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Vanité de la sagesse 1

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Vanité de la sagesse1

a sagesse, ça vous intéresse ? Il me semble qu’on peut observer deux attitudes par rapport à la sagesse aujourd’hui. Il y a les uns qui en sont très friands. Les succès en librairie d’auteurs comme Paulo COELHO2, qui a été cité sur le dos du dernier bulletin de notre Eglise, en témoignent. Son roman « L’Alchimiste » s’est vendu à des millions d’exemplaires, faisant de lui un des auteurs les plus lus de la planète. Et puis, il y a ceux qui ne sont vraiment pas attirés par tout ce qui s’appelle sagesse. Ça fait penser à des choses anciennes, poussiéreuses, sans grand intérêt dans l’âge de l’Internet haut débit et des autres prouesses techniques dernier cri … Sans dire que ça peut nous faire penser à ce temps révolu où l’on demandait aux enfants d’être bien sages … La sagesse vous intéresse ? Quoi qu’il en soit, nous allons en parler un petit peu ce matin, car notre ami Qohélet, l’auteur du livre de l’Ecclésiaste, est un sage, et il a des choses à dire sur le sujet.

Pour ceux qui n’étaient pas là, sachez que nous sommes en train d’étudier ensemble ce livre étrange de l’Ecclésiaste. Nous avons vu que son auteur veut nous ouvrir les yeux sur ce que c’est, la vie sous le soleil. Dans un premier temps, il s’attaque à tous les leurres que nous utilisons pour donner un sens à notre vie. Nous avons décrit cette démarche avec une citation de Georges BERNANOS qui dit : « Pour être prêt à espérer en ce qui ne trompe pas, il faut d’abord désespérer de tout ce qui trompe. » Et dans ce domaine, Qohélet n’y va pas de main morte. Nous avons comparé sa façon de démasquer les mensonges de notre vie à un bain d’acide. Le terme clé de Qohélet, c’est la vanité ou la futilité. Il appelle vain ou futile tout ce qui ne dure pas, qui s’évapore, qui est périssable. Il nous a montré que le pouvoir est futile, que les richesses le sont aussi, tout comme la bonne réputation, le travail, le bonheur. Il ne dit pas que toutes ces choses sont mauvaises, mais qu’elles ne durent pas, qu’il n’y a pas là sur quoi construire sa vie. Si vous passez votre vie à ramasser de l’argent, vous êtes insensés, car le linceul n’a pas de poches … Si sur votre tombe on écrira : « Le travail était sa vie », vous êtes insensés, car il n’en restera rien. La dernière fois, nous avons vu que même la pratique du bien, les bonnes œuvres, sont futiles, dans la mesure où il n’y a pas forcément un retour. Le juste peut souffrir injustement et même mourir à cause de sa justice, alors que certains malfaiteurs profitent et coulent une retraite paisible. Cela aussi est futile, nous dit Qohélet.

Pouvoir, travail, argent, bonheur, morale, tout ça est frappé du prédicat vanité … Qu’est-ce qui nous reste alors ? Qu’est-ce que Qohélet nous conseille ? Sur quel cheval faut-il miser ? Peut-être la sagesse ? Comme c’est un sage, ça doit être la voie qu’il nous conseille ! Qu’en dis-tu Qohélet ? La recherche de la sagesse peut-elle donner un sens à notre existence ? J’ai regroupé ce que Qohélet dit sur la sagesse sous trois points :

1 Je dois beaucoup de cette prédication à Alphonse Maillot, Qohélet ou l’Ecclésiaste ou La contestation, Les Bergers et les Mages, s.l., s.d., 2e édition, 194 p. Je le cite parfois sans le nommer.

2 Cela se prononce [qél-yo].

L

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1. A la recherche de la sagesse

D’abord, Qohélet confirme que la sagesse, ça l’intéresse. Il a passé une bonne partie de sa vie à chercher la sagesse. Nous l’apprenons déjà tout au début du livre, au verset 13 du premier chapitre, où nous lisons : J’ai décidé de rechercher et d’explorer par la sagesse tout ce qui se fait sous le ciel … Qohélet est un sage, nous l’avons dit, mais c’est aussi un homme curieux, qui a les yeux grands ouverts sur le monde. Sa sagesse l’aide dans ce travail, il dit qu’il explore le monde par la sagesse, mais elle est en même temps son objet d’étude, comme il nous le dit au chapitre 73 : Je me suis appliqué à savoir, à explorer et à chercher la sagesse et la raison, [et] à savoir que la méchanceté est stupide, et la folie démente. Sagesse et folie ...

C’est typique pour les sages de comparer les deux attitudes. Dans les Proverbes, on peut lire des choses comme4 : L’homme stupide fait étalage de tous ses sentiments ; le sage se retient de montrer les siens. On opère par comparaison. La sagesse dont il s’agit est l’art de vivre bien, l’art de se comporter d’une manière juste, adaptée aux circonstances.

En lisant Qohélet, on se rend compte que cela ne recouvre pas tout ce qu’il nomme sagesse.

Toujours au chapitre premier, au verset 16, nous lisons : Je me suis dit : Moi, j’ai développé et amassé plus de sagesse que tous ceux qui m’ont précédé à Jérusalem, et mon cœur a vu beaucoup de sagesse et de connaissance. Sagesse et connaissance … Ailleurs, nous verrons encore que, pour l’auteur, le terme « sagesse » désigne aussi les connaissances, le savoir, ce qu’on pourrait appeler la science, au sens large, le fait de savoir des choses, et de les ordonner dans son esprit. Lorsque nous lirons ses observations sur la sagesse, il faut garder à l’esprit ce double sens que prend le mot pour Qohélet : l’art de vivre bien et la science. Le sage s’applique à augmenter sa sagesse dans les deux domaines.

Au chapitre 10, nous trouvons5 une maxime un peu curieuse : Le cœur du sage est à sa droite, et le cœur de l’insensé à sa gauche. Au risque de décevoir ceux qui nous gouvernent actuellement, ce n’est pas un jugement politique. L’interprétation que je retiens est celle qui comprend qu’il n’y a pas beaucoup de sages. Les insensés sont bien plus nombreux que les sages, comme il y a beaucoup plus de gens qui ont le cœur à gauche que ceux qui l’ont à droite. Quoi qu’il en soit, Qohélet fait partie de ces sages, et il sera intéressant de savoir ce qu’il a trouvé au sujet de la sagesse qu’il a tant recherchée.

3 Qo 7.25 ; cf. 2.12 : Et moi, je me suis retourné pour voir la sagesse, la démence et la folie.

4 Pr 29.11

5 Qo 10.2 (Segond)

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2. Futilité de la sagesse

Et puis, c’est la douche froide. On pouvait espérer qu’enfin !, on tenait quelque chose qui résiste au regard scrutateur de Qohélet, qui sorte indemne du bain d’acide, mais c’était mal connaître le sage. Qohélet ose scier en quelque sorte la branche sur laquelle il est assis ; il nous enseigne que la sagesse, elle aussi, est soumise à la vanité, la futilité. Regardons ça de près.

En restant au chapitre premier, versets 17 et 18, nous lisons : J’ai décidé de connaître la sagesse (littéralement : la sagesse et la connaissance) et de connaître la démence et la folie ; je sais que cela aussi n’est que poursuite du vent. Car avec beaucoup de sagesse on a beaucoup de contrariété ; plus on a de connaissance, plus on a de tourment. Qohélet s’est appliqué à connaître la sagesse et son contraire, la folie. Philo et folie, tout un programme6. Pourquoi les deux ? Pour mieux connaître la sagesse à travers son contraire ? Ou parce que les deux sont parfois dangereusement proches ? En tout cas, le verdict du sage est clair et net∫:

cela aussi est courir après le vent. On se fatigue, sans arriver à grand chose. Qohélet arrive à la même conclusion que le grand philosophe Socrate: « Je sais que je ne sais pas. » La sagesse devient même source de contrariété, la connaissance source de tourment. Pourquoi ? D’abord pour le sage, pour celui qui sait : plus on a de connaissance, et mieux on sait que ça ne va pas dans le monde, et plus on se sent impuissant. L’autre jour, en lisant le journal, j’ai découvert qu’au Soudan se déroule ce qu’un coordinateur des Nations Unies appelle « la plus grande catastrophe mondiale au plan humanitaire et pour les Droits de l’homme »7 : viols collectifs, pillages systématiques, destruction de villages, déplacements forcés des populations, l’horreur, quoi. Maintenant je sais, et je ne peux rien faire [si ce n’est prier], même les ONG sont sur le point de quitter le pays … plus on a de connaissance, plus on a de tourment.

Et ce n’est pas tout : le sage, celui qui sait, n’est pas le seul à souffrir. Parfois sa connaissance fait souffrir d’autres. On raconte8 que le grand savant Albert EINSTEIN travaillait quand soudain la nouvelle de l’explosion d’Hiroshima tombe. Un général américain se précipite pour lui apprendre la nouvelle, en lui apportant le telex. En l’écoutant, EINSTEIN prend sa tête entre ses mains, puis il dit, après quelques moments de silence : « Les vieux Chinois avaient raison. On n’a pas le droit de faire n’importe quoi … »9 Cet homme qui avait puissamment contribué, par ses recherches, mais aussi par ses démarches auprès du président ROOSEVELT, à doter l’Amérique de l’arme nucléaire, il devait faire face au fruit pourri de sa découverte, aux

6 Je dois ce jeu de mot à D. LYS, L’Ecclésiaste ou Que vaut la vie ?, Letouzey et Ané, Paris, 1977, p. 174.

7 Le Monde du 1/4/2004

8 Je tiens cette histoire de J. ELLUL, La raison d’être. Méditations sur l’Ecclésiaste, Paris, Seuil, 1987, p. 126s.

9 « The old Chinese were right. One cannot do anything. »

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53000 morts d’Hiroshima. Oui, décidément, la connaissance peut créer la tourmente, et non seulement pour celui qui sait …

Et puis, le sage a beau rassembler une multitude de connaissances, il ne pénètre pas le sens profond de l’univers, il ne découvre pas un système qui lui permette de comprendre le monde.

Cela, il le dit très clairement au chapitre 8, à partir du verset 16 : Lorsque j’ai décidé de connaître la sagesse et de voir l’occupation qui a cours sur la terre – car les yeux de l’homme ne voient le sommeil ni le jour ni la nuit – j’ai vu toute l’œuvre de Dieu : l’être humain ne peut pas trouver l’œuvre qui se fait sous le soleil; ce que l’être humain cherche avec peine, il ne le trouvera pas; et même si le sage prétend connaître, il ne peut pas trouver. « Pensée fait la grandeur de l’homme », disait PASCAL10, et Qohélet ne l’aurait pas contredit. Mais, en essayant d’en savoir plus, surtout si c’est pour apprendre qu’on n’en saura jamais plus, on perd son sommeil. « Qohélet était probablement insomniaque. »11 Et qu’a-t-il appris dans ses nuits blanches ? Que les pensées de Dieu sont insondables, et que l’homme n’arrivera jamais à les cerner. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas chercher : « Tout au contraire, tout homme honnête doit chercher, même si c’est pour découvrir qu’il est condamné perpétuellement à la recherche. »12

Au chapitre sept13, nous apprenons d’autres choses au sujet de la futilité de la sagesse : Le cœur des sages est dans la maison de deuil ; le cœur des gens stupides dans la maison de joie. Mieux vaut écouter les reproches d’un sage qu’être homme à écouter la chanson des gens stupides. Comme les épines qui crépitent sous la marmite, tel est le rire des gens stupides. C’est encore là une futilité. L’oppression fait du sage un fou ; les cadeaux font perdre la raison. Non seulement la recherche de la sagesse est sans fin, mais encore la sagesse est très fragile. L’oppression fait du sage un fou … La plante sagesse périt dans un climat d’oppression, elle a besoin de liberté pour vivre. Il n’y a pas de sagesse dans un pays totalitaire, et quand on voit des fous furieux dans le monde, du genre à s’attacher une ceinture d’explosifs autour de ventre et à se faire sauter avec un maximum de gens autour, on peut se demander si l’oppression n’y est pas pour quelque chose. Et puis, la sagesse s’avère aussi faible face au danger opposé : les cadeaux qui tournent la tête au sage, lui font perdre ses moyens. Elle est décidément fragile, la sagesse.

Non seulement la sagesse elle-même est marquée par la futilité qui caractérise tous les efforts de l’homme, elle est profondément liée à la perception de cette futilité, elle y a ses racines.

Nous voyons cela au début du texte que je vous ai cité : Le cœur des sages est dans la maison de deuil ; le cœur des gens stupides dans la maison de joie. Pourquoi ce constat un peu sombre, alors qui nous avons vu que Qohélet nous encourage à profiter des plaisirs de la vie, à ne pas mépriser un bon repas14, par exemple ? On peut, à juste titre, m’accuser d’avoir sorti ce texte de son contexte. Au verset 2 du même chapitre, nous lisons : Mieux vaut aller à la maison de deuil que d’aller à la maison de banquet ; c’est dans celle-là que se trouve la fin de tout être humain, et le vivant doit y réfléchir. Nous allons, une autre fois, réfléchir sur le problème de la mort et sur la manière dont Qohélet en parle. Nous verrons que pour le sage, la mort est le seul fait certain de notre vie et que c’est par rapport à lui que nous devons penser et organiser notre vie. Il ne nous a pas appartenu de naître, mais il nous appartient de bien mourir. Le drame de l’homme moderne est de vouloir chasser la mort de la vie, de ne jamais

10 Pensée n° 638, in B. PASCAL, Pensées II, Gallimard, Paris, 1977, 434 p.

11 A. Maillot, op.cit., p. 129

12 ibid.

13 Qo 7.4-7

14 Cf. 5.17 …

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en parler, voire même de ne jamais y penser. J’en veux pour preuve la manière dont on cache les mourants et les morts de nos jours. Le sage, lui, fréquente la maison de deuil plus que les banquets. Pourquoi ? Parce qu’on y est contraint de réfléchir, et c’est cette réflexion qui mène à la sagesse. Quand on assiste à un enterrement, on est inévitablement confronté à la pensée de sa propre mort, ne serait-ce qu’un bref instant. Et pendant cet instant, on cesse de tricher, de se mentir et de se leurrer, on s’ouvre aux vraies questions on écarte les fausses … Plus généralement, et même si c’est malheureux, « les hommes deviennent plus lucides, plus honnêtes, quand le chagrin les frappe. », écrit Alphonse MAILLOT15. « Car à ces heures là, se dissipent les mensonges et les illusions avec lesquels les hommes s’étourdissent et se leurrent. » C’est ainsi que le cœur des sages est dans la maison de deuil ; le cœur des gens stupides dans la maison de joie. Avec l’humour qui le caractérise, Qohélet ajoute : Mieux vaut écouter les reproches d’un sage qu’être homme à écouter la chanson des gens stupides.

Comme les épines qui crépitent sous la marmite, tel est le rire des gens stupides16. Et le sage conclut : C’est encore là une futilité. Futilité, le mot est dit. Que désigne cette futilité ? Seulement le rire du fou ? Ou encore les reproches du sage, qui ne sont pas écoutés ? L’ambiguïté est peut-être voulue.

3. Utilité (toute relative) de la sagesse

Qohélet nous a donc démontré que la futilité frappe aussi la sagesse. Il y a cependant plusieurs textes dans son livre qui nous font comprendre que la sagesse, si elle est soumise à la vanité, n’est pas dépourvue d’intérêt pour autant. Il le dit très clairement au chapitre deuxième, à partir du verset 13, où nous lisons17 : Et moi, j’ai vu ceci : l’avantage de la sagesse l’emporte sur celui de la folie, comme l’avantage de la lumière sur celui des ténèbres∫; le sage a des yeux pour voir, mais l’homme stupide marche dans les ténèbres.

Pourtant je sais, moi, qu’un même sort les attend tous les deux. Je me suis dit : Le sort de l’homme stupide m’attend, moi aussi ; pourquoi aurai-je alors montré, moi, davantage de sagesse ? Et je me suis dit que c’est là encore une futilité. Car le sage ne laisse pas de souvenir pour toujours, pas plus que l’homme stupide ; à mesure que les jours passent, tout est oublié. Le sage meurt bel et bien comme l’homme stupide ! Mieux vaut être sage que fou ! Le sage voit plus clair. Mais comme il voit plus clair, il se rend compte que sous le soleil, sa sagesse ne lui évite pas le même sort que celui du fou : tous les deux meurent et sont oubliés.

Au chapitre septième18, Qohélet montre, me semble-t-il, son humour, lorsqu’il écrit : La sagesse vaut un patrimoine, elle est un avantage pour ceux qui voient le soleil. Car à l’ombre

15 A. MAILLOT, op.cit., p. 96

16 Il y a un jeu de mot en hébreu qui est difficile à rendre en français. Daniel LYS, op.cit., p. 20, traduit ainsi : Tel le bruit du chardon en dessous du chaudron, tel le rire de l’abruti.

17 Qo 2.13-16

18 Qo 7.11s

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de la sagesse on est comme à l’ombre de l’argent ; l’avantage de la connaissance, c’est que la sagesse assure la vie des sages. On n’est plus dans les hautes sphères de la philosophie, mais on parle d’une sagesse qui se monnaie. Et c’est certain, celui qui sait des choses, l’homme de science ou l’ingénieur, par exemple, il tire du profit de son savoir. Difficile de ne pas sentir l’ironie quand le sage constate : l’avantage de la connaissance, c’est que la sagesse assure la vie des sages. Tu étais parti pour comprendre ce qui tient l’univers ensemble. Eh bien, tu n’y es pas arrivé, mais au moins, cela te fait vivre, et c’est déjà pas si mal que cela.

Quelques versets plus loin, au verset 19, nous lisons : La sagesse rend le sage plus fort que dix gouverneurs dans une ville, et au chapitre 9, Qohélet nous raconte une petite histoire qui illustre bien ce constat19 : J’ai aussi vu sous le soleil cet exemple de sagesse qui m’a paru remarquable : Il y avait une petite ville, avec peu d’hommes ; un roi puissant vint contre elle, l’investit et bâtit contre elle de grands ouvrages de siège. Il se trouvait là un homme pauvre et sage qui délivra la ville par sa sagesse. Et personne ne s’est souvenu de cet homme pauvre.

Cette anecdote illustre bien combien la sagesse peut être utile. De nouveau, on est loin de la philo, il s’agit de contrer une attaque militaire. L’homme sage a peut-être conçu des machines de guerre, comme on le raconte d’Archimède. Ce grand mathématicien et physicien, épouvantait les armées romaines lorsqu’elles assiégeaient la ville de Syracuse, entre autres en brûlant leur flotte à l’aide de miroirs focalisants. En même temps, cette histoire illustre bien la futilité de la sagesse : l’homme sage est aussitôt oublié après la libération de la ville ; quant à Archimède, il a trouvé la mort à la fin du siège de Syracuse. Et Qohélet continue : J’ai dit : Mieux vaut la sagesse que la vaillance. Cependant la sagesse du pauvre est méprisée, et ses paroles ne sont pas écoutées. Et pourtant : Les paroles des sages, écoutées dans le calme, valent mieux que les cris de celui qui gouverne parmi les gens stupides. Mieux vaut la sagesse que des armes de combat; un seul pécheur anéantit beaucoup de bien. Les mouches mortes rendent puante l’huile du parfumeur et la font fermenter ; un peu de folie l’emporte sur la sagesse et sur la gloire. On termine donc de nouveau sur la futilité de la sagesse. Elle est précieuse, elle peut être une arme fatale, mais elle est en même temps fragile. Un peu de folie suffit pour l’écraser, la faire disparaître.

Qohélet a consacré sa vie à la recherche de la sagesse, et il ne le regrette pas. Il en connaît les forces et les limites, sa futilité, comme il dit, sa profonde fragilité. La sagesse est précieuse, et l’homme fait bien d’y aspirer, mais ce n’est pas non plus dans la sagesse qu’il trouvera le sens de sa vie.

Nous avons fait le tour des choses dont le sage nous fait désespérer, pour revenir à la citation de Georges BERNANOS. Désormais, nous allons découvrir ce qui subsiste à l’examen du sage, et notamment ses conseils pour vivre dans un monde marqué par la futilité. Le reste de nos études sur le livre de Qohélet y sera consacré.

Avant de conclure, permettez-moi un petit mot sur la sagesse dans la lumière du NT. Le terme

« sagesse » est assez présent dans le NT, mais on ne parle pas beaucoup de la sagesse dans le sens de Qohélet. Comme la Bible hébraïque, le NT contient des textes de loi, si j’ose dire, comme le sermon sur la montagne, des prophéties, des récits, comme les Evangiles, mais pas d’écrit de sagesse, comme les Proverbes ou l’Ecclésiaste. En y réfléchissant, je me suis dit que cela est peut-être dû au fait que l’AT a déjà tout dit de ce qu’il y avait à dire sur le sujet.

Que voulez-vous ajouter à l’analyse de la vie humaine que nous donne Qohélet ? La condition humaine n’a pas vraiment changé sous la nouvelle alliance, car la nouvelle création, si elle a déjà fait irruption en la personne de Jésus, est encore à venir. En attendant, nous vivons

19 Qo 9.13-10.1

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encore dans un monde soumis à la futilité20, et nous pouvons faire les mêmes expériences que le sage.

Dans le NT, la sagesse comme art de bien vivre est donc abordée très rarement21. Lorsqu’ils parlent de la sagesse, les textes évoquent soit la sagesse de Dieu22, soit celle de Jésus23 ou celle qu’il donne à ses disciples24, soit enfin la sagesse toute humaine, celle des philosophes aussi25. L’apôtre Paul notamment souligne souvent l’opposition entre la sagesse de Dieu et celle des sages. Vous connaissez, je pense, le verset de l’Evangile où Jésus dit à son Père26 : Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que tu as caché ces choses aux sages et aux intelligents, et de ce que tu les as révélées aux enfants. Je pense qu’il vise par là la sagesse qui est devenue folle, la raison qui s’est voulue autonome et qui a oublié le constat de Qohélet, qui a oublié sa propre futilité. Bien avant Jésus, la philosophie grecque a voulu penser le monde tout entier, le comprendre, l’expliquer, y compris le Créateur. Et si vous êtes attentifs à ce qui s’écrit dans des journaux, même par des scientifiques d’envergure, vous savez que cette tentation est encore bien vivante.

Mes frères est sœurs, nous sommes appelés à plus de modestie. Laissons Qohélet être notre guide dans ce domaine. Il nous rappelle que notre sagesse est tronquée, qu’il y a beaucoup de choses que nous ne savons pas. Résistons à ces modèles qui expliquent tout, je vous en ai parlé l’autre fois, à ces schémas tout faits qui ont réponse à tout.

Je vais vous faire une confession. Quand je parle avec des gens qui passent par de grandes difficultés, qui sont au plus bas, je ne sais souvent pas quoi dire. Je n’ai pas de réponse toute faite. J’écoute, et je reste souvent sans voix. Quand quelqu’un qui a perdu son enfant par une maladie foudroyante ou par un accident de la route, me dit : « Comment Dieu peut-il permettre ça ? », je ne sais pas quoi dire. Je ne sais pas comment c’est possible. Et même des gens plus intelligents que moi, et meilleurs connaisseurs de la Bible, n’ont pas la réponse.

Henri BLOCHER a sondé le problème du mal dans le monde, et il arrive à la conclusion que c’est un « mystère opaque ». Notre philosophie n’a même pas réponse à ce problème de base∫;

c’est dire qu’elle est fragmentaire ! Non, « il n’y a pas de réponse intellectuelle, conceptuelle aux problèmes existentiels. … Dieu ne nous a pas donné un système, une sagesse supérieure pour résoudre les problèmes de notre existence. »27 Non, il nous a donné autre chose. Il nous a donné Jésus-Christ. « L’existence seule répond à l’existence. »28 Et c’est ainsi que je comprends quand Paul dit29 que Jésus a été fait pour nous sagesse. La sagesse que nous avons a annoncer, ce n’est pas un système qui a réponse à tout, mais c’est le Seigneur Jésus.

Pour finir, je voudrais vous lire le témoignage que m’a donné un frère britannique :

« Je n’oublierais jamais le jour où j’étais dans cette synagogue, la deuxième en taille dans le monde, en Hongrie. J’essayais de traduire le yiddish du rabbin pour une jeune fille très belle d’Amérique du Sud qui cherchait ses racines. On était au milieu d’une exposition qui était au

20 Rm 8.20

21 1 Co 6.5 ; Eph 5.15 ; Col 4.5 ?

22 Lc 11.49 ; Rm 11.33 ; 16.27 ; 1 Co 1.24,30 ; 2.7,13 ; Eph 3.10 ; Ap 7.12

23 Mt 12.42 ; Mc 6.2 ; Lc 2.40,52 ; Col 2.3 ; Ap 5.12

24 Lc 21.15 ; Ac 6.3,10 ; Rm 16.19 ; 1 Co 12.8 ; Eph 1.8,17 ; Col 1.9,28 ; 3.16 ; 2 Ti 3.15 ; Jc 1.5 ; 3.13,17 ; 2 Pi 3.15

25 1 Co 1.17,19-27 ; 2.1-6 ; 3.18-20 ; 2 Co 1.12 ; Col 2.23 ; Jc 3.15

26 Mt 11.25 (Segond) ; cf. Lc 10.21

27 A. MAILLOT, op. cit., p. 129

28 ibid.

29 1 Co 1.30

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sujet des Fêtes de l’Eternel, et je dois confesser que j’étais un peu libre dans ma traduction : je confesse mes péchés, je ne disais pas seulement ce que le rabbin disait. Alors que nous étions à la moitié des fêtes juives, j’avais déjà expliqué l’évangile à ces gens. Et puis nous sommes arrivés à cette image avec une porte, et au-dessus de la porte était écrit : « Arbeit macht frei » : le travail vous libérera.

C’était une photo de la porte d’Auschwitz. Je la vois encore maintenant : cette belle jeune femme a reculé et a mis ses mains de part et d’autre de la porte. Et elle m’a dit : « Et qu’est-ce que votre religion dit face à ça ? » Nous étions là et nous nous sommes regardés dans le silence. Qu’est-ce qu’on peut dire ? Pour finir, je lui ai dit : « Vous savez, j’ai des enfants. Et je ne peux pas supporter de voir ces photos qui montrent ce que le Dr Mengele a fait à ces enfants juifs à Auschwitz. Je ne voudrais pas insulter la mémoire de votre famille en vous donnant une réponse facile à votre question. Permettez-vous que je vous dise une chose∫?

Vous m’avez entendu dire que je crois que Jésus est le Messie. Savez-vous pourquoi je crois ça ? Est-ce cela vous gêne si je vous le dis ? » « Non », m’a-t-elle dit, « dites-le moi. » J’ai dit, « Bien. Je le crois parce qu’il a été crucifié, et qu’il est mort sur une croix. Je sais que c’est très difficile pour vous de croire ça, mais essayez de supposer juste un instant que c’est réellement Dieu sur la croix. Saisissez cela dans votre esprit un instant. Qu’est-ce que cela dit sur Dieu ? Cela me dit que Dieu n’est pas resté éloigné de notre souffrance humaine. Il en est devenu partie. » Et quand j’ai dit cela, elle s’est mise à pleurer. Les larmes coulaient de son visage. Elle m’a dit : « Pourquoi personne ne m’a jamais dit ça au sujet de notre Messie auparavant ? »30

30 Témoignage de John LENNOX, donné à la Conférence Nationale des C.A.E.F le vendredi 30 octobre 1998

« I’ll never forget standing in the second largest synagogue in the world in Hungary, and I was trying to translate the rabbi’s Yiddish for a lovely young woman from South America who was trying to trace her roots. And suddenly we came, in the midst of this exhibition, which was about the Feasts of Jehova, incidentally, and I must confess to a little bit of translator’s licence on that occasion, I confess my sins to you, I did not just say what the rabbi was saying. By the time we got half way through the Jewish feasts, I had explained to the folks the gospel.

And then we got to this picture of a door, and above the door were the words « Arbeit macht frei » : work will set you free. It was a picture of the gate of Auschwitz. And I can see it now as this lovely young woman stepped back and she put a hand at each side of the door. She said : « And what does your religion say to that ? » We just stood and looked at each other, it was dead silence. What can one say ? In the end I said to her : « You know, I have children. I cannot bear to look at those photographs of what Doctor Mengele did to Jewish children in Auschwitz. » And I said : « I would not try to insult your memory of your family by trying to offer you some simple aspirin type of solution to your question. But will you let me say one thing ? You have heard me say that I believe that Yeshoua, Jesus, is hamashiach, the Messiah. Do you know why I believe that ? And would you mind if I told you ? » « No », she said, « you tell me. » « Well », I said, « he was crucified and he died on a cross. » And I said : « I know that it is very hard for you to believe that, but just try to suppose for a moment that that is really God. Grip it in your mind, just for a moment. What is it saying about God ? It is saying that God has not remained distant from our human suffering, but has become part of it. » And as I said that, she started to

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Mes frères et sœurs, ce que les gens autour de nous ont besoin de découvrir à travers nous, ce n’est pas une philosophie de la vie, ou une éthique, ou une morale, ou une loi, non, c’est une personne : le Seigneur Jésus.

Amen.

EEB Clermont-Ferrand 9/5/2004

weep. And the tears came trickling down her face. And she said : « Why has no one told me that about our Messiah before ? »

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