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1вЯ0-
L 3
CONFLITS ET PSYCHIATRIE CHEZ THOMAS S. SZASZ
Mémoire présenté
à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval
pour l’obtention du grade de maître ès arts (MA.)
FACULTÉ DE PHILOSOPHIE UNIVERSITÉ LAVAL
DÉCEMBRE 1996
© Michel Latulippe, 1996
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ISBN 0-612-20194-5
Canada
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HUMANITÉS ET SCIENCES SOCIALES
COMMUNICATIONS ET LES ARTS
Architecture...0729
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Religion Généralités...0318
Clergé ... 0319
Etudes bibliques...0321
Histoire des religions...0320
Philosophie de la religion.... 0322
Théologie...0469
SCIENCES SOCIALES Anthropologie Archéologie... 0324
Culturelle...0326
Physique... 0327
proit. 0398
Economie Généralités... 0501
Commerce-Affaires... 0505
économie agricole... 0503
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Folklore... 0358
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Anatomie...0287
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Botanique... 0309
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Ecologie...0329
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Génétique... 0369
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Microbiologie... ... 0410
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Géologie... 0372
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Océanographie physique... 0415
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Sciences de la santé Généralités... 0566
Administration des hipitoux .0769 Alimentation et nutrition...0570
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Immunologie... 0982
Loisirs... 0575
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Ophtalmologie... 0381
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Pharmacologie...0419
Physiothérapie... 0382
Radiologie... 0574
Santé mentale...0347
Santé publique...0573
Soins infirmiers... 0569
Toxicologie... 0383
SCIENCES PHYSIQUES Sciences Pures Chimie Généralités... 0485
Biochimie... 487
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Chimie pharmaceutique... 0491
Physique... 0494
PofymÇres ...0495
Radiation... 0754
Mathématiques ...0405
Physique Généralités... 0605
Acoustique... 0986
Astronomie et astrophysique...0606
Electronique et électricité... 0607
Fluides et plasma... 0759
Météorologie ...0608
Optique... 0752
Particules (Physique nucléaire)... 0798
Physique atomique ...0748
Physique de l'état solide... 0611
Physique moléculaire...0609
Physique nucléaire... 0610
Radiation...0756
Statistiques... 0463
Technologie Informatique...0984
Ingénierie Généralités... 0537
Agricole... 0539
Automobile... 0540
Biomédicale... 0541
Chaleur et ther modynomique... 0348
Conditionnement (Emballage)... 0549
Génie aérospatial... 0538
Génie chimique...0542
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Génie électronique et électrique... 0544
Génie industriel... 0546
Génie mécanique... 0548
Génie nucléaire...0552
Ingénierie des systèmes 0790 Mécanique navale... 0547
Métallurgie ... 0743
Science des matériaux... 0794
Technique du pétrole... 0765
Technique minière... 0551
Techniques sanitaires et municipales...0554
Technologie hydraulique...0545
Mécanique appliquée... 0346
Géotechnologie ... 0428
Matières plastiques (Technologie)... 0795
Recherche opérationnelle... 0796
Textiles et tissus (Technologie) . ..0794
PSYCHOLOGIE Généralités... 0621
Personnalité...0625
Psychobiologie... 0349
Psychologie clinique...0622
Psychologie du comportement .. .0384
Psychologie du développement .0620 Psychologie expérimentale...0623
Psychologie industrielle... 0624
Psychologie physiologique...0989
Psychologie sociale...0451
Psychometrie... 0632
Selon Thomas Szasz, exister, c'est être aux prises avec autrui, quelquefois pour sa survie biologique, le plus souvent pour «avoir sa place au soleil». La rhétorique - manipulation du langage - occupe une place importante dans les conflits.
Les luttes entre les personnes peuvent également se transfor
mer en antagonismes État-individu. Pour Szasz, la psychiatrie devient 1'instrument de l'État pour réprimer une partie des individus qui dérangent. Contrairement à Szasz qui défend le sens commun, la psychiatrie dont la fonction s'apparente à la morale et à la politique, justifie son contrôle en prenant les apparences de la science dont le concept de maladie mentale est issu. D'une manière plus large, la notion de maladie men
tale transforme les libres choix de 1'humain en déterminismes.
C'est fondamentalement contre cette tendance sociale contempo
raine que Szasz, ardent défenseur de la liberté et de 1'auto
nomie de 1'humain, lutte avec conviction.
Hichel Latulippe
Page TABLE DES MATIÈRES...i INTRODUCTION ... 1 CHAPITRE PREMIER - CONFLITS s NATURE HUMAINE ET INSTITUTION
1.1 PSYCHANALYSE ET ATTEINTE À LA DIGNITÉ ... 8 1.2 PATIENT ET PSYCHIATRE... 10 1.3 INSTITUTION ET CONTRÔLE... 11 1.4 LE SUICIDE : L'INSTITUTION CONTRE L'INDIVIDU .... 13 1.5 RAPPORT ÉGLISE-ÉTAT ET MÉDECINE-ÉTAT ... 17 CHAPITRE II - AUTHENTICITÉ, HUMANISME ET AUTONOMIE
2.1 PSYCHIATRIE ET RHÉTORIQUE ... 21 2.2 LA NATURE DE L'HUMANISME, SELON SZASZ ... 23 2.3 L'AUTONOMIE COMME RÉSULTAT DE LA RELATION
PSYCHIATRE PATIENT ... 25 CHAPITRE III - MÉDICALISATION DES COMPORTEMENTS DÉVIANTS
LIBREMENT CHOISIS
3.1 DÉVIATIONS EN TANT QUE MANIFESTATIONS DE
DÉTERMINISMES ... 29
3.2 CRIMINALITÉ 30
3.3 L'ALCOOLISME ...33 3.4 LE PROBLÈME DE LA CONSOMMATION DES DROGUES ...3 6 3.5 LA SOLUTION AU PROBLÈME DE LA CONSOMMATION
DES DROGUES... 4 0 3.6 LES DÉVIATIONS SEXUELLES ...4 3
CHAPITRE IV - ANALYSE DU CONCEPT DE MALADIE MENTALE
4.1 LA MALADIE MENTALE : CE QU'ELLE N'EST PAS...50 4.1.1 De la médicalisation de mauvaises habitudes
librement choisies à celles de 1'hystérie
et de la schizophrénie... 50 4.1.2 Psychiatrie, science et maladie mentale ... 51 4.2 LA MALADIE MENTALE; CE QU'ELLE EST
4.2.1.1 La maladie mentale relève de la
métaphore ...56 4.2.1.2 Maladie mentale et problèmes
existentiels ... 58 4.2.1.3 Le comportement «malade» en tant que
mensonge ... 60 4.2.2 CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LE LANGAGE
4.2.2.1 Symptôme, signification et inten-
tionalité ... 63 4.2.2.2 Le langage en tant que moyen d'entrer en
contact avec autrui ... 67 4.2.2.3 L'insinuation ... 70 4.2.2.4 L'insinuation, élément protecteur
contre les déceptions ... 71 4.2.2.5 Insinuation et hystérie ... 72 4.2.3 LA SCHIZOPHRÉNIE
4.2.3.1 Le concept de schizophrénie en tant que
stratégie de coercition ... 73 CHAPITRE V - ANALYSE DU CONCEPT DE THÉRAPIE ... 80
5.1 LA PSYCHOTHÉRAPIE : UN TRAITEMENT AU SENS
LITTÉRAL? ... 81 5.2 CE QU'EST LA PSYCHOTHÉRAPIE : LE TRAITEMENT
AU SENS MÉTAPHORIQUE ... 83 5.3 RHÉTORIQUE, SCIENCE OU CONNAISSANCE PARTAGÉE
PAR TOUS ... 89
CHAPITRE VI - LOI ET PSYCHIATRIE
6.1 LA NON-CULPABILITÉ POUR CAUSE DE FOLIE ... 96 6.2 LES CRIMES ODIEUX DEMEURENT DES CRIMES ;
ILS NE SONT PAS DES MALADIES ... 102 6.3 CONCERNANT LA «DANGEROSITÉ» ... 105 6.4 LA PERTURBATION SOCIALE... 107 6.5 REDONNER AU MALADE MENTAL SES DROITS CIVIQUES .... 110
6.5.1 Objectifs à court terme ... 114 CHAPITRE VII - APERÇU CRITIQUE
7.1 RONALD PIES CRITIQUE S ZAS Z ... 120 7.2 À LA DÉFENSE DE LA POSITION DE S ZAS Z ... 130 CONCLUSION...134
BIBLIOGRAPHIE 144
Il y a de cela quelques années, mon intérêt pour la défense des droits en santé mentale additionné de mon métier d'enseignant en philosophie au niveau collégial, favorisa un rapprochement avec la problématique de la relation entre le naturel et le culturel dans le comportement humain.
Comme le sujet des «maladies mentales» demeurait imprégné de ce questionnement à double volet, de fil en aiguille, au cours de mes recherches je m'intéressais à Thomas Szasz. Lors de sa lecture je ressentis qu'enfin quelqu'un reconnaissait, élargissait et posait les fondements de l'état d'esprit d'op
pression et de perte de dignité que ressentait le patient psychiatrisé. Cette similitude de perception entre lui et moi de l'internement psychiatrique me décida à entreprendre un mémoire de maîtrise sur cet auteur. Les principaux traits de sa vie et de sa production professionnelle figurent dans les lignes suivantes.
Thomas S. Szasz est né dans une famille juive, à Budapest en Hongrie en 1920 où il passa son enfance. Il s'exila par la suite aux États-Unis où il reçut son éducation médicale, psy
chiatrique, et psychanalytique. Il est licencié en physique de l'Université de Cincinnati. En 1949, il débuta la pratique
privée de la psychanalyse à Chicago, ville où il fut chercheur à 1'Institut de Psychanalyse. En 1956, après deux ans de service dans le corps médical de la Réserve Navale des États-Unis, le Dr Szasz s'établit à Syracuse où il fut nommé professeur de Psychiatrie à l'Université de l'État de New York. Il est un Life Fellow de l'American Psychiatrie Association et un Life Member de l'American Psychoanalytic Association. En outre, en 1975, il était membre du Conseil consultatif de 1'Institut pour l'Étude de la Toxicomanie. Il était aussi membre du Centre pour la Santé mentale de New York, de l'International Psychoanalytic Association et de 1'Académie des Sciences de New York.
De son travail a résulté une vingtaine de volumes dont un bon nombre sont traduits en français. «Pain and pleasure»,
1957, «The Myth of Mental Illness», 1961, «Law, Liberty and Psychiatry», 1963, «The Ethics of Psychoanalysis», 1965, «Psy
chiatric Justice», 1965, et «Insanity», 1987, qui constitue une sorte de synthèse plus complète de toute son oeuvre. Au surplus, «de nombreux articles reflètent ses recherches sur la médecine sociale, les rapports malade-médecin, la théorie et la pratique de la psychanalyse, les aspects politiques, éthi
ques et sociaux de la pratique psychiatrique et particulière
ment de l'hospitalisation involontaire dans les établissements psychiatriques»1.
Dans les années mil neuf cent soixante, apparurent d'au
tres ouvrages importants relatifs à la critique de la psy
chiatrie telle qu'on la connaissait en OccidentParmi les principaux, mentionnons qu'en France, Michel Foucault publia
«flistoire de la folie à l'âge classique» et que du côté anglais, Ronald Laing fit paraître «The divided self». Laing et David Cooper formèrent une branche de 1'antipsychiatrie
1
Gérald MESSADIE, La maladie mentale n'existerait pas.Science et Vie, juin 1975, p. 43.
avec une coloration d'existentialisme sartien. Du côté ita
lien, Franco Basaglia dans son travail qui en français porte le titre de «L'institution en négation; rapport sur l'hôpital psychiatrique de Gorizia», fonda sa critique de la psychiatrie
sur une approche idéologique marxiste.
Szasz, au cours de sa carrière fut «"la bête noire" de ses confrères», suite à sa critique acerbe de la psychiatrie.
Ils tentèrent bien de lui faire perdre son poste. Selon ses adversaires, comment peut-on concilier 1'enseignement de la psychiatrie avec la négation de la reconnaissance de 1'exis
tence de la maladie mentale? Pour toute réponse, Szasz fit preuve d'une grande détermination et d'un courage moral à toute épreuve ; il mit en pratique ce qu'il prêchait : 1'autonomie, la liberté.
Szasz n'arrêta pas là ses mises en cause. Il s'en prit à la C.I.A. Il compara certaines expériences de cette institution à celles des nazis. La Food and Drug Administra
tion ne fut pas non plus en reste. Mais sa critique la plus fondamentale porta sur les gouvernements qui utilisent la psychiatrie et son idéologie pour contrôler ceux qui dérangent et qui ne sont pas reconnus comme des criminels. Lorsqu'il fut jugé impérieux de dénoncer et de rectifier des situations, Szasz a su se mesurer aux médecins, aux hommes politiques, aux juges et hauts fonctionnaires. Il eut recours aux tribunaux afin de venir en aide à des «patients victimisés». Ses tra
vaux firent leur marque dans le domaine de 1'antipsychiatrie.
Les travaux de Szasz, de par leur contenu incisif et même violent contrastent avec sa personnalité. D'après les dires de Roland Jaccard, dans la revue Réalité de juin 1977, l'homme est charmant, calme et toujours désireux de bien saisir les propos de son interlocuteur. Contrairement aux idées «révolu
tionnaires» qu'il met de l'avant, sa manière d'être est celle
d'un citoyen exemplaire jusque dans sa façon de se vêtir.
Homme aimant la lecture, les auteurs qu'il affectionne le plus : Shakespeare, Karl Kraus, John Stuart Mill, Molière et Montesquieu.
Selon Szasz, la psychiatrie agit comme 1 ' instrument de la stratégie rhétorique de l'État fonctionnarisé pour contrôler une partie de sa population. Selon cette optique, la psy
chiatrie est une institution qui a tendance à être un outil d'asservissement plutôt qu'une école de libération.
Ce portrait de Szasz, et le discours qu'il tient sur l'État par le biais de la psychiatrie étant posés, je me propose de présenter les fondements et les points dominants de sa pensée. Sa vision de la vie en société, comprend les rela
tions humaines soumises à des tensions et des oppositions incessantes pour la reconnaissance de soi. Les difficultés existentielles sont la pierre angulaire des comportements déviants chez Szasz. La psychiatrie ressemble plus à la poli
tique ou à la religion qu'à la science. Comme la politique et la religion dans 1'esprit de Szasz demeurent immanents aux antagonismes animant 1'existence, je me propose de présenter la vision de la psychiatrie de Szasz sous l'angle des opposi
tions. La rhétorique s'exerçant dans la tension et dans le conflit, je me permets d'aborder ce travail sous l'angle du conflit pour mieux saisir le rôle de la rhétorique qui signifie ici un discours qui cherche à méprendre, à tromper.
En Amérique du Nord, 1'internement psychiatrique était à son apogée dans les années 1950. Dans cette même décennie, Szasz, outré par ce phénomène, commence une critique en pro
fondeur du système psychiatrique. Voici les points qui seront étudiés en détail dans les parties suivantes.
Dans le chapitre I, Szasz nous dévoile 1'importance qu'il accorde à 1'autonomie. Ainsi, le pouvoir de décision de la personne, 1'intentionnalité,se trouve au coeur de l'acte non déviant comme de celui qui peut paraître le plus insensé.
Szasz défend le respect des choix en autant qu'ils ne portent pas atteinte à autrui. L'État doit être au service de 1'indi
vidu et non 1'inverse. La psychiatrie étant comparée à une religion, comme la constitution américaine permet 1'exercice de toutes les religions et n'en privilégie aucune, la psy
chiatrie ne peut s'instaurer en maître et décider ce qui est bon pour 1'individu sans le consentement de celui-ci. Comme il y a séparation de l'Église et de l'État il doit y avoir séparation de l'État et de la psychiatrie.
Szasz s'élève contre les abus de la psychiatrie qui con
sistent à aller à l'encontre du consentement des patients. Ce faisant, dans le chapitre II, Szasz défend l'humanisme que corrompt la psychiatrie. Celle-ci, en appelant par exemple hospitalisation 1'internement forcé et traitements des actes médicaux non voulus ce qui en fait est de la torture, fait acte de basse rhétorique en déformant insidieusement le sens des mots. Szasz prône donc le retour à un langage simple et honnête qui respecte la vérité et qui est la marque du véri
table humanisme.
Le chapitre III nous présente la psychiatrie minant le respect de 1'humain du fait quelle transforme le libre choix en résultat du déterminisme. Certains secteurs de la crimi
nalité voient le libre arbitre devenir lavage de cerveau.
L'alcoolisme et la toxicomanie sont imprégnés du concept de dépendance qui change ces comportements en maladie. La sexua
lité ne fait pas exception à ce phénomène. Des goûts person
nels et des choix moraux deviennent la préoccupation de spécialités médicales et paramédicales. Le péché a maintenant
pris l'apparat de la maladie mentale. Comme ce dernier con
cept se répand dans l'idéologie actuelle, le chapitre suivant vise à en évaluer la nature et la portée.
Szasz dans le chapitre IV dénonce la maladie mentale comme étant un mythe. En effet, à partir de 1 'hystérie de conversion qui à une époque constituait le modèle de la maladie mentale, Szasz expose le fait que cette pseudo-maladie ne correspond pas aux standards scientifiques sérieux. La constitution de l'hystérie en maladie ne provient pas de la découverte d'une anomalie biologique mais plutôt d'une reclas
sification. Ce phénomène ne résulte pas d'une découverte, mais d'une invention, d'une modification nosologique. En
fait, selon Szasz, ce que l'on qualifie de maladie mentale n'est que ce que le sens commun reconnaît comme du mensonge, de 1'imitation, de la communication indirecte et plus généra
lement des comportements qui offusquent et dérangent autrui.
La maladie mentale, selon Szasz, n'est qu'une maladie au sens métaphorique. Alors, dans le chapitre V nous verrons que les thérapies allant de pair avec cette maladie ne peuvent être elles aussi que métaphoriques. Dans la vie quotidienne nous retrouvons le même effet que les psychothérapies. Cet effet équivaut à 1 'influence personnelle que des personnes exercent sur d'autres. Qualifier cette influence de «médi
cale» représente ici comme dans bien d'autres cas le résultat d'une mystification rhétorique.
Dans le chapitre VI, Szasz ne fait pas que se contenter d'avancer des données théoriques. Tout son discours repose sur la reconnaissance du libre choix de la personne, de la liberté dans le comportement déviant. Cependant, comme à liberté correspond responsabilité, la loi ne devrait pas reconnaître la défense pour cause de folie. La loi ne devrait pas non plus accepter 1'intervention du psychiatre visant à
déterminer si 1 'accusé est apte ou non à subir son procès. De plus, parce que personne ne peut connaître avec certitude la pensée de gens accusés de crimes, il devrait être interdit aux psychiatres de témoigner en tant qu'experts.
Les institutions garantes des soins à pourvoir, feront aussi l'objet de ses recommandations. Toujours comme consé
quence de la valeur de l'autonomie accompagnée du respect de la dignité humaine, les soins à dispenser dans les hôpitaux, hormis les cas de grande passivité et d'agressivité manifeste, ne devraient être donnés qu'à des malades adultes et consen
tants .
Ce qui fait le radicalisme de Szasz, ce n'est pas qu'il dise que la psychiatrie est une discipline médicale qui est mal utilisée, qui devient un instrument de manipulation sociale. Non, Szasz va plus loin. Selon lui, la psychiatrie n'est qu'un moyen de contrôle d'un certain type de déviants.
Tout ce qui pourrait constituer son aspect médical n'est que mythologie y compris le concept de maladie mentale. Comme cette affirmation peut sembler peu crédible à plusieurs, au chapitre VII nous avons choisi Ronald Pies comme critique de Szasz parce que justement il s'en prend à la définition szas- zienne de la maladie.
Voilà exposé le schéma du contenu du présent ouvrage. Le travail qui suit veut donc présenter l'essentiel de la pensée de Thomas Szasz en mettant l'accent sur l'aspect conflictuel de l'existence humaine qui oppose l'individu à son entourage, à la société, à l'État.
CONFLITS : NATURE HUMAINE ET INSTITUTION
1.1 PSYCHANALYSE ET ATTEINTE À LA DIGNITÉ
L'histoire peut être perçue comme l'expression de l'être humain de réaliser un monde meilleur. On s'entend générale
ment pour affirmer que la solution réside alors dans la ges
tion des conflits. Quelles sont leurs causes? Relèvent-ils de la production économique? Du péché originel? De la nature humaine?
Szasz a opté pour cette dernière source. Toutefois, il ne précise pas le contexte philosophique de ce concept. La même attitude prévaut pour d'autres thèmes du domaine de la pensée. Précisons qu'entre le discours scientifique et le langage du sens commun Szasz choisit résolument ce dernier pôle. La démarche et la logique interne de sa réflexion 1'exigent. Afin de ne pas mal 1'interpréter, tout en respec
tant le sens de l'idée de nature humaine chez ce critique de la psychiatrie, mentionnons que partout où l'être humain existe, surgit le conflit à des degrés divers. Il a écrit
«que les hommes cherchaient constamment à s'influencer les uns les autres»1 de même que «les rapports humains ont originelle
ment un caractère conflictuel»2. Selon Szasz, l'idéologie dominante varie selon les époques. Au temps de l'Inquisition, le rapport de force s'inscrivait dans un cadre religieux. De nos jours, la science étant prédominante, l'on assiste à une utilisation de celle-ci à des fins idéologiques et politiques.
C'est ce que l'on nomme le scientisme.
Soulignons que déjà Freud s'est constamment efforcé, en conformité avec les différents courants intellectuels de son époque qui se voulaient scientifiques - ne pensons qu'à Darwin et à Marx -, de prétendre que la psychanalyse jouissait du statut de science. Or, selon Szasz :
Il semble que depuis la révolution freudienne, et plus particulièrement la Seconde Guerre mondiale, on ait découvert une formule «secrète» : pour avi
lir une personne, il suffit de la traiter de malade mentale et de qualifier sa conduite de psychopa
thologique .3
L'utilisation de la psychanalyse par les médias, la lit
térature et le cinéma a largement contribué à ce que le public en général l'emploie dans le quotidien. Aujourd'hui, la popu
lation en général, par quelques artifices de vocabulaire, en utilisant des mots tels que refoulement, surmoi, complexe d'Oedipe, etc. attente à la dignité de ceux avec lesquels elle entre en opposition. Ainsi, par la psychanalyse, la science intervient dans les relations conflictuelles entre les gens. En effet selon Szasz «nous tous, lorsque nous
Thomas SZASZ, Le mythe de la psychothérapie. Paris, Petite bibliothèque Payot, 1981, p. 34.
Roland JACCARD, «Une conception nouvelle du rôle de psychiatre», dans Réalités. juin 1977, p. 77.
3 Thomas SZASZ, Op. cit., p. 15.
rencontrons quelqu'un que nous n'aimons pas ou qui nous indis
pose, nous disons sans hésiter qu'il est fou ou névrosé; par
fois même nous disons qu'il est psychotique»4. Ainsi, la vie quotidienne contient une foule d'exemples où le désaccord teinte le comportement d'autrui d'appréciations psychia
triques. La grande majorité de ces qualificatifs n'implique pas de répercussions sérieuses pour ceux qui les reçoivent.
Toutefois, suite aux effets de certains conflits moraux ou sociaux, la personne et le psychiatre peuvent être en contact l'un avec l'autre.
1.2 PATIENT ET PSYCHIATRE
Le patient souffrant de troubles dits biologiques ne s'interroge généralement pas sur les orientations morales et politiques du médecin qui le soigne. La science, en tant que connaissance universelle, revêt le statut de neutralité.
Ainsi, le psychiatre, selon Szasz, en s'arrogeant le statut de médecin, emprunte 1'apparence de neutralité de ce dernier. Le psychiatre prend indûment la position d'un homme de science parfaitement «impartial» à l'égard des «maladies mentales»
dont il fait le «diagnostic» en ayant pour but la «guérison».
Toutefois, le psychiatre, devant deux parties en discorde, est toujours acquis à l'une d'elles. D'ailleurs, pour souligner 1'importance du conflit dans les relations sociales, chez celui que l'on qualifie de père de 1'antipsychiatrie, signa
lons que les termes de névrose et de psychose se définissent par rapport à cet élément. Ainsi «ceux qui souffrent de leur propre comportement et s'en plaignent sont d'habitude classés comme névrosés ; ceux dont le comportement fait souffrir les autres et dont on se plaint sont classés d'habitude comme des
4 Jacques MOUSSEAU, «Sur le mythe de la maladie mentale», dans Psychologie. avril 1977, p. 18.
psychotiques»5. En général, devant des conflits moraux ou sociaux sans grande importance, comme c'est souvent le cas en ce qui a trait aux «névroses», le psychiatre se range du côté des intérêts que le client croit être siens plutôt que de ceux de ses adversaires. Au contraire, en face de conflits moraux et sociaux importants, comme l'on en rencontre fréquemment dans les «psychoses», il va à 1 ' encontre des besoins du
«malade» comme celui-ci les perçoit (il prend plutôt pour les intérêts de l'autre pôle). «Toutefois, continue Szasz, dans l'un et l'autre cas le psychiatre dissimule sa partialité sous une prétendue neutralité thérapeutique, sans jamais se décla
rer l'allié ou 1'adversaire du malade»6. Alors, le masque de la science recouvre les aspects moraux et politiques de 1'ins
titution psychiatrique. Principalement dans les cas de psy
chose, l'entourage du «malade», officiellement intervient pour le bien de ce dernier en 1'internant contre sa volonté. De cette façon, le conflit et la responsabilité des parents, de l'épouse, de 1'employeur, etc. se trouvent déplacés vers le psychiatre. Ainsi, par les soins du médecin, c'est à 1'insti
tution médicale que le phénomène psychiatrique se trouve relé
gué. Si cette institution détient un pouvoir jugé trop impor
tant, il est bon d'en expliquer l'origine.
1.3 INSTITUTION ET CONTRÔLE
Beaucoup de ceux qui subordonnent l'État à 1'individu s'élèvent contre le pouvoir que 1'institution pratique sur la personne. Cependant, il importe de comprendre le mécanisme de la genèse du contrôle que peut exercer cette même institution.
Gérald MESSADIE, «La maladie mentale n'existerait pas», dans Science et vie, juin 1975, p. 53.
6 Roland JACCARD, «Thomas S. SZASZ : Un psychiatre contre la psychiatrie», dans Psychologie, décembre 1977, p. 11.
L'être humain est épris de liberté : réaliser des actions, prendre des décisions constituent des modèles qui nous sont proposés quotidiennement par les médias et notre environnement social. L'homme cherche la louange et la grati
fication qui accompagnent le choix judicieux. En contrepartie cependant, la responsabilité va de pair avec la liberté. Plus il y a de liberté, plus l'on retrouve de responsabilité.
«L'homme a toujours tenté d'accroître ses libertés, et de réduire sa responsabilité»7. Szasz constate que la joie pou
vant accompagner le pouvoir de faire le Bien peut être affectée par la culpabilité lorsque ce pouvoir a été utilisé pour faire le mal. Comment les êtres humains ont-ils tenté d'esquiver les aspects négatifs de la responsabilité? En général, il ont «transféré 1'exercice de leur liberté, et donc de leur responsabilité, au profit d'un agent extérieur»8. La religion, aussi loin que l'on remonte dans le temps, témoigne de ce phénomène. Les divinités sont pratiquement les seules à être douées de libre-arbitre et par conséquent de responsa
bilité. Même si, en général, les religions ont concédé à 1'humain une certaine marge d'autonomie, le principe énoncé précédemment prévaut quand même. Il arrive que l'on se sacrifie pour accomplir les volontés de Dieu. Encore plus souvent, l'on justifie le sacrifice des autres de cette façon : par exemple, les croisades religieuses, ou l'acte isolé d'un prétendu psychotique. Quoi qu'il en soit, les humains, suite à la culpabilité découlant des conséquences négatives de leurs actes - je me permets d'ajouter : suite à la réprobation, aux tensions et conflits avec leurs pairs, qu'entraîne toute décision d'importance - sont devenus, selon Szasz, des pantins soumis à des forces supérieures.
Thomas SZASZ, La théologie de la médecine : fondements politiques et philosophiques de l'éthique médicale.
Paris, Petite bibliothèque Payot, 1980, p. 11.
8 Ibid.. p. 12.
Graduellement, les religions ont perdu de leur pouvoir.
Cependant, les humains utilisent toujours des échappatoires pour minimiser la responsabilité de leurs actes. Au niveau politique, des guides permettent de se décharger de la respon
sabilité qu'entraînent de mauvaises décisions : pensons à Mao ou à Marx, il n'y a pas si longtemps. De même, les hommes, si l'on s'en tient aux exemples cités par Szasz, cherchent dans les écrits de Freud ou d'un Dr Spock la ligne de conduite qu'ils doivent adopter. La question qui se pose maintenant est celle qui consiste à savoir ceci : comment peut-on être sûr que 1'interprétation de telle ou telle ligne de conduite est la bonne? C'est ici qu'interviennent les interprètes, les experts. Pensons aux prêtres pour les époques antérieures, mais puisque nous sommes désormais dans une ère à idéologie scientifique et médicale, nous sommes à même de constater que la norme trouve régulièrement sa définition par 1'entremise du médecin, et plus particulièrement du psychiatre. Nous allons examiner le cas particulier du suicide pour illustrer ce pro
pos .
1.4 LE SUICIDE : L'INSTITUTION CONTRE L'INDIVIDU
Le problème du suicide illustre bien 1'idéologie des interprètes de ceux qui représentent les institutions. Szasz rapporte que 1'historienne de la médecine, liza Veith, remarque que c'est seulement pendant le XIXe siècle que le passage se fit de la conception religieuse à la conception médicale concernant le suicide. Avant cette période, les prêtres concevaient cet acte comme étant un péché et les juristes comme étant un crime. Au XIXe siècle, les médecins considèrent le suicide comme étant pratiquement toujours le résultat d'une pathologie émotionnelle. Qu'a-t-on bien pu découvrir qui soit à l'origine de cette transformation?
Selon Szasz, rien du tout. Il n'y a pas eu de découverte
scientifique prouvant que le suicide était une maladie : la science l'a décrété et classifié comme tel! D'ailleurs, toute la psychiatrie moderne, selon lui, repose sur la reclassifica
tion d'une multitude de comportements jusqu'alors décriés comme étant des péchés ou des crimes, pour les présenter sous l'apparence de maladies. Ce processus de reclassification sera abordé plus en détail lorsque nous toucherons la nature de la maladie mentale. Il y a donc eu modification de normes au XIXe siècle concernant le suicide. En effet, de nos jours, la science et la morale conçoivent l'acte consistant à s'enle
ver la vie comme relevant de la maladie. Selon Szasz, cette conception :
est au contraire erronée et hypocrite : erronée, car elle prétend traiter un acte à l'égal d'un évé
nement ; hypocrite, car elle permet aux psychiatres d'user et d'abuser de pouvoirs discrétionnaires sous couvert de soins et de traitements.9
Examinons donc chacun de ces deux aspects.
Donc, si scientifiquement aucune raison digne de ce nom ne justifie le qualificatif de maladie pour le suicide, ce dernier étant à un moment donné dans l'histoire considéré comme faisant partie de l'ordre du péché et/ou du crime, pour
quoi cette transposition aurait-t-elle eu lieu? En quoi et à qui serait-ce utile?
Voyons comment se formule une interprétation médicale de l'acte qui consiste à s'enlever la vie. Selon R. Shochet, qui était psychiatre à 1'Université du Maryland, «la dépression est un système pathologique grave combinant des caractères physiologiques et psychologiques, et [...] le suicide fait partie de ce syndrome»10. Malgré 1'attraction que peut exercer une semblable définition, Szasz maintient que le but de
9
10
Ibid.. p. 119.
Ibid.. p. 120.
celle-ci, vise «à justifier des interventions arbitraires sur de prétendus patients, et en particulier leur internement de force dans des hôpitaux psychiatriques»11. Que ce soit avec Shochet, pour qui 1'internement devient pleinement justifié pour des raisons de sécurité du patient, ou avec d'autres personnes autorisées comme Harvey M. Schein et Alan A. Stone, psychiatres à Harvard, il s'agit de «tout mettre en oeuvre»
dans le but d'éviter que le «patient» ait un agissement sui
cidaire qui résulterait de sa maladie.
D'autre part, concernant la définition médicale du sui
cide, ce qui selon Szasz est erroné, celui-ci utilise ici des concepts à consonance plus philosophique dans le but de démon
trer que quelque chose d'essentiel pour la personne disparaît avec cette intrusion dans ses choix. En effet, l'acte devient événement, ou si l'on préfère, les aspects désir et volonté du sujet se voient niés. Le comportement du patient résulte de causes antérieures. Bref, il y a déterminisme. La personne n'est plus responsable.
Mais quelle serait bien la raison pour laquelle, selon le professeur de Syracuse, les médecins seraient anti-suicide?
Sans doute parce que la raison d'être de la médecine est le maintien de la vie. En effet, selon notre auteur :
nous sommes tous naturellement portés à détester les gens qui remettent en question nos valeurs fondamentales. Ainsi le médecin réagit, inconsciemment peut-être (en ce sens qu'il ne for
mule peut-être pas le problème en ces termes) , envers le patient suicidaire comme si ce dernier l'avait provoqué, insulté, attaqué.12
Loc. cit.
12 Ibid., pp. 128 et 129.
Certains représentants d'Hypocrate s'abstiennent de prendre soin des suicidaires. Par contre, les autres inter
viennent .
Certains médecins qui volontairement ne s'occupent pas des suicidaires agissent de la sorte, parce que pour eux, cet acte représente une «menace existentielle». Être témoin de 1'autodestruction d'un patient peut introduire le doute con
cernant la valeur de la vie et par conséquent des actes qu'ils posent pour la préserver.
Par contre, des praticiens aident non seulement les patients ayant demandé du support, mais tous ceux qui auraient des volontés suicidaires concrètes ou appréhendées.
Pour eux aussi, le suicide est une menace pour leur système de valeurs. Ils veulent se défendre et pour ce, tous les moyens sont bons, y compris la «force et la ruse». «Ce qui fait que les rapports entre le médecin et le patient se résument à un conflit de pouvoir»13. Nous voici à nouveau au coeur du phéno
mène psychiatrique, là ou règne le conflit. Pour Szasz, «il est vrai que la plupart des gens qui menacent ou qui tentent de se suicider ne veulent pas mourir, mais qu'ils tentent par ce moyen d'exercer plus de contrôle sur leur entourage»14. Il n'en reste pas moins, toujours selon notre auteur, qu'un bon nombre de personnes qui se suicident désiraient mourir. En ce sens, le patient fait preuve d'honnêteté, car l'acte d'auto
destruction demeure l'expression de son libre-arbitre dans la conduite de son destin. Par contre, en ce qui a trait au psychiatre, il y a malhonnêteté : officiellement, il n'agi
rait que pour le bien du patient; en réalité, son comportement a pour but d'éviter de douter de la valeur de son existence.
13
14
Ibid.. p. 130.
Thomas SZASZ, «La psychiatrie est devenue une religion», dans Psychologie. décembre 1975, p. 57.
Finalement, les juristes et les magistrats abondent dans le même sens que les psychiatres. Ainsi, R.E. Schulman - à la fois avocat et psychologue - postule que le droit au suicide ne peut se défendre. L'essentiel de sa pensée peut se formu
ler dans les termes suivants - en Occident, personne n'aurait l'audace d'affirmer que les gens doivent être libres de se suicider, lorsqu'ils n'accordent plus de valeur à leur vie, sans que quelqu'un essaie d'intervenir dans le but d'empêcher cet acte.- Selon notre critique de la psychiatrie, chez Shulman, la base du problème peut être fausse, car il se peut que le suicidaire «juge insupportable les conditions imposées à sa vie, et qu'en conséquence il estime plus digne d'y mettre fin au lieu de continuer à s'y soumettre»15. Cette remarque nécessaire étant faite, avec ces exemples, nous sommes à même de constater que l'État - par ses parties importantes, soit le domaine de la santé, les juristes et les magistrats - s'impose à la personne. Ainsi, 1'institution entre en conflit avec 1'individu, pour le bien de ce dernier, celui-ci n'étant plus responsable à ses yeux de sa décision de mourir. Il est main
tenant temps d'exposer comment 1'originalité de Szasz s'exprime dans la résolution du conflit entre la médecine et 1'individu.
1.5 RAPPORT ÉGLISE-ÉTAT ET MÉDECINE-ÉTAT
Les différentes créations de 1'humain peuvent être à son service, comme au contraire elles peuvent se retourner contre lui. Voilà pourquoi, graduellement, au cours de 1'histoire, des efforts collectifs furent réalisés dans le but d'empêcher que des institutions définissent les notions de Bien et de Mal tout en exerçant le Pouvoir. Par exemple, le législateur américain, par le Premier Amendement à la Constitution des
15 Thomas SZASZ, Op. cit., p. 123.
États-Unis, garantit qu'il n'y aura pas de loi qui permettra à une religion d'être institutionnelle, ni par contre qu'une religion, quelle qu'elle soit, ne soit interdite.
Dans un même ordre d'idées, selon Szasz, aux États-Unis, les législateurs ne permettraient pas qu'une confession reli
gieuse use de la force pour soulager les souffrances existen
tielles d'une personne, même si cela s'avérait bénéfique pour celle-ci.
Dans ce cas, comment la psychiatrie a-t-elle pu réussir à s'imposer de force à des «clients», contrairement à la reli
gion? D'après le psychiatre de Syracuse, la médecine a opéré un viol de notre vocabulaire, ce qui, à son avis a contribué à voiler nos «systèmes de références». Il y a eu aussi per
version de nos idéaux et de plus, corruption des institutions qui devaient nous protéger de «bienfaiteurs trop puissants».
Jadis, les noirs subirent ces procédés. Maintenant nous en faisons tous les frais, sans égards à la race ou à la reli
gion.
En ce qui a trait à 1'esclavage des noirs, ces derniers étaient entre autres reconnus en tant que bétail plutôt que comme des humains. Toutefois, alors que les artifices lin
guistiques concernant 1'esclavage sont devenus inutiles, il n'en est pas de même pour la psychiatrie. En effet, cette discipline camoufle un pouvoir arbitraire en internant 1'indi
vidu sans son consentement; ce qui devient un emprisonnement.
La personne, toujours à l'encontre de sa volonté, doit jouer le rôle de patient. De plus, les traitements, comme les électrochocs et la lobotomie pratiqués dans un même contexte, se classent dans la catégorie de la torture plutôt que dans celle de la thérapie. Si ce que Szasz souligne ici a pu nous échapper, cela est sans aucun doute dû à la capacité du dis
cours de modifier la perception des faits.
Les relations de pouvoir s'exercent principalement par le langage. Le discours scientifique tend à expliquer un fait, alors que celui de la morale vise à justifier un acte. Toute
fois, dans la vie de tous les jours, cette distinction est confuse et il semble que la souffrance des gens suffise pour qu'ils soient catalogués comme patients. Auparavant, la notion de péché était omniprésente, maintenant le concept de maladie devient la tare universelle... «voilà pourquoi nous sommes tous, hommes, femmes et enfants, devenus, bon gré mal gré, les patients/pènitents de nos prêtres/médecins [...] et au-dessus de tous plane 1'autorité de l'Eglise, l'Église de la Médecine s'entend»16. Nous sommes à même de constater 1'analo
gie chez Szasz entre la médecine et la religion. Chez celui- ci, il y a un parallèle entre la liberté fondamentale effec
tive ou non de recevoir ou de repousser les avances de ces deux disciplines. Lorsque les valeurs de la religion se trou
vent au-dessus des libertés individuelles, il en résulte quasi nécessairement une réunion des pouvoirs temporels et spiri
tuels et au besoin, l'État utilisera la force dans le but d'imposer la religion de son choix. Szasz poursuit le paral
lèle et apporte un élément nouveau en affirmant qu'advenant la suprématie des valeurs médicales sur les libertés indivi
duelles, il en découlera une communauté de pouvoirs entre l'État et le Secteur de la santé.
Malgré 1'innovation historique des Pères de la Constitu
tion américaine, il va de soi que ceux-ci valorisaient la libre pratique religieuse ainsi que 1'épanouissement de tous ses idéaux. Dans un même ordre d'idées, ce qui inspire Szasz, c'est «un profond respect pour une médecine librement pra
tiquée, et tout entière consacrée aux soins des corps (ainsi que des esprits), lorsqu'(il) demande que les praticiens
16 Ibid.. p. 21.
0Λ
scientifique et leur compétence technique. Cela suffit pour que leur charge soit acquittée correctement.
Par ailleurs, le psychiatre de Syracuse s'empresse d'ajouter qu'il accepte évidemment les percées de la science médicale dans les domaines du diagnostic et de la thérapeu
tique. La distinction qu'il s'agit de faire devient visible lorsque l'on compare la soutane du prêtre et la blouse stérile du médecin ou encore, le divan du psychanalyste et le bistouri du chirurgien. L'histoire défile, mais les peuples tendent toujours à investir des agents de pouvoirs factices : «Autre
fois ils se rendaient victimes des prêtres en leur attribuant des pouvoirs médicaux [. . . ] à présent ils se mettent sous la coupe des médecins en leur attribuant des pouvoirs magiques»18.
Auparavant les Pères de la Constitution américaine devant le danger de l'union Église-État, érigèrent un mur entre ces deux institutions à l'aide du Premier Amendement. Szasz propose qu'un mur soit aussi érigé entre la médecine et l'État dans le but d'enrayer les abus du domaine médical.
17
18
Ibid.. pp. 22 et 23.
Ibid., p. 24.
AUTHENTICITÉ, HUMANISME ET AUTONOMIE
2.1 PSYCHIATRIE ET RHÉTORIQUE
Pour ne mentionner que la tradition occidentale, les efforts manifestés pour la rigueur et la vérité dans le lan
gage remontent fort probablement aussi loin que 1'expression de la pensée elle-même. Par contre, la tendance opposée de l'humain, qui consiste à exercer une domination sur ses sem
blables par la manipulation du langage, semble tout aussi ancienne. Selon Szasz, les «prétendues sciences du comporte
ment», incluant en premier lieu la psychiatrie, corrompent le langage et même si elles passent pour des alliées aux yeux de la population, elles représentent de fait 1'ennemi à démas
quer. Parce que la psychiatrie se fonde sur une «définition arbitraire de la santé et de la maladie mentale», elle est probablement la plus redoutable d'entre elles, car elle est à même de contraindre et de manipuler un nombre de plus en plus grand de personnes.
répondre à cette question, voyons de plus près les institu
tions totalitaires. Par cette expression, Szasz entend ici les prisons, «les camps de lavage de cerveau» ainsi que les institutions psychiatriques. La différence entre la prison et ces dernières peut se distinguer par 1'«honnêteté et le men
songe». Évidemment, la prison n'est pas reconnue pour sa philanthropie. Toutefois, cette institution a au moins la franchise de dire la raison de 1'internement, le mode de com
portement à adopter ainsi que la durée de la peine à purger.
À l'opposé, 1'institution psychiatrique ne révèle pas au malade la «raison de son internement». De même, les autorités ne lui disent pas comment se comporter, ni les critères objec
tifs qui détermineront sa sortie. Celle-ci dépendra du juge
ment du personnel sur la modification de sa personnalité. Des conflits d'intérêt existent donc entre personnel et pension
naires. Toutefois, la psychiatrie masque 1'oppression sous des airs de «bienveillance à l'égard des patients». Ainsi, 1'internement forcé se fait sous le couvert de mots tels que
«"patient", "hôpital", et "traitement" au lieu de "interné",
"prison", "asile" et "punition"»1. L'appellation «traite
ments», selon Szasz, illustre bien le mensonge puisque ceux-ci sont des exemples de violence, voire de brutalité et d'ineffi
cacité . Citons la lobotomie, la convulsothérapie provoquée par insuline, métrazol ou électrochoc et, depuis peu les cami
soles chimiques. L'observateur constatera une marge impor
tante entre les intentions déclarées par la psychiatrie - des soins qui sont prescrits pour le bien des patients - et le peu de résultats obtenus, voire des effets négatifs des différents traitements, en plus des stigmates qui accompagnent le dia
gnostic. Nous nous trouvons ici face à une contradiction et
1
Thomas SZASZ, La loi, la liberté et la psychiatrie.Paris, Payot, 1977, p. 80.
Szasz résout celle-ci avec toute la force que le sens commun comporte. Entre l'objectif officiel de la psychiatrie et le bilan enregistré, voyons ce pour quoi Szasz opte.
Déjà, 1'enfant insiste sur ce que le parent a dit pour satisfaire ses besoins et désirs. Le sens commun du jeune humain sait reconnaître lorsqu'il y a une différence entre ce qui est dit et ce qui est fait. Par la suite, chacun jugera une personne ou un système politique par ses actes plutôt que par ses idéaux officiels. Le domaine de la science n'échappe pas au proverbe qui dit que l'on doit juger un arbre à ses fruits, comme on peut le constater lorsque Szasz cite Einstein : «Si vous voulez, vous adressant au physicien qui fait de la physique théorique, découvrir quelle est la méthode qu'il utilise, je vous conseille de vous en tenir étroitement à ce principe : N'écoutez pas ce qu'il dit, fixez votre atten
tion sur ce qu'il fait»2. Ce principe conviendra tout autant à la psychiatrie et pourra nous guider lorsque malgré sa coer
cition son langage nous la présente sous des apparences de pratique humaniste.
2.2 LA NATURE DE L'HUMANISME, SELON SZASZ
De nos jours, et plus particulièrement au moment où Szasz publiait les ouvrages qui le firent connaître - les années soixante et soixante-dix -, tous les courants d'idées se rat
tachaient à l'humanisme. Ne prenons pour exemples que 1'huma
nisme scientifique, l'humanisme chrétien. Des grands courants philosophiques comme 1'existentialisme de Sartre et le marxisme se réclamaient également de 1'humanisme. Bref, une chose est certaine, 1'immense majorité des penseurs ne s'est jamais accolée l'étiquette d'être anti-humaniste. Considérant
2 EINSTEIN (1933) , p. 30, cité par Thomas SZASZ, dans Le mythe de la maladie mentale. Paris, Payot, 1975, p. 22.
un tel phénomène, l'auteur de nombreux travaux critiquant la psychiatrie s'est donné la tâche de reformuler une définition plus «claire et intelligible» de ce concept.
Pour ce faire, Szasz remonte aux sources en reconsidérant les humanistes du passé soit ceux d'Athènes et de Rome. Ceux- ci ont en commun «un souci constant du langage, qui se mani
festait dans une double recherche : celle de la liberté d'abord - le discours devait être clair et maniable - puis celle de la mesure, au prix d'un usage ascétiquement rigoureux du Verbe»3. À Rome, Sénèque affirmait Homo res sacra homini (l'homme est une chose sacrée pour l'homme) et sa vie fut consacrée à combattre la démagogie par un «discours simple et clair». L'humanisme de l'âge moderne poursuit cette tradition en déclarant que «ce qui se conçoit bien s'énonce clairement».
Bref, les humanistes de 1'époque classique ou de la Renais
sance défendirent la liberté de l'homme et sa dignité à l'aide d'un langage «"honnête" et discipliné»; et Szasz est d'avis que les humanistes de notre époque doivent redonner au langage 1'importance qu'il avait aux périodes ci-haut mentionnées et combattre sur les fronts où se jouent les enjeux véritables.
La vigilance s'impose. L'optique de notre auteur est celle des rapports d'influence, des conflits et des combats où la ruse, la supercherie et les subtilités sont monnaie cou
rante. Le concept de maladie mentale s'inscrit dans ce con
texte et les humanistes contemporains, qui ont 1'habitude de défendre les droits des opprimés, défendent actuellement «les droits des malades mentaux». Ce faisant, ils font fausse route. Car ces défenseurs, en utilisant à leur tour les ter
mes de malade mental, d'homosexuel, etc. (il n'est pas ques
tion ici du processus judiciaire et du rôle des étiquettes
Thomas SZASZ, La théologie de la médecine: fondements politiques et philosophiques de l'éthique médicale.
Paris, P.B.P., 1980, pp., 145 et 146.
3
dans les cas de criminalité), contribuent à ancrer davantage une étiquette que ces gens se font involontairement accoler.
L'aide véritable, selon Szasz, devient celle qui assiste les marginaux dans leur droit à refuser ces qualificatifs arbitraires. Cette dernière attitude permettra d'accroître 1 ' autonomie des diverses minorités opprimées et des soi-disant malades mentaux.
2.3 L'AUTONOMIE COMME RÉSULTAT DE LA RELATION PSYCHIATRE PATIENT
La fraude et le mensonge que l'on vient d'examiner sous quelques aspects constituent les ingrédients d'une relation de domination et de pouvoir. Revenir à des valeurs éprouvées de respect de la personne par un humanisme authentique est la tâche que se donne Thomas Szasz. Pour arriver à bien conce
voir le rôle du psychiatre proposé par notre auteur, considé
rons d'abord la raison d'être du rapport thérapeute-patient : le symptôme psychiatrique.
En premier lieu, conformément à l'usage courant, Szasz utilise le terme symptôme pour désigner «ideas, feelings, inclinations, and actions that are considered undesirables, involuntary, or alien»4. Toutefois, comme l'objet de notre étude est le phénomène psychiatrique prenant la forme du con
flit humain, il est de bon ton de poser la question - telle que Szasz le fait : par qui tel phénomène se voit-il qualifier de symptôme? Qui juge qui? Cette qualification peut résulter d'autrui ou du sujet lui-même. Ainsi, il arrive qu'un indi
vidu juge sa conduite convenable alors que sa parenté, par exemple, la considérera symptomatique. Szasz ne retient que
Thomas SZASZ, The Ethics of Psychoanalysis, pp. 13-18, cité par Richard E. VATZ and Lee S. WEINBERG, dans Thomas Szasz : Primary Values and Maior Contentions. Buffalo, Prometheus Books, 1983, p. 52.
4
la situation où le client évalue certains aspects de son com
portement comme étant symptomatiques ou du moins lorsqu'il sera d'accord avec un tel jugement quand il sera porté par autrui.
Le sujet peut reconnaître que des manifestations de son comportement relèvent du symptôme. Or, dans le but de bien comprendre ce que Szasz propose comme modèle de la relation psychiatre-patient, examinons ce qu'ont en commun les «symp
tômes psychiatriques».
Que l'on aborde l'hystérique qui ne peut parler ou agir, le phobique qui «doit éviter de toucher différents objets», ne pas aller dans la rue, l'obsessif-compulsif qui revérifie ses actes ou pratique des rituels, 1'hypocondriaque qui ne cesse d'accorder de l'attention à sa santé, comme le paranoïde à ses persécuteurs et le schizophrène à ses rêves éveillés, 1'élément qui se trouve en chacune de ces manifestations se reconnaît donc à son aspect plus ou moins involontaire. La personne n'a pas le choix d'agir comme elle le fait. Nous voilà donc à même de comprendre que le pourquoi de la psycho
thérapie résidera dans la libération du patient.
Avant Freud, les psychothérapies étaient de nature répressive. Avec lui, la thérapie visait, même si, selon Szasz, cela n'a jamais été clairement exprimé, à augmenter la capacité de choix du patient et ainsi sa liberté et sa respon
sabilité. Une certaine évolution de la volonté d'affranchis
sement peut être distinguée chez Freud. Au départ, le but du psychanalyste était «de libérer le patient de 1'influence maladive de souvenirs traumatisants». Par la suite, comme la névrose s'exprimait en grande partie par des inhibitions, 1'analyse devait donc rendre le patient plus «spontané et créateur». Après le décès de Freud, vu que le mot névrose signifiait «inconsciemment déterminé et comportement
stéréotypé», 1'analyse avait pour but la conduite avec des choix conscients. Dans les années 1960-70, du point de vue psychanalytique, le concept de normalité coïncide avec celui de liberté. Szasz donne toutefois un contenu spécifique à cette notion de liberté : 1'autonomie.
Aider le patient à se libérer; voilà le but de Szasz dans la relation psychiatre-patient. Celui-ci étoffe davantage le sens à donner à cette relation et ce faisant, nous voilà en mesure de présenter sa valeur fondamentale, 1'autonomie. Pour mieux comprendre cette notion, voyons comment elle se définit.
Être autonome,
«c'est être libre de se développer - d'accroître ses connaissances, d'améliorer ses capacités et de pouvoir être responsable de sa conduite. C'est être libre, aussi, de mener sa propre vie, de choi
sir parmi différentes alternatives sans porter pré
judice aux actions d'autrui»5.
En effet, comme on l'a constaté antérieurement, Szasz reconnaît les antagonismes et fait même reposer sa conception des rapports humains sur le conflit interpersonnel au niveau individuel et social. Évidemment, selon lui, il s'agit de proposer une solution à cet état de fait. Le choix de l'auto
nomie comme modèle de comportement réalise d'autant plus cet objectif qu'elle ne porte pas atteinte à l'autre.
La notion de liberté dans 1 ' analyse trouve son sens con
cret dans le modèle que fournit 1'analyste à 1'analysé. Avant de rencontrer le psychothérapeute, le patient est engagé dans les relations bien réelles avec les membres de la famille dont il est issu, celle dont il est le père ou mari, son employeur, ses créanciers, etc. L'analysé se sent court-circuìté non pas
5 Thomas SZASZ, L'Éthique de la psychanalyse. Paris, Payot, 1976, p. 31.
ses créanciers, etc. L'analysé se sent court-circuité non pas tant par la «structure interne de sa personnalité» que par des gens concrets.
L'analyste, s'il pratique une psychothérapie autonome, ne doit pas encourager le patient à se rebeller contre les gens qui le contraignent, mais laisser au patient «la liberté absolue de supporter, de modifier ou de rompre toute relation donnée»6.
De cette manière, la relation thérapeutique servira d'exemple au patient qui expérimentera la prise de décision.
Le fait d'effectuer un choix relève donc d'une «guérison» au sens moral plutôt que médical. L'analysé découvrira qu'un accroissement de liberté s'effectuera par une plus grande connaissance de soi, une responsabilisation de ses choix et en agissant pour réaliser ses décisions. De cette manière, 1'analyste ne «veut pas le bien» du patient. Il laisse plutôt celui-ci décider dans quelle direction il doit agir. De plus, la conséquence principale du rapport thérapeute-patient, dans une perspective d'autonomie, inverse l'effet habituel des relations de conflit ou l'une des parties dépend de l'autre.
Selon cette thérapie, 1'analysé demeure maître de ses choix et laisse à autrui cette même possibilité.
6 Ibid.. p. 33.
MÉDICALISATION DES COMPORTEMENTS DÉVIANTS LIBREMENT CHOISIS
3.1 DÉVIATIONS EN TANT QUE MANIFESTATIONS DE DÉTERMINISMES
Quel que soit le niveau où le pouvoir s'exerce dans la société, généralement, les personnes à ces différentes ins
tances cherchent à en obtenir davantage. Dans ce but, leur préférence va vers la reconnaissance de l'obéissance comme valeur à développer. Comme corollaire de cette attitude, les dirigeants ne favorisent pas l'autonomie, la maîtrise de soi.
En effet, ceux qui se maîtrisent eux-mêmes s'autosuffisent.
Il n'y a plus alors de justification pour que le contrôle vienne d'ailleurs. L'existence des dirigeants par ce fait deviendrait inutile.
Ainsi, dans nos sociétés nord-américaines, à certaines époques, la tendance des législateurs consiste à se ranger du côté du groupe plutôt que de celui de 1' individu et à considé
rer 1'individu comme irresponsable, victime de son mauvais entourage, de ses pulsions irrésistibles. Dans cette optique,
il n'y a qu'un pas et celui-ci est allègrement franchi quand la société bureaucratique, par le biais de la psychiatrie, médicalise des comportements librement choisis. En effet, des déviations sont vues comme des maladies mentales ou des symp
tômes de maladie mentale. Dans ces circonstances, la personne se voit déniée la possibilité de choix et la responsabilité de ses actes. La société aura tendance à la protéger contre elle-même, elle ira même jusqu'à la soigner sans son consente
ment. Examinons quelques-unes de ces déviations afin d'être plus en mesure de cerner 1'ampleur des effets d'une certaine conception de l'être humain qui justifie la médicalisation des comportements hors normes.
3.2 CRIMINALITÉ
Dans 1'optique szaszienne, lorsqu'il n'y a pas d'actes obligés par la force, il y a lieu de croire que le comporte
ment résulte d'un libre choix. Cette façon de concevoir s'ap
plique aussi aux actes que l'on qualifie de criminels. Même si ces façons de se comporter semblent «mystérieuses» ou «inhabi
tuelles», elles n'ont pas à être qualifiées de maladie. Szasz s'élève contre la conception qui remplacerait le libre arbitre par le lavage de cerveau en tant que cause des comportements.
Concernant les comportements criminels associés à ce que les médias nomment sectes religieuses ou organisations politi
ques, il n'est plus de mise de se demander si la personne a réellement commis le crime ou non. Il devient de plus en plus à la mode d'entendre des gens demander s'il y a eu ou non lavage de cerveau.