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Chômage en France et en Grande-Bretagne, : la situation spécifique des femmes

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XII-2 | 2003

La situation et les politiques de l’emploi en France et en Grande-Bretagne, 1990-2000

Chômage en France et en Grande-Bretagne, 1990-2000 : la situation spécifique des femmes

Unemployment in Britain and France, 1990-2000: The Specific Case of Women

Marie-Annick Mattioli

Édition électronique

URL : http://journals.openedition.org/rfcb/3094 DOI : 10.4000/rfcb.3094

ISSN : 2429-4373 Éditeur

CRECIB - Centre de recherche et d'études en civilisation britannique Édition imprimée

Date de publication : 1 avril 2003 ISBN : 2–911580–16–8 ISSN : 0248-9015

Référence électronique

Marie-Annick Mattioli, « Chômage en France et en Grande-Bretagne, 1990-2000 : la situation

spécifique des femmes », Revue Française de Civilisation Britannique [En ligne], XII-2 | 2003, mis en ligne le 01 avril 2003, consulté le 31 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/rfcb/3094 ; DOI : 10.4000/rfcb.3094

Ce document a été généré automatiquement le 31 mai 2019.

Revue française de civilisation britannique est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.

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Chômage en France et en Grande- Bretagne, 1990-2000 : la situation spécifique des femmes

Unemployment in Britain and France, 1990-2000: The Specific Case of Women

Marie-Annick Mattioli

1 De prime abord, tout semble distinguer le chômage des femmes en France de celui des femmes en Grande-Bretagne : leurs taux déjà, sensiblement plus élevés en France qu’en Grande-Bretagne – sur la période qui nous intéresse, ils sont passés de 11,1 % en 1990 à 11,5 % en 2000 en France, contre respectivement 6,5 % et 4,8 % en Grande-Bretagne ; les différentiels hommes/femmes ensuite – en France, les femmes enregistrent des chiffres de chômage bien plus élevés que les hommes (ainsi en 2000, en France, 11,1 % de femmes étaient au chômage, contre 8,4 % d’hommes), alors que c’est l’inverse en Grande-Bretagne (respectivement 4,8 % et 6,1 %). Ces premières constatations incitent certains observateurs à conclure, un peu trop vite cependant, que les femmes subiraient une discrimination sur le marché du travail en France alors qu’elles seraient favorisées en Grande-Bretagne. Une analyse plus poussée de la situation des femmes sur le marché du travail en France et en Grande-Bretagne rend compte de points communs bien plus significatifs que les premières statistiques citées plus haut, et fait converger ces données vers l’idée d’une grande précarité de la situation des femmes sur le marché du travail, en France comme en Grande-Bretagne. Au nombre de ces éléments communs on peut tout d’abord compter un maquillage statistique qui, dans les deux pays, amoindrit considérablement les chiffres du chômage enregistrés par les femmes, et, on le verra, de façon plus importante encore en Grande-Bretagne qu’en France ; viennent ensuite les facteurs économiques invoqués pour expliquer un plus grand chômage féminin en France ou un moindre chômage des femmes en Grande-Bretagne : le développement du travail atypique pour les femmes (et notamment le travail à temps partiel) ou encore la ségrégation professionnelle qu’elles rencontrent, c’est-à-dire leur concentration dans un certain nombre de métiers ou de branches d’activités restreints. Il sera intéressant de

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voir comment ces facteurs, qui sont strictement identiques, peuvent expliquer un phénomène et son contraire.

Maquillages statistiques

2 Les tableaux ci-dessous des taux de chômage selon le sexe, entre 1982 et 2000, montrent d’une part que le chômage féminin britannique décroît sur la période pendant que le chômage féminin français croît – et c’est là un fait qui se comprend facilement si l’on observe l’évolution du chômage global : les chômages féminins en France et en Grande- Bretagne épousent les courbes du chômage global, courbe décroissante en Grande- Bretagne et croissante en France ; d’autre part il apparaît clairement que les différentiels entre taux de chômage féminins et masculins suivent des chemins opposés : les taux britanniques sont inférieurs à ceux des hommes alors que c’est l’inverse qui est vrai en France, mais on peut aussi observer que des deux côtés, les différentiels tendent à se réduire, et beaucoup plus Outre-Manche qu’en France. Du côté britannique, si le différentiel homme/femme est de 5,8 points en 1982, il n’est plus que de 1,3 points en 2000 (soit moins 4,5 points) ; de même, du côté français, le différentiel passe de 4,7 points en 1982 à 3,1 points en 2000 (soit moins 1,6 points).

Tableau 1. Taux de chômage en Grande-Bretagne selon le sexe, 1982-20001 (en %)

1982 1984 1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000 Ensemble 10,5 11,9 10,8 8,8 6,9 9,7 9,7 8,2 6,2 5,5 Hommes 12,8 12,1 11,4 9,1 7,1 11,6 11,5 9,7 6,9 6,1 Femmes 7,0 11,6 8,4 6,5 7,3 7,3 6,3 5,3 4,8

Source : OECD, Labour Force Statistics 2001, pages 270-271.

Tableau 2. Taux de chômage en France selon le sexe, 1982-2000 (en %)

1982 1984 1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000 Ensemble 8,3 10,0 10,6 10,2 9,1 10,5 12,5 12,5 12,0 9,9 Hommes 6,3 8,2 8,9 8,1 7,0 8,6 11,0 11,0 10,5 8,4 Femmes 11,0 12,4 12,9 12,9 11,1 12,8 14,4 14,3 13,7 11,5

Source : OECD, Labour Force Statistics 2001, pages 142-43.

3 Ces différences apparentes peuvent se comprendre en partie – en partie seulement car il existe aussi des situations du marché de l’emploi en France et en Grande-Bretagne complètement différentes mais ce n’est pas l’objet précis de cette étude – si l’on s’intéresse au mode de recensement des chômeurs dans les deux pays, qui, bien que différents, tendent à un maquillage des chiffres du chômage, et notamment des chiffres

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du chômage des femmes. Si dans sa globalité la définition de base du chômeur reste invariable selon les organismes recenseurs – pour être chômeur il faut en effet satisfaire trois conditions : être à la recherche d’un emploi, être disponible pour travailler et être capable2 d’occuper un emploi –, les critères d’acception de cette définition font que le type de personnes concernées par le chômage peut varier et des catégories entières de la population peuvent se retrouver parmi les inactifs. Loin d’être secondaires, les différences entre les méthodes de calcul du chômage font au contraire l’objet de polémiques, comme cela a été le cas en Grande-Bretagne pendant la campagne électorale de 1997, ou encore en France à la suite de la parution d’un rapport par un groupe d’experts du Commissariat général du Plan qui avançait le chiffre de 7 millions de chômeurs pour l’année 19973, alors qu’officiellement la France en comptabilisait un peu plus de trois millions.

4 En Grande-Bretagne, deux mesures du chômage sont considérées : le chômage selon les critères du BIT4 (appelé ILO unemployment) et le chômage selon le ministère de l’Emploi (appelé Claimant Count). La première, celle qui a été utilisée pour les tableaux des taux de chômage, ajoute aux trois critères précités celui de ne pas avoir travaillé plus d’une heure dans la semaine qui précède l’enquête, et le délai de disponibilité est fixé à moins de 15 jours. La définition du ministère de l’Emploi britannique ne considère que les ayants droit, soit à l’indemnité de chômage (appelé Jobseeker’s Allowance) soit à l’aide au revenu ( Income Support), et fait passer la disponibilité à quelques jours seulement, ce qui réduit considérablement le nombre de chômeurs, et notamment les femmes. Celles-ci perçoivent proportionnellement moins d’indemnités que les hommes en Grande-Bretagne, et elles rencontrent beaucoup de difficultés à trouver des solutions de garde pour leurs enfants, si elles en ont, en l’espace de quarante-huit heures !

5 Des estimations en la matière ont été faites sur le nombre de personnes inéligibles à des indemnités, et il a été découvert qu’environ 18 % des femmes actives étaient concernées, contre seulement 3 % des hommes en activité. Il est ainsi six fois plus probable que les femmes se trouvent dans cette situation que les hommes5. De plus, avec le programme Welfare to Work introduit par le gouvernement Blair en 1997, le principe de disponibilité pour le travail a été renforcé : au bout de deux propositions d’emplois faite par son conseiller du Job Centre, un demandeur d’emploi ne peut plus imposer de restrictions concernant la nature, les horaires, le salaire ou l’endroit où se trouve le poste. De ce fait, beaucoup de femmes qui, pour des raisons domestiques et principalement à cause de la garde d’enfants en bas âge ou la responsabilité de personnes âgées, ne désirent exercer qu’un emploi à temps partiel ou dans la même région se voient réduire ou même supprimer complètement leur allocation chômage ou aide au revenu. De plus, l’aide au revenu dépend des revenus perçus par les ménages. Or, depuis la loi de 1986 sur la Sécurité sociale (The 1986 Social Security Act), les deux membres d’un couple ont le droit de demander l’aide au revenu lorsqu’ils sont tous deux au chômage6. Cependant, lorsque l’un des partenaires a un emploi à plein temps – et c’est plus souvent le cas des hommes que des femmes7 – l’autre perd automatiquement son droit à l’aide au revenu.

Tableau 3. Taux de chômage des femmes britanniques selon le mode de recensement, 1996-1998

Claimant count (%)

ILO unemployment

( %) Différence entre les deux taux

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1996 * 4,0 6,3 2,3 points

1998 * 2,5 5,3 2,8 points

*Moyennes annuelles

Sources : adapté de Office for National Statistics, Labour Market Trends, février 2000, S46 et OCDE, Labour Force Statistics 2001, pages 270-271.

6 On s’aperçoit que les chiffres sont notablement différents et que le ministère du travail britannique a tout intérêt à minimiser les chiffres, bien évidemment plus que le BIT, organisme international qui permet d’établir des comparaisons entre divers pays mais ne recherche en aucun cas à plaire à un électorat particulier.

7 Du côté français, trois modes de calcul du chômage coexistent : celui du BIT, essentiellement pour les comparaisons internationales, celui du recensement fait par l’INSEE qui repose principalement sur les déclarations spontanées des personnes interviewées (ce sont de ce fait des chiffres subjectifs qui ne se fondent sur aucun critère de disponibilité ni sur les démarches entreprises à la recherche d’un emploi) ou encore ceux de l’ANPE. L’ANPE recense les demandeurs d’emplois tous les mois, ceux qui répondent régulièrement aux convocations maintenant postées au domicile des chômeurs et à renvoyer par retour du courrier : ce sont les demandes d’emplois en fin de mois. Elle répartit les demandeurs d’emplois ainsi inscrits entre huit catégories en fonction de leur situation vis-à-vis d’une recherche d’emploi (voir tableau 4). C’est la première catégorie qui est assimilée au chômage et qui est suivie mensuellement, celle dont les médias parlent.

8 Quand on regarde les critères d’appartenance à la première catégorie – être sans emploi, être disponible dans les 15 jours et être à la recherche d’un emploi – on comprend que les femmes sont moins susceptibles que les hommes d’y figurer. En effet, les travailleurs à temps partiel sont principalement des femmes ; les études en la matière montrent que la majorité des femmes à la recherche d’un emploi ne se déclarent pas à la recherche d’un temps plein8 et sont de ce fait évincées de la première catégorie. De plus, la responsabilité de la garde des enfants ou personnes malades ou âgées incombant encore aujourd’hui majoritairement aux femmes, se rendre disponible dans un délai de 15 jours est aussi un handicap à l’inscription de ces dernières dans cette catégorie (comme dans les autres d’ailleurs pour ce critère).

Tableau 4. Répartition des chômeurs par catégories suivant les critères de l’ANPE

Catégories Situation

1

- être sans emploi,

- être disponible dans les 15 jours,

- être à la recherche d’un emploi à temps plein.

2

- être sans emploi,

- être disponible dans les 15 jours,

- être à la recherche d’un emploi à temps partiel.

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3

- être sans emploi,

- être disponible dans les 15 jours,

- être à la recherche d’un emploi à durée déterminée 4 - ne pas être disponible dans les 15 jours

5 - occuper un emploi à temps plein tout en en cherchant un autre

6* - personnes répondant aux critères de la catégorie 1 et qui ont une activité réduite égale ou inférieure à 78h/ mois.

7* - personnes répondant aux critères de la catégorie 2 et qui ont une activité réduite égale ou inférieure à 78h/ mois.

8* - personnes répondant aux critères de la catégorie 3 et qui ont une activité réduite égale ou inférieure à 78h/ mois.

*Ces catégories n’ont été introduites qu’en mai 1994. La reconnaissance d’une activité à temps partiel était devenue nécessaire. Il n’y avait que 5 catégories avant cette date.

Source : Robert HOLCMAN, Le chômage : Mécanismes économiques, conséquences sociales et humaines, Paris : Les Études de la Documentation française, 1997, page 29.

Tableau 5. Le nombre de chômeurs français selon les trois indicateurs au début des années 1990

Selon le BIT janvier 1990

Selon l’ANPE fin février 1990

Selon l’INSEE (recensement) début mars 1990

Hommes 962 000 1 190 000 1 133 000 Femmes 1 275 000 1 363 000 1 600 000 Ensemble 2 237 000 2 553 000 2 733 000

Source : Margaret MARUANI, Travail et emploi des femmes, p. 71.

9 Les trois types de comptage du chômage français produisent des résultats complètement différents comme le montre le tableau 5. L’écart maximal entre les divers indicateurs est plus fort pour les femmes (325 000) que pour les hommes (228 000), et on s’aperçoit que les chiffres enregistrés pour les femmes lors du recensement – et qui rappelons-le sont plus subjectifs, ils incluent par exemple les femmes au foyer qui se déclarent à la recherche d’un emploi, sans pour cela qu’elles aient à le prouver, ni qu’elles justifient d’une disponibilité immédiate ou rapide – sont considérablement plus élevés qu’avec les autres indicateurs.

10 Au-delà des définitions nationales qui tendent à réduire le nombre de chômeuses, il existe une tendance générale, valable dans tous les pays de l’OCDE. Comme le montre une étude de l’OCDE9, lorsqu’on assouplit chacun des trois critères énoncés dans la définition du chômage, l’écart global entre les taux de chômage féminin et masculin s’en trouve réduit.

Par exemple, le premier critère (être sans travail) écarte automatiquement des rangs des chômeurs les personnes ayant travaillé ne serait-ce qu’une heure dans la semaine

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précédant l’enquête. Les personnes occupant des emplois occasionnels ou à temps partiel sont ainsi complètement ignorées des statistiques. On s’aperçoit qu’il est très difficile d’appréhender une réelle définition du chômage féminin, et cela nous invite à nous interroger sur les frontières entre chômage et inactivité. Entre le chômage découragé et l’inactivité subie, quelles sont les différences ? Margaret Maruani, sociologue, nous donne à cet égard son acception de la notion de chômage. Pour elle le chômage

n’est pas l’inverse de l’emploi, il est l’envers du droit à l’emploi. Et c’est précisément là qu’hommes et femmes divergent fondamentalement : nous vivons dans des sociétés où la légitimité à avoir un emploi n’est toujours pas la même pour l’un et l’autre sexes. Pour les hommes, le droit à l’emploi est évident, pour les femmes, il est contingent. Cette contingence repose sur l’idéologie du « libre choix » des femmes – celui de ne pas travailler – qui continue de fonctionner, en dépit du principe juridique, inscrit dans la Constitution, selon lequel « chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi » (préambule de la Constitution de 1946 repris dans celle de 1958).10

11 Ce n’est donc pas l’absence d’emploi qui donne le statut de chômeur mais la façon dont le non-emploi est canalisé vers le chômage ou l’inactivité : ainsi une Britannique qui perd un emploi à temps partiel (moins de 16 heures par semaines) est inactive car elle ne peut prétendre à aucune allocation chômage ou aide au revenu, alors qu’une Française dans le même cas se retrouve chômeuse (catégories 6, 7 ou 8) et donc éligible à des indemnités. La mesure du taux de chômage connaît des limites. Certains économistes ont donc pensé à d’autres types de mesures : le rapport emploi/population (encore appelé le taux d’emploi).

Cette mesure présente néanmoins un certain nombre d’inconvénients : tout d’abord les données enregistrées peuvent être interprétées de diverses façons (chez les jeunes par exemple, un taux d’emploi en baisse peut expliquer un accroissement de la scolarisation de cette population, comme une forte perte d’emplois), ensuite les données ne rendent pas compte du sous-emploi (ainsi une personne travaillant à temps partiel sera considérée comme ayant un emploi même dans le cas d’un temps partiel imposé). Une autre mesure alternative au taux de chômage, le taux de non-emploi, qui englobe les chômeurs et les inactifs a été analysée par l’OCDE11 au début des années 1990. Il a toutefois l’inconvénient de ne pas prendre en compte les personnes sous-employées. Au regard de ces mesures différentes évoquées, on s’aperçoit qu’il n’existe pas de mesure unique satisfaisante permettant d’évaluer la sous-utilisation de la main d’œuvre12, mais qu’il faut considérer conjointement plusieurs éléments pour appréhender précisément la situation des femmes sur le marché du travail : les taux de chômage, les taux d’emplois et les taux d’inactivité.

Incidences du développement du temps partiel

12 De même que l’amoindrissement du chômage féminin par le jeu de manipulations statistiques concerne les femmes britanniques et françaises, de même les explications les plus souvent avancées pour expliquer les différentiels hommes/femmes en matière de chômage de part et d’autre de la Manche rendent leur situation encore une fois comparable. Les facteurs économiques invoqués – tels que le développement du travail atypique pour les femmes ou encore la ségrégation professionnelle – sont analysés comme des facilitateurs d’accès à l’emploi du côté britannique13 et, du côté français, comme des éléments explicatifs d’une précarité plus grande des femmes permettant ainsi le basculement à tout instant des femmes françaises dans le chômage14.

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13 Quand on pense au travail à temps partiel, on pense automatiquement au travail des femmes, en France comme en Grande-Bretagne (les chiffres du temps partiel pour 1996 concernaient 44,8 % des femmes actives au Royaume-Uni, et 29,5 % des femmes en activité en France, contre respectivement 8,1 % et 5,2 des hommes actifs15). La décennie 1990 est marquée, en France comme en Grande-Bretagne, par le développement sans précédent du recours au temps partiel : entre 1983 et 1996, la part de la population active à travailler à temps partiel est passée de 9,7 % à 16 % en France et de 19 % à 24,6 % au Royaume-Uni, avec, on le voit, une plus forte percée outre-Manche qu’en France16. Même si la majorité des femmes occupant un travail à temps partiel (72 % en Grande-Bretagne, selon The Labour Force Survey d’avril 1990 ; et 52 % en France, selon une typologie des salariés à temps partiels réalisée en 1995 par Bénédicte Galtier et Yannick L’Horty17) se déclarent l’avoir choisi, il n’en demeure pas moins que ce choix n’est pas forcément pris sur le long terme.

14 Comme le montre une étude très intéressante sur les femmes et le travail à temps partiel de Danièle Kergoat18, la demande de flexibilité du temps travaillé de la part des femmes est loin de correspondre à celle de l’entreprise : elle n’est ni saisonnière, ni hebdomadaire, mais biographique. Des exemples sont donnés de femmes qui ont choisi un travail à temps partiel pour leurs enfants, lorsque ceux-ci étaient en bas âge, mais qui rencontrent beaucoup de difficultés à récupérer un temps plein dans leur entreprise, ou encore en trouver un ailleurs. De plus, ces chiffres affichés de choix du temps partiel sont aléatoires : dans les enquêtes sur l’emploi en France19, les questions posées sont : « Voulez- vous travailler moins ? » Oui, évidemment ! « Aimeriez-vous travailler à temps partiel ? » Pourquoi pas… ? Les questions biaisent les réponses. D’ailleurs, le choix, les femmes l’ont- elles lorsque des secteurs entiers occupés principalement par elles (le commerce de détail, les services…) ne proposent que des emplois à temps partiel ?

15 Or, comme on a pu l’observer dans les modes de recensement, en Grande-Bretagne, les femmes travaillant à temps partiel sont considérées soit comme actives à part entière (si elles travaillent plus de 16 heures par semaine), soit comme inactives, mais ne sont en aucun cas comptabilisées comme chômeuses. En France, les femmes travaillant à temps partiel sont considérées comme actives (si elles travaillent plus de 78 heures par mois), soit comme chômeuses si elles travaillent moins (les catégories 6, 7 ou 8 de l’ANPE) et peuvent percevoir des indemnités réduites.

16 On voit ainsi se dessiner des statuts complètement différents en fonction du pays d’origine : ceci entre dans l’explication des différences de taux de chômage enregistrés par les femmes de part et d’autre de la Manche. Ainsi comprend-on mieux comment le temps partiel peut contribuer à un plus grand chômage en France et à un moindre chômage en Grande-Bretagne. Outre le temps partiel, la distribution des emplois ou types d’activités entre les sexes a permis aussi bien en France qu’en Grande-Bretagne une augmentation de la population active féminine (à l’inverse des hommes, qui ont vu leurs taux d’activité décroître depuis les années 1970).

17 Elles occupent plus facilement des emplois dans le service public, représentent moins d’un tiers de l’industrie manufacturière (secteur qui a connu une chute du nombre de ses employés des plus rapides), travaillent majoritairement dans le secteur tertiaire : la vente au détail, l’enseignement et la santé sont les principaux secteurs d’activité occupés par les femmes. En France comme en Grande-Bretagne, la représentation des femmes dans le secteur des services s’est considérablement accrue au cours des dernières

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décennies : entre 1980 et 1990, la part des femmes britanniques travaillant dans le tertiaire est passé de 77 % à 81 %, en France de 70 % à 78 %20.

18 Même si les femmes ont largement investi le secteur tertiaire ces dernières années, la tendance est moins forte en France qu’en Grande-Bretagne. Cela peut également expliquer partiellement le plus fort chômage des femmes en France car c’est le secteur tertiaire qui se développe le plus actuellement, d’où une plus grande facilité pour les femmes britanniques, et pour une moindre part en ce qui concerne les Françaises, de se retrouver dans une situation d’emploi.

L’image de la femme au travail change

19 Mais la progression de l’emploi tertiaire ou le développement du travail à temps partiel ne sont pas les seules explications de l’afflux des femmes sur le marché du travail. Le rapport à l’emploi, ou une transformation profonde des comportements, a aussi opéré. En effet, en France comme en Grande-Bretagne, jusqu’aux années 1960, la plupart des femmes âgées entre 25 et 49 ans s’arrêtaient de travailler. Aujourd’hui, qu’elles soient mariées, en couple vivant maritalement ou célibataires, qu’elles aient des enfants ou non (du moins jusqu’au troisième enfant), elles continuent massivement à travailler, comme le montre le tableau ci-dessous :

Tableau 6. Taux d’activité des femmes de 25 à 49 ans selon le nombre d’enfants de moins de 15 ans, en France et au Royaume-Uni, 1996 (en %)

Pas d’enfant 1 enfant 2 enfants 3 enfants ou +

France 85,6 82,8 75,0 50,1

Royaume-Uni 86,5 73,1 67,0 48,8

Source : EUROSTAT, Enquête sur les forces de travail 1996.

20 On voit bien ici que les Britanniques quittent progressivement le marché du travail : entre les femmes sans enfant et celles avec un enfant, le taux d’activité baisse de plus de 13 points, entre le premier et le deuxième de pratiquement 6 points. Ainsi 20 % des femmes britanniques arrêtent de travailler pour leur premier ou deuxième enfant, pendant qu’en France elles sont deux fois moins à le faire (10 %). La différence est ici importante et significative dans la comparaison France/Grande-Bretagne, même si elle tend à s’équilibrer à partir du troisième enfant (moins 20 % dans les taux d’activités britanniques et moins 25 % du côté français), dans la mesure où les familles de un ou deux enfants aujourd’hui sont la norme aussi bien en Grande-Bretagne qu’en France21.

21 Cela met en évidence la différence qui existe encore dans les solutions de garde proposées de part et d’autre de la Manche, et au-delà évidemment les mentalités britannique et française, qui à ce sujet ont longtemps divergé : la garde d’enfants a très longtemps relevé de la sphère privée (privacy) en Grande-Bretagne. Les enfants devaient être gardés par leur mère et à ce sujet les thèses de Bawlby, développées dans plusieurs ouvrages22 que bon nombre de familles britanniques avaient, affirmaient que rien ne pouvait remplacer la mère (ou à la rigueur une nourrice, mais en aucun cas une solution de garde collective, du type crèche). En France, en revanche, dès le XVIIIe siècle, avec J.-J. Rousseau et l’Émile

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ou de l’Éducation, il y a même une affirmation que l’enfant est bien gardé à l’extérieur de chez lui, mieux gardé par une nourrice qu’en restant avec sa mère… Les solutions de garde collectives se sont ainsi développées beaucoup plus vite et en plus grand nombre en France qu’en Grande-Bretagne où, en 1999, seulement un enfant sur sept avait une place en crèche23.

22 De même que l’image du travail et du chômage a connu un retournement complet au cours des trois dernières décennies – en 1968, la jeunesse française écrivait sur les murs

« on ne veut pas perdre notre vie à la gagner », à la fin des années 1970, le chômage commence à peser sur l’économie et les mentalités et, dès la fin des années 1980 et tout au long des années 1990, l’emploi est devenu une revendication syndicale et des comités de défense des chômeurs s’organisent – de même les formes de travail se sont diversifiées tout au long de la période : le modèle typique de l’emploi des années d’après-guerre, c’est-à-dire à plein temps, régulier voire permanent, occupé de la fin des études jusqu’à la retraite, n’existe plus aujourd’hui, et encore moins pour les femmes. Ainsi, pour mieux appréhender le marché du travail féminin, en France comme en Grande-Bretagne, il convient de prendre en compte l’alternance entre périodes d’activité et de non-activité ainsi que les formes d’activités partielles.

NOTES

1. Dans les deux tableaux, chiffres enregistrés selon les critères du BIT(ILO unemployment).

2. La notion de capacité d’exercice est définie comme le pouvoir de mettre en œuvre soi-même ses droits et obligations (ici, en ce qui concerne le travail) : Raymond GUILLIEN, Jean VINCENT, Lexique de termes juridiques, Paris : Dalloz, 1990, p. 74.

3. Robert CASTEL, Jean-Paul FITOUSSI, Jacques FREYSSINET, Henri GUAINO, Chômage : le cas français – rapport au Premier ministre, Paris : La Documentation française, mai 1997, 179p. Cette étude comptait parmi les chômeurs tous les chômeurs découragés, les personnes occupant des emplois à temps partiel contraint, les personnes âgées de plus de 55 ans et exclues depuis peu des recensements de chômeurs, les personnes inscrites dans les différents programmes d’aide au retour à l’emploi, etc.

4. Définition adoptée lors de la VIIIe Conférence internationale des Statisticiens du travail en 1954, et légèrement modifiée par la XIIIe Conférence en 1982. Le BIT est le Bureau International du Travail, traduction de International Labour Organization.

5. In Claire CALLENDER, ‘Redundancy, unemployment and poverty’, Women and Poverty in Britain:

the 1990s, London: Harvester Wheatsheaf, p. 134.

6. Avant, cette aide n’était jamais octroyée aux femmes mariées ou vivant maritalement.

7. Au début des années 1990, 23 % de la population active travaillait à temps partiel, avec 45 % des femmes et 6 % d’hommes en activité (chiffres du printemps 1992, tirés de The Employment Gazette, mai 1993, p. 220).

8. Même si, comme on le verra plus tard, les statistiques grossissent ce phénomène.

9. In OCDE, Perspectives de l’emploi, OCDE : Paris, 1988, p. 157.

10. In Margaret MARUANI, Travail et emploi des femmes, Paris : La Découverte, 2000, p. 68.

11. OCDE, Les Perspectives de l’emploi, Paris : OCDE, 1992.

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12. In Robert HOLCMAN, Le chômage : Mécanismes économiques, conséquences sociales et humaines, Paris : Les Études de la Documentation Française, 1997, pp. 26-32.

13. Voir à cet égard l’ouvrage très complet de Caroline GLENDINNING & Jane MILLAR (eds.), Women and Poverty in Britain: the 1990s, Londres : Harvester Wheatsheaf, 1992.

14. Cf. Margaret MARUANI, op.cit. et Margaret MARUANI, L’emploi féminin à l’ombre du chômage, Paris : Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n°115, pp. 48-57.

15. Cf. Margaret MARUANI, op.cit, p. 81.

16. Cf. Margaret MARUANI, op.cit, p. 81.

17. Bénédicte GALTIER & Yannick L’HORTY, « Le temps partiel dans la perspective des 35 heures », Revue de l’OFCE, Paris, janvier 2000, n°72, p. 106.

18. Cf. Danièle KERGOAT, “Les femmes et le travail à temps partiel”, Paris : Groupe d’étude sur la division sociale et sexuelle du travail (GEDISST), La Documentation Française, janvier 1984, p.

202.

19. Enquête sur l’emploi de mars 2000, Emplois-Revenus, Insee Résultats, n°165-166, juillet 2000, 162 p.

20. Margaret MARUANI, op.cit, p. 11.

21. Les taux de fécondité, pour l’année 1995, aussi bien en France qu’au Royaume-Uni, étaient de 1,70 enfant par famille. (Cf. Eurostat, Demographic data, Newcronos Database 2000 – www1.oecd.org/els/social/Annex1.xls)

22. Les titres des ses principaux ouvrages, qui concernent tous la relation mère-enfant, sont d’ailleurs éloquents : Attachment and Loss (1969), Separation: Anxiety and Anger (1973) et Loss:

Sadness and Depression (1981).

23. The Independent, ‘Working mothers total has doubled in past 10 years’, 20 October 1999.

RÉSUMÉS

Si les premières observations chiffrées du chômage des femmes en France et en Grande-Bretagne peuvent laisser penser que la condition des femmes est totalement différente dans les deux pays, une étude plus précise de la situation des femmes sur le marché du travail en France et en Grande-Bretagne rend compte de points communs bien plus significatifs que les premières statistiques considérées : tout d’abord un maquillage statistique est mis en œuvre et tend à réduire considérablement le nombre réel de femmes au chômage ; le développement des formes atypiques de travail pour les femmes ou la ségrégation professionnelle sont aussi des phénomènes réducteurs de chômage féminin, et cela est bien plus vrai en Grande-Bretagne qu’en France.

Even if at first glance statistics on women’s unemployment in Britain and France lead to the idea that the situation of women is completely different on each side of the Channel, a closer study of the working conditions of women in Britain and in France shows significant common features:

first of all we see a statistical obfuscation implemented by the French and British governments alike to reduce the real number of unemployed women. The development of atypical forms of work for women and occupational segregation are also phenomena minimising female unemployment rates, both in Britain and France.

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AUTEUR

MARIE-ANNICK MATTIOLI Université Paris-V (IUT)

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