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L'engagement des enseignants du primaire et du secondaire dans leur développement professionnel

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Academic year: 2021

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en association avec

UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL

L'ENGAGEMENT DES ENSEIGNANTS DU PRIMAIRE ET DU SECONDAIRE DANS LEUR DÉVELOPPEMENT PROFESSIONNEL

THÈSE PRÉSENTÉE

COMME EXIGENCE PARTIELLE DU DOCTORAT EN ÉDUCATION

PAR

FRANÇOIS GUILLEMETTE

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Université du Québec à Trois-Rivières

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Et à Mikaël, Étienne, Matthieu, Mélanie, Jean, Myriam

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Madame Marie-Josée Berthiaume, ma compagne, heureusement que tu t'es enga-gée avec moi dans cette aventure; ta complicité a été mon énergie et j'ai pu profiter de tes grandes compétences de professionnelle de recherche. Mikaël, Étienne, Matthieu, Mélanie, Jean et Myriam, mes chers enfants, votre support a été tangible et très encourageant. Votre intérêt pour ma recherche a été stimulant. Et je sais que vous avez assumé une partie des coûts de cette aventure. Jeannette et Jean-Paul, mes parents, votre encouragement et votre fierté ne m'ont jamais fait défaut.

Mesdames Annie Presseau et Colette Baribeau, directrices de cette recherche, merci pour votre empressement à me faire confiance dès le début de ma démarche doctorale. Merci Annie pour ta patience dans nos discussions et pour tes encourage-ments chaleureux. Merci pour les nombreuses collaborations que tu m'as donné l'occasion de réaliser avec toi et les autres membres du CRIFPE. Merci Colette pour ta passion contagieuse pour la recherche qualitative; tu es mon mentor en ce domaine. Merci pour ta facilité à entrer avec compétence dans le processus de mon analyse tout en respectant mon autonomie. Je te dois d'avoir pu terminer cette thèse dans les délais très serrés qui m'ont été imposés. Merci aux autres membres du jury, Mme Marta Anad6n, M. Jean-Marie Miron et M. Sylvain Bourdon; vos commentaires ont été encourageants et très stimulants.

Merci aux enseignants et ex-enseignants qui ont participé à cette recherche; vous m'avez tellement appris et beaucoup impressionné.

Merci aux professeurs de l'UQTR qui m'ont enseigné durant la démarche propédeutique et la scolarité du doctorat: Colette Baribeau, Stéphane Martineau, Jean-Marie Miron, Jeanne Richer, Nicole Royer. Merci aux professeurs du programme de doctorat, en particulier Marta Anad6n, Nadine Bernatz, Monique Lebrun, Frédéric Legault, Abdoulah Marzouk et Pauline Minier. Merci aux étudiants collègues du doctorat, en particulier - pour leur amitié - Luc Prud'homme, Sylvie Harvey, Nathalie Joannette et Micheline Laître, mais aussi - pour les échanges enrichissants - Véronique Beaudoin, Tom Berryman, Denyse Blondin, Caroline Brassard, Nancy Brouillette, Sandra Coulombe, Chantal Déry, Hélène Fournier, Louise Giroux, Patrick Giroux, Francine Julien, Corneille Kazadi, Nadia Leblond, Hélène Leboeuf, Sonia Lefebvre, Nick Levasseur, Sylvie Morais, Geneviève Nault, Izabella Oliveira, François Perreault, Kathleen Quesnel, Ghyslain Samson, Geneviève Thériault. Merci à Mme Madeleine Roy et M. Jean-Marc Denommés; vous êtes une telle source d'inspiration. Merci à mon ami Henri-Paul Bordeleau et à ma collègue Pauline Minier; votre aide dans la correction de la thèse a été plus que précieuse. Pour son aide financière, merci au Syndicat des Chargées et Chargés de cours de l'UQTR. Merci aux trois communautés religieuses qui ont accordé un généreux support financier à ma famille: les Filles de Jésus, les Sœurs de la Charité et les Frères de St-Gabriel.

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REMERCIEMENTS. . . . 111

LISTE DES FIGURES VI RÉSUMÉ... VIl INTRODUCTION. . . 1

CHAPITRE l PROBLÉMATIQUE ... 3

1.1 Problématique sociale générale. . . 3

1.2 Objet de recherche. . . 10

CHAPITRE II CADRE CONCEPTUEL. . . 16

2.1 L'engagement... 16

2.2 Le développement professionnel. . . 47

2.3 Synthèse du cadre conceptuel. . . 63

2.4 Objectifs général et spécifiques de la thèse. . . . 65

CHAPITRE III MÉTHODOLOGIE... 66

3.1 Cadre épistémologique et méthodologique. . . 66

3.2 Description de la mise en œuvre de la GT dans cette recherche. . . . 81

3.3 Prise en compte des critères de scientificité . . . 108

3.4 Respect des normes éthiques. . . . .. 112

CHAPITRE IV RÉSULTATS... 115

4.1 Rappel du cadre conceptuel. . . 116

4.2 Premier des principaux éléments constitutifs du phénomène: l'évaluation 118 4.3 Deuxième élément constitutif du phénomène: le calcul du rapport entre les gains et les coûts. . . . 151

4.4 Troisième élément constitutif du phénomène: les cinq processus dans lesquels mène le développement professionnel. . . 156

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CHAPITRE V DISCUSSION DES RÉSULTATS... 217

5.1 Revoirla problématique. . . 217

5.2 L'engagement est un processus. . . . .. 220

5.3 Le désengagement peut cacher un engagement . . . 222

5.4 L'enseignant est un acteur délibératif. . . . 224

5.5 Calculer avant de s'investir. . . 235

CONCLUSION. . . .. 240

RÉFÉRENCES... 248

APPENDICE A QUATRE EXEMPLES DE CANEVAS D'ENTREVUE 292 APPENDICE B EXEMPLES DE MÉMOS-QUESTIONS. . . .. 296

APPENDICE C LISTE ALPHABÉTIQUE DES CODES IN VIVO. . . . .. 298

APPENDICE D PREMIER SYSTÈME DE CODES PARADIGMATIQUES 302 APPENDICE E ÉVOLUTION DU SYSTÈME CATÉGORIEL. . . 305

APPENDICE F SYSTÈME DE CODES TYPOLOGIQUES. . . . 328

APPENDICE G EXEMPLES D'ÉCHANGES DE VALIDATION. . . . 329

APPENDICE H EXEMPLES DE MODÉLISATIONS. . . 336

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Figure 1 : État d'engagement et action d'engagement. . . 23

Figure 2 : Investissement, évaluation et calcul. . . 29

Figure 3 : Calcul sur différents plans. . . 35

Figure 4 : Engagement, condition, stratégies ... 47

Figure 5 : Synthèse du cadre conceptuel. . . 63, 116 Figure 6 : La démarche méthodologique ... 107

Figure 7 : Évaluation des gains et des coûts par les enseignants. . . . 151

Figure 8 : Stratégie pour différents processus. . . 157

Figure 9 : Les cinq processus ... 159

Figure 10 : Conditions et stratégies des cinq processus ... 195, 209 Figure Il : Synthèse des éléments constitutifs du phénomène. . . 197

Figure 12 : Gains et coûts liés à l'engagement dans l'enseignement. . . 201

Figure 13 : Synthèse des gains et des coûts ... 202

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Dans la réforme des programmes de formation des maîtres, le ministère québécois de l'Éducation propose de réduire le taux de décrochage professionnel chez les enseignants du primaire et du secondaire en favorisant chez ces derniers l'engagement dans une démarche de développement professionnel. Cette proposition repose sur l'hypothèse que plus un enseignant s'engage dans son développement professionnel, moins il a de propension à abandonner la profession.

La présente recherche se situe, en quelque sorte, en amont de l'hypothèse du MEQ. Elle vise à explorer le phénomène en lui-même sans chercher à vérifier l'hypothèse. Ainsi, l'objet de cette recherche est le phénomène de l'engagement des enseignants du primaire et du secondaire dans leur développement professionnel. Ce phénomène est étudié dans ses éléments constitutifs essentiels: la variation (sur un continuum entre l'engagement et le désengagement), la dynamique (l'ensemble de ses conditions favorables), enfin, les stratégies et les délibérations des acteurs.

L'objet de la recherche constitue donc un « terrain» à explorer, non seulement en raison de la pertinence sociale et scientifique de la question, mais aussi parce qu'il n'a pas encore été exploré avec une démarche scientifique - dù moins avant de l'être par l'auteur de cette thèse. Ce besoin d'une approche exploratoire appelle le choix de la Grounded Theory comme méthodologie générale. Celle-ci est caractérisée par une interdépendance et par une circularité entre la collecte et l'analyse des données, par l'utilisation d'un échantillonnage théorique, par une validation constante de l'analyse théorisante jusqu'à saturation et par une attention portée à ce qui émerge des données empmques.

Ainsi, en recueillant des données empiriques auprès d'une quarantaine de participants et en analysant ces données selon les procédures propres à la méthodologie de la Grounded Theory, il a été possible de construire une compréhension du phénomène et d'en arriver aux conclusions présentées ci-dessous.

La démarche de développement professionnel est une stratégie qui peut être utilisée dans des processus de continuité de l'engagement initial en enseignement primaire et secondaire, mais aussi dans des processus de discontinuité par rapport à cet engagement initial. Plus précisément, le développement professionnel permet d'avancer dans l'un des cinq processus suivants: le processus qui donne priorité à la continuité, le processus de continuité mitigée, le processus ambigu (continuité et désengagement), le processus de désengagement mitigé et le processus qui donne priorité au désengagement.

Le choix de l'enseignant d'orienter sa démarche de développement professionnel dans un processus finalisé par l'engagement ou dans un processus finalisé par le désengagement est fait en fonction d'une évaluation des gains et des coûts liés à son

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engagement en enseignement primaire ou secondaire. L'ensemble des gains perçus par l'enseignant (en rapport avec son engagement en enseignement) s'intègre en un gain global qui est celui de la possibilité de réaliser son option fondamentale en éducation, c'est-à-dire son désir profond, le sens de son existence, ce qui le rend heureux, ce qui le valorise personnellement, sa passion la plus chère, son identité professionnelle la plus positive à ses yeux, son idéal le plus élevé, sa vocation et sa mission. En cohérence avec l'évaluation qu'il fait des gains liés à son engagement en enseignement, l'enseignant considère comme un coût insupportable le fait de devoir renoncer à la réalisation de son option fondamentale, notamment en raison des conditions comme la surcharge de travail, le manque de ressources, la violence diffuse, etc. Il vit cette nécessité de renoncer à son idéal comme une atteinte à son intégrité au point qu'il en devient malade - psychologiquement et physiquement.

Lorsque l'enseignant perçoit qu'il peut réaliser son option fondamentale dans l'exercice de l'enseignement primaire ou secondaire, il s'engage de plus en plus dans la continuité de son engagement initial dans la profession enseignante et il poursuit sa démarche de développement professionnel en vue d'avancer dans cet engagement. Par contre, lorsque l'enseignant perçoit qu'il doit renoncer, dans l'exercice de l'enseignement primaire ou secondaire, à la réalisation de son option fondamentale, il se désengage de plus en plus de cette profession et poursuit sa démarche de développement professionnel dans le but de quitter l'enseignement primaire et secondaire. Dans ce cas, l'enseignant poursuit cette démarche si - et dans la mesure où - celle-ci lui ouvre une voie de remplacement, c'est-à-dire un autre engagement, et il oriente en même temps cette démarche dans le sens d'un engagement plus profond

en éducation. En d'autres mots, à un premier niveau, l'enseignant du primaire ou du secondaire, avance, par son développement professionnel, dans des processus de continuité ou des processus de discontinuité de son engagement initial dans la profession, mais à un autre niveau, lorsque la démarche de développement professionnel permet de « gagner» ce qui a le plus de valeur à ses yeux, c'est-à-dire la réalisation de son option fondamentale en éducation, cette démarche se situe dans une dynamique de fidélité à son engagement plus profond en éducation.

Ainsi, la conclusion générale de cette recherche est la suivante: l'engagement des enseignants du primaire et du secondaire dans leur développement professionnel constitue un processus d'investissement de soi dans la réalisation de leur option fondamentale en éducation. Cet engagement constitue donc essentiellement un processus de fidélité à soi, à son idéal, à sa vocation, à sa mission.

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Cette recherche est consacrée à l'étude du phénomène de l'engagement des enseignants du primaire et du secondaire dans leur développement professionnel. Essentiellement, elle vise à comprendre le sens que donnent les enseignants à leur démarche de développement professionnel.

Le chapitre 1 comporte la présentation des raisons du choix de cet objet de recherche, de même que l'explication de la problématique sous-jacente à cet objet et de la pertinence sociale et scientifique de l'étude.

Le chapitre II précise les paramètres de l'objet de recherche en définissant les termes qui servent à l'identifier. Ainsi, la signification des termes engagement et

développement professionnel avec les nuances nécessaires est présentée afin de faciliter la compréhension de la sensibilité théorique avec laquelle l'objet de recherche a été approché. À la fin de ce chapitre, en guise de synthèse de l'ensemble des précisions apportées pour délimiter l'objet de la recherche, sont formulés les objectifs général et spécifiques de recherche. L'objectif général est la compréhension du phénomène de l'engagement des enseignants du primaire et du secondaire dans leur développement professionnel. Pour ce qui est des objectifs spécifiques, il s'agit d'étudier le phénomène dans ses variations sur le continuum entre l'engagement et le désengagement, d'étudier les délibérations des enseignants par lesquelles ils évaluent les gains et les coûts en jeu dans leur engagement et par lesquelles ils calculent le rapport entre ces gains et ces coûts, d'étudier l'engagement et le désengagement comme des « processus» - ce qui implique l'étude des dynamiques constituées par les conditions favorables à l'avancement dans les processus (conditions favorables perçues comme tel par les enseignants lorsqu'ils interprètent ce qu'ils vivent en rapport au phénomène à l'étude) -, finalement, d'étudier les stratégies que les acteurs

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emploient pour avancer dans les processus et dans les différentes VOles de développement professionnel.

Au chapitre III, se trouve une description de la démarche méthodologique empruntée pour réaliser la recherche. Sont précisés d'abord les postulats épistémo-logiques de même que les grandes lignes de l'approche méthodologique de la

Grounded Theory. Par la suite, l'itinéraire méthodologique parcouru pour réaliser la recherche est rapporté en détail. Dans cette partie, se trouve aussi la présentation des méthodes de collecte des données, d'échantillonnage théorique et d'analyse théorisante. Le chapitre se termine par une explication de la façon dont les critères de scientificité et d'éthique de la recherche ont été pris en compte tout au long de la démarche.

Le chapitre IV présente les résultats de l'analyse théorisante. Il comporte trois parties: premièrement, le rappel du cadre conceptuel; deuxièmement, l'ensemble des éléments constitutifs du phénomène; troisièmement, les principaux énoncés qui constituent, avec l'énoncé central, le résultat d'une intégration finale de la construction théorique. Tout au long du chapitre, l'ancrage des résultats de l'analyse dans les données empiriques est illustré par le recours à des extraits de ces données.

C'est dans le chapitre V que sont discutés les résultats de l'analyse, notamment par un recours aux résultats de recherches qui ont été réalisées - sous un autre angle d'approche - sur l'un ou l'autre des aspects du phénomène.

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PROBLÉMATIQUE

L'objet de cette recherche doctorale est ancré dans une problématique sociale qui préoccupe l'ensemble de la population québécoise particulièrement en raison du fait que l'enjeu fondamental de cette problématique est la qualité de l'éducation scolaire. Dans ce chapitre I, on trouve en premier lieu la problématique sociale générale à laquelle est lié l'objet de recherche et, deuxièmement, la présentation de celui-ci.

1.1 Problématique sociale générale

Le Québec, comme les autres provinces canadiennes (Wallace, 2000) et comme la plupart des états américains (Hausman & Goldring, 2001; VanRoekel, 2000) et européens (Bangs, 2000), est aux prises avec un problème de pénurie dans le personnel enseignant (Fédération Canadienne des Enseignantes et des Enseignants (FCE), 2000). La situation québécoise n'est pas aussi critique que dans certaines autres provinces, mais elle pourrait devenir sérieusement problématique dans les prochaines années surtout en milieu urbain et pour l'enseignement de certaines disciplines (FCE, 2000). Bousquet spécifie que 80 % des enseignants québécois qui occupaient un poste à plein temps dans une école publique en 1995-1996 devront être remplacés avant 2010 (Bousquet, 2000, p. 10).

D'après les sondages et les études réalisées pour la Fédération Canadienne des Enseignantes et des Enseignants (FCE, 2000), on peut identifier trois causes principales de cette pénurie; elles sont présentées ici par ordre d'importance. La première est le fait qu'environ la moitié des enseignants en place en l'an 2000 atteindront l'âge de la retraite avant l'an 2010, notamment parce que, au Canada, « les

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personnes qui prennent leur retraite du secteur de l'éducation affichent l'âge médian le moins élevé, soit 58 ans. » (Holness & Gervais, 2000, p. Il). La deuxième cause renvoie au phénomène du décrochage professionnel, c'est-à-dire au haut taux d'abandon de la profession avant l'âge de la retraite. La troisième cause est attribuable à un trop faible taux d'attraction dans la profession, c'est-à-dire à un manque de candidats à la profession (étudiants inscrits et diplômés des programmes de formation des maîtres) par rapport aux besoins. C'est ainsi qu'au Québec, selon les projections, à partir de 1999, le nombre de diplômés en enseignement sera moindre que le nombre d'emplois vacants (Bousquet, 2000).

En raison du fait que cette recherche doctorale est en lien avec la deuxième cause identifiée (le décrochage professionnel des enseignants), celle-ci est présentée ici de manière plus explicite. Tout d'abord, «la recherche révèle qu'un nombre considérable de personnes formées à l'enseignement et employées dans ce domaine abandonne la profession dans les cinq premières années. » (FCE, 2000, p. 24). Des statistiques plus précises pour le Québec et le Canada semblent inexistantes, mais il peut être intéressant de se référer aux statistiques des États-Unis où un enseignant sur cinq abandonne la profession dans les trois premières années d'exercice et où un enseignant sur trois abandonne dans les cinq premières années (West, 2002). À ces précisions, il faudrait ajouter, d'une part, la portion de futurs enseignants qui abandonnent à la fin de leurs années de formation ou suite à des difficultés rencontrées durant leurs stages en milieu de travail (Théberge et al., 1995) et, d'autre part, la portion d'enseignants qui, tout en demeurant en poste, se cherchent activement un autre emploi et abandonneraient l'enseignement s'ils en trouvaient un (King & Peart, 1992). De plus, quelques études tendent à indiquer que ce sont les enseignants les plus talentueux qui « décrochent» et qui abandonnent la profession en plus grand nombre (Fresko et al., 1997; Gold, 1996; Sprinthall et al., 1996).

Ce phénomène de décrochage professionnel est d'autant plus problématique qu'il entraîne une perte sur le plan social. En effet, ces enseignants eux-mêmes, de même

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que les institutions académiques et l'État, ont investi du temps et des ressources dans un projet de formation professionnelle (quatre années universitaires) afin d'offrir à la société un corps enseignant compétent. Or, un grand nombre de ces « formés» ne joindront pas les rangs de la profession, mais la quitteront, et ce, pour la plupart, dans les premières années d'insertion (Hausman & Goldring, 2001).

Depuis la deuxième moitié du dernier siècle, de nombreuses recherches ont été faites sur les premières années d'insertion professionnelle des enseignants. Les chercheurs parlent de ces années en termes d'étape de « survie» parce qu'elles sont caractérisées par d'énormes difficultés qui deviennent des conditions favorables au décrochage professionnel. (Baillauquès, 1999; Burden, 1990; Clerc, 1995; FessIer, 1992; Fuller & Bown, 1975; Gold, 1996; Hétu & Lavoie, 1999; Huberman, 1989; Tickle, 1989; Varah & al., 19861). À cet égard, Nault (2003) a comparé l'insertion

professionnelle telle qu'elle se vit au Québec avec la situation d'insertion dans d'autres pays et a fait ressortir le fait que les novices québécois sont placés dans des situations beaucoup plus difficiles et exigeantes. Sur ce plan, si l'on se fie aux écrits scientifiques sur le sujet, on peut dire que la situation québécoise ressemble à celle des États-Unis, de la France et de la Suisse où, entre autres, en raison de certains droits reliés à l'ancienneté, les nouveaux enseignants se voient confier les groupes d'élèves qu'aucun enseignant d'expérience n'accepte de prendre en charge (Featherstone, 1998; Huberman, 1991). Nault (2003) fait écho à une réflexion très répandue dans le milieu de l'enseignement lorsqu'elle invite à considérer la pertinence d'une politique éventuelle qui consisterait à alléger les conditions d'insertion professionnelle des enseignants - comme il est fait dans d'autres pays. Featherstone (1998) donne l'exemple de la Chine où on retrouve en enseignement des conditions facilitantes d'insertion professionnelle comme la diminution du nombre d'heures d'enseignement, le support systématique des collègues plus expérimentés et le travail d'équipe.

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Pour leur part, Gauthier & Mellouki (2003) soulignent que la situation québécoise de l'insertion professionnelle des nouveaux enseignants est caractérisée « par la non-linéarité ». Ils précisent que

ce fractionnement des trajectoires se manifeste notamment par l'enchevêtrement des situations de travail, de double emploi, d'inactivité, de chômage, de retour aux études; par des changements fréquents de milieux et de conditions de travail (changements de classe, de discipline, d'écoles, de commissions scolaires); par l'éclatement et le morcellement des tâches dus aux pratiques d'affectation par ancienneté qui laissent aux débutants des tâches en partie en dehors de leurs compétences; par une situation d'insertion qui est parfois moins un processus fini qu'un état prolongé à durée indéterminée s'étalant sur plusieurs années qui ralentit l'apprentissage du métier et oblige le novice à s'adapter sans cesse à une réalité changeante, complexe et difficile voire à abandonner le métier auquel il avait aspiré. (Gauthier & Mellouki, 2003, p. 74f

Les gouvernements des pays occidentaux s'attaquent au problème du décrochage professionnel des jeunes enseignants en mettant en place des programmes de rétention dans la profession3. Au Québec, le ministère de l'Éducation (MEQ) tente de

juguler l'hémorragie en favorisant l'engagement des enseignants dans des démarches de développement professionnel, espérant ainsi qu'ils trouveront des solutions aux problèmes qu'ils rencontrent et qu'ils ne s'orienteront pas vers la porte de sortie,

2 Ces chercheurs ajoutent: « D'aucuns considèrent même que le secteur de l'enseignement est un de ceux qui prennent le moins soin de ses nouveaux arrivants et que cela ne correspond pas à une

profession digne de ce nom. Alors qu'en droit, en génie, on ne confiera pas aux nouveaux diplômés les mandats les plus complexes, il est fréquent de retrouver les jeunes enseignants face aux classes les plus difficiles. [ ... ] De plus, si les responsabilités inhérentes aux autres professions sont apprises de manière graduelle, l'enseignant novice doit immédiatement faire face à l'ensemble des tâches que comporte la conduite d'une classe. Une fois le jeune enseignant devenu permanent, l'affectation des tâches est déterminée, le plus souvent, selon le critère de l'ancienneté. Les jeunes enseignants sont donc confrontés aux conditions les plus difficiles dès leur entrée dans la profession» (Gauthier &

Mellouki, 2003, p. 79).

3 Pour ce qui est de la première et de la troisième cause de la pénurie d'enseignants (la prise de la retraite et le faible taux d'attraction), les gouvernements s'y attaquent par des campagnes de

« publicité» pour les programmes de formation des maîtres et pour la profession enseignante, par des politiques de discours positifs sur la profession de la part des élus et par du recrutement auprès des enseignants retraités ou « ré-orientés» dans une profession connexe. Concernant cette dernière solution, les provinces canadiennes ont, semble-t-il, épuisé leurs « réserves ». (FCE, 2000).

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surtout durant les premières années d'insertion professionnelle, là où le taux de décrochage est le plus élevé (MEQ, 2001, p.128-129). Dans cette foulée, le MEQ a investi des sommes importantes dans le soutien au développement professionnel des enseignants «en vue de favoriser un plus grand engagement de l'ensemble des enseignantes et des enseignants dans leur propre formation continue» (MEQ, 1999, p.3). Depuis mai 2001, ce ministère demande que la formation initiale des maîtres inclue l'acquisition d'une compétence liée au développement professionnel. L'intitulé de cette compétence se lit comme suit: « S'engager dans une démarche individuelle et collective de développement professionnel ». La formation professionnelle des maîtres à l'université a donc comme mandat de favoriser l'autonomie professionnelle et un engagement de soi dès le temps de la préparation afin de développer de façon précoce l'habitude du développement continuel ou de la croissance professionnelle tout au long de la vie.

Selon le MEQ, un enseignant vraiment « compétent» ou « professionnel» doit s'engager dans des démarches de « formation professionnelle continue ». En d'autres mots, l'enseignant doit avoir une «capacité de renouvellement, d'analyse et de réflexion critique» (MEQ, 2001, p. 125). L'enjeu n'est donc pas uniquement la rétention dans le sens minimaliste de s'organiser pour ne pas manquer de personnel enseignant ou de faire en sorte que les enseignants ne quittent pas leur emploi (Billingsley, 1993). Il s'agit plutôt de favoriser le maintien «dans la profession », c'est-à-dire d'encourager les enseignants à exercer leur professionnalité et leur professionnalisme. En ce sens, il ne s'agit pas uniquement de demeurer à l'emploi d'une commission scolaire, mais aussi de pratiquer de façon « professionnelle» ou avec « compétence» ce qui implique, entre autres, d'être véritablement engagé dans le développement de ses compétences professionnelles (Craft, 2000; Day, 1999; Moon, 2000; Nias, 1981; Woods, 1981).

L'engagement dont il est question ici doit dépasser la simple fidélité au lien d'emploi. En effet, les études sur la rétention dans les organisations indiquent que la

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fidélité à l'emploi sans engagement dans son développement professionnel peut être néfaste pour l'entreprise et qu'une certaine quantité d'abandons chez les employés peut être bénéfique, notamment lorsqu'elle implique le départ des moins compétents et des moins engagés. Ainsi, les entreprises attendent de leurs employés qu'ils soient engagés professionnellement et non uniquement fidèles à leurs postes (Meyer & Allen, 1997). Dans un contexte de pénurie, la responsabilité éthique des enseignants est donc encore plus grande puisque toute forme de désengagement (intérieur ou extérieur) a des conséquences négatives sur la qualité de l'éducation offerte dans les écoles. Comme le soulignent Parent et al. (1999), « tout professionnalisme exige de ceux qui s'en réclament une démarche d'apprentissage continue. [ ... ] C'est un devoir professionnel de s'améliorer continuellement.» (p. 124). L'enjeu de ce devoir professionnel de vigilance dans son développement est d'autant plus important que l'on se trouve dans un contexte où la société a un grand besoin de professionnels de l'enseignement.

Toujours selon le ministère de l'Éducation, la véritable prévention du décrochage chez les enseignants passe par tout ce qui favorise, en eux, le développement de cette compétence consistant à « prendre en charge leur développement professionnel » (MEQ, 2001, p. 129). Dans le même sens, Sprinthall et al. (1996) affirment qu'un enseignant vivant de grandes difficultés professionnelles retrouvera son enthousiasme s'il s'investit dans son développement professionnel (p. 670-671).

Des recherches rapportées par Fresko et al. (1997), de même que par Hausman & Goldring (2001), font l'hypothèse que la faiblesse des exigences pour l'admission en formation des maîtres (comparativement à la médecine, au droit et au génie) encourage l'entrée dans le processus du développement professionnel de personnes qui sont peu engagées et qui n'ont pas l'intention ferme de persévérer dans la profession, ni, conséquemment, dans leur développement professionnel. De même, des recherches en sciences sociales sur le lien entre l'engagement professionnel et la persévérance dans sa profession - pour d'autres professions que l'enseignement - en

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arrivent à des conclusions semblables (Mathieu & Zajac, 1990; Meyer & Allen, 1997; y oon & Thye, 2002). Selon la logique de cette hypothèse et de ces recherches, le MEQ est justifié de demander aux institutions formatrices de favoriser l'engagement des enseignants dans leur développement professionnel. De leur côté, Flück (2001) et Parlier (2002) rappellent que le développement professionnel nécessite, comme toutes les autres formes de développement ou d'apprentissage, un engagement de la part de l'apprenant ou de celui qui se développe (Bourgeois, 1998; Herman & Tucker, 2000; Higgins et al. 1995; Macgowan, 2000; McWilliam & Bailey, 1992; Newman, 1989; Pintrich & Schrauben, 1992).

Concrètement, pour favoriser ce développement professionnel après la formation initiale, le ministère investit presque exclusivement dans une stratégie particulière de soutien prenant la forme d'une offre d'activités de formation continue. Pourtant, en 2002, le Comité d'orientation de la formation du personnel enseignant (COFPE) a fait retentir une sonnette d'alarme dans son Avis au Ministère de l'Éducation en signalant que n'émane de ce ministère, ni politiques, ni financement, pour encourager les initiatives locales qui visent à faciliter l'insertion professionnelle des nouveaux enseignants (COFPE, 2002). Durant ce temps, le problème du décrochage professionnel des enseignants demeure entier, comme en témoignent les derniers écrits sur ce sujet (Marchand et al., 2003; Gauthier & Mellouki, 2003). Il semble bien, à la lecture des documents officiels du MEQ, que celui-ci ne voie la solution au décrochage que dans l'engagement des enseignants dans leur développement professionnel, comme nous l'avons vu plus haut.

L'orientation fondamentale du MEQ à la base des mesures mises en place pour contrer le décrochage professionnel des enseignants repose donc essentiellement sur l'idée que plus un enseignant s'engage dans son développement professionnel, moins il est enclin à abandonner la profession. L'engagement dans son développement professionnel est ainsi perçu comme le contraire du désengagement qui peut mener au décrochage professionnel. Mais cette « solution» proposée par le MEQ est-elle

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fondée sur autre chose qu'une hypothèse? La question vaut la peine d'être posée parce que cette «hypothèse» fonde des actions d'envergure. Et si on se trompait? Les enjeux sont importants et de nombreuses avenues de questionnement leur sont reliées. On n'a qu'à penser, par exemple, aux questions de la « professionnalisation » progressive en formation universitaire, aux questions de gestion des ressources humaines dans un contexte où l'engagement semble porter l'exigence de la réciprocité, aux questions plus spécifiquement éthiques comme celle des conflits possibles entre divers engagements. De plus, il importe de noter que ces enjeux dépassent le giron de la profession enseignante et qu'ils sont également ceux de plusieurs professions.

Il semble donc qu'une étude rigoureuse doive être réalisée en amont de « l'hypothèse» du MEQ, c'est-à-dire sur le phénomène désigné par le libellé:

« s'engager dans une démarche de développement professionnel ». C'est d'ailleurs ce

besoin qui a déterminé le choix de l'objet de cette recherche doctorale.

1.2 Objet de recherche

Cette recherche doctorale tente de répondre au besoin de connaître de façon empirique le phénomène de l'engagement des enseignants dans leur développement professionnel, en particulier dans le contexte québécois. Il semble qu'avant même de faire l'hypothèse que l'engagement dans son développement professionnel pourrait être la solution au problème du décrochage chez les enseignants, il faudrait connaître un peu mieux la nature de ce phénomène d'engagement. Comment les enseignants eux-mêmes vivent-ils leur engagement dans leur développement professionnel? Quels aspects de ce phénomène social peut-on dégager pour répondre au besoin de connaissances à ce sujet?

Il existe beaucoup d'écrits théoriques sur l'engagement (on pourra le constater en lisant le chapitre II), mais ces écrits sont généralement spéculatifs et ne répondent pas

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à la nécessité de connaître empiriquement le vécu des enseignants sur le plan de l'engagement dans leur développement professionnel. Comme le souligne Gold (1996, p. 549), bien qu'il soit essentiel de comprendre, entre autres, les raisons qui amènent les enseignants à se désengager et à choisir si précocement d'abandonner leur carrière après avoir passé quatre années ou plus à s'y préparer, il semble bien que la recherche sur ce sujet soit de l'ordre de l'éventualité. «A review of the literature on attrition/retention shows that a small number of research studies have addressed the numerous and essential factors associated with retenti on and have done so in mainly an anecdotal manner » (Gold, 1996, p. 549). À notre connaissance, cette lacune au plan de la recherche scientifique n'est pas encore comblée. Pourtant, la compréhension des processus d'engagement et de désengagement liés au développement professionnel des enseignants permettrait de mieux identifier ce qui peut favoriser cet engagement et ce qui peut prévenir le désengagement ou le décrochage, et ce, à la fois dans le domaine de la formation initiale, dans celui de la formation continue et dans celui de la gestion scolaire.

Cette recherche doctorale vise donc à explorer le phénomène qui se trouve dans la prémisse de l'hypothèse du MEQ: «SI un enseignant s'engage dans son développement professionnel... ». Elle vise à cerner les caractéristiques de ce phénomène et à comprendre la dynamique de l'engagement d'un enseignant dans son développement professionnel.

Par ailleurs, cette recherche n'a pas été orientée dans la voie d'une évaluation des interventions faites pour prévenir le décrochage et pour favoriser l'engagement des enseignants dans leur développement professionnel. Elle n'a pas non plus cherché à solutionner le problème du décrochage professionnel des enseignants et elle n'a pas consisté à vérifier « l'hypothèse» qui est à la base des orientations du MEQ.

Le problème de recherche se présente donc essentiellement comme une lacune à combler dans les sciences de l'éducation. C'est ce que Bouchard appelle «un territoire de questionnement» (Bouchard, 2000, p. 83) dans le sens métaphorique

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d'un champ qui reste à explorer et pour lequel plusieurs questions sont laissées sans réponse. Bouchard emploie aussi les expressions « manque », « carence» et « vide» pour désigner cette manière d'aborder un problème de recherche (Bouchard, 2000, p. 93). On pourrait aussi parler d'un « besoin» sur le plan de la pertinence sociale (on a socialement besoin de connaissances solides sur cet objet) et d'un « oubli» sur le plan de la pertinence scientifique, dans le sens de la méthode deleuzienne (Villani, 1996).

Dans un tel cas où l'objet de la recherche correspond à un besoin d'exploration d'un phénomène, les méthodologues appartenant à l'école de l'interactionnisme symbolique et ceux appartenant à l'école de la Grounded Theory font une distinction

entre la délimitation d'un objet de recherche et la formulation d'un «problème» comme tel (Glaser, 1992; Holloway & Wheeler, 2002; Strauss & Corbin, 1998).

Conventional wisdom suggests that a researcher prepare a relatively articulated problem in advance ofhis inquiry. This implies that he would not, or could not, begin his inquiry without a problem. Yet, the field method process of discovery may lead the researcher to his problem after it has led

him through much of the substance in his field. Problem statements are not prerequisite to field research; they may emerge at any point in the research process, even toward the very end» (Schatzman & Strauss, 1973, p. 1).

Dans cette perspective et en raison de la problématique qui a mis en lumière le besoin d'une étude exploratoire, l'objet de recherche est précisé par la délimitation des paramètres de la situation sociale faisant l'objet de l'étude. De plus, comme on le verra plus en détail dans le chapitre III, lorsque la problématique conduit à la nécessité d'explorer une situation sociale sans lui imposer d'hypothèse à vérifier et de rester le plus ouvert possible à ce que vivent les acteurs sociaux qui sont dans cette situation, l'approche méthodologique à privilégier doit non seulement être qualitative, mais il est préférable aussi qu'elle soit inductive. L'une de ces approches inductives est la Grounded Theory. C'est celle-ci qui a été jugée comme étant la plus pertinente

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caractéristique d'induction et d'ouverture à l'émergence. Pour les mêmes raisons, la

Grounded Theory est souvent jugée utile pour des recherches sur des terrains qui sont peu explorés (Chenitz & Swanson, 1986; Hutchinson & Wilson, 2001; Laperrière,

1997; Schreiber, 2001).

Ce besoin d'une « exploration» sur un terrain encore relativement vierge appelle aussi une approche d'ouverture qui caractérise plusieurs approches inductives dont celle de la Grounded Theory. Dans la perspective de la Grounded Theory, le chercheur doit se prémunir contre le danger d'appliquer au phénomène à l'étude des théories explicatives qui ne lui permettraient pas de s'ouvrir à ce que les données empiriques (les données recueillies auprès des personnes qui vivent le phénomène) pourraient lui apprendre. Cette attitude d'ouverture est opérationnalisée, entre autres, par la suspension de la référence à des théories explicatives existantes, du moins dans les premières phases de la recherche. Le chercheur fait alors l'effort d'une mise entre parenthèses4 de la référence à ses savoirs sur l'objet de son étude pour une ouverture à ce qui peut émerger des données (Glaser, 1995). C'est la manière avec laquelle, en

Grounded Theory, le chercheur essaie d'éviter les biais ou d'éviter dans la mesure du possible de faire passer les données empiriques par le filtre d'idées préconçues (Glaser, 1978; Starrin et al., 1997). L'approche de la Grounded Theory invite ainsi à éviter de «contaminer» les données et les concepts qui émergent en cours de recherche (Glaser & Strauss, 1967, p. 37). Au minimum, le chercheur demeure ouvert à de nouvelles façons de comprendre les phénomènes et ne privilégie aucune interprétation a priori (Dey, 1999, p.4). On pourra constater, dans le chapitre III, comment s'est concrétisée, dans cette démarche de recherche, l' opérationnalisation de cette attitude d'ouverture. Pour le moment, il faut simplement ajouter que le recours aux écrits scientifiques dans la phase d'élaboration du projet de recherche a

,

essentiellement servi à spécifier les paramètres de l'objet de recherche ou, en d'autres mots, à cerner plus étroitement ce que signifient les termes utilisés pour désigner cet

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objet, en l'occurrence les termes d'engagement et de développement professionnel. Ainsi, au chapitre II, est expliqué l'énoncé selon lequel la recherche porte sur les enseignants qui s'engagent dans leur développement professionnel. Par contre, il est entendu que cette délimitation des paramètres de la situation sociale à l'étude a été faite avec la reconnaissance du caractère provisoire que peuvent avoir ces paramètres identifiés (Glaser, 2001). «Researchers frequently discover, after more data have been collected, that sorne other focus for the study might prove more profitable, more interesting» (Corbin & Strauss, 1996, p. 142). Il s'agissait, encore une fois, d'aborder la recherche avec un esprit d'ouverture en considérant que les acteurs qui vivent le phénomène à l'étude le connaissent mieux que quiconque et en assumant que les données empiriques collectées éclairent grandement la façon de poser les questions, d'aborder l'objet de la recherche et même de voir la problématique sous-jacente. Ainsi, même la question de recherche a été précisée dans le but de mieux délimiter l'objet de la recherche, tout en demeurant assez ouverte pour permettre des précisions ultérieures susceptibles d'émerger de l'étude elle-même (Beck, 1999; Dey, 1999; Willig, 2001).

On comprendra, notamment en lisant le chapitre III, que cette posture épistémologique constitue une tension inhérente à l'approche Grounded Theory parce

que le chercheur doit constamment composer, d'une part, avec le recours à des concepts appartenant à des univers théoriques qui orientent la « lecture» des données empiriques et, d'autre part, avec une ouverture à des univers théoriques inédits, du moins dans la communauté scientifique.

Ceci étant dit, pour résumer ce qui a été dit sur l'objet de recherche, soulignons qu'il porte sur le libellé de la compétence no 11 du document du MEQ sur la formation à l'enseignement: «s'engager dans une démarche de développement professionnel ». Sous forme de question de recherche, cet objet pourrait être traduit ainsi: comment les enseignants vivent-ils leur engagement dans leur développement professionnel?

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Dans le prochain chapitre, après les précisions sur les paramètres de l'objet de recherche, des objectifs plus spécifiques sont formulés.

Enfin, c'est dans le chapitre III sur la méthodologie que sont précisés davantage les paramètres des situations qui ont été échantillonnées comme manifestations empiriques du phénomène.

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CADRE CONCEPTUEL

Dans ce chapitre II, est précisée la signification des termes pnncipaux qUI délimitent l'objet de recherche. Ainsi, cet objet est cerné plus spécifiquement. Par la suite, les objectifs de recherche sont clairement énoncés. On trouvera d'abord une définition détaillée du terme engagement (et son corollaire: désengagement)

accompagnée d'une synthèse de ce qu'on peut trouver à propos de ce terme dans les écrits scientifiques. Pour l'expression développement professionnel, on trouvera les résultats de la recension d'écrits réalisée à partir des différentes définitions proposées. Ensuite, on trouvera une synthèse de la signification de l'objet d'étude et, finalement, la présentation des objectifs de recherche.

2.1 L'engagement

Cette première partie du chapitre II porte sur le terme engagement. Dans cette partie, est d'abord précisé ce que signifie le terme engagement lorsqu'il correspond au substantif du verbe « s'engager ». Deuxièmement, on trouve l'étymologie du mot engagement. Ensuite, la distinction des différents sens du mot est présentée afin d'identifier précisément dans quel sens il est employé pour désigner l'objet de cette étude. Ainsi, est expliquée la portée sémantique de l'utilisation des termes action, investissement et processus lorsqu'ils sont employés pour définir l'engagement.

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2.1.1 «S'engager»

Cette recherche porte sur ce que le ministère de l'Éducation du Québec appelle la compétence à «s'engager» dans son développement professionnel (Ministère de l'Éducation du Québec, 2001). La portée sémantique de la forme pronominale réfléchie du verbe « s'engager» est tout d'abord expliquée.

Cette forme pronominale réfléchie signifie que le soi est à la fois sujet et objet de l'action et donc qu'il s'agit d'engager soi-même par soi-même. Lorsqu'une action possède cette caractéristique, c'est-à-dire lorsque son sujet et son objet sont identiques, cette action peut être qualifiée d'autonome. En français, pour indiquer ce caractère d'autonomie d'une action, on ajoute le préfixe «auto» au substantif qui désigne l'action, par exemple dans le terme «autoformation» qui désigne la formation de soi-même par soi-même. Donc, à cause de la forme pronominale réfléchie du verbe «s'engager », le substantif à utiliser pour parler de l'action indiquée par ce verbe devrait être celui d'auto-engagement.

Ainsi, étudier le phénomène des enseignants qui s'engagent eux-mêmes dans leur développement professionnel implique que le substantif « engagement» soit utilisé pour désigner ce phénomène, mais toujours dans le sens d' «auto-engagement ». Cette précision doit être conservée à l'esprit pour comprendre le reste de la thèse. En effet, dans le but d'alléger le texte, le préfixe « auto» a été mis de côté pour ne conserver que le mot engagement, mais il faudra que le lecteur garde à l'esprit, à toutes les fois où il sera question d'engagement, qu'il s'agit d'un engagement autonome. De même, à toutes les fois où il sera question de désengagement, il s'agit d'un désengagement autonome.

Dans le document du MEQ portant sur les compétences professionnelles des enseignants (Ministère de l'Éducation du Québec, 2001), lorsqu'on explique la compétence qui consiste à s'engager dans son développement professionnel, on fait le lien entre «s'engager» et l'autonomie, notamment en référant aux écrits sur

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l'autonomie professionnelle. On précise alors qu'il s'agit de prise en charge, de prise d'initiative, de prise de décision, d'investissement de soi dans l'action, de participation, d'implication et de responsabilisation. Toujours selon le document du MEQ, la responsabilisation implique la prise en charge autonome de son acte professionnel et de son développement professionnel, mais elle implique aussi, au sens éthique et quasi juridique, la conscience professionnelle et l'imputabilité. Dans la même perspective, Zarifian (1997) établit un rapport synonymique entre « engagement» et «prise de responsabilité ». Il parle alors de l'engagement comme d'une « auto-sollicitation» et d'une « auto-mobilisation ».

Pour préciser le sens du terme auto-engagement, on peut avoir recours à la distinction établie par Johnson (1995) entre l'engagement autonome et l'engagement hétéronome. Dans un vocabulaire un peu différent, Levinger (1999) établit une distinction entre s'engager et être engagé par d'autres ou par des circonstances extérieures à ses propres décisions. Dans le même sens, et en parlant des enseignants, Huberman (1989, p.52) distingue « l'engagement administratif », qu'il identifie à la nomination ou à l'embauche (donc engagement hétéronome) et «l'engagement psychologique », qu'il identifie à la décision que l'enseignant prend de demeurer dans l'enseignement (engagement autonome). Pour sa part, Stebbins (1970), repris par Shoemaker et al. (1977), distingue l'engagement motivé par les valeurs de l'individu et l'engagement forcé. « Être engagé » peut ainsi signifier essentiellement subir une contrainte; c'est l'engagement hétéronome ou l'engagement subi (Jaros et al., 1993; Johnson, 1995). Ce type d'engagement hétéronome peut exister simplement parce que le changement est considéré comme impossible. La personne continue alors son engagement parce qu'elle considère qu'elle ne peut pas faire autrement. (Adams, 1999; Becker, 1964; Gerard, 1965; Levinger, 1999). Au contraire de cet engagement forcé, l'auto-engagement suppose la liberté accompagnée de contraintes (Strauss, 1992) et la responsabilité ou la croyance que la situation ne dépend pas uniquement

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des contraintes structurales, mais aussi de soi, de ses choix, de ses actions (Nadot, 1998).

Dans ce projet de recherche, l'objet d'étude a été limité à cette forme d'engagement qu'est l'engagement autonome, c'est-à-dire cette action du sujet qui s'engage ou se désengage de façon personnelle dans son développement professionnel. De même, le désengagement n'a été abordé que dans sa forme d'auto-désengagement. L'étude du phénomène hétéronome de désengagement qui peut prendre la forme, par exemple, d'une mise à pied a été exclue. Ainsi, le but est d'étudier le phénomène dans ses diverses variations sur le continuum entre l'engagement (au sens engagement) et le désengagement (au sens d'auto-désengagement).

2.1.2 Étymologie du mot engagement

L'étymologie du mot engagement révèle d'abord qu'il est le substantif correspondant au verbe « engager» et donc qu'il désigne l'action indiquée par ce verbe. Pour faire l'étude étymologique du substantif « engagement », il faut faire d'abord celle du verbe « engager ». On découvre alors que ce verbe est formé du préfixe « en » et du mot « gage ». Le préfixe « en » est utilisé dans le même sens que le préfixe « in » au sens latin de « dans» et non pas au sens privatif qu'il peut avoir en français (et non en latin), comme dans « inculte ». L'engagement est donc l'action qui consiste à introduire un gage ou, en d'autres mots, à mettre quelque chose en gage (Rey, 1998).

C'est au XIème siècle qu'apparaissent les premières traces d'un usage « technique» du mot engagement. Il acquiert alors un sens juridique et désigne la somme d'argent ou de biens matériels remis en arrhes pour garantir la réalisation d'un contrat ou la fidélité à une entente (Dubois et al., 2001; Kemp, 1973; Paturet, 1995). Ces arrhes sont alors mises en gage de telle sorte qu'elles sont perdues si les actions

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prévues au contrat ne se réalisent pas. C'est Montaigne qui introduit l'usage courant du mot (Kemp, 1973; Rey, 1998) dans le sens plus métaphorique d'entrer dans une situation en s'y liant par une parole ou un investissement de soi (de son honneur, de son affectivité, etc.). Ainsi, l'engagement devient une forme de pari ou de « gageure» que l'on fait en se misant soi-même (Kemp, 1973; Paturet, 1995). Ce qui est mis en gage alors risque d'être perdu si la situation à laquelle est lié ce gage n'existe plus.

À la lumière de l'étymologie du mot engagement, s'engager signifie risquer de gagner ou de perdre de soi-même. Pour cette recherche, comme c'est expliqué plus en détail un peu plus loin, c'est l'expérience du risque calculé qui est constitutive de l'engagement des enseignants dans leur développement professionnel.

2.1.3 L'engagement perçu sous l'angle de l'action

Selon les différentes perspectives des auteurs, il ressort que l'engagement soit défini comme une action ou comme un état ou encore comme une décision. Ces différentes distinctions sont présentées ici pour mieux mettre en lumière le fait que l'objet de cette recherche est l'action de s'engager.

Dans les écrits recensés, le concept d'engagement désigne d'abord une action, mais il a aussi servi, dès le début de son usage, à désigner un état (Rey, 1998). Ainsi, Kemp (1973) distingue l'acte d'engagement et le fait d'être engagé. Becker (1961) reprend cette distinction en soulignant que l'engagement comme état est le résultat ou la conséquence de l'action d'engagement.

Cette distinction correspond à la distinction que fait Johnson (1973) entre ce qu'il appelle l'engagement comportemental (action) et l'engagement personnel (état). Pour cet auteur, une personne « s'engage» lorsqu'elle agit dans le sens de la continuité d'une situation et une personne « est» engagée lorsqu'elle est dédiée à la continuité de la situation. Pour exprimer la même idée, Johnson (1973) propose un autre couple conceptuel. D'une part, il parle d'un engagement réactif pour désigner les actions qui

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sont dans la ligne de la continuité d'une situation jugée satisfaisante et, d'autre part, il parle d'un engagement moral pour désigner l'état d'engagement.

Parmi les recherches portant sur l'engagement, plusieurs sont centrées sur l'engagement comme état, notamment celles qui portent sur le lien entre l'engagement et l'identité (Lacey, 1977; Marcia, 1993; Nias, 1981; Strauss, 1992). Dans cette perspective, l'engagement constitue un lien entre l'individu et ce dans quoi il est engagé. Ce lien devient une dimension de son identité, c'est-à-dire que l'état d'engagement devient une caractéristique de l'individu lui-même.

Cette distinction entre l'engagement-action et l'engagement-état permet de voir que l'individu peut « être» engagé sans s'être engagé lui-même ou sans l'avoir fait consciemment et volontairement (Becker, 1964; Lawler & Yoon, 1993; Leik et al., 1999; Strauss, 1992). En d'autres mots, l'état d'engagement peut être la conséquence d'un engagement hétéronome.

Pour Becker, l'investissement comme action n'est pas nécessairement conscient et donc pas nécessairement le fruit d'une décision. Il parle alors d'un engagement par défaut (Becker, 1961, 1964), mais il précise que cet engagement par défaut doit, un jour ou l'autre, émerger à la conscience pour constituer un véritable engagement ou, en d'autres mots, pour aboutir à un état d'engagement. Dans le même sens, Kemp dit : «nous ne sommes véritablement engagés que dans la mesure où nous sommes conscients de la situation» (Kemp, 1973, p. 29).

Pour les besoins de cette recherche, la distinction fondamentale entre l'engagement-action et l'engagement-état a été considérée, mais dans le but d'étudier essentiellement l'engagement-action; l'engagement-état n'est abordé qu'en regard de la dynamique de l'engagement-action. De plus, il ne sera pas question de l'engagement par défaut puisqu'il s'agit d'une forme d'engagement hétéronome. En d'autres mots, l'état d'engagement n'est abordé que dans la mesure où la prise de conscience d'un engagement par défaut permet à une personne de passer à l'action

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(d'engagement ou de désengagement). En effet, la pnse de conscIence de son engagement par la personne l'amène à transformer cet engagement par défaut en engagement ou en désengagement pleinement autonomes. L'état d'engagement est donc examiné uniquement dans la perspective où cet état conscient constitue un antécédent de l'action d'engagement ou de désengagement. À partir de ces précisions et de ces distinctions, il est déjà possible d'anticiper que la recherche appréhende l'engagement comme un processus; il en sera de nouveau question plus loin.

Certains auteurs identifient l'engagement à une décision qui affecte directement les comportements subséquents dans la ligne de la continuité de la situation aussi longtemps que cette décision demeure (Bourgeois, 1998; Brehm & Cohen, 1962; Festinger, 1964; Secord & Backman, 1964). Dans une perspective semblable, certains auteurs identifient l'engagement à la volonté de continuer dans une ligne d'action (Irving et al., 1997; Kiesler & Sakumura, 1966 ; Ritzer & Trice, 1969). Ces auteurs mettent en lumière le caractère décisionnel et conscient de l'engagement autonome5•

Par contre, pour fin de clarification nécessaire à l'identification de l'objet de cette recherche, précisons que l'engagement comme action n'est pas considéré comme la décision (ou l'intention) de s'engager. Bien que toute action soit fondée sur une intention (consciente ou non), il ne faut pas confondre les deux, c'est-à-dire l'action et la décision d'agir. Les concepts d'engagement et de désengagement sont donc réservés dans cette thèse aux actions de s'engager et de se désengager et ne sont pas utilisés pour désigner la décision ou l'intention qui leur sont antécédentes. Si on utilisait le concept d'engagement pour désigner l'intention de s'engager, il faudrait alors parler de l'engagement à s'engager ou de l'engagement à l'engagement; ce qui serait trop confus conceptuellement. Ainsi, la perspective de cette recherche est, sur ce point, la même que celle de Gerard (1968) qui critique l'équation faite par Kiesler

5 Cette décision peut être plus ou moins formalisée, par exemple en prenant la forme d'une promesse publique ou en demeurant vaguement énoncée dans le for interne.

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& Sakumura (1966) entre l'engagement et la volonté de s'engager et la même que celle des auteurs qui ont tenu à réserver le mot engagement pour l'action elle-même en refusant de l'employer pour désigner la décision ou la volonté de s'engager (Becker, 1961, 1964; Brickman, 1987; Salancik, 1977; Staw, 1981).

En somme, l'engagement est appréhendé dans cette recherche comme une action qui est vécue à partir d'un état d'engagement puisque les enseignants sont, par définition, engagés dans la profession enseignante avant de s'engager dans leur développement professionnel. En d'autres mots, c'est de cet état d'engagement en enseignement au primaire ou au secondaire qu'ils partent pour s'engager dans leur développement professionnel.

La figure suivante illustre les éléments du cadre conceptuel que nous avons identifiés jusqu'à maintenant.

Figure 1 : État d'engagement et action d'engagement.

1

~!~! T~~ENGA~!~!~~

1

~ENSEIG~ ÉVALUATION

DES GAINS ET DES COÛTS LIÉS À

L'ÉTAT D'ENGAGEMENT DANS L'ENS.

CALCUL

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2.1.4 L'engagement perçu sous l'angle de l'investissement de soi

À partir de l'usage littéraire du mot engagement, les philosophes personnalistes français ont adjoint au terme l'idée de risque ou de possibilité d'un gain ou d'une perte (Marcel, 1935a; Nédoncelle, 1953). Pour Blondel (1950), l'engagement fait partie de la condition humaine; selon lui, sans investissement, il n'y a pas de possibilité de gain. En conséquence, ne pas s'engager, c'est tout perdre. Ce n'est pas un hasard si le mot «gageure» est de la même famille que le mot engagement. Comme nous l'avons vu plus haut, l'engagement constitue une forme de pari lié à la continuité d'une situation; il implique donc une certaine évaluation du risque inhérent à l'investissement.

Dans une perspective semblable, Becker (1960; 1964) a proposé une définition de l'engagement qui renvoie au terme investissement. Pour lui, l'action d'engagement consiste à miser un gage 6 (qui a de la valeur pour la personne) en le liant à la continuité d'une situation de telle sorte que ce gage sera perdu si cette situation n'existe plus; l'engagement est donc un investissement risqué.

L'exemple le plus simple, donné par Becker, est celui d'un plan de pension qui est lié à un emploi et qui est perdu si l'employé change d'emploi, c'est-à-dire lorsqu'il y a discontinuité de la situation. Becker donne des exemples moins triviaux comme la confiance dont l'individu est l'objet et qu'il pourrait perdre s'il ne persistait pas dans la situation à laquelle est lié son gage. Il y a aussi plusieurs autres bénéfices en jeu comme les relations humaines perçues comme enrichissantes, la sécurité d'emploi, la sécurité affective, l'aisance acquise dans l'exercice de sa profession dans son milieu de travail, etc.

À la lumière de ces clarifications, l'engagement dans son développement professionnel est considéré comme une action qui consiste à s'investir soi-même dans la continuité de ce développement. Ainsi, s'engager, c'est s'investir de telle sorte que

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ce qui a été mis en gage de soi sera perdu, au moins en partie, s'il y a non-continuité de la situation. En cohérence avec cette définition de l'engagement, le désengagement est défini comme un désinvestissement de soi de telle sorte que la discontinuité de la situation ne constituera pas de perte personnelle significative.

L'engagement dans une situation implique donc un certain renoncement à ce qui peut constituer une discontinuité de cette situation, par exemple, tout simplement le non-engagement (Bourgeois, 1998; Brehm & Cohen, 1962; Leik et al., 1999). Ce renoncement constitue une forme d'investissement parce qu'il est considéré comme un coût associé à l'engagement (Leik et al., 1999). C'est dans ce sens que Strauss (1992) parle de «sacrifices» inhérents à tout engagement. Ces « sacrifices» sont vécus comme une forme d'investissement.

Dans cette recherche, ces éléments de renoncements et de sacrifices qui peuvent être impliqués dans les enjeux de l'engagement des enseignants dans leur développement professionnel sont examinés. Est également explorée la façon dont les enseignants se situent par rapport aux possibilités qui s'offrent à eux comme « concurrence » à leur engagement.

Il est à noter que, si l'engagement-investissement est lié à la persistance de la situation, l'inverse n'est pas nécessairement vrai. En effet, selon la logique de la théorie beckerienne, l'individu peut continuer une action sans y être engagé. Pour Becker, une personne peut, par exemple, être employée pour effectuer tel travail depuis de nombreuses années sans y être vraiment engagée si elle n'a investi aucune mise qui ne soit liée à la continuité de cet emploi ou, en d'autres mots, si, selon ses perceptions, elle ne perdait rien à changer d'emploi ou à laisser son emploi. Dans la cohérence avec les objectifs de cette étude, cette forme de désengagement sera appréhendée d'abord comme un désengagement plutôt qu'une absence d'engagement puisqu'on ne peut pas dire que des enseignants qui se sont investis dans quatre années de formation universitaire ne s'y sont pas engagés; ils sont en processus, même s'ils y sont plus ou moins. En ce sens, l'engagement des enseignants dans leur

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développement professionnel est perçu comme se faisant toujours à partir d'un engagement initial dans la profession, tel que nous l'avons vu plus haut.

2.1.5 Investissement, évaluation et calcul

Nous avons déjà parlé de l'engagement autonome en termes de forme d'investissement de soi. Ce terme investissement est clarifié ici par une définition des termes évaluation et calcul qui lui sont associés.

La force du lien qui relie un investissement à la continuité d'une situation repose sur la perception des coûts impliqués par la discontinuité ou le changement de cette situation (Gerard, 1965). Ces coûts sont ceux de la perte des avantages associés à la persistance de la situation (Gerard, 1968). Cette vision de l'engagement rejoint la définition beckerienne de l'engagement comme investissement. En effet, selon Becker (1961, 1964), l'action d'investissement dans la continuité d'une situation implique un calcul basé sur la perception des coûts et des gains reliés à la continuité ou à la discontinuité de la situation. Pour donner un exemple de ce type de calcul, Demailly (1994) souligne que les travailleurs ne s'engagent dans des transformations professionnelles et dans des activités de développement de leurs compétences que s'ils perçoivent que les coûts de leur engagement ne sont pas excessifs (p. 85). Pour sa part, Stebbins (1970) parle de pénalités au lieu de coûts. Le calcul s'applique alors aux récompenses et aux pénalités, mais c'est essentiellement la même sémantique qui se trouve sous des termes différents.

Certains auteurs, dont Adams (1999), Blau (1988), Lawler & Y oon (1996) et Levinger (1999), font le lien entre la définition beckerienne de l'engagement comme calcul d'investissement et la théorie des échanges sociaux. Selon cette théorie, les acteurs sociaux, comme les consommateurs dans une économie de marché, cherchent à maximiser la rentabilité de leurs investissements en minimisant les coûts et en maximisant les profits. De même, pour d'autres auteurs, (Farrell & Rusbult, 1981;

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Jaros et al., 1993; ü'Reilly & Chatman, 1986; Penley & Gould, 1988) la définition beckerienne est cohérente avec la théorie des échanges sociaux selon laquelle, par exemple, l'engagement d'un employé est determiné par la perception qu'a cet employé des récompenses que lui donne son employeur et auxquelles il devrait renoncer s'il quittait son emploi. Dans cette perspective, les investissements réalisés en efforts pour améliorer ses compétences, en temps consacré à l'entreprise, en liens affectifs avec les collègues, etc., sont réalisés dans l'attente qu'ils «rapporteront» d'une façon ou de l'autre et ce sur différents plans. À l'inverse, dans la mesure où l'employé perçoit qu'il a profité des avantages que lui procure son lien d'emploi, il investira davantage dans cet emploi.

Dans un vocabulaire différent, Levinger (1991) parle de l'évaluation des forces d'attraction (les « driving forces» de Lewin, 1948) et des forces contraignantes (les «restraining forces» de Lewin, 1948) au lieu de parler de coûts et de bénéfices. Encore une fois, l'engagement est relatif à la valeur attribuée à ces forces par les acteurs qui vivent la situation et qui s'y engagent ou non.

Dans le cadre de cette étude qui vise à investiguer les manifestations du phénomène d'engagement, il devient nécessaire de comprendre les délibérations auxquelles s'adonnent les acteurs en rapport avec leurs engagements. Évidemment, cette attention aux délibérations associées à l'engagement ne s'applique qu'aux situations d'engagement conscient puisque les délibérations impliquent une opération cognitive par laquelle la personne lie elle-même un gage à la continuité de la situation après avoir estimé que ce gage va lui rapporter un profit (Becker, 1961).

La compréhension de la notion de calcul comme base de l'investissement est partagée par Hrebiniak & Alutto (1972) dans le domaine des sciences du travail et par des psychologues comme Rusbult & Buunk (1993). Certains auteurs désignent cet engagement par l'expression «engagement calculé» (Mathieu & Zajac, 1990) et le définissent comme un calcul des résultats des investissements consentis et des transactions opérées, par exemple, avec l'employeur. En somme, c'est un calcul du

Figure

Figure 1 : État d'engagement et action d'engagement.
Figure 2 : Investissement, évaluation et calcul
Figure 3  : Calcul sur différents plans
Figure 4 : Engagement, conditions, stratégies
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