9 règles constitutives de toutes conduites à projet
selon Jean-Pierre Boutinet dans son ouvrage Grammaire des conduites à projet, puf, 2010
Règle I – Tout projet est un compromis à aménager entre une forme de vide et une forme de plein.
Trop plein Plein Vide Trop vide
Pseudo projet
copie conforme à l'existant
Forme de plénitude
En projet
Mise en culture
Vide créateur Émergence de nouvelles significations Sans projet Métaphore de la jachère
Vide mortifère, stérile
Hors projet Métaphore de la friche
Règle II– Une conduite à projet est une gamme de jets à décliner opportunément.
Les paronymes latins constitutifs de toute démarche de projet
Pas de projet sans :
Paronymes structurants Surjet auteur
acteur assujettis
Objet inexistant à façonner
existant à reconfigurer existant à atteindre
Rejet en amont : projet rebond
momentané : projet de réorientation
en aval : projet menacé d'obsolescence
Paronyme dynamique Trajet Spatial : parcours
Temporel : récit : de la mémoire à l'anticipation
Paronyme de sociabilité Surjet coopération, lien social
conflit, marginalisation
Les paronymes grecs du problème constitutifs de toute démarche de projet Pas de projet sans jeter par :
Problème questionnement
Parabole activité langagière et imagé de détour Symbole recherche d'un sens partagé
Emblème inscription significative Hyperbole perspective idéalisante Embolie paralysie par inertie interne
Les différentes façons de jeter dans leur diversité, fournissent pour toute conduite à projet des repères essentiels quant aux variantes de jets à privilégier en fonction des situations, dans une action à conduire et à mener jusqu'à son terme. Mais ces façons comportent leurs propres
ambivalences, impliquant pour l'auteur d'approcher l'activité de jeter sur un mode paradoxale d'une exploration d'un devant soi inséparable d'un retour sur soi.
Règle III– Toute conduite à projet s'inscrit dans une démarche
itérative d'un auteur intégrant son travail préalable de conception et un travail subséquent de réalisation.
Règle IV – Un projet trouve son intelligibilité, inscrite dans une famille particulière de projet qui lui confère des caractéristiques partagées avec les autres membres de la même famille.
Pôle individuel
I les projets individuels liés aux âges de la vie - des jeunes d'orientation
d'insertion - des adultes professionnels
familial
Réalisation
Si conception > réalisation
Forme idéalisante Si conception < réalisation Forme d'activisme
Conception
de carrière de formation de retraite II Les projets de couple - existentiel
- de réalisation partagée III Les projets d'objet - à façonner
- à reconfigurer - à atteindre
IV Les projets d'action - politique
- éducative - thérapeutique - d'aménagement - de développement - paysagère …
V Les projets d'événement - à commémorer
- à célébrer
VI Les projets organisationnels - De références
- Stratégique
- Management de / par projet VII Les projets sociétaux - Globaux
- Locaux
Pôles sociétal
Règle V – Demeurer auteur de son projet reste tributaire d'une triple fragilité liée à l'auteur lui même, à autrui, aux circonstances, une fragilité exprimé par un jeu convenu de prépositions.
L'auteur d'un projet s'inscrit dans une pronominalisation qui le rend authentiquement responsable du projet qu'il réalise. Mais il peut succomber dans son projet aux pressions d'autrui qui se comportera vis-à- vis de lui en véritable prédateur, s'accaparant pour lui-même le projet de l'auteur ou dictant à cet auteur ses volontés. Enfin des circonstances défavorables, notamment générant une trop grande vulnérabilité peuvent mettre l'auteur en dépendance de telle ou telle forme d'assujettissement, hypothéquant son projet. Le jeu des prépositions utilisés pour articuler un projet à son auteur est à ce sujet un bon révélateur des usages authentiques
et des dérives aliénantes possibles auxquelles peuvent succomber maintes démarches de projet.
Les prépositions du projet :
le projet de, le projet avec, le projet pour, le projet sur, le projet contre Règle VI – Tout projet humain gagne à être appréhendé à partir de la métaphore de la rose des vents avec ses pôles technique, sociétal,
existentiel et pragmatique, en équilibre très instable entre eux.
L'effacement de l'un des pôles ou la domination quasi exclusive d'un autre est source de perturbation météorologiques.
La figure du projet est analogiquement assimilable à une rose des vent en tension, voire en instabilité entre des composantes qui entretiennent entre elles des relations paradoxales susceptible d'évoluer vers des logiques conflictuelles si des aménagements méthodologiques ne sont pas continuellement mis en place : les logiques individuelles et les logiques collectives sont ainsi en continuelle suspicion les unes envers les autres ; il en est de même pour les logiques techniques au regard des logiques existentielles. Pour rester à dimensions humaines, cette figure fragile du projet doit donc accepter l'épreuve du métissage ou de la conciliation de vents contraires au sein d'une rose des vents ; faute de quoi, en l'absence d'une seule de ces quatre composantes, elle risque de se laisser dévoyer vers l'une ou l'autre forme d'exclusion ou de tyrannie exercée par une autre composante.
Règle VII – Une démarche projet met en scène une diversité d'acteurs aux rôles contrastés et évolutif au sein d'un espace social, du héros aux assujettis, ces faire-valoirs de tout projet.
Le scénario d'un projet voit une homologie mimétique entre sa mise en scène dans des situations concrètes et la façon par laquelle il se verbalise depuis des temps immémoriaux par le biais du récit ou du conte. Ce scénario se focalise autour d'un auteur héros et se déploie, telle une intrigue à travers le jeu évolutif des différentes acteurs qui gravitent autour de lui et qui peuvent faciliter ou contrarier son action et être selon les situations les pourvoyeurs ou les fossoyeurs de lien social. Un tel scénario est l'objet d'une intériorisation mentale qui structure nos imaginaires.
Règle VIII – Il ne saurait y avoir de projet sans programme, d'espace de libertés sans espace de contraintes, l'un et l'autre étant destinés à se féconder mutuellement.
Nos projets sont toujours précédés par une commande sociale formelle ou informelle qui les incite et les oriente, voire les contrôle insidieusement ou même les prédétermine. Mais cette commande, si elle veut éviter de paraître assujettissante ne saurait s'impose de façon coercitive: elle laisse alors la place à la négociation, à l'interprétation, à la reconstruction, générant de nombreux interstices par lesquels le projet pourra glisser des rhizomes de libertés et de créativité. La dialectique à instaurer entre programme et projet, porteuse d'un lien social structurant renvoie à des équilibres fragiles à aménager, au risque sinon que le projet soit confisqué par le programme, voire plus rarement que le programme soit anéanti par un projet débridé, laissant libre cours dans l'un et l'autre cas aux anarchies, que celles-ci relèvent des seuls territoires de contraintes ou au contraire des espaces de pur liberté.
Règle IX – Du fait du décalage inévitable de la réalisation d'un projet par rapport à sa conception, du fait aussi de l'hétérotélie propre à toute action humaine, une évaluation s'avère indispensable pour
identifier la part de réussite et d'échec inscrite dans ce projet une fois réalisé.
L'évaluation entendue comme ce processus de création de valeur à travers un regard d'extériorité porté sur la conduite d'une action accompagne la démarche de projet à ses différentes étapes dans des procédures caractéristiques : diagnostic, validation, audit, évaluation terminale, analyse de projet ; elle constitue le contre-rôle qui sert de guide pour l'auteur. Dans sa phase terminale cette évaluation se soucie de porter un regard pluriel, tant multiréférentiel que multidimensionnel pour identifier au sein du projet ce qui contribue à une création de valeurs et ce qui est source de dévalorisation. Création de valeur et dévalorisation sont au centre des monographies de projet, ces récits qui restituent par l'entremise de leurs auteurs-acteurs le vécu d'un projet. De telle monographie consignent à leur façon la part de réussite ou d'échec propre à tout projet en charge d'un double défi : le passage risqué de la conception à la
réalisation, les dérives de l'action intentionnelle vers des buts autres que les siens.