n° 152 345. Favorables à la prestation caractéristique: SoERGEL/

KEGEL, BGB, 10' éd., ad art. 7 EGBGB n° 261 el références à la note 4.

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210 GABRIELLE KAUFMANN-KOHLER

à leur droit interne sans en attendre l'entrée en vigueur. Le Danemark fut le premier à faire le pas en 198491. Il fut suivi par la RFA, qui incorpora la convention au droit interne à l'occasion de la réforme de son d.i.p. en 198692 et par la Belgique l'année suivante93.

Mais même avant ou indépendamment de ces mises en vigueur unilaté- rales, la convention favorisa l'adoption de la notion de prestation caracté- ristique dans la jurisprudence de certains pays. Il en alla ainsi en Belgique avant l'entrée en vigueur de la loi de 198794. Aux Pays-Bas, la décision dans la fameuse affaire Sensor, consacra expressément la prestation carac- téristique dans les termes suivants:

«A défaut de choix de la loi, un contrat international est régi par la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits.

Ce pays est présumé être celui où la partie qui doit fournir la prestation caractéristi- que a, au momenl de la conclusion du contrat son établissement principal. Ce principe est consacré dans l'article 4 de la Convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, que les Pays-Bas ont signée le 19 juin 1980.

Bien que cette convention n'ait pas encore été ratifiée par les Pays-Bas, son article 4 doit d'ores et déjà être appliqué en tant que droit international privé néerlandais en vigueur» 95.

b. Autres législations

En toutes lettres, à demi-mot ou implicitement, la prestation caractéristi- que s'est fixée dans nombre de législations internes de ce siècle. En toutes lettres, on la retrouve par exemple dans la loi est-allemande sur l'applica- tion du droit de 1975 ainsi que dans le décret-loi hongrois sur le droit

91 Loi 188 du 9.5.1984 entrée en vigueur le 1.7.1984, publiée notamment in IPRax 1985 113, mettant en application les art. 1 - 16, 18 et 19 al. !.

92 Gesetz zur Neuregelung des I nternationalen Privatrech ts du 25. 7.1986 entré en vigueur le 1.9.1986, publié notamment in RabelsZ 1986 663, incorporant les dispositions convention- nelles avec quelques modifications, le principe de proximité et la présomption de la presta- tion caractéristique figurant à l'art. 28 n.F. EGBGB. Sur la loi, voir notammentJAYME, Das neue IPR-Gesctz - Brennpunkte der Rcform, IPRax 1986 265; BoEHMER, Das deutsche Gesetz zur Neuregclung des lnternationalen Privatrechts von 1986; Struktur, Entstehung, Lücken und Schwerpunkte, RabelsZ 1986 646 ..

93 Loi du 14.7.1987 portant approbation de la Convention sur la loi applicable aux obligations conLractuelles, du Protocole et de deux déclarations communes, faits à Rome le 19 juin 1980, entrée en vigueur le 1.1.1988, rapportée notamment in Rev. crit. 1988 398, et mettant en application unilatérale l'ensemble des dispositions de d.i.p. de la convention.

94 Réf'. citées par jAYME/KoHLER, Zum Stand des internationalen Privat- und Verfahrens- rechcs der Europaischen Gemeinschaft, TPRax 1985 70 note 67.

95 Cette décision concernait les effets sur un contrat de vente conclu par une filiale d'une société américaine de l'embargo américain sur les produits destinés au gazoduc sibérien. Elle fut rendue par Je tribunal d'arrondissement de la Haye le 17.9.1982, publiée notamment in Rev. crit. 1983 474/475-476.

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