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Proposition pour une politique migratoire renouvelée

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Academic year: 2022

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Proposition pour une politique migratoire renouvelée

Fondée sur quatre piliers – définition, orientations politiques, révolution institutionnelle, construction du débat – cette contribution présente les axes structurants permettant de construire une approche renouvelée de la politique migratoire de la France.

1. Une question de définition

Les débats, discours et politiques relatifs aux migrations ont progressivement quitté le champ de l’humanité pour gagner celui des chiffres et de statuts administratifs. Désormais, la boussole politique est définie par un discours chiffré et « statistifié » qui enferme la personne dans un groupe indéfini, préférablement large et menaçant. Par ailleurs, la personne n’est plus saisie dans son individualité et sa spécificité mais au travers d’un statut administratif qui lui accorde des droits, plus ou moins étendus en fonction de ce statut.

Au fond, la rhétorique et la politique migratoire se sont considérablement appauvries. A la complexité d’un phénomène qui prend sa source dans une multitude de causes, indépendantes ou liées, et abouti à une décision propre à chaque individu dans un contexte à chaque fois différent, s’est substituée une approche faisant de la migration un objet abstrait, simplifié et déshumanisé.

Proposer une approche renouvelée de la politique migratoire impose de donner une définition nouvelle de la migration qui correspond à sa réalité et permet de poser les fondements d’une réponse politique adaptée. Aussi, nous proposons de fonder la politique migratoire sur la définition du professeur canadien François Crépeau selon laquelle « La migration est un voyage à la recherche de la dignité ».

Qu’il s’agisse du paysan qui ne peut plus exploiter ses terres, de la personne qui fuit des persécutions, de l’étudiant, du travailleur saisonnier ou hautement qualifié, du membre de la famille, etc. chacun et chacune entreprend un parcours migratoire pour accéder à un degré plus élevé de dignité pour soi, sa famille et ses enfants.

Reconnaître que la migration est un voyage à la recherche de la dignité revient à proposer un changement de regard, à individualiser la migration et à définir une réponse politique fondée sur le principe de dignité.

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2. Une politique renouvelée

Quelle est la politique de la France en matière d’asile et d’immigration ? La réponse est malheureusement simple, elle n’en a plus. Depuis le milieu des années 70, et l’annonce de l’arrêt de l’immigration de travail, qui ne s‘est jamais traduite dans les faits, les gouvernements successifs ont abandonné toute réflexion sur un projet politique d’ensemble.

La « frénésie législative » qui s’est emparée du pays depuis les années 80 a renforcé ce mouvement. Grosso modo, à chaque nouveau gouvernement – par choix ou opportunité politique – a correspondu une loi nouvelle sur l’immigration. De fait, le droit des étrangers en France, inscrit dans le CESEDA, est désormais un agrégat de règles adoptées à des fins et des périodes différentes. En outre, et de manière tendancielle, chaque nouvelle législation a concouru à une limitation systématique des droits accordés et reconnus aux étrangers. De l’entrée sur le territoire au droit d’asile en passant par le regroupement familial, peu de domaines ont échappé à ce phénomène de durcissement.

De manière plus profonde encore, la « politique migratoire » s’est durablement structurée autour de la logique du contrôle toujours plus important des frontières et de la contrainte toujours plus forte sur les personnes. Ce phénomène a du reste trouvé un écho décuplé au niveau européen où, depuis 2015, la question du contrôle des frontières et de l’éloignement des personnes en situation irrégulière a désormais vampirisé l’agenda politique et législatif.

Ce constat posé, il importe désormais de proposer les piliers de la réflexion qui doivent structurer la rénovation de la politique migratoire de la France.

Les principes

Il n’y a pas de politique forte sans fondements solides. La politique migratoire, parce qu’elle concerne l’être humain dans sa singularité, son intimité et sa vulnérabilité, doit être fondée sur le respect absolu de la dignité et des droits humains. Par ailleurs, ce respect absolu ne peut être garanti qu’à la condition de construire un système pleinement respectueux de l’État de droit. Dignité, garantie des droits humains et respect de l’État de droit sont les principes fondamentaux sur lesquels la politique migratoire doit être construite.

Les objectifs

A ceux qui veulent au mieux limiter, au pire stopper, l’immigration, doit être opposée la volonté politique d’organiser la migration. S’inscrivant dans les objectifs définis par la communauté internationale dans la Pacte de Marrakech, la politique doit promouvoir des migrations sûres, ordonnées et régulières. Cela revient à inverser le logiciel actuel articulé sur la logique du contrôle et à mettre en œuvre politique ouverte dont les axes prioritaires reposeront sur l’intégration des personnes et des relations approfondies et ouvertes avec les pays tiers.

Il faut se départir de la logique policière et sécuritaire et proposer une projet politique fondé sur l’accueil, l’accompagnement et la concertation. Cela induit de privilégier la construction d’une politique prenant pour base non pas la frontière mais ayant pour objectif l’intégration

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des personnes dans la société d’accueil. Il y a une différence de nature profonde entre une politique qui s’appuie sur la frontière pour contrôler voire repousser les personnes et une politique fondée sur l’intégration pour accueillir et accompagner les personnes au regard de leurs besoins.

L’intégration, ou l’hospitalité, ne rime pas nécessairement avec droit absolu d’entrer et de séjourner. Elle induit l’existence de règles qui structurent un processus, de l’autorisation d’entrée à l’intégration, autour d’une finalité précise, l’inclusion des personnes dans la société d’accueil. Une telle politique invite ainsi à construire une pensée téléologique où les pratiques sont confrontées à leurs effets sur l’intégration. C’est le cas par exemple de la rétention qui, par sa nature et sa violence, peut avoir des effets négatifs sur les capacités d’intégration future des personnes et être alors considérée différemment.

Par ailleurs, privilégier une politique fondée sur l’intégration suppose d’organiser et de renforcer les mesures et dispositifs d’accompagnement des personnes. C’est en somme doter la politique des moyens adaptés au regard du premier accueil, de l’hébergement, du logement, de l’accès aux soins, de l’éducation, de la formation professionnelle, de l’accès à l’emploi, de l’accès à la culture, du regroupement familial, etc.

Quant à la dimension externe de la politique, il importe de ne pas confondre relation avec les pays tiers et externalisation des politiques migratoires. Si les relations avec les pays tiers sont une évidence dès lors que l’on parle de migrations, c’est-à-dire d’un rapport entre pays et leurs ressortissants, la logique européenne d’externalisation des politiques de contrôle vers des pays tiers est une impasse.

Si la migration constitue un « problème » pour de nombreux décideurs européens, ce n’est pas nécessairement le cas pour des décideurs d’autres régions du monde. Au contraire, la migration peut constituer une opportunité pour des acteurs publics ou privés. C’est le cas par exemple des envois de fonds privés qui constituent une source de revenus très importante dans les pays d’origine. Aussi, plutôt que de chercher à imposer un modèle qui a peu de chances de réussir, les États devraient poser les bases d’un dialogue et d’une relation de fond sur la migration avec les pays tiers. Autrement dit, les États européens devraient être à l’écoute pour dessiner les voies d’une coopération concertée et acceptée entre partenaires.

La bonne échelle de temps et d’espace

Le fait migratoire préempte l’espace médiatique et politique. Aux images qui agissent comme un effet de loupe déformante et anxiogène, répondent des actions et propositions dictées par la circonstance. Or, la question migratoire impose un traitement en profondeur qui doit dépasser le domaine de l’instant et de l’émotion.

A l’instar des politiques environnementales, elle doit être conçue et construite sur le moyen et long terme. S’interroger sur la politique migratoire invite à s’interroger sur les formes que prendra la mobilité humaine à l’échelle planétaire dans les décennies à venir, sur les facteurs qui mettront les hommes, les femmes et les enfants en mouvement, sur les dynamiques démographiques qui animeront les mobilités, sur la manière dont l’urbanisation modèlera les migrations, sur les nouveaux modes de déplacements, sur l’incidence du climat dans les

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migrations internes et internationales, etc. En deux mots, la réflexion doit s’inscrire dans le long terme et dans une approche pluridimensionnelle.

Cette dimension temporelle doit être accompagnée d’une approche spatiale pertinente. Pour le dire simplement, la dimension européenne de cette matière doit constituer une priorité.

D’une part, et si l’on souhaite le maintien de l’espace Schengen, toute réflexion portant sur une politique migratoire strictement nationale est vaine, si ce n’est absurde. En effet, la création et l’approfondissement de l’espace sans contrôles aux frontières intérieures appelle une harmonisation renforcée, voire une intégration, des politiques d’asile et d’immigration des États membres.

La réflexion politique doit donc nécessairement porter sur les migrations vers et dans l’Union européenne. La voie ouverte en 1999 à Tampere par les chefs d’État ou de gouvernement et confirmée par le traité de Lisbonne en 2009 doit être relancée avec vigueur et ambition. Il s’agit d’établir à l’échelle du continent une « politique commune » de l’asile et de l’immigration fondée sur les principes et valeurs communes aux États membres.

Cette ambition renouvelée, fondée sur une politique prônant l’intégration plutôt que le contrôle peut être partagée avec les partenaires européens. Le nouvel accord de coalition allemand offre une opportunité sans précédent de bâtir ce nouveau modèle. En effet, l’accord de coalition propose un « changement de paradigme » en matière d’intégration, de migration et de réfugiés. A cette opportunité s’ajoute la signature du traité du Quirinal le 26 novembre 2021 qui renforce la coopération entre la France et l’Italie notamment sur les politiques migratoires.

Un axe Berlin-Rome-Paris pourrait émerger et s’articuler sur la réorientation de la politique migratoire européenne d’asile et d’immigration fondée sur le respect des droits, l’État de droit, une meilleure prise en compte de l’intégration des migrants mais aussi sur la solidarité entre partenaires.

3. Une révolution institutionnelle

L’approche renouvelée de la politique migratoire doit être accompagnée d’une révolution institutionnelle. Le traitement de la question migratoire par le ministère de l’Intérieur, et donc par l’unique prisme de la sécurité intérieure, a conduit la politique dans une impasse.

La personne du migrant est traitée du point de vue de la sécurité intérieure, il ou elle est potentiellement une menace. De manière générale, et depuis plusieurs décennies, la question migratoire est abordée au même niveau que celui de la lutte contre la grande criminalité, le grand banditisme, le trafic de drogue ou encore le terrorisme… Le discours actuel mêlant sans soucis d’analyse migrants, criminels et terroristes trouve sa source dans cette construction intellectuelle et institutionnelle.

Ensuite, l’approche « ministère de l’Intérieur » empêche de concevoir le phénomène migratoire dans sa globalité. Focalisé sur la frontière et sa protection, la politique migratoire est rétrécie, voire borgne. Elle ignore tout ce qui se passe en amont de la frontière et ne

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considère pas ce qui doit être mis en œuvre une fois la frontière franchie et les personnes installées.

Or, la politique migratoire figure au rang des politiques transversales par excellence. En amont, le phénomène migratoire commence au-delà de nos frontières nationales et européennes et relève de la politique étrangère. Il peut par ailleurs convoquer les questions de climat pour ce qui est des migrations liées au changement climatique. Si le parcours migratoire implique nécessairement le franchissement d’une frontière et justifie la mobilisation du ministre de l’Intérieur, il se poursuit longtemps sur le territoire d’accueil. En aval, ce sont donc l’ensemble des ministères liées à l’intégration et à l’inclusion sociale qui entrent en action et organisent l’accompagnement.

On l’aura compris, le ministre responsable pour toute la question migratoire est en réalité celui qui prend une part, certes importante, mais limitée dans le parcours migratoire, le franchissement de la frontière. Les causes des migrations tout autant que l’accompagnement de ces dernières dans la société d’accueil passent au second plan. Au fond, confier la gestion des migrations au ministère de l’Intérieur équivaut à cultiver un jardin muni d’une pelle et un arrosoir sans prendre en considération l’incidence des saisons, l’orientation de la parcelle, la qualité des espèces, leurs interactions, etc…

Et pourtant, cela fait des décennies que les États européens, et la France en particulier, s’enferrent à attribuer la gestion de ce dossier au ministère de l’Intérieur sans que les résultats promis par les gouvernements successifs soient atteints. Chaque ministre de l’Intérieur promet qu’il fera mieux que son prédécesseur et rien n’y fait. Pire, sous l’inspiration de Nicolas Sarkozy, la France a connu une concentration du traitement administratif des questions migratoires avec un regroupement sans précédent des services antérieurement logés aux Affaires étrangères et aux Affaire sociales sous l’autorité de l’Intérieur.

Le pilotage politique de l’asile et de l’immigration doit quitter le siège de l’Intérieur et être confié à une autorité ministérielle ayant compétence pour couvrir le thème dans sa transversalité. Plusieurs options sont sur la table.

Option haute, confier le dossier au Premier Ministre. Si la question est humainement et politiquement sensible et couvre de nombreux domaines par son caractère transversal. Elle pourrait alors relever de l’action de coordination du Premier Ministre. Au-delà de l’autorité, cette option aurait aussi un avantage européen incontestable. D’une part, cela permettrait au

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Premier Ministre d’aller régulièrement à Bruxelles. D’autre part, les positions défendues par le France au Conseil des Ministres seraient revêtues d’une autorité forte et cela placerait la France dans une position d’acteur incontournable tant dans les initiatives que dans les négociations.

Une solution intermédiaire serait de créer un poste de Vice-Premier Ministre destiné à l’élaboration et la mise en œuvre de la politique migratoire en France, en Europe et dans les enceintes internationales. Véritable innovation dans le paysage politique français, cette option présenterait une grande partie des avantages cités ci-dessus.

Enfin, d’autres solutions reposeraient sur la nomination d’un Haut-Commissaire ou l’attribution du dossier de l’asile et de l’immigration à un grand ministère tel que le ministère des Affaires étrangères ou celui des Affaires sociales et familiales.

Quoi qu’il en soit, cette réorganisation ministérielle ne saurait s’effectuer sans réorganisation complète des services administratifs. Il n’est plus pertinent de continuer de traiter l’asile et l’immigration dans les bureaux et services de la sécurité intérieure. Ainsi, l’administration devrait être réorganisée pour pouvoir mettre en œuvre la nouvelle politique migratoire. Les services en charge de l’intégration et ceux responsables des affaires étrangères pourraient assurer la conduite et la tutelle administrative de la politique.

Cette transformation institutionnelle devrait également conduire à une redéfinition des rapports entre l’État et les collectivités. A une approche verticale, où les préfectures agissent en prolongement du ministère de l’Intérieur, devrait succéder une construction plus équilibrée et collaborative entre collectivités et État dans la mise en œuvre de la politique au niveau local.

4. Déconstruire, débattre et expliquer

Alors qu’il devrait être fondé sur notre rapport à l’humanisme et à l’humanité, le débat sur les migrations flatte les instincts les plus vils. Dans un contexte d’appauvrissement du discours et de la pensée, notamment politique, l’urgence du débat s’impose. Ce dernier pourrait s’appuyer sur les points suivants, sans que cela soit exhaustif.

Il serait opportun, en premier lieu, de confronter le discours national aux réalités locales pour comprendre que la vision sombre et angoissante portée par les responsables nationaux ne trouve pas d’écho correspondant au niveau local. Dans bien des cas, les acteurs locaux n’éprouvent pas les difficultés auxquelles le pays est prétendument soumis. Il existe certes des endroits où des difficultés sont visibles et reconnues mais il existe aussi dans de nombreuses régions des situations qui n’en révèlent aucune.

De manière plus spécifique encore, une plongée dans les multiples replis du pays démontre l’existence et l’émergence d’une extraordinaire solidarité citoyenne vis-à-vis des populations migrantes. Poser les bases d’une discussion sereine sur la politique migratoire invite à déconstruire l’effet loupe et anxiogène d’un discours national écrasant pour lui opposer une analyse lucide fondée sur la réalité du terrain.

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Ensuite, il n’est plus possible de confier la gestion de la politique migratoire au seul exécutif. Cette question qui convoque le passé, occupe le présent et engage l’avenir doit être débattue au Parlement. Les rapports et commissions d’enquête ne suffisent pas, les assemblées parlementaires doivent débattre annuellement de la question migratoire à l’occasion d’une session dédiée pour en évaluer la réalité et conduire une discussion politique à la hauteur des enjeux humains et démocratiques.

Enfin, les citoyens doivent retrouver une place centrale dans le débat et la pédagogie qui doit l’accompagner. Face à la toxicité de la question migratoire, prendre position est souvent difficile. Certains préfèrent s’en remettre à des solutions simplistes et irréalistes qui prônent l’ouverture totale des frontières ou leur fermeture hermétique. D’autres se réfugient dans le silence faute de pouvoir trouver dans le débat public et les offres politiques un lieu d’échange et de compréhension apaisé. Promouvoir les outils de vulgarisation, organiser des temps d’échanges, proposer l’établissement de conventions citoyennes sont autant de leviers qui permettraient aux citoyens de devenir acteurs de la politique et de renforcer la démocratie sur cette question centrale.

Yves Pascouau Décembre 2021

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