66 | La Lettre du Pharmacologue • Vol. 30 - n° 3-4 - juillet-décembre 2016
DOSSIER
Pharmacologie féminine
M. Robert
Hormonothérapie adjuvante dans les cancers du sein
localisés : bénéfices et risques
Endocrine treatment in early stage breast cancer:
risks and benefits
M. Robert*, J.S. Frenel*, C. Gourmelon*, M. Campone*
* Institut de cancérologie de l’Ouest René-Gauducheau, Saint-Herblain.
Le cancer du sein est une maladie hétérogène tant d’un point de vue phénotypique que moléculaire.
Les cancers du sein dits hormono dépendants se définissent par l’expression des récepteurs estrogé- niques et/ou des récepteurs à la progestérone (RP).
Ils sont sous la dépendance de l’action des estrogènes.
Les traitements antiestrogènes sont la pierre angu- laire de la prise en charge, en situation adjuvante, des cancers du sein exprimant les récepteurs hormonaux.
Plusieurs agents antiestrogéniques existent : le tamoxifène, modulateur sélectif du récepteur aux estrogènes (SERM) ; les inhibiteurs de l’aromatase (IA), qui bloquent la synthèse des estrogènes au niveau des surrénales et des tissus périphériques.
Les méta-analyses d’Oxford ont démontré que, en situation adjuvante, ces agents réduisaient le risque de récidive et de décès (1). Même si l’intérêt de l’hormono- thérapie a été largement démontré, elle peut, comme toute thérapeutique, avoir des effets indésirables.
Le tamoxifène
Mécanisme d’action et propriétés pharmacologiques
Le tamoxifène est un SERM. L’action des SERM peut être agoniste pour certains tissus (tissu osseux ou hépatique, système cardiovasculaire), antagoniste pour d’autres (cerveau et tissu mammaire), voire agoniste et antagoniste pour l’endomètre. Cela explique en partie ses effets indésirables (augmen- tation de l’incidence du cancer de l’endomètre et complications thromboemboliques) et son éven- tuel effet protecteur vis-à-vis de l’ostéoporose.
Il agit par inhibition compétitive avec les estro- gènes en empêchant leur fixation au niveau du récepteur aux estrogènes (2).
Bénéfices
La méta-analyse d’Oxford a démontré une réduc- tion de la mortalité chez les patientes traitées par tamoxifène, lorsque la tumeur exprime les récepteurs estrogéniques, quel que soit leur statut ménopau- sique. Le traitement par tamoxifène pendant 5 ans réduit la mortalité d’environ 1/3 à 15 ans. La dimi- nution du risque de récidive est d’environ 39 % (RR = 0,61 pour toutes récidives et RR = 0,62 pour la récidive sur le sein controlatéral) [1].
Chez les patientes non ménopausées, une durée de prescription du tamoxifène d’au moins 5 ans est le plus souvent le standard (3). Cependant, 2 études récentes semblent démontrer que la durée optimale serait de 10 ans. L’essai ATLAS a inclus 12 894 patientes en situation adjuvante et a comparé l’arrêt du tamoxifène à 5 ans et sa poursuite jusqu’à 10 ans (4). Ses résultats montrent une réduction du risque de rechute (p = 0,002), de la mortalité par cancer du sein (p = 0,01) et de la mortalité toutes causes confondues (p = 0,01) pour le traitement par tamoxifène durant 10 ans.
L’essai aTTom comparait les mêmes schémas et a inclus 6 953 patientes (5). Il confirme les résultats de l’essai ATLAS. Le taux de récidive du cancer du sein était de 16,7 % dans le groupe 10 ans de tamoxifène versus 19,3 % dans le groupe 5 ans.
Les essais ATLAS et aTTom ont démontré que 10 ans de tamoxifène versus 5 ans permettaient de réduire la mortalité par cancer du sein d’environ 1/3 dans les 10 ans suivant le diagnostic, et de moitié ensuite.
La suppression ovarienne chez les patientes non ménopausées ayant un cancer du sein exprimant les récepteurs hormonaux a également montré son bénéfice sur le risque de récidive. Nous n’aborderons pas cette question dans cet article.
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Résumé
Effets indésirables
Dans l’essai ATLAS, l’effet indésirable le plus fréquent était une augmentation du risque de cancer de l’endo- mètre (RR = 1,74) et d’embolie pulmonaire (RR = 1,87).
Il n’y avait pas d’augmentation du risque d’accident vasculaire cérébral (AVC), et il était noté une réduction du risque de cardiopathie ischémique (RR = 0,76) [4].
Une augmentation du risque de cancer de l’endo- mètre était notée dans l’essai aTTom : 102 cas dans le groupe 10 ans et 45 dans le groupe 5 ans (RR = 2,20 ; p < 0,0001), parmi lesquels, respectivement, 37 et 20 décès (HR = 0,005 ; p = 0,02) [5].
Les antiaromatases
Mécanisme d’action et propriétés pharmacologiques
Les IA bloquent la synthèse des estrogènes au niveau des surrénales et des tissus périphériques (tissus graisseux et musculaire). Ils peuvent être non stéroïdiens (létrozole et anastrozole) ou stéroïdiens (exémestane). L’aromatase, enzyme de la super- famille du cytochrome P450, active la dernière étape de la biosynthèse des estrogènes à partir du cholestérol. Cette enzyme possède 2 sites de fixa- tion : une fraction hème et un site actif de liaison de son substrat, l’androstènedione. Les IA non stéroï- diens se fixent à la fraction hème de l’aromatase de manière réversible. Les IA stéroïdiens se fixent de manière irréversible sur le site actif. Ces 2 méca- nismes permettent de bloquer la conversion des androgènes en estrogènes (6).
Bénéfices depuis l’avènement des antiaromatases
En ce qui concerne les patientes ménopausées, les IA (anastrozole, létrozole, exémestane) ont démontré leur supériorité sur le tamoxifène et constituent donc l’hormonothérapie de référence. Les essais qui ont comparé l’efficacité des IA à celle du tamoxifène ont étudié différentes séquences thérapeutiques : 5 ans de monothérapie, schémas séquentiels (2 à
3 ans de tamoxifène puis IA ou vice versa pour une durée de 5 ans ; 5 ans d’IA ou placebo après 5 ans de tamoxifène) [tableau I, p. 68]. L’essai BIG 1-98 comparait, chez 8 010 patientes méno- pausées, l’administration de tamoxifène et celle de létrozole pendant 5 ans (7). Le traitement adjuvant par létrozole réduisait le risque de décès (HR = 0,82 ; IC95 : 0,70-0,95) comparativement au tamoxifène.
Cela a été confirmé par les résultats d’une méta-ana- lyse : un traitement de 5 ans par IA diminuait le taux de mortalité par cancer du sein à 10 ans d’environ 15 %, versus 5 ans de tamoxifène (8).
Une seconde méta-analyse concluait que 5 ans d’IA versus 5 ans de tamoxifène amélioraient la survie sans récidive (RR = 0,89 ; IC95 : 0,83-0,94), avec un bénéfice absolu de 3 %. Le bénéfice en survie globale était plus modéré (RR = 0,92 ; IC95 : 0,85-1,00) [9].
Cette même méta-analyse de 12 essais a également montré un avantage du schéma séquentiel (2 à 3 ans de tamoxifène suivis de 2 à 3 ans d’IA ou tamoxifène pour 5 ans au total). Un bénéfice en survie sans récidive était observé : RR = 0,88 ; IC95 : 0,81-0,96, avec un bénéfice absolu d’environ 2,4 % (9).
L’essai MA17 a évalué l’ajout de 5 ans de létrozole versus placebo chez des patientes ménopausées et en rémis- sion, qui avaient déjà reçu 4-6 ans de tamoxifène (10).
Après un suivi médian de 2,4 ans, une réduction signi- ficative du risque de récidive était observée dans le bras létrozole (HR = 0,57 ; p = 0,00008). Au vu des résultats de cette analyse intermédiaire, l’aveugle a été levé et le switch pour le létrozole dans le bras contrôle, autorisé. Le létrozole permettait également une réduction du risque de survenue de métastases à distance (p = 0,002). La survie globale avec le létrozole était significativement améliorée de 39 % chez les patientes qui présentaient une atteinte ganglionnaire (HR = 0,61 ; p = 0,04). Le bénéfice existait également pour les patientes dont la ménopause était survenue lors du traitement par tamoxifène (11). Au vu des résultats de l’essai MA17, il est possible de switcher du tamoxifène pour 5 ans d’IA après 4 ans et demi à 6 ans de tamoxifène pour les patientes devenues ménopausées à l’instauration du tamoxifène.
Récemment, l’essai MA.17R a comparé l’efficacité de 5 ans versus 10 ans de létrozole d’emblée ou après 2 à 5 ans de tamoxifène chez des patientes méno- pausées (12). Un traitement de 10 ans par létrozole L’hormonothérapie a un rôle prépondérant dans la prise en charge adjuvante des cancers du sein localisés exprimant les récepteurs hormonaux. Chez les patientes non ménopausées, elle repose sur le tamoxifène ; après la ménopause, majoritairement sur les antiaromatases. Elle est prescrite pour une durée de 5 à 10 ans.
Son intérêt sur la survie est démontré depuis longtemps. Des effets indésirables sont décrits et doivent donc être pris en compte dans le choix du type d’hormonothérapie.
Mots-clés
Récepteurs hormonaux Tamoxifène Inhibiteurs de l’aromatase Cancer du sein Traitement adjuvant
Summary
Endocrine therapy is the cornerstone in the adjuvant systemic treatment of early breast cancer with positive hormonal receptor. In pre menopausal women, tamoxifen is now the standard of care;
in postmenopausal women, tamoxifen has been challenged by aromatases inhibitors. Its optimal duration is 5 to 10 years. Despite clear benefits on survival, side effects exist and have to be taken into consideration.
Keywords
Hormonal receptors Tamoxifen
Aromatase inhibitors Breast cancer Adjuvant treatment
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Hormonothérapie adjuvante dans les cancers du sein localisés : bénéfices et risques
DOSSIER
Pharmacologie féminine
versus 5 ans améliore significativement la survie sans récidive : à 5 ans, elle était de 95 % avec le létrozole versus 91 % avec le placebo (HR = 0,66 ; p = 0,01).
La survie globale à 5 ans n’était pas significativement différente (HR = 0,97 ; p = 0,83). Le taux annuel de récidive controlatérale était de 0,21 % avec le létrozole versus 0,49 % avec le placebo. Les données concer- nant la qualité de vie ne sont pas encore disponibles.
Effets indésirables
Les IA bloquent l’aromatase, enzyme responsable de la conversion des androgènes en estrogènes chez les femmes ménopausées. Leurs effets indésirables doivent également être pris en compte. La déplé- tion estrogénique en serait la principale responsable.
Les effets indésirables rencontrés sont les troubles musculosquelettiques (arthralgies, myalgies, tendi- nites, syndrome du canal carpien), la sécheresse vaginale et la perte de la libido, l’ostéoporose avec majoration du risque fracturaire et les bouffées de chaleur (13).
Dans l’essai ATAC, la réduction de la densité minérale osseuse était significativement plus élevée avec l’anas- trozole qu’avec le tamoxifène (p < 0,0001 pour la hanche et le rachis lombaire). De même, le nombre de fractures observées pendant la période de traitement
était supérieur dans le bras anastrozole (OR = 1,33 ; IC95 : 1,15-1,55 ; p < 0,0001) ; aucune différence n’était observée après l’arrêt du traitement (14).
Une méta-analyse de plusieurs essais rando- misés ayant inclus 31 920 patientes ménopausées rapporte que l’utilisation des IA, comparativement au tamoxifène, était associée à une augmentation des fractures osseuses (de l’instauration du traitement jusqu’à la fin de la quatrième année : RR = 1,42 ; IC95 : 1,28-1,57 ; p < 0,0001 et, de la cinquième à la fin de la neuvième année : RR = 1,29 ; IC95 : 1,09-1,53 ; 2p = 0,003), mais à une diminution des cancers de l’endomètre (RR = 0,33 ; IC95 : 0,21-0,51). Aucune différence significative n’était observée pour le risque cardiovasculaire (thromboembolique, cérébrovascu- laire ou cardiaque). Aucune augmentation du risque de décès sans récidive n’était observée avec les IA (8).
Une seconde méta-analyse a confirmé ces observa- tions : augmentation du risque de fractures en cas de traitement par IA, diminution du risque de cancer de l’endomètre et absence d’augmentation du risque cardiovasculaire (9).
L’étude prospective et observationnelle Mind-Body a inclus 190 patientes, recevant ou non une hormono- thérapie adjuvante (tamoxifène ou IA). Les patientes traitées par IA avaient plus de troubles musculosque- lettiques (p = 0,02). Les bouffées de chaleur étaient plus fréquemment observées à 12 mois de suivi chez Monothérapie 5 ans ATAC
Essais Temps en fonction de la randomisation
BIG 1-98 BIG 1-98 ABCSG-8 ARNO-95 ITA IES TEAM MA17 Schéma séquentiel 5 ans
Extension après 5 ans
Anastrozole
Anastrozole
- 5 - 4 - 3 - 2 - 1 01
2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15
Tamoxifène
Tamoxifène
Suivi médian 100 mois
Tamoxifène 2 ans Tamoxifène
Tamoxifène 2 ans Exémestane 2,5 ans Exémestane
Létrozole 2 ans
Létrozole 3 ans Tamoxifène 3 ans
Suivi médian 71 mois Suivi médian 72 mois
Anastrozole Tamoxifène Tamoxifène Tamoxifène
Anastrozole Tamoxifène 2-3 ans
Tamoxifène 2-3 ans
Suivi médian 30,1 mois Suivi médian 64 mois
Suivi médian 61 mois Suivi médian 64 mois Exémestane
Tamoxifène 2-3 ans Tamoxifène 2-3 ans
Létrozole Placebo Tamoxifène
Tamoxifène
Suivi médian 91 mois Létrozole
Tamoxifène
Suivi médian 76 mois Tableau I. Principaux essais d’hormothérapie adjuvante par antiaromatases.
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La Lettre du Pharmacologue • Vol. 30 - n° 3-4 - juillet-décembre 2016 | 69
DOSSIER
les patientes recevant une hormonothérapie (IA ou tamoxifène) que chez les patientes n’en recevant pas (p = 0,003) [15].
Certaines analyses rétrospectives ont identifié une association entre la survenue des symptômes musculo squelettiques ou des bouffées de chaleur et le bénéfice en survie sans récidive ou en survie globale (tableau II) [16, 17]. Ces données rétrospectives ne peuvent être utilisées en pratique courante. En effet, dans la majorité des essais, les données n’étaient pas recueillies de manière standardisée, et les troubles musculosquelettiques n’étaient pas précisément définis. Pour ces raisons, l’observance de l’hormo- nothérapie n’est pas toujours optimale.
Conclusion
Le choix de l’hormonothérapie doit tenir compte des antécédents des patientes et du profil de toxicité des traitements. Pour une meilleure observance, les effets indésirables et les bénéfices doivent être clairement exposés aux patientes. En cas de mauvaise tolérance, un changement de traitement doit être envisagé.
Chez les patientes ménopausées, aucune différence en termes d’efficacité n’a été observée entre les 3 IA disponibles ; un changement au profit d’un autre IA ou du tamoxifène pourra être réalisé. Chez les patientes non ménopausées, les experts recommandent la prise de tamoxifène pour une durée minimale de 5 ans. ■
M. Robert déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.
Les autres auteurs n’ont pas précisé leurs éventuels liens d’intérêts.
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Références bibliographiques
Tableau II. Association entre bénéfices et effets indésirables.
Essais Critère de jugement
étudié Symptômes
musculosquelettiques Bouffées de chaleur ATAC Tamoxifène + anastrozole
Tamoxifène Anastrozole
Récidive Récidive Récidive
HR = 0,60 ; IC95 : 0,50-0,72 HR = 0,58 ; IC95 : 0,45-0,74 HR = 0,65 ; IC95 : 0,50-0,85
Analyse à 3 mois
HR = 0,84 ; IC95 : 0,71-1,00 HR = 0,81 ; IC95 : 0,65-1,01 HR = 0,85 ; IC95 : 0,65-1,11 BIG 1-98 Tamoxifène + létrozole Survie sans progression HR = 0,65 ; IC95 : 0,49-0,87
Analyse à 12 mois
HR = 0,82 ; IC95 : 0,70-0,96
TEAM Tamoxifène + exémestane Exémestane
Survie globale Survie globale
HR = 0,81 ; IC95 : 0,65-1,01 Analyse à 12 mois HR = 0,65 ; IC95 : 0,37-1,13
Analyse à 6 mois
HR = 0,58 ; IC95 : 0,42-0,80 HR = 0,65 ; IC95 : 0,40-1,03
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