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comme intolérable et sévèrement condamnée. Aussi ne s'étonnera-t-on pas de ce que les conséquences d'un tel comportement soient plus dramatiques

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LES MAL-AIMÉS

Dans la société san1, comme d'ailleurs dans la plupart des sociétés d'Afrique Noire, les enfants sont toujours signe de richesse et, peut être même plus encore, de respectabilité car, dans cette population patrilinéaire et patrilocale, un homme sans fils ni fille2 ne peut pas assurer sa descendance et une femme n’accède au statut de femme accomplie et n’est vraiment respectée dans l'enclos de son époux que si elle lui a donné des enfants.

Mais si les enfants sont généralement considérés comme un bienfait et, le plus souvent, désirés, bien accueillis, aimés et même valorisés par leurs parents, est-ce à dire que les personnes dépourvues de la « fibre maternelle (ou paternelle)»

n'existent pas dans ce type de société, que les parents ne peuvent pas être indifférents, égoïstes ou injustes à l'égard de leurs enfants et que ceux-ci ne sont jamais malheureux, mal- traités et mal-aimés ?

L'analyse du corpus de contes sànan3 est, à ce propos, tout à fait révélatrice. Parmi les très nombreux contes qui mettent en scène des enfants4, quelques uns, une douzaine tout au plus, présentent en effet des enfants mal-aimés ou, dirons- nous plutôt, des parents indignes, puisque, très évidemment, c'est aux adultes bien plus qu'aux enfants, que le message s’adresse. Or tous ces contes qui nous disent la norme en nous racontant l'anormal, ne traitent que de la relation affective qui lie l'enfant à ses parents — et surtout à sa mère — car, si ceux- ci se doivent, évidemment, de satisfaire les besoins matériels de leurs enfants, ils ont aussi des « devoirs affectifs » à leur égard : devoir de protection certes, mais surtout devoir d'amour qui, si l'on en croit ce que nous disent ces récits, sont nécessaires et même essentiels à la survie de l'enfant.

Nous présentons ci-après quelques-uns des contes les plus significatifs de cet ensemble.

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PREMIÈRE SÉRIE

Cette première série, réduite d'ailleurs à un seul conte, ne traite pas du devoir d'amour mais, plutôt, du devoir de protection. A travers les deux femmes qui sont mises en scène dans L'enfant, le génie et le lion5, c'est en effet la négligence et, surtout, l'égoïsme qui sont stigmatisés.

Egoïsme de la mère qui, non contente d'abandonner régulièrement son enfant à une co-épouse pour pouvoir, tranquillement et en toute liberté, vaquer à ses affaires, le tance vertement quand il la rejoint au marché, non par peur rétrospective à cause de son imprudence, mais bien pour lui avoir désobéi et être venu la retrouver. Egoïsme, doublé de négligence quand, au lieu de le garder alors avec elle, elle s'en débarrasse à nouveau et, avec un cadeau, le renvoie tout seul à la maison, au mépris des dangers qui le guettent en chemin.

Négligence et égoïsme en retour de la co-épouse qui, à aucun moment, n'accorde à l'enfant la protection qu'elle lui doit. Elle ne surveille pas le gamin qui lui a été confié et s'en occupe même si peu que celui-ci peut quitter l'enclos sans qu'elle s'y oppose et même qu'elle s'en aperçoive. Puis, quand l'enfant revient auprès d'elle et lui raconte comme il doit d'être encore en vie à l'intervention d'un lion qui l'a sauvé d'un génie, ne pensant qu'à son ennui d'avoir toujours à le garder, elle ose lui dire qu'elle regrette qu'il ne soit pas mort.

Egoïsme patent de ces deux femmes dont le comportement, comme le souligne leur dispute finale, n'est à aucun moment dicté par l'intérêt de l'enfant mais bien plutôt et seulement, par leurs sentiments à l'égard l'une de l'autre.

Quand le fils raconte son aventure à sa mère, les dangers qu'il a encourus n'intéressent pas celle-ci, et même l'épisode de sa mort ne semble pas la toucher ; en revanche, quand il lui rapporte la réflexion de sa co-épouse qui, en réalité — et la mère le sait bien — s'adressait à elle bien plus qu'à l'enfant, elle réagit aussitôt et va chercher querelle à cette femme.

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De même, cette dernière, pour éviter une dispute, n'hésite pas à mentir effrontément, au mépris des répercussions que son mensonge peut avoir sur l'enfant.

Aussi le lion, substitut de la mère positive, protectrice et aimante qui fait défaut à cet enfant, doit-il intervenir à nouveau pour forcer la co-épouse à dire la vérité et soustraire ainsi l'enfant à une punition qu'il n'a nullement méritée.

D'ailleurs, la conclusion tout à fait explicite : « ce sont des histoires de co-épouses qui ne doivent pas rejaillir sur l'enfant », montre bien ce qui est condamné ici et l’enseignement qu'il convient de tirer de cette histoire.

Par égoïsme, jalousie ou simple indifférence, ces deux femmes n'ont pas rempli le rôle protecteur qui est censé être le leur à l'égard de l'enfant, mettant ainsi sa vie en danger. Or nous dit le conte, rien, ni le désir d'indépendance et de liberté, ni surtout, les sentiments que les femmes de l'enclos peuvent éprouver les unes vis-à-vis des autres, ne doivent influencer leur comportement à l'égard d'un des enfants habitant l'enclos familial et ce, quelque soit le lien qui les lie à lui — lien de consanguinité, mais aussi bien, lien d'alliance.

DEUXIÈME SÉRIE

Dans les quatre contes qui constituent cette deuxième série, le personnage féminin ne se contente pas, par égoïsme ou simple indifférence, de ne pas accorder à son enfant la protection qu’il lui doit et dont il a besoin pour survivre ; cette fois, c'est d'amour qu’il le prive, faisant subir au(x) mal- aimé(s), brimades et injustices.

Sans doute, est-il naturel de ne pas ressentir la même attirance à l'égard de tous les êtres que nous cotoyons, la sympathie ou l'antipathie étant des sentiments qui ne peuvent pas se commander. Mais, quand il s'agit d'une mère et de ses enfants, cette discrimination est moralement réprouvée et quand, de surcroît, elle se manifeste par une attitude négative et injuste à l'égard du mal-aimé, elle est alors considérée

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comme intolérable et sévèrement condamnée.

Aussi ne s'étonnera-t-on pas de ce que les conséquences d'un tel comportement soient plus dramatiques qu'une simple ieçon de morale donnée par un lion faisant office de justicier en même temps que de « bonne mère ».

Dans Une mère et ses huit enfants5, quand la préférence des parents à l'égard de leur unique fille et les brimades que la mère fait subir aux sept autres enfants dont le seul tort est d'être des garçons ne peuvent en aucune façon se justifier, la punition est terrible. Les sept garçons, de honte et de désespoir à cause du mépris de leur mère et de ses injustices à leur égard, se jettent l'on après l'autre dans le puits et, à leur suite, la fille chérie d’abord, puis le père, et enfin la mère se donnent la mort.

Dans deux autres contes qui traitent du même thème, la situation de départ de même que les protagonistes étant tout à fait différents, le manque d'amour de la mère peut, dans un certain sens, se comprendre, sinon se justifier, aussi ces deux histoires aboutissent-elles à des conclusions fort différentes.

Dans Le petit lépreux5, le père étant absent, la mère doit s'occuper toute seule de ses quatre enfants et elle méprise, rejette et traite injustement l’aîné, lépreux, à cause de son infirmité qui l’empêche d’assumer son rôle d’aîné en l’aidant à assurer l’entretien de ses plus jeunes frères.

Pourtant, quand le crocodile les emportera, ce sera lui qui, bien qu’invalide, réussira là où tous les hommes valides du village avaient échoué, il retrouvera le crocodile, le tuera, ramènera ses frères vivants et gagnera ainsi l’estime et l’admiration de tous, tandis que la mère, à son tour, sera méprisée et rejetée par toute la communauté pour avoir mal jugé et mal traité cet enfant lépreux.

De même, L'enfant né de soixante-quatre femmes5 est un enfant anormal : au fil des ans, il est demeuré un bébé qui ne parle ni ne marche, n'urine ni ne défèque les énormes quantités de nourriture que réclament ses soixante quatre bouches et que l’on s'épuise à lui fournir.

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C'est donc pour ne pas mourir comme, avant elle, tout le reste de la famille, que la dernière mère survivante décide d'abandonner ce « monstre » et enjoint à sa fille qui refuse, de faire de même et de partir avec elle.

Par la suite, grâce à la fidélité de cette soeur restée avec lui, tout rentre dans l'ordre et, comme dans le conte précédent, à la fin du récit, la situation de départ se trouve renversée : l'enfant anormal est devenu un jeune homme riche et puissant grâce aux énormes quantités de nourriture qu'il avait ingurgitées et qu’enfin, il est parvenu à restituer mms forme de montagnes de mil, de volailles, de chèvres, de moutons et de boeufs.

Alors, par hasard, il retrouve sa mère qui l'avait abandonné et qui, depuis, erre de village en village, vivant de mendicité et méprisée de tous.

Ainsi, ces trois contes, par les personnages qu'ils mettent en scène, par les histoires qu'ils nous racontent et, surtout, par les conclusions auxquelles ils aboutissent, nous éclairent sur ce devoir de justice et d'amour des parents et plus particulièrement de la mère envers ses enfants.

Dans le premier, le message, univoque, est très clair : discrimination et absence d'amour totalement injustifiées, entraînent le désespoir des enfants qui en sont les victimes et la punition encourue par un tel comportement ne peut être que la mort.

Dans les deux autres contes, les données sont beaucoup plus complexes, aussi, au-delà d'un premier niveau qui se limite à critiquer toute espèce de discrimination, ce que le conteur exprime très clairement en concluant, dans Le petit lépreux : « Si tu as un enfant, si tordu soit-il, tu dois l'accepter et l'aimer tel qu’il t'a été donné. », un autre message, plus subtil, se dessine en filigrane. En inversant, à la fin des récits, le statut social que les deux héros avaient au début — l'enfant jugé incapable et, de ce fait, méprisé (ou abandonné) par sa mère, manifeste des qualités telles qu'il se retrouve, à la fin, survalorisé, tandis que c'est au tour de la mère de devenir une

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sorte de paria, rejetée par tous — ces histoires ne nous disent- elles pas aussi, que tout être a des qualités qui se révéleront à leur heure et qui peuvent servir l’intérêt de la communauté ? TROISIÈME SÉRIE

Dans les contes de cette dernière série, les parents, franchissant encore un palier de plus dans cette problématique du rejet, vont vouloir attenter à la vie même de leur enfant.

Or, contrairement aux contes que nous avons vus dans les deux séries précédentes, dans ceux-ci, le père — effectivement ou symboliquement — est presque toujours un protagoniste important dans le déroulement du récit, même quand il n’apparaît qu'à la fin, et seulement dans le triste rôle de justicier. Toutefois, malgré cette présence, c’est la mère, et la mère seule, qui reste le personnage principal et ce sont ses sentiments et son comportement qui, en dernière alternative, décident du sort de l'enfant menacé.

Dans cette série, la plus importante (sept contes) et, sans doute aussi la plus intéressante puisque, poussant le manque d'amour à son degré extrême, c'est du fantasme de meurtre dont elle traite, nous avons retenu quatre contes que nous allons étudier de façon plus détaillée, car leur comparaison va nous permettre de mettre clairement en lumière le rôle et l'importance de chacun des deux pôles affectifs qui, dans cette société, constituent l'univers du jeune enfant — le féminin, représenté par la mère et/ou sa co- épouse, et le masculin, exclusivement représenté par le père (ou son substitut symbolique).

Résumé des quatre contes sélectionnés

1.Kounkounsin, le petit chasseur5

Un enfant, orphelin de père, aide sa mère à vivre grâce au produit de sa chasse. Un jour, elle lui réclame « le foie d'un génie ». L'enfant obéit et, après s'être procuré, par ruse, le foie

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d'un bébé-génie qu'il a tué, il est poursuivi par la Mère-Génie qui veut le tuer.

Dans sa fuite, il croise un cultivateur qui l'invite dans son champ et lui promet de l'aider à vaincre le danger qui le menace. Mais ce dernier, entendant le chant de la Mère-Génie qui approche, ne se sent pas de taille à affronter un tel ennemi et dit à l'enfant de se sauver.

La même histoire se répète avec deux, puis trois, puis quatre, puis cinq cultivateurs.

Finalement, l'enfant aura la vie sauve grâce à l'intervention d'une Mouche-Maçonne qui s’interpose, lutte avec la Mère-Génie et parvient, à la troisième tentative, à l'éliminer en l'avalant et en l'empêchant, grâce à un fil attaché par l'enfant autour de sa taille, de ressortir par son derrière.

Et l'histoire s'achève sur la conclusion suivante « Et c'est pour cela que les mouches-maçonnes ont la taille fine ».

2.Nyata et son chien5

Nyata, orphelin de mère, vif avec son jeune chiot offert par ses parents utérins, dans l'enclos de son père.

Sa marâtre tente de le faire mourir en empoisonnant l'eau de mil6 que l'enfant a l'habitude de boire quand il rentre de brousse.

Grâce à l'intervention de son chiot qui le prévient, l’enfant ne touche pas à l'eau empoisonnée et va boire l'eau d'un autre canari.

Par deux fois, il parvient à justifier son refus de boire l'eau du canari empoisonné, mais la troisième fois, c'est le couscous que la co-épouse empoisonne et l'enfant, à court d'arguments pour justifier son refus, demande à sa marâtre, en présence de son père, de commencer par manger elle-même .

Alors le père, saisi de honte, mange lui-même le couscous empoisonné, et commande à tous les autres membres de la famille d'en manger à leur tour.

Nyata et son chiot sont sauvés, tandis que tous les autres habitants de l'enclos paternel, meurent empoisonnés.

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3. Muri et la gueule-tapée5

Un jour, Muri trouve en brousse une gueule-tapée.

Comme il s'apprête à la tuer, elle lui promet toutes sortes de richesses s'il l'épargne. Muri accepte et la gueule-tapée lui demande alors de s'engager, en son nom et au nom de son lignage, à ne plus jamais manger de gueule-tapée, sous peine de mort.

De retour dans l'enclos familial, Muri prévient son père qui justement s’apprêtait à partir en brousse.

A quelque temps de là, profitant d'une absence de Muri, le père prend une gueule-tapée, la tue, la découpe, la fait cuire par sa femme et veut la faire manger à tout le monde, malgré les mises en garde de l'animal qui lui rappelle sans cesse, l'engagement pris par Muri.

A son retour, Muri est prévenu par son chiot ; il reproche son geste à son père, ne touche pas à la nourriture interdite et annonce qu'il quitte définitivement l'enclos paternel pour aller ailleurs fonder un nouveau lignage qui respectera cet interdit alimentaire.

4. L'enfant adopté par les poissons5

Un enfant a vécu parmi les poissons et, quand il revient auprès de ses parents qui le croyaient mort, la grue couronnée qui l'accompagne pour l'aider à réapprendre la langue des humains, prévient les parents de l'enfant que, désormais, il ne devra plus jamais manger de poisson, sous peine de mort.

Une co-épouse, à l'insu de tous, cache un poisson, le prépare et le mêle à la sauce pour en dissimuler le goût et en fait manger à l'enfant qui meurt aussitôt.

Le père, en voyant son enfant mort, comprend ce qui s’est passé, reconnaît la coupable mais, de honte et de désespoir se tue en se jetant du haut de la terrasse. Il est imité par tout les membres de son lignage et les habitants de l'enclos, à l'exception du chien qui, malgré de multiples tentatives, ne parvient pas à se supprimer.

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ANALYSE COMPARATIVE

On remarquera, dans les quatre contes, malgré des modalités légèrement différentes, c'est néanmoins toujours à travers la nourriture que le fantasme de meurtre va s'exprimer.

Dans le premier, la mère de Kounkounsin n'essaye pas de lui faire manger une nourriture qui le tuera, mais « le foie d'un génie » qu'elle lui réclame pour le manger elle-même, est tout aussi meurtrier ; l'enfant, d'ailleurs, ne s'y trompe pas, puisqu’il lui rétorque aussitôt : « Mais, Mère ! tu m'envoies à la mort ! »

Dans le deuxième, le procédé utilisé est beaucoup plus classique et, surtout, plus direct ; c'est en effet en mettant du poison dans l'eau de mil du canari7 dans lequel Nyata a l'habitude de puiser pour se désaltérer à son retour de brousse, que sa marâtre entreprend de se débarrasser de lui.

Dans les deux derniers contes enfin, si le moyen utilisé pour supprimer l'indésiré n'est pas le poison, le poisson mêlé à la sauce par la co-épouse comme la gueule-tapée tuée par le père, n'en sont pas moins des nourritures meurtrières puisqu’elles constituent des aliments interdits dont la consommation entraîne, à coup sûr, la mort.

Si donc le meurtrier potentiel utilise toujours le même moyen matériel pour tenter d'accomplir son dessein, en revanche, la forme que prend ï'agression, l'efficacité d'une protection éventuelle et jusques aux réactions de l'enfant menacé, toutes ces composantes vont être différentes et même, complètement opposées, selon qu'il s'agit d'une femme — la mère ou la co-épouse — ou d'un homme — le père.

La mère de Kounkounsin n'agresse à aucun moment son enfant, elle ne lui manifeste pas même la moindre animosité, elle se contente de lui réclamer le foie d'un génie, et le projet de meurtre, s’il se réalise, le sera donc de façon détournée, par Mère-Génie interposée et, plus subtilement encore, seulement parce que l'enfant lui-même, par ses actes, l'aura suscité.

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De même, c’est par le poison, arme secrète s'il en est, que la marâtre tente de faire mourir Nyata ; mais, comme la mère de Kounkounsin, elle limite son action à créer les conditions qui lui permettent d'aboutir à ses fins, laissant ensuite l'initiative à l’enfant lui-même : elle ne fait pas le geste de donner elle-même à Nyata l'eau de mil empoisonnée, elle se contente de la mettre là, à sa disposition, et lui manifeste au contraire toute sa sollicitude en lui demandant, le plus innocemment du monde, pourquoi il ne boit pas de cette eau- là et lui préfère celle de l'autre canari.

Dans L'enfant adopté par les poissons, c'est aussi à l'insu de tous que la co-épouse prépare, puis garde dissimulé dans sa chevelure en attendant l'occasion favorable, le poisson qui va servir à faire mourir Bolé ; ensuite, jouant toujours sur le même registre du secret et du détournement, pour lui en faire manger sans qu'il s'en doute, elle en masque le goût en l'incorporant dans la sauce8. Mais à partir de là, le récit ne se déroule plus de la même façon et, contrairement à ce que nous avons vu dans les deux récits précédents, ici, la co-épouse prend une part active dans l'accomplissement de son dessein ; en effet, elle ment à Bolé qui, explicitement, lui demande si la sauce ne contient pas de poisson, et ne lui laisse ainsi pas d'autre alternative que de manger la nourriture qui va le tuer.

A l'opposé, l'agression paternelle va se manifester très différemment.

Le père ramène dans l'enclos la gueule-tapée, objet de l'interdit et c'est au vu su de tous, et malgré les mises en gardes répétées de l'animal que tout le monde peut entendre, qu’il le tue, le découpe et le fait préparer par sa femme ; de plus, en contraignant tous les habitants de l'enclos à en manger, il n’hésite pas à les impliquer, malgré eux, dans son forfait, augmentant d'autant le danger que court son fils.

Face à ces deux formes d'agression : la féminine, personnelle, secrète, et d'autant plus difficile à contrer qu’elle ne s'exprime pas clairement et même, parfois, se nie, et la masculine, ouverte, déclarée et même, exprimée avec une telle

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ostentation qu'elle prend presque l'allure d'un défi, qui donc, hormis lui-même, peut efficacement protéger l'enfant et le sauver ?

On a vu que le cultivateur — symbole de la figure paternelle — après s'être vanté auprès de Kounkounsin de pouvoir vaincre son agresseur, déclare forfait en entendant le chant de la Mère-Génie qui approche et ne peut que s'écrier : « Eh là ! Kounkounsin ! Ta chose est bien trop forte, file ! ». Et pour bien marquer cette totale impuissance de la force physique à lutter contre ce type d'agression, le même épisode se répète avec deux, puis trois, puis quatre, puis cinq cultivateurs.

De son côté, le père de Bolé avait bien vu le poisson dissimulé dans la chevelure de son épouse, mais il n'a pas su l'empêcher d'accomplir son dessein meurtrier ; quand au père de Nyata, lui non plus ne s'oppose pas — volontairement ou involontairement, l'histoire ne nous le dit pas — au projet d'empoisonnement imaginé par se femme.

Tous deux ne pourront qu'être les instigateurs de la punition et n'ayant pas pu, ou pas su, empêcher le forfait, quelqu'en ait été l'issue ils se feront justice de leur impuissance.

Ainsi, même quand il essaye de le faire, le père ne parvient pas à protéger son enfant. En revanche, la mère ou, plus subtilement, son sentiment à l'égard de l'enfant, est déterminant.

Nyata, comme Muri, sont orphelins de mère, mais tous deux ont un chiot qui fonctionne comme un substitut maternel puisqu'il leur a été donné par leurs parents utérins ; or, ce sont ces chiots qui vont sauver les enfants en allant au devant d'eux pour les prévenir du danger qui les menace : l'un désigne à Nyata le canari qui contient l'eau de mil empoisonnée, tandis que l'autre prévient Mûri que son père, qui a déjà lui-même rompu l'engagement pris en tuant et mangeant la gueule-tapée, s'apprête à lui en faire manger aussi. Et c'est grâce à ces interventions que les deux enfants, vont pouvoir confondre

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leurs agresseurs et échapper à la menace de mort qui pesait sur eux.

Quant à la Mouche-Maçonne — symbole de la mère positive et protectrice — c'est presqu'en se jouant qu'elle va vaincre la Mère-Génie — symbole de la mère négative et meurtrière — et, pour bien marquer le contraste avec les cultivateurs, ainsi que le registre affectif dans lequel, de fait, se situe cette agression, c'est à dessein un animal minuscule qui va savoir et pouvoir s'opposer victorieusement à la Mère- Génie. Toutefois, la menace qui pesait sur Kounkounsin ne sera définitivement enrayée que par sa propre intervention : il empêchera la Mère-Génie avalée de ressortir à nouveau, en attachant, à sa demande, la taille de la Mouche-maçonne.

Ainsi, tant que la mère accorde à l'enfant le soutien, l'affection et l'amour qu'elle lui doit et tant qu'il demeure, fut- ce par substitut interposé sous sa protection, ni le père, ni même la marâtre qui pourtant appartient aussi à l'univers féminin, ne peuvent rien contre lui et quelle que soit la forme prise par l'agression, l'enfant saura l'éviter et échapper à la mort.

Par contre, quand le désir de meurtre est éprouvé par la mère elle-même, l'enfant n'a pas besoin d'en être averti et le ressent aussitôt — mais quel enfant ne ressentirait pas que sa mère ne l'aime pas ou le déteste si fort qu'elle veut s'en débarrasser ? — et dans ce cas, il n'essaye même pas de lutter, il se soumet au contraire au désir maternel et va même, volontairement, au devant de sa propre mort.

Kounkounsin comprend bien que sa mère l’envoie à la mort, puisqu'il le lui dit ; de même, Bolé reconnaît tout de suite dans la sauce, le goût du poisson qui va le faire mourir s'il en mange et, lui aussi, en fait la remarque à la co-épouse.

Mais la mère de Kounkounsin se contente de réitérer sa demande, la marâtre de Bolé nie l'évidence et sa propre mère9 ne se manifeste pas ; alors les enfants se soumettent : Kounkounsin part au petit matin, à la recherche de ce foie de génie, Bolé mange la nourriture interdite, gestes tout aussi

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suicidaires que celui des sept garçons dont nous avons traité dans la série précédente et qui, comme Kounkounsin et comme Bolé, étaient privés de l'amour maternel.

Ainsi donc, la comparaison de ces quatre contes qui symboliquement, expriment le fantasme de meurtre des trois personnages affectivement les plus importants pour l'enfant — le père, la mère et la marâtre —, nous montre combien les sentiments qu'ils éprouvent vis-à-vis de l'enfant et les rapports qu'ils entretiennent avec lui sont radicalement différents.

A la relation à la mère — personnelle, secrète, entièrement enfouie dans le registre du non-dit, empreinte d'amour et de respect, mais aussi de dépendance et de vulnérabilité — va s'opposer la relation au père — détachée, libre de toute manifestation affective et beaucoup plus proche des rapports sociaux et distants que l'on entretient avec des étrangers —.

Quant à la marâtre, dans ces récits où, symboliquement, elle représente toujours le pôle affectif négatif, elle manifeste régulièrement des sentiments agressifs et, en retour, l'enfant ne semble éprouver à son égard, que de l'indifférence. Or, ce sont ces différences, on l'a vu, qui déterminent chez l'enfant, des réactions différentes.

Pour bien montrer comment tous ces paramètres interfèrent, nous les présentons ci-dessous, sous forme de tableau récapitulatif. Nous y avons inclus L'enfant, le génie et le lion ainsi qu'Une mère et ses sept fils car, bien qu'ils se rattachent aux deux premières séries, ils participent néanmoins de la même problématique et l'on y retrouve de nombreux points communs dans le comportement et les réactions des protagonistes en présence.

Au terme de cette analyse, que nous disent tous ces contes qui, partant de la simple négligence pour atteindre le fantasme de meurtre et stigmatisant tour à tour l'égoïsme, la jalousie, l'injustice, la discrimination et, surtout, le manque d'amour, balayent tout l'éventail des comportements que la société condamne ?

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Ils nous disent avant tout la dépendance affective de l'enfant à l'égard de sa mère et ils nous montrent que ce n'est que quand il est conscient de son soutien et de son amour qu'il parvient à se socialiser et à prendre en charge son destin pour assurer sa survie, tandis qu'abandonné d'elle et privé de son amour, il n'a plus qu'à se laisser mourir.

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NOTES

1. Les Sànân (san au singulier), plus connus sous le nom de Samos, sont une population d'environ 40 000 âmes rattachée culturellement et linguistiquement à la famille Mandé-Sud et implantée au Burkina Faso dans la région de Toma, à la limite du Sahel. Regroupés en villages, les habitants vivaient traditionnellement du produit de leurs diverses récoltes - mil, maïs, fonio, haricots, pois de terre -, ainsi que de la chasse, sous l'autorité d'un chef de village.

2. Dans les populations qui pratiquent le système d'échanges matrimoniaux entre lignages, les filles sont tout aussi importantes que les garçons puisque, sans elles, les hommes du lignage ne peuvent que difficilement se procurer des épouses.

3. C'est au cours des années 1968-71 que j'ai recueilli les quelques 300 contes qui constituent mon corpus. A cette époque les « bienfaits » de la civilisatin occidentale - scolarité, radio, magnétophone, remplacement de l'économie de subsistance par une économie marchande qui entraîna le départ des jeunes, l'abandon des cultures vivrières et la dépopulation de nombreux villages - n'avaient pas encore profondément pénétré dans cette région, aussi les soirées de contes étaient-elles naturelles et fréquentes et les contes remplissaient encore leurs multiples fonctions.

4. L'analyse de cet ensemble : 91 contes, soit près du tiers du corpus, a déjà fait l'objet d'un article intitulé « L'enfant, sujet et objet du conte », publié dans un numéro spécial du Journal des Africanistes, Paris, n° 51 (1-2), 1981 : 149-182.

5. Parmi les huit contes qui sont cités dans cet article, quatre d'entre eet autres contes du pays San (Armand Colin, Collection des Classiques Africains, Paris, 1984.

- L’enfant, le génie et le lion (pp. 235-43 sous le titre « Le petit garçon et le lion »).

- Le petit lépreux (pp. 249-59, sous le titre Une mère et ses quatre fils).

- Kounkoussin, le petit chasseur (pp. 261-67, sous le titre Le chasseur, le génie et la guêpe-maçonne).

- L’enfant adopté par les poissons (pp. 225-33).

Les quatre autres contes : L'enfant aux soixante-quatre bouches, Une mère et ses huit fils, Nyata et Muri et la gueule-tapée sont tous des inédits.

6- Il s'agit d'une boisson très rafraîchissante, composée d'eau dans laquelle on a délayé un peu de farine de mil et, parfois, ajouté un peu de piment. On en offre généralement en signe de bienvenue, aux étrangers qui viennent rendre visite à la famille.

7- Le canari est un terme général qui sert à désigner tous les récipients en

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1 terre cuite qui servent dans l'alimentation. Ici, il s'agit d'un grand pot à embouchure évasée, servant à conserver l'eau ; on le place généralement, dans un coin de la cour, à l'ombre, avec une petite calebasse-louche pour que les habitants de l'enclos puissent s'y désaltérer quand ils le désirent.

8- Dans cette région, le poisson est assez rare, aussi, hormis durant la période des grandes pêches collectives où on le mange entier, il n'est, le plus souvent, utilisé que séché et rapé, comme condiment, pour donner du goût à la sauce qui accompagne le gâteau de mil. C'est le cas ici, bien que l'on soit à la saison des grandes pêches, et c'est pourquoi Bolè peut très bien croire que la sauce ne contient pas de poisson si on le lui dit.

9- Dans le début du conte, au moment du retour de Bolè dans sa famille, la grue couronnée salue la mère de Bolè, il n'est donc pas, comme Nyata et comme Muri, orphelin de mère ; c’est pourquoi l'absence et le silence de cette mère vivante, alors que son enfant est en danger, sont tout à fait significatifs. Comme celui de la mère égoïste de L'enfant, le génie et le Lion, son comportement ne peut que signifier un total désintérêt pour son enfant.

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