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n 178 ANALYSE Des «ghettos» français : abus de langage ou réalité? Le débat sur la ségrégation à l heure de la réforme de la politique de la ville

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A N A L Y S E Des « ghettos » français : abus de langage ou réalité ?

Le débat sur la ségrégation à l’heure de la réforme de la politique de la ville

Selon certains analystes, une partie des quartiers populaires de banlieue, en dépit des interventions dont ils font l’objet depuis plus de trente ans, aurait évolué vers une forme de ghettoïsation. Le constat ne porte pas seulement sur leur paupérisation et la surreprésentation des immigrés et de leurs descendants en leur sein. Il vise à alerter sur les effets du renfermement de ces quartiers sur eux-mêmes, effets d’ailleurs moins sensibles sur la collectivité que sur les destinées individuelles de leurs habitants (perte de chances), leurs attentes (subculture et rejet des institutions) et leurs sociabilités quotidiennes (brutalisation et racialisation des rapports sociaux), particulièrement pour les plus jeunes. S’il ne s’agit en aucun cas de postuler que les quartiers populaires de banlieue seraient désormais les égaux des ghettos noirs américains, l’usage français du terme, pour l’essentiel métaphorique ou dérivé, peut néanmoins poser problème. Au-delà de la querelle de lexique, ce recours induit un risque de stigmatisation qui ne serait pas sans effets pervers ; plus encore, la focalisation sur l’hypothèse d’un « effet quartier » risque de faire oublier les autres mécanismes générateurs d’inégalités. Ces discussions, pour l’essentiel académiques, sont d’un grand intérêt dans le contexte de préparation d’une réforme de la politique de la ville, souhaitée par le gouvernement à l’horizon 2011. Elles contribuent à éclairer les arbitrages à venir et à définir la part souhaitable de la rénovation urbaine et de l’objectif de mixité ; celle des politiques d’investissement social territorialisées ; l'adaptation de la géographie prioritaire, en tant qu'instrument d'action publique, à de nouvelles formes de précarisation territoriale ; l’échelle pertinente d’intervention selon les priorités en présence.

La crainte d’une dynamique de ghettoïsation de certains territoires s’est exprimée dans notre pays dès le début des années 1970. Si le ghetto a longtemps été considéré comme une réalité étrangère à la société française, voire comme un contresens dans l’interprétation de ses évolutions, la question connaît une actualité nouvelle avec la publication de plusieurs ouvrages qui invitent à revenir sur ce débat1. Pour certains auteurs, le ghetto ne serait plus seulement un risque ou une figure repoussoir : une partie des quartiers populaires de banlieue, en dépit des interventions dont ils font l’objet depuis plus de trente ans, aurait évolué en de véritables ghettos.

Ce diagnostic reste discuté. La concentration spatiale des difficultés socioéconomiques (échec scolaire, taux de chômage, niveau de pauvreté, isolement, etc.) ne suffit pas à transformer en ghettos les quartiers qui en souffrent. Le concept renvoie à un phénomène plus singulier, construit de l’extérieur par un

1 Voir notamment les ouvrages du sociologue Didier Lapeyronnie, Ghetto urbain. Ségrégation, violence, pauvreté en France aujourd’hui, Paris, Robert Laffont, 2008 et du journaliste Luc Bronner, La loi du ghetto. Enquête dans les banlieues françaises, Paris, Calmann-Lévy, 2010.

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processus de mise à l’écart, de ségrégation ethnique et de relégation sociale, auquel répondent de l’intérieur une « fermeture » du quartier sur lui-même et l’affirmation de valeurs, de normes et d’une organisation parallèles. Plus globalement, la « nouveauté » du ghetto est associée à une évolution supposée des modes de gestion des conflits sociaux dans la société française. Le ghetto serait le résultat d’un traitement des tensions par l’évitement et le repli sur soi – un séparatisme généralisé – auquel sont imputés de puissants effets sur les destinées et les comportements sociaux2. Cette perspective n’est pas non plus sans lien avec la préoccupation, présente depuis la fin des années 1980, d’une « communautarisation » de certains quartiers au détriment de l’intégration républicaine.

Ces réflexions trouvent un écho particulier dans le contexte de préparation, d’ici à 2011, de la réforme de la politique de la ville qui devrait redéfinir les logiques de zonage des territoires et de distribution des moyens financiers3. Le recours à la notion de ghetto vise à alerter sur le degré de dégradation socioéconomique et d’éloignement culturel de certains quartiers. Ce concept peut-il être utile pour identifier plus qualitativement et resserrer les moyens sur des territoires en « rupture » ? Un traitement trop strictement spatialisé des problèmes sociaux fait l’objet de critiques en ce qu’il pourrait contribuer à solidifier ce qu’il a pour objectif de défaire4. Mais si la population des « quartiers » est inégalement soumise au risque de marginalisation, la concentration des difficultés dans certains d’entre eux est un fait, de même que la dégradation de certains indicateurs de suivi, comme le chômage des jeunes hommes. Dans le même temps, la pauvreté se diffuse à d’autres territoires, périurbains ou ruraux, notamment en lien avec la mobilité. Cette configuration inédite incite à des stratégies d’articulation des logiques d’intervention, entre « entrée par les publics » et « entrée par les territoires », sans les opposer comme il est parfois d’usage dans le débat5.

La « ghettoïsation » en France : retour sur une préoccupation et actualité du débat Relativement tôt dans les années 1970, la question du ghetto a été posée dans le contexte français, soit dans la formulation d’un problème de « l’habitat », soit dans celle d’un problème de « l’immigration ».

C’est autour de la problématique des « quartiers populaires de banlieue » que la politique de la ville s’est finalement définie dans les années 1980. Ces quarante dernières années, les quartiers, d’abord qualifiés

« d’habitat social », puis « en difficulté » et enfin « sensibles », se sont progressivement chargés de connotations négatives. Bien que récusée, l’hypothèse de la formation de ghettos est devenue plus récurrente à partir des années 1990, jusqu’à prendre une consistance nouvelle dans la seconde moitié des années 2000.

À l’orée du ghetto : l’affirmation parallèle d’un problème de « l’habitat » et d’un problème de

« l’immigration » dans les années 1970

La crainte de la ghettoïsation de certains territoires s’est exprimée relativement tôt. Si la crise du logement est l’enjeu central des décennies 1950 et 1960, l’idée d’une crise de l’habitat lui succède dès les années 1970. En 1973, la circulaire « Guichard » met fin à la programmation de nouveaux grands ensembles, sur la base du constat d’une détérioration du bâti, d’un enclavement et d’un déficit d’équipements. Elle incite également à lutter contre les tendances à la ségrégation qu’entraîne la répartition des catégories de logements entre communes au sein des agglomérations urbaines6. De manière distincte, en lien avec l’accueil de la main-d’œuvre étrangère, l’éventuelle création

« d’îlots hétérogènes » ou de « véritables ghettos », avec des conséquences sur les « comportements sociaux », devient une préoccupation de la sphère administrative7. Dans les années 1970, les populations

2 Eric Maurin, Le ghetto français. Enquête sur le séparatisme social, Paris, Le Seuil/La République des Idées, 2004.

3 Discours du Premier ministre François Fillon à l’occasion de l’installation du Conseil national des Villes, 25 mai 2010.

4 Le traitement territorial est surtout critiqué dès lors que les territoires d’intervention auraient perdu leur caractère transitoire et contractuel au profit d’un zonage. Le rapport André-Hamel a ainsi estimé que « l’intervention par zonage enferme les quartiers sur eux-mêmes plutôt que de contribuer à leur meilleure insertion dans la ville », entraînant une « labellisation négative des quartiers », une « stigmatisation de leurs habitants » et des « effets de fixation » contradictoires avec les objectifs de rattrapage ; cf. Sur la révision de la géographie prioritaire et la contractualisation de la politique de la ville, rapport remis le 23 septembre 2009 au Premier ministre. Le Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) de l'Assemblée nationale prévoit également de rendre public un rapport sur le thème de la politique de la ville à la rentrée 2010.

5 DIV (2007), Exercices de prospective appliquée aux territoires urbains sensibles et DIV (2009), Étude prospective exploratoire sur les futurs territoires de la politique de la ville.

6 Le groupe de réflexion « Habitat et vie sociale » évoque dès 1973 une « ghettoïsation » des conduites des plus jeunes dans les grands ensembles.

7 Voir notamment le rapport du ministère de l’Intérieur au comité interministériel sur l’immigration du 31 janvier 1972, où sont cités comme risques : « l’inadaptation sociale des jeunes migrants, les retards scolaires, les réactions d’hostilité ou de fuite de la population française, le développement rapide de certaines formes de délinquance » ; cf. Sylvain Laurens, Une politisation feutrée.

Les hauts fonctionnaires et l’immigration en France, Paris, Belin, 2009. La maîtrise des flux migratoires devient un objectif : la

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immigrées sont les dernières à entrer dans ces grands quartiers d’habitat social en cours de dépréciation, lorsque celles nées en France et les classes moyennes commencent à en sortir8.

La « crise des grands ensembles » qui se déclare au milieu des années 1970 (augmentation du chômage dans les quartiers d’habitat social, dégradation des services collectifs par manque de ressources fiscales) est directement issue de la politique du logement précédemment engagée, associant une construction massive de logements HLM en périphérie de ville et une réhabilitation des centres-villes anciens (diminution du parc social de fait). Le cumul de ces deux politiques, associé au parcours résidentiel d’accès à la propriété, initie une différenciation socio-spatiale empruntant des formes urbaines inédites, qui déploie toujours ses effets. Au tournant des années 1980, les acteurs du logement social constatent une paupérisation, avec une augmentation de la part des familles monoparentales, des familles nombreuses et des migrants plus rapide au sein de leurs parcs que dans la population générale.

Dans l’état de crise qui marque la fin des Trente Glorieuses, la réponse élaborée à ces problématiques est de privilégier une action par le « territoire », avec la mise à distance de la question de l’immigration au profit d’une action volontariste de revalorisation des « banlieues »9.

Le ghetto comme risque : la participation et la mixité sociale comme objectifs de l’action publique À la suite des émeutes des Minguettes en juin 1981, la politique de la ville s’institutionnalise selon une approche de « développement social local », associée à des démarches de réhabilitation urbaine dans le cadre d’une géographie d’intervention prioritaire. Sa dynamique d’extension apparaît pour partie réactive à la pression des événements, notamment les phénomènes de violences urbaines. Sont actuellement comptabilisés comme éligibles aux différents volets de la politique de la ville : 542 « quartiers ANRU », 751 ZUS (4,4 millions d’habitants), 435 ZRU, 100 ZFU, 2 493 quartiers éligibles aux CUCS (8 millions d’habitants), 215 quartiers « dynamique Espoir banlieues » (voir encadré n° 1 pour la chronologie des politiques et l’explicitation des acronymes).

Encadré n° 1 : Une extension des dispositifs de politique de la ville sous la pression des événements ? 1977 : Programme « Habitat et vie sociale »

1981 : Émeutes des Minguettes. « Commission nationale pour les quartiers d’habitat social ». Zones d’éducation prioritaires (ZEP)

1983 : Rapport Dubedout, Ensemble, refaire la ville

1984 : Comité interministériel des villes. Développement social des quartiers inscrit dans les contrats de plan État-Région 1988 : Conseil national des villes, Comité interministériel des villes, Délégation interministérielle à la ville et au

développement social urbain 1989 : 13 premiers contrats de ville

1990 : Loi du 30 mai sur le droit au logement dite loi Besson. Émeutes de Vaulx-en-Velin en octobre. Création d’un ministère en charge de la politique de la ville en décembre (dotation en 1994 d’un budget propre)

1991 : 13 sous-préfets à la ville. Loi du 13 mai créant la dotation de solidarité urbaine. Loi du 13 juillet d’orientation pour la ville dite loi « anti-ghetto » (répartir les logements sociaux sur le territoire urbain)

1996 : Loi du 14 novembre sur la mise en œuvre du Pacte de relance pour la ville. Décrets du 26 décembre qui fixe la liste des zones urbaines sensibles (ZUS), des zones de redynamisation urbaine (ZRU) et des zones franches urbaines (ZFU)

1998 : Émeutes du Mirail. Rapport Sueur Demain la ville qui préconise de sortir de la logique de zonage pour organiser la politique de la ville dans le cadre de contrats d’agglomération

2000 : Loi du 13 décembre pour la solidarité et le renouvellement urbain dite loi SRU

2003 : Loi du 1er août d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine, dite loi Borloo. Observatoire des ZUS. Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) et lancement du Programme national de rénovation urbaine 2003-2013 (PNRU)

2005 : Loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale. Émeutes de l’automne 2005

2006 : Loi du 31 mars sur l’égalité des chances. Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSÉ). Contrats urbains de cohésion sociale (CUCS)

2008 : Plan « Espoir banlieues ». « Dynamique Espoir banlieues » (DEB) en faveur de 215 quartiers connaissant les plus grandes difficultés. Nomination en décembre d’un Commissaire à la diversité et à l'égalité des chances

« fermeture des frontières » est décidée en 1974 après le déclenchement de la crise, et suivie des politiques de regroupement familial (1975-1977) puis d’incitation au retour (1977-1981).

8 Dans la première période, le relogement en HLM est une promotion résidentielle et répond aux besoins de populations diverses : ruraux arrivant en ville à la recherche de travail, habitants des centres-villes anciens en cours de réhabilitation, rapatriés d’Algérie (1 million de personnes), plus tardivement les populations immigrées. Si la modestie des revenus de ces ménages les oriente vers ce secteur, c’est aussi le résultat des politiques publiques successives : construction massive de logements destinés à loger la main-d’œuvre ouvrière près des usines (exemples des grandes cités construites aux Mureaux, Poissy et Mantes-la-Jolie qui accompagnent la politique d’industrialisation puis subissent la désindustrialisation), politique dite du « 1/9e » (part du financement du 1 % logement destiné au logement des immigrés).

9 La politique de la ville a pu être analysée comme une politique de discrimination positive permettant d’atteindre, sans les distinguer expressément et exclusivement et en conformité avec les principes républicains, les membres de groupes qui, dans d’autres pays, auraient été appréhendés en des termes ethniques ou raciaux, cf. Gwénaële Calvès, La discrimination positive, Paris, PUF, 2008.

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À partir du milieu des années 1980 et dans les années 1990, l’opposition « ségrégation/mixité » devient plus structurante dans la politique de la ville et les réflexions qui accompagnent son développement. La loi du 13 juillet 1991 d’orientation pour la ville se revendique explicitement comme une « loi anti-ghetto » et vise à mieux répartir les logements sociaux sur le territoire urbain. Sont mis en exergue l’anomie qui règnerait dans ces « quartiers », constitués en petites sociétés locales, alors que les banlieues se définissaient dans leur rapport de complémentarité à la ville et au monde du travail. À partir de 1989 et la première « affaire des foulards »10, la perspective d’une communautarisation des quartiers, avec une remise en cause des principes de laïcité et d’égalité des sexes, se fait également jour. La notion de ghetto reste toutefois mobilisée, moins pour qualifier certains quartiers, que comme une « menace » à parer11.

Ce changement de perception se traduit néanmoins dans l’action publique. Alors que ces quartiers perdent en mixité ou en complémentarité fonctionnelle, les programmes plus traditionnels de lutte contre le chômage et de redistribution sont complétés par deux volets d’action, l’un associatif et social, l’autre de rénovation urbaine. Concrètement, il s’agit d’animer une vie collective et de favoriser la mixité résidentielle12, cette dimension étant accentuée depuis les années 1990, plus encore en 2000 avec le PNRU13.

Face à une « fracture » liée à la déqualification des lieux où se concentre la pauvreté et au souci pour ceux qui le peuvent de s’en éloigner, ces deux volets recouvrent la distinction classique « people versus place » : faut-il « traiter les gens » pour qu’ils retrouvent le chemin de la mobilité sociale ou « s’occuper des lieux » pour leur redonner une attractivité, une alternative formulée dès les années 1960 aux États- Unis face à la montée de la crise urbaine ? Schématiquement, les politiques françaises sembleraient avoir privilégié une logique d’ayants droit (institutionnalisation d’une géographie prioritaire) et un projet, parfois flou, de « citoyenneté » ou de « cohésion sociale » (objectifs de « participation », de revitalisation des « solidarités de proximité », création d’emplois de « médiation sociale » sur des financements socialisés, etc.) 14 et de mixité sociale (rénovation urbaine), quand dans la même période, les politiques américaines auraient privilégié des programmes transitoires d’activation communautaire (exemple des Empowerment zones sous l’administration Clinton), clairement orientés vers la sécurité et la création d’opportunités économiques (la sortie de la pauvreté devant passer par l’économie de marché « ordinaire »). Avec le risque, selon certains observateurs, d’avoir confondu en France la fin et les moyens, voire favorisé, en voulant « refaire la ville sur place », un caractère autocentré de ces quartiers15.

Dans la dernière période, le Plan « Espoir banlieues » lancé en 2008 marque une inflexion en se centrant plus particulièrement sur la question de l’inégalité spatiale des chances, et sur la nécessité de prévenir et de lutter, par l’éducation ou l’accès à l’emploi, contre une forme d’empreinte voire d’emprise du quartier sur les trajectoires de ses habitants. La nomination d’un Commissaire à la diversité et à l'égalité des chances indique une prise en considération plus explicite de la part des origines, parmi d’autres facteurs, dans les inégalités et les phénomènes de discriminations.

10 Cf. l’exclusion en 1989 de deux jeunes filles voilées d’un collège de Creil dans l’Oise.

11 Sur la dénonciation de l’amalgame entre les banlieues françaises et les ghettos noirs américains, cf. Loïc Wacquant, « Pour en finir avec le mythe des cités-ghettos », Les Annales de la recherche urbaine, n° 54, 1993, p. 21-30 ; Parias urbains. Ghetto- Banlieues-État, Paris, La Découverte, 2006.

12 La mixité résidentielle désigne le mélange de groupes sociaux diversifiés dans des zones d’habitat. La mixité fonctionnelle existe lorsque des activités économiques (commerces, entreprises, etc.) se mêlent aux quartiers d’habitat. Les quartiers de la politique de la ville cumulent un manque de mixité fonctionnelle, tenant à leur conception initiale, et de mixité sociale, causée par la paupérisation de leurs habitants.

13 Voir l’adoption d’une politique de rénovation urbaine dans les années 1990, puis son amplification avec le programme national de rénovation urbaine (PNRU). Elle comprend trois axes principaux : reloger ailleurs et mieux les populations les plus défavorisées des quartiers faisant l'objet de rénovation, diversifier les populations sur le site pour le « moyenniser » socialement et modifier le paysage urbain. Il s’agit de contribuer à la mixité par une meilleure répartition des ménages en difficulté ; en sens inverse, de faire venir sur place des ménages des classes moyennes ; enfin, la modification du paysage urbain a une portée symbolique et vise à la réinsertion du quartier dans la ville.

14 À titre d’illustration, on peut remarquer que si les ZUS disposent, contrairement aux idées reçues, d’un taux d’équipements publics supérieur en moyenne à celui des autres quartiers, ces équipements sont surreprésentés dans les domaines socio-éducatif et du loisir mais font plus souvent défaut quand il s’agit des services publics de l’emploi, de la santé ou de la sécurité (cf. ONZUS, Rapport 2005, Éditions de la DIV).

15 Jacques Donzelot, avec Catherine Mével et Anne Wyvekens, Faire société. La politique de la ville aux États-Unis et en France, Paris, Le Seuil, 2003 ; Thomas Kirszbaum, Discrimination positive et quartiers pauvres : le malentendu franco-américain, Esprit, n° 3-4, mars-avril 2004, p. 96-117.

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L’hypothèse du ghetto : une emprise des quartiers sur leurs habitants ?

Dans cette perspective, et même si d’autres réflexions ou publications ont pu le précéder, l’ouvrage de Didier Lapeyronnie sur le Ghetto urbain assume une rupture avec le cadre d’analyse selon lequel la notion de ghetto serait inutilement dramatisante pour caractériser les évolutions des quartiers populaires de banlieue. Selon le sociologue, s’ils ne pouvaient pas être qualifiés de ghettos jusqu’aux années 1990, les évolutions récentes tendraient à donner de la réalité au concept. « Trois âges de la banlieue » se seraient succédé, marquant à chaque fois une étape dans les processus de dépolitisation, de marginalisation économique et sociale et d’enfermement culturel : à la « galère » puis aux « violences urbaines » succéderait depuis une dizaine d’années un repli croissant des quartiers sur eux-mêmes16. Il ne s’agit pas de dire que les quartiers populaires de banlieues françaises seraient désormais comparables aux ghettos américains, mais d’insister sur la logique de ghetto qui les traverserait. Si les quartiers populaires de périphérie se dégradent, en France, on serait encore loin de l’homogénéité ethnique et du degré de déshérence des ghettos américains. Un processus de ghettoïsation serait toutefois observable dans les conduites d’adaptation à la marginalisation de leurs habitants, notamment dans les cités les plus identifiées de la région parisienne et des grandes villes comme dans celles des périphéries des villes moyennes. Concrètement, si les logiques d’économie souterraine et de trafics (« bizness »), de détournement du politique (« ghettos électoraux »)17, de confrontation violente avec les représentants de la puissance publique18 ou de rupture radicale avec l’ordre scolaire sont très présentes dans la récente enquête du journaliste Luc Bronner, le sociologue Didier Lapeyronnie parle quant à lui de ghetto en se plaçant sur le terrain plus discret des valeurs et des sociabilités des « quartiers » de Province. Mais dans les deux cas sont soulignées une organisation et une ambiance devenues « auto- référentielles, comme tournées vers l’intérieur de la cité », où les personnes, en réponse à une situation vécue de relégation, jouent un rôle actif : affirmation d’un clivage vis-à-vis de l’extérieur, violence et racialisation omniprésente des rapports sociaux19.

A contrario, certains observateurs soulignent que la plupart des constats empiriques sur lesquels s’appuient ces propos ne sont pas nouveaux, que ces quartiers ne sont homogènes qu’en apparence, enfin qu’il est important de ne pas négliger ce et ceux qui vont « bien » dans les cités.

Néanmoins, le recours à la notion de ghetto permet d’atteindre deux objectifs : alerter face à un processus de dégradation jugé continu et qui ne serait plus l’apanage des quelques cités les plus médiatisées ; et mettre en évidence un caractère systémique de l’ensemble de ces dysfonctionnements. En plus de la violence, le problème serait un « effet quartier » sur la trajectoire des personnes, dont les nouvelles générations, contraire à l’idéal d’égalité des chances. La question spatiale synthétiserait les questions sociale, raciale, scolaire et de genre, comme un enjeu central de justice sociale.

Les critiques de la « ghettoïsation » : un débat terminologique mais aussi sur les constats et les enjeux

Le débat sur les banlieues populaires françaises est pour partie terminologique, mais pas exclusivement.

Les choix de termes renvoient aussi à des logiques institutionnelles sous-jacentes, à des constats sur l’état de la ségrégation sociale et ethnique en France et sur ses effets, donc à la définition des enjeux prioritaires et des instruments pertinents de l’action publique. Dans le contexte français, le recours à la notion de ghetto se voit opposer trois principales critiques : celle de l’abus de langage, voire du contresens sociologique et historique, chez ceux qui considèrent les banlieues populaires françaises comme des « anti-ghettos » ; celle de la stigmatisation, pour ceux qui pensent qu’une forme de dramatisation et d’homogénéisation des constats n’est pas sans effet pervers, en lien notamment avec

16 Selon D. Lapeyronnie, les années 1980 étaient l’âge de la coexistence de la « galère », conséquence de la fin du monde ouvrier, avec une action associative et politique importante (« Marches pour l’Égalité » et vitalité des associations) ; au tournant des années 1990, ces capacités s’affaisseraient et les « violences urbaines » augmentent. Les références politiques se dissipent et la croissance économique, associée au consumérisme, génère de fortes frustrations. Dans la dernière période, malgré les efforts de résidents et d’associations, ces tendances s’imposeraient, au risque d’induire des formes de découragement des différents intervenants privés et publics.

17 Voir aussi Céline Braconnier et Jean-Yves Dormagen, La démocratie de l’abstention. Aux origines de la démobilisation électorale en milieu populaire, Paris, Gallimard, collection Folio Actuel, février 2007.

18 La police, la justice, comme les incarnations les plus modestes de la collectivité dans le cas des gardiens d’immeubles des HLM.

19 Sociabilité de bandes de jeunes hommes « ni insérés scolairement, ni dans l’emploi », accompagnée d’une maîtrise de l’espace public et d’un ressentiment à l’égard des femmes (moins directement soumises au racisme et dominantes scolairement) ; violence des relations entre familles immigrées et françaises ; mépris à l’égard des plus vulnérables (les « cas socs »), etc.

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les mécanismes de discrimination ; celle du terme écran, la prégnance de la question du ghetto risquant d’occulter d’autres mécanismes d’inégalité sociale, notamment le fait que les caractéristiques socioéconomiques initiales ont une influence plus grande sur la destinée des individus que celle de leur lieu de résidence.

Les banlieues françaises comme des « anti-ghettos » ?

Entre l’été 1981 marqué par les affrontements violents entre la police et les jeunes des Minguettes et les violences urbaines de l’automne 2005, la situation de certains quartiers populaires de banlieue s’est détériorée sous l’effet du chômage de masse. Les immigrés et leurs descendants y sont surreprésentés et surexposés aux risques sociaux – échec scolaire, chômage, etc. (encadré n° 2).

Encadré n° 2 : Des habitants des ZUS et des quartiers surexposés aux risques sociaux20

Les ZUS regroupent 751 quartiers et 4,4 millions d’habitants. Des typologies des habitants des ZUS ont pu être proposées, distinguant parmi eux les habitants de longue date, souvent retraités, les « accidentés de la vie », les jeunes en désir de mobilité, les habitants nés ou arrivés tôt dans le quartier frappés par le chômage sans forcément tomber dans la précarité récurrente, les migrants attachés à leur origine21. Si l’on considère les données quantitatives, en 2007, le taux de pauvreté (à 60 % du revenu médian) était de 33,1 % en ZUS contre 12 % hors ZUS. Le taux de chômage est plus du double de celui constaté par ailleurs : 16,9 % contre 7,7% hors ZUS (rapport ONZUS 2009). Au sein de ces zones, les personnes immigrées sont particulièrement vulnérables : environ 24 % des actifs immigrés étaient au chômage au milieu des années 200022. Les ménages pauvres et les allocataires des minima sociaux sont surreprésentés, en lien avec la concentration de catégories sociales désavantagées : employés, ouvriers et inactifs. Le revenu par habitant en ZUS représente à peine plus de la moitié (56 %) de celui des autres quartiers. Logiquement, la dépendance aux transferts sociaux et à la solidarité y est plus importante : si l’on considère le taux de couverture de la CMUC (couverture maladie universelle complémentaire), on compte 22,4 % de bénéficiaires en ZUS contre 9,5 % hors ZUS. Les taux de réussite au diplôme national du brevet, en progression en 2007-2008 sur tout le territoire, continuent d’être inférieurs en ZUS (– 12,1 points). Les jeunes immigrés sont particulièrement en risque de sortir sans diplôme du système scolaire : en ZUS, 36,9 % des jeunes immigrés n’ont aucun diplôme contre 19,8 % pour les jeunes non immigrés. D’après l’enquête de victimation « cadre de vie et sécurité » de 2009 (Insee et Observatoire national de la délinquance), l’insécurité et la délinquance restent les principaux problèmes déclarés par les habitants des ZUS. Les statistiques administratives font toutefois état d’une légère baisse du nombre d’atteintes aux biens et aux personnes, même si la situation reste très contrastée d’une ZUS à l’autre.

La population est plus jeune qu’en moyenne nationale et davantage composée de familles nombreuses et d’origine étrangère. Les moins de 30 ans représentent 37,7 % de la population en ZUS et 31,2 % de la population hors ZUS.

La part des immigrés est de 23,6 % en ZUS et de 3,7 % hors ZUS. Selon l’étude menée par Michèle Tribalat et Bernard Aubry, en 2005, la proportion des jeunes issus de familles dont au moins un des parents est étranger ou immigré s’élevait à moins de 20 % sur l’ensemble du territoire mais dépassait les 60 % dans vingt communes, pour l’essentiel en Île-de-France23. Outre les raisons historiques à la concentration urbaine de l'immigration, les immigrés sont orientés vers ces zones en raison de la forte proportion de logements sociaux à bas loyer et de la taille des logements. En 2006, sur 2,3 millions de ménages immigrés (distingués par le statut de la personne de référence du ménage), 700 000 étaient locataires dans le parc HLM, la part résidant dans le parc social n’ayant cessé d’augmenter (+ 9 points entre 1996 et 2006). 330 000 ménages immigrés des pays tiers résident en ZUS (un sur quatre), proportionnellement cinq fois plus que les Français de parents français. Les ménages qui recourent le plus au parc social sont originaires d'Algérie (70 % des ménages locataires d’origine algérienne le sont dans le parc social), du Maroc (64 %) et d'Afrique subsaharienne (60,5 %) quand, à l'inverse, seul un ménage locataire immigré d'Asie sur trois réside en logement social. Cette surreprésentation est dans une moindre mesure le fait de leurs descendants24.

La critique de l’abus de langage juge toutefois la notion de ghetto toujours inadaptée et souligne la force des implicites du concept : les ghettos sont historiquement le produit de la rencontre entre une volonté de contrôle et de confinement des autorités, d’une part, et de modalités d’auto-organisation de la communauté ainsi exclue, d’autre part25, ce qui ne correspond pas à l’histoire sociale et politique de la France (voir encadré n° 3). En dépit de la précarisation économique de certains territoires caractérisés par la surreprésentation des immigrés, sur ces deux points, les banlieues françaises constitueraient

20 L’Observatoire national des zones urbaines sensibles fait toutefois état de certaines améliorations conjoncturelles notamment au regard du taux de chômage entre 2005 et 2008 (Rapport 2009, Éditions du CIV).

21 France Guérin-Pace et Adil Jazouli, « Parcours et identités des habitants des ZUS d’après les données de l’enquête Histoire de vie – Construction des identités, Rapport annuel 2006 de l’ONZUS, Éditions de la DIV.

22 Dares, « Habiter en ZUS et être immigré : un double risque sur le marché du travail », Premières synthèses, n° 48.1, novembre 2009.

23 Michèle Tribalat, Les yeux grands-fermés. L'immigration en France, Paris, Denoël, 2010.

24Infos migrations, Les ménages immigrés en 2006 : des locataires en zone urbaine, n° 6, janvier 2009.

25 Loïc Wacquant, « Les deux visages du ghetto. Construire un concept sociologique », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 160, 2005, p. 4-21 ; Parias urbains. op. cit., 2006.

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des « anti-ghettos », pour reprendre les termes du sociologue Loïc Wacquant : les trajectoires historiques, institutionnelles et économiques, des ghettos noirs américains et des quartiers populaires de banlieue sont incomparables ; les taux de pauvreté et de criminalité dans les banlieues françaises n’ont toujours aucune commune mesure avec ceux observés dans le South Side de Chicago.

Encadré n° 3 : Les usages consacrés du ghetto

Initialement, le concept de ghetto est utilisé pour caractériser la condition de la diaspora juive aux débuts de l’époque moderne : à Venise, au XVIe siècle, le ghetto nuovo renvoie à l’assignation forcée des Juifs dans des districts spéciaux par les autorités politiques et religieuses. Cet exemple donne une figure idéale-typique du ghetto, réunissant « le stigmate », « la contrainte », « le confinement spatial » et des « institutions parallèles ». Les sociologues de l’École de Chicago, derrière Louis Wirth26, ont étendu son champ à l’expérience des migrants (italiens, polonais, chinois, etc.) dans les grandes métropoles américaines, la notion étant ensuite recentrée sur les quartiers noirs dans lesquels les Afro-Américains étaient relégués lorsqu’ils migraient dans les centres industriels du Nord et du Midwest. Ces enclaves ethniques, organisées institutionnellement afin de répondre aux besoins de la communauté, se sont déqualifiées à la conjonction de la désindustrialisation et du retrait de l’État des années 1980.

Dans cette perspective, le concept de ghetto, concurrencé par celui de « inner city », renvoie quasi-exclusivement à la situation de désolation économique et sociale qui caractérise des territoires devenus des « taudis » urbains, à l’exemple de la « ceinture noire » de la ville de Chicago.

Ne seraient des conditions suffisantes ni la paupérisation ni la ségrégation résidentielle, dont il s’agirait d’attester par ailleurs le caractère subi. Et, en ce qui concerne l’homogénéité ethnique, il ne faut pas oublier que les banlieues populaires françaises, contrairement aux ghettos majoritairement africains- américains, mêlent des dizaines d’origines géographiques. Relativement à une organisation institutionnelle parallèle, l’effondrement des structures politiques de l’ancienne banlieue « rouge » et l’absence d’alternative sont soulignés, même si est pointée la mise en place d’une économie « parallèle » dont l’ampleur reste à estimer. Surtout, s’il existe un vrai décalage entre les moyens publics et la demande sociale dans les grands ensembles, tant cette demande est concentrée, il reste que l’État est très présent dans ces quartiers, dans ses composantes aussi bien sociales que sécuritaires. En attestent l’augmentation de la part de la population dépendante des prestations sociales (allocations chômage, RSA, etc.) ; l’effort mis en œuvre par la politique de la ville (plus de 5 milliards d’euros en 200927) ; la présence continue et parfois conflictuelle des policiers dans ces territoires.

Les usages métaphoriques du « ghetto » : les effets pervers d’une vision homogénéisante et dramatisante ?

Face à cette critique, certains auteurs assument un usage dérivé du concept de ghetto : la

« ghettoïsation » désigne, dans une acception large, le processus de relégation, en partie forcée, de populations sur des critères sociaux et raciaux, et renvoie ainsi davantage aux pratiques sociales localisées d’une partie des habitants qu’à un espace physique et clos. Cet usage soulève également des réserves. Si les processus de paupérisation et d’ethnicisation observés dans certains quartiers défavorisés ne sont contestés par aucun expert, le terme de ghetto véhiculerait une image homogénéisante de ces espaces résidentiels et de leurs habitants. Or, l’exclusion économique et sociale, bien que solidement ancrée dans ces quartiers, concerne les habitants à des degrés variables.

Certes, ce sont les jeunes hommes qui connaissent les taux de chômage les plus élevés : le taux de chômage des hommes de 15 à 24 ans est plus de deux fois supérieur à la moyenne des ZUS, et plus élevé que celui des femmes du même âge en 2009 ; il a progressé entre 2006 et 2008 dans un contexte où il reculait pour le reste de la population, y compris en ZUS (tableau n° 1). Plusieurs études montrent d’ailleurs que ce sont les jeunes gens originaires du Maghreb et d’Afrique subsaharienne qui sont surreprésentés dans le chômage et les emplois précaires peu ou pas qualifiés du tertiaire. Le constat d’une « pénalité ethnique » associée à l’origine pourrait aller dans le sens d’une interprétation en termes de ghettoïsation : il ne faut néanmoins pas perdre de vue les causalités en présence.

26 Louis Wirth, The Ghetto. Chicago, University of Chicago Press, 1928.

27 Sur l’ensemble de ces territoires, l’État intervient au titre de la politique de la ville selon plusieurs modalités distinctes (montants estimés pour 2009) : par des crédits de « droit commun » (3,56 Mds d’euros) qui mobilisent 29 programmes ministériels ; par des crédits spécifiques du programme 147 « Politique de la ville » (769,26 M€ ) contribuant notamment au financement des contrats urbains de cohésion sociale (CUCS) ; par des exonérations fiscales et sociales (485 M€) ; par la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU-CS), au titre de la péréquation financière, (1,16 Md d’euros), allouée aux communes urbaines confrontées à une insuffisance de leurs ressources et supportant des charges élevées.

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Tableau n°1 : Les jeunes et l’emploi dans les ZUS

ZUS Quartiers hors ZUS

des unités urbaines ayant une ZUS 2006 2007 2008 2006 2007 2008

Taux de chômage 19,5 17,8 16,9 9,4 8,6 7,7

Taux de chômage des hommes de 15-24 ans (en %)

36,6 31,4 41.7 21,1 19,0 19,1 Taux de chômage des

femmes de 15-24 ans (en %)

35,6 31,1 29,6 21,5 18,8 16,1 Part des jeunes de moins de

25 ans inactifs (ni emploi, ni chômage, ni études) en %

11,0 (2003-4)

10,3 (2005-6)

9,4 (2007-8)

5,1 4,9 4,9

Source : Insee, enquête Emploi, repris dans le rapport ONZUS 2009

Signes d’une « assimilation segmentée », une partie des jeunes issus de l’immigration rencontrerait des obstacles dans l’accès à l’emploi et la formation alors même qu’ils seraient très intégrés sur le plan linguistique et culturel28. Est en cause d’abord un fort taux de sortie sans diplôme, particulièrement élevé pour les jeunes hommes originaires du Maghreb (40 % contre une moyenne de 12 % habituellement constatée) qui mettrait en jeu moins une distance vis-à-vis de l’école qu’un rapport conflictuel à cette institution. Une forte aspiration à la mobilité sociale se heurterait à des possibilités limitées de réalisation alors que toutes choses égales par ailleurs (milieu social, morphologie de la famille, etc.), les enfants d’immigrés ne réussissent scolairement pas moins bien que ceux des Français. Aspirant à un emploi de col blanc – par opposition au travail manuel de leurs aînés –, ils privilégient des formations généralistes alors que, par exemple, les jeunes hommes originaires d’Europe du Sud s’en sortent mieux en privilégiant des formations techniques et qualifiantes29. L’orientation serait plus souvent vécue comme subie ; l’offre locale d’enseignement privilégie la filière professionnelle, où l’absentéisme scolaire est beaucoup plus présent que dans la filière générale30.

S’applique aussi à leur encontre un phénomène de discrimination (plus important que pour les filles issues de l’immigration, qui bénéficieraient d’une image plus favorable dans la société). Même si la mesure précise des discriminations reste aujourd’hui malaisée en France, faute d’outils banalisés de monitoring, l’étude du Bureau international du travail sur Les discriminations à raison de l’origine dans les embauches en France, menée en mars 2007, révélait que 11 % seulement des employeurs respectaient l’égalité de traitement lors du recrutement et que 70 % d’entre eux, quand ils avaient à choisir entre un candidat portant un nom français et un candidat portant un nom à consonance étrangère extra- européenne, retenaient le premier. Beaucoup d’autres données attestent d’inégalités face à l’emploi à l’échelon national ou territorial, les grandes enquêtes statistiques permettant déjà une observation des secondes générations sur le marché du travail31.

Légitimer le recours au terme de ghetto, ce serait courir le risque de participer à la construction sociale du problème que l’on vise ainsi à décrire, dénoncer et/ou traiter. L’usage de ce terme gommerait la complexité de ces territoires pour en donner une vision homogénéisante et inquiétante, le ghetto renvoyant dans l’imaginaire collectif à la délinquance et à la criminalité32. En stigmatisant les quartiers populaires, il pourrait renforcer la discrimination dont sont victimes leurs habitants, en premier lieu les jeunes hommes issus de l’immigration33. Dans cette optique, sans nier des évolutions

28 Leurs pratiques culturelles sont proches de celles des jeunes de milieu populaire de leur âge, sous l’influence des médias et de l’école notamment, et leur pratique religieuse plutôt faible en dépit de certaines manifestations spectaculaires et médiatisées ; Vincent Tiberj et Sylvain Brouard, Français comme les autres ?, Paris, Presses de Science-Po, 2005.

29 Jean-Paul Caille, « Parcours et aspirations scolaires des enfants d’immigrés », Ville, école, intégration, n° 154, septembre 2008.

30 Le taux d'absentéisme récurrent, c'est-à-dire la proportion d'élèves ayant enregistré au moins quatre demi-journées d'absence non justifiées au cours d'un mois, n'est que de 3 % en collège, il est de 6 % en lycée d'enseignement général et technologique et de 15 % en lycée professionnel ; cf. Bilan des résultats de l'école – 2009 – L'enseignement professionnel, Haut conseil de l'éducation.

31 Roxane Silberman, « Les apports des grandes enquêtes à la connaissance de la discrimination à raison de l’origine sur le marché du travail en France », in Eric Fassin et Jean-Louis Halpérin (dir.), Discriminations : pratiques, savoirs, politiques, Halde, février 2009.

32 Si déviance il y a sur ces territoires, elle a toujours caractérisé la jeunesse des quartiers populaires (phénomène des « Blousons noirs » dans l’après-guerre). Le véritable enjeu se situerait dans l’âge de sortie de la délinquance, à un moment où la situation de l’emploi ne permet plus d’intégrer rapidement une partie des nouvelles générations ; Laurent Mucchielli et Marwan Mohammed (dir.), Les Bandes de jeunes, des « blousons noirs » à nos jours, Paris, La Découverte, 2007.

33 Les économistes proposent deux types d’explications pour rendre compte d’une discrimination durable sur le marché du travail : la « préférence » des employeurs, des employés de l’entreprise ou des clients pour la discrimination (Gary Becker) - proche de la notion de « racisme », qui classe les individus sur une échelle de préférence et d’aversion ; l’idée que l’employeur peut se faire des

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en cours, le refus de la dramatisation et le souci du « poids des mots » et des préjugés inviteraient à rejeter l’usage du terme de ghetto afin de ne pas accentuer la disqualification dont souffrent ces quartiers34.

Le « ghetto » comme terme écran : une surestimation des logiques de ségrégation et de l’effet quartier ?

Une dernière critique du ghetto, sans doute la plus actuelle, réside dans la relativisation empirique des théories de la ségrégation socio-spatiale. Selon cette théorie, le « ghetto français » ne caractérise pas seulement les quartiers mais, par une montée en généralité, une société où « la ségrégation et le déficit de mixité sociale contribuent réellement à enfermer encore un peu plus chacun de nous dans un destin écrit à l’avance » 35. Les enfants seraient les plus défavorisés par leur quartier de résidence au regard de l’impact sur leur socialisation (risque de déviance et de délinquance) et leur réussite scolaire. Ces inégalités socio-spatiales de développement seraient imputables à une logique de séparatisme social, impulsée par les groupes les plus élevés dans les hiérarchies sociales.

Cette thèse est donc discutée, voire relativisée. En premier lieu, le débat sur le ghetto tendrait à faire oublier la prédominance des espaces qualifiés de « moyens mélangés », en focalisant l’attention sur la division sociale de l’espace urbain aux deux extrêmes, les quartiers les plus riches et les plus pauvres.

Il est estimé, dans le cas de l’Île-de-France, que la plus grande partie de la population (environ 45 %) vit dans des espaces peu polarisés, où aucune des grandes catégories socioprofessionnelles n'est dominante ou absente36. Ce rappel d’une mixité résidentielle est toutefois lui-même contesté, d’abord parce que, se plaçant à une échelle trop élevée, il nie le « vécu » du voisinage37. En outre, il semble qu’aujourd’hui la mixité sociale n’entraîne plus forcément la mixité scolaire. Les classes moyennes ne seraient pas « sécessionnistes » du point de vue résidentiel, mais elles le seraient scolairement, via des stratégies d’évitement des établissements scolaires de proximité peu « cotés » (stratégie facilitée par l’assouplissement de la carte scolaire en 2007). Des analyses restreignent ces logiques élitistes aux classes supérieures : les classes moyennes ne se détourneraient de l’établissement de quartier que lorsque sa dégradation (qualité de l’enseignement, violences) serait avérée et jugée menaçante pour leurs enfants38. La concentration des enfants d’immigrés dans une minorité d’établissements n’en est pas moins constatée39.

Une seconde critique des théories de ségrégation spatiale, resserrée sur la situation des quartiers distingués par la politique de la ville, souligne la représentation fausse d’une assignation sociale et résidentielle de leurs habitants. Selon les dernières données de recensement analysées, cependant déjà anciennes, la mobilité résidentielle était importante dans les zones urbaines sensibles : 61 % des habitants des ZUS de 1990 habitaient dans un autre logement en 1999 (soit plus que dans le reste des unités urbaines). D’autres études, plus qualitatives, montrent que les quartiers « sensibles » fonctionnent toujours comme un point d’appui, notamment vers l’accès à la propriété dans un cadre pavillonnaire.

Mais ici encore, la critique peut s’inverser : à partir de ces mêmes données, en effet, il a été mis en évidence que la mobilité se traduisait sur ces territoires certes par une baisse de la ségrégation d’origine sociale, mais aussi par une hausse de la ségrégation des migrants d’Afrique du Nord et du Sud40. L’examen des sorties et des entrées en ZUS n’exclut pas un phénomène de « divergence urbaine » ou de « white flight », où, passé un certain degré, la concentration des ménages en difficulté tend à s’auto- alimenter avec le départ des autres profils de ménages41.

compétences d’une personne, i.e. une « discrimination statistique », fondée sur une anticipation sur la base des caractéristiques moyennes (Edmund Phelps) – proche de la notion de « préjugés ».

34 Sur le rôle des médias dans la disqualification des quartiers, voir Stéphane Beaud et Michel Pialoux, Violences urbaines, violences sociales. Genèse des nouvelles classes dangereuses, Paris, Fayard, 2003.

35 Eric Maurin, Le ghetto français, op. cit., p. 57.

36 Edmond Préteceille, « La ségrégation contre la cohésion sociale : la métropole parisienne », in Hugues Lagrange (dir.), L’épreuve des inégalités, Paris, PUF, 2006, p. 195-246.

37 Eric Maurin fonde son analyse sur les « voisinages » de l'enquête Emploi, qui sont de petites unités de 30 à 40 logements, tandis qu'Edmond Préteceille travaille sur des îlots statistiques de 2 000 habitants (catégorie IRIS de l’Insee).

38 Marco Oberti, L'école dans la ville. Ségrégation – mixité – carte scolaire, Paris, Presses de Sciences Po, 2007.

39 Dans une étude sur l’Académie de Bordeaux au début des années 2000, la constatation était que 10 % des collèges scolarisaient 40 % des élèves nés de migrants ; 25 % des établissements en comptaient moins de 1 % ; cf. Georges Felouzis etal., L’apartheid scolaire. Enquête sur la ségrégation ethnique dans les collèges, Paris, Le Seuil. 2005.

40 Jean-Louis Pan Ké Shon, « Ségrégation ethnique et ségrégation sociale en quartiers sensibles. L’apport des mobilités résidentielles », Revue française de sociologie, 2009/3, volume 50, p. 451-487.

41 Jean-Paul Fitoussi et al. (dir.), Ségrégation urbaine et intégration sociale, Conseil d’analyse économique, La Documentation française, 2004.

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La troisième réserve, peut-être plus solide encore, est émise contre l’importance sociale et politique donnée à la concentration de populations aux profils socioéconomiques, voire culturels, similaires, associée à une éventuelle surestimation de l’effet de « pairs » ou de « contagion »42. Un grand nombre de travaux américains ont essayé de mettre en évidence un effet du quartier sur les comportements individuels : là où les minorités pauvres sont concentrées (« culture de la pauvreté »43) et où des modèles positifs d’identification (role models) font défaut, une perte spécifique de chances serait avérée. Ces recherches présenteraient toutefois des biais méthodologiques, dont une confusion entre corrélation et causalité ainsi qu’un « effet de contexte » provenant d’une distinction insuffisante entre facteurs individuels et collectifs. Une fois contrôlées les caractéristiques individuelles (et familiales), l’effet propre du quartier tendrait à devenir résiduel ou du moins secondaire. Dans le cas des études sur un éventuel

« effet ZUS », l’impact de la localisation résidentielle sur l’accès à l’emploi serait donc beaucoup plus faible que celui des variables sociodémographiques traditionnelles (niveau de diplôme, âge, sexe, etc.) 44. L’étude sur la base d’un voisinage très resserré n’échapperait pas à cette critique45.

Désigner certains quartiers comme des ghettos concentre toujours des critiques de fond comme de forme. Une discussion fondée empiriquement reste toutefois, sur certains aspects, malaisée en présence de limites et lacunes de l’information statistique. Les données longitudinales qui permettraient de mieux appréhender les trajectoires des résidents en ZUS sont peu nombreuses en France, ce qu’avait reconnu le rapport 2005 de l’ONZUS. Les moyens d’une meilleure observation de la situation et des parcours des « secondes générations » issues de l’immigration peinent à faire consensus, en dépit de la mise en place en 2009 d’un « Comité pour la mesure et l’évaluation de la diversité et des discriminations » (COMEDD) qui a rendu des préconisations46. La réforme du recensement, désormais annualisé et glissant, rendra à l’avenir plus incertaines les données recueillies sur la mobilité résidentielle.

Enfin, des polémiques récentes autour de la « base élève premier degré » pour le suivi des enfants en primaire ont conduit à la vider partiellement de son contenu (la nationalité et la PCS des parents n’y figurent plus)47.

Au-delà du ghetto : revisiter la politique de la ville ?

L’ensemble de ces réflexions, constats ou incertitudes participe, de manière proche ou plus lointaine, au climat dans lequel va s’opérer la redéfinition de la politique de la ville. En la matière, les enjeux principaux sont toutefois déjà bien identifiés, intellectuellement et le plus souvent institutionnellement. En premier lieu, les efforts pour augmenter le degré de mixité sociale dans ces quartiers, sans être vains malgré des résultats, rencontrent des limites. Le constat appelle à recentrer les interventions sur les personnes, ce qui n’exclut pas qu’une meilleure identification et hiérarchisation des priorités sur l’enfance et l’accès à l’emploi ne soit pas souhaitable. En second lieu, la « géographie prioritaire », notion en partie déjà diluée avec les contrats urbains de cohésion sociale, semble moins pertinente aujourd’hui, à la fois comme catégorie d’analyse et comme instrument d’action publique, face à la complexification des formes de pauvreté et leur diffusion territoriale sous l’effet des mobilités. Enfin, la question des périmètres et des échelles pertinents des politiques territorialisées est posée : la diffusion de la pauvreté et de possibles effets de seuils incitent à un ciblage plus souple et plus contractuel des territoires ; les processus de ségrégation résidentielle ou d’exclusion économique devant nécessairement

42 Frédéric Gilli et Thomas Kirzbaum, « Ghettoïsation, inégalité des chances, réduction des écarts : les justifications du Plan ''Espoir banlieues'' » , Regards sur l'actualité, La Documentation française, 2008.

43 Dans sa définition canonique « la culture de la pauvreté est tout à la fois une adaptation et une réaction des pauvres à leur position marginale (…). Elle représente un effort pour faire face aux sentiments de désespoir qui naissent quand les pauvres comprennent à quel point il est improbable qu'ils parviennent à la réussite telle qu'elle se conçoit d'après les valeurs et les objectifs de la société au sein de laquelle ils vivent (…). Une fois qu'elle existe, elle a tendance à se perpétuer de génération en génération en raison de l'effet qu'elle a sur les enfants. » ; cf. Oscar Lewis, Les Enfants de Sanchez. Autobiographie d'une famille mexicaine (1961), Paris, Gallimard, 1981.

44 Jean-Paul Fitoussi et al. (dir.), Ségrégation urbaine et intégration sociale, op. cit. ; Patrick Sillard, « Les enseignements de l’observation des ZUS en matière de discrimination spatiale », Document de travail (non publié), DIV & ONZUS, 2009.

45 Dominique Goux et Eric Maurin concluaient pourtant à une très forte incidence du voisinage sur la trajectoire scolaire des enfants ; cf. « Close Neighbours matter: Neighbourhood effects on early performance at school », Economic Journal, 2006.

46 Sur l’ensemble de ces points, voir François Héran, Inégalités et discriminations - Pour un usage critique et responsable de l’outil statistique, rapport du COMEDD, La Documentation française, 2010 (rapport et travaux du comité en ligne sur http://www.strategie.gouv.fr/rubrique.php3?id_rubrique=303).

47 La catégorie de la nationalité a fait craindre à certaines associations (Ligue des droits de l’Homme, Fédérations de parents d’élèves, syndicats d’enseignants) que la base ne soit utilisée pour rechercher les enfants dont les parents sont en situation irrégulière ou contrôler l’absentéisme scolaire. Le mouvement de contestation a conduit à supprimer des bases toute donnée sur l’origine étrangère mais aussi sociale des élèves.

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être appréhendés à l’échelle – a minima – des communes, intercommunalités et agglomérations. Ce qui peut amener à reconsidérer les responsabilités respectives de l’État et des collectivités territoriales.

L’idéal de mixité sociale : à quel point est-il réaliste ou souhaitable ?

Derrière le débat sur les « ghettos », c’est logiquement l’idéal de mixité qui est en discussion, non pas comme valeur mais comme catégorie opérationnalisable ou pour les bénéfices qui en seraient réellement retirés par les plus démunis48. Plus que la mixité, certaines analyses revalorisent la recherche d’une complémentarité fonctionnelle et l’importance des mécanismes compensatoires de solidarité et d’investissement social.

Concrètement, la mise en œuvre du Programme national de rénovation urbaine (PNRU) prévoit la rénovation de 530 quartiers (accueillant près de 4 millions d’habitants) à l’horizon 2013, pour un montant total d’environ 42 milliards d’euros d’investissement sur les quartiers concernés. En matière de mixité sociale, le bilan à mi-parcours du programme du comité d’évaluation et de suivi de l'ANRU est mitigé49. En matière de relogement, plus des deux tiers des ménages (68 %) sont réinstallés dans des quartiers de la politique de la ville. C’est seulement là où des intercommunalités portent une solidarité urbaine forte que le relogement a pu se faire plus largement hors des ZUS50.

Par ailleurs, la fonction d’accueil de ces territoires tend alors à être « exportée » dans d’autres espaces – ruraux ou périurbains notamment –, dont les études montrent qu’ils accueillent dans leurs confins les plus reculés des populations précaires (urbains en rupture, chômeurs de longue durée, etc.).

En matière de diversification, on constate que les opérations de renouvellement urbain ont à ce jour eu peu d’attrait sur les classes moyennes. Enfin, malgré l’ampleur du programme de rénovation urbaine, la physionomie des quartiers ne devrait pas être totalement bouleversée. Comme l’a rappelé le CES, « les opérations, même si elles changent profondément le fonctionnement urbain du quartier, ne peuvent effacer immédiatement le lourd héritage de l’urbanisme de ZUP des Trente Glorieuses ».

Sur un autre plan, il n'est pas toujours évident que le fait de mélanger des populations différentes permette de générer entre elles des relations sociales fructueuses. Dès 1970, des études ont mis en évidence des tensions et des conflits de cohabitation dans les grands ensembles, du fait même de regroupements hétérogènes contraints. Des travaux sociologiques, en France comme aux États-Unis, ont pu a contrario démontrer que des concentrations urbaines de type communautaire, en fonction de leurs ressources propres, peuvent être, à certains moments de la trajectoire des individus, des vecteurs de soutien et d’accès au travail.

Enfin, les zones de redynamisation urbaines (ZRU) et les zones franches urbaines (ZFU) ont accru la mixité fonctionnelle, mais sans qu’un effet d'entraînement sur le quartier soit suffisamment établi. La situation de la Seine-Saint-Denis est à cet égard exemplaire : le département bénéficie dans certaines zones (environs du stade de France, de l'aéroport de Roissy, etc.) d'un dynamisme économique certain et d’un potentiel fiscal élevé, mais les indicateurs sociaux restent très dégradés. Le risque est celui d’une « dualisation » entre les quartiers d'habitat en difficulté et les zones de dynamisme économique. Le faible niveau de formation des habitants des quartiers et l’enclavement de certains territoires demeurent les principaux obstacles à ce que l'implantation d'activités économiques bénéficie à la population. On retrouve ici la nécessité qu'une politique de revalorisation du territoire s'accompagne d'actions directement centrées sur les individus.

La question n'est ainsi pas forcément de faire disparaître la concentration, ni de réduire les écarts de ces quartiers par rapport à d'autres, ni de les démolir comme hier on voulait les normaliser, ni d'empêcher de nouveaux immigrés d'y entrer. L'enjeu peut aussi être d'affirmer la spécialisation de ces quartiers, d’y garantir l'accueil et la promotion sociale, d'adapter les services publics à une même population ainsi regroupée. « Mieux considérer l'accueil des ménages populaires et immigrés comme une fonction urbaine durable qui doit être assurée dans les meilleures conditions possibles est un enjeu à la fois social et sociétal », comme le souligne Philippe Estèbe51.

48 Voir pour une synthèse Eric Charmes, « Pour une approche critique de la mixité sociale. Redistribuer les populations ou les ressources ? », La Vie des idées, 10 mars 2009, http://www.laviedesidees.fr/Pour-une-approche-critique-de-la.html.

49La rénovation urbaine à l’épreuve des faits, Rapport 2009 d’évaluation, CES ANRU, 2010.

50 La communauté urbaine de Lyon a ainsi imposé à tous les organismes HLM de l'agglomération, y compris ceux en dehors des quartiers du PNRU, que 50 % des logements de leurs programmes de construction soient réservés aux ménages relogés. En Île- de-France, le processus de relogement a mieux fonctionné en grande couronne, où les intercommunalités sont plus développées.

51 http://www.millenaire3.com/Philippe-ESTEBE-On-ne-peut-pas-tous-s-integrer-d.122+M5006638d513.0.html.

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