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Texte intégral

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Sorbonne

2003 N° Bibliothèque :

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THÈSE

pour obtenir le grade de

DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS I Discipline : Géographie

présentée et soutenue publiquement par Olivier ORAIN

le 5 décembre 2003

Le plain-pied du monde

Postures épistémologiques et pratiques d’écriture dans la géographie française

au XX

e

siècle

Sous la direction de :

Mme Marie-Claire ROBIC

DIRECTEURDE RECHERCHES AU CNRS, PARIS, UMR 8504 GÉOGRAPHIE- CITÉS

JURY

M. Jean-Michel BERTHELOT, professeur, université de Paris IV

M. BERNARD DEBARBIEUX, PROFESSEUR, UNIVERSITÉ DE GENÈVE

M. Robert MARCONIS, professeur, université de Toulouse II

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Mme Paule PETITIER, professeur, université de Paris VII

M. Jean-Louis TISSIER, professeur,

université de Paris I

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Remerciements

Trois personnes ont joué un rôle décisif dans la mise à bien de ce travail : Marie-Claire Robic, qui durant onze ans n’a jamais ménagé son temps, ses encouragements, ses conseils ; Marie-Pierre Sol, qui depuis quatre ans est une interlocutrice de tous les instants et m’a énormément soutenu dans le galop final ; Claire Orain, qui m’a fait profiter de ses jugements avertis sur mes spéculations poéticiennes, outre qu’elle a été mon soutien tout au long de ces années. Il me faudrait aussi mentionner ceux qui ont prêté une oreille attentive aux tâtons successifs qui ont jalonné l’hypo-thèse : Nicole et Michel Roux, Emmanuel Meillan, Mélanie Foulon.

Je voudrais aussi remercier tous mes camarades de l’équipe Épistémologie et histoire de la géographie (E.H.GO), pour leur écoute et leurs conseils avisés lors de mes interventions en séminaire. Ce soutien a été précieux durant ces dernières années, avec une adresse particulière à Micheline Roumegous. À l’occasion de ces voyages parisiens, j’ai usé et abusé de l’hospitalité de Renaud Orain et Nathalie Joubert, Laure et Michel Cellié, Helmi Borel et Michel Lurat, Carole et Philippe Petit, Guillaume et Céline Morel.

J’aurais mauvaise grâce d’oublier mes collègues de l’université de Toulouse-Le Mirail, qui m’ont accueilli en 1996 et m’ont procuré une liberté pédagogique formidable, grâce à laquelle j’ai pu étoffer mes curiosités géographiques tout en enseignant sur un poste de PRAG. Dans ce contexte, des promotions d’étudiants ont été les premières

« victimes » de mes interprétations de la littérature disciplinaire, public dont les attentes de clarté ont été un précieux modérateur.

La section 39 du CNRS, en m’accueillant en détachement, m’a permis d’achever cette thèse dans des conditions idéales. Léna Sanders a beaucoup bataillé pour que j’obtienne une troisième année, ce dont je lui suis grandement redevable.

Cette thèse n’aurait jamais vu le jour sans l’intervention de quelques anges gardiens qu’il me faut citer pour rendre hommage à leurs soins : les équipes du centre des Peupliers (Paris) et de l’institut Claudius- Regaud (Toulouse), Nicole Le Leyour-Carlier, Jacques Bataille, Nicolas Colbert, Hélène Chiavassa, Henri Roché, Corinne Sarda, Jean-Pierre Suspène, Joseph Makdessi, Pascale Rivieira, Corinne Ourliac, Martine Delannes, Loïc Mourey, François Olivier, Laurent Brouchet, sans oublier tous ceux avec lesquels je n’ai pas eu de contact direct, mais qui ont contribué à rendre les combats efficaces. Merci aussi tout particulièrement à Martine Dupuy et Yves Ellul.

C’est insolite peut-être, mais je voudrais remercier quelques-uns des commensaux qui m’ont rendu les touches de clavier plus douces : Stephen Duffy, Caetano Veloso, Beth Gibbons, Polly Jean Harvey, Patti Smith, Henk Hofstede, Neil Hannon, Elliott Smith, Rufus Wainwright,

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Abdullah Ibrahim, Margareth Price et, last but not least, le regretté Iacha Horenstein.

Mes beaux-parents, Christian et Martine Fouanon, ont été un soutien précieux durant toutes ces années. En particulier, disposer à demeure de l’intégrale de la Géographie universelle des années 30 fut d’un grand confort.

Ella et Dominique Orain savent et ne savent pas tout ce dont je leur suis redevable, à commencer par le plus précieux : une certaine façon d’aborder le monde. Il y aurait tout le reste, mais ce sont là affaires privées.

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- Dans votre roman Feu pâle, un des personnages dit que la réalité n'est ni le sujet ni l'objet de l'art authentique qui crée sa propre réalité. Quelle est cette réalité ? - La réalité est une chose très subjective. Je ne peux la définir que comme une accumulation graduelle de l'information, comme une spécialisation. Si nous prenons un lys, ou tout autre objet naturel, un lys a plus de réalité pour un naturaliste que pour un profane, mais il a encore plus de réalité pour un botaniste. Et le botaniste spécialisé dans les lys parvient à un stade plus élevé encore de la réalité. Vous pouvez vous approcher constamment de la réalité, pour ainsi dire, mais vous ne serez jamais assez près, car la réalité est une succession infinie d'étapes, de niveaux de perception, de doubles fonds, et par conséquent elle est inextinguible, inaccessible. Vous pouvez connaître une chose de mieux en mieux, mais jamais vous ne saurez tout sur cette chose : c'est sans espoir.

Vladimir Nabokov, entretien avec Peter Duvall-Smith et Christopher Burstall, publié dans Strong Opinions, trad. fr. : Parti-pris, Paris, Robert Laffont, 1999, p. 17.

Mais l’abondance des significations encloses dans chaque phénomène de l’esprit exige de celui qui les reçoit, pour se dévoiler, cette spontanéité de l’imagination subjective pourchassée au nom de la discipline objective. L’interprétation ne peut pas faire ressortir ce qu’elle n’aurait pas en même temps introduit. Ses critères, c’est la compatibilité de l’interprétation avec le texte et avec elle-même, et sa capacité de faire parler tous ensemble les éléments de l’objet.

Theodor Wiesengrund Adorno, « L’essai comme forme », Notes sur la littérature [trad. S. Muller], Paris, Flammarion, 1984, p. 7.

L’art forme l’œil et l’oreille avec lesquels nous percevons cette réalité crue d’où nous disons pourtant l’art détaché. Un homme sans culture visuelle ne voit rien.

Tony Duvert, Abécédaire malveillant, Paris, Minuit, 1989, p. 16.

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Introduction

Régulièrement, depuis une trentaine d’années au moins, il est de bon ton de déplorer la faiblesse épistémologique de la géographie.

« Discipline qui ne se définit pas », lit-on encore parfois, en une formule d’une ambiguïté remarquable, puisqu’elle peut se comprendre aussi bien comme une critique que comme une fuite en avant. Pourtant, il n’est pas de décennie depuis le début du XXe siècle qui n’ait vu la publication de textes réflexifs de natures diverses : manifestes, essais, Principes, traités, recelant, à la marge parfois, notations et ébauches sur les pratiques légitimes ou légitimantes de la discipline. Et depuis que le thème des carences est devenu une antienne, c’est une véritable floraison. Certes, le style de ces interventions peut sembler éloigné d’une épistémologie canonique, directement inspirée d’un art d’écrire que l’on pourrait qualifier cavalièrement de philosophique. On pourrait aussi leur reprocher une certaine instrumentalisation de l’épistémologie, au motif qu’elles véhiculent la plupart du temps une certaine idée de la discipline, une orientation, voire une idéologie. Mais en va-t-il autrement lorsqu’un Raymond Boudon écrit un Traité de sociologie ou que d’autres tentent de circonscrire Le métier de sociologue ? Se pose alors le problème des différences entre une perspective « opératoire », et une autre qui serait davantage « historique », pour reprendre une distinction qui avait cours dans les années 1960. Et partout, pas seulement en géographie, la première domine, quand bien même l’autre s’essaie, depuis quelques décennies, à exister. Signal de l’essor tardif de celle-ci, la Société française pour l’histoire des sciences de l’homme (SFHSH) n’existe que depuis les années 1980. Et les géographes en sont depuis les débuts.

Une autre hypothèque, plus sérieuse, pèse sur la géo-graphie, pendant de l’historiographie : comme le reste de la production disciplinaire, faute d’un marché plus vaste que le public des géographes (et des étudiants en histoire), elle a été largement confinée dans l’univers des manuels, cédant parfois aux facilités du didactisme au détriment de spéculations plus aventurées ou plus techniques. Pourtant, le premier Guide de l’étudiant en géographie d’André Cholley, publié en 1942, est l’un des textes les plus âpres et les plus innovants de la géographie que l’on dit « classique », et il n’est pas certain que la pensée réflexive d’un Pierre George, déployée dans les années 1960 notamment au travers d’ouvrages figurant au catalogue des Presses universitaires de France (collections « Que Sais-je ? », « "Sup" Le géographe »), ait revêtu une lisibilité autre que superficielle pour le public étudiant. L’effort intense, encore que diffus, déployé par des dizaines d’auteurs depuis quelques décennies, n’a pas débouché quant à lui sur la publication de manuels épistémologiques au sens strict, alors même que ceux existant peuvent susciter la controverse : le Qu’est-ce que la géographie ? (Hachette, 1994) de Jacques Scheibling a été vertement critiqué par Henri Reymond dans un numéro de l’Espace géographique1, tandis que Robert Marconis

1 H. Reymond, « Défense et illustration d’une géographie didactique universitaire. À propos du livre de J. Scheibling, Qu’est-ce que la géographie ? », L’Espace géographique, XXVI, 1996, n° 1, p.

3-21.

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se voyait reprocher dans les Annales de géographie d’avoir trop parlé de

« géographie marxiste » dans son Introduction à la géographie (Armand Colin, 1996)2. Quoi que l’on puisse penser de ces arraisonnements, ils témoignent du caractère relatif des frontières entre l’essai et le manuel, dans une discipline où le premier ressemble parfois fortement au second, et inversement… Quand Claude Bataillon publie Pour la géographie aux éditions Flammarion (1999), il l’agrémente de nombreux documents à visée illustrative, pour ne pas dire pédagogique : textes, cartes, schémas, légendés à la manière d’un ouvrage d’initiation. Pareillement, dans Espace, temps, complexité. Vers une métagéographie (2001), publié dans

« Géographiques », une collection dédiée à l’essai, Charles-Pierre Péguy se mue bien souvent en médiateur patient et attentif au chevet d’un lecteur supposé de bonne volonté mais quelque peu novice. À l’inverse, le grand œuvre de Philippe et Geneviève Pinchemel, La Face de la terre, a été publié dans la collection « U », chez Armand Colin, en 1988, alors qu’il s’agit de bien plus qu’un livre de vulgarisation, d’une véritable théorie de la géographie, reprenant et amplifiant vingt ans de réflexion.

Par delà les genres supposés, on en revient finalement toujours à une question d’écriture. La production réflexive des géographes, à quelques exceptions récentes, est marquée par le souci de ne pas rebuter un lectorat que l’on suppose d’emblée réticent aux jargons et peu au fait des développements théoriques. Le pédagogue perce toujours sous l’armure du théoricien. « Faut-il s’en plaindre ? », pourra-t-on objecter ?

Pendant de nombreuses décennies, et au moins jusque dans les années 1980, une des convictions les mieux partagées a voulu que l’introspection disciplinaire fût un privilège exclusif de l’expérience, sinon de l’âge. Au terme d’une riche carrière, au soir de sa vie, le géographe avait tout loisir de méditer sur l’essence de sa science et sur sa sagesse profonde, afin de communiquer aux nouvelles générations le fruit de son expérience. Les exemples donnés par Maximilien Sorre, Henri Baulig ou André Meynier ont largement accrédité cette image d’Épinal. Cette position, largement explicite mais rarement discutée, avait un sous-jacent inductif et légitimiste : une telle expérience rétrospective ne pouvait pas, ne voulait pas, sauf cas exceptionnel, déboucher sur une remise en cause de la science « normale » ; et elle reposait sur une sédimentation de pratiques et de réflexions dont la généralisation en « principes » ne pouvait être opérée qu’à posteriori. Par ailleurs, il s’agissait d’une entreprise à tout le moins endogène et pointilliste : endogène, ou

« internaliste », parce que insoucieuse de se situer par rapport aux discours dominants sur la science — quand bien même elle s’y référait implicitement, voire même explicitement ; pointilliste de par une énonciation en touches successives ou esquisses, sans intention de produire un système théorique de la géographie. Enfin, il ne pouvait être question d’y ressourcer une langue stratifiée par des décennies de pratique et vouant à l’interdit les néologismes et autres méfaits de la langue jargonnante.

2 M. Chevalier, « Introduction à la géographie ou théorie de la géographie ? », Annales de géographie, n° 596, 1997, p. 429-430. Au demeurant, le manuel de R. Marconis est assez polémique, notamment à l’encontre des conceptions historiographiques expéditives d’un Jean- Robert Pitte (cf. p. 170 de l’édition de 1996).

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Tout ceci a commencé à changer dans les années 1960, lorsque des économistes (François Perroux, Jacques-René Boudeville) ont prétendu dire le droit sur ce qu’était « l’espace des géographes », et, surtout à la fin de la décennie, lorsque se sont multipliées les critiques extérieures3 (de sociologues, de philosophes, d’historiens…). Un peu avant avait été publié le volume Logique et connaissance scientifique de la prestigieuse encyclopédie de la Pléiade (1967) sous la direction de Jean Piaget, dont la géographie est cruellement absente. Digérer ce qui était ressenti comme un ostracisme a pris longtemps, a beaucoup servi, a suscité d’innombrables commentaires. Nombreux sont ceux qui en ont tiré les leçons ou y ont trouvé une justification pour injecter dans la discipline des références épistémologiques : Gaston Bachelard, Louis Althusser et J.

Piaget dans les années 1970, Karl Popper ou Thomas Kuhn dans les années 1980 (rarement avant), Paul Ricœur, Bruno Latour ou Luc Boltanski et Laurent Thévenot plus récemment. Grâce à cela, depuis une trentaine d’années, l’épistémologie des géographes, entendue au sens large de discours sur les garanties scientifiques de la discipline, n’est plus une réflexion en vase clos. Pour autant, on ne saurait dire que la plupart de ceux qui s’adonnent à cet exercice l’ont fait dans la perspective d’acquérir là une spécialité : ils mobilisent un certain nombre de références dans une perspective de (re)construction du champ dans lequel ils interviennent, avec un souci de rigueur, mais sans curiosité obligatoirement systématique pour les différents domaines connexes des science studies4. En général, ce style épistémologique finalise les références mobilisées en fonction d’une recherche inscrite dans un champ empirique. Cela n’a rien d’infamant ou de condamnable, bien au contraire, et il en va de même ailleurs, majoritairement.

Simplement, bon nombre d’auteurs qui mentionnent tel ou tel discours allogène procèdent davantage par greffe que par hybridation, laissant un certain jeu s’installer entre les principes normatifs auxquels ils se réfèrent et la géographie (ou le sous-champ), récipiendaire d’un happening théorique dont les attendus sont plus escomptés qu’effectués.

Sur un plan global, il y avait déjà de cela dans La géographie, méthodes et perspectives de Jacqueline Beaujeu-Garnier (1971) ou dans l’article d’Hubert Béguin, « La théorie dans la démarche géographique » (1985), résumé à visée doctrinale d’une vulgate poppérienne, sans parler des prétentions assertives de la chorématique à la « falsifiabilité ». Et l’on retrouve une configuration similaire dans le très récent Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés dirigé par Jacques Lévy et Michel Lussault (2003), ouvert à tous les grands débats contemporains des sciences sociales, mais qui s’abstient trop souvent de penser leur incidence en géographie. L’extériorité se manifeste aussi souvent dans une certaine écriture de la greffe, pédagogique, voire didactique, soucieuse d’une certaine ligne claire dans la formulation (afin de ménager un lectorat hostile au jargon ?), mais réalisant ainsi la perpétuation objective des valeurs classiques de la géographie en

3 On trouvera une revue précoce de celles-ci dans La géographie entre le mythe et la science d’Alain Reynaud, Reims, TIGR, n° 18-19, 1974, p. 5-7.

4 Dans lesquelles on engloberait l’histoire, la sociologie et la philosophie des sciences, et les controverses publiques sur la scientificité et l’intelligibilité du réel.

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matière d’écriture, quand bien même ce choix renforcerait le particularisme de la littérature réflexive, connotant un aspect inabouti par un pur effet de forme. L’un des rares contre-exemples parmi tous les épistémologues « opératoires » serait Claude Raffestin, qui s’est efforcé depuis trente ans de mettre en résonance réflexion interne et références externes, même si c’est sur un plan presque exclusivement « méta- théorique », comme il pourrait le dire lui-même, et au prix d’une réputation d’auteur « difficile ».

Statut d’extériorité des discours épistémologiques, présentation pédagogique, disjonction entre l’intention exprimée et le résultat escompté : voilà peut-être quelques uns des ingrédients qui fondent ce sentiment si récurrent d’une discipline étrangère aux pratiques épistémologiques, alors même qu’elle produit son lot quotidien de méta- discours. L’essentiel est sans doute affaire formelle, mais ne s’y réduit pas. Il en va de l’épistémologie « générale » (si ce n’est pas une chimère) comme de tout idiome : ne pas s’immerger dedans ou tenir sa langue revient à traduire inlassablement, non pas pour « déplacer » (comme dirait Michel Callon5) mais pour relier deux « mondes », en une éreintante navette qui ne tisse qu’en lisière. À l’inverse, face à ces difficultés très honorables et parfois heuristiques, la tentation du name dropping6 (et ses avatars conceptuels) apparaît comme une dérive passablement dangereuse des systèmes actuels de distinction — sinon d’évaluation — universitaire, qui ont érigé le mot (« territoire »,

« acteur », « corps », etc., pour ce qui concerne la géographie) ou la référence (de préférence à la mode, Heidegger plutôt que Sartre, Guy Di Méo ou Augustin Berque plutôt qu’Henri Reymond…) en fétiche, au détriment d’instances d’énonciation/justification plus longues et laborieuses : le paragraphe, le texte, la preuve… L’épistémologie historique peut-elle prétendre échapper à tous ces écueils ? Il importe de préciser que la distinction entre deux épistémologies, commode jusqu’à un certain point, ne constitue pas une dichotomie que l’on pourrait absolutiser, dans la mesure où chacun peut, à tout moment, pencher vers l’approfondissement d’une démarche de compréhension ou au contraire tendre vers une lecture actualisante, filtrante et/ou normative.

Encore faut-il préciser davantage ce que l’on définit par le label d’« épistémologie historique ». D’une manière générale, nous entendons par là un projet d’interprétation rétrospective qui ne pose pas la question de la valeur de vérité intrinsèque d’un discours, d’une école, d’un programme de recherche, partant réactualisable, mais s’intéresse plutôt aux diverses opérations, sociales, cognitives, rationalisantes, formalisantes, qui les constituent : ce que certains ont joliment appelé

« la fabrique de la science »7. Une hypothèque sérieuse a longtemps pesé sur ses positions heuristiques : comme elle se refusait à porter un regard normatif sur la valeur de vérité de ses objets, certains philosophes des

5 M. Callon, « Éléments pour une sociologie de la traduction. La domestication des coquilles Saint- Jacques et des marins pêcheurs dans la baie de Saint-Brieuc », L’Année sociologique, 1986, p.

169-208.

6 Exercice de distinction mondaine consistant à faire état en un temps restreint de toutes les personnes connues que l’on prétend fréquenter ou connaître.

7 « La fabrique des sciences sociales. Lectures d’une écriture », Espaces-Temps, n° 47-48, 1991.

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sciences lui ont accolé l’adjectif infamant de « relativiste », considérant implicitement qu’une posture épistémologique avait forcément une signification métaphysique profonde. Une telle mésaventure a lourdement frappé Thomas Kuhn après la publication de La structure des révolutions scientifiques ou David Bloor et Barry Barnes, dont le projet de traitement symétrique des théories scientifiques reçues ou rejetées a été lu comme un déni de toute vérité scientifique. Dans le domaine de la géographie, il est encore des plumes brillantes pour reproduire rituellement le parricide de « Vidal », géniteur d’un « paradigme mort- né »8 et s’offusquer de ce que certains puissent continuer à consacrer du temps et de l’ingéniosité au « marais théorique » de « l’école française », dès lors rangés dans le même sac que les « thuriféraires »9 effectivement nostalgiques du « bon vieux temps »10. Rien de plus difficile que de rendre légitime auprès d’acteurs positionnés dans le présent un effort de neutralité axiologique facilement assimilé à la vieille objectivité, et partant suspect d’irénisme, voire de conservatisme rampant.

Ce point nous semble capital et justiciable d’explications. Contre cette sorte de critique, nous mettrions volontiers en avant ce que Hilary Putnam appelle le « principe de charité », qui nous semble consubstantiel au type d’entreprise dont nous parlons (pour nous en revendiquer) : il consiste à présupposer du sens plein, de la cohérence et des systèmes de justification et de preuve dans une archive quelconque, que l’on se propose de comprendre. Ce mot très opaque en appelle à une double interrogation : sémantique et architectonique. La première engage une approche des significations qui ne suppose aucune invariance du sens d’un mot mais au contraire s’acharne à faire des conjectures in situ sur un sens réfléchi par l’environnement constitué par la phrase, le texte, le corpus, l’époque, au risque parfois de ne pas en trouver ou d’en trouver trop. Les stratégies générées sont de traduction (proposer des équivalents qui actualisent et précisent la signification) et de démarquage11 (reprise mimétique des termes pour les faire résonner ensemble). Mais il ne peut être question de s’arrêter à la sémantique, même si celle-ci constitue parfois un préalable nécessaire. Bien plus, il s’agit au-delà d’examiner des systèmes de figuration beaucoup plus sophistiqués, rendant intelligibles des objets divers et essayant d’accréditer plus ou moins vigoureusement leur stabilité (pour ne pas parler de vérité ou de réalité).

Ceci suppose une immersion suffisamment durable dans un (ou plusieurs) corpus pour permettre de s’y mouvoir sans entraves, en s’efforçant autant que faire se peut d’en respecter les fluidités et les obstacles, les chutes, les culs de sac et les bassins de convergence.

L’expression « rentrer dans la pensée de x » nous conviendrait assez, si elle n’était pas entachée par tous les doutes que l’« ère du soupçon » a fait porter sur la communicabilité des expériences. Nous en prendrons acte en exprimant notre adhésion à l’idée d’un caractère conjectural de

8 J. Lévy, « L’espace légitimé », dans R. Knafou, dir., L’état de la géographie, autoscopie d’une science, Belin, « Mappemonde », 1997, chap. X, p. 335-351

9 J. Lévy, « Vidal de la Blache, Paul », dans J. Lévy et M. Lussault, dir., Dictionnaire de la géographie et des espaces en société, Belin, 2003, p. 984-986.

10 A.-L. Sanguin, Vidal de la Blache, un génie de la géographie, Belin, 1993.

11 Cf. Bernard Dupriez, Gradus, les procédés littéraires, 10-18, 1984, p. 247.

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l’interprétation, que l’on essaye d’étayer par un arsenal d’indices : citations, travail sur des occurrences (de mots, de formules), comparaisons, mise à jour de motifs qui circulent de texte en texte, se transformant et se redéployant, etc. Administrer la preuve n’a rien à voir ici avec l’« expérience décisive » des épistémologies naturalistes, en ce sens qu’aucune autorité ne saurait forclore les significations d’un texte.

La lecture est une interaction qui mobilise l’ensemble des référents et capacités interprétatives d’un individu, lesquels s’épaississent (en général) et muent avec les années, « accrochant » parfois, « glissant » plus tard ou au demeurant. Pour autant, nous ne nous retrouvons en rien dans un quelconque « tout est bon » en la matière : on peut comprendre de travers un texte, on peut le mutiler ou l’abandonner en larguant les amarres de l’imagination créatrice, ce qui n’est pas un défaut dans l’absolu mais une autre discipline. La question des critères et des preuves permettant de juger de la validité d’une interprétation est on ne peut plus délicate, mais il nous semble dangereux d’y renoncer. Si n’importe quelle lecture est recevable, à quoi bon continuer à lire ou à communiquer, dès lors que l’exercice souverain d’un récit « nunégocentré »12 serait la seule issue, prenant prétexte de la parole de l’autre plutôt que de lui rendre justice ? En cela, nous rejoindrions volontiers les réflexions d’Hilary Putnam sur le « relativisme » en matière d’interprétation :

L’idée qu’il puisse exister une incommensurabilité si grande qu’il soit logiquement absurde de penser que la moindre communication puisse passer au travers fut immédiatement nuancée [lors d’un colloque de poétique] : il fut en effet admis avec enthousiasme que « bien entendu », il y a des interprétations plus ou moins bonnes de ce qu’un « autre » peut dire ou penser.

L’interprétation n’est donc pas en définitive totalement subjective. Il y a quelque chose de très voisin d’une notion transparadigmatique de rationalité que le critique littéraire a, lui aussi, à sa disposition.

La tendance contemporaine à considérer l’interprétation comme une chose de seconde zone reflète, à mon sens, non une passion pour l’objectivité mais une soif d’absolus — une soif d’absolus et une tendance qui en est inséparable, la tendance à penser que si l’absolu est inatteignable, alors « tout est bon ». Mais

« assez est assez, assez n’est pas tout ».13

L’expression « immersion dans un corpus » pourrait laisser entendre une sorte de redoublement dans le champ interprétatif d’une vieille attitude de géographe, convaincu qu’il n’y a pas de meilleur service rendu à un objet que d’en épouser les contours et d’écrire sous la dictée un message déjà contenu dans le « référent » (et c’est encore plus parlant lorsqu’il est question d’archives…). S’agissant de textes, prendre la formule au premier degré suggère une sorte de paraphrase, ce qui n’est pas plus désirable qu’un « parti-pris des choses » profondément trompeur. Nous ferions plutôt l’hypothèse que chacun dispose d’un appareil critique dont la mise en éveil repose sur au moins trois critères : une profondeur d’expérience préalable dont nous avons déjà dit le caractère déterminant ; une faculté de mobilisation étroitement tributaire de la perception de congruence à l’archive qu’un rapport initial, sous

12 Terme « postmoderne » exprimant une subjectivité revendiquée et un point de vue sur l’autre forcément assujetti à l’exigence d’expression du sujet parlant.

13 H. Putnam, « La passion de l’objectivité », dans Le réalisme à visage humain, [trad. Cl.

Thiercelin], Paris, Le Seuil, « L’ordre philosophique », 1994, p. 285 (premier alinéa) et 287 (deuxième alinéa).

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forme de prime lecture et d’évaluations diverses, renseigne ; la volonté heuristique de pousser le « texte » dans ses derniers retranchements (même si c’est une chimère). À partir de ces prémisses, la question des schèmes préalables appert rapidement : aucune lecture n’est vierge de références et de partis-pris, de confrontations et de spéculations. Trop souvent, cette question est rabattue sur l’idée de « théorie » ou de

« modèle » que l’on éprouve, suivant en cela une prescription de l’épistémologie normative qui appauvrit notablement l’idée de schème conceptuel : nous ferions volontiers l’hypothèse que l’heuristique (qu’elle soit recherche empirique de pointe ou travail interprétatif) repose sur un bric-à-brac hétéroclite, fait de présupposés vagues, de tessons de théorie, d’obsessions lexicales, de valeurs rémanentes, etc., qui ne trouvent cristallisation ou ordonnancement qu’au terme d’un processus de mise en forme/mise à l’épreuve. Parfois, des segments plus longs d’une thèse ou d’une « théorie » sont sous-jacents ab initio, mais l’entreprise de traduction ou de rapprochement ne revêt de valeur qu’à l’issue d’un travail probatoire. Le caractère organique ou dialectique d’un écrit est le résultat d’une formalisation et d’une homogénéisation, intrinsèquement liées à ce que nous appellerions en suivant René Lourau le « texte institutionnel (TI) »14. La plupart des représentations épistémologiques occultent le processus (parfois fort lent) d’agrégation pour ne se concentrer que sur le résultat, l’archive écrite, ou publiée, en vertu de quoi sont sacralisés des canons antinomiques (l’induction versus la falsification, le théorique versus l’empirique, etc.). Il n’est pas certain que cette manière de faire n’ait pas quelque responsabilité à l’origine de polémiques irréductibles concernant les caractères distinctifs de la science ; à ce titre aussi, la classique dichotomie de Hans Reichenbach entre contexte de découverte et contexte de justification pose problème, car la question de la formalisation peut aussi bien être considérée comme une scorie historique que comme une dimension fondamentale de la mise à l’épreuve (qu’on la conçoive comme vérification, falsification ou démonstration…).

Comme texte institutionnel, le présent travail d’écriture s’est efforcé d’introduire une régulation particulière entre le travail d’amont et le résultat « final », que l’on pourrait qualifier de contre-expérimentale : alors qu’il est fréquent de transférer dans la thèse-livre le mouvement (ou la dynamique) de l’hypo-thèse, nous nous sommes efforcé d’opérer à contre-courant. Ce qui appelle quelques précisions liminaires avant de pouvoir être explicité.

*

* *

À l’origine de ces lignes se trouve la volonté, exprimée en 1992, de travailler sur le corpus de la géographie française du XXe siècle avec les outils de la critique littéraire structuraliste (ce que l’on appelle aussi parfois « poétique »), découverte huit ans auparavant au travers d’un livre de Maurice Couturier15 et référence constante depuis. Mais il n’a

14 R. Lourau, « Traitement de texte », dans M. de la Soudière et M. Perrot, dir., « L’écriture des sciences de l’homme » Communications, n° 58, éditions du Seuil, 1994, p. 157-166.

15 M. Couturier, Vladimir Nabokov, Lausanne, L’Âge d’homme, « Cistre essais », 1979.

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jamais été question d’opérer une expérimentation en l’espèce d’une

« analyse textuelle purement formelle » 16 passant au crible quelques auteurs du répertoire géographique, ce qui serait revenu à sélectionner une forme d’analyse de discours (constituant un système interprétatif) que l’on aurait en quelque sorte testée (en visant par exemple « une grammaire de l’inscription du sujet dans son énoncé »17 ou en faisant le décompte des figures de rhétoriques — ou tropes — qu’utilisent certains auteurs). Il n’était pas de notre propos non plus de traiter d’un « genre » particulier de géographie et des formes de satisfaction esthétique qu’il procure18, ni de proposer une sorte de « théorie des genres » géographiques19. Par ailleurs, nous avions le souci de déployer nos investigations sur un corpus étalé sur une durée relativement longue : des débuts de « l’école française de géographie » à la période contemporaine, sans qu’un découpage précis ait été d’emblée adopté. Il s’est agi dès le début de trouver une problématique non pas rhétorique mais historiographique, au travers de laquelle un certain usage de la poétique pouvait, peut-être, apporter du sens, sans constituer une fin mais essentiellement un moyen. Ceci posé, il n’empêche qu’un intérêt tout particulier pour l’écriture de la géographie (ou plus précisément : pour les pratiques scripturaires20) traverse l’ensemble de ce travail.

Il importe ici de souligner à quel point la réflexion sur l’écriture des sciences est devenu depuis plus d’une décennie un thème porteur, encore que le mot « écriture » soit utilisé le plus souvent de façon métonymique (puisqu’on interroge presque toujours le résultat plus que l’acte lui- même) et allégorique (l’acte personnifiant l’ensemble du processus d’ordonnancement de la pensée). On pourrait penser que cette émergence a quelque rapport avec la montée en puissance des discours post-modernes, mettant en avant la contingence formelle des « récits » et autres « mythes » produits par les sciences, notamment par celles qui ont un statut incertain, entre littérature et sciences de la nature21. Mais il arrive aussi que l’écriture soit considérée comme une inscription transitive de la pensée : substitut de la trop datée « historiographie », la question de l’« écriture de l’histoire » a pris une place centrale dans ce champ de réflexion ; aucune autre discipline n’a suscité un tel mouvement de commentaire tant épistémologique que poétique. Faut-il

16 P. Minvielle, « La subjectivité chez Roger Brunet et Alain Huetz de Lemps : étude comparative de deux énoncés / représentations sur le monde », dans G. Nicolas-Obadia, dir., Geographie(s) et langage(s) : interface, représentation, interdisciplinarité, Institut universitaire Kurt Bösch, Sion, Suisse, 1999, p. 149-154.

17 P. Minvielle, op. cit., p. 149. Cf. également P. Minvielle, La Subjectivité dans les ouvrages de géographie des États, thèse de doctorat, université d’Aix-Marseille I, 1998.

18 Danièle Laplace-Treyture, Le genre régional : écriture et transmission du savoir géographique, thèse de doctorat, université de Pau, 1998.

19 V. Berdoulay, Des mots et des lieux : la dynamique du discours géographique, Paris, Éditions du C.N.R.S., 1988. Au reste, nous aurions tendance à penser que cet auteur rabat trop l’ensemble des possibles expressifs de la discipline sur la seule catégorie de « récit », et ce sans légitimer de surcroît une telle prévalence lexicale. Cf. également « Le retour du refoulé. Les avatars modernes du récit géographique », dans J. Lévy & M. Lussault, dir., Logiques de l’espace, esprit des lieux.

Géographies à Cerisy, Belin, coll. « Mappemonde », 2000, p. 111-126.

20 i. e. manifestées par l’écriture…

21 Cf. W. Lepenies, Les trois cultures. Entre science et littérature, l’avènement de la sociologie, Paris, Eds de la M.S.H., 1990 ; C. Geertz, Ici et là-bas, l’anthropologue comme auteur, Paris, Anne-Marie Métailié, 1996 ; P. Lassave, Sciences sociales et littérature, Paris, PUF, « Sociologie d’aujourd’hui », 2002.

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voir dans cette attraction singulière la conséquence du prestige intellectuel de l’école des Annales et la consécration du savoir-écrire d’un Fernand Braudel ou d’un Lucien Febvre ? Ou faut-il mettre en avant l’ambivalence même d’une science qui, dans sa production ordinaire, se veut tout à la fois travail savant et discours en contiguïté avec l’énonciation « naturelle » du monde, autorisant par là (ou semblant autoriser) une réappropriation tant extra-disciplinaire que vernaculaire ? Depuis les travaux éponymes de Paul Veyne et Michel de Certeau, la thématique fascine, mobilisant tant les historiens eux-mêmes22 que des intervenants extérieurs, essentiellement des philosophes23. Au-delà de la seule histoire-discipline, la question de L’Écrit de la science24 apparaît de plus en plus comme un passage obligé de la réflexion sur la construction de la connaissance, dans une perspective non exclusivement post- moderne, puisque les procédés d’administration de la preuve peuvent être partie intégrante, voire dominante, de l’investigation. Dans l’introduction du très récent Figures du texte scientifique25, Jean-Michel Berthelot oppose une problématique « de l’écriture » mettant l’accent sur l’« objet physique inscrit dans des matériaux, des supports, dans un contexte socioculturel de production et de réception » et une problématique « textualiste » interrogeant un « travail d'écriture, sémantique et sémiotique de construction textuelle ». C’est plus particulièrement cette seconde perspective qui inspire cette thèse, même si on ne saurait totalement négliger l’autre.

Ainsi, l’écriture intéressera ici au travers de son résultat textuel, mode d’énonciation relativement clos et cristallisé, à la différence des formes d’oralité. L’acte scripturaire institue une forme de discours en théorie définitif (même si des réécritures peuvent en proposer un remaniement), qui contraint fortement ce qui est énoncé, du fait des dispositifs propres à l’agencement d’un texte et par le truchement des possibles formels que se donne l’énonciateur. Réciproquement, le message peut s’appuyer stratégiquement sur la forme, en escomptant une transitivité des effets de celle-ci. L’acte de lecture sanctionne l’ensemble de ces procédures et fait surgir un autre faisceau de contraintes, qui peuvent être anticipées par l’écrivant, mais qui sont susceptibles de fluctuer énormément en fonction de l’éloignement temporel et culturel entre destinateur et destinataire. Ce faisant s’esquisse l’idée, banale, d’une standardisation socialement située des pratiques d’écriture26, tributaire de plusieurs niveaux de socialisation et engagée dans un devenir évolutif qui rend légitime une histoire des graphies entrecroisant production, réception et interprétation. Dès lors, l’hypothèse que nous aimerions développer serait qu’une communauté

22 Il n’est qu’à évoquer les contributions récentes d’A. Prost, G. Noiriel, B. Lepetit, K. Pomian, R.

Chartier, J. Leduc, etc.

23 Nous pensons au premier chef à Temps et récit de Paul Ricœur et à Les Noms de l’histoire de Jacques Rancière.

24 « L’Écrit de la science », Alliage, n° 37-38, hiver 98 - printemps 99. Cf. également « La fabrique des sciences sociales. Lectures d’une écriture », Espaces-Temps, n° 47-48, 1991 et « L’écriture des sciences de l’homme » (M. de la Soudière et M. Perrot, dir.), Communications, n° 58, Éd. du Seuil, 1994.

25 J.-M. Berthelot, « Le texte scientifique, structures et métamorphoses », dans J.-M. Berthelot, dir., Figures du texte scientifique, PUF, « Science, histoire et société », 2003.

26 et de lecture bien entendu...

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(scientifique) constituée produit entre autres choses des formes idiosyncrasiques de « mise en texte », qui n’épuisent pas les pratiques scripturaires individuelles mais attestent d’un effet de convergence complexe, résultant de formations communes, de valeurs partagées, de lectures croisées, etc.27 À ce titre et par effet de réciprocité, s’attacher à la mise à jour de ces pratiques scripturaires communes pourrait avoir du sens pour éclairer les paradigmes scientifiques28 et leur devenir. Ainsi, faire l’exégèse des géo-graphies collectives serait un moyen de contribuer à une histoire sociale et cognitive de la géographie.

Cette recherche a eu un résultat cardinal, essentiellement empirico- inductif à la base et sujet à une lente gestation. Il engage ce que nous avons appelé à partir de 199729 le réalisme de la géographie classique française, arraisonné initialement avec des outils de poéticien. Mais comme il s’agissait bien plus d’un rapport au monde que d’un « simple » style, nous nous sommes senti dans l’obligation de confronter ce qu’une lecture du corpus nous amenait à reconstruire avec les « modèles » de réalisme extra-littéraire disponibles, non pas tant anciens (Aristote, les thomistes) que contemporains. Il nous est vite apparu que les distinctions en usage étaient extrêmement instables, qu’entre notre définition inductive et certaines expressions récentes (chez H. Putnam en particulier), il y avait plus qu’un abîme. Lors d’un colloque, il nous a été objecté que ce dont nous parlions était du « positivisme », mot pour lequel la sémantique est encore plus instable que pour « réalisme », tant et si bien que nous en sommes resté au label initial, qui n’est pas une spéculation ex-ante mais une dénomination ex-post, forcément insatisfaisante pour qui rechercherait une définition absolue du mot, mais qui ne trouve sens que dans une certaine « niche écologique », comme dirait Ian Hacking30.

Cette interprétation largement inductive (et en tout cas non escomptée initialement) a fait l’objet d’un croisement avec un schème qui lui, au contraire, était de nature hypothétique, car le fruit d’un apprentissage préalable et non d’une « découverte » progressive. Nous faisons référence ici à une lecture kuhnienne de l’histoire de la géographie française dont les cadres ont été posés depuis assez longtemps par Marie-Claire Robic31. Il revient à considérer qu’un paradigme particulier s’est cristallisé en France avec l’avènement de ce

27 Ce qui ne nous dispense pas d’une explicitation de l’arrière-plan socio-culturel élargi dans lequel s’est construit le champ des pratiques.

28 Le terme est utilisé dans le souci d’expliciter l’inscription de nos propositions dans un univers conceptuel qui doit beaucoup à La structure des révolutions scientifiques de Thomas Kuhn.

29 O. Orain, « Les motivations du discours géographique. Contribution à une étude textuelle des écrits des géographes postvidaliens », intervention au colloque de Sion, septembre 1997, repris dans G. Nicolas-Obadia, dir., Geographie(s) et langage(s) : interface, représentation, interdisciplinarité, Institut universitaire Kurt Bösch, Sion, Suisse, 1999, p. 155-169.

30 I. Hacking, Les Fous voyageurs, Les Fous voyageurs [trad. F. Bouillot], Paris, Le Seuil, « Les empêcheurs de penser en rond », 2002.

31 J.-M. Besse & M.-C. Robic, « Quel espace pour quel projet : Kant, un prétexte ? », dans F. Auriac

& R. Brunet, dir., Espaces, jeux et enjeux, Paris, Fayard-Fondation Diderot, 1986, p. 59-69 ;

« Science des hommes, sens des lieux », Espaces-Temps, n° 40-41, 1989, p. 16-20 ; M.-C. Robic,

« Pour une histoire de la géographie en tension », dans C. Blanckaert et alii, L’histoire des sciences de l’homme. Trajectoire, enjeux et questions vives, Paris, L’Harmattan, « H.S.H. », 1999, p. 159-182 ; « L’exemplarité du Tableau de la géographie de la France de Paul Vidal de la Blache », dans J.-M. Berthelot, dir., Figures du texte scientifique, PUF, « Science, histoire et société », 2003.

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qu’on appelle souvent « l’École française de géographie » à la charnière des XIXe et XXe siècles, lequel aurait maintenu son emprise jusqu’au début des années 1970, époque à laquelle il aurait subi une remise en cause vigoureuse, lisible en termes de « révolution scientifique ». Peu à peu, le projet de travailler le modèle et de l’éprouver est devenu central, soulevant la question de sa pertinence (historiographique, épistémologique, sociologique) dans un projet d’interprétation du devenir de la discipline. Il soulève un enjeu assez fort de découpage historique : si la plupart des auteurs s’accordent sur l’aspect décisif de l’intervention vidalienne dans la cristallisation de la géographie « classique » (parfois pour en regretter la nocivité, à la manière d’un J. Lévy, cf. supra), en revanche, la question des ruptures ultérieures est beaucoup moins consensuelle : P. Claval32 ou R. Marconis33 auraient tendance à suggérer une coupure (ou une flexure) relativement ancienne, remontant aux années 1950-1960, période à laquelle une « remise en cause d’ensemble » (P. Claval) d’origine anglo-saxonne ou des tentatives de renouvellement fort variées (R. Marconis) auraient servi de préliminaires au « grand débat » (idem) des années 1970. S’agissant de cette décennie soixante-dix, il n’y a guère plus de consensus : certains en signifient l’importance (J. Lévy34, A. Reynaud35, R. Marconis), d’autres gomment autant que faire se peut le caractère décisif de la période (P. Claval, J.-F.

Staszack36) ou tendent à regretter les « événements » qui se sont alors déroulés (M. Chevalier, Numa Broc37). Il y va sans doute de la persistance d’un contentieux complexe, à fronts multiples, politique et épistémologique, dont « l’analyse » est un « exercice périlleux et nécessairement subjectif s’il est tenté par un géographe qui en a été un spectateur souvent engagé »38. Sans prétendre le moins du monde à un désengagement, le présent travail s’est employé (entre autres finalités) à nourrir le débat et à abonder une position qui nous semble plus satisfaisante que les autres. S’appuyant sur le modèle kuhnien, elle considère les élèves directs de Paul Vidal de la Blache comme les principaux inspirateurs d’une normalisation des intuitions vidaliennes (plus ouvertes ou plus lâches ?) en un paradigme dominant, qualifié de

« postvidalien », qui dominerait la période 1910-1970, même si les années 1960 sont annonciatrices d’un « malaise » croissant, analogue à l’idée d’« anomalie » chez T. Kuhn. Dans les années 1970, l’anomalie se transformerait en « crise ouverte », ou « révolution », débouchant sur la

32 P. Claval, « Les grandes coupures de l’histoire de la géographie », Hérodote, 1982, n° 25, p.

129-151 ; Histoire de la géographie française de 1870 à nos jours, Paris, Nathan université,

« réf. », 1998 ; « Histoire de la géographie », dans J. Lévy & M. Lussault, dir., Dictionnaire de la géographie et des espaces en société, Paris, Belin, 2003, p. 459-464.

33 R. Marconis, Introduction à la géographie, op. cit.

34 J. Lévy, « L’espace légitimé », op. cit.

35 A. Reynaud, « Une perspective cavalière », dans R. Knafou, dir., L’état de la géographie, autoscopie d’une science, Belin, « Mappemonde », 1997, chap. XI, p. 353-369.

36 J.-F. Staszack, « New Geography », dans J. Lévy & M. Lussault, dir., Dictionnaire de la géographie et des espaces en société, Paris, Belin, 2003, p. 661-662. Dès son titre, cet article opère un ensemble de confusions qui ne font qu’empirer avec les paragraphes, révélant un manque d’information de première main et des intentions dévaluantes qui, pour être crédibles, auraient requis davantage de sérieux dans l’approche.

37 N. Broc, « Ah, que la géographie était belle quand les géographes ne se posaient pas (trop) de questions », Annales de géographie, n° 596, 1997, p. 432-434.

38 R. Marconis, Introduction à la géographie, op. cit., p. 171.

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fin du monopole de fait du paradigme « classique », sans que l’on puisse pour autant affirmer qu’un nouveau venu s’est substitué à l’ancien : la situation qui prévaut depuis les années 1980 serait plutôt une juxtaposition de courants plus ou moins antagoniques et aux contours épistémologiques flous — à l’exception peut-être de ce qu’on appelle l’« analyse spatiale » ou « géographie théorique et quantitative », assez minoritaire aujourd’hui.

L’essentiel de l’argumentaire de cette thèse (et ce qui fait sans doute son unité méthodologique) repose sur un examen de textes, au principal théoriques, soumis à diverses formes d’interrogation : sur leur signification, leur finalité, leur cohérence interne... Dans ce contexte, la poétique a essentiellement servi à « fracturer » (comme dirait C.

Raffestin) ce qui demeurait latent, sous-jacent, plus généralement « en creux » dans la littérature disciplinaire. Reprenant une intuition des auteurs des années 1970, pour lesquels l’épistémologie des géographes est souvent « implicite », nous nous sommes efforcé de faire saillir ou de

« faire parler » divers éléments relevant de la connotation davantage que de la dénotation, de la métaphore plus que du discours, de la forme autant que du fond. Néanmoins, il s’agit d’un usage instrumental, ad hoc, d’outils de la critique littéraire, justiciables d’un emploi ponctuel, à vocation argumentaire. Certains pourront regretter, peut-être, cette instrumentalisation, que nous revendiquons en fait pleinement : ainsi que nous l’avons déjà énoncé, il y a, de notre point de vue, en matière d’épistémologie de la géographie trop de greffes et pas assez d’hybridations. À cette aune, le recours à T. Kuhn posait un problème d’écriture important : s’agissant d’une position de départ, une mimétique spontanée aurait voulu que nous énoncions d’emblée l’ensemble des tenants et aboutissants de la thèse historiographique dont nous nous inspirions (avec le risque de la greffe, justement), tandis que le réalisme géographique aurait été infusé et progressivement reconstruit. C’est ici que nous pouvons clarifier notre parti-pris d’écriture contre- expérimentale : afin de « dénaturaliser » la thèse-texte pour l’affranchir des contraintes de mimèsis « narrant » l’hypo-thèse, nous avons, dans le développement, énoncé le réalisme géographique sous une forme préliminaire, comme un à priori, et au contraire fait émerger progressivement le schème kuhnien, ne l’explicitant et ne le justifiant complètement qu’au chapitre IV. Il ne s’agit pas d’un simple artifice ou d’une figure de style : trop souvent, la rédaction est considérée comme un résultat intégralement transitif de spéculations antérieures, en oubliant que la seule chose qui se communique est un « message », un texte en l’occurrence, acte qui ne doit sa performativité qu’à lui-même, et que la nostalgie d’un en deçà tellement moins contingent, tellement moins forclos, est largement chimérique. Vouloir à tout prix s’inspirer de l’hypo-thèse est aussi une sorte de réflexe spontané, dont l’affranchissement permet, du moins nous l’espérons, une première prise de recul. Dans le cas d’espèce que représente ce travail, il nous semblait important de clarifier d’emblée la posture dite « réaliste », car nous avons fait l’hypothèse qu’elle est structurante pour l’ensemble de la géographie « classique », bien que n’épuisant pas, loin s’en faut, l’ensemble des dimensions épistémologiques de celle-ci. À l’inverse,

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l’hypothèse d’un paradigme pouvait demeurer latente jusqu’à un certain point : tant qu’il n’était pas question de mettre l’accent sur sa globalité mais plutôt sur une dimension parmi d’autres, fût-elle « ontologique » à nos yeux. En revanche, la question d’une remise en cause du dit paradigme impliquait d’avoir étayé le bien-fondé, et de la qualification, et du contenu. D’où la présence d’un chapitre un peu particulier (le IV) mettant l’accent sur les modalités d’une traduction du modèle kuhnien en géographie.

Il faut faire intervenir ici un autre aspect structurant de la thèse- texte, dont le cheminement épouse, grosso modo, une perspective diachronique. Le plan retenu implique au principal l’idée d’une évolution historique : la première partie, intitulée « Du réalisme de la géographie classique », s’appuie dans le chapitre I sur les premières formulations ou manifestations de cette posture dans les années 1910-1930, tandis que le chapitre III (le chapitre II est une étude focalisée sur Emmanuel de Martonne), « Pérennité et reformulations », met l’accent sur des expressions plus tardives, datant des années 1940-1950. La deuxième partie, « La géographie classique dans le prisme kuhnien : pertinences et anomalies », à partir d’une discussion générale quant à la congruence du modèle en question (le chapitre IV), étudie les années 1960 comme période de manifestation d’une anomalie paradigmatique, ressentie intuitivement par les uns (chapitre V), rejetée par les autres (chapitre VI). La troisième partie, « « Crise » de la géographie, critiques du réalisme géographique et refondation disciplinaire » relit les années 1970-1980 en essayant de donner de l’épaisseur au schème de la

« révolution scientifique » et en montrant que celle-ci est indissociable d’une remise en question du réalisme géographique. Le chapitre VII, « La révolution dans les textes », qui ouvre cette dernière partie, est lui-même un essai de périodisation des années 1972-1986. Le suivant et dernier,

« Soyez irréalistes, demandez le constructible », met l’accent sur la dénonciation par les « nouveaux géographes » du réalisme classique et l’impatronisation d’une nouvelle posture, que nous pensons pouvoir qualifier de « constructiviste ».

Tout l’arrière-plan d’historicisation soulève évidemment la question des limites chronologiques et de l’homogénéité des chapitres. Nous avons peu évoqué Paul Vidal de la Blache lui-même dans ce travail : il existe à son propos une littérature abondante et parfois excellente. Même si la question du réalisme pourrait se poser, et de diverses manières, à son propos, il eût été difficile de traiter la question à la va-vite, sauf à mettre l’accent sur son invisibilité dans les textes théoriques de cet auteur. Dès lors, un important travail poétique s’imposait, qui nous aurait entraîné très loin. Par ailleurs, pour avoir fréquenté ses textes, « empiriques » ou de réflexion, et pour avoir lu abondamment à son propos, nous avons l’intime conviction (qui ne peut malheureusement être objet de démonstration dans ce travail) qu’une certaine discontinuité existe entre P. Vidal de la Blache et ses élèves, thème dont Jules Sion fut le précurseur peu entendu39. Si l’on accepte provisoirement cette prémisse (à charge

39 J. Sion, « L'art de la description chez Vidal de la Blache », Mélanges de philologie, d'histoire et de littérature offerts à Joseph Vianey, Paris, Les Presses françaises, 1934, p. 479-487.

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Emmanuel de Martonne, Albert Demangeon) comme les véritables

« patrons » et inspirateurs d’une période de « science normale », qui par leurs discours doctrinaux et leur « exemple » auraient circonscrit le champ de l’investigation légitime en géographie. En vertu de tout ceci, nous avons renoncé à « traiter » du « père » de « l’école française de géographie » autrement que de manière incidente. D’une certaine façon, sa retraite (1909) et sa disparition (1918) dessinent la lisière antérieure de nos interprétations.

À l’autre extrémité du siècle il était nécessaire de « mettre un terme » au travail du corpus. Nous avons adopté ici une logique floue.

Considérant qu’il fallait un certain recul pour opérer des distinctions pertinentes, nous avons souhaité ne pas trop nous aventurer au-delà des années qui ont vu l’apaisement des conflits nés dans les années 1970, c’est-à-dire la période 1984-1988. Il se trouve que cela correspond approximativement au moment où nous avons découvert la géographie universitaire, ce qui est fortuit mais commode et symbolique. Néanmoins, nous ne nous sommes pas complètement interdit d’examiner des textes plus récents, quand ils étaient susceptibles d’éclairer des positions antérieures (notamment à propos de C. Raffestin). On pourra déplorer l’absence d’éclairages sur la scène contemporaine — ce qui intéresse au premier chef les géographes impliqués dans les débats et combats (?) d’aujourd’hui. Nous ne sommes pas certain qu’un individu isolé puisse dire grand chose à ce propos qui dépasse le discours partisan, ou alors on pourrait produire un Tableau de la géographie en France d’autant plus mou qu’il serait exhaustif. Ceux qui s’y sont essayé dernièrement ne nous ont pas convaincu. La conclusion de l’Histoire de la géographie française de 1870 à nos jours de Paul Claval nous semble dangereuse à cette aune, car sous le couvert d’un panorama des recherches avancées, elle propose un « tableau d’honneur » dont les partis-pris sont implicites, évacuant de surcroît des pans entiers de la recherche actuelle en faisant « comme si » le résultat pouvait faire office de gentleman agreement, alors qu’il n’en est rien.

*

* *

Demeure le problème de l’historicité du présent texte : si le mouvement général et certains chapitres mettent l’accent sur une évolution de la discipline dans le temps, ce n’est à bien des égards qu’une perspective parmi d’autres. Certains chapitres41 prennent leurs aises avec les temporalités, au profit d’une lecture fonctionnant par reconstruction de postures (individuelles et/ou collectives), sur la base d’indices

40 D’autres s’y emploient déjà : cf. D. Mendibil, Texte et Images de l’iconographie de la France (de 1840 à 1990), thèse de doctorat, Université de Paris I, sous la direction de Marie-Claire Robic, Paris, 1997 ; M.-C. Robic, « L’exemplarité du Tableau de la géographie de la France de Paul Vidal de la Blache », dans J.-M. Berthelot, dir., Figures du texte scientifique, PUF, « Science, histoire et société », 2003, vient de paraître ; M.-C. Robic, « L’école française de géographie : formatage et codification des savoirs », dans M.-L. Pelus-Kaplan, dir., Unité et diversité de l’homme, Paris, Syllepse, à paraître.

41 I : « Archéologie du réalisme classique », VI : « Défense de la doxa et incommensurabilité paradigmatique... », VIII : « Soyez irréalistes, demandez le constructible ! ».

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réorganisés à partir d’une enquête conjecturale (sur le réalisme, le rejet du « quantitatif » ou l’idée de « construits scientifiques »). D’autres ont une trame plus monographique42, s’attachant au principal à l’expression singulière de (dis-)positions difficilement généralisables, même si l’objectif global est une mise en série à effet convergent qui voudrait suggérer une attitude commune. Un autre souci nous semble en revanche assez historien : ne pas commettre d’anachronisme et ne pas tomber dans les travers du « présentisme », qui consiste à plaquer des problématiques contemporaines sur des textes plus ou moins anciens en ignorant les diverses sortes d’incommensurabilité qui pourraient être objectées.

La tension entre monographies et globalisation est le principal point de délicatesse de toute cette entreprise. Le travail d’interprétation s’appuie forcément sur des textes singuliers et, par un processus remontant, prétend engager des auteurs et, en dernière limite, des collectifs, processus dont le terme ultime serait le corpus dépouillé. Toute la difficulté de l’exercice réside dans la possibilité pour l’exégète de donner des garanties quant au bien-fondé de ses analyses et de ses généralisations. Le premier degré (le texte singulier) est soumis à la vérification des lecteurs par le travail de la citation commentée et quelques opérations de comptage (relatives à la fréquence de mots ou de pratiques marginales, comme la citation ou l’annotation). C’est stratégiquement le niveau privilégié de la garantie, car celui où il est le plus aisé de justifier une lecture. Il en va différemment lorsqu’on aborde des groupes de textes plus ou moins hétérogènes. Plusieurs stratégies probatoires ont été développées, dont le point commun est la sériation : de brèves citations mises en « batterie » et comparées, des analyses de textes délimités (articles, chapitres, ouvrages) enchaînées dans une perspective unitaire, des études d’occurrence lexicale visant à montrer des tendances générales dans un ensemble supposé convergent. Dans cette perspective, nous avons numérisé un nombre important de textes de notre corpus, ce qui a facilité grandement la systématisation de certaines opérations (de repérage, de comptage, etc.), même si cela a pris beaucoup de temps en amont. D’un autre côté, les études approfondies de corpus auctoriaux (E. de Martonne, A. Cholley, P. George, C. Raffestin, Franck Auriac) font le pari d’une compréhension de certaines postures par des archétypes, bien que nous soyons dans l’incapacité d’asserter autrement qu’intuitivement cette valeur archétypique. Nous ne nous prévaudrons que d’une chose en la matière : l’écho que nos analyses des textes d’E. de Martonne ont rencontré auprès de géographes ayant subi une « inculcation » parfaitement classique dans les années 1950-1960, et qui nous ont dit trouver dans ces lignes une rémanence de leur univers de formation.

Par ailleurs, le parti-pris méthodologique adopté s’est souvent heurté aux difficultés d’une étude interne de corpus. Là où une histoire des idées traditionnelle peut se satisfaire éventuellement d’un cabotage de texte en texte, il nous apparaissait impossible de limiter le « questionnaire » de la sorte, certaines évolutions nous semblant justiciables de mutations qui

42 II : « Emmanuel de Martonne ou l’acmé du réalisme classique ? » ; V : « Énonciations du

« malaise » et émergence d’une anomalie dans le paradigme classique ».

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