Béatrice Zucca Micheletto, Travail et propriété des femmes en temps de crise (Turin, XVIIIe siècle). Mont-Saint-Aignan, Presses universitaires de Rouen et du Havre, « Genre à lire... et à penser », 2014, 250 p.

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Études rurales

195 | 2015

Les mondes des inventaires naturalistes

Béatrice Zucca Micheletto, Travail et propriété des femmes en temps de crise (Turin, XVIIIe siècle)

Mont-Saint-Aignan, Presses universitaires de Rouen et du Havre, « Genre à lire... et à penser », 2014, 250 p.

Mélanie Languet

Édition électronique

URL : http://journals.openedition.org/etudesrurales/10323 DOI : 10.4000/etudesrurales.10323

ISSN : 1777-537X Éditeur

Éditions de l’EHESS Édition imprimée

Date de publication : 1 juin 2015 Référence électronique

Mélanie Languet, « Béatrice Zucca Micheletto, Travail et propriété des femmes en temps de crise (Turin, XVIIIe siècle) », Études rurales [En ligne], 195 | 2015, mis en ligne le 01 janvier 2015, consulté le 24

septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/etudesrurales/10323 ; DOI : https://doi.org/10.4000/

etudesrurales.10323

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Béatrice Zucca Micheletto, Travail et propriété des femmes en temps de crise (Turin, XVIIIe siècle)

Mont-Saint-Aignan, Presses universitaires de Rouen et du Havre, « Genre à lire... et à penser », 2014, 250 p.

Mélanie Languet

Béatrice Zucca Micheletto, Travail et propriété des femmes en temps de crise (Turin, xviiie siècle), Mont- Saint-Aignan, Presses universitaires de Rouen et du Havre, « Genre à lire... et à penser », 2014, 250 p.

1 Béatrice Zucca Micheletto a soutenu en 2006 une thèse sur les parcours migratoires à Turin sous l'Ancien Régime et travaille depuis sur l'histoire économique et sociale, notamment sur l'histoire du travail, et sur l'histoire de la famille, des femmes et du genre. Elle propose ici le fruit de ses recherches postdoctorales, un ouvrage à l'intersection de plusieurs axes historiographiques qu'elle aborde avec un regard renouvelé et original, celui de la propriété féminine d'une part et celui du travail des femmes d'autre part.

2 Si ce livre nourrit aussi bien l'histoire économique du xviiie siècle que l'histoire de la famille et l'histoire des femmes, son apport pour l'histoire du monde rural s'avère moins riche. En effet, les relations entre la capitale du nouveau royaume et les campagnes environnantes, bien qu'omniprésentes dans l'histoire de la ville, ne sont pas au centre de cette étude.

3 Il s'agit d'une étude sur le rôle du travail et du patrimoine des femmes non nobles de la société urbaine. Leurs biens, possédés au titre de dot ou de trousseau notamment, peuvent être constitués de terres, d'immeubles, mais le sont surtout d'objets mobiliers, d'outils de travail, de linge et de vêtements.

Béatrice Zucca Micheletto, Travail et propriété des femmes en temps de crise ...

Études rurales, 195 | 2015

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4 À partir d'un très large éventail de sources d'archives, Béatrice Zucca Micheletto reconstitue des parcours familiaux et fait vivre la société turinoise de la seconde moitié du xviiie siècle. Les femmes mariées y occupent une place importante, bien loin de l'image traditionnelle des rapports de domination au sein du couple.

5 Le premier chapitre dresse un tableau socio-économique de Turin au xviiie siècle. Les liens entre la ville et les campagnes environnantes sont nombreux : démographiques, la ville se nourrissant de l'arrivée régulière de populations venues des campagnes, mais également économiques, la production de vers à soie approvisionnant les artisans de la ville. L'artisanat de la soie est en effet une activité majeure à Turin, soutenue par le pouvoir. L'auteure rappelle d'ailleurs, à rebours de l'histoire traditionnelle de Turin, que les difficultés du secteur de la soie à partir des années 1780 ont joué un rôle bien plus grand dans la crise de la ville et du royaume que la domination napoléonienne.

6 Les chapitres 2 à 4 constituent la première section du livre. Ils sont consacrés à l'étude du patrimoine des femmes, dot et biens paraphernaux, et de son utilisation dans l'économie familiale. L'originalité du travail repose sur l'analyse du rôle de la dot, théoriquement inaliénable. Si les historiens se sont souvent intéressés à la constitution de la dot et au problème de sa restitution lorsque l'épouse devient veuve, c'est l'utilisation des biens dotaux pendant la vie maritale qui est au cœur de l'analyse.

7 À travers l'étude des procédures judiciaires d'aliénation de dot, l'auteure souligne la difficulté pour les couples à obtenir de la famille de l'épouse le versement effectif de la dot. Elle analyse également son utilisation pour la survie de la famille ou la poursuite de l'activité professionnelle.

8 Par ailleurs, l'étude de la constitution des trousseaux de mariage, qui forment souvent un ensemble incohérent, souligne le rôle des biens féminins dans l'économie domestique. Loin d'être l'expression de la position sociale de l'épouse ou de simples biens de prestige finalement peu utilisés (Daniel Roche), les objets et vêtements du trousseau sont en réalité une réserve d'argent immédiatement disponible pour les couples. Ces biens sont régulièrement laissés en gage auprès des banquiers du ghetto pour surmonter les difficultés économiques.

9 Selon l'auteure, l'utilisation des biens féminins ne relève pas de décisions unilatérales du mari, mais bien de négociations, de discussions et de compromis au sein du couple, et entre le couple et la famille de l'épouse.

10 Les trois derniers chapitres du livre sont consacrés au travail des femmes. En la matière, Béatrice Zucca Micheletto présente une étude très intéressante de la formation des femmes. Cet aspect est généralement ignoré des travaux historiques sans doute parce que les sources apparaissent très lacunaires à ce sujet.

11 Plutôt que d'apprentissage, l'auteure préfère parler des parcours de formation des femmes, qui s'avèrent bien moins formels que ceux des hommes. Leur formation résulte d'abord de la relation mère-fille, ou, à défaut, s'inscrit dans le tissu des liens de parenté ou d'amitié. Dès lors, l'auteure montre que l'accès à la formation s'avère plus difficile pour les jeunes femmes récemment arrivées des campagnes et qui sont plus fréquemment servantes qu'artisanes qualifiées.

12 Quant au travail des femmes mariées, s'il est parfois difficile d'en cerner les spécificités au sein de l'économie familiale, notamment parce que les sources tendent à le sous- estimer, il permet aux femmes d'acquérir une réelle autonomie juridique.

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13 Le livre montre surtout la collaboration et la complicité entre les époux, grâce à leur activité économique. Par exemple, des femmes choisissent d'assurer leur dot sur l'atelier commun afin de protéger l'activité du couple en cas de dettes et de saisie judiciaire.

14 Enfin, le dernier chapitre du livre précise que la maternité n'éloigne pas les mères du marché du travail. Dans un contexte économique caractérisé par la proto- industrialisation, certaines mères travaillent à domicile pour des marchands- entrepreneurs. Elles concilient ainsi travail salarié et soins des enfants. Mais cette flexibilité signifie aussi souvent précarité et exploitation pour ces femmes.

15 À cette occasion, Béatrice Zucca Micheletto souligne que c'est davantage auprès des institutions de charité qu'en s'appuyant sur la solidarité familiale (Peter Laslett) que les femmes trouvent une aide pour garder une activité professionnelle nécessaire à la survie de leur propre famille.

16 Ainsi, cette étude très précise, vivante et documentée, du travail des femmes et du rôle de leurs biens dans leur activité professionnelle, souligne l'action déterminante des femmes dans la survie de leur famille, notamment dans un contexte de crise. Par leurs biens, par leur aptitude à agir, elles ont maintes fois fait face au risque de déclassement des leurs. Elles en ont retiré une certaine autorité au sein du couple et de la famille élargie.

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