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Négociation du prix du sofosbuvir en France : stratégies des acteurs industriels et institutionnels et points de vue des professionnels de santé et des patients

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26 | La Lettre du Pharmacologue • Vol. 30 - n° 1-2 - janvier-juin 2016

DOSSIER

Nouveaux médicaments de l’hépatite C

Négociation du prix du sofosbuvir en

France : stratégies des acteurs industriels et institutionnels et points de vue

des professionnels de santé et des patients

Sofosbuvir price negotiations in France: strategies of industrial and institutional stakeholders and point of view of health care professionals and patients

S. Benhenni1, H.M. Späth1, 2, N. Moumjid-Ferdjaoui1, 3, 4

1 Université Claude-Bernard, Lyon 1.

2 EAM4128, université Claude-Ber- nard, Lyon 1.

3 Groupe d’analyse et de théorie éco- nomique, UMR5824 CNRS, Lyon.

4 Centre Léon-Bérard, Lyon.

En France, l’ère des antiviraux d’action directe (AAD) de deuxième génération a débuté en janvier 2014 avec la commercialisation du sofosbuvir sous le nom commercial de Sovaldi®. Associé à d’autres antivi- raux, le sofosbuvir permet d’obtenir une guérison viro- logique dans plus de 90 % des cas, laissant espérer une éradication rapide de l’hépatite C. Mais cet espoir s’est envolé dès l’annonce du prix du sofosbuvir : Gilead, le laboratoire pharmaceutique ayant développé le sofos- buvir, a en effet exigé un prix de 56 000 euros pour un traitement de 12 semaines dans le cadre d’une auto- risation temporaire d’utilisation (ATU). Ce prix élevé remet en avant la question du mode de fixation du prix des médicaments. Tel qu’il est déterminé en France, le processus de fixation du prix du médicament fait intervenir différents acteurs dont nous allons analyser les rôles et stratégies dans le cas du sofosbuvir.

En nous fondant sur les articles publiés sur Internet ainsi que dans la presse, tant généraliste que profes- sionnelle et spécialisée, notre contribution vise, dans le cadre de la négociation du prix du sofosbuvir en France, à analyser les stratégies des acteurs industriels et institutionnels et à présenter le point de vue des professionnels de santé et des patients.

Position et stratégies de Gilead

Gilead a calculé le prix du sofosbuvir de telle sorte qu’il soit équivalent à celui du traitement de réfé- rence pour les patients atteints par le virus de l’hépatite C (VHC) de génotype 1, à savoir la trithé- rapie interféron pégylé + ribavirine + 1 inhibiteur de protéase de première génération pendant 48 semaines (1). L’entreprise a ensuite utilisé différents arguments pour justifier ce prix élevé.

Pour commencer, Gilead avance un coût de recherche et développement important (2, 3). Afin de répondre aux exigences des agences européennes et améri- caines du médicament, Gilead – comme d’autres laboratoires pharmaceutiques – souligne le fait de devoir multiplier les essais cliniques dont la mise en place est, selon eux, très onéreuse (4). En plus du coût de développement, l’entreprise met en avant l’efficacité remarquable du traitement qui permet d’envisager l’éradication complète de l’hépatite C.

Gilead oppose également le coût du sofosbuvir aux économies que son utilisation permettra de réaliser : en diminuant l’incidence des complications de l’hépatite C – telles que la cirrhose, le cancer du foie ou la transplantation hépatique – le sofosbuvir éviterait ainsi les dépenses liées aux traitements de ces complications (3, 5, 6). Un autre argument avancé par le laboratoire concerne la durée de trai- tement bien plus courte (12 semaines) que le traite- ment de référence (24 à 72 semaines), permettant une reprise rapide de l’activité professionnelle pour les patients (5). Toujours selon Gilead, si l’on répartit les dépenses sur 20 ans, soit la durée de vie moyenne d’un patient après le traitement, celui-ci ne coûterait que 2 000 à 3 000 euros par an (5, 6).

Le laboratoire assure également que le prix élevé facturé aux pays riches permettra de financer le traitement dans les pays en développement (6, 7).

Gilead a en effet autorisé une version générique du Sovaldi® dans 91 pays en développement (6, 7).

Ces pays, qui comptabilisent près de la moitié des patients infectés par l’hépatite C, pourront commer- cialiser le traitement à des prix plus faibles. C’est le cas, par exemple, de l’Inde et de l’Égypte pour lesquelles le coût du traitement est 60 fois moins cher qu’en France (6).

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Position et stratégies des acteurs institutionnels

Position et stratégies du Ministère de la santé

En juillet 2014, soit au début des négociations avec le comité économique des produits de santé (CEPS), Gérard Bapt, député socialiste, spécialiste du secteur santé et rapporteur du projet de loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2015, a tout d’abord indiqué au président de Gilead-France que le prix du sofosbuvir était trop élevé, et ce d’autant plus que son coût de production n’est estimé qu’à environ 200 euros pour 3 mois de traitement. Il a, en outre, souligné que le budget nécessaire pour traiter les 60 000 malades les plus gravement atteints serait de 3 milliards d’euros, voire plus dans la mesure où le sofosbuvir ne doit pas être utilisé en monothérapie (8).

Espérant que la concurrence ferait baisser le prix du sofosbuvir, Gérard Bapt a par ailleurs sollicité l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) afin qu’elle accorde rapidement une ATU aux 2 traitements ombitasvir/paritaprévir/

ritonavir (Viekirax®) et dasabuvir (Exviera®) du labora- toire AbbVie. Il a enfin évoqué l’éventualité de mettre en place une licence obligatoire pour le sofosbuvir, afin de permettre à des laboratoires génériqueurs de proposer un médicament à base de sofosbuvir à un prix beaucoup plus faible (5, 7).

Dans le cadre de la LFSS 2015, la ministre de la Santé, Marisol Touraine, a quant à elle proposé d’avoir recours à l’article L 138-10 du code de la sécurité sociale (CSS) élaboré en 1999 et révisé en 2014. Cet article prévoit une taxe permettant à l’État de prélever une partie du chiffre d’affaires (CA) des laboratoires pharmaceutiques lorsqu’ils dépassent le plafond maximal de dépenses autori- sées par la LFSS précisé dans le cadre de l’élabora- tion de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM). L’article spécifie que la contri- bution est progressive (elle augmente en fonction du dépassement par rapport à l’ONDAM prévu) et qu’elle est calculée au prorata du CA de chaque labo- ratoire. Toutefois, cet article ne permet pas d’isoler un laboratoire pharmaceutique ou un médicament

précis. Le nouvel article L 138-19 du CSS créé par la LFSS 2015 a “médicalisé” cette disposition, car il prévoit d’isoler les nouveaux médicaments destinés à traiter l’hépatite C (9). La LFSS 2015 précise que cette nouvelle taxe sera déclenchée si le CA global de ces médicaments dépasse 450 millions d’euros en 2014 et 700 millions d’euros en 2015 (6, 10, 11).

Position et stratégies de la HAS

La commission de la transparence de la Haute Autorité de santé (HAS) a évalué à II (important) l’amélioration du service médical rendu (ASMR) qui est la valeur théra- peutique ajoutée d’un nouveau traitement par rapport aux traitements déjà disponibles. Cette ASMR du sofos- buvir a été prise en compte lors de la négociation du prix par le CEPS (cf. infra CEPS et figure 1, p. 28).

Pour les médicaments innovants et onéreux, la HAS – via la Commission d’évaluation économique et de santé publique – rend, depuis 2014, un avis d’effi- cience, en plus d’un avis sur son efficacité (4). Mais dans le cas du sofosbuvir, cette commission a consi- déré que le calcul d’un rapport coût/efficacité dans l’ensemble de la population atteinte de l’hépatite C n’était pas pertinent. Elle rappelle en effet la forte hétérogénéité des résultats entre les sous-popula- tions (cf. Locher C et al., p. 10) et reproche au modèle utilisé par le laboratoire ne pas distinguer les stades de fibrose parmi les patients non cirrhotiques (F0 à F3).

La HAS a également pour mission d’élaborer des recommandations de bonne pratique. Concernant le sofosbuvir, les recommandations de la HAS et du rapport des experts mandatés par la ministre de la Santé (rapport Dhumeaux) s’accordent sur les cas de patients ayant une cirrhose ou une fibrose aux stades F3 et F4 qu’il convient de traiter. Les 2 rapports s’ac- cordent également pour les patients dont la fibrose est moins avancée (F0 et F1) pour qui le traitement peut attendre. En revanche, les positions diver- gent pour le stade intermédiaire (F2). Le rapport Dhumeaux recommande un traitement, alors que pour le président de la HAS, il n’y a pas d’urgence thérapeutique à ce stade. La HAS préconise donc d’at- tendre l’arrivée d’autres molécules qui représenteront une nouvelle chance pour les patients concernés (12).

de rationnement économique en limitant l’accès du traitement aux patients les plus gravement atteints et en instaurant une nouvelle taxe sur le chiffre d’affaires des industries pharmaceutiques.

pharmaceutique Système de santé

Highlights

»The controversy about price negotiations of Sofosbuvir was largely covered by the media and reveal how mainstream press and specialized press present economic questions about allocating resources in French health care system.

»Gilead was in a dominant position during the price nego- tiations of Sofosbuvir, but knew that it was under threat from new entrants that would arrive on the market.

»Given the price required by the firm, the institutional stakeholders had to adopt a policy based on rationing by limiting access of the treatment to patients with most severe Hepatitis C and by introducing a new tax on the turnover of pharmaceutical firms.

Keywords Sofosbuvir (Sovaldi®) Price

Strategies

Pharmaceutical industry Healthcare system

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Négociation du prix du sofosbuvir en France : stratégies des acteurs industriels et institutionnels et points de vue des professionnels de santé et des patients

DOSSIER

Nouveaux médicaments de l’hépatite C

Position et stratégies du CEPS

Le CEPS est principalement chargé de fixer les prix des médicaments pris en charge par l’assurance maladie. Il se fonde sur plusieurs critères : l’ASMR, évaluée par la HAS, le prix des autres traitements comparables et le volume prévisionnel des ventes en fonction du nombre de patients à traiter. Dans le cas du sofosbuvir, le CEPS a également été attentif aux arguments avancés par le laboratoire concernant les économies réalisées grâce à la prévention de la morbidité de l’hépatite C.

Plusieurs mois de négociation entre le CEPS et Gilead ont été nécessaires pour aboutir à un accord sur le prix du sofosbuvir. Celui-ci a été fixé à 41 000 euros pour un traitement de 12 semaines (13), soit 15 000 euros de moins que le prix initialement proposé dans le cadre de l’ATU. Le ministère de la Santé a, par ailleurs, indiqué que ce prix était le plus bas d’Europe.

En outre, un “contrat de performance” a également été établi. Il oblige Gilead au versement d’une remise en cas d’échec de traitement pour un patient. Cette approche contribue à une évaluation en vie réelle de l’efficacité des médicaments qui peut être diffé- rente de celle observée lors des essais cliniques (14).

Les contrats de performance sont en effet un outil précieux pour le CEPS, car ils contribuent à la maîtrise des dépenses tout en évitant un rationne- ment de l’accès aux traitements onéreux (14). De plus, Gilead devra rembourser la différence entre

le prix qu’il a proposé lorsque le sofosbuvira été utilisé sous ATU et le prix finalement négocié avec le CEPS (5, 11).

Position des médecins

Du point de vue des représentants des médecins, le prix demandé par Gilead ne reflète pas le coût de la recherche et de développement, car la recherche publique a été essentielle concernant le sofos- buvir (15). L’association Médecins du Monde souligne par ailleurs que le principe actif du sofosbuvir est juste un dérivé d’une molécule qui ne pouvait pas entrer dans la cellule hépatique (3), et remet donc en cause la validité du brevet.

Selon certains médecins, il s’agit d’une manipula- tion de la part du laboratoire Gilead (3, 15) qui a acheté à un prix très élevé la start-up Pharmasset qui a développé le sofosbuvir: l’action de Phar- masset valait 9 dollars en 2006, alors que Gilead l’a rachetée 139 dollars en 2011 (3, 15). La revue Prescrire souligne à ce propos que l’appellation Pharmasset a été choisie pour montrer que son objectif était de créer de la valeur financière (en anglais assets) à partir de médicaments prometteurs (pharma) lors de la vente des actifs à un laboratoire pharmaceutique (15). Il est également intéressant de rappeler ici que Pharmasset comptait commercialiser le sofosbuvir à environ 19 000 euros les 3 mois de traitement avant d’être racheté par Gilead (5).

Position et propositions des associations de patients et de malades

Les associations de patients représentant les malades d’hépatites C et/ou co-infectés par le VIH demandent aux pouvoirs publics de fixer un prix raisonnable (14) et d’accorder aux associations de patients le droit d’assister aux négociations de prix entre les indus- triels et le CEPS (14). Par ailleurs, elles demandent d’annuler le brevet du sofosbuvir ou que l’État délivre une licence d’office (3, 15) afin d’autoriser les génériqueurs à produire le sofosbuvir à un coût moins élevé (2, 15), permettant ainsi de garantir l’accès aux nouvelles thérapeutiques au moins à 80 000 patients (16). En ce sens, elles se félicitent de la réaction de l’office indien qui a rejeté le brevet de Gilead ; cette décision a permis de baisser le prix et, par conséquent, de permettre potentiellement un Figure. Détermination du prix d’un médicament ambulatoire faisant une demande de

remboursement.

AMM DG de l’ANSM Sovaldi® : 16/01/2014

ASMR CT de la HAS Il : 14/05/2014 SMR

CT de la HAS Important : 14/05/2014

Avis d’efficience CEESP Données insuffisantes

Taux de remboursement UNCAM 100 % : 18/11/2014 Inscription liste SS

Ministre de la santé Oui : 18/11/2014

Prix négocié*

CEPS 13 667 € HT : 17/11/2014

Prix exigé*

Gilead 18 667 € HT

* Prix pour un conditionnement de 28 comprimés soit 4 semaines de traitement

AMM : autorisation de mise sur le marché ASMR : amélioration du service médicale rendu

CEESP : commission d'évaluation économique et de santé publique CEPS : comité économique des produits de santé

CT : commission de la transparence

DG de l’ANSMl : Directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé HAS : Haute Autorité de santé

SMR : service médical rendu SS : sécurité sociale

UNCAM : union nationale des caisses d’assurance maladie

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La Lettre du Pharmacologue • Vol. 30 - n° 1-2 - janvier-juin 2016 | 29 accès aux soins pour tous les patients indiens (17).

Quoi qu’il en soit, les associations de patients n’acceptent toujours pas le prix du sofosbuvir fixé à 41 000 euros, considérant qu’il s’agit d’un prix trop élevé et injustifié, qui menace le système de santé solidaire (13). Elles confirment donc que le problème d’accès se pose non seulement dans les pays pauvres, mais aussi dans les pays occidentaux qui ne disposent pas de ressources suffisantes pour absorber un tel prix.

Discussion

Le sofosbuvir est vendu à différents prix dans les pays du monde, à des prix très élevés dans les pays riches et à des prix plus faibles dans 91 pays en dévelop- pement pour lesquels Gilead a autorisé une licence volontaire pour la fabrication des génériques. Gilead prétend ainsi défendre l’accès universel au sofos- buvir afin d’éradiquer l’hépatite C, mais en réalité le laboratoire profite de sa position de quasi-monopole par l’existence du brevet pour demander des prix que l’assurance maladie française ne peut prendre en charge. Cette situation explique la décision des pouvoirs publics quant à l’adoption d’une politique de rationalisation des dépenses, et même ici à l’ex- trême, de rationnement, en ne recommandant ces traitements qu’à des patients en situations graves, dits prioritaires.

Par ailleurs, le brevet est considéré comme le meilleur moyen pour encourager la recherche et l’innovation thérapeutique et ainsi la concurrence entre les firmes pharmaceutiques, l’exclusivité permettant de couvrir les dépenses de recherche et de développement. Mais dans le cas du sofosbuvir, Gilead a utilisé cette exclu- sivité pour demander des prix très élevés, tout en sachant que le coût de production du médicament ne dépasse pas quelques centaines d’euros par cure et que les fonds publics ont déjà contribué à sa recherche.

Concernant la fixation des prix en Europe, il n’existe pas de procédure commune : chaque pays membre négocie avec les industriels ses propres prix. Mais de nombreux pays européens se fondent sur des prix négociés dans des pays voisins afin de négocier les prix des médicaments innovants. En France, le CEPS demande, par exemple, les prix négociés en Allemagne, en Espagne, en Italie et au Royaume-Uni pour tout médicament innovant lors des procédures de négociation du prix. Si le prix fixé pour un médi- cament est élevé dans un pays européen, cela a donc pour conséquence de tirer vers le haut les prix du même médicament dans les autres pays. Force est

de constater que, dans le cas étudié, la coordina- tion européenne n’a pas fonctionné. En effet, les ministres de la Santé européens s’étaient réunis de façon informelle à Milan, en septembre 2014, afin de s’accorder sur la négociation d’une baisse du prix du sofosbuvir, mais ces pourparlers ont échoué. Il faut également souligner que les négociations de prix entre le CEPS et les laboratoires sont confiden- tielles et manquent de transparence. Comme cela a été proposé par les associations de patients dans le cas étudié, et comme le recommande le code de santé publique depuis 2004 (article L.1114-1) amendé en mars 2015 (article Art.L.162-17-4-2), une évolution permettant de rendre ce processus plus ouvert serait de conclure entre le CEPS et une ou des associations de patients agréée(s) un accord cadre afin de “favoriser la concertation et les échanges d’informations concernant la fixation des prix et des tarifs des produits de santé remboursables par la solidarité nationale”. Cela ne semble finalement pas être un vœu pieux dans la mesure où le CEPS a auditionné, pour la première fois, en 2014, les repré- sentants de patients, le collectif Hépatites virales et les associations Aides et SOS hépatites, lors des négociations du prix du sofosbuvir.

Nous souhaitons achever cette discussion par 2 points :

La presse a beaucoup parlé des traitements de l’hépatite C, des succès des nouvelles molécules et de leurs prix, mais quasiment jamais du dépistage.

Le dépistage de l’infection par VHC est-il justifié ? Tous les patients infectés par le VHC ne feront pas nécessairement une complication hépatique de type cirrhose ou cancer, et 80 à 85 % des patients mourront d’une autre cause que d’une maladie hépa- tique (18). Dans l’attente de nouvelles études, et peut-être de prix plus bas pour les nouveaux anti- viraux, le débat est ouvert, tant du point de vue médical qu’économique.

Le sujet “Prix du sofosbuvir” a fait l’objet de ce que l’on pourrait appeler une urgence média- tique avant même l’annonce du prix demandé par Gilead et durant toute l’année 2014. Ceci a créé, de notre point de vue, une pression médiatique qui a amené à penser qu’il était urgent de traiter toutes les personnes présentant une infection par le VHC, ce qui convenait à Gilead étant donné sa situation de quasi-monopole pendant cette période.

Le prix très élevé demandé par Gilead peut donc être expliqué par la volonté de réaliser rapidement des gains élevés, car cette situation de quasi-mo- nopole n’était pas pérenne. Par ailleurs, Gilead a obtenu, en juin 2015, un prix élevé pour sa spécialité

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Négociation du prix du sofosbuvir en France : stratégies des acteurs industriels et institutionnels et points de vue des professionnels de santé et des patients

DOSSIER

Nouveaux médicaments de l’hépatite C

Harvoni®, une association de 2 AAD, le sofosbuvir et le lédipasvir (46 000 euros pour un traitement de 12 semaines) [19]. La stratégie d’AbbVie pour l’entrée de ses 2 molécules ombitasvir/paritaprévir/rito- navir et dasabuvir a été, en revanche, de les proposer gratuitement aux hôpitaux pendant une partie de la période d’ATU, ce qui a incité ceux-ci à se tourner vers ces molécules, qui ont également une efficacité élevée en matière de guérison. En septembre 2015, AbbVie a négocié auprès du CEPS un prix légèrement moins élevé : environ 39 000 euros pour un traite- ment de 12 semaines de ombitasvir/paritaprévir/

ritonavir. Un autre concurrent du sofosbuvir, le siméprévir (Olysio®) du laboratoire Janssen, n’a pas connu un démarrage aussi rapide. Janssen a donc négocié en mai 2015 un prix plus faible pour le siméprévir (21 000 euros pour 12 semaines), en sachant que ce médicament est utilisé en combi- naison avec d’autres médicaments, dont le sofos- buvir. Pour le daclatasvir (Daklinza®), le laboratoire BMS a également négocié un prix plus faible (25 500 euros pour 12 semaines), sachant que sa molécule est administrée en association avec le sofosbuvir.

En effet, BMS considère Gilead comme un parte- naire et non comme un concurrent, précisant que l’association du sofosbuvir avec le daclatasvir est intéressante en cas d’échec d’un traitement anté- rieur, d’impossibilité de traiter par interféron, ou en cas de co-infection par le VIH.

Limites de l’analyse

Notre analyse a été réalisée sur la base d’articles publiés dans la presse et sur Internet. Nous n’avons pas eu l’occasion d’interviewer les différents acteurs, ce qui aurait permis d’obtenir plus d’informations concernant leurs positions et stratégies.

Nous avons essentiellement analysé les stratégies des différents acteurs lors de la négociation du prix du sofosbuvir et non d’autres AAD, voire d’autres médicaments innovants et onéreux, utilisés par exemple en cancérologie. Une étude comparative des négociations de prix de plusieurs médicaments permettrait d’approfondir l’analyse des enjeux qui sont spécifiques au sofosbuvir, voire aux AAD.

Nous avons, en outre, limité notre recherche docu- mentaire à la France, sans étudier les positions et stratégies des acteurs des autres pays d’Europe, ce qui aurait été intéressant étant donné que l’Italie, le Royaume-Uni, l’Espagne et l’Allemagne se fondent sur leurs prix respectifs dans leurs négociations nationales de prix.

Conclusion

L’objectif de cet article était d’analyser les positions et les stratégies des acteurs concernés par la fixation de prix du sofosbuviren France. Gilead a mis en avant son objectif d’éradiquer l’épidémie dans le monde, justifiant en cela un prix très élevé. Un prix élevé ne permet pas aux malades de l’hépatite C dans les pays pauvres d’accéder aux traitements, et le problème se pose également dans les pays riches, comme en France, où les pouvoirs publics ont été contraints d’appliquer une politique de rationne- ment, même après l’obtention d’une baisse de prix, ce qui ne permet pas un accès aux soins pour tous.

Une perspective complémentaire à ce travail consis- terait à analyser les logiques d’interactions entre les acteurs en présence en réalisant, par exemple, des entretiens auprès des acteurs concernés, les entretiens étant propices, bien que non exempts de limites, à la production de l’information sur ces interactions peu étudiées dans la presse.

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php?article5337

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Références bibliographiques

S. Benhenni déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

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