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Stigmates : faire avec, faire face

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Academic year: 2022

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Stigmates : faire avec, faire face

Dans le prolongement des réflexions engagées lors de notre précédent évènement consacré aux processus d’altérisation, nous souhaitons désormais placer la focale sur la manière dont les individus et groupes marqués du sceau d’un stigmate, compris comme « attribut qui jette un discrédit profond » (Goffman, 1975) gèrent cette situation de stigmatisé.e.s. Ainsi, si c’est bien

« en termes de relations et non d’attributs qu’il convient de parler » (Goffman, 1975) pour appréhender le stigmate, ou plutôt donc la stigmatisation, il nous paraît important d’analyser le rôle que joue la personne marquée du stigmate dans ce processus de stigmatisation par ses différentes façons de se positionner par rapport à ce-dernier. Le thème de cette troisième journée d’étude du laboratoire junior Altérités s’articulera donc autour de la tension entre « faire avec » et

« faire face » à la stigmatisation.

De la stigmatisation aux réactions au stigmate

En ce qu’elle est un rapport négocié, la stigmatisation gagne à ne pas être analysée seulement du point de vue des « normaux » (Goffman,1975). Il faut également prendre en compte la manière dont les individus font avec la situation de stigmatisé.e.s. Or, les attitudes adoptées par ces derniers sont nombreuses et diverses. On pourrait dans un premier temps s’interroger sur la possibilité d’établir une typologie de réactions. Mais sur quels critères la fonder ?

Le type d’attribut générant le stigmate peut-il constituer un critère de classement pertinent ? On peut par exemple ici reprendre la distinction opérée par Goffman entre l’individu « discrédité.e

» et l’individu « discréditable », selon que l’attribut est immédiatement perceptible ou non : une incarcération passée, une orientation sexuelle, la couleur de la peau, une cicatrice, ou encore le port d’un tatouage pouvant indiquer l’appartenance à un groupe sont autant d’attributs qui évoquent une visibilité différente du stigmate. A l’échelle de l’individu, toute une série de pratiques émergent qui représentent autant de façons de gérer l’information de son stigmate, de la dissimulation totale à la gestion méticuleuse de celle-ci, en passant par des pratiques de passing, consistant à se faire passer pour membre d’un groupe social auquel on n’appartient pas. Il s'agit ainsi pour l'individu de jouer sur différents registres de présentation de soi selon le groupe social dans lequel il évolue. La dissimulation d'une "information destructive" qui révélerait l'écart à la norme sociale dominante et/ou l'adoption de certains codes ou pratiques sont alors au cœur de ces pratiques de jeu de rôle (Goffman, 1973). Certaines configurations renforcent les effets du stigmate et le discrédit vécu par ceux qui le portent. On pourra alors s'interroger sur les effets d'une superposition des formes de marginalisation, lorsqu'à une marginalisation sociale s'ajoute par exemple une marginalisation spatiale (prisons, « banlieues », certains espaces ruraux) ou encore lorsqu'on assiste à une superposition de stigmates : être noir et homosexuel, être issue d’un peuple autochtone et être femme. Comment gère-t-on les stigmates dans ce type de configurations ?

Peut-on alors envisager la forme de la stigmatisation et l'intensité de la discrimination vécue comme paramètres d’étude des réactions à la stigmatisation ? La haine de soi, la discrimination ordinaire ou encore l’atteinte à l’intégrité physique sont autant de formes que peut prendre la stigmatisation et qui peuvent donner lieu à des stratégies de résistance différenciées.

Enfin, quelle place faire aux formes et pratiques adoptées par les stigmatisé.e.s, individuellement ou en groupe, pour répondre au discrédit vécu ? Les stratégies à adopter sont loin de faire consensus au sein du groupe des stigmatisé.e.s et chacun.e peut se positionner différemment par rapport à la stigmatisation qu’il ou elle peut subir. A la volonté d’occulter la différence qui fonde le stigmate, pour se faire une place dans la société, peut répondre la volonté d’être accepté.e avec son stigmate, voire dans certains cas, d’être accepté.e pour son stigmate en lui attribuant une certaine valeur dans une logique de renversement.

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Politiques de la « déstigmatisation » : faire face

Cette dernière opposition amène à s’interroger sur les enjeux politiques qui sous-tendent ces stratégies. Faire face à la stigmatisation, est-ce chercher les moyens de se détacher de l’attribut responsable du discrédit ? Entre dissimulation du stigmate et tentatives d’effacement du caractère discréditable de la marque, il s’agira de s’interroger sur la manière dont différents groupes se positionnent et comment cela influence leurs actions. Plus généralement, ce débat quant à la stratégie à adopter pour faire face à la stigmatisation pose au fond la question de la gestion de la différence dans la société, entre assimilationnisme et différentialisme.

Le groupe dominant conserve cependant un ascendant en qualifiant de plus ou moins légitime telle ou telle stratégie de résistance. Pour ce faire, plusieurs types de discours qu’il conviendrait d’analyser peuvent être mobilisés, à l’instar du spectre rhétorique du « communautarisme ». Il convient donc d’aborder également les obstacles que peuvent rencontrer les réactions à la stigmatisation. De plus, conceptualiser la stigmatisation en termes de rapports de domination invite à se pencher sur la question des résistances, comme le rappelle Foucault : “là où il y a pouvoir, il y a résistance” (1976). Au-delà d’un répertoire d’actions, la résistance peut être considérée également comme un registre de discours, formulé par certain.e.s acteurs et actrices selon le contexte. Qu’est-ce qui relève de la résistance ? Qui est légitime, ou du moins qui se présente comme tel, pour en juger ? Par exemple, les stratégies d’invisibilisation du stigmate peuvent-elle être considérées comme une forme de résistance ou bien relève-t-elle d’une intériorisation des rapports de domination ?

La question de la légitimité des formes d’actions mobilisées pour lutter contre la stigmatisation incite également à s’interroger sur les voix mobilisées pour faire face à la stigmatisation. Qui parle pour qui ? Qui est présenté.e comme légitime pour faire face à la stigmatisation ? Se pose la question des porte-paroles, des représentant.e.s des stigmatisé.e.s. Le questionnement peut d’abord porter sur la façon dont peuvent être accepté.e.s les « initié.e.s » (Goffman, 1975), ces personnes non-stigmatisées mais proches des stigmatisé.e.s et de leurs préoccupations, et sur le rôle stratégique ou au contraire problématique qu’ils peuvent jouer dans le débat public. Il convient également de se poser cette question au sein du groupe des stigmatisé.e.s. L’émergence du concept d’intersectionnalité (Crenshaw, 1991) a notamment été liée à la nécessité de prendre en compte la diversité des situations au sein d’un groupe de personnes marginalisées, afin de s’assurer que la vision véhiculée par ses « représentants » n’invisibilise pas certaines situations spécifiques résultant du croisement de différents facteurs de marginalisation. On peut donc s’interroger sur les modalités d’émergence des groupes qui se sont constitués pour intervenir dans le débat public afin de faire face à des stigmatisations. Cela amène par conséquent à une définition nécessaire des arènes du débat public où l’existence politique des groupes stigmatisés est considérée comme légitime : pour envisager d’être entendu, il faut d’abord avoir le droit de parler. L’existence légale du groupe est-elle autorisée ? Existe-t-il une sphère publique, une arène de débat où les voix des stigmatisé.e.s peuvent s’exprimer ? Dans quelle mesure l’enjeu des résistances ou des luttes pour un droit à la différence est-il d’ouvrir de nouveaux espaces de débat

?

Faire avec le stigmate, faire avec la catégorisation

Si la question du choix des représentant.e.s parmi les stigmatisé.e.s s’avère si sensible, c’est notamment parce que la stigmatisation relève d’un processus de catégorisation qui conduit à ce qu’un.e stigmatisé.e soit constamment perçu.e comme seul.e représentant.e de l’ensemble de ses congénères partageant le même stigmate. On peut ainsi rappeler les propos de D. Eribon à propos des homosexuels : « un "pédé", pour le regard social dominant, pour la société hétérosexiste et homophobe, ce n'est rien d'autre qu'un "pédé", en même temps qu'un "pédé" c'est tous les

"pédés" à la fois et toute l'homosexualité » (Eribon, 2001). Toute gestion du stigmate s’inscrit donc dans la gestion du processus plus global de la catégorisation.

Premier avatar de la catégorisation, la dénomination s’avère centrale dans les processus de stigmatisation. Nommer un individu en mentionnant son stigmate lui rappelle son positionnement à

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part dans l’espace social tout en l’essentialisant au seul prisme de l’attribut qui le discrédite. Rien d’étonnant alors dans le fait que toute réflexion sur la façon de gérer une situation de stigmatisation intègre rapidement l’enjeu de la dénomination. C’est par exemple le cas avec la tentative de normaliser le recours à des termes moins offensants ou au contraire la réappropriation des injures pour s’auto-désigner, permettant notamment de désamorcer l’enfermement et la violence qu’elles provoquent. Comment intégrer ces enjeux de dénomination dans les stratégies pour faire face aux stigmatisations ? De quoi peuvent être révélateurs les choix de telle ou telle stratégie en la matière ? Peut-on nommer la différence sans assigner à identité ?

Ces questionnements sur les stratégies dénominatives à adopter pour faire face à la stigmatisation cristallisent en fait la difficulté de se positionner par rapport au processus de catégorisation à l’origine de la stigmatisation. Le cœur de cette difficulté s’exprime dans la tension qui existe dans le fait d’utiliser les catégories issues de la stigmatisation afin d’y faire face. Les débats suscités par les politiques de quotas ou le recours à des statistiques « ethniques » ont pu illustrer cette tension. Dès lors, comment se positionner et quelles stratégies adopter face à cela, que ce soit à l’échelle de l’individu stigmatisé ou à celle du groupe d’action structuré ?

Après deux rencontres consacrées d’une part aux concepts mobilisés pour dire la différence et d’autre part à l’analyse des processus de fabrique de l’altérité et de la marginalité, le laboratoire junior Altérités propose donc pour sa troisième journée d’étude d’ouvrir la réflexion sur les différentes manières de “faire avec” la marginalisation. En envisageant la journée comme une rencontre entre universitaires et militant.e.s, elle aura pour objectif de faciliter le dialogue entre deux univers entretenant des relations complexes et construisant des savoirs différents.

Florent Chossière, Marine Duc et François-René Julliard

Références

Crenshaw, K., 1991,”Mapping the margins: Intersectionality, identity politics, and violence against women of color” Stanford law review, 1991, p. 1241-1299.

Eribon, D., 2001, Une morale du minoritaire. Variations sur un thème de Jean Genet, Fayard.

Foucault, M., 1976, Histoire de la sexualité (Tome 1), La volonté de savoir, Gallimard.

Goffman, E., 1973, La mise en scène de la vie quotidienne (tome 1), La présentation de soi, Editions de Minuit.

Goffman, E. 1975, Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Editions de Minuit.

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