• Aucun résultat trouvé

View of Je ne suis pas un poète

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "View of Je ne suis pas un poète"

Copied!
6
0
0

Texte intégral

(1)

JE NE SUIS PAS UN POÈTE

Raphaël P

IRENNE

Pour Jan Baetens

En 2013, l’asbl (SIC) avait été sélectionnée par la Fédé-ration Wallonie-Bruxelles pour assurer le versant off de la 55ème Biennale de Venise8.

Selon un principe d’alternance communautaire caractéris-tique, alors que la Communauté Flamande occupait le pa-villon belge des Giardini9, aux francophones revenaient le

off et le hors, la périphérie et le bord.

En lieu et place d’une exposition en bonne et due forme – chose somme toute attendue dans le cadre d’une manifes-tation consacrée aux arts visuels –, le projet développé était d’une nature plus marginale, développant une ambition plus souterraine.

Il s’agissait de déployer sur toute la durée de la Biennale, du printemps à l’automne de cette année, du 1er juin au 30

septembre, un projet de résidence où des artistes belges -la question de la partition linguistique étant secondaire à nos

8. (SIC) est une plateforme éditoriale et curatoriale fondée à Bruxelles en 2005. Ses activités sont reprises sur le site www.sicsic.be, ses livres

(2)

yeux, comme celle du genre, au propre et au figuré- étaient invités à occuper successivement, pendant une semaine en-viron, un appartement situé dans le quartier de Cannare-gio, au Nord de Venise, soit à l’autre extrémité de la ville où se situe le centre névralgique de la Biennale (avec l’Arsenal, les Giardini, etc.) ; si tant est qu’il soit possible d’employer le terme de centre pour cette ville où les repères visuels et spatiaux, topographiques et géographiques sont comme soumis à un effet d’altération perpétuelle.

L’appartement était suffisamment grand pour accueillir bien plus d’une personne, le sol en granito, les embrasures des portes arrondies, une terrasse donnant sur l’intérieur de la ville, et, à l’extrémité opposée, les fenêtres de cer-taines des chambres donnaient sur le Rio di Cannaregio. L’idée était simple : offrir du temps et de l’espace à des

artistes de tous bords et de tous âges, provenant princi-palement des arts visuels au sens large mais également de la littérature, sans impératif de production sur place mais avec un désir soumis : que ce temps et cet espace puisse permettre aux un.e.s et aux autres de produire une œuvre à leur retour.

Leur présence était rendue visible par la création d’un site web leur permettant de manière anonyme d’y intégrer sur une ligne du temps, calée sur la durée de la résidence, tout texte ou toute image, fixe ou mobile.

L’ensemble constituait une sorte d’« inconscient iconogra-phique et numérique » du projet qui s’élaborait alors, au gré des passages de chacun.e.s ; ainsi que le mentionnait le communiqué de presse que Yoann avait rédigé à l’entrée

(3)

du projet, et sous-titré, entre parenthèses, « (In senso Fi-gurato) »10.

Jan faisait partie de la quinzaine d’artistes invités.

Dans le communiqué publié à la sortie du projet, sous-in-titulé quant à lui, toujours entre parenthèses « (In senso Proprio) », la biographie le présentant faisait référence à la parution, en juin 2013, de son dernier recueil Le Problème

du Sud et dont le titre faisait référence à un article

d’Anto-nio Gramsci.

Cette courte biographie reprenait quelques vers d’un des poèmes du recueil : « Je m’expédie au Sud/Suis moi. Entre veille/Et veine je te laisse/Le choix, ou l’échange ».

Je ne me souviens plus quand exactement Jan s’expédia au Sud, à Venise.

Je pourrais le savoir en regardant les documents liés à son voyage à disposition dans les archives.

Mais je ne pense pas que dater ce déplacement du Nord au Sud puisse apporter quoi que ce soit à cette expédition qui s’opéra en grande partie de manière aveugle et anonyme, nul ne sachant quand il put être présent et avec qui.

J’imagine, a posteriori, que l’invitation que nous lui avions faite put résonner avec ses préoccupations d’alors.

Comme Jan l’écrivit dans le texte11 publié au terme de son

parcours dans le projet, une des questions lui permettant

10. C’est Yoann Van Parys, cheville du projet, qui s’occupa de la rédac-tion de ce communiqué, ainsi que du suivant menrédac-tionné après, tous deux repris dans le livre que nous avions édité au terme de ce projet, Biennale de Venise, 2013, (SIC), Bruxelles, 2013, p. I-VIII et IX-XVI. 11. Le texte est intitulé « La Belgique à Venise », il comprend trois

(4)

d’offrir une réponse à l’invitation de départ touchait à la problématique de la résidence, plus précisément, de son point de vue, dans le champ de la littérature.

« Qu’est-ce qu’une résidence ? », écrivait-il, soulignant le paradoxe constitutif de cette forme culturelle particulière : soit opter pour la mise en scène de soi dans l’espace public (versant « cynique » d’une réponse à l’invitation institution-nelle de résidence) ; soit habiter ce lieu (versant littéral de l’invitation à résider), y « faire arrêt » pour le « transformer » « sur un mode qui dépasse la production de textes dans

l’espace public ».

Cette question de départ était rapidement relayée par une seconde : comment habiter Venise ? ce lieu étant « difficile à vivre », topographiquement mais également sous une multiplicité d’autres aspects, j’imagine : densité des signes visuels et culturels, densité de présences et d’origines hu-maines (autant de vecteurs complexes dans l’espace et le temps), pour ne mentionner que ces densités-là, à côté de celles, physiques, de la chaleur et de l’humidité en été ; tout cela se condensant, dans cette enclave insulaire du Sud. Les textes qu’il écrivit à la suite de cette expérience de

rési-der/habiter à Venise constituent des réponses subtiles mais directes à ces interrogations.

Deux réponses simultanées.

I. À la mise en scène de soi, y substituer la mise en scène, disons fictionnelle, des autres, répondre à l’ensemble du projet en l’embrassant de son point de vue d’écrivain, de poète : soit quatorze poèmes tous dédiés à chacun.e.s des artistes invité.e.s, moins lui, disposant tous d’un titre suivi

là que chacune des interventions des artistes disposait de leur propre autonomie.

(5)

d’un « Pour » quelqu’un, des textes brefs caractéristiques du poème court de Jan, revenant sur leur travail respectif et constituant autant de « mode d’emploi à l’œuvre des autres résidents ».

Je m’étonne toujours, à les relire, à voir comme ces textes touchent leur travail, toujours avec une grande délicatesse, précision, concision (pour certains, ces termes ne sont certainement que des accents d’une même manière d’être dans la langue).

II. Seconde réponse, habiter pour engager un projet d’écri-ture : passer du poème court au poème long avec « Ce monde », un poème rédigé en écho à celui de John Ashbery « A Last World », constitué d’un ensemble d’« effets simul-tanéistes aussi nets que possible », des effets esquissant au-tant le portrait en creux de Venise, mais aussi de ce monde, et, je le suppose, de leur habitabilité possible.12

Il est certain que les questions et les réponses touchent et dépassent largement le problème de la littérature.

Elles les dépassent.

Mais elles opèrent dans la littérature, dans sa langue, dans une de ses langues, ici la poésie.

Peut-être que c’est la position heureuse de la marginalité, d’être au bord des choses, pour mieux les toucher.

Dans les images que Jan prit à Venise, qui furent publiées anonymement sur le site et que je redécouvre dans le dos-sier dédié à sa participation au projet, il y en a une, margi-nale, dans le sens plein et complexe de ce terme.

(6)

Sur le divan au tissu défraîchi du salon de l’appartement de Cannaregio sont posés d’un bord à l’autre de celui-ci, de droite à gauche, comme pour restituer un portrait en creux de soi, une minerve, une chemise pliée avec des minces lignes verticales, un pantalon brun avec une ceinture bleue, une paire de chaussettes grises ainsi qu’une paire de baskets. Cette image n’évoque pour moi ni l’absence ni la dispari-tion.

Je n’y vois bien entendu aucune prémonition. Que du contraire.

Elle agit comme une réponse visuelle, littérale voire ludique, à une des questions qui l’animait quant à ce projet de rési-dence (cette image semble dire : voici le costume, sans au-cun artifice, de l’écrivain ou du poète, la posture publique délaissée, il est parti habiter le monde, mais l’inverse peut tout aussi être plausible).

Plus intimement, je la prends comme une image pleine, et heureuse, jusqu’alors anonyme, de cette position de mar-ginalité.

Cette image semble inviter à se tenir au bord de sa posi-tion (ce que malheureusement je rends publique, dans ma langue, on ne peut masquer heureusement ce qu’on n’est pas : en effet, Je ne suis pas un poète. Pour Jan Baetens).

Références

Documents relatifs

670.. Il faut bien admettre en efTet qu'une perturbation aval ne peut modifier l'écoulement qu'à condition de modifier les conditions de pression amont, géné- ratrices de

La franchise serait donc une réponse à un contexte et, de fait, si l’on examine la production sérielle fictionnelle, à partir de 1996, on peut constater un certain

Du social dans On ne badine pas avec l’amour, Il ne faut jurer de rien et Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée de Musset Essai de sociocritique du proverbe

Pas convainc u fini' celle affirmation imnclwntc, j'interviens hum.. Je crois dire

Enzymes qui coupent les acides nucléiques Enzymes qui changent les contraintes des AN Enzymes qui travaillent sur les phosphates Enzymes qui recopient les acides nucléiques.. C:

To indicate the starting date or duration of an action or situation which is still going on in the present, use the preposition depuis + a time expression.. Note that depuis can

En revanche, la situation est tout à fait différente des années 80 et 90, plusieurs effets se conjuguent pour créer une situation atypique et paradoxale au regard de la

Quelle que soit leur taille ou leur forme, les espaces publics représentent un élément prédominant du paysageurbain, Ils constituent des lieux ouverts où prennent forme de