51e Congrès national d’anesthésie et de réanimation. Médecins. Conférences d’actualisation.
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Nouveautés sur la toxicité
des anesthésiques locaux
J.-M. Malinovsky*, H. Ludot, O. Murat
Service d’anesthésie-réanimation, pôle URAD, hôpital Maison Blanche, 51092 Reims cedex, France *e-mail : jmmalinovsky@chu-reims.fr
P O I N T S E S S E N T I E L S
❍ L’incidence des complications toxiques locales ou systémiques des
anesthési-ques locaux est rare. Ce type de complication est décrit avec tous les anesthé-siques locaux utilisés pour l’anesthésie locorégionale. Le respect des bonnes pratiques de repérage, d’injection et des totales injectées en est la meilleure prévention.
❍ Le mécanisme des signes de la neurotoxicité locale est mal connu. Il pourrait
être secondaire aux mouvements calciques intracellulaires, perturbant la fonc-tion mitochondriale, l’ultrastructure et le métabolisme cellulaire. La lidocaïne est l’anesthésique local qui induit avec une plus grande fréquence que les autres les signes de neurotoxicité locale, et est contre-indiquée en rachianes-thésie.
❍ Les signes d’irritations radiculaires transitoires lors d’une rachianesthésie
antérieure et la position de lithotomie sont des facteurs de risque de neuro-toxicité locale.
❍ Des paresthésies transitoires peuvent survenir après une administration
péri-nerveuse en dehors de toute lésion traumatique des racines.
❍ La myotoxicité des anesthésiques locaux est exceptionnelle et difficile à
dia-gnostiquer. Elle n’est pas spécifique de l’anesthésique utilisé. Il s’agit de dégé-nérescence du muscle strié autour des zones d’injection. Elle est secondaire à une perturbation de l’homéostasie calcique perturbant le métabolisme mito-chondrial du myocyte.
❍ La toxicité systémique des anesthésiques locaux se manifeste par de signes
neurologiques (signes subjectifs, convulsions, coma…), et des troubles du rythme cardiaque graves.
❍ En cas d’arrêt cardiaque, la réanimation doit impérativement débuter par un
massage cardiaque externe. L’utilisation d’adrénaline peut renforcer le bloc induit par les anesthésiques locaux.
2 J.-M. Malinovsky, H. Ludot, O. Murat
❍ L’efficacité des émulsions lipidiques pour traiter les troubles du rythme
cardia-que induits par les anesthésicardia-ques locaux a été montrée au laboratoire, et rap-portée chez quelques patients.
❍ Il existe une fixation plus rapide des anesthésiques locaux sur les solutions
lipi-diques à chaînes longues que sur les solutions lipilipi-diques à chaînes moyennes.
❍ Il est recommandé de disposer d’émulsions lipidiques près des salles où sont
réalisées les anesthésies locorégionales. La dose optimale d’émulsion lipidique à administrer dans ce cas n’est pas connue.
Introduction
Les anesthésiques locaux sont des anesthésiques pouvant entraîner des complications locales ou systémiques importantes. Les signes de toxicité locale neurologiques et mus-culaires sont exceptionnels, secondaires à l’administration périnerveuse ou périmédul-laire de ces médicaments. Les signes de toxicité systémiques sont maintenant surtout rapportés après une administration périnerveuse du fait du développement de ce type de techniques d’anesthésie locorégionale. Le diagnostic des complications nerveuses et musculaires reste difficile et la bonne localisation des sites d’injection reste la mesure la plus efficace pour la prévenir. La toxicité systémique peut conduire à l’arrêt cardiaque et reste une urgence thérapeutique. Le respect des injections fractionnées et des doses totales à utiliser en est la meilleure prévention.
La neurotoxicité locale
Longtemps réputés sûrs, les anesthésiques locaux ont été très largement utilisés avec peu de cas de complication neurologique locale rapportés. L’incidence de cette compli-cation est de l’ordre de 3 cas pour plus de 10 000 anesthésies locorégionales pratiquées [1]. Les premiers cas de lésions neurologiques définitives à type de syndrome de la queue-de-cheval ont été rapportés en 1991 après rachianesthésie continue à la lidocaïne et la tétracaïne [2,3]. Depuis, d’autres cas de lésions définitives et de lésions transitoires ont été publiés [4]. Les signes de lésions transitoires sont surtout des signes d’irritation radiculaire pouvant durer de quelques jours à quelques mois. L’anesthésique local le plus souvent incriminé comme responsable des lésions neurotoxiques locales est essen-tiellement la lidocaïne, mais elles peuvent apparaître après l’administration de tous les anesthésiques locaux. Compte tenu de la fréquence élevée de ce type de complications transitoires ou définitives avec la lidocaïne, cet anesthésique local est contre-indiqué pour la technique de la rachianesthésie.
La technique de la rachianesthésie continue avec l’introduction de cathéters de petit calibre dans l’espace intrathécal n’est pas un facteur de risque reconnu. Il semble que c’est surtout la mauvaise distribution de l’anesthésique local dans le liquide céphalora-chidien qui soit responsable de l’accumulation de cet anesthésique sur des racines ner-veuses peu protégées par une gaine de myéline (les racines de la queue-de-cheval). La mise en contact de solution concentrée d’anesthésique local sur les racines nerveuses est responsable de l’effet neurotoxique. Une expression clinique de la mauvaise distri-bution de l’anesthésique local est caractérisée par l’obtention d’une anesthésie dite « en mosaïque » après rachianesthésie [5]. Après administration périnerveuse, les signes irri-tatifs sont représentés par des paresthésies. Elles ont été décrites après injection péri-nerveuse d’anesthésiques locaux, en dehors de toute lésion traumatique des racines nerveuses [6].
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Nouveautés sur la toxicité des anesthésiques locaux
Les autres facteurs de toxicité reconnus après rachianesthésie sont peu nombreux. Le fait d’avoir présenté des signes irritatifs lors d’une rachianesthésie antérieure semble un facteur de risque [7]. La position de lithotomie et la pratique de la rachianesthésie ambulatoire ont également été incriminées dans la genèse de signes irritatifs transitoi-res, sans pour autant que l’ambulation précoce soit un facteur retenu [8].
Le mécanisme de la toxicité nerveuse locale n’est pas parfaitement connu. Il semble être en rapport avec une altération du métabolisme cellulaire et d’une disparition de l’ultrastructure neuronale permettant les mouvements intracellulaires dans l’axone. Ainsi, après une exposition prolongée à une solution concentrée d’anesthésique local, la fonction cellulaire disparaît, ce qui se traduit par une perte du potentiel d’action [9]. Le mécanisme neurotoxique pourrait être en rapport avec un efflux pathologique du calcium cellulaire secondaire à l’entrée massive de calcium par les canaux calciques transmembranaires ou mobilisé à partir du réticulum sarcoplasmique [10]. Les anes-thésiques locaux inhibent les réactions de phosphorylation mitochondriales, ce qui a été montré sur des cellules non nerveuses [11]. Cet effet neurotoxique propre est plus important avec la lidocaïne in vivo ou in vitro sur des cultures cellulaires qu’avec les autres anesthésiques locaux [12,13]. Il peut être majoré par un effet ischémique induit par les anesthésiques locaux sur les racines nerveuses [14].
La myotoxicité
Aujourd’hui, on admet que lors d’injection périnerveuse, une diffusion d’anesthésique local dans les masses musculaires voisines est possible. Ceci permet d’expliquer les publications régulières de cas de toxicité musculaire accompagnant le développement des techniques d’anesthésie locorégionale. Pour les muscles superficiels les éléments cliniques sont plus faciles à détecter alors que pour les masses musculaires profondes le diagnostic des lésions est plus difficile. Ainsi, dans un travail rétrospectif incluant 3587 interventions sur la cataracte, 9 diplopies persistantes ont été décrites en rapport avec l’utilisation de bupivacaïne en rétro- ou péribulbaire [15]. Des lésions identiques ont été décrites après mise en place d’un cathéter interscalénique pour la chirurgie de l’épaule après instillation de doses élevées de plus de 1000 mg de bupivacaïne en 34 h chez une femme jeune [16]. Une IRM montrait des lésions inflammatoires musculaires et la biopsie musculaire mettait en évidence des lésions de nécrose du muscle sterno-cléidomastoïdien. Une régénération musculaire a été observée trois mois après l’inter-vention.
Les lésions anatomopathologiques retrouvées ne sont pas spécifiques de l’agent anes-thésique utilisé. À la différence de la neurotoxicité, il y a un phénomène de régénération musculaire. Globalement, on observe une dégénérescence du muscle strié autour des zones d’injection, avec des fibres musculaires disjointes et difficilement individualisa-bles après quelques jours. Cette myonécrose s’accompagne d’une vacuolisation, d’un gonflement et d’une désintégration des structures intracellulaires. Les plages nécroti-ques sont séparées par des fibres d’allure et d’architecture respectées. Puis un œdème interstitiel avec des cellules de la lignée inflammatoire apparaissent. Vers le septième jour une régénération musculaire peut s’observer, avec l’apparition de petites colonies de fibres musculaires à noyaux centraux. Les signes de myonécrose disparaissent envi-ron 10 j après l’apparition des signes de régénération et on observe une stabilisation de cette régénération musculaire 1 mois après l’injection initiale, avec restauration du nombre initial de fibres musculaires. Ces lésions sont décrites avec tous les anesthési-ques locaux mais sont plus importantes avec la bupivacaïne qu’avec les autres [17]. Les
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lésions musculaires semblent être en rapport avec la durée d’administration de l’anes-thésique local [18].
Les mécanismes physiopathologiques de la myotoxicité sont mal connus. Ils ne sem-blent pas liés au volume de la solution injectée ni au traumatisme créé par l’aiguille d’injection. Les anesthésiques locaux d’une part modifient l’homéostasie calcique, d’autre part perturbent le métabolisme mitochondrial.
Les premiers travaux publiés sur la myotoxicité des anesthésiques locaux rapportaient une augmentation de la concentration de calcium intracytosolique en présence de l’anesthésique local [15]. Cette augmentation du calcium intracytosolique provient principalement de sa mobilisation à partir du reticulum sarcoplasmique car aucun effet nécrotique n’est induit par les anesthésiques locaux en l’absence de myoblastes. La bupivacaïne, la ropivacaïne et la tétracaïne favorisent la libération de calcium à partir du reticulum sarcoplasmique par un effet caféine-like au niveau des canaux calciques ryanodine dépendants [19]. Cet effet dépend de la quantité injectée, de l’agent utilisé, et de sa stéréospécificité [17]. Le relargage de calcium s’accompagne d’une inhibition de sa recapture, phénomène dépendant de l’activité Ca2+ -ATPasique au niveau du
reticu-lum sarcoplasmique. Ces deux mécanismes favorisent la persistance d’une concentra-tion intracytosolique élevée de calcium.
Par ailleurs, les anesthésiques locaux modifient le métabolisme mitochondrial, surtout la phosphorylation oxydative, la production de radicaux libres et la mort cellulaire pro-grammée (apoptose) [20,21]. La phosphorylation oxydative permet la synthèse d’ATP et représente la principale source endogène de dérivés réactifs de l’oxygène (reactive
oxygen species, ROS), produits intermédiaires de la respiration mitochondriale. Une
exposition chronique aux ROS peut altérer les protéines mitochondriales, et une expo-sition aiguë l’activité des complexes de la chaîne respiratoire. In vitro, sur des myocytes isolés, il a été montré que la bupivacaïne découple la phosphorylation oxydative et inhibe l’activité de la chaîne respiratoire [22]. Il a été montré chez l’animal que les injec-tions répétées de doses équipotentes de bupivacaïne, lévobupivacaïne et ropivacaïne, par un cathéter fémoral, entraînaient une diminution globale de la synthèse d’ATP et des activités des complexes de la chaîne respiratoire [23].
Toutes les circonstances diminuant l’apport d’oxygène près du muscle injecté semblent être des facteurs risque de myotoxicité. Les effets de l’hypoxie chronique, inhibant par-tiellement la synthèse d’ATP des cellules myocardiques chez l’animal, sont potentiali-sés par la bupivacaïne [24]. Une ischémie musculaire chronique induite par une artério-pathie périphérique perturbe également le métabolisme énergétique mitochondrial [11]. Par ailleurs, une myopathie mitochondriale congénitale ou un diabète de type II peuvent conduire à une dysfonction du métabolisme énergétique. Dans tous ces cas, il est nécessaire d’administrer la dose efficace d’anesthésique local pour induire l’effet anesthésique désiré, car les doses élevées avec des durées d’administration très longues peuvent favoriser ce type de complication.
Le tableau clinique dépend du site d’injection et de la technique utilisée. La dysfonction des muscles périorbitaires est de diagnostic simple [15], mais l’évaluation de cette atteinte sur les autres muscles striés périphériques paraît plus complexe [23].
L’apparition d’une faiblesse musculaire, d’une douleur à la pression des masses muscu-laires ou à l’étirement musculaire alors que la mise au repos du muscle soulage la dou-leur doit faire évoquer ce diagnostic. Les bilans complémentaires sont peu contributifs. Actuellement, on se fonde surtout sur la chronologie d’apparition des événements, classiquement 3 ou 4 j après une injection d’anesthésique local et la présence de signes radiologiques indirects, sur les IRM. Seule la biopsie musculaire pourrait apporter des
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Nouveautés sur la toxicité des anesthésiques locaux
arguments diagnostiques, permettant d’éliminer une myopathie congénitale ou une lésion nerveuse avant de porter le diagnostic de myotoxicité induite par les anesthési-ques locaux.
Toxicité systémique des anesthésiques locaux
Le traitement de la toxicité systémique des anesthésiques locaux peut survenir après une administration d’une dose réputée non toxique, en prenant en compte le terrain du patient [25-27]. C’est une urgence thérapeutique. Il faut garder à l’esprit que les con-centrations d’anesthésiques locaux qui conduisent à bloquer les chaînes respiratoires sont environ 1000 fois plus importantes que celles qui provoquent la toxicité cardia-que. Si le traitement des complications neurologiques est bien codifié, celui des trou-bles du rythme cardiaque reste un sujet de discussion. Il semble qu’un tournant ait été pris avec les publications de cas cliniques relatant l’efficacité des solutions lipidiques pour traiter ces complications cardiaques toxiques.
La perte de la conduction auriculoventriculaire va permettre l’apparition de troubles du rythme ventriculaires, principalement par phénomène de réentrée au niveau du tissu de conduction ventriculaire. Ceci aboutit à la tachycardie ventriculaire observée, la fibrillation ventriculaire, voire l’arrêt cardiaque. Le blocage de la conduction auricu-loventriculaire est secondaire au blocage des canaux ioniques transmembranaires (sodiques, potassiques et calciques selon les doses injectées). Une fois entrés dans la cel-lule, les anesthésiques locaux vont bloquer la chaîne respiratoire mitochondriale cellu-laire [23]. Pour combattre leurs effets toxiques sur le cardiomyocyte, il faut donc lever le blocage membranaire et récupérer un métabolisme cellulaire. Pour pallier à l’arrêt cardiaque il faut un massage cardiaque externe efficace qui permet d’assurer une perfu-sion coronaire pour espérer lever le blocage induit, et « laver la cellule » de l’anesthési-que local.
Certains auteurs ont pu recommander l’utilisation de thérapeutiques visant à amélio-rer la balance énergétique cellulaire, dont la perfusion de glucose et d’insuline ou la per-fusion d’une émulsion lipidique. Cependant, pour expliquer l’efficacité d’une perfu-sion lipidique, l’hypothèse la plus communément admise reste celle d’une captation des anesthésiques locaux et leur fixation par les gouttelettes lipidiques, au même titre que ces gouttelettes véhiculent les molécules de propofol. Weinberg a été le premier à montrer l’utilité de ces émulsions dans une série de modèles animaux [28-30].
Puis, en 2006, deux cas cliniques ont rapporté le succès de l’administration de solutions d’Intralipide® pour réanimer les patients ayant un trouble du rythme grave induit par
des anesthésiques locaux [31,32]. Dans le premier cas, après un bloc interscalénique à la bupivacaïne, un patient de 58 ans a présenté des convulsions puis une asystolie [32]. Dans le second cas clinique, après un bloc axillaire à la ropivacaïne, un patient de 84 ans a présenté des troubles du rythme puis une asystolie [31]. Dans ces deux cas, après 20 et 10 min de réanimation classique infructueuse, une perfusion de 1 à 1,5 ml/ kg d’Intralipide®
à 20 %, suivie de réinjections jusqu’au retour d’un rythme cardiaque efficace (avec un maximum de 3 ml/kg de solution d’Intralipide®), et d’un entretien par
une perfusion de 0,2 à 0,5 ml/kg par minute pendant deux heures, ont permis de retrouver une situation hémodynamique efficace. Dans ces deux cas publiés, la résolu-tion des troubles du rythme cardiaque par une émulsion lipidique n’a été utilisée qu’en dernier recours, après l’échec des techniques de réanimation classiques d’un arrêt car-diaque. D’autres cas montrant l’efficacité des émulsions lipidiques ont depuis été publiés après administration de ropivacaïne ou de lévobupivacaïne [33,34]. Des convul-sions isolées en rapport avec une toxicité des anesthésiques locaux ont été efficacement
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traitées par une solution lipidique [34]. Des convulsions et un arrêt cardiocirculatoire avec des modifications importantes des complexes QRS après l’administration de lévo-bupivacaïne péridurale chez une femme de 75 ans ont été traités par une émulsion lipi-dique à 20 % et métaraminol [33]. Dans un autre cas, une tachycardie ventriculaire sur-venant quelques minutes après l’injection d’un mélange de lidocaïne et ropivacaïne dans un bloc lombaire par voie postérieure a été rapidement traitée par une solution lipidique, sans autre manœuvre de réanimation [35]. Cependant, dans un cas clinique publié en 2009, une récidive des troubles du rythme cardiaque a été observée 40 min après un bolus de 150 ml et la perfusion de 350 ml d’émulsion lipidique [36]. Dans toutes ces publications, une dose totale de 2 à 3 ml/kg a été utilisée, parfois en un seul bolus ou en plusieurs injections, parois suivie d’une perfusion continue.
Les solutions lipidiques ont été testées avec succès dans d’autres circonstances. Chez l’animal, elles ont permis la réanimation après administration d’une dose létale de véra-pamil [37], ou une dose létale de clomipramine [38]. Plus récemment, une solution d’Intralipide® a récemment permis de réanimer une jeune femme en arrêt cardiaque
après ingestion d’une dose toxique de bupropion (Zyban®
, assimilé à un antidépres-seur, agissant comme inhibiteur de la capture de noradrénaline et de la dopamine au niveau cérébral), et de lamotrigine, un antiépileptique [39].
Tous ces cas cliniques soulignent l’intérêt potentiel de ces solutions lipidiques pour le traitement des signes toxiques cardiaques et neurologiques des anesthésiques locaux. Il reste néanmoins de nombreuses inconnues avec ce type de thérapeutique. La composi-tion des chaînes latérales des lipidiques semble peu importante, car des solucomposi-tions d’Intralipide®
ou de Médialipide®
ont été rapportées efficaces. La fixation des anesthé-siques locaux sur les chaînes lipides est 2,5 fois plus rapide avec les émulsions conte-nant des triglycérides à chaînes longues (Intralipides®
) que celles avec des chaînes moyennes (Médialipides®
) [40]. La concentration idéale en lipides de la solution à injec-ter reste encore inconnue, comme celle de la nécessité d’une perfusion d’entretien. Il faut rappeler que le traitement d’un arrêt cardiocirculatoire après injection aux anes-thésiques locaux suit les règles habituelles de la réanimation (http://sfar.org/t/ spip.php?article314). Un malade qui convulse ou qui est en arrêt circulatoire nécessite une réanimation immédiate et adaptée avec le maintien de la perméabilité des voies aériennes avec intubation et la ventilation en oxygène pur, un massage cardiaque, et l’injection de vasopresseurs ou d’une cardioversion (en cas de fibrillation ventriculaire). Cette réanimation peut s’avérer longue et difficile, nécessitant une bonne organisation afin de garantir un massage cardiaque efficace même après 30 min de réanimation [26]. L’utilisation des solutions lipidiques dont l’efficacité est fortement suggérée ne doit en aucun cas retarder la réanimation cardiorespiratoire, ce d’autant que le maintien d’une circulation coronaire efficace par le massage cardiaque est la condition indispensable pour que l’émulsion atteigne son site d’action, quel que soit le mécanisme d’action [41]. Il est donc nécessaire de maintenir une pression de perfusion tissulaire avec des amines vasoactives, mais contrairement aux autres étiologies d’arrêts cardiaques, il faut limiter les doses d’adrénaline car l’accélération de la fréquence cardiaque peut renforcer le bloc de conduction induit par les anesthésiques locaux. Contrairement à ce qui est recommandé en cas d’arrêt cardiaque de cause « indéterminée », il ne faut pas injecter d’amiodarone (antiarythmique de classe III) qui surajouterait son effet à celui de l’anes-thésique local (antiarythmique de classe Ib, mais aussi inhibiteur des canaux potassi-ques) [42].
À la lecture des quelques cas rapportés dans la littérature, la posologie recommandée semble être de 3 ml/kg d’une solution lipidique à 20 %, en bolus. La solution qui doit
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Nouveautés sur la toxicité des anesthésiques locaux
être recommandée actuellement est la solution d’Intralipide®, du fait de la rapidité de
fixation des anesthésiques locaux. Cependant, selon l’approvisionnement des établisse-ments en solutions lipidiques l’injection de Médialipide® est également possible, et
dans ce cas il faut augmenter les doses injectées. La nécessité d’une perfusion d’entre-tien ne paraît pas indispensable mais une récidive des troubles du rythme est possible. De toute façon, la surveillance clinique et électrocardiographique attentive dans les suites devrait permettre sa mise en route si nécessaire. Il est important que cette nouvelle thérapeutique qui a montré son efficacité dans un certain nombre de cas soit disponible rapidement en cas de toxicité systémique des anesthésiques locaux. Il est recommandé d’en disposer dans les salles où sont réalisées les anesthésies loco-régionales.
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