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Dynamiques contradictoires d’évolution des exploitations agricoles de moyenne montagne corse : spécialiser ou diversifier les exploitations familiales

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exploitations agricoles de moyenne montagne corse : spécialiser ou diversifier les exploitations familiales

Jean-Christophe Paoli, Pierre Santucci, Line-Marie Lafitte, G. Bazin

To cite this version:

Jean-Christophe Paoli, Pierre Santucci, Line-Marie Lafitte, G. Bazin. Dynamiques contradictoires

d’évolution des exploitations agricoles de moyenne montagne corse : spécialiser ou diversifier les ex-

ploitations familiales. 2016. �hal-02801690�

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Dynamiques contradictoires d’évolution des exploitations agricoles de moyenne montagne corse : spécialiser ou diversifier les exploitations familiales

Jean Christophe PAOLI*, Pierre Matthieu SANTUCCI*, Line Marie LAFITTE**, Gilles BAZIN***

*INRA SAD unité LRDE quartier Grossetti 20250 CORTE

**Chambre d’Agriculture de Haute Corse

*** UFR Agriculture comparée, AgroParisTech

Résumé :

Résumé : La montagne corse a fondé son économie agricole contemporaine sur la production de denrées animales et végétales transformées à la ferme et sur l’extensivité du capital investi par rapport au foncier utilisé. Cette double adaptation, qui relève de logiques individuelles plus que d’une action stratégique collective permet aux exploitations de moyenne montagne de dégager des revenus élevés et stables en mobilisant peu de capitaux. Pourtant cette adaptation liée au relatif isolement de la montagne et aux difficultés de mécanisation révèle ses limites : limites environnementales dues au non entretien du paysage associé à une utilisation minière des éléments hérités du système agraire ancien (sols, châtaigneraies, terrasses) d’une part, limites sociales dues aux pertes d’actifs dans un contexte où la coopération est faible, d’autre part. Ces deux limites sont liées au phénomène d’agrandissement des surfaces d’exploitations, incapable de gérer l’espace et le patrimoine dont elles héritent. Elles révèlent le paradoxe d’un patrimoine mis en valeur, notamment au travers des produits vendus, mais guère entretenu.

A contrario, commencent à émerger des types d’exploitation qui stoppent la logique de

l’agrandissement et cherchent à valoriser le travail familial par la combinaison spatiale et saisonnière

des activités agricoles (élevage pluri espèces, arboriculture, valorisation des produits transformés en

saison touristique en estive, et culture d’automne des terrasses). Nous proposons à partir d’enquêtes en

exploitations agricoles et d’une typologie de systèmes de production, une interprétation des

trajectoires d’évolution de ces exploitations agricoles familiales de petite taille mais intensive en

travail. Nous la resituons dans une constante que l’on croyait oubliée de l’activité agricole de la

montagne corse, basée sur l’intensité du travail et du savoir faire et sur la recherche de

complémentarité des ressources. Cela est-il dû à des raisons conjoncturelles ou à des aspirations plus

personnelles liées à la place que ces agriculteurs se donnent dans leur environnement naturel et social?

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Introduction

La Castagniccia est une petite région montagnarde du nord-est de la Corse coincée entre les vallées du Golu et la plaine orientale de la Corse. C’est une zone schisteuse, à altitude modérée (au maximum 1700 mètres, la plupart des villages étant à 600 m), où un réseau hydrographique très dense isole des vallées à pentes fortes. La pluviométrie importante (expliquée par la topographie et la proximité du Golfe de Gènes), les sols acides sur roche friables , permettent le développement d’une forêt naturelle à feuille caduque (aulnes, hêtres selon l’altitude) et la culture autrefois exceptionnellement développée de l’arbre qui a donné son nom à la région : le châtaignier.

La topographie marque la région également du point de vue de son isolement routier puisque les villages dans les meilleures conditions météorologiques sont tous à plus d’une heure de route des centres administratifs et souvent à plus d’une demi-heure des centres de vie, situés dans les petites plaines extérieures à la Castagniccia (Ponte Leccia à l’ouest, Follelli et le Campoloru à l’est). La population vivant à l’année est très faible (6 habitants au km

2

, ce qui revient à dire quelques habitants souvent âgés pour chacun des hameaux des 61 communes qui se partagent les 36 400 hectares de la région). Les emplois stables sont en effet rares, provenant essentiellement des administrations publiques et de la construction. Par contre coup, l’agriculture reste une source importante d’occupation puisque 15 % des actifs s’y consacrent. Officiellement, 167 exploitations agricoles sont encore actives (d’après le recensement agricole de 2010) mais dans les faits guère plus de 122 sont présentes.

Concrètement, les agriculteurs restants (éleveurs de porcs, de vaches, de chèvres élevés le plus souvent dans des espaces non clos) sont bien souvent seuls à exploiter le finage d’un village ou hameau. Le tourisme lui-même est une activité très secondaire dans la mesure où les visiteurs attirés par la particularité du paysage arboré, par le patrimoine bâti ou les petites montagnes sont souvent des touristes « dormant ailleurs » par exemple sur les côtes sablonneuses de la plaine orientale (Ollivier et al., 2012).

La question que nous posons ici concerne les perspectives d’évolution des exploitations agricoles de

cette zone que nous pouvons qualifier de marginale : en quoi sont elles concernées par la logique de

capitalisation que l’on voit prévaloir ailleurs en Europe occidentale conduisant au dilemme

agrandissement/ disparition, voire même au développement de la grande exploitation à salariés

(Cochet 2008). Nous voulons montrer, sur la base d’enquêtes de terrain et d’observations réunies ces

dernières décennies, que la montagne offre parfois des possibilités insoupçonnées basées sur la

diversité et la complémentarité des ressources, tout en conservant des exploitations à empreinte

largement familiale. C’est pourquoi le fil conducteur du document repose sur l’analyse de la

mobilisation de différents facteurs de production endogènes aux exploitations agricoles présentes et en

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premier lieu le travail familial disponible. L’analyse nous permet de dégager des tendances évolutives, distinguées selon l’importance relative de ce travail familial par rapport à d’autres facteurs (le capital disponible d’une part, l’espace en libre parcours d’autre part). Nos conclusions nous conduisent à réinterroger la notion d’agriculture paysanne, qui ne disparaît pas, mais tant à s’éloigner ici des acceptions classiques (Gasselin et al., 2014),

L’agriculture actuelle en Castagniccia: une logique d’extensification d’un système agraire initial intensif en travail

Méthodologie de recueil et traitement des données

Les résultats présentés sont issus d’un diagnostic agraire territorial mobilisant les méthodes de l’agriculture comparée (Lafitte, 2012), de travaux antérieurs répondant à une recherche pour la préfiguration des CTE en Corse (De Casabianca, Paoli, 1999) ainsi que du suivi de certaines exploitations de la zone. Ils permettent de retracer la trajectoire des exploitations de moyenne montagne de la Castagniccia sur une période allant du début du XX

e

siècle à nos jours.

Les données recueillies sont une combinaison :

- d’enquêtes auprès d’acteurs et d’agriculteurs (ces derniers étant interrogés sur leur histoire et le fonctionnement technico-économique de leurs exploitations). Sur les 122 agriculteurs présents en 2012, 43 ont été enquêtés ;

- de la construction d’une typologie des systèmes de production combinée à la modélisation de leurs résultats technico-économiques (valeur ajoutée et revenu par travailleur en fonction de la taille de l’exploitation). Le concept de système de production s’applique à un ensemble d’exploitations ayant accès à la même gamme de ressources (superficie et type de terres, niveau d’équipement, main d’eouvre) et pratiquant une combinaison similaire et spécifique de systèmes de culture et de systèmes d’élevage) (Cochet, Devienne 2006).

Les systèmes de production types construits sur la base des résultats de terrain ont été ensuite replacés

dans un temps plus long, avant et après les enquêtes de 2012 afin de retracer des trajectoires

d’exploitation et de les interpréter au regard de l’évolution de la place de la famille et du travail

familial dans leur fonctionnement. Les évolutions plus anciennes (antérieures à 1950) ont été retracées

grâce à la littérature (historique et géographique essentiellement) sur la zone et par enquêtes auprès

d’agriculteurs âgés.

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L’extensification : un quasi abandon du milieu

Quel contraste entre l’état actuel du milieu réduit aujourd’hui à une friche arbustive parcourue par les animaux et l’extrême sophistication de l’écosystème cultivé observable encore au début du XX

e

siècle ! Les terrassements et murets, omniprésents, sont la trace la plus concrète de l’investissement énorme des paysans locaux : murs de soutènement des jardins potagers autours des villages, des terrasses à céréales en adret, enclos sur les plateaux d’altitude, terrasses cultivées en châtaigniers, sur les pentes et jusqu’aux talwegs profonds (Blanchard, 1914). Les châtaigniers, patiemment élevés en pépinière, transplantés et greffés, taillés, élagués, débroussaillés puis ratissés au pied chaque année, formaient le pilier de l’activité rurale de cette région et le moteur de son économie. Ils permettaient non seulement de nourrir une population de 100 habitants par km

2

mais encore de générer des surplus exportés, de financer un bâti exceptionnellement développé par rapport au reste de la Corse (maisons et églises), d’entretenir des classes rurales spécialisées dans l’artisanat. En somme, une région rurale opulente et vivante basée sur le châtaignier, à l’instar des autres régions de montagne méditerranéenne où cet arbre avait trouvé les conditions favorables à son développement (Pitte, 1986).

La chute du système entamé au début du XX

e

siècle est liée au phénomène de spécialisation régionale des agricultures européennes (Mazoyer et Roudard, 1997), causé par les gains de productivité des agricultures en voie de modernisation (qui provoquent une baisse du prix des grains, concurrent alimentaire des blés locaux et de la châtaigne) ainsi que par le développement des secteurs non agricoles (qui offre des emplois ailleurs). L’exode de la main d’œuvre et la baisse de valeur réelle des produits entraînent un abandon très rapide des terrasses à céréales, un peu plus lentement celui des châtaigniers. Après un demi-siècle intermédiaire où la région, marquée par un très fort exode rural, se reconvertit massivement dans l’exploitation du bois pour en extraire le tanin (dont le châtaignier est riche), c’est l’élevage des ruminants (bovins et caprins) et des porcs qui prend le relais dans le courant du XX

e

siècle et reste de nos jours encore observable. Cet élevage, toutes espèces confondues, s’il s’est implanté sur une base certes locale (paysans, savoir-faire et races locales en grande partie) a non seulement marqué le paysage (Saïd et Auvergne, 2000) mais s’est développé sur une exploitation minière de la ressource (sans souci de sa reproduction à moyen terme). Le fonctionnement est complètement différent des bases historiques du système agraire : porcs lâchés, châtaigneraies non entretenues, terrasses effondrées, chèvres lâchées libre de leur déplacement sur de grandes surfaces, etc. La vivacité bien réelle des exploitations d’aujourd’hui ne permet pas de compenser les pertes démographiques du siècle dernier, et pour cause, l’existence même de ces systèmes extensifs nécessite en quelque sorte l’abandon de l’espace (De Casabianca, Paoli, 1999). L’abandon des vergers de châtaigniers ramassés par l’homme permet le développement de l’élevage de porcs coureurs se nourrissant de châtaignes prélevées au sol.

Les systèmes de production actuels

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Les exploitations actuelles existent grâce à l’utilisation extensive des acquis d’un système agraire ancien. Elles combinent des niveaux de capitalisation faibles sur la partie élevage (notamment en bâtiment d’élevage et en matériel) et un système de transformation avec une commercialisation de la quasi-totalité de leur production en circuits courts. Les subventions des politiques publiques (aides à l’investissement relevant du deuxième pilier de la Politique Agricole Commune) ont favorisé les investissements sur la partie transformation de l’exploitation : atelier de charcuterie et de transformation fromagère, séchoir à châtaignes, et moulin pour la fabrication de la farine de châtaigne.

Aux activités castanéicoles, porcine et caprine se rajoute l’élevage bovin allaitant, qui tend à traverser tous les systèmes existant par combinaison, parce qu’il demande peu de travail par rapport au revenu procuré (essentiellement par les primes animales européennes, combinées aux Indemnités Compensatrices des Handicaps Naturels - ICHN). Parfois cette activé bovine prend le dessus et devient même l’objet d’une spécialisation, devenant le moteur d’une logique d’agrandissement grâce aux primes.

Graphique 1. Valeur ajoutée par travailleur dégagées par les principaux systèmes de production

familiaux présents en Castagniccia .

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-10 000 € -5 000 € 0 € 5 000 € 10 000 € 15 000 € 20 000 € 25 000 € 30 000 € 35 000 € 40 000 €

0 20 40 60 80 100 120

VA nette/actif

SAU (ha)/actif

Châtaigniers Porcs

Chèvres Combinaison Châtaigniers - Porcs

Combinaison Porcs Chèvres

Vaches allaitantes 1 2

1

2

Source : Lafitte L.M., 2012

Graphique 2 « revenus dégagés par les principaux systèmes de production familiaux présents en

Castagniccia et situation des trois logiques d’évolution des systèmes familiaux »

(8)

0 € 10 000 € 20 000 € 30 000 € 40 000 € 50 000 € 60 000 €

0 20 40 60 80 100 120 140

Revenu Agricole Familial/actif familial

SAU (ha)/actif familial SMIC brut annuel 2011

1

1

2

3 2

Châtaigniers

Porcs

Chèvres Combinaison Châtaigniers - Porcs

Combinaison Porcs Chèvres Vaches allaitantes

Source : Lafitte L.M., 2012

Les graphiques ci-dessus sont la représentation graphique des modélisations technico-économiques des principaux systèmes de production présents de nos jours en Castagniccia (Lafitte, 2012). Chacune des droites correspond à l’équation de la valeur ajoutée par travailleur (graphique 1) ou du revenu (subventions comprises) par travailleur familial (graphique 2) en fonction de la surface exploitée, selon les types de système de production. Ces deux graphiques montrent que les exploitations présentes sont économiquement viables, car les revenus dégagés par actif familial sont en général largement supérieurs au salaire minimum (SMIC). Cela s’explique par plusieurs facteurs :

- La forte valorisation des produits transformés à la ferme et vendus en circuits courts (vente directe ou à des épiceries fines ou aux GMS).

- La forte fertilité du milieu hérité (châtaigneraie) qui produit des ressources fourragères

saisonnières abondantes bien que non renouvelées et en baisse constante

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- De faibles investissements en capital fixe sur la partie élevage et de faibles apports sur fond propre dans le cadre des investissements lié aux forts taux de subvention des investissements.

- Des subventions du premier (aide caprine, prime bovine) et second pilier (ICHN) de la PAC pour les systèmes de production caprins et bovins.

Il est à noter que ces exploitations sont, en général, exclusivement familiales pour la main-d’œuvre et de petite taille, mais beaucoup (quasiment une sur deux) ont deux UTA familiaux et plus.

A contrario on observe des exploitations à salariés, certes en nombre réduit, mais occupant des surfaces considérables (pouvant atteindre 100 hectares par actif familial).

Les trois types de logiques dans l’alternative : exploitation familiale versus non familiale

Pour comprendre et raisonner les logiques qui conduisent à maintenir le caractère familial ou pas de leur exploitation dans leurs trajectoires de développement, nous examinons ici quatre critères qui sont finalement liés :

- le nombre d’UTA familiaux, - le capital immobilisé

- l’espace utilisé

- la diversification des activités agricoles.

Dans notre classification des systèmes de production précédemment décrite, nous retrouvons trois façons de combiner ces quatre facteurs (numérotées de 1 à 3 sur le graphique 2) :

Dans les exploitations que nous appelons spécialisées (c'est-à-dire essentiellement les systèmes

porcins et castanéicoles modélisés dans les graphiques 1 et 2), le capital investi est de plus en plus

important au fur et à mesure que les exploitations s’engagent dans une logique de développement. Ces

exploitations suivent ainsi une logique d’agrandissement visant à l’augmentation de la production la

plus rémunératrice qui fait l’objet de leur spécialisation. C’est ce que nous voyons dans la zone 1 du

graphique 2 : les agriculteurs tentent de maximiser leur revenu en augmentant la taille par actif

permise par leur système de production, ou passent d’un type 1 à un type 2, plus modernisé et aussi

plus grand , que ce soit en porcs ou en châtaignes. Ce faisant, ils peuvent arriver à dégager des revenus

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importants et à occuper de l’espace, mais tendent alors à devenir des exploitations à salariés, au moins saisonniers pour la transformation des porcs et la production de farine.

Les exploitations extensives en surface suivent une toute autre logique : celle de l’utilisation de l’espace vide par leurs animaux en libre parcours avec peu de main d’œuvre et peu de capital investi.

Cela se fait essentiellement au moyen de vaches allaitantes, des chèvres et secondairement avec des porcs (zones 2 du graphique). Ces exploitations suivent en cela la stratégie la plus couramment suivie jusqu’ici par les exploitations agricoles de cette zone. Elles sont bien évidemment rarement utilisatrices de main d’œuvre salarié. Bien au contraire, même si les revenus procurés par les primes allaitantes (comparer la différence de pente des courbes de valeur ajoutés et de revenus procurés par les systèmes « vaches allaitantes » entre les graphiques 1 et 2) ne sont pas négligeables, ces éleveurs ont souvent une seconde activité non agricole, de service ou comme employé dans les collectivités locales.

Celles que nous appelons les petites exploitations familiales sont fondées sur de la main d’œuvre exclusivement familiale, avec peu de capital investi et des activités diversifiées (les deux combinaisons de castanéiculture et d’élevage porcin ou d’élevage porcins et caprins, indiquées dans le graphique 1). Dans ce cas, les logiques d’évolution des exploitations dans le temps reposent sur la recherche de la maximisation de la valeur ajoutée par actif familial grâce à la complétude du calendrier de travail et la complémentarité des espaces utilisés (zones 3 du graphique). Ces exploitations suivent donc une trajectoire de diversification.

Les tendances à long terme que l’on peut dessiner pour ces systèmes :

Pour ce qui est de la logique 1 des exploitations spécialisées, l’évolution de ces systèmes, comme on vient de le voir, amène à une externalisation de la main-d’œuvre, que ce soit dans le domaine de la production ou à plus forte raison dans celui de la transformation des produits (de la châtaigne ou des porcs). En effet, c’est l’activité de transformation et de vente directe, comme nous l’avons dit plus haut, qui permet de dégager de la valeur ajoutée, la production primaire étant finalement un simple support. Le point faible de ces systèmes toutefois, du fait de leur spécialisation, est une plus grande vulnérabilité aux aléas de la production, qui s’avère très important ces dernières années dans le domaine castanéicole (avec la propagation du cynips, ravageur du châtaignier). .

L’avenir de la logique 2 des exploitations hyper-extensives est apparemment très lié au devenir de la

politique agricole commune en matière de production animale. Ces exploitations sont certes décriées

localement en raison de l’omniprésence des animaux lâchés en libre parcours dans les villages (comme

il a pu être constaté par exemple lors de la réunion de restitution des travaux de L.M. Lafitte à

Piedicroce en novembre 2012). Toutefois, elles sont dans les faits soutenus par le régime des primes

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animales et des ICHN, ainsi que par la volonté française de soutenir son élevage bovin allaitant dans le cadre de la PAC.

1

A long terme, on peut s’interroger sur l’évolution de ces systèmes assis sur une rente fourragère (l’espace abandonné en quasi libre parcours), qui tend à s’amenuiser. En effet, d’autre travaux que nous menons par ailleurs (projet européen CLAIM « Supporting the role of the Common agricultural policy in Landscape valorisation ») tendent à montrer une végétation évoluant assez vite vers un état forestier. La disparition progressive des bas maquis pâturables et de châtaigneraies productives pourrait être à terme fatale pour les exploitations « surfacivores » en particulier les exploitations bovines et pour les exploitations porcines basées sur le pâturage extensif de châtaigneraies non entretenues. La perspective (à un terme situé au-delà de la fin de carrière des agriculteurs actuels) pour les agriculteurs dans cette logique est la disparition sous l’effet du recrû forestier.

Pour les petites exploitations familiales situées dans la logique 3, les perspectives sont finalement les plus incertaines et pourraient s’avérer les plus surprenantes. En effet, on ne peut nier une tendance historique à la disparition de ce type d’exploitations diversifiées, de petite taille, utilisant une main- d’œuvre familiale nombreuse. Elles étaient la règle il y a quelques décennies au temps de l’autarcie des populations rurales de cette zone, elles ne représentent maintenant qu’un gros tiers des exploitations. Cela se comprend car elles dégagent certes des revenus corrects, mais leurs perspectives à court terme sont quand même moins bonnes que celles des exploitations engagées dans la spécialisation ou l’extensification. En effet leur stratégie de diversification des activités agricoles, en saturant leur calendrier de travail, assurent une bonne valorisation du travail, mais impose aussi un plafond lié au temps de travail familial disponible, qui limite leur agrandissement. Les conditions de travail, l’astreinte et l’engagement physique sont jugés peu compatibles avec la vie moderne. De plus ces exploitations s’inscrivent dans un espace qui a subi l’exode rural le plus marqué de l’île. On comprend bien que dans ce contexte il est difficile de vendre en directe une multitude de produits transformés. La perspective à moyen terme de cette situation, dans un contexte économique général de recherche de gain de productivité, est la disparition progressive des exploitations, sauf à imaginer une revalorisation constante des produits, une organisation de la vente, ou un renouvellement de ces exploitations par le bas, c'est-à-dire par des installations hors cadre familial pour compenser les départs à la retraite d’agriculteurs sans succession. Or, on remarque que les installations des années

1

Cependant la majorité des exploitations utilisent et déclarent des espaces sans maîtrise foncière. A

termes, ces terrains non maîtrisés ne devraient plus être éligibles. Aussi les conditions d’éligibilité sont

de plus en plus nombreuses et notamment sur la clôture des terrains (par exemple en élevage porcin).

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récentes en Castagniccia se font dans des schémas diversifiés associant la production castanéicole ou caprine à une autre activité.

Enseignements et perspectives : se débarrasser de la gangue familiale vers la spécialisation ou se ré-ancrer ?

La première conclusion de notre analyse est que la tentation est forte pour les exploitations familiales de ces montagnes de se spécialiser, d’augmenter leur taille en capitalisant à l’instar de ce qui s’observe dans le reste de l’agriculture européenne. Cette tentation est surtout forte vers

« l’aval » de ces exploitations qui pratiquent la transformation fermière et la vente en circuit court.

Ce développement de la partie la plus rentable des exploitations (qui, poussé à l’extrême peut conduire à l’abandon de la production primaire, que ce soit en châtaignes ou en porc, orientant ainsi les exploitations en entreprises de transformation) se fait systématiquement par l’emploi de main-d’œuvre non familiale. C’est ce mouvement que nous appelons « l’extraction » de la gangue familiale qui est la matrice d’origine de toutes les exploitations de la zone. Ce mouvement de spécialisation est bien sûr encore minoritaire, en effet :

 Les systèmes spécialisés demandent une disponibilité de capital, voire d’espace, inaccessibles à la plupart des exploitations.

 Ils mobilisent une main d’œuvre non disponible sur place.

 Ils ferment l’espace à d’autres systèmes et entraîne donc des compétitions fortes pour certaines parcelles stratégiques.

Mais …ils dégagent des revenus potentiellement plus importants et des genres de vie plus modernes.

En comparaison, les systèmes familiaux, qui dans notre cas sont des systèmes diversifiés dégagent des revenus très corrects si plusieurs membres de la famille participent à la vie de l’exploitation.

Potentiellement, ils permettent une population permanente plus forte et un meilleur entretien de l’espace.

Mais…, ils induisent un genre de vie plus fixe, un temps de présence peu compatible avec le goût

moderne pour la mobilité. Ce décalage avec le genre de vie moderne rend même curieuse l’afflux

constant de nouveaux candidats à l’installation agricole dans ces zones, même s’il n’est pas massif et

pas toujours couronné de succès.

(13)

Conclusion : des exploitations paysannes renouvelées.

L’analyse qui précède basé sur un travail d’enquête et de suivi de trajectoires d’exploitations de montagne sur plusieurs décennies. L’utilisation d’une comparaison synchronique de leurs stratégies d’évolution rend compte de la diversité des choix des exploitations familiales de la moyenne montagne corse. La méthode utilisée, à vingt ans d’écart, consiste surtout à analyser les choix techniques des agriculteurs et les résultats économiques des exploitations réparties en système de production. La comparaison de ces deux moments, au travers des évolutions des exploitations les plus engagées vers la spécialisation et l’agrandissement, éclaire sur un recourt croissant au salariat accompagné d’une capitalisation importante en moyen de production. Celle-ci est certainement la tendance la plus conforme aux attentes des paysans notamment les plus jeunes d’entre eux, lorsqu’ils débutent leur carrière d’agriculteurs. Ce mouvement est renforcé par le capital éducatif des agriculteurs, car même si les faibles tailles de nos échantillons interdisent toute signification statistique, il se dégage une tendance chez ces exploitations « en voie d’évolution patronale » à un niveau d’étude plus haut. Elle pourrait même être liée à des opportunités de capitalisation extérieure à l’activité agricole comme par exemple la mobilisation d’un capital familial non agricole.

Une deuxième tendance, que l’on pourrait considérer comme inverse de la précédente consiste au contraire, à l’instar des stratégies très classiques des paysans du monde entier, à saturer le calendrier de travail annuel de la main d’œuvre familiale disponible. Cette stratégie est poursuivie grâce aux possibilités variées du système agro-écologique de montagne, en jouant, sur la complémentarité entre les ruminants et les porcins, entre l’élevage et l’arboriculture, et enfin entre les formes de transformation et de ventes directes, incluant parfois l’agritourisme.

Ces deux stratégies ne sont finalement pas aussi exclusives l’une de l’autre que la forme de présentation de nos résultats pourrait le laisser entendre. En effet le recourt au salariat, la diversification, la vente en magasin et le tourisme à la ferme se chevauchent dans bien des cas. La représentation en « types » purs de systèmes de production est une distorsion limitée et voulue de la réalité nécessaire pour la rendre intelligible.

Par ailleurs la stratégie que nous avons qualifiée de « ré-ancrage » ne peut non plus être confondue

avec une plus grande frilosité vis-à-vis des évolutions du monde moderne et ses effets. Car à coté de

familles n’ayant jamais pratiqué d’autre activité que l’agriculture on trouve aussi des familles de néo

ruraux à haut niveau d’études, en Castagniccia ou ailleurs en Corse.. En revanche il est incontestable

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que ces exploitations, selon les modèles technico-économiques que nous avons utilisé ont un niveau de capitalisation en moyen de production et de transformation plus faible. Du point de vue de la méthode de travail, sans doute nos approches gagneraient à s’enrichir d’un point de vue plus sociologique incluant les trajectoires individuelles des exploitants, leurs provenances sociales, voire leurs aspirations en termes de modes d’existence chers à Bruno Latour (2012) pour expliquer plus avant le maintien sur le long terme de ces exploitations paysannes. En effet cette catégorie des petites exploitations paysannes voit ses effectifs régulièrement renouvelés par un mouvement constant d’installation de jeunes, le plus souvent hors cadre familial agricole direct, originaire de ces mêmes villages. Ces installations sont permises par le niveau très bas de capitalisation requis pour ces types d’exploitation (souvent en élevage caprin, ou caprin-porcin), la faible concurrence sur les espaces les plus marginaux, théoriquement exploitables par les troupeaux caprins et porcins

2

. Ces installations expliquent le maintien en nombre des exploitations dans leur ensemble dans cette région entre les recensements de 2000 et 2010.

En termes de comparaison des évolutions de cette agriculture montagnarde avec d’autres systèmes agraires européens, on peut constater le parallélisme des phénomènes d’agrandissement des exploitations spécialisées. En effet en première approche, les exploitations étudiées, situées dans une zone privilégiée du point de vue de la valorisation des productions agricoles locales à prix hauts hors signe officiel de qualité vendus en circuits courts, n’échappent pas au mouvement général d’agrandissement et de glissement de vers l’ « entreprise agricole » que l’on croyait plutôt réservé aux zones de grande production (Pluvinage, 2014). De plus, l’accroissement de la part du salariat est également tout à fait semblable à ce qui s’observe dans le reste de la France (Ibid.) Toutefois, certainement en raison du savoir faire demandé par les activités clefs des processus de production (transformation et vente) le niveau de salariat semble plutôt limité et proportionné à la main d’œuvre familiale permanente. C’est pourquoi cette tendance ne peut pas être confondue avec le dumping social observé dans les exploitations horto-fructicoles du sud de la France qui profitent des opportunités d’accès à la main d’œuvre bon marché d’Europe de l’Est (Laurent, 2015). Mais elle permet aux exploitants familiaux d’obtenir des résultats économiques confortables, compensant en quelque sorte les inconvénients de la vie isolée de ces villages et éventuellement des surcoûts qu’elle entraîne (transport, scolarité lointaine des enfants).

C’est bien plutôt la notion de paysannerie dans une région de montagne d’Europe méditerranéennes que ce travail empirique permet de réinterroger partiellement.

2

La totalité de surfaces déclarées par les agriculteurs dans leur déclarations annuelles est loin de couvrir la

totalité du territoire (en 2012 , 12 472 ha sur 45 016 ha de surface totale). Toutefois les propriétaires peuvent

rester réticents à signer des engagements de locations écrits demandés pour les procédures d’installations des

jeunes agriculteurs (125 ha en maquis hauts requis en élevage caprin par exemple).

(15)

Le mot même ne peut être compris, comme il l’était dans les travaux de géographie ou d’économie agraires d’immédiat après -guerre comme désignant tacitement ces franges de population rurales prêtes à vivre en deçà du niveau de vie minimal garantit par les salaires des autres secteurs (voir pour tous et dans le cas de la Corse : Dumont, 1952). Nos résultats montrent au contraire des exigences plus élevées que le niveau salarial minimal avec une disparition de fait des exploitants à bas revenu, certainement depuis le début des années 80. Pas plus que le terme ne peut désigner sociologiquement ici la fixité géographique et sociologique (les paysans actuels ont souvent des parcours divers, y compris citadins surtout si l’on prend en compte les installations les plus récentes) ou la nature exclusivement rustique du travail effectué (tant les tâches des agriculteurs sont diverses si l’on inclut la vente directe et la transformation des produits). S’il ne signifie donc plus ceci, que peut-il encore vouloir dire ?

En effet nous pensons que le terme de paysannerie, voire de petite paysannerie peut sans conteste s’appliquer à une partie importante des exploitations de la Castagniccia, au-delà même de celle que nous désignons comme les petites exploitations familiales.

Si l’on s’en tient aux exploitations de plus petite taille, à faible capitalisation, le constant renouvellement des agriculteurs exerçant dans cette catégorie par un mouvement d’installation hors cadre familial nous permet de remettre en cause l’image de fixité sociale attaché au mot paysan.

Il nous fait accepter le terme ici avec un sens plus lâche, proche du mot corse « paesanu », qui signifie une attache forte avec le village (« paese ») recouvrant à la fois le style de vie (une personne soit ayant vécu soit vivant encore au village), le statut social (être plus ou moins propriétaire foncier sans être pour autant riche), le style de vie (connaissance des pratiques agricoles et zootechniques partagée). Bien sûr le mot désigne comme nous l’avons vu des acceptions fortes diverses en fonction des histoires individuelles et des stratégies d’exploitation, mais il englobe en tout cas un fond commun, sinon de genre de vie, au moins d’attachement au lieu. Cet attachement est en grande partie hérité et donc difficilement transposable (rares sont les extérieurs purs au village). Mais il laisse la porte ouverte à bien des évolutions ultérieures et du coup à des profils humains assez variés, pourvu que ceux-ci soient conformes avec les évolutions du monde actuel en termes de niveau de vie, tout en permettant un style de vie très original et un calendrier de travail diversifié.

In fine, la notion de diversité des activités agricoles est certainement le socle commun que nous

pouvons reconnaître dans le qualificatif de paysan que nous attribuons à beaucoup de ces

exploitations. Diversité des activités, des ateliers de culture et d’élevage, et finalement des espaces

qu’occupent ces paysans de moyenne montagne méditerranéenne.

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