• Aucun résultat trouvé

Présence des migrants dans deux métropoles d'Afrique de l'Ouest : des citadinités métisses ? (cas de Lomé au Togo et Accra au Ghana)

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Présence des migrants dans deux métropoles d'Afrique de l'Ouest : des citadinités métisses ? (cas de Lomé au Togo et Accra au Ghana)"

Copied!
12
0
0

Texte intégral

(1)

HAL Id: hal-01887356

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01887356

Submitted on 4 Oct 2018

HAL is a multi-disciplinary open access

archive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés.

Présence des migrants dans deux métropoles d’Afrique

de l’Ouest : des citadinités métisses ? (cas de Lomé au

Togo et Accra au Ghana)

Amandine Spire

To cite this version:

Amandine Spire. Présence des migrants dans deux métropoles d’Afrique de l’Ouest : des citadinités métisses ? (cas de Lomé au Togo et Accra au Ghana). Du transfert culturel au métissage. Concepts, acteurs, pratiques, 2015. �hal-01887356�

(2)

« Présence des migrants dans deux métropoles d’Afrique de l’Ouest : des citadinités métisses ?

(cas de Lomé au Togo et Accra au Ghana) »

Amandine SPIRE

Maître de Conférences en géographie

Université Paris Diderot – Laboratoire SEDET

Résumés

Cette contribution part de l’hypothèse que la migration est non seulement une bifurcation dans une trajectoire spatiale et temporelle, mais aussi le produit d’une dynamique syncrétique, redéfinissant les appartenances et les pratiques multiples des individus. Le déplacement dans l’espace ne signifie pas, pour le migrant, une scission entre un avant et un après, mais la formulation d’une identification qui met plus ou moins en avant des liens « de là-bas » et d’ « ici », et qui se construit au regard des représentations de la population hôte. Comment les relations sociales et territoriales à distance se conjuguent-elles, dans deux métropoles ouest-africaines, à des relations sociales et territoriales « en présence » permettant d’entrevoir l’émergence de citadinités métisses ? A partir des résultats d’une enquête de terrain qualitative menée en 2007 et 2008, nous examinerons comment certains lieux (gares routières, centralité commerciales, structures associatives) manifestent tour à tour des citadinités en co-présences et métissées.

This contribution assumes that migration is not only a bifurcation in a spatial and temporal trajectory, but also the product of a syncretic dynamic that redefine multiple affiliations and diverse practices of individuals. The spatial displacement does not mean for the migrant, a split between a before and an after, but the formulation of an identification that has more or less prominent links with "there" and "here "and that is built under the representations of the population host. In two West African cities, how do social and territorial relations in distance are combined with some social and territorial relations in "presence", showing the emergence of Métis citadinités? Based on the results of a qualitative research conducted in 2007 and 2008, we examine how certain places (railway stations, commercial centralities, associative structures) point out alternately citadinités of co-presence or mixed.

Mots-clés : citadinité, présence immigrée, co-présence, métissage, Afrique de l’Ouest

Au premier abord, il peut paraître étrange de parler de métissage à propos de l’Afrique de l’Ouest, qui plus est pour analyser les pratiques et représentations citadines. Si la pertinence de la notion de métissage à propos des villes d’Afrique de l’Ouest fait débat, c’est avant tout parce qu’il s’agit de sociétés où les discours sur le métissage ont très peu d’audience ou de portée politique, à la différence de ce que l’on observe lorsque l’on se place dans le contexte brésilien ou antillais par exemple. Cependant, l’ampleur et la profondeur des mobilités migratoires qui ont animé de longue les sociétés d’Afrique de l’Ouest ne sont plus à prouver (Amselle, 1976 ; Adepoju, 2000, 2005 ; Zongo, 2003 ; Sindjoun, 2005 ; Boyer, 2005). La nature des liens et des identifications créés en ville par les multiples mobilités internes à l’Afrique de l’Ouest pose bien la question de pratiques ou de

(3)

représentations empreintes de l’ailleurs, rendant possibles d’éventuelles formes de métissage. C’est pourquoi, dans le prolongement d’une recherche sur l’inscription des migrants étrangers dans les villes de Lomé et Accra, nous aimerions proposer la catégorie de métissage comme grille d’analyse de certaines dynamiques sociales et spatiales. Notre contribution vise en effet à montrer que la migration interne à l’Afrique de l’Ouest entraîne des dynamiques syncrétiques, redéfinissant les appartenances et les pratiques multiples des citadins, que ce soit du côté des migrants, ou des non-migrants. Il s’agit donc de questionner la possible émergence d’une « citadinité métisse », c’est-à-dire l’éventuelle reconnaissance d’une manière d’être en ville et de la ville (Baby-Colin, 2000), produite par la présence de migrants étrangers dans les sociétés urbaines de Lomé et Accra.

La présence immigrée en ville : co-présence ou métissage ?

Pour Guy di Méo (2007), les villes seraient les lieux privilégiés d’observation de processus d’hybridation identitaire résultant de dynamiques migratoires, elles-mêmes marquées par la combinaison d’éléments culturels hétérogènes. Qu’en est-il à Lomé ou Accra ? Comment les migrants reformulent-ils leurs appartenances au contact de la ville et quelles en sont les traductions spatiales ? L’inscription diffuse des migrants d’Afrique de l’Ouest à Lomé et Accra interroge la possible production de métissages participant à créer de nouvelles dynamiques urbaines engendrées par la diversité des groupes sociaux, issue ici de l’expérience migratoire. Assiste-t-on à des formes de co-présence ou de métissage ?

Les expériences migratoires impliquent en effet une série de ruptures et de liens entre des lieux quittés, parcourus, investis, de transit auxquels se rattachent des identifications multiples qui se reconstruisent dans les espaces d’immigration au contact des pratiques et représentations de la société hôte. Le caractère fragmentaire de l’expérience migratoire est propice à l’incessante réinvention des identités individuelles et collectives entre un « ailleurs » passé et un « ici » présent. L’expression du « même changeant », empruntée à Paul Gilroy dans la traduction de l’introduction de L’Atlantique

noir (2003), souligne le processus dialectique entre l’identique et les marques de l’autre, de l’ailleurs.

Dans la perspective des Cultural Studies et des théories postcoloniales, comment lire les formes identitaires hybrides en ville ? Comment l’altérité et l’expérience de la distance s’impriment-elles dans les relations sociales en présence ?

Le maintien des liens avec un ailleurs renvoyant au passé, mais aussi l’introduction de pratiques et représentations de l’ailleurs dans la ville d’immigration, traduisent en fait le double processus mis en œuvre par les étrangers pour trouver une place en ville. La création de liens entre des lieux distants et l’implication d’un même individu dans deux lieux à la fois peut être lue sous la forme d’une perte de lieu d’identification comme l’explique Abdelmayek Sayad dans La double

absence (1999). Dans la préface de cet ouvrage, Pierre Bourdieu écrit : « comme Socrate selon Platon,

(4)

du Même, ni totalement du côté de l’Autre, [l’immigré] se situe en ce lieu bâtard dont parle aussi Platon, la frontière de l’être et du non-être social » (1999, 12). Les travaux d’Abdelamayek Sayad incitent à considérer l’immigré comme doublement absent : de son lieu d’origine et de son lieu d’arrivée. Cependant, la perspective inverse peut être envisagée : l’immigré aurait les compétences pour être doublement présent à travers des manifestations différenciées « ici » et « là-bas », selon des temporalités concurrentes. L’hypothèse de la prégnance de « là-bas » dans la ville d’installation des migrants implique l’identification de lieux figurant symboliquement et matériellement les liens avec des espaces « autres ».

A ce titre, les gares routières manifestent l’introduction de l’ailleurs dans les espaces intra-urbains. Les pratiques identifiées dans les gares routières participent à recréer les liens de « là-bas » dans la ville d’immigration. Lomé et Accra présentent pour point commun de disposer d’une série de gares routières dispersées dans le tissu urbain, à la différence d’autres capitales qui disposent d’une seule infrastructure centrale. La multiplicité de ces lieux d’entrée en ville est liée à la diversité de l’origine des migrants dont la mobilité est assurée par des petits entrepreneurs eux même issus de l’immigration dans presque tous les cas étudiés (cf carte 1). Les petites gares routières présentes avant tout dans les centres-villes marquent bien l’introduction de l’ailleurs dans des espaces d’interactions privilégiés.

(5)

Dispersées en ville, les gares routières sont des lieux où se donnent à voir des interactions entre migrants nouvellement arrivées, étrangers installés, en transit et citadins non étrangers. Les liens crées dans cet espace-temps sont porteurs d’une identité hybride, de l’entre-deux, entre ici et là-bas. Ces rencontres sont favorisées par une série de services pour passer le temps, en particulier des cabines téléphoniques (des téléphones fixes et cellulaires posés sur une table avec un compteur). Des petits commerçants proposent à la vente des biscuits, des fruits, des sacs, et divers petits objets de consommation importés (tels que des chaussures, du prêt-à-porter, des DVD) qui pourront éventuellement être transportés dans les pays voisins. Des vendeurs ambulants complètent l’offre de

(6)

service dans ces lieux : coupeurs d’ongles, cireurs de chaussures, etc. Ces activités sont destinées aux voyageurs, mais elles répondent également aux besoins des migrants qui habitent parfois plusieurs jours dans la gare, faute de mieux. Dans la gare internationale regroupant les compagnies CTI/ STMB (n°4 et 6 sur la carte), un espace est ainsi réservé à la disposition des effets personnels et de nattes en guise de matelas. Enfin, les gargotes sont quotidiennement fréquentées par des migrants qui, par ce biais, retrouvent des amis du pays et peuvent envoyer de l’argent ou des courriers dans les espaces quittés grâce aux conducteurs d’autocars. Dans tous les cas, les sociabilités qui se lient démontrent qu’un point commun d’identification aux personnes qui se croisent dans les gares réside dans une expérience liminaire de la citadinité, entre ici et là-bas.

Le rôle des activités commerciales dans les sociabilités produites par l’ailleurs dans les gares routières est également visible dans un autre espace central de la ville de Lomé, celui du Grand-Marché (cf. carte 2). Il est connu que la dynamique des espaces marchands est produite par et dans les dispositions multiples de la mobilité, comme le soulignait déjà Goerg Simmel dans son analyse sociologique de l’étranger (2004). Il nous rappelait l’apparition au cours du temps, et dans les espaces urbains, de l’étranger comme commerçant et du commerçant comme étranger. Cette posture commerçante est favorisée par la combinaison paradoxale de proximité et de distance qu’entretient l’étranger avec la société hôte. Dans son ouvrage Cabas et Containers, Michel Peraldi (2001) montre par ailleurs que les dispositifs commerciaux résultent pratiquement tous d’initiatives individuelles lancées au sein des groupes migrants dans la ville, et pérennisées par les solidarités religieuses, familiales, villageoises, etc. En effet, les lieux marchands, comme nous le rappellent d’autres auteurs «sont appréhendés en tant qu’espaces du mouvement et de la turbulence par excellence, traversés de transactions économiques, mais aussi d’interactions sociales et de mise en réseau, dans le cadre de transformations qui dépassent bien souvent l’échelle locale » (Capron, Cortès, Guétat-Bernard, 2005, 19-20).

A Lomé comme dans d’autres villes africaines, les marchés centraux symbolisent la rencontre de mobilités multiscalaires comme élément fondateur d’un lieu qui devient source de sociabilités, mais aussi d’échanges marchands et symboliques avec l’ailleurs. Le Grand-Marché de Lomé, « Assiganmé »1 en mina, renvoie ainsi à un secteur marchand connu et fréquenté par un très grand

nombre de citadins, migrants ou non. Centralité « typique » de la citadinité loméenne, le Grand Marché est pourtant un lieu de contact et d’interaction profondément marqué par la présence étrangère.

1 Ou Marché d’Adawlato dans la désignation administrative retenue par l’Établissement Public Autonome pour l’Exploitation des Marchés

(7)

Carte 2. L’altérité au cœur de la cité : l’ailleurs inscrit au centre de la cité => en N et B ?

Photographies 1 et 2. Le Grand-Marché, recréer les liens de là-bas dans le temps quotidien.

1. Cette rue du Grand-Marché est densément occupée par deux rangées d’étals de commerçants (sous des parasols) et par des vendeurs ambulants. Une bonne partie de ces commerçants sont des étrangers alors qu’autrefois ces rues étaient réputées pour être le domaine des Nana-Benz togolaises. En arrière-plan, les flèches de la cathédrale rappellent que l’on se trouve dans le cœur historique de Lomé.

2. À l’arrière de la cathédrale, un jeune homme (au premier plan à droite), sûrement un Nigérien, vend des sacs en parcourant le secteur du Grand-Marché. Il est certainement envoyé par un « grand frère » détenant un stand fixe dans le marché.

(8)

Centralité économique de l’agglomération, Assiganmé est donc un lieu d’activité, de sociabilité et d’information pour les natifs comme pour les migrants qui disposent d’éventuelles « connexions » dans ce secteur. Il n’y a pas de base statistique permettant de dénombrer les commerçants d’origine étrangère au Grand Marché, mais selon la directrice de l’EPAM (Etablissement Public Autonome des Marchés), ces derniers sont perçus comme étant « très nombreux

et en hausse »2 ; d’après une enquête journalistique3 menée en août 2008, ils seraient entre 35 à 40%

des commerçants (Nigérians, Nigériens et Maliens4). Les immigrés occupent ainsi une place

importante dans l’animation du Grand-Marché de Lomé et leur présence se signale d’ailleurs à travers des lieux emblématiques tels que la Maison de la Côte d’Ivoire, la maison du chef des Yorubas, les espaces de chargement de marchandises pour les pays voisins et, bien entendu, les gares routières (cf. carte 2). En outre, certaines boutiques sont identifiées comme des lieux d’interconnaissance privilégiés, parmi lesquelles se trouvent les magasins tenus par les élites des groupes immigrés. Le président de l’association des Maliens a ainsi une boutique de vêtements qu’il vend en demi-gros du côté de la rue du Commerce (cf. carte 2). Ainsi, des liens sociaux durables se juxtaposent aux côtés des sociabilités hybrides engendrées par les besoins contraints de consommations qui ne fournissent qu’une brève interaction. La co-présence d’étrangers de diverses origines et de natifs dans le lieu central du Grand-Marché nous permet d’entrevoir l’émergence d’espaces de référence de la posture étrangère redéfinie dans des interactions locales, et donc métissées. Ces identifications qui émergent des multiples interactions prenant place au cœur de la cité loméenne paraissent contredire les discours performatifs des associations de migrants réifiant l’origine comme élément d’identification hermétique aux dynamiques de métissage, et ce malgré la diversité des trajectoires individuelles.

L’incessante reconstruction de l’unité au sein des associations d’originaire : des discours performatifs ?

« Aujourd’hui, je me considère comme ivoirien. Chez nous il y a un adage qui dit : ‘Un bois qui tombe

dans l’eau ne peut jamais devenir crocodile’. Je suis ivoirien, je ne peux jamais devenir ghanéen. »

Samuel, Ivoirien installé à Accra depuis 14 années (mai 2007). Derrière le but commun des associations de migrants se trouve une diversité d’organisations mobilisant des références identitaires et temporelles distinctes. Les associations donnent à voir de multiples registres identitaires garants de regroupement et d’identification à la ville. Ces identifications sont choisies par les étrangers se trouvant à la tête des structures associatives, dans une position de pouvoir dans la ville d’immigration, en termes socio-économiques et/ou politiques. Les

2 Entretien de 2008.

3 Focus Infos, journal mensuel d’informations et d’analyses togolais lancé en janvier 2008. 4 Suivis des Chinois et Indo-Pakistanais.

(9)

étrangers qui se trouvent à la tête des associations doivent en effet avoir la capacité à se désigner ou se faire élire en porte-parole. Cela nécessite une certaine reconnaissance auprès des migrants associés.

Les référents sollicités dans la mise en visibilité des origines renvoient à plusieurs échelles spatiales mais aussi au genre, au religieux et parfois aux loisirs. La forme d’association systématiquement mise en place dans les villes d’immigration est celle s’appuyant sur le pays d’origine telle que la « Communauté Ivoirienne au Togo (CITO) » ou « Fraternité » pour les Burkinabés du Togo. Des associations d’échelle supranationale comme celles des Francophones à Accra ou d’échelle infranationale, c’est-à-dire régionale, villageoise et/ou ethnique complètent les possibles identifications des étrangers à un groupe en rapport avec l’espace d’origine. Par exemple, les Ibos originaires de la ville et des environs d’Owerri5 vont se retrouver chez un leader une fois par

mois, pour prendre connaissance des nouvelles des membres du groupe constitué à Lomé, mais aussi des proches restés à Owerri. L’adhésion d’un individu à une association n’est en rien contraire à sa participation à une seconde, voire à une troisième association. Selon le temps dont il dispose et ses intérêts, le migrant projette plus ou moins ses identifications multiples à travers les associations d’originaires. La création et l’évolution des associations d’originaires à Lomé et Accra mettent en évidence une multiplicité d’initiatives pour rendre visible l’unité apparente de groupes de migrants ayant pourtant des trajectoires et des projets uniques.

Les réunions des associations d’étrangers ont à la fois la vocation de faire connaître la ville en élargissant le réseau social de l’immigré, mais aussi celle de se faire connaître aux yeux des autorités locales et des potentiels membres afin d’accroître leur légitimité. Le chef de la Communauté Ivoirienne par exemple sollicite ses connaissances ivoiriennes travaillant dans l’audiovisuel pour faire passer des messages (au cours d’émission télévisée ou radiodiffusée). Les réunions programmées sont ainsi annoncées sur les canaux de communication de grande audience. Les affichages sont un second mode de diffusion d’information concernant une future réunion. En général, ces affiches sont placardées devant le domicile de chaque représentant d’association. Le lieu de domicile ou de travail du président d’association joue un rôle particulier pour les membres de l’association qui vont s’y déplacer pour rencontrer des compatriotes ou faire état au président de préoccupation. Le dernier mode de communication, et sûrement le plus efficace, réside dans le bouche-à-oreille. Dans des lieux de sociabilité tels que le Grand-Marché, les informations circulent lors de la programmation d’une réunion ou de festivités par une des associations d’originaires de la ville. Un Guinéen de Kodjoviakopé explique ainsi qu’il se rend une fois par semaine au Grand-Marché pour rencontrer un commerçant membre du bureau de l’association afin de se tenir informé des actualités et des événements concernant les ressortissants guinéens.

La fréquence des réunions varie d’une structure à l’autre. Mais dans bien des cas, l’implication d’un membre dans une association requiert de consacrer une part importante de temps, si ce dernier

(10)

souhaite réellement être actif au sein de l’association. Les réunions peuvent avoir lieu toutes les deux semaines, et les membres du bureau se réunissent parfois à une fréquence hebdomadaire. Les discours sont prononcés dans la langue nationale du pays et parfois en différents dialectes, comme c’est le cas chez les Burkinabé, où les discours sont traduits en trois dialectes successifs (Moré, Peul, Bissa) du fait de la diversité des pratiques linguistiques de l’assistance. Cette pluralité linguistique souligne bien l’écart entre la vitrine de « l’unité » du groupe et la diversité des expériences individuelles.

En dehors des réunions, les liens sont maintenus à travers des temps forts au cours de l’année. Le choix des moments pendant lesquels l’association regroupe ses membres répond à la volonté de se faire connaître et de rappeler les liens de « là-bas » et la distance séparant les migrants des autres citadins. Les mariages et le jour de la fête nationale du pays d’origine sont ainsi généralement l’occasion de fêtes dans l’espace public. De multiples exemples peuvent être donnés, à Lomé comme à Accra. Ainsi, en 2008, les Ivoiriens de Lomé fêtent la date de l’Indépendance ivoirienne sur la plage pendant un week-end, en attirant beaucoup de citadins, ivoiriens ou non. Les drapeaux, les plats cuisinés, et le choix de la musique rappellent l’appartenance ivoirienne des organisateurs et des membres de l’association partie prenante des festivités. Des artistes de Côte d’Ivoire sont invités sur la scène musicale dressée pour l’occasion. Ces moments festifs rejoignent la double vocation de l’association : faire connaître la distance socio-culturelle du groupe aux yeux des autorités et des citadins de la ville d’immigration, mais aussi mettre en scène une identité commune à des individus dont les trajectoires migratoires et les profils socio-économiques sont fort divers. La diversité des trajectoires est rappelée par une formule imagée récurrente dans les discours des membres du bureau de l’association ivoirienne : « nous sommes venus en détail ». Au cours des réunions associatives, cette expression de la diversité et de l’éparpillement constitue une rhétorique de légitimation d’un projet commun et unitaire pour se faire connaître et connaître la ville.

Ces moments animés par les associations d’originaires dans des espaces particuliers de la ville concourent ainsi à créer une vitrine du groupe qui place au premier plan l’unité tout en laissant dans l’invisibilité les reconfigurations identitaires hybrides produites dans le contact avec la ville d’immigration. Pourtant derrière ces discours se trouvent des rapports de pouvoir qui configurent des accès différenciés à la ville. Le terme de « communauté » employé dans la désignation de nombreux groupes associés indique le besoin pour les représentants du groupe à acquérir une légitimité dans leur position d’élite. Revendiqué par les associations d’étrangers, le terme de communauté est destiné à montrer l’unicité des caractéristiques collectives de certains individus dans la mise à distance de leur lieu d’origine. Le choix du terme dans la désignation du groupe étranger traduit la volonté de souligner le fait que les individus en provenance du même lieu agissent à partir d’intérêts et de références communs, autrement dit à se considérer « identiques entre eux », si l’on adopte le point de vue de Rogers Brubaker (2001) sur la définition identitaire du communautaire. Depuis le travail de Benedict Anderson (1991) sur les communautés, qu’elles soient nationales ou d’échelles inférieures, ces dernières sont analysées comme la mise en commun de référents reconnus par les membres du groupe

(11)

et structurés par un imaginaire commun. Comme il a été montré, la communauté immigrée produit des représentations collectives des temporalités de la migration, mais aussi des images communes de la ville d’immigration, malgré des parcours et des profils individuels distincts.

Conclusion

La vitrine associative démontre en fait une différenciation interne aux groupes étrangers au sein desquels les élites ont le pouvoir de dire et d’organiser au mieux la défense de leurs intérêts en termes sociaux et économiques. L’analyse des associations d’originaires traduit en partie des mécanismes de réaffirmation de l’altérité dans la définition des groupes citadins. Il s’agit, dans ces structures, de revendiquer une différence, et donc un caractère autre, par rapport à la norme dominante en ville. Il s’agit bien d’une mobilisation citadine signalant l’émergence d’une élite étrangère dans les cités, et non pas uniquement de la reproduction des liens de là-bas, comme cela est parfois suggéré par les personnes se trouvant à la tête des associations d’originaires. Si la notion de métissage apporte un contrepoint éclairant aux pratiques et représentations propre aux migrants dans deux sociétés urbaines d’Afrique de l’Ouest, celle-ci ne doit cependant pas conduire à considérer que les étrangers formeraient un groupe unifié, aux pratiques lissées, connues ou reconnaissables. Comme dans toute ville, les migrants réinterprètent forcément l’appartenance à l’espace quitté au contact des espaces investis, dans des dynamiques propices à l’émergence de métissages bien que mises en invisibilité par certains discours performatifs.

Bibliographie

AMSELLE J.-L. (1976), Les migrations africaines, réseaux et processus migratoires, Paris, Maspero.

AMSELLE J.-L. (1990), Logiques métisses, Paris, Payot.

ADEPOJU A. (2005), « Patterns of Migrations in West Africa » in MANUH T., At home in the world?

International migration and development in contemporary Ghana and West Africa (2005) Accra,

Sub-saharan publishers, 24-54.

ADEPOJU A. (2000) « Les migrations internationales en Afrique subsaharienne : problèmes et

tendances récentes », Revue internationale des sciences sociales, n°165, 435-448.

ANDERSON

B. (

1991) Imagined Communities. Reflections on the Origin and Spread of Nationalism,

(12)

BABY-COLLIN (2000), Marginaux et citadins. Construire une urbanité métisse en Amérique latine.

Etude comparée des barrios de Caracas (Venezuela) et des villas d’El Alto de La Paz (Bolivie), Thèse

de doctorat de géographie, Université de Toulouse II - Le Mirail.

BOYER, F. (2005) Être migrant et Touareg de Bankilaré (Niger) à Abidjan (Côte d'Ivoire) : des

parcours fixes, une spatialité nomade, Thèse de géographie, Université de Poitiers.

BRUBAKER (2001) « Au-delà de l’identité », Actes de la recherche en sciences sociales, 139, 66-85.

CAPRON G., CORTES G., GUETAT-BERNARD H. (2005) Liens et lieux de la mobilité. Ces autres

territoires, Paris, Belin.

DI MEO G., (2007) « Identités et territoires : des rapports accentués en milieu urbain ? », Métropoles, 1, Varia, Accessible sur Internet, http://metropoles.revues.org/document80.html

GILROY,2003 [1993], L’Atlantique Noir : modernité et double conscience, Paris : éditions Kargo.

PERALDI M. (2002), « Introduction », in La fin des norias ?, Paris : Maisonneuve et Larose, pp.11-35.

SAYAD A., (1999), La double absence : des illusions de l'émigré aux souffrances de l'immigré, Paris:

Éditions du Seuil.

SIMMEL G., (2004) [1908], « Digressions sur l’étranger », in GRAFMEYER Y.,JOSEPH I., 2004 [1979],

L’école de Chicago, naissance de l’écologie urbaine, Paris : Flammarion, 53-59.

SINDJOUN L. (2005), États, individus et réseaux dans les migrations africaines, Paris : Karthala

ZONGO M. (2003) « La diaspora burkinabé en Côte d’Ivoire: trajectoire historique, recomposition des

dynamiques migratoires et rapport avec le pays d’origine », in African Sociological Review, vol. 7(2), 58-72.

Références

Documents relatifs

Yaoundé.. Le fonctionnement du Comité est subordonné à l’adoption d’un rqglement intprieur par les membres. Le Secrétariat du Comité des Etats Parties est assuré

Afin d’évaluer la contribution des agents pathogènes et de l’environnement à la survie des pintadeaux, les élevages ont été repartis en quatre lots expérimentaux et un

La définition de l’albuminurie par un RAC supérieur à 20 mg/g dans les urines avait une sensibilité et une spé- cificité de 100 % et 90 % dans la détection de l’albuminurie

Methodology: A total of 207 well water samples and 197 samples of water from drillings in the city of Lomé collected between June 2012 and July 2013 were analyzed using

« Suite à la fermeture du parc Maximilien, le collectif des sans-papiers a voulu continuer la lutte dans un autre lieu [2] Le Collectif des sans-papiers était très actif dans le

Concrètement, le "Vieux Martigny » veut raviver l'intérêt des habitants de cette ville pour ce qu'il y a de beau, de curieux dans leur environnement quotidien.. Dans telle

Cette étude témoigne de l’importante place de la gonarthrose en consultation rhumatologique à Lomé où le sexe féminin, l’obésité et les déformations en valgus et en

La répartition selon la plasmocytose médullaire montre que dans la plupart des cas, la plasmocytose médullaire était révélatrice du MM car 92,5% des patients avaient une