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Les plantes et l’invisible chez les Mbuun, Mpiin et Nsong (Bandundu, RD Congo) : une approche ethnolinguistique

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Academic year: 2021

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Les plantes et l’invisible chez les Mbuun, Mpiin et Nsong (Bandundu, RD Congo) : une approche ethnolinguistique

Joseph Koni Muluwa & Koen Bostoen

Introduction1

Les plantes jouent un rôle important dans la perception et la conception de l’invisible en Afrique subsaharienne. Elles sont utilisées comme intermédiaires ou media entre l’univers des êtres humains et le monde de l’invisible. Certaines sont censées posséder des pouvoirs magiques comme l’ensorcellement, l’envoûtement, l’expulsion des mauvais esprits, le réveil de l’évanouissement, etc. D’autres sont utilisées dans les rites et les cérémonies, comme l’intronisation d’un chef ou la fête des jumeaux. Dans le présent article, nous souhaitons contribuer à la documentation des usages magiques et rituels des plantes dans trois communautés bantouphones

1 La recherche pour cette étude a été menée dans le cadre du projet doctoral Noms de produits forestiers en bantu: une étude comparative dans quelques langues du Bandundu (RDC). Ce projet se présente comme le volet linguistique d’un projet pluridisciplinaire promu au Musée Royal de l’Afrique Centrale (MRAC) de Tervuren et financé par l’accord-cadre entre le MRAC et la DGCD (Direction Générale de la Coopération au Développement): Soutien interdisciplinaire pour la gestion durable des forêts et populations de poissons dans le bassin du Congo. Nous tenons à remercier PASCAL MUKUBI (*1935) et AUGUSTIN MBALA (*1956), chefs traditionnels mbuun, et leurs chefs de villages et notables suivants: MARTIN MININGULU (*1925), THÉO

KATUNDA (*1930), EUGÈNE KAYENGE (*1930), TRYPHON IBILABILA (*1933), FIDÈLE KUNGALETE

(*1939), CLAVAIRE MUSENGI (*1941), JONAS MWANANGANGA (*1952) ; JOACHIM FUMUNANI

(*1937), chef traditionnel mpiin et ses chefs de villages et notables suivants: NYEKI KIHALU

(*1930), EDOUARD MIMPUTU (*1934), MÉDARD MUNGANGA (*1937), P.KAPITA (*1939), JEAN

KAKUKU (*1952), GASPARD MUNDASHI (*1954), KWILU MUSOKI (*1954), M.MUSHETA (*1958) ; et le chef traditionnel nsong KAMBEMBO MULUWA (*1952) et ses notables: KIBETI LUMBWAMBU

(*1918), NABOT FUMUNANI (*1920), ONÉSIME MUSONGI (*1920), CYRILLE MUYAKA (*1939), EMMANUEL BUKONDI (*1940), KABUNDA MUPEND (*1940), KAPEWU P. (*1942), MAKWATI

NGWABWAL (*1954), SINA MUNGENDA (*1956) d’avoir partagé avec nous leurs connaissances sur les plantes magiques et rituelles, ainsi que les trois exorcistes qui ont bien voulu nous livrer certains secrets des sorciers: ZOLA, WILLY MBELO et MANGUNGU. Nous sommes aussi reconnaissants à VIVIANE BAEKE,YVONNE BASTIN,MURIEL GARSOU,BAUDOUIN JANSSENS,WIM

TAVERNIER et ANNELEEN VAN DER VEKEN d’avoir relu, commenté et corrigé une première version du présent article. Le signe * devant un terme indique une reconstruction lexicale bantoue reprise de BASTIN &SCHADEBERG (2003), dont nous avons également adopté la notation des voyelles: i ɪ e a o ʊ u. Pour la notation vocalique en nsong, mbuun et mpiin, nous avons préféré un système correspondant, mais plus proche de la réalité phonétique: i ɪ ɛ a ɔ ʊu.

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étroitement apparentées de la province de Bandundu en République Démocratique du Congo (RDC) : les Mbuun, les Mpiin et les Nsong.

Cette étude fait partie d’une recherche que nous menons dans cette région sur les noms et usages de produits forestiers. Cette recherche vise à étudier le vocabulaire relatif aux plantes et animaux dont se servent ces populations bantouphones dans leur vie quotidienne ainsi qu’à mettre en évidence leurs connaissances et l’utilisation de ces produits, avec un accent particulier sur le monde végétal. Il existe plusieurs milliers de plantes dans les milieux de nos enquêtes, mais elles ne se voient pas toutes attribuées un nom. Seules sont nommées celles dont la population fait un certain usage, ou celles qui sont interdites d’usage. Comme dans d’autres communautés de l’Afrique centrale, les usages des plantes sont assez divers : alimentaire, médicinal, architectural, artisanal, hygiénique, culinaire et donc aussi rituel et magique (BARRETT 1996 ; DAELEMAN & PAUWELS 1983 ; HULSTAERT 1966 ; KONI MULUWA & BOSTOEN 2008 ; NGILA BOMPETI 2000 ; THORNELL 2005).

Les informations sur les usages magiques et rituels des plantes que nous présentons dans cet article ont été obtenues au moyen d’enquêtes participatives effectuées sur le terrain par le premier auteur. Il s’agit de données qui sont peu accessibles car le secret est de rigueur au sein des sociétés secrètes et des cérémonies occultes où ces plantes sont employées. Contrairement aux usages médicinaux des plantes, dont la connaissance fait partie du domaine public, même s’il y a des guérisseurs spécia- listes, leur manipulation au plan magique est l’apanage de spécialistes rituels. Des sorciers qui ont renoncé à leurs pratiques et des devins qui sont censés connaître les méthodes des sorciers et les plantes qu’ils utilisent constituent notre principale source d’informations. Il est important de préciser, par précaution, que les données acquises ne résultent pas d’une enquête ethnographique détaillée et focalisée sur les usages magiques et rituels des plantes. Elles n’ont pas non plus fait l’objet d’une analyse anthropologique approfondie. Par conséquent, la présente étude est parcellaire et nécessairement préliminaire. Son but principal est de documenter un savoir-faire et des connaissances qui sont en voie de disparition et peu étudiés dans les sociétés envisagées.

L’article consiste en plusieurs sections. Dans la section 2, nous donnons une brève introduction sur les pratiques culturelles et religieuses des communautés étudiées.

La section 3 présente le corpus des plantes à usage magique et/ou rituel ainsi que leur vocabulaire. Les critères sous-tendant l’attribution des capacités magiques et/ou rituelles à ces plantes sont traités dans la section 4. La section 5 donne les conclusions. Deux cartes sont présentées en annexe.

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Pratiques culturelles et religieuses des Mbuun, Mpiin et Nsong

Les Mbuun, les Mpiin et les Nsong forment trois communautés étroitement apparentées sur les plans linguistique et culturel. Ils habitent les secteurs de Kipuka et d’Imbongo dans le territoire de Bulungu, faisant partie du district du Kwilu, province du Bandundu, en RDC. Les Mbuun occupent la rive droite de la rivière Kwilu dans le secteur d’Imbongo, à l’Est de Kikwit, tandis que les Mpiin et les Nsong vivent sur la rive gauche dans le secteur de Kipuka, les premiers au nord et les seconds au sud de Kikwit (voir la carte en annexe 1). Ils parlent des langues bantoues que GUTHRIE (1971) a classées dans le groupe B80 ; voir aussi MAHO

(2008) qui a repris de GUTHRIE le code B87 pour le mbuun et ajouté le code B863 pour le mpiin et B85F pour le nsong.

Dans ces sociétés, bien que la filiation soit matrilinéaire, l’autorité est aux mains des hommes et non des femmes : l’oncle maternel [mâm ɛba:l (mb), lîm (mp & ns), ngwâs (ns)] y joue un rôle clé. Garant de l’héritage ancestral, des biens fonciers et des objets rituels (kaolin et autres), il est le dépositaire de la coutume. La terminologie de parenté est de type classificatoire, c’est-à-dire qu’un même terme peut désigner différents individus n’ayant pas exactement le même lien de parenté par rapport à Ego (DE MARET 2004 : 75). La règle de résidence est souvent virilocale mais aussi néolocale. Le mariage entre cousins croisés est favorisé, mais en pratique, ce type d’union est rare actuellement. Les mariages prescriptifs ou préférentiels ont cédé le pas à un système d’échange plus généralisé où les compensations matrimoniales (dots) jouent un rôle essentiel. Les biens matrimoniaux n’ont en principe qu’une valeur symbolique et non mercantile, même si la tendance actuelle est depuis quelques décennies au surenchérissement de la dot. La plupart des unions sont monogames, et la petite polygynie, deux ou trois épouses, est généralement le fait des chefs et autres notables aisés.

Le système religieux des Mbuun, Mpiin et Nsong et la façon dont ils conceptualisent l’invisible sont méconnus car très peu étudiés. À part le christianisme qui a partiellement assimilé ou supplanté les croyances traditionnelles, les études disponibles sur ces dernières sont rares, superficielles et obsolètes (KALAMBA 1957 ; MOKOLO 1957). Une analyse approfondie de leurs concepts et pratiques religieux va également au-delà de la portée de cet article.

Cependant, nous présentons quelques éléments nécessaires pour la compréhension de l’usage des plantes en tant que médiatrices de l’invisible. Tout d’abord, comme d’autres communautés bantouphones de la région (BITTREMIEUX 1936,1946-7 ; DE

HEUSCH 2000 ; DOUTRELOUX 1967 ; TEMPELS 1945 ; THIEL 2002), les sociétés envisagées reconnaissent l’existence d’un être suprême créateur que les Mbuun appellent nzâm a mpʊŋ et les Mpiin et les Nsong nzɛ̂m a mpʊŋ yi mawɛ̂s. Le premier mot de ce syntagme nominal est un réflexe de *-jàmbé ‘dieu, être

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suprême’, qui a des cognats dans l’ensemble du bantou occidental.2 BASTIN &

SCHADEBERG (2003) ont répertorié des réflexes dans les zones A, B, C, H, K et L de GUTHRIE. Le déterminatif mpʊŋ signifie ‘tout-puissant, suprême’, tout comme en kikongo (cf. SWARTENBROECKX 1973 : 361, cité par DE HEUSCH 2000 : 266). Il se peut que ce terme soit lié à celui désignant l’aigle dans ces langues (<*-pʊ́ngʊ́).

Le déterminatif yi mawɛ̂s dans les termes mpiin et mbuun signifie ‘avec miséricorde’. La désignation de l’être suprême par la même expression nzambi mpungu dans l’aire linguistique kongo (DE HEUSCH 2000 : 266) illustre l’étroite affinité culturelle entre les sociétés des provinces du Bas-Congo et du Bandundu.3 Comme c’est généralement le cas dans l’aire bantoue, cet être suprême ne fait pas l’objet d’un culte élaboré et actif.

Dans les pratiques rituelles quotidiennes de ces sociétés, on fait appel de manière plus active au monde de l’invisible au moyen de ce qu’on appelle communément les fétiches. Ils sont désignés par deux termes différents dans leurs langues, à savoir ŋkír (pl. báŋkír) ou bwáŋ. Le premier terme n-kír appartenant à la classe 1n (préfixe nominal n-) et prenant son pluriel en classe 2 (préfixe nominal ba- additif) est un réflexe de*-kɪ́tì.4 BASTIN & SCHADEBERG (2003) attribuent à cette reconstruction la traduction ‘fétiche ; charme ; esprit’. Ce terme est prédominant dans la partie occidentale de l’aire bantoue, mais a également été observé dans certaines langues bantoues orientales. Il est polysémique et a été répertorié avec des notions variables mais apparentées dans plusieurs langues des zones B, C, D, H, J, K, L, M et R de GUTHRIE (BASTIN &SCHADEBERG 2003). Le second terme bwáŋ (bu-aŋ) est un réflexe de *-gàngà qui a des cognats partout dans l’aire bantoue (les zones A, B, C, E, F, G, J, K, L, M, N, R, et S de GUTHRIE).

Appartenant à la classe 14 (préfixe nominal bu-), il a été reconstruit avec le sens

‘médicament’ (BASTIN & SCHADEBERG 2003). Toutefois, cette notion extrêmement complexe et variable à travers l’aire bantoue n’est jamais un médicament dans le sens strict ou matériel du terme, mais implique toujours

2 La distribution de ce terme est également traitée par KAGAME (1976). Elle a certainement été élargie par l’enseignement missionnaire (VANSINA 1991: 368).

3 Le terme équivalent ndjambe a pongo, où pongo désigne explicitement l’aigle, est attesté chez les Leele qui vivent à l’extrême ouest de la région du Kasaï-Occidental, tout près de la province de Bandundu (BUNDJOK-BANYATH 2006: 41 et 45).

4 Le terme ŋkír correspond sans doute au terme kikongo nkísi. Toutefois, il n’est pas à exclure que ce soit un cognat du terme kikongo nkíta qui signifie ‘esprit de la nature’, plus précisément ‘esprit de l’eau’ (DE HEUSCH 1971: 183, 191). Nous remercions BAUDOUIN JANSSENS d’avoir attiré notre attention sur ces correspondances. Des équivalents de nkíta existent dans certaines langues proches de celles envisagées ici, p.ex. nkir(a) en teke (LEMA 1978, 1995) ou kit en hungaan (KONI

MULUWA, données de terrain). Comme la voyelle finale s’amuït généralement dans les langues envisagées et que la spirantisation devant une voyelle du 1e degré n’est pas systématique, p.ex.

*-kòtì ‘nuque, cou’ > -kɔr, il est difficile d’établir si ces formes correspondent à nkíta ou à nkísi. Sur le plan sémantique, le ŋkír du mbuun, mpiin et nsong se rapproche plutôt de nkísi.

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l’intervention de l’invisible. Appartenant aux classes 1/2 ou 9/10, ce même thème nominal *-gàngà est très récurrent dans les langues bantoues comme désignation du ‘guérisseur’ qui est, lui aussi, très souvent un spécialiste rituel. Il est attesté avec ce sens dans toutes les zones de GUTHRIE et comme on le verra plus loin, aussi dans les langues envisagées. Par conséquent, à travers l’aire bantoue, *-gàngà en classe 14 et *-kɪ́tì en classe 9 renvoient à des concepts similaires. Le premier se voit souvent accordé une même traduction que le dernier, comme ‘charme’ (cf.

MOORE 1940 chez les Bemba et COLSON 2006 chez les Tonga en Zambie, PETIT

1996 chez les Luba et Petridis 2001 chez les Luluwa en RDC). Chez les Songye en RDC, par exemple, le bwanga est un objet ou un assemblage particulier d’objets qu’un nganga confectionne en incorporant des bishimba ou amalgames d’ingrédients connus de lui seul pour atteindre un but désiré, comme la procréation, la guérison, la protection contre les malheurs ou la chance à la chasse. Le nkishi, de son côté, est une forme particulière de bwanga qui revêt la forme d’une statuette ou statue anthropomorphe où les bishimba sont insérés dans les cavités du nombril et de la tête (BAEKE 2004 : 19-20). Dans les langues que nous envisageons ici, les termes ŋkír et bwáŋ semblent, à première vue, être utilisés comme synonymes pour ce qu’on appelle communément la magie, c’est-à-dire les pouvoirs que possède un individu de manipuler des forces sacrées invisibles. Toutefois, tandis que le terme ŋkír – et surtout son pluriel báŋkír – peut également renvoyer aux objets visibles et tangibles à travers lesquels cette manipulation est effectuée, le terme bwáŋ ne peut jamais désigner des objets concrets. Appartenant à la classe 14, qui incorpore dans les langues bantoues de façon typique les concepts abstraits et intangibles, la portée sémantique de bwáŋ est restreinte à la notion des forces invisibles et leur maniement par des spécialistes rituels. Une étude plus approfondie pourrait sans doute apporter des informations plus précises sur le rapport sémantique exact entre les termes ŋkír et bwáŋ. Sans entrer ici dans les détails, la fonction principale des objets nommés báŋkír est de rendre tangible l’invisible. Ils servent d’intermédiaire entre l’univers des êtres humains et le monde de l’invisible. D’après les descriptions de DE HEUSCH (2000) et MACGAFFEY (1977), entre autres, pour l’aire culturelle kongo, ce sont des objets matériels et visibles d’origine minérale, végétale ou animale, comme des cornes d’animaux sauvages, des statuettes sculptées ou des parties de plantes. Ils sont considérés comme des organismes vivants qui agissent grâce aux ingrédients qui y sont appliqués. Dans chacune des communautés, on distingue plusieurs espèces de báŋkír qui ont toutes leur finalité précise. Cette finalité peut être soit maléfique, soit bénéfique. Dans ce sens, ils sont manipulés à la fois par les spécialistes rituels bénéfiques et maléfiques. Les báŋkír servent aussi bien à ce que DE HEUSCH (1971 : 171) appelle la magie noire ou sorcellerie qu’à la magie blanche. Néanmoins, le ŋkír a toujours une connotation négative, car il est censé fonctionner, pour le bien ou le mal, grâce au sacrifice humain. Certains báŋkír sont communs aux trois communautés, d’autres ne le sont pas. L’origine de certains fétiches est imputée au contact avec d’autres

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communautés bantouphones. Le fétiche ó̰nsuŋ, par exemple, que les Mbuun, Mpiin et Nsong partagent, est dit avoir été apporté par un féticheur Ding du territoire d’Idiofa à la frontière du Kasaï. Chez les Nsong, nous avons observé les báŋkír suivants avec leurs fonctions respectives :

(1) ɛpímbíl : aveugler les ennemis en temps de guerre

mvyê : faire que les chiens de chasse repèrent mieux le gibier à l’odorat mófum (petite corne d’antilope dans laquelle on met des grains de maïs et d’arachide) : multiplier les produits agricoles

ó̰nsuŋ : faire voyager les grands chefs en sécurité (voir annexe 2) kéngub (< ngub ‘hippopotame’) : se transformer en hippopotame kɛ́nzɔ́: (< nzɔ́: ‘éléphant’) : se transformer en éléphant

bóngo (< ngo ‘léopard’) : se transformer en léopard

Chez les Mbuun, les fétiches suivants ont été répertoriés avec leurs fonctions respectives :

(2) lábʊr (< -bʊr ‘engendrer’) : rendre les femmes et les bêtes fécondes ʊ́mpyʊ́ (< mpyʊ́ ‘froid’)/ ʊ́ngyɛb (< ngyɛb ‘pitié’) : rendre quelqu’un très timide et incapable de faire valoir ses propres droits

émfúun (< lamfun ‘galago’) : rend invulnérable aux flèches de l’adversaire, simplement en clignant les yeux

éwúmi (< -wúm ‘gonfler’) : se transformer en hippopotame

élus (< -lus ‘faire vomir’) : rendre inopérant un philtre administré à un homme par sa femme afin de le dominer.

mpîb (< mpîb ‘nuit’) : aveugler quelqu’un

ɪ ́wʊts : empêcher un voleur de voler ou un mari infidèle d’aller voir ailleurs mpɔŋ : rendre l’ennemi vulnérable

ɔ́kɔm : philtre d’amour

ɔ́yɛ́k : se procurer beaucoup d’argent

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Les spécialistes rituels qui opèrent avec ces objets sont connus sous le terme générique de báŋgáŋ (pluriel de ŋgáŋ) chez les Mbuun et les Nsong et comme báŋgá̰: (pluriel de ŋgá̰:) chez les Mpiin. Ce terme est un réflexe de la reconstruction

*-gàngà mentionnée ci-dessus. Même s’il peut servir de terme générique pour tous les spécialistes rituels, il est avant tout associé à une catégorie spécifique d’opérants bénéfiques, celle des guérisseurs. Ces tradipraticiens bénéfiques possèdent un savoir spécialisé de l’environnement naturel qui leur permet de guérir des malades avec des produits très souvent confectionnés à base de plantes. Ces médicaments s’appellent myɛ̂m (sg. mwɛ̂m). Ils n’interviennent pas directement dans le monde de l’invisible, mais imputent souvent l’origine de leurs recettes et formules thérapeutiques à une source invisible ou intangible. Ils les acquièrent par exemple au travers d’un songe dans lequel les morts de la famille leur révèlent les formules. Un type spécifique de báŋgáŋ sont les báŋgáŋ á ŋgɔ́mb (mb/ns) ou báŋgá̰: á ŋgɔ́mb (mp), le déterminatif ŋgɔ́mb signifiant ‘divination’. Ce mot est apparenté au mot kikongo ngòmbo que SWARTENBROECKX (1973 : 420) a traduit par ‘oracle, instrument de divination ou recherche du Ndoki, art du devin, chasse au sortilège ou au maléficieux (sic) (sorcier, auteur d’un maléfice)’. Les Leele connaissent la même catégorie de devins : ngang ngombu (BUNDJOK-BANYATH

2006: 109).

Ces devins, báŋgáŋ á ŋgɔ́mb, manipulent également des forces bénéfiques, mais interviennent plus directement dans le monde de l’invisible. Leur rôle est multiple.

Ils sont censés être capables de démasquer les sorciers et de contrecarrer leurs influences maléfiques. Ils voient dans l’invisible les causes des maladies et peuvent délivrer les personnes possédées par les forces maléfiques envoyées par les sorciers en leur faisant subir des traitements rituels comme l’offrande des sacrifices au cimetière, la réconciliation, ou quelquefois en prescrivant des médicaments fréquemment à base de plantes qui sont aussi appelés myɛ̂m (sg. mwɛ̂m). Ces médicaments sont de nature bénéfiques et donc opposés aux báŋkír lorsqu’ils sont manipulés dans un but maléfique par les bálɛ́ts (voir ci-dessous). De façon générale, les devins servent d’intermédiaires entre les vivants et les morts. Une dernière catégorie de spécialistes rituels est celle des opérateurs maléfiques ou sorciers. Elle s’oppose radicalement à celle des deux catégories d’opérateurs bénéfiques définis ci-dessus et est désignée par un terme spécifique : álwɛ́ts (sg.

ʊ́lwɛ́ts) en mbuun, bálɛ́ts (sg. mʊ́lɛ́ts) en mpiin et bálɛ́ts (sg. mɔ́lɛ́ts) en nsong. Les trois termes sont des cognats issus du thème nominal *-dògì qui est très répandu en bantou.5 Selon BASTIN &SCHADEBERG (2003), il est attesté dans les zones B, C,

5 La ressemblance entre les trois formes actuelles et la reconstruction *-dògì n’est pas évidente, mais il s’agit bien de réflexes réguliers. Dans ces langues, la voyelle finale du thème nominal est généralement supprimée, mais pas toujours sans influencer les sons qui précèdent. En l’occurrence, la consonne précédente *g est transformée en affriquée par la spirantisation devant une voyelle antérieure du premier degré. En plus, ces langues connaissent une règle d’attraction de voyelles finales antérieures dans la première syllabe qui entraîne des transformations de sa

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D, E, F, J, K, L, M, R et S de GUTHRIE. Ce concept est généralement associé à la manipulation malveillante du monde de l’invisible (BAEKE 2004 ; DE HEUSCH

2000 ;MACGAFFEY 1977), et c’est aussi le cas dans les sociétés envisagées ici. Ces sorciers sont réputés tuer les gens et censés être doués d’un pouvoir maléfique qui peut atteindre l’organisme humain dans ses forces vives et ruiner aussi les biens d’une personne. Ils opèrent notamment à l’aide des báŋkír. Aucun domaine de la vie n’échappe à leur emprise, et leur malveillance peut provoquer les malheurs les plus affreux, comme la mort, la maladie, la stérilité, des accidents et des désastres quelconques (MOKOLO 1957). Dans ces sociétés, la médiation avec l’invisible est donc l’apanage de deux manipulateurs de pouvoirs surnaturels qui s’opposent radicalement au plan éthique. Ce ‘couple magicien-sorcier’ est une opposition fondamentale que DE HEUSCH (1971 : 170-8) a relevée dans de nombreuses sociétés bantouphones. Cette catégorisation bantoue est essentiellement fondée sur le contraste entre les termes *-dògì et*-gàngà, ‘sorcier’ et ‘anti-sorcier’, même si quelques termes dérivés, qui ont fait l’objet de glissements sémantiques, sont empreints d’une certaine ambivalence. Le sorcier manipule le monde de l’invisible dans une finalité anti-sociale, tandis que l’anti-sorcier manipule précisément les mêmes forces, mais dans le but de rétablir l’équilibre social perturbé par le premier.

Corpus des plantes intermédiaires entre l’univers humain et l’invisible

Dans cette section, nous présentons le corpus des plantes qui servent d’intermédiaires entre les acteurs rituels et le monde invisible. Nous donnons pour chaque plante le nom dans les trois langues, le nom scientifique si la plante a été identifiée et des informations sur ses usages. Nous distinguons deux catégories : les plantes dont l’usage principal est lié au monde de l’invisible et à des pratiques d’ordre magique et celles dont l’usage, ritualisé ou non, est essentiellement d’ordre social ou politique. La première catégorie est celle des plantes censées être utilisées dans le cadre d’actes de sorcellerie ou lors de pratiques d’anti-sorcellerie. Leur usage est l’apanage de spécialistes rituels. C’est ce que nous appelons plantes magiques. La deuxième catégorie comporte les plantes utilisées dans des circonstances sociales, politiques ou rituelles qui sont à la portée de la plupart des gens. Nous appelons celles-ci plantes rituelles. Même si nous mentionnons aussi les applications médicinales de ces plantes, ainsi que leurs autres usages, lorsqu’elles en ont, nous ne traitons pas systématiquement des plantes qui sont

voyelle comme la semi-vocalisation et le changement du lieu d’articulation et de l’aperture, p. ex.

*-kʊ́mì ‘dix’ > ékwɪ ̌m (ns), *-mòtí ‘un’ > mwɛ́s (ns), *-cónì ‘honte’ > ntswɛ́n (ns). Comme on le verra, cet article contient un autre exemple de cette règle : *-pʊ̀mɪ ́ ‘Erythrophleum guineense’

> ɛ́pwɪm.

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uniquement employées par les guérisseurs. En outre, nous verrons que certaines plantes relèvent des deux catégories que nous avons distinguées.

a) Les plantes liées à des pratiques d’ordre magique

• mmmmɔ́ɔ́ɔ́ɔ́ndándndándndándndánd (ns), ɔ́ɔ́ɔ́ɔ́bbbbɔ́ɔ́ɔ́ɔ́rrrr (mb), múúúúndmmm ndndndáááándndndnd (mp) (cl.3) ; ‘wenge’, Millettia laurentii Wildem.(PAPILIONACEAE)

Cet arbre à bois noir est réputé être utilisé la nuit par les bálɛ́ts comme palais lors de leurs cérémonies occultes. Il se transformerait en immeuble contenant des salles de réunion, des tribunaux, des prisons, des restaurants pour manger et boire de la chair et du sang humain. Boire du sang humain régénérerait les bálɛ́ts en leur donnant plus de force. Ce breuvage serait aussi indispensable aux sorciers que du carburant dans un véhicule.

Cette espèce est également considérée comme un arbre honorable, et à ce titre est planté dans l’enclos des chefs.

Les Mbuun utilisent la macération de son écorce pour soigner les brûlures d’estomac. De grande valeur commerciale, il est utilisé en construction, en ébénisterie et en sculpture. Les Mpiin en fabriquent aussi des tambours parlants (mɔ́ndɔ).

• ó̰ó̰ó̰ó̰llllúúúúndndndnd (ns), ololúúúúnnnnolol (mb), mulmulúúúú::::nnnn mulmul (mp) (cl.3) (BLR3 : *-dʊ̀ndʊ́) ; ‘iroko’,Milicia excelsa (Welw.) C.C. Berg (MORACEAE)

Tout comme le wenge, l’iroko est compté parmi les arbres préférés des bálɛ́ts. Il est planté à l’entrée des villages ou dans l’enclos du chef du clan. Les bálɛ́ts s’y réuniraient la nuit pour leurs séances et cérémonies occultes.

Mélangé au bois de wenge, les Mbuun s’en servent pour soigner les règles douloureuses.

On s’en sert aussi pour les travaux de construction et pour la menuiserie.

Il est en outre lié aux conditions météorologiques, puisqu’à l’approche de la saison des pluies, il perd ses feuilles et ses fruits.

• mmmmɔɔɔɔbbbbááááŋŋŋŋ (ns), ʊʊʊʊbbbbááááŋŋŋŋ (mb), mmʊʊʊʊbbbbááááŋŋŋŋbbbbááááŋŋŋŋ mm (mp) (cl.3) ; Croton mubango Müll. Arg.

(EUPHORBIACEAE)

Les fruits de cet arbre sont supposés être utilisés pour assaisonner la chair humaine que mangent les bálɛ́ts pendant leurs cérémonies nocturnes

Cet arbre de savane sert également d’ombrage. Les anciens gardaient leurs prisonniers sous sa frondaison.

Il abrite aussi des chenilles comestibles.

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• tytytytyɛ̂ɛ̂ɛ̂ɛ̂rrrr (ns, mb) (cl.7), mmmmúúúúhhhhɛ̂ɛ̂ɛ̂ɛ̂tttt (mp) (cl.3) ; Hymenocardia acida Tul.

(EUPHORBIACEAE)

Les bálɛ́ts sont réputés se déplacer la nuit sur de très longues distances à bord d’avions. La branche de cette plante de savane serait utilisée comme véhicule pour ces vols de nuit supersoniques.

Il possède aussi des propriétés médicinales : il guérit de très fortes diarrhées, soigne la gale et possède des vertus anti-vomitives. Les Mbuun le prennent comme un médicament antibiotique.

Cet arbre orange très dur est aussi utilisé comme pieu dans la construction. Les Mpiin s’en servent pour fabriquer des pilons et des manches de houes et de machettes.

• mmmɔ́ɔ́ɔ́ɔ́kalm kalkalkal (ns), okííííkalokokokkalkalkal (mb) (cl.3) ; Anthocleista vogelii Planch. (LOGANIACEAE) Lorsque les grands chefs ne voulaient pas garder leurs fétiches chez eux pour protéger leurs propres enfants des retombées néfastes que ces báŋkír pouvaient provoquer (infirmités physiques, maladies, mort subite …), ils faisaient construire une hutte à l’écart où ils les gardaient. Ce sont les épaisses et longues feuilles de cet arbre qui servaient de matériau de construction pour ces huttes. On y apportait de la nourriture et des boissons pour les esprits.

Chez les Mbuun, les tireurs de vin de raphia s’en servent comme entonnoir en raison de l’épaisseur de ses feuilles. Les femmes l’utilisent comme bouchons pour les calebasses. Chez les Nsong, cet arbre pousse en lisière de forêt, surtout le long des rivières. Les femmes qui vont à la pêche en utilisent les feuilles pour emballer les poissons.

• ɛ̰́ɛ̰́ɛ̰́ɛ̰́mprmprmprmpríííí nznznznzɔ́ɔ́ɔ́ɔ́:::: (ns) (cl.7), eyeyíííír nzeyeyr nzr nzr nzɔ́ɔ́ɔ́ɔ́:::: (mb) (cl.7), mundzmundzmundzmundzɔ́ɔ́ɔ́ɔ́ndzndzndzndzɔ́ɔ́ɔ́ɔ́ (mp) (cl.3) ; Psidium guineense Sw. (MYRTACEAE)

Les apparitions nocturnes et les spectres qui apparaissent aux gens durant la nuit sont supposés être les branches de cet arbre manipulées par les bálɛ́ts. Les sorciers l’utilisent pour octroyer des maladies psychiques, comme la folie, à des sujets normaux.

Chez les Nsong, les feuilles de cet arbre soignent le hoquet, les infirmités physiques, les infections des reins et de la rate, l’asthme et autres difficultés respiratoires. Les Mbuun l’utilisent aussi comme médicament pour soigner l’asthme. Il est aussi censé traiter une maladie nommée palu dans plusieurs langues de la région. L’origine de ce nom n’a pas pu être établie, mais la maladie n’a rien à voir avec le paludisme. On l’impute à l’adultère qu’une femme commet alors que son enfant est encore tout petit. Elle se manifesterait par un ensemble de symptômes, comme les irritations de la peau, l’asthénie, l’anorexie, etc., qui sont

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censés être incurables par la médecine moderne et peuvent mener à la mort de l’enfant.

• kaykaykaykayɔ́ɔ́ɔ́ɔ́ŋŋŋŋ (ns) (cl.12), ɪɪɪɪmpmpmpmpɛɛɛɛssss (mb) (cl.7), kaykaykaykayɔ̰́ɔ̰́ɔ̰́ɔ̰́:::: (mp) (cl.12) ; Biophytum talbotii (Baker f.) Hutch. & Dalziel (OXALIDACEAE)

Cette petite herbe se referme automatiquement dès qu’on la touche ou la déracine.

Elle est utilisée comme ingrédient dans la plupart des fétiches pour les ‘sceller’

hermétiquement.

• yyyyɛ́ɛ́ɛ́ɛ́kkkkɛɛɛɛyyyyɛɛɛɛkkkk (ns) (cl.5), nsnsúúúú::::mpnsns mpmpɛɛɛɛrrrrmp (mb) (cl.9), mmmmááááyyyyɛɛɛɛkkkk (mp) (cl.6) ; ‘graine réglisse’, Abrus precatorius L. (PAPILIONACEAE)

Les feuilles très sucrées de cette liane sont présumées être un philtre. Lorsqu’un homme désire conquérir une femme, il les mâche, puis lui demande sa main. Celle- ci ne pourra pas refuser.

Chez les Nsong, ces mêmes graines soignent une maladie dont le symptôme est la présence de sang dans les excréments ; peut-être s’agit-il de la dysenterie. Chez les Mpiin, ses jeunes feuilles sont employées pour soigner la toux.

Ses graines sont incorporées dans des hochets utilisés comme instrument de musique ou simplement pour bercer les enfants.

• mmmmɔ́ɔ́ɔ́ɔ́dzadzdzadzdzadzdzadz (ns), ɔ́ɔ́ɔ́ɔ́dzadzdzadzdzadzdzadz (mb) (cl.3) ; ‘esp. d’arbre non identifiée’

Chez les Mbuun, cet arbre est surnommé ʊtɪ́ ʊ́:kɔm ‘l’arbre de la séduction’, puisqu’on l’utilise comme philtre. L’écorce ou les feuilles sont écrasées et incorporées à la nourriture d’une femme. Dès qu’elle en mange, elle est supposée devenir folle d’amour.

Chez les Nsong, cet arbre pousse dans les jachères. Il s’écorce facilement et est apprécié comme bois de chauffe pour préparer les repas.

• ɛ́ɛ́ɛ́ɛ́pwpwpwpwɪɪɪɪmmm m(ns), ɪ́ɪ́ɪ́ɪ́pwɪɪɪɪm (mb), kípwɪɪɪɪm (mp) (cl.7) (BLR3 : *-pʊmí) ‘tali ou poison de Guinée’, Erythrophleum guineense G.Don (CAESALPINIACEAE)

Cet arbre de forêt était autrefois un ‘arbre de vérité’. On extrayait un poison de son écorce qui était utilisé dans les ordalies pour identifier les bálɛ́ts. Ceux qui mouraient après en avoir bu la décoction étaient censés être coupables (DE

BEAUCORPS 1941,1956 ;MOKOLO 1957). Ce type d’ordalie par administration de strychnine, principe actif de l’Erythrophleum guineense, était très répandu en Afrique centrale (MACGAFFEY 1991 : 9). VANSINA (1991 : 371) a relevé des réflexes de *-pʊmí désignant à la fois le poison d’oracle et l’arbre Erythrophleum guineense dans les langues suivantes : mongo, boyela, bushong, lele, pende, cokwe, taabwa, holoholo. En kikongo et plusieurs autres langues bantoues, comme le vili, yombe, laadi, ndumbu, mbede, ndasa, tio, bobangi, leke, bongiri, duala,

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kosi, et kpe, ce sont plutôt les réflexes de *-kaca qui désignent ces mêmes réalités (VANSINA 1991 : 370).

• mmmm´U´U´U´Ubɪɪɪɪl (ns), ʊ́ʊ́ʊ́ʊ́bɪɪɪɪl (mb), múbɪɪɪɪl (mp) (cl.3) (BLR3 : *-bɪ́dɪ́) ; Canarium schweinfurthii Engl.(BURSERACEAE)

Le latex que produit cet arbre est utilisé comme encens. En contact avec du charbon brûlant, la fumée qui s’en dégage a une très forte senteur, supposée chasser les mauvais esprits. Les exorcistes l’utilisent aussi pour attirer des esprits bénéfiques qui chasseraient les mauvais.

Son latex est utilisé en onguent pour cicatriser le nombril d’un nouveau-né. Après l’accouchement, la femme en boit dans du thé. En cas de fracture, on s’en sert pour ressouder les os. Chez les Mpiin, une décoction de son écorce soigne les maux de ventre.

Les fruits de cet arbre sont comestibles. Enfin, son latex alimente les lampes en carburant et les menuisiers du village s’en servent pour fabriquer un vernis qu’ils appliquent sur les meubles.

• ɔ̰́ɔ̰́ɔ̰́ɔ̰́ssssááááŋŋŋŋ (ns) (cl.3), ɪɪɪɪssssááááŋŋŋŋ nzêmnzêmnzêmnzêm (mb) (cl.7), musmusmusmusááááŋŋŋŋssssááááŋŋŋŋ (mp) (cl.3) ; Cymbopogon densiflorus (Steud.) Stapf (POACEAE)

Cette plante herbeuse sert souvent à chasser les mauvais esprits loin d’une habitation. Ses fleurs séchées sont très souvent suspendues sous le toit à l’entrée pour empêcher ces mauvais esprits de pénétrer dans la maison, surtout lorsqu’il y a un nouveau-né. On l’utilise dès lors aussi pour ranimer une personne évanouie, l’évanouissement étant considéré comme un état de possession maléfique.

• ɛ́ɛ́ɛ́ɛ́llllɔɔɔɔllll (ns), ɪ́ɪ́ɪ́ɪ́llllɔɔɔɔllll (mb), kkkkííííllllɔɔɔɔllll (mp) (cl.7) (BLR3 : *-dódò) ; ‘annone du Sénégal’, Annona senegalensis Pers. (ANNONACEAE)

Cet arbrisseau de savane est utilisé en cas d’évanouissement ou de perte de connaissance. L’odeur de la fumée que dégage cette plante est supposée chasser les mauvais esprits et réveiller ainsi la personne évanouie.

• ɔ̰́ɔ̰́ɔ̰́ɔ̰́ssssɪ́ɪ́ɪ́ɪ́ndápndápndápndápɔ́ɔ́ɔ́ɔ́::::mpmpmpmp (ns), ɔ̰́ɔ̰́ɔ̰́ɔ̰́ssssɪ́ɪ́ɪ́ɪ́ndápndápndápɔ́ɔ́ɔ́ɔ́::::mpndáp mpmpmp (mb), musmusmusmusɛɛɛɛndápndápndápndápɔ́ɔ́ɔ́ɔ́::::mpmpmpmp (mp) (cl.3) ; ‘afrormosia’, Pericopsis elata (Harms) Meeuwen (PAPILIONACEAE)

Aucun reptile n’est capable de grimper à cet arbre, parce que son écorce est très lisse. À cause de cette particularité, il est utilisé comme remède anti-fétiche. Son usage protège des sortilèges. Le corps de la personne qui s’en sert devient si lisse que les sorciers ne peuvent s’en saisir.

Chez les Mpiin, on en fait boire la décoction à une femme enceinte pour faciliter l’accouchement et pour que l’enfant naisse, en ‘glissant’, sans causer de mal au corps de la mère.

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• llllóóóódzùndzùdzùndzùdzùndzùdzùndzù (ns), lllláááádzutsdzutsdzutsdzuts (mb), llllʊ́ʊ́ʊ́ʊ́nknknknkṵ́ṵ́ṵ́ṵ́nknknkṵ́ṵ́ṵ́ṵ́nk (mp) (cl.11) ; ‘éleusine’, Eleusine indica (L.) Gaertn. (POACEAE)

La jeune pousse de cette herbe est utilisée contre les envoûtements. Lors des palabres, la placer dans la poche permettrait au juge ou à l’avocat, ou encore à celui qui comparaît, de résister aux attaques occultes qui pourraient l’anéantir en l’hypnotisant ou en le mettant à court d’arguments. Chez les Mpiin, la pousse était placée au bout du fusil en temps de guerre afin de rendre les adversaires vulnérables et de faciliter leur mise à mort.

Les Mbuun l’utilisent comme médicament contre le panaris. Ils mettent neuf noyaux de noix de palme bien chauds entre ses feuilles et les pressent sur la peau à l’endroit de l’affection. Chez les Mpiin, en cas de vertige, une pousse de cette plante est frottée sur le front pour calmer le mal. Elle est également utilisée pour soigner un enfant qui est supposé souffrir de la maladie dite palu, causée par l’adultère de sa mère. Si celle-ci ne dévoile pas l’identité de son amant, la fontanelle de l’enfant peut se creuser et provoquer une mort précoce. Si elle avoue, les soins se feront à l’aide de l’éleusine.

Cette herbe pousse abondamment dans les jachères et au village, dont elle obstrue les allées et les cours. Elle est tellement envahissante qu’un proverbe mbuun dit ládzuts akwôn ɪbʊn, anga ɪbʊn abáukis ‘l’éleusine aime les cours, mais les propriétaires de celles-ci ne l’aiment pas’. Les enfants s’amusent en la tressant pour lui faire prendre la forme d’une tête de femme coiffée à l’africaine. Les Nsong l’emploient aussi comme fourrage pour nourrir le bétail.

b) Les plantes rituelles

• lɔ́sɔ́ŋlɔ́sɔ́ŋlɔ́sɔ́ŋlɔ́sɔ́ŋ (ns) (cl.11), lásɔ́ŋlásɔ́ŋlásɔ́ŋlásɔ́ŋ (mb) (cl.11), músɔ́ŋmúsɔ́ŋmúsɔ́ŋmúsɔ́ŋ (mp) (cl.3) ; Ficus thonningii Blume (MORACEAE)

Les anciens plantaient cet arbre en premier à l’endroit qu’ils avaient choisi pour bâtir un village. Ils indiquaient ainsi à d’autres personnes que le site était déjà occupé. Tel que l’a observé de BEAUCORPS (1941 : 54-55) chez les Nsong qui vivent plus au Nord de Kikwit, dans d’autres secteurs du territoire de Bulungu, à savoir Gobari, Kwilu-Kimbata, Luniungu et Nko, c’était un ŋgáŋ qui, lors d’une cérémonie, plantait l’arbre au centre du nouveau village dans un trou au fond duquel il avait jeté au préalable quelques noix de kola coupées en menus fragments ainsi que le fruit du petit kolatier, le tout arrosé de vin de palme. La branche qu’on plantait provenait d’un arbre qui avait été planté jadis sur la place de l’ancien village abandonné. Avant de refermer le trou, le sang d’une poule égorgée était répandu au pied de la branche plantée, son cœur jeté au fond du trou et sa tête fixée sur une baguette fichée en terre.

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Les devins révèlent qu’en plantant cet arbre, chaque clan y plaçait aussi les fétiches hérités de ses ancêtres. Il s’agit de fétiches censés protéger les membres du clan, rendre le sol fertile et les femmes fécondes. Un proverbe mbuun dit tá nʃim, kún lásɔ́ŋ ‘récite l’histoire, puis plante un Ficus thonningii’, ce qui illustre le caractère rituel de cet arbre.

• nlànlànlànlàŋŋŋŋ (ns) (cl.9), ɪ́ɪ́ɪ́ɪ́lalalaŋŋŋŋ la (mb) (cl.5), la̰la̰la̰la̰:::: (mp) (cl.5) ; ‘euphorbe-candelabre’, Euphorbia candelabrum Trémaux ex Kotschy (EUPHORBIACEAE)

L’euphorbe-candelabre est uniquement planté devant la maison de chefs de lignage comme symbole de leur autorité. Contrairement aux chefs de village qui assument une fonction administrative, les chefs de lignage sont les véritables détenteurs des pouvoirs ancestraux. Ils assurent la cohésion du lignage. Ils sont investis par un rituel de succession qui les inscrit dans la lignée des ancêtres. Ils portent un anneau (mwâŋ) comme insigne.

De surcroît, l’euphorbe-candelabre produit un latex urticant et toxique qui aurait été utilisé chez les Mbuun comme poison par certains chefs pour éliminer leurs adversaires.

• ɔ̰́ɔ̰́ɔ̰́ɔ̰́bwbwbwbwɛɛɛɛrrrr (ns), ɔɔɔɔbwbwbwɔ́ɔ́ɔ́ɔ́rrrrbw (mb), mubmubmubmubóóóótttt (mp) (cl.3) ; Parinari curatellifolia Planch.

(CHRYSOBALANACEAE)

Quand une femme accouche de jumeaux, on bâtit devant sa maison une paillote avec les pieux de cet arbre de savane. Cet arbre est réputé se régénérer perpétuellement sans mourir. De génération en génération, on saura qu’à cet endroit sont nés des jumeaux. Les jumeaux sont considérés comme des enfants

‘extra-terrestres’, des enfants spéciaux que les ancêtres donnent ceux à qui ils veulent. Ils sont présumés ne pas naître de n’importe quelle femme. Par conséquent, leur naissance et l’attribution de leur nom sont entourées de diverses cérémonies. Ces mêmes paillotes sont construites au cours des cérémonies d’investiture des chefs de lignages.

• mmmmɔ́ɔ́ɔ́ɔ́bbbbɛɛɛɛtstststs (ns), ɔ́ɔ́ɔ́ɔ́bbbbɛɛɛɛtstststs (mb), mmúúúúbbbbɛɛɛɛtsmm tststs (mp) (cl.3) (BLR3 : *-bɪ̀dú) ; ‘kolatier’, Cola acuminata (P.Beauv.) Schott & Endl. (STERCULIACEAE)

Dans les sociétés envisagées, un hôte est accueilli en lui offrant d’abord une noix de kola, puis une boisson. Le vin de palme, dans les nombreuses circonstances où il est consommé, est toujours servi accompagné de noix de kola sans lesquelles la cérémonie est gâchée. Dans les rites funéraires ou matrimoniaux, les noix de kola sont aussi exigées. Cet usage s’explique au moins partiellement par les propriétés toniques et légèrement euphorisantes de cette noix.

• ɔ̰́ɔ̰́ɔ̰́ɔ̰́ttttɪɪɪɪnnnn (ns), ʊʊʊʊttttɛ́ɛ́ɛ́ɛ́nnnn (mb), mmmmúúúúttttɪɪɪɪnnnn (mp) (cl.3) ; ‘petit kolatier, faux kolatier’, Garcinia kola Heckel (CLUSIACEAE)

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Ses fruits sont mangés dans les cérémonies à coté des noix de kola, car certains préfèrent ces noix-ci à celles du kolatier. Les fruits de cet arbre peuvent donc être consommés dans toutes les circonstances où on utiliserait les noix de kola.

Il est aussi consommé comme préventif contre la malaria.

• ɛ́baɛ́baɛ́baɛ́ba (ns), ɛ́báɛ́báɛ́báɛ́bá lá nsâmlá nsâmlá nsâmlá nsâm (mb), babababa (mp) (cl.5) (BLR3 : *-bá) ; ‘palmier à huile’, Elaeis guineensis Jacq.(ARECACEAE)

Le palmier à huile est une plante à usages multiples. On en tire entre autres du vin de palme qui est d’une très grande valeur symbolique et rituelle. Il est présent dans toutes les cérémonies : mariage, deuil, palabre, fête etc. Même les morts sont présumés perpétuer l’habitude d’en boire, puisque les vieux ne boivent jamais leur verre de vin sans en avoir versé au préalable quelques gouttes par terre pour leurs morts. Un chef de lignage qui souhaite invoquer les ancêtres, doit en verser tout d’abord une petite quantité sur le sol.

• éyuséyuséyuséyus (ns), ɛ́báɛ́báɛ́báɛ́bá lɪ́::::yuslɪ́lɪ́lɪ́yusyusyus (mb), yusyusyusyus (mp) (cl.5) ; ‘palmier à raphia’, Raphia gentiliana De Wild.(ARECACEAE)

Cet arbre est une plante de grande utilité. Tout comme le vin extrait du palmier à huile, son vin est souvent présent dans les cérémonies. Moins alcoolisé que le premier, il est préféré par les femmes. Les fibres de raphia, extraites de ses rameaux, servent à la confection de tissus, de nattes ou de paniers. Le tissu de raphia sert aussi de vêtement aux chefs et aux devins et dans les cérémonies traditionnelles, les danseurs s’en revêtent. Les fétiches sculptés sont très souvent enveloppés dans du tissu de raphia. On fabrique des lits avec ses pétioles. Ses cordes naturelles sont utilisées dans les techniques de piégeage et en artisanat.

Mort, il est envahi par des larves très appréciées.

La décoction gluante de ses feuilles est un médicament contre l’asthénie.

Critères sous-tendant la sélection de plantes à usage magique et rituel

Dans cette section, nous examinons les critères qui sous-tendent l’attribution des capacités magiques et rituelles aux plantes que nous avons présentées dans la section précédente. À l’exception de l’Erythrophleum guineense dont l’usage comme poison d’ordalie se fonde sur l’élément toxique qu’il contient, le choix des plantes ci-dessus comme intermédiaire entre l’univers des hommes et le monde de l’invisible n’est pas lié aux éléments actifs d’ordre biochimique ou pharmaco- logique qu’elles contiendraient. Ceci est plutôt le cas des plantes utilisées pour le traitement médical de maladies physiques dont la connaissance des substances thérapeutiques et le savoir-faire par rapport à leur manipulation se sont accumulés grâce à une pratique expérimentale de longue durée et une transmission

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intergénérationnelle. Le maniement des plantes magiques se situe plutôt au niveau psychosocial. Ces plantes servent soit à traiter des troubles psychologiques ou à résoudre des crises et des infractions sociales imputées à l’intervention de forces maléfiques invisibles, soit, au contraire, à solliciter ces pouvoirs malfaisants pour nuire à quelqu’un.6 Toutefois, contrairement aux plantes médicinales, ces plantes ne possèdent pas cette puissance bénéfique ou maléfique de facto. Les produits dérivés de ces plantes sont en soi sans valeur magique ou rituelle. Ils ne l’acquièrent que grâce à l’intervention des forces invisibles qui sont invoquées par certaines incantations. Néanmoins, ce ne sont pas n’importe quelles plantes qui sont sélectionnées dans ce but. Sur quels critères se fonde alors la prédilection des spécialistes rituels pour ces plantes ? Est-ce qu’il existe un lien entre les noms de ces plantes et leur utilisation magique ou rituelle ? Sinon, est-ce que leur choix est plutôt dicté par certaines de leurs caractéristiques physiques ou physiologiques ? En ce qui concerne la question d’un lien possible avec la dénomination de ces plantes, la réponse est assez négative. L’analyse morphosémantique des noms des plantes à usage magique ou rituel ne nous renseigne pas explicitement sur leurs fonctions. Pour autant que les principes sémantiques sous-tendant la création de ces noms soient encore transparents, ils révèlent peu sur le rôle de ces plantes en tant qu’intermédiaires entre le monde de l’invisible et l’univers humain. Comme l’indiquent les quelques reconstructions lexicales présentées dans le corpus en section 3, certains noms sont assez répandus à l’intérieur du bantou. Les langues envisagées ici les ont simplement hérités d’une langue ancêtre commune. Le fondement sémantique à l’origine de leur nom est devenu opaque. De façon générale, ils désignent des plantes dont l’usage va bien au-delà de leur utilisation magique ou rituelle. Voici un aperçu des ces termes :

(3) *-bá Elaeis guineensis > ɛ́ba (ns), ɛ́bá lá nsâm (mb), ba (mp)

*-bɪ ́dɪ ́ Canarium schweinfurthii > ɔ̰́bɪl (ns), ʊ́bɪl (mb), múbɪl (mp)

*-bɪ ̀dú Cola acuminata > mɔ́bɛts (ns), ɔ́bɛts (mb), múbɛts (mp)

*-dódò Annona senegalensis > ɛ́lɔl (ns), ɪ ́lɔl (mb), kílɔl (mp)

*-dʊ̀ndʊ́ Milicia excelsa > ó̰lúnd (ns), olún (mb), mulú :n (mp)

*-pʊmí Erythrophleum guineense > ɛ́pwɪm (ns), ɪ ́pwɪm (mb), kípwɪm (mp)

6 Même si un mal comme l’infécondité se manifeste comme une infirmité physique, il est avant tout considéré comme une déviation du bon ordre social.

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Plusieurs autres noms qui ne remontent pas à des reconstructions lexicales connues, mais qui sont parfois partagés par les langues étudiées ici ne se laissent pas non plus analyser sur le plan sémantique. Le rapport entre leurs usages magiques ou rituels et leur nom n’est pas perçu. Voici un aperçu de ces termes :

(4) tyɛ̂r (ns, mb), múhɛ̂t (mp) Hymenocardia acida

mɔ́kal (ns), okíkal (mb) Anthocleista vogelii

kayɔ́ŋ (ns), ɪmpɛs (mb), kayɔ̰̰̰̰́ : (mp) Biophytum talbotii ɔ̰́sɪ ́ndápɔ́:mp (ns), ɔ̰́sɪ ́ndápɔ́:mp (mb), Pericopsis elata musɛndápɔ́:mp (mp)

lódzùndzù (ns), ládzuts (mb), lʊ́nkṵ́nkṵ́ (mp) Eleusine indica

nlàŋ (ns), ɪ ́laŋ (mb), la̰: (mp) Euphorbia candelabrum ɔ̰́tɪn (ns), ʊtɛ́n (mb), mútɪn (mp) Garcinia kola

mɔ́ndánd (ns), ɔ́bɔ́r (mb), múndánd (mp) Millettia laurentii mɔ́dzadz (ns), ɔ́dzadz (mb) non identifiée

Il n’y a que six noms de plantes présentés dans le corpus en section 3 dont les principes sémantiques sous-tendant leur création soient encore transparents :

• ɛ̰́ɛ̰́ɛ̰́ɛ̰́mprímprímprímprí nzɔ́nzɔ́nzɔ́: nzɔ́ (ns), eyír nzɔɔɔɔ::::eyír nzeyír nzeyír nz (mb), mundzmundzɔ́ndzmundzmundz ndzndzndzɔ́ (mp) Psidium guineense

Ces trois mots comportent le réflexe de *-jògù signifiant ‘éléphant’, le nom mpiin étant carrément un redoublement de ce terme ndzɔ́ɔ́ɔ́ɔ́ précédé d’un préfixe nominal de la classe 3. Les termes nsong et mbuun sont des composés. Le premier élément du composé mbuun est un verbe signifiant ‘repousser’. L’origine et le sens du premier élément dans le nom nsong n’ont pas pu être établis. L’association avec l’éléphant s’explique par le fait que c’est un des rares arbres que cet animal ne parvient pas à déraciner à cause de sa dureté. Sa dénomination n’est donc pas liée à son usage magique maléfique, mais fait référence à une de ses propriétés naturelles.

• ɔ̰́ɔ̰́ɔ̰́ɔ̰́sásásásáŋŋŋŋ (ns), ɪsáŋ nzɪsáŋ nzɪsáŋ nzɪsáŋ nzêmêmêmêm (mb), musámusámusámusáŋsáŋŋsáŋŋsáŋŋsáŋ (mp) Cymbopogon densiflorus

Ces trois termes sont probablement basés sur le thème nominal -sáŋ signifiant

‘hochet’. En nsong et en mbuun, il s’agit du thème -sáŋ lui-même, en mpiin de son redoublement. Cette association métaphorique avec le hochet s’explique par la

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forme de ses fleurs imitant celle de cet objet.7 Sa dénomination n’est donc pas inspirée par la capacité à chasser les mauvais esprits qui lui est attribuée. Seul le déterminatif nzêm signifiant ‘dieu, être suprême’ dans le terme mbuun pourrait y être lié.

• yyyyɛ́kkkkɛyyyyɛkkkk (ns), máymáymáymáyɛkɛkɛkɛk (mp) Abrus precatorius

Ces noms nsong et mpiin sont basés sur le thème nominal -yɛk signifiant ‘sucré’, ce qui renvoie au goût caractéristique des feuilles de cette liane. Il se peut que son usage comme philtre se fonde aussi sur l’association entre le goût sucré de ces feuilles et les paroles ‘sucrées’ de l’amoureux. Le cas échéant, son nom et son usage comme sortilège sont basés sur la même propriété de la plante.

• ɔ̰́ɔ̰́ɔ̰́ɔ̰́bwbwbwbwɛrɛrɛrɛr (ns), ɔbwɔ́rɔbwɔ́rɔbwɔ́rɔbwɔ́r (mb), mubótmubótmubótmubót (mp) Parinari curatellifolia

Une étymologie possible pour ces termes est le verbe *-bʊ́t- ‘engendrer, fructifier’, rappelant le fait que cet arbre se régénère facilement et produit de nombreux fruits.

Son association rituelle avec les jumeaux se base sans doute sur la même propriété.

• lɔ́sɔ́ŋlɔ́sɔ́ŋlɔ́sɔ́ŋlɔ́sɔ́ŋ (ns), lásɔ́ŋlásɔ́ŋlásɔ́ŋlásɔ́ŋ (mb), músɔ́ŋmúsɔ́ŋmúsɔ́ŋmúsɔ́ŋ (mp) Ficus thonningii

Ces trois termes sont dérivés du même radical verbal -sɔ́ŋ signifiant ‘montrer’. Ce nom renvoie clairement à la fonction rituelle de cette plante, à savoir signifier à d’autres personnes que tel site villageois est déjà occupé par tel lignage.

• mmmmɔbáŋɔbáŋɔbáŋɔbáŋ (ns), ʊbáŋʊbáŋʊbáŋʊbáŋ (mb), mmmmʊbáŋbáŋʊbáŋbáŋʊbáŋbáŋ ʊbáŋbáŋ(mp) Croton mubango

Comme pour le terme précédent, le nom de cette plante est lié à son usage magique. Ces trois mots comportent tous le radical -báŋ qui signifie ‘craindre’.

Toutefois, ici, ce n’est sans doute pas l’usage de la plante qui a inspiré son nom, mais l’inverse. Il semble que son utilisation magique dérive du nom même de la plante, ce qu’atteste l’étymologie populaire. Cette hypothèse est étayée par le fait que cet arbre est désigné par le même thème nominal dans d’autres langues bantoues sans pour autant y remplir la même fonction magique. Il est par exemple attesté en kintandu, un dialecte oriental du kikongo : ǹbángúńbangu (DAELEMAN &

PAUWELS 1983 : 185). C’est sans doute à cette langue que le botaniste JOHANN

MÜLLER a emprunté le terme mubango dans l’appellation scientifique de cette espèce, lorsqu’il l’a décrite et nommée en 1864 (voir International Plant Names Index en ligne sur www.ipni.org).

Cet aperçu montre que les usages magique et rituel des plantes n’ont qu’un impact très faible sur leur dénomination. Seul le nom du Ficus thonningii est dicté par sa

7 Une autre origine possible de ce mot est le terme másaŋ pour petit mil (Pennisetum glaucum), issu de *-cángʊ́. Les deux plantes appartiennent à la même famille et leurs fleurs se ressemblent fortement. Toutefois, il se pose un problème avec leur tonalité qui est différente.

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fonction rituelle. Inversement, le nom des plantes est d’une très faible incidence sur l’attribution de capacités magiques ou rituelles aux plantes. C’est uniquement le cas du Croton mubango dont l’usage magique semble être inspiré par l’étymologie populaire liée à son nom et l’association métonymique que sa signification

‘craindre’ implique avec la sorcellerie.

Si les noms mêmes des plantes à usage magique ou rituel ne jouent qu’un rôle négligeable dans leur sélection, leurs caractéristiques physiques sont plus décisives sur ce plan. On observe une association très nette entre les propriétés de certaines plantes et leur utilisation magique ou rituelle. Voici un aperçu des propriétés qui auraient inspiré ces usages :

Le Millettia laurentii est un bois très dur, sinon le plus dur, le plus beau, le plus cher des bois de la région, ce qui fait qu’il est considéré comme un bois sacré et honorable. L’ambivalence de la figure du chef, qui est très souvent associée à la sorcellerie explique pourquoi cet arbre est à la fois planté dans les enclos des chefs et censé être utilisé comme palais nocturne pour les sorciers.

Le Milicia excelsa est l’un des plus grands arbres de la région. Hiérarchiquement, son bois est considéré comme le deuxième en qualité après celui du Millettia laurentii, d’où il assume les mêmes fonctions.

L’Euphorbia candelabrum, sans feuilles et pleine d’épines, est une plante de forme spéciale qui se distingue de toutes les autres plantes. En plus, il produit un poison utilisé pour éliminer les adversaires des chefs. Ceci pourrait expliquer qu’il soit planté dans les parcelles des chefs de lignage comme insigne.

Le Parinari curatellifolia est un arbre qui se régénère très facilement. Ce parangon de fécondité est planté là où sont nés des jumeaux pour que les gens se remémorent toujours l’événement.

La noix de Cola acuminata est formée de plusieurs graines séparées mais très soudées entre elles. C’est pourquoi on le mange dans des cérémonies où les gens sont réunis, exprimant leur unité, sans oublier évidemment ses effets toniques et euphorisants.

Le Ficus thonningii est un arbre qui pousse très rapidement et ne meurt pas facilement. La bouture de ce symbole de pérennité, replantée chaque fois qu’un village se déplace, illustre la permanence de la communauté.

Le Biophytum talbotii est une très petite herbe sensitive qui se referme automatiquement dès qu’on la touche, ce qui explique qu’on l’utilise pour sceller les ingrédients des fétiches.

L’Abrus precatorius a de petites feuilles très sucrées qui sont censées rendre séduisantes les paroles qu’un homme adresse à la femme qu’il veut conquérir.

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Le Psidium guineense est un arbuste petit, mais très solide, puisque les éléphants ne peuvent pas le déraciner. C’est pourquoi les gens le considèrent comme singulier et lui attribuent des vertus magiques. En plus, il a des branchages qui ressemblent à des sculptures anthropomorphes et que les spécialistes rituels peuvent manipuler pour les rendre vivants.

Le mɔ́dzadz (ns)/ɔ́dzadz (mb) est une plante dont le bois est imbibé d’eau. On le consomme comme philtre de séduction, puisqu’il est censé remplir le cœur d’une femme d’amour.

Le Croton mubango est un arbre qui sert d’ombrage dans les villages. Les gens ont l’habitude de s’y abriter ensemble contre le soleil. Cette concentration humaine sous l’arbre y laisse des traces (empreintes, cheveux, ongles, …) dont les sorciers peuvent se servir.

Même si le rapport direct entre la dénomination des plantes et leurs usages magiques ou rituels est généralement faible, les mécanismes cognitifs qui sous- tendent la sélection des plantes pour mettre en contact l’univers des hommes avec le monde de l’invisible sont les mêmes que ceux qui fondent la création lexicale.

Tel que DE HEUSCH (1971 : 178-187) l’a démontré à propos des Luba et des Lele en RDC, la pensée magique – comme toute pensée d’ailleurs – est fondée sur deux procédés mentaux de base, à savoir la métaphore et la métonymie. C’est surtout l’association métaphorique qui entre en ligne de compte dans l’attribution de capacités magiques aux plantes présentées ci-dessus. Certaines propriétés de ces plantes renvoient de façon métaphorique aux qualités magiques ou rituelles sollicitées. Les associations métonymiques jouent un moindre rôle dans la sélection des plantes. Dans les systèmes de pensée magique, celles-ci renvoient le plus souvent aux sujets qui sont censés être le bénéficiaire ou la victime des opérations magiques (DE HEUSCH 1971 : 181 ; HERSAK 1985 : 129). Il s’agit par exemple de l’incorporation aux fétiches de substances humaines, comme des cheveux et des ongles, qui représentent comme pars pro toto ceux vers qui l’action maléfique ou bénéfique est dirigée. Que ce soit l’association métaphorique qui soit davantage retenue ici, est congru avec le fait que si les plantes fonctionnent bien comme intermédiaires entre l’univers des hommes et le monde de l’invisible, leur action est avant tout orientée spécifiquement vers les forces qui peuplent ce dernier, plutôt que dirigée vers certaines victimes ou bénéficiaires humains précis, comme le suggérerait une association métonymique. Ce n’est que l’usage maléfique des fruits du Croton mubango, dont le pied ombragé recueillerait les traces de nombreux êtres humains, qui pourrait éventuellement être inspiré par une association métonymique.

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En guise de conclusion

Dans cet article, qui constitue une première documentation des noms et des usages des plantes jouant un rôle dans le système religieux et rituel des Mbuun, Mpiin et Nsong, nous avons montré que les plantes revêtent au moins trois fonctions différentes dans la pratique religieuse et rituelle de ces sociétés. Elles ont d’abord plusieurs utilisations dans les rites qui font partie du domaine public et marquent les moments-clé de la vie personnelle ou sociale : l’occupation d’un nouveau site villageois, l’investiture d’un chef de lignage, les mariages, la naissance de jumeaux, le deuil, les funérailles, les palabres, etc. De surcroît, elles sont manipulées par les spécialistes rituels dans les usages dits magiques qui sont leur apanage. Nous avons distingué les usages maléfiques qu’en font les bálɛ́ts ou sorciers des usages bénéfiques qu’en font les báŋgáŋ á ŋgɔ́mb ou devins, souvent dans le but de contrecarrer les forces malfaisantes de la sorcellerie. Dans ces deux derniers usages, leur finalité principale est la même : mettre en contact l’univers des hommes avec le monde de l’invisible. Les plantes sont utilisées soit pour confectionner des báŋkír, c’est-à-dire les objets à travers lesquels se fait la manipulation des forces invisibles, dans un but maléfique ou bénéfique, soit pour fabriquer les myɛ̂m ou médicaments de ‘contre-sorcellerie’. L’usage de ces plantes dites magiques se distingue de celui des plantes médicinales sur plusieurs plans.

Tout d’abord, la manipulation des premières se fait surtout pour remédier aux désordres psychosociaux (ou à l’inverse pour les provoquer), tandis que les dernières servent plutôt à traiter les maladies d’ordre physique. Même s’il y a des spécialistes guérisseurs, la connaissance des vertus médicinales des plantes est largement répandue au sein des communautés. Elle fait partie du savoir commun.

L’usage des plantes comme intermédiaires entre l’univers des hommes et le monde de l’invisible, par contre, est l’apanage des spécialistes rituels mentionnés plus haut. Enfin, l’usage des plantes comme médicaments se fonde sur les propriétés des principes actifs qu’elles contiennent. Même si les utilisateurs n’ont pas de connaissance théorique de ces substances, leurs vertus thérapeutiques sont bien connues grâce à une pratique empirique de longue durée dont les résultats se sont transmis d’une génération à l’autre. En revanche, la manipulation magique des plantes ne se fait pas sur base d’éléments actifs inhérents, mais grâce à l’intervention de forces maléfiques ou bénéfiques invisibles qui sont invoquées par les spécialistes rituels. Ces derniers opèrent une sélection parmi les plantes disponibles. Ce ne sont pas n’importe quelles plantes qui sont censées pouvoir établir le contact avec l’invisible. Cette sélection s’appuie surtout sur la ressemblance qu’établissent les utilisateurs entre certaines propriétés (physiques ou autres) de ces plantes et le but magique auquel elles doivent servir. Cette association métaphorique est orientée vers les forces invisibles qui doivent leur être insufflées pour qu’elles acquièrent les capacités bénéfiques ou maléfiques souhaitées. Le lien entre la dénomination des plantes – pour autant que l’étymologie des noms soit encore transparente – et certaines de leurs propriétés se

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