• Aucun résultat trouvé

BONTEMPS, LE JUIF ET LE CRIMINEL DE GUERRE

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "BONTEMPS, LE JUIF ET LE CRIMINEL DE GUERRE"

Copied!
25
0
0

Texte intégral

(1)
(2)

BONTEMPS, LE JUIF ET LE CRIMINEL

DE GUERRE

(3)

COLLECTION «BRIGADE ANTI-GANGS»

BONTEMPS À NEW YORK BONTEMPS ET LES CAÏDS BONTEMPS À HONG KONG BONTEMPS ET LE SADIQUE BONTEMPS ET LE JEUNE TUEUR BONTEMPS ET LA MINE D'EL PAPAYO BONTEMPS CONTRE LES ANTI-GANGS

(4)

AUGUSTE LE BRETON

BONTEMPS, LE JUIF

ET LE CRIMINEL DE GUERRE

PRESSES DE LA CITÉ PARIS

(5)

La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa premier de l'Article 40).

Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

© Auguste le Breton, 1983.

ISBN 2-258-01253-8 ISSN 0293-8146

(6)

A Michel, Annie et leur tribu.

En souvenir de la PUCE bourlingueuse.

(7)
(8)

CHAPITRE PREMIER

— Hello, Paul !

Le commissaire Paul Bontemps se retourna, un rien énervé. Il était en nage. La touffeur des Caraïbes après le froid de Paris venait de lui sauter à la face. Une chemise d'un bleu plus soutenu que son regard plaquait à son large dos et, à l'entrecuisse, son pantalon de gabardine également bleu, le gênait. Au milieu de ceux qui attendaient, il trouva vite son interpellateur et lui rendit son amical sourire. Samuel Lepeski était aussi grand, aussi puissant que lui et dépassait de la tête beaucoup de ceux qui composaient la foule bruyante, agglutinée au- delà des services douaniers. La peau archi- cuite, un tee-shirt blanc frappé d'un voilier et un bermuda vêtaient le juif polonais que chaus- saient des nu-pieds en lastex. Des lunettes fumées étaient remontées sur ses cheveux blonds cendrés, bouclés comme une toison de mouton. Il dégageait une sensation de force et attirait la sympathie.

Le fameux policier poussa son chariot à bagages devant lui et les douaniers, des Noirs,

(9)

lui firent signe de passer. Non qu'ils l'eussent reconnu mais vu que le Jumbo arrivait de France et qu'ici c'était la même police... Ce qui faisait que la douane... à part les gens douteux signalés de la capitale...

— Content de te recevoir Paul, fit Samuel Lepeski en allongeant sa large main. Ce voyage ?

— Bof, fit Bontemps en s'épongeant.

Le juif gloussa :

— Chaud, ici, hein ?

— Plutôt, admit le célèbre flic qui ruisselait. Mais il était heureux de se trouver en vacances loin du froid de Paris, de ses brigands et de ses intrigues. Il huma l'air de l'aéroport, balaya d'un œil professionnel les visages de ceux qui étaient venus chercher l'un des leurs et voulut empoigner sa valise. Mais déjà le dia- mantaire l'avait devancé, lui laissant juste son sac et son attaché-case.

— En route Paul, disait-il en précédant Bon- temps vers une voiture de location.

Peu après ils roulaient en direction des Trois- Ilets, sur une route goudronnée, bien entrete- nue. Palmiers, bananiers, bougainvillée annon- çaient les Tropiques et des robes de teintes radieuses égayaient le paysage. Bontemps dont le veston avait rejoint sur le siège arrière la pile de journaux qu'il avait apportés, lorgna son récent ami qui conduisait d'un doigt, une Lucky aux lèvres.

— Pas de regrets d'avoir abandonné les civi- lisés, Sam ?

(10)

Le juif gloussa et la cigarette dansa au coin de ses lèvres gourmandes.

— Franchement, non. Du moins pas encore.

Après tout ça ne fait que huit mois que je bourlingue.

— Et la famille ? Et le gosse ? Philippe ?

— Oh, Yvonne prend ça bien mieux que je ne l'aurais cru. Quant aux gosses, ça va aussi.

La fille...

— C'est à Philippe que je pense, le coupa Bontemps.

Son ami lui décocha un bref regard puis revint à la route. Il laissa couler du silence, lâcha enfin :

— Phil ça va aussi. Il s'adapte. Petit à petit je le rééquilibre.

Il cracha un brin de tabac blond, confessa :

— Je le malmène un peu, mais j'agis pour son bien.

— Il commence à oublier ?

— Oui, quoique, parfois... En tout cas, la nuit, ses cauchemars ont disparu.

— Déjà ça, apprécia Bontemps.

— Je crois que pour lui j'ai choisi la meil- leure solution, Paul.

— Je le crois aussi, admit le policier. Mais toutes les victimes de kidnapping ne peuvent agir comme toi. Heureusement que ton métier... ta situation...

— C'est vrai, reconnut Samuel Lepeski.

Heureusement que je suis indépendant et que mon beau-frère se charge de notre négoce.

Diamantaire rue Cadet, Samuel avait décidé de quitter la France, ses pollutions, et surtout

(11)

son atmosphère qui risquait de continuer à traumatiser Philippe, son aîné. Celui-ci, âgé de treize ans avait été enlevé avant la Noël 81, par une équipe de truands qui vu la position du père avaient escompté une forte rançon. Hélas pour eux, Bontemps et ses Anti-gangs s'étaient mis sur leur cuir. Un mois plus tard, à la suite de tractations aussi mystérieuses qu'interminables, Sam portait lui-même les sept cents millions anciens exigés, croyant avoir déjoué la surveil- lance des flics dont il faisait l'objet. Malheureu- sement il ne faisait pas le poids. Bontemps et ses gars ne l'avaient jamais quitté de vue. Dotés de gadgets ultra-sophistiqués, les redoutables traqueurs d'hommes ne lâchaient pas si facile- ment un objectif. D'autant que les directives des grands patrons et du ministre de l'Intérieur étaient de ne jamais céder à une demande de rançon. Bien joli tout ça, avait songé le diaman- taire, mais quand tel que lui on a l'un des siens entre les mains de bandits déterminés...

Aussi Sam avait-il voulu régler l'affaire en solo. Mais Bontemps et ses hommes, dans l'ombre, ne l'avaient pas lâché une seconde.

Tout avait fonctionné : tables d'écoutes, fila- tures, déguisements, voitures truquées... Tout aurait pu se dérouler au mieux, seulement une bavure... celle d'un jeune inspecteur trop fou- gueux... Jo le Dingue qui drivait l'équipe des kidnappeurs l'avait repéré derrière un remblai, non loin du croisement de routes où avait lieu le rendez-vous entre lui et le père du gosse. Alors, aussi sec, le bandit l'avait allumé au fusil à répétition. Manque de chance, c'était Sam lui-

(12)

même en surgissant qui avait reçu une balle dans l'épaule. Bontemps avait juré. Décidé- ment la bavure s'élargissait. Néanmoins il avait enlevé une fois de plus la partie. Quand Jo le Dingue après un demi-tour rapide avait foncé avec l'auto de ses équipiers dans la direction opposée, il s'était trouvé piégé comme un rat, en donnant du radiateur dans un barrage mis en place peu avant la rencontre par le chef opéra- tionnel de l'Anti-gang qui ainsi qu'à son habi- tude tâchait de prévoir au maximum ce qui pouvait survenir.

Coincé entre deux feux, car Bontemps et ses hommes l'avaient aussitôt pris en chasse, le Dingue et Marcel, l'un de ses équipiers, avaient été obligés de lever les bras. Oh ! l'interroga- toire n'avait pas traîné. Il avait eu lieu sur place.

A la seconde. Bontemps sans se soucier des gendarmes qui relevaient leur barrage avait ordonné au grand Patrick Lemaître et à Barani, deux des siens, d'enfourner Jo le Dingue dans une des fourgonnettes de la maréchaussée. Enfin il était revenu sur le petit Marcel de Clichy qu'il ne connaissait pas mais qu'il venait de juger en un éclair et qui était menotté, serré entre Octave Charrière, le Colosse de l'Anti-gang et Louis Cruséro, un autre de ses chasseurs de voyous. Il avait dégainé son Magnum 357 et lâché, brutal :

— Conduis-nous où est le gosse.

— Mais..., avait voulu balbutier le ravisseur.

Bontemps avait armé son pistolet.

— Je te flingue ici. A la seconde. Sur place.

(13)

— Mais... mais vous n'avez pas le droit ! Vous...

Bontemps avait levé son Magnum et en avait amené le canon à toucher le front du bandit.

— Le gosse ! avait grondé Bontemps. Le gosse ! Vite.

Le petit Marcel avait louché sur le canon, son œil avec horreur avait repéré l'index du célèbre flic qui commençait à appuyer sur la détente. Il n'allait tout de même pas le buter ce maudit flic ? Il n'en avait pas le droit ! Il y avait une justice en France, Dieu merci. L'autre forcené n'avait pas le droit. Il allait être obligé de... Puis l'œil paniqué de Marcel découvrit la face livide des deux policiers qui lui bloquaient les bras.

Parole, eux aussi semblaient horrifiés. A croire qu'ils ne savaient pas eux-mêmes si leur chef allait, oui ou non, commettre un meurtre déli- béré. Pour preuve, le Colosse qui le tenait et qui lâchait d'une voix blanche et rocailleuse.

— Patron, attention. Vous ne pouvez...

Mais Bontemps semblait lointain et ses yeux bleus braqués sur ceux du malfrat paraissaient voilés. Il se contenta de lâcher :

— Le gosse !

La sueur, la peur, submergèrent alors le ravisseur. Ses jambes flanchèrent. Tout avait été si rapide, si affolant... Et puis sur cette gâchette cet index qui frémissait... et sur ce visage qu'encadrait un collier de barbe blonde célèbre dans toute la France, se lisait une telle détermination...

— A dix kilomètres d'ici, laissa fuser de ses lèvres sèches Marcel, malgré lui.

(14)

Mais sur son front le froid du canon demeu- rait et sur la détente l'index frémissait toujours, annonçant la mort.

— Dans une maison abandonnée, ajouta tout à trac le kidnappeur. Fred qui le garde. — Quel Fred ?

La voix de Bontemps avait claqué, tel un ordre.

— Un ami.

Bontemps lui avait attrapé le menton de la main gauche, l'avait obligé à affronter son regard où venait de s'allumer un éclair de folie.

— Je vais te tuer, disait-il d'une voix sourde.

Fumier. Toucher à un gosse...

— Mais... mais..., souffla le truand, tant les yeux bleus vrillés dans les siens semblaient traduire un message de mort.

Sa propre mort, à lui, Marcel. Oh ! non ! Il ne voulait pas mourir. Pas comme ça. Ici. Sans que... Il cria, crut qu'il criait alors qu'il gémis- sait, à l'intention des deux Anti-gangs qui lui bloquaient toujours les bras.

— Mais empêchez-le! Mais... mais... mais... Le colosse Ardéchois et Louis Cruséro cru- rent bien eux aussi que leur chef allait tirer rien qu'à voir ses yeux bleutés où du gris brusque- ment dominait.

— Patron..., commença à s'inquiéter sérieu- sement le Colosse.

Mais Bontemps était loin. Au fait, jouait-il la comédie ou était-il sincère ? Il ne le savait plus lui-même. Une chose certaine et ça ses hommes le savaient, il haïssait les ravisseurs d'enfants. Il

(15)

répéta de sa voix qui donnait envie de rendre au truand.

— Je vais te buter si tu ne parles pas.

Et, sur la gâchette du lourd Magnum 357, son index...

— Non ! cria le kidnappeur. Non. Je...

— Alors où est le gosse ? lança Cruséro pour faire diversion, pour casser ce malaise qui le gagnait.

— Mais puisque je suis prêt à vous y conduire ! gémit le petit Marcel de Clichy.

Puisque... Je vous le jure !

Il en pleurait, tellement il devenait soudain sincère.

Bontemps reprit sa respiration et, le repous- sant rudement du bout de son canon qui s'im- prima dans la chair du front, il gronda :

— En route. Et si on récupère pas le gosse vivant, tu meurs.

Heureusement pour tous ils avaient récupéré l'enfant du diamantaire. Coopérant par frousse, le petit Marcel avait réussi à s'approcher de la baraque où ils détenaient le gosse captif et à amadouer Fred, son complice. Celui-ci, confiant, s'était avancé. Ah! ça n'avait pas traîné. Le colosse Ardéchois et Cruséro l'avaient ceinturé en un éclair et Bontemps avait découvert Philippe, le fils de Samuel Lepeski attaché à un lit-cage au sommier sor- dide et rouillé. D'ailleurs tout était sordide dans la cabane : la vieille cuisinière branlante, une espèce de matelas qui rendait l'âme, la cuvette et le broc ébréchés, la table et des assiettes sales. Pour trouver plus minable... Seuls dans le

(16)

décor une couverture et un édredon neufs juraient parmi cet écœurement. Amaigri, hâve, tremblant, apeuré, sous-alimenté, le gosse avait mal réalisé lorsque le patron de l'Anti-gang l'avait détaché. Bontemps avait dû agir avec doigté, ne pas brusquer. Et à voir les yeux affolés du gamin il avait su à la seconde que la reconversion serait longue et difficile.

— Ils t'ont frappé ? avait-il seulement demandé et d'une voix douce.

Le gamin avait jeté un regard sur ses tortion- naires, avait hésité puis en frôlant d'un doigt timide les ecchymoses de sa joue droite. — Ben...

Il n'avait pas été plus loin, comme paralysé par la présence de ses ravisseurs. Bontemps avait pivoté sur lui-même et son bras gauche s'était détendu. Férocement. Cueilli de plein fouet, Fred un malfrat trapu et dur qui ne relevait pas la tête de ses menottes avait basculé en arrière et roulé au pied de la cuisinière branlante.

La suite n'était pas encore réglée. Le procès était pour dans plusieurs mois. Mais le score allait s'annoncer lourd. Rapt d'enfant, coups, menaces... L'addition serait sévère. Mais aux yeux de Samuel Lepeski elle ne réglerait pas la note. La sienne. Ou plutôt celle de son fils. Car ce dernier probablement se souviendrait tou- jours de son drame. C'était pour tenter de l'en sortir que le diamantaire avait fait bâtir à Londres un catamaran, un Solaris de douze mètres soixante de long sur cinq mètres soixante de large. Un bel engin. Passionné de la

(17)

voile, ayant déjà navigué mais seulement à l'époque des grandes vacances avec tous les siens, Samuel avait décidé de larguer la vie ordinaire durant le temps qu'il lui faudrait pour rééquilibrer son garçon. Et s'il fallait des années, il était décidé à bourlinguer des années, estimant que la santé morale de Philippe était prioritaire sur le reste. Et puis n'assouvissait-il un peu par la même occasion un de ses vieux rêves?

C'est à la suite du rapt et de l'intervention du commissaire Paul Bontemps que ce dernier s'était lié avec le diamantaire. Samuel Lepeski avait appris par la presse, d'abord, puis par les hommes du commissaire, la façon dont ce der- nier avait forcé la main au petit Marcel pour pouvoir voler au secours de son fils. Certains journaux avaient hurlé, crié à la folie, dénoncé ce qu'ils nommaient la sauvagerie du patron de l'Anti-gangs. Celui-ci avait haussé les épaules et laissé piailler. Ses chefs avaient pour la forme fait allusion à son attitude féroce, mais à leurs yeux le résultat primait, le gosse était libre et, à part la blessure heureusement peu grave du diamantaire, il n'y avait pas eu de bobo.

Aussi... le reste... les états d'âme de certains journalistes...

C'était rare que Bontemps devienne ami avec ceux qu'il sauvait. En général les victimes tenaient à le voir, une fois sur deux, le remer- ciaient, l'invitaient à déjeuner, ce qu'il refusait la plupart du temps, puis l'oubliaient. Ainsi allaient les choses. Pour Lepeski ça n'avait pas été pareil. L'homme offrait une reconnaissance

(18)

sincère et petit à petit, quasiment inconsciem- ment, lui et le commissaire étaient devenus très copains. Peut-être cela tenait-il à ce que Bon- temps s'était beaucoup inquiété de l'état mental du gosse? Alors une invitation d'un côté, une politesse rendue par le commissaire de l'autre, cela avait créé des liens et depuis...

Samuel, évitant l'hôtel Méridien qui dressait son luxe touristique aux Trois-Ilets, bifurqua et stoppa non loin d'un grillage qui protégeait les bateaux ancrés dans la marina. Les mâts dressés vers le ciel bleu où flottaient des nuages pâles offraient des pavillons de toutes nations ou tout de même celui de la France, dominait.

Descendu de voiture, Samuel désigna l'endroit d'un geste large.

— Nous sommes venus relâcher ici pour t'attendre mais nous ne traînerons pas. Je doute qu'ici ça te plaise longtemps. Trop vacancier.

Trop statique.

Bontemps qui l'avait rejoint laissa errer son attention sur les gens qui, en tenue légère, allaient et venaient. Il y avait de tout. Des jeunes, des moins, des ventrus, des maigres, pas mal de filles aux seins nus et tous arboraient, peut-être sans le rechercher, des allures de bourlingueurs. Beaucoup briquaient leur voi- lier, faisaient leur lessive, houspillaient leurs gosses qui cavalaient en tous sens en lançant leurs cris de jeunesse vers le ciel, heureux d'être enfin libérés de la contrainte du pont d'un bateau. Serrés à se toucher, voiliers, monoco- ques, yachts, semblaient plantés sur une eau souillée, tel un refus de reprendre la mer.

(19)

Pourtant beaucoup, les vrais mordus, la repre- naient, en revanche d'autres... les sans moyens, les sans revenus... ceux qui avaient voulu s'éva- der de France pour la plupart, et échapper au métro, boulot, dodo des grandes cités... Alors, amoureux de la voile ils avaient économisé, investi le petit héritage dans un rêve de grand navigant, de tempêtes affrontées, de mers vain- cues. Puis pour finir, amollis par les Tropiques, la vie farniente, refusant les grandes responsa- bilités du quotidien en se réfugiant derrière la façade des espaces libres, ils avaient fini par se résoudre et avaient planté leur tente là. Dans cette marina que cernaient des cubes de mai- sons de trois, quatre étages, des hôtels, des bars, des restaurants, le tout plus ou moins niché dans des palmiers et la verdure tropicale.

Ce qu'expliquait Samuel en se chargeant de la valise et du sac du commissaire à qui il ajoutait :

— On te montre un peu les environs, puis on fait le plein d'eau et de mazout, on regarni la cambuse et on lève l'ancre. D'accord, Paul?

— Toi qui décides, sourit Bontemps, son attaché-case et la pile de journaux à la main. Portant sac et valise sans effort, le diaman- taire le précéda vers l'alignée de bateaux. Après avoir emprunté une jetée cimentée qui semblait s'enfoncer entre les voiliers au repos, il s'immo- bilisa devant un Solaris, un superbe catamaran qu'une planche jetée en travers l'eau reliait à la jetée.

— Et voici Remember, présenta-t-il avec orgueil, en l'indiquant du menton à Bontemps.

Oh ! Yvonne !

(20)

Yvonne Lepeski jaillit de l'intérieur du bateau et ses yeux d'un marron clair s'éclairè- rent à la vue du fameux policier.

— Bonjour Paul, lança-t-elle.

Elle avait dans les trente-cinq ans, était blonde cendrée, mince, nerveuse, merveilleuse- ment proportionnée et ses seins nus restaient fermes et beaux en dépit de deux maternités qui leur avaient donné leur plénitude. Un slip vert d'eau minuscule voilait son sexe. Elle franchit la planche d'un bond et enlaça Bontemps.

— Heureuse de vous recevoir à bord, Paul.

J'espère que vous allez faire un beau voyage.

— Et les gosses ? s'enquit Bontemps.

Elle eut un geste ample de son bras nu et ses seins bougèrent.

— A jouer par là avec d'autres enfants. C'est normal qu'ils en profitent, excusa-t-elle. A bord quand nous naviguons, l'espace leur est compté.

Alors que Bontemps, après avoir franchi la passerelle, s'apprêtait à suivre son hôte, ce dernier se retourna.

— Tes chaussures, Paul.

Bontemps s'exécuta en souriant. Il aurait dû se souvenir. Sur ce genre de bateau neuf, merveilleusement entretenu, où tout avait sa place, on ne circulait que pieds nus ou en chaussettes. Pour ne pas rayer le pont ou pour ne pas glisser.

Laissant ses boots, il rejoignit Samuel en se baissant pour franchir une porte à deux battants et tomba dans un carré lambrissé où là encore tout était calculé pour gagner de la surface. Une table en bois poli, dont les bords étaient relevés,

(21)

était cernée par de larges banquettes, style Chesterfield, que recouvraient des coussins fonctionnels sur trois côtés. Dossiers et sièges étaient matelassés d'un beau cuir noir. Dans leurs niches de bois rare, des livres d'aventures et de navigation étaient coincés les uns contre les autres, leurs tranches laissant voir les noms de Monfreid, Tabarly, etc. Une lampe de cuivre à abat-jour circulaire de teinte verte était fixée solidement contre un montant également d'un joli cuivre. L'ensemble de la décoration indi- quait par son luxe et sa solidité le style anglais, lieu où avait été construit le bateau qu'on sentait bâti pour durer et résister aux aléas de la mer.

— Voici ta cabine, Paul ! alerta à haute voix Samuel Lepeski.

Bontemps manqua donner du front dans une porte dont le haut se découpait en demi-lune, laissant sur sa gauche une cuisine minuscule mais dotée de tout le confort. Il traversa une douche avec lavabo et découvrit Samuel dont la masse bouchait en partie une cabine. Là encore, tout était restreint mais pratique. Un lit à deux places sur lequel étaient posés son sac et sa valise mangeait quasi toute la surface. Une table minuscule du même bois rare que le reste du bateau était fixée dans un angle et des casiers servaient de cloison.

— Installe-toi et mets-toi à l'aise, conseilla Samuel à son invité, en lui laissant la place. Tu as faim ? Soif ?

— Ma foi, une bière...

(22)

— Yvonne ! Prépare deux bières, cria Samuel.

— Le temps de me changer et je te rejoins, jeta le nouvel arrivant en défaisant les courroies de son sac.

La pile des revues sous le bras, Samuel Lepeski remonta à l'air libre. Bontemps se retrouva vite en jean, pieds et torse nus. Il débouchait sur le pont étincelant de blancheur, où tout était blanc, les mâts, les agrès, les voiles enroulées, la table fixe et la cabine de pilotage, quand un juron l'accueillit.

— Merde ! Moi qui croyais...

Samuel qui lui aussi s'était débarrassé de ses vêtements et restait en slip de bain, brandissait Paris-Match vers Yvonne qui venait de poser deux bières devant lui sur la table d'un blanc cru et lisse que bordaient, parallèles, deux bancs pris dans la masse du bateau.

La jeune femme demeura l'œil interrogateur.

— Karl Fulberg se serait échappé, la rensei- gna son mari d'une voix sourde.

Bontemps enregistra sous les mots un regret immense et de la haine. Lui connaissait la nouvelle pour l'avoir lue dans l'avion, que le criminel de guerre, aidé par les généraux boli- viens avec qui il avait magouillé, avait réussi à fuir. Toute la presse mondiale depuis l'avant- veille au soir en parlait. Agé de soixante et onze ans, ancien chef de la Gestapo de Marseille, réfugié depuis 1946 en Sud-Amérique, le nazi avait échappé à la justice française à qui il devait des comptes et qui l'avait condamné à mort par contumace. On lui imputait des dépor-

(23)

tations massives de résistants et de juifs, des massacres de femmes et d'enfants et jusqu'à des exécutions de sa main. Son capital de détresse, de sang, de larmes et de mort était lourd. Mais il avait réussi à échapper à toutes les demandes d'extradition. Reconnu, débusqué en 1972 par des traqueurs de nazis, il était parvenu depuis des années à éviter d'aller rendre ses comptes à la justice française. Il est vrai que tout l'avait servi ! Bien introduit dans les juntes qui s'étaient succédé en Bolivie, organisateur né ainsi que beaucoup de ceux de sa race, efficace, intelligent et doté d'énormes moyens financiers, il s'était rendu quasi indispensable. On lui imputait également d'être devenu l'un des gros du trafic de la coke et de la marimba avec la bénédiction de ceux qu'il servait et aidait de ses conseils. Hélas pour lui, son étoile avait pâli car son pays d'adoption avait brusquement décidé de la laisser tomber sans ambages, ce qui faisait que la demande d'extradition à son égard avait été accordée au gouvernement français. Contre quoi ? On contait que des milliards avaient été versés à la nouvelle Bolivie contre la peau de Fulberg. Vrai ? Faux ? On contait aussi que tout ceci était une manœuvre politique, car les socialistes français au pouvoir avaient besoin pour des élections à venir de récupérer l'électo- rat juif qu'ils avaient en partie perdu rapport au massacre de la rue des Rosiers, où des déments avaient, à l'heure du déjeuner au célèbre res- taurant Goldenberg, massacré femmes et hommes dans un geste monstrueux que nulle

(24)

Le juif polonais Jança un bout de filin au naufragé en train de se débattre dans la mer déchaînée. L'homme s'y cramponna à deux mains avec toute la frénésie que donne l'envie de vivre. - Non !

Le juif polonais se retourna. Yvonne, sa fem- me, se dressait devant lui, l'œil noir.

- Et ceux de Varsovie, ils ont eu cette chance ? Ceux de Buchenwald, d'Auschwitz, est-ce qu'ils s'en sont sortis ? Dis, leur a-t-on donné une dernière chance ?

(25)

Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement

sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire qui a servi à la numérisation.

Cette édition numérique a été fabriquée par la société FeniXX au format PDF.

La couverture reproduit celle du livre original conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

*

La société FeniXX diffuse cette édition numérique en accord avec l’éditeur du livre original, qui dispose d’une licence exclusive confiée par la Sofia

‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒ dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.

Références

Documents relatifs

4.1 - FORMATIONS DE LA DIRECTION DE LA DEFENSE ET DE LA SECURITE CIVILES A la date de parution du présent guide national de référence, les sapeurs-pompiers ou les militaires de la

[r]

2/Pour trouver le verbe conjugué, on peut changer le temps de conjugaison dans la phrase. Exemple : J'ai acheté des carottes, des huîtres et des bananes

Exceptions : des pneus, des bleus Les noms terminés par ou ont leur pluriel en

Exceptions : bail, émail, corail, soupirail, travail, vitrail, vantail font leur pluriel en aux. Les noms terminés par x, s ou z ne changent pas au pluriel

Portés par le penchant communiste à réécrire l'histoire en fonction d'une nouvelle situation politique, les Chinois ne choisiront pas 1958 comme l'année initiale de leur désaccord

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des

 Physiquement  d'abord,  mais  aussi