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Un objet post-moderne : la pratique touristique

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Un objet post-moderne : la pratique touristique

Gilles Boëtsch

To cite this version:

Gilles Boëtsch. Un objet post-moderne : la pratique touristique. VI Convegno internazionale indetto

dal Laboratorio Etno-Antropologico di Rocca Grimalda : “ Tradizione e postmodernità ”, Sep 2001,

Rocca Grimalda, Italie. �hal-02558495�

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Septembre 2001 (Roccagrimalda - It) VI Convegno internazionale indetto dal Laboratorio Etno-Antropologico di Rocca Grimalda : « Tradizione e postmodernità » (Rocca Grimalda, 22-23 Septembre 2001)

Un objet post-moderne : la pratique touristique.

Gilles BOETSCH

UMR 6578 Anthropologie : adaptabilité biologique et culturelle (CNRS / Université de la Méditerranée)

Le monde qui nous entoure est décrit comme partagé entre traditions et modernités. Les forces qui animent la vie quotidienne se classent parfois entre “ archaïques ” et

“ progressistes ” et constituent un discours récurrent de la cohabitation dynamique de deux visions du monde. La modernité embrase à la fois les mutations technologiques et le progrès social au niveau de la vie quotidienne.. La modernité est donc un système qui se définit par la combinaison de deux entités : d’une part, la sérialisation des êtres et des objets (biens de consommation) et d’autre, la globalisation (interdépendance de l’information et de ses réseaux). Elle est enfin “ occidentalo-centrée ”.

Pour reprendre la formule de Baudrillard, la modernité n’est finalement qu’une

“ culture de la quotidienneté ”

1

L’anthropologie du tourisme

Le sens commun croit volontiers que l’usage touristique trouve ses fondements bien avant l’Europe moderne, qu’il n’est pas un objet relevant de la modernité. Pour lui, cette pratique daterait des premiers voyageurs (Grecs, Egyptiens, Romains, voire Chinois)2 et aurait concerné tous ceux qui se passionnaient pour l' “ ailleurs ”, les commis-voyageurs poussés par la curiosité et l’intérêt comme les premiers nantis intrépides. Le fait touristqiue propose une relecture du voyage d’Ulysse expliquant qu’il s’agit d’un voyage initiatique vers un Eden symbole de paix, de vérité et d’immortalité, un accomplissement reposant sur la confrontation avec l’inconnu à partir de laquelle l’homme qui l’entreprend ne peut en sortir que grandi. Se laisse voir en filigrane une recherche du merveilleux qui se condense dans l’exotisme, dans la construction intérieure d’un pays fantasmatique ou tout simplement pour aujourd’hui, dans la croisière.

1 Jean Baudrillard “ Modernité ”. Encyclopedia Universalis, vol. 11, 1968, pp. 139-141.

2 Gilbert Sigaux Histoire du tourisme. Genève ; Editions Rencontre. 1965.

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Disons le franchement, le tourisme est une aventure “ moderne ” dont les motivations sont à la fois polymorphes et complexes. En effet, le tourisme est une spécialité occidentale datant de l’époque des lumières, plus précisément de l’Angleterre du XVIIIe siècle3, les sociétés antérieures ne paraissant pas avoir connu le loisir et encore moins le tourisme4.

Les développements économique et technologique du monde occidental ont produit une transformation rapide de la conception touristique basée dans un premier temps sur un besoin développement. Ce besoin de voir ailleurs fait peut-être partie de la nature humaine, de son essence de connaître, en un besoin de jouir des choses par leur vision.

Cette nouvelle forme du besoin trouve aujourd’hui une réponse dans un tourisme de masse s’appuyant sur la mondialisation, c’est-à-dire sur une conception moderne de la consommation. Les supports artistiques (littérature, photographie, cinéma), médiatiques (publicité, télévision) ou encore l’imagination ont été assurément les puissants agents de ce rapide. Si on reconnaît à l’altérité physique ou culturel le statut d’objet de curiosité, de rejet ou de désir, on peut dire que le tourisme consiste à aller voir par soi-même le spectacle standardisé de la diversité humaine.

Pourtant, la dimension migratoire de la pratique touristique, par nature temporaire, est un élément paradoxal. En effet, si dans l’histoire de l’humanité, la migration servait à fuir des dangers quelconques ou à trouver de nouvelles sources de subsistances ou de profit, le tourisme s’inscrit dans une toute autre logique puisqu’il n’est pas motivé par la recherche de meilleurs profits “ économiques ” ; au contraire, il exprime un besoin de s’évader de son cadre habituel, de se régénérer en brisant le rythme de la vie quotidienne5 par l’accès – grâce à un pouvoir économique différentiel - à des choses inconnues voire interdites sur le plan social, vestimentaire, culinaire ou sexuel6.

Depuis la dernière guerre, l’accès à l’exotisme devient l’affaire de tous et on comprend mieux l’apostrophe de l’anthropologue Claude Lévi-Strauss écrite en 1955 au début de

“ Tristes tropiques ” : “ Je hais les voyages et les explorateurs ”7 qui anticipait les effets d’acculturation induits par la pratique touristique. En effet, que chercher dans le voyage, si ce n’est une parodie d’innocence des origines et de sagesse proposée dans un circuit de 21 jours en Inde ou la quête du bonheur sensuel au travers du tourisme sexuel en Thaïlande. La mondialisation permet ainsi, à coup de “ charters ” aériens, de vivre in situ la diversité culturelle, de manière plus intense qu’en regardant les reportages à la télévision et plus attractive qu’en lisant des analyses ethnologiques. Certains présentent

3 Marc Boyer & Philippe Viallon La communication touristique. Paris ; PUF. 1994.

4 On ne peut placer sous le terme tourisme dans sa vision moderne c’est-à-dire pris au sens de loisir individuel impliquant migration, les pèlerinages qui s’inscrivaient dans un cadre communautaire précis.

Ces pratiques ne sont d’ailleurs pas du seul ressort de la chrétienté, même si pour celle-ci, c’est par la marche et le déplacement vers une quête spirituelle que le corps du chrétien prend conscience qu’il est fils de Dieu (Cf. René Laurentin Les routes de Dieu. Aux sources de la religion populaire. Paris ; O.E.I.L.

1983).

5 Jean Cazeneuve, La vie dans la société moderne. Paris ; Gallimard. 1982.

6 René Dubos, Choisir d’être humain. Paris ; Denoël. 1974.

7 Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques. Paris ; Plon. 1955.

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même cette recherche d’exotisme comme une volonté de rejet de l’ethnocentrisme puisqu’il valoriserait l’Autre et l’Ailleurs. Cette réduction de la distance à l’autre ne semble pourtant pas autoriser sa plus grande reconnaissance, puisque dans les faits, elle ne diminue ni le racisme, ni la xénophobie8. On peut même se demander, à l’instar de Lévi-strauss, si cette connaissance superficielle de la culture d’autrui ne constitue pas justement un obstacle à une nécessaire reconnaissance. Le tourisme paraît donc être un facteur défavorable, voire néfaste dans la volonté de connaissance de la culture d’autrui ; de ce fait, il ne bénéficie d’aucune sympathie de la part des ethnologues9 car l’autre est mythifié et idéalisé parce que la pratique touristique s’appuie sur une réelle méconnaissance de la réalité10. Le tourisme devient alors la vulgate de l’exotisme puisqu’il en est la pratique “ consommatoire ” : il s’agit de transformer l’altérité culturelle en spectacle, en objet de curiosité, en apportant une illusion de la connaissance sans véritable rencontre 11 . Ceci fige l’autre dans des attitudes présupposées et les écarts que celui-ci peut produire le rendent très rapidement intolérable (pour le touriste, l’“ autochtone ” au Maghreb buvant du thé à la menthe sous la tente n’appartient apparemment pas de la même catégorie classificatoire que le Maghrébin immigré qu’il croise tout les jours dans le métro).

Finalement, on va ailleurs pour chercher – et trouver – les choses connus de l’ailleurs ou tout du moins référencées comme telles par les réseaux de la modernité, c’est à dire telles que l’on s’attend à les trouver. La perversion absolue de ce système, c’est ce que signale Marc Augé dans son article “ Un ethnologue à Disneyland ”12 qui s’étonne du nombre de familles américaines fréquentant Eurodisney à Marne-la-Vallée, type de lieu fort familier pour ces mêmes familles. On peut simplement penser qu’ils sont curieux de ce que pourrait être la version européenne - donc “ exotique ” - du monde de Disney. Il s’agit là d’une version très moderne de l’évasion ne durant qu’un jour ou deux, une version hollywoodienne du “ Club Méditerranée ”, pratique touristique que nous évoquerons plus tard.

La pratique d’une véritable démarche touristique doit se concentrer autour d’un exotisme marquant une rupture avec la vie quotidienne, c’est-à-dire avec la propre conception de la modernité du touriste. Mais on constate rapidement que cette pratique touristique est subordonnée à la coexistence de trois “ mondes ” parallèles : le monde “ moderne ” dans lequel vit habituellement le touriste, le monde “ traditionnel ” décomposé ou recomposé auquel le touriste ne s’intéresse vraiment pas et qui n’est pas

“ vendable ” (par ex : bidonvilles ou hommes d’affaires) et le monde “ traditionnel ”

8 Michel Panoff, « Une valeur sûre : l’exotisme », L’Homme,1986, 97-98 (Anthropologie, état des lieux) : 321-331.

9 Hasan Zafer Dogan, “Forms of adjustement. Sociocultural impacts of tourism”, Annals of tourism research, 1989, 16(2) : 216-236.

10 Tzevan Todorov Nous et les autres. Paris ; Seuil. 1988.

11 Edmond Marc Lipansky. Communication, codes culturels et attitudes face à l’altérité. Intercultures, 1989, 7 : 27-37.

12 Marc Augé. L’impossible voyage. Le tourisme et ses images. Paris ; Payot & Rivages. 1997.

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reconstruit qui est visité par le touriste. Ceci suppose que chacune des parties en présence - touristes et “ objets ” touristiques – soit satisfaite de la prestation de l’autre.

Le touriste doit trouver ce qu’il s’attend à trouver. Il est donc indispensable que l’objet touristique – monument ou scène “ typique ” - réponde à l’attente du touriste pour que celui-ci l’intègre dans son système de consommation sans pour autant avoir trop à souffrir d’une distance à la fois objective et méprisable13 (Urbain, 2002).

Donc, les lieux touristiques – pour être ce qu’ils prétendent être - ne peuvent se présenter que comme des lieux partagés avec des codes communs. Et c’est justement le fait que ces codes soient partagés qui donne de l’authenticité à ce lieu. Le lieu partagé semble dater de l’origine même du tourisme. Gérard de Nerval ne notait-il pas en 1839 en passant à Genève “ il n’y manque que des naturels en costume ; mais ces derniers ne s‘habillent que dans la saison des Anglais ; autrement, ils sont mis comme toi et moi ”14.

Ainsi ce lieu partagé ne figure pas seulement la mise en relation de deux ensembles indépendants et relativement autonomes, mais s’inscrit comme processus d’interaction de construction tout autant que de communication. Cette perspective interactionniste renvoie aux travaux théoriques d’Erving Goffman 15 ; elle fait appel aux travaux pionniers sur l’anthropologie du tourisme 16 (Munez, 1963 ; Smith, 1977) qui soulignent bien l’ambivalence du phénomène touristique qui peut, par sa présence, déstructurer les cultures locales ou, par son absence et sous couvert de protectionnisme, isoler les populations et leur refuser le droit à la “ modernité ”17.

Méditerranée et tourisme

Les pays méditerranéens de la rive septentrionale sont exotiques depuis le XVIIIe siècle (Grèce, Italie, Espagne, Côte d’Azur) ; ils constituaient un lieu de villégiature à l’usage d’un public d’aristocrates ou de romantiques et il faudra un siècle pour que la rive sud de la Méditerranée devienne, à son tour, un lieu exotique visitable (Egypte, Algérie).

Dans ce dernier cas, on sait que le développement touriste est associé aux conquêtes puis à la mise en place d’infrastructures coloniales. De toutes les façons, durant l’époque qui s’étend de la fin du XVIIIe siècle au début du XXe, le voyage touristique, surtout le voyage dit “ oriental ”, s’apparente souvent à un voyage initiatique réservé à une élite, que celle-ci soit aristocratique, grande bourgeoise ou lettrée (Cf. Lamartine, Flaubert, Nerval, Maupassant…). Pourtant, dès le début du tourisme dans l’Europe du sud, le besoin d’un exotisme plus fort apparaît : “ Messieurs les touristes, je suis fatigué

13 Jean-Didier Urbain L’idiot du voyage. Histoires de touristes. Paris ; Payot. 2002 (1991).

14 Gérard de Nerval. Voyage en Orient. Paris ; Flammarion. 1980 (1840).

15 Erwin Goffman. Asiles. Etudes sur la condition sociale des malades mentaux. Paris ; Ed. de Minuit.

1968.

16 Theron Munez. “Tourism, tradition and acculturation : weekendism in a mexican village”. Ethnology, 2(3) : 347-352 ; Valent L. Smith (Ed.), Host and guests : the anthropology of tourism. Philadelphie ; University of Pennesylvania Press. 1989 (1977).

17 Francisco Martins Ramos. « Du tourisme culturel au Portugal ». Ethnologie française, 1999, XXIX(2) : 285-293.

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de vous suivre docilement en Italie et en Suisse (…) tournons-nous au nord, là se dresse à nos yeux, l’empire aux quatre mers qui regarde l’Orient et en a reçu les coutumes… ”18. Mais aujourd’hui, le tourisme s’inscrit dans un processus de culture

“ mass-médiatique ” conceptualisé par Jean Baudrillard19 ; ceci se revèle dans le circuit des touristes qui refont en car le parcours d’explorateurs célèbres et à qui l’on vend des vétements “ indigènes ” - fort cher, d’ailleurs – pour donner l’illusion du vécu.

Entre les deux rives de la Méditerranée, il existe sur le plan culturel à la fois des différences et des convergences, des ressemblances et des distances. De plus, au sein de chacun des pays riverains et des cultures produites par les peuples qui les composent, on rencontre aujourd’hui une part de culture “ globalisante ” produite par la mondialisation.

Si par exemple, dans la culture commune décrite comme “méditerranéenne ” par les ethnologues20, il est couramment admis que les individus soient définis par la position de leur père (donc une position généalogique), par contre, dans la culture mondialisée qui tend à reprendre les valeurs du protestantisme, c’est la position sociale de l’individu qui est dominante. Dans le premier type de grand système culturel, l’individu se définit par rapport à sa communauté de référence à laquelle il doit faire allégeance mais qui lui procure, en contrepartie, assistance, soutien et position sociale. C’est bien cette société méditerranéenne, rurale et patriarcale dans laquelle le catholicisme, d’un coté et l’islam, de l’autre, ont pu voir s’épanouir puis se maintenir des valeurs en opposition à celles des sociétés industrielles et protestantes exhaltant les capacités individuelles, cette dernière s’appuyant presque exclusivement sur la position matérielle et sociale que procurent les fruits du travail.

Se pose donc le problème pour le touriste du niveau d’accès souhaité à la société ou à la culture locale. Bien souvent, le touriste ne possède aucun code d’accès, mais peut paraître ne pas y apporter d’intérêt puisqu’il est censé être attiré par des paysages enchanteurs, des prix bas sur les prestations de service comme sur les objets à rapporter comme souvenirs, du soleil et une population accueillante ; il n’a donc besoin que d’un référent minimal à la culture locale et doit se contenter d’une construction stéréotypée du pays et de ses habitants qu’il trouvera dans le dépliant touristique de l’hôtel, le guide bleu ou sa version “ branché ”, le guide du routard. Finalement, ce que propose le tour operator est plus un accès à l’ “ Egypte des pharaons ” (sous-entendu les monuments laissés par les pharaons) ou au “ Maroc des villes impériales ” (sous-entendu les architectures urbaines et les monuments) qu’à une connaissance de la société au travers de la vie des habitants, objet décrété non commercialisable, non-rentable et peu attractif car ne pouvant se vendre dans les boutiques de shopping des aéroports donc non-moderne. Lorsque qu’on propose au touriste de voir de l’authentique, on tente de lui vendre le passé, toujours présenté comme plus alléchant parce que plus propice à la rêverie que le présent, toujours trivial, qu’il voit s’animer autour de lui. Le voyage est

18 Alfred Desessarts. "Pétersbourg". La France littéraire, 1836, XXV : 354-360.

19 Jean Baudrillard. La société de consommation, ses mythes, ses structures. Paris ; Denoël. 1986 (1970) 20 Par exemple Peristiany J. (Ed.), Honor and shame : the values of Mediterranean Society. London, Weidenfeld and Nicolson. 1965

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ainsi ritualisé dans la recherche d’un passé mythique, souvent à forte consonance historique, qui peut se traduire soit par une construction culturelle (suivre les savants de Bonaparte sur les rives du Nil) soit par un effort physique tourné vers l’aventure (la descente de rapides en “ rafting ”).

Pourtant, dans le cas du Maghreb, ce n’est pas forcément un riche passé qui attire le touriste, ni la recherche d’une aventure très “ physique ”, mais plus souvent, l’image d’un passé paisible et continué – en un mot “ traditionnel ” - qui serait à peine ponctué par quelques inflexions depuis l’Antiquité. Ainsi, la relation entre le nombre de touristes français et l’intérêt culturel des sites (c’est-à-dire le fait qu’ils soient inscrits sur la liste du patrimoine mondial) n’est pas linéaire : le Maroc est le pays du Nord de l’Afrique qui reçoit le plus de touristes français bien qu’il soit aussi celui qui renferme le moins de sites classés (3). La Tunisie, bien que possédant davantage de sites classés (7) que le Maroc en reçoit déjà un peu moins et l’Algérie, avec pourtant 6 sites classés recevait déjà 5 fois moins de touristes que le Maroc en 199221, c’est-à-dire avant les troubles politiques. Si les voyages organisés gèrent la moitié des touristes visitant le Maroc, l’Egypte ou la Tunisie, le nombre tombe à 10% seulement du total des voyageurs dans le cas de l’Algérie.

La mondialisation a renforcé cette construction commune entre touristes et gens du lieu qui participe de l’identité de chacun. La preuve de ce partage de l’identité s’accompagne évidemment de l’adoption du principe du “ chacun chez soi ”, puisque si pour le touriste, il existe des moments non pas de vie commune mais disons passés ensemble (visite de site ou de monument, scènes à perspective ethnographique autour du chant, de la danse ou de mets partagés, tourisme sexuel), la règle demeure de garder l’indigène à distance (on se retrouve entre soi – c’est-à-dire entre participants de la même identité - dans des hôtels possédant le confort occidental) : en ce sens, il s’agit alors pour le tour-operator ou organisateur du loisir touristique de favoriser le contact entre touristes et autochtones pour éviter toute discrimination manifeste, tout en maintenant des moments privilégiés de mise à distance pour éviter toute contamination. Dans ce sens, le

“ Club Méditerranée ” est la quintessence de cette conception, puisqu’il offre uniquement une évasion du cadre de vie habituel et des pratiques quotidiennes et non une rencontre. En 1967, une brochure résumait la politique du “ Club ” en ces termes :

“ Si vous concevez quelque doute sur le bien-fondé des règles de vie des sociétés modernes, vous ressentez un besoin d’évasion. Le “ Club Méditerranée ” peut être votre complice ” 22 . Le projet proposé est donc de fuir la société “ moderne ”, mais, paradoxalement, les membres restent entre eux pour pratiquer toutes sortes de divertissements. Les déplacements hors du village de vacances sont réglementés et contrôlés et les relations avec les habitants prohibés à l’intérieur du “ Club ” et déconseillées à l’extérieur de celui-ci. Bien qu’avec des perspectives opposées, les ethnologues et les “ gentils membres ” du “ Club Med ” ont en commun de “ croire ” à

21 Chiffres de l’OMT cités par Sandrine Treiner et Alain Rustenholz. Histoire de voyager. Paris ; Solar.

1994. p.105.

22 Cité par Sigaux, 1965 p. 107.

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l’autre : il est inquiétant voire dangereux pour le premier, passionnant pour le second.

Celui de l’ethnologue n’est pas plus fictif que celui du “ gentil membre ”, puisque l’authenticité de l’autre que cherche à découvrir l’ethnologue pour son travail est toujours une “ construction ”, c’est-à-dire un objet d’étude sur lequel on focalise sa problématique de chercheur23.

L’avenir des relations entre les peuples et les cultures d’autrui paraît aujourd’hui englobée dans la mondialisation de l’économie qui produit cette culture commerciale tendant à s’inscrire partout et pour tous : au milieu du désert saharien, on peut voir des panneaux faisant de la publicité pour la marque “ Coca-Cola ” ; de la toundra sibérienne aux forêts mélanésiennes n’importe qui peut porter un “ Jeans ” ; inversement, les vêtements africains se trouvent à Paris ou à Sydney, et les Américains mangent plus de

“ pizzas ” ou de “ tacos ” que n’importe quelle autre population en dehors de l’Italie et du Mexique. Les “ fast-foods ”, la musique moderne et les danses qui vont avec, ou encore les ordinateurs, ont pénétré partout dans le monde, et très peu de cultures sont demeurées à l’écart de ce processus de modernité forcée24.

Ce phénomène ne peut qu’accroître les flux touristiques puisque la culture “ mondiale ” offre des repères sûrs au visiteur dans n’importe quel lieu qui lui est destiné : il y retrouve à la fois un exotisme attendu et des possibilités de mode de vie familière. Mais cette mondialisation culturelle pourra-t-elle continuer de se développer sans risquer de faire rapidement disparaître les spécificités culturelles locales, c’est-à-dire finalement l’objet même du voyage touristique. En un mot, le tourisme, c’est la modernité qui espère rencontrer la tradition. Mais c’est un pari impossible puisque justement, l’une est exclusive de l’autre. Mais le touriste et l’autochtone l’ont bien compris ; c’est cette duplicité qui rend – à défaut d’une connaissance vraie des identités réciproques - la communication possible.

23 A ce sujet, il est amusant de constater que dans le célèbre ouvrage du sociologue africaniste Georges Balandier “ Afrique ambiguê ” où l’auteur écrit qu’ “ Une civilisation s’apprend dès les premiers jours ” figure cette publicité à la dernière page de l’édition 10/18 de 1962 “ Lire, ce vice impuni complément indispensable de l’évasion réelle au club “ Méditerranée ” dans le calme de ses villages de vacances ” [Balandier G. 1962 (1957) Afrique ambiguë. Paris ; UGE. Coll. 10/18].

24 Audrey Smedley “ “ Race ” and the construction of human identity”. American Anthropologist, 1999, 100(3) : 690-702.

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