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ANATOMIE DU JUDAÏSME FRANÇAIS

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ANATOMIE

DU JUDAÏSME FRANÇAIS

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RABI

ANATOMIE DU JUDAÏSME

FRANÇAIS

LES ÉDITIONS DE MINUIT

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© 1962 by Les Editions de Minuit.

7, rue Bernard-Palissy — Paris (Ve).

Tous droits réservés pour tous pays.

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AVANT-PROPOS

Qu'est-ce que le judaïsme français ? D'où vient-il ? Où va-t-il ? Que représente cette minorité, de 500 000 âmes bientôt, au sein d'une nation à la fois chrétienne et ratio- naliste ? Dans quelle catégorie spirituelle, culturelle, sociale ou politique peut-on la classer ? Forme-t-elle un secteur monolithique ou un groupe traversé de mille courants ? Constitue-t-elle une religion, une culture, une classe ? Comment, elle-même, définit-elle son identité ? De quelle nature sont ses liens avec la France, les autres commu- nautés juives du monde, Israël ? Enfin, quelles sont ses perspectives ? Depuis cinquante années on prophétise son extinction imminente, et sans cesse elle renaît au fil des accidents de l'histoire. Pourquoi ?

C'est à ces questions que j'essaie de répondre. Il y a une biologie de l'histoire. Le judaïsme se définit moins en termes de dogmes qu'en termes de vitalité.

Cet ouvrage comporte deux parties. Dans la première, il traite de l'histoire. Dans la seconde, il aborde la question des structures du monde juif d'aujourd'hui et les pro- blèmes qui se posent à lui.

Le développement historique est présenté dans la mesure où il apparaît nécessaire pour comprendre la période contemporaine. C'est pourquoi j'ai commencé au 27 septembre 1791, date à laquelle les Juifs de France sont devenus citoyens français.

Certes, au cours du moyen âge, les Juifs ont été rela- tivement nombreux dans le Royaume de France ainsi que dans les provinces limitrophes qui lui ont été rattachées dans la suite. Ils furent nombreux en Champagne, Bour- gogne, Alsace, Lorraine, Normandie, Languedoc, Provence, Dauphiné, sur les rives de la Loire et à Paris. Certains historiens évoquent même, pour la période qui va du X au au XIV siècle, un « âge d'or » culturel et spirituel illustré par les grandes écoles de Troyes, de Narbonne, de Lunel.

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Selon Bernhard Blumenkranz, les Juifs représentaient alors une masse de 100 000 âmes. Mais le fait est que, après les expulsions de 1306 et 1394, on constate un véritable hiatus de quatre siècles. L'histoire des Juifs de France ne reprend vraiment son cours qu'à partir de l'année 1791. Je considère cette date comme celle de la naissance de la communauté juive de France, telle que nous la voyons vivre aujourd'hui.

Dans la seconde partie, j'ai été amené à déborder le cadre proprement français lorsque j'en suis venu aux problèmes contemporains. Cette communauté n'apportant pas toujours une réponse nette, il m'a paru nécessaire de procéder ainsi afin de présenter un exposé complet de notre problématique. Dans cet ouvrage, qui n'est ni un inventaire ni un bilan, j'ai surtout voulu dégager les lignes de force d'un groupe humain en devenir.

Depuis une trentaine d'années je suis engagé dans l'existence de ce judaïsme français en qualité de combat- tant ou d'observateur. Malgré mon désir d'être objectif, je n'ai pas pu toujours réfréner la passion que j'ai mise à rédiger cet essai. Tout au moins ai-je mis cette passion au service de ce que je crois être la vérité.

R.

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PREMIÈRE PARTIE

HISTOIRE

DE CENT CINQUANTE ANNÉES

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I

A LA RECHERCHE DES TRIBUS DISPARUES Une naissance laborieuse.

Le 27 septembre 1791, après un débat laborieux, à la veille de se séparer, presque à la sauvette, et par « cheva- lerie de principe » comme l'a dit Max Nordau, l'Assemblée constituante proclama, par le texte suivant, que les Juifs étaient désormais citoyens français :

« L'Assemblée nationale, considérant que les condi- tions nécessaires pour être citoyen français et pour devenir citoyen actif sont fixées par la Constitution, et que tout homme qui, réunissant les dites conditions, prête le ser- ment civique et s'engage à remplir tous les devoirs que la Constitution impose, a droit à tous les avantages qu'elle assure ;

» Révoque tous ajournements, réserves et exceptions insérés dans les précédents décrets relativement aux indi- vidus juifs qui prêteront le serment civique, qui sera regardé comme une renonciation à tous privilèges et exceptions introduits précédemment en leur faveur. »

Le principe général était déjà acquis, en vertu de l'article premier de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen adoptée dès le 27 août 1789. Encore fallait-il appliquer ce principe aux protestants, aux Noirs, aux Juifs.

Or en ce qui concerne les Noirs, le décret du 15 mai 1791 n'accorda les droits politiques qu'aux mulâtres nés de père et de mère libres : en fait, à Saint-Domingue, seuls 20 000 Noirs sur 500 000 purent bénéficier de la liberté.

La résistance des colons blancs et l'impuissance de l'Assem- blée à soutenir ses décisions par la force dans les terri- toires éloignés en furent la cause. « Dans la lutte entre

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les principes et les réalités, les réalités furent les plus fortes », écrit l'historien Sagnac (1).

Les débats furent encore plus laborieux en ce qui concerne les Juifs. Il s'en fallut de peu que l'Assemblée se séparât sans régler la question. Les partisans des Juifs étaient Clermont-Tonnerre, Duport, Custine, Robespierre, Mirabeau et l'abbé Grégoire ; leurs adversaires l'abbé Maury, l'évêque de la Fare, Rewbell et Broglie. Les argu- ments avancés par ces derniers étaient : que les Juifs répugnaient à l'agriculture, qu'ils ne pouvaient combattre le jour du Sabbat, qu'ils réprouvaient tout travail manuel, enfin qu'ils étaient essentiellement des usuriers : « Ils possèdent en Alsace, affirmait l'abbé Maury, douze millions d'hypothèques sur les terres. Dans un mois, ils seront propriétaires de la moitié de cette province. Dans dix ans, ils l'auront entièrement conquise, et elle ne sera plus qu'une colonie juive. » A cela les défenseurs répliquaient que ces traits fâcheux, dont ils ne méconnaissaient pas l'existence, étaient la conséquence d'un régime d'oppression que les Juifs subissaient depuis des siècles, et qu'il fallait, au moyen de la liberté, « régénérer la nation juive. »

Quant aux Juifs eux-mêmes, dans leurs rêves les plus insensés, ils ne songeaient même pas pour la plupart au citoyennat. Ainsi, après la publication des lettres patentes du 10 juillet 1784, les Juifs d'Alsace avaient présenté au Conseil des dépêches leurs représentations ; ils s'élevaient contre les dispositions adoptées par le roi, se plaignaient des restrictions apportées à leurs libertés, signalaient les fréquents enlèvements d'enfants dont leurs familles étaient l'objet. Mais l'idée d'une admission au sein de la nation sur un pied d'égalité n'était même pas effleurée.

Une première fois le débat fut ajourné, à quatre voix de majorité. Le 28 janvier 1790, sur l'intervention de Talleyrand, l'Assemblée consentit à accorder le citoyennat aux Juifs du Midi en raison de leur francisation plus avancée : « Tous les Juifs connus sous le nom de Juifs portugais, espagnols et avignonnais continueront de jouir des droits dont il ont joui jusqu'alors et qui leur ont été accordés par des lettres patentes ». Le 30 avril 1791, les défenseurs des Juifs revinrent à la charge. Mais l'Assemblée

(1) SAGNAC, in LAVISSE, t. I, 121 s.

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répondit qu'elle n'entendait « rien préjuger sur la ques- tion des Juifs, qui a été et qui est ajournée ».

La question semblait définitivement tranchée. C'est dans ces conditions que, le 27 septembre 1791, à trois jours de l'expiration des pouvoirs de l'Assemblée, et malgré la vive opposition de Rewbell, le texte du décret proposé par Duport fut adopté. C'était un pari sur l'avenir.

Ce texte constitue l'acte de naissance de la commu- nauté juive de France. Plus tard il sera complété par deux décrets napoléoniens du 17 mars 1808, réglementant le culte, et par un troisième, du 20 juillet 1808, sur l'état civil. Le 8 avril 1831, la monarchie de juillet admettra le culte israélite au nombre des cultes salariés par l'Etat et, le 25 mai 1844, réorganisera le Consistoire. Cet ensem- ble de textes constitue le premier statut des Juifs, qui, pendant un siècle, assurera la liberté à la communauté juive de France, mais aussi les conditions propres à pro- voquer, à plus ou moins longue échéance, sa mort.

Cent ans en effet après l'émancipation, à la veille de l'affaire Dreyfus, le judaïsme français constituait un désert.

On pouvait compter sur les doigts de la main les descen- dants des familles juives du premier Empire. Les grandes communautés de Bordeaux, de Bayonne, et de l'ancien comtat Venaissin avaient pratiquement disparu. L'Alsace seule subsistait encore, protégée par une armature lin- guistique et un isolement qui constituaient sa force. En revanche, le développement économique et social avait été brillant. Des Juifs occupaient des positions solides dans l'industrie, dans la banque, dans le commerce, dans les professions libérales. En l'espace de trois générations le judaïsme français était parvenu à assurer une intégration presque parfaite. Sa structure était celle d'une bourgeoisie libérale, républicaine, légèrement centrée à gauche et profondément patriote.

Un homme aurait pu reconnaître son œuvre et s'en réjouir : l'abbé Grégoire, le père spirituel de l'acte de 1791 et des prolongements de 1808, le seul sans doute qui, par-delà la générosité de principe des défenseurs des Juifs, avait une connaissance réelle du problème et qui disposait d'une conception d'ensemble cohérente. Il est temps de démystifier ce personnage de légende. En 1931, à l'occasion de la commémoration du centenaire de sa mort, au milieu du concert d'éloges, une voix discordante,

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celle de Meïr Leviah, s'éleva timidement (2). Que disait- elle ?

Grégoire était un missionnaire, et missionnaire à un tri- ple titre : de la Révolution, de la langue française, et de l'Eglise. Or un missionnaire est un homme qui, tout en manifestant une sympathie réelle et agissante pour les individus qui composent le groupe où s'exerce sa mission, éprouve un mépris fondamental pour son patrimoine culturel et spirituel. Ainsi, dans son rapport sur la néces- sité et les moyens d'anéantir les patois et d'universaliser l'usage de la langue française, « langue de la liberté », Grégoire allait jusqu'à préconiser la destruction par les soins de la police des enseignes en langue dialectale, et même l'examen linguistique prénuptial.

Pour briser la Synagogue, il opéra dans la même perspective. En 1875, l'Académie royale des sciences et des arts de Metz avait mis en concours le sujet suivant :

« Est-il des moyens de rendre les Juifs plus utiles et plus heureux ? » Trois concurrents se partagèrent le prix, l'avo- cat Thierry, Salkind Hurwitz, interprète à la bibliothèque du roi, et l'abbé Grégoire. Le texte de Grégoire était intitulé Essai sur la régénération physique, morale et politique des Juifs. A travers des affirmations de sym- pathie dont la sincérité n'était pas douteuse apparaissait cependant un plan qui avait pour but de détruire « la nation juive ».

Il fallait, disait-il, agir avec prudence, et se garder d'effaroucher les Juifs : « N'allons pas toutefois heurter leurs préjugés [...] Vous allez justifier la défiance du peuple hébreu, l'avertir de se tenir en garde, et raidir sa résis- tance : tout sera manqué. » Quel était donc l'objectif immédiat ? : « Emparons-nous de la génération qui vient de naître. » Comment ? Eh bien, par exemple, les lois rituelles à quoi ils sont si fort attachés, « peuvent être modifiées, ou du moins leur exercice peut être omis à raison de la difficulté ou de l'impossibilité ». Les lois alimentaires ? « Les plaisanteries innocentes qui attaque- raient la chose et non la personne feront disparaître ces vétilles. » Les mariages « mixtes » ? « On ne peut trop les multiplier. » Les rabbins ? « On pourrait se passer de

(2) Meïr LEVIAH, « L'abbé Grégoire contre la Synagogue », dans Chalom, juin 1931. Meïr LEVIAH était le pseudonyme d'Albert LÉVY. Voir également GRÉGOIRE, Mémoires, avec une introduction d'H. CARNOT, 1837,

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rabbins dont l'entretien est très dispendieux. » Pour ceux qui subsisteraient, « on s'assurera de leur science et de leurs principes, on dirigera vers le bien politique et moral leur enseignement dans la synagogue ». Les traditions ? Il faudra détruire cet « attachement à des traditions bur- lesques qui excitent tout au plus le rire de la pitié ».

Le résultat final ne fait pour lui aucun doute : « L'assem- blage de tous ces moyens ébranlera toute la nation et entraînera même les réticents ; car quand il faut lutter constamment contre l'instruction, l'évidence, l'autorité, le plaisir, l'exemple, le ridicule et la nécessité, pour conserver des opinions absurdes, des habitudes hétérogènes, il est impossible que la raison ne reconnaisse pas ses droits. » Albert Mathiez, commentant le texte de Meïr Leviah, nota que celui-ci avait « bien vu les raisons véritables de la tolérance de l'abbé ».

Le terme de « régénération », utilisé pour la première fois par Grégoire, connut une brillante fortune. En 1807, Napoléon, qui venait de régler en 1804 la question chré- tienne avec le pape en « une alliance si évidente de tous les charlatans, la religion venant sacrer la tyrannie », comme le notait Stendhal dans son Journal, entendit résoudre à son tour le problème juif avec ce qui lui semblait être la plus haute autorité juive dans le monde. Il constitua et convoqua un Grand Sanhédrin, « dont les actes seraient placés à côté du Talmud pour être articles de foi et prin- cipes de législation religieuse ». Parmi les résolutions doctrinales adoptées par ce Sanhédrin figurait un para- graphe affirmant la nécessité de tout mettre en œuvre

« afin de concourir, autant qu'il dépendra de nous, à l'achèvement de la régénération morale d'Israël ». Ce besoin de régénération paraît encore aujourd'hui si peu discutable que nos historiens le reprendront tel quel.

Ainsi Cecil Roth : « Physiquement, les Juifs avaient dégénéré. [...]. Même d'un point de vue spécifiquement juif, le Juif était sur la voie de la dégénérescence. »

Cette thèse rejoignait finalement les affirmations de Voltaire pour qui les Juifs étaient « ennemis du genre humain » (De mon oncle), et qui notait, dans le Dic- tionnaire philosophique, au mot « Juifs » : « Enfin, vous ne trouverez en eux qu'un peuple ignorant et barbare, qui joint depuis longtemps la plus sordide avarice à la plus détestable superstition et à la plus invincible haine de

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tous les peuples, qui les tolèrent et les enrichissent. Il ne faut pourtant pas les brûler. »

Isolé au sein de la société européenne et dans des conditions économiques, politiques et sociales étouffantes, le monde juif ne pouvait en fait subsister qu'en commu- nautés closes, mi-volontaires mi-imposées. Une organi- sation interne rigoureuse réglementait tous les secteurs de son activité (religieuse, scolaire, judiciaire, fiscale) et assurait la survie. Des valeurs spirituelles et éthiques très élevées permettaient la cohésion du groupe face à l'oppres- sion universelle, en une conception globale et cohérente du monde. Certes, au moyen âge, dans des conditions politiques plus favorables, le judaïsme de France avait connu une période de splendeur avec l'école de Rachi à Troyes, et l'école provençale de Lunel. Mais ce grand mouvement s'était trouvé interrompu en 1394 avec l'édit d'expulsion des Juifs, qui fut appliqué d'une manière draconienne. Ils se trouvèrent alors rejetés de la société européenne et contraints de vivre sur eux-mêmes.

S'ils passèrent à côté des grands mouvements qui animèrent l'Europe, la Réforme et la Renaissance, des courants profonds les parcoururent cependant. Le plus éclatant fut le Sabbatianisme, au milieu du XVII siècle.

L'apparition de Sabbataï Zvi au sein du judaïsme méditer- ranéen constitua, par sa doctrine hérétique (sainteté du péché et nihilisme) et par les remous qu'elle provoqua, la grande crise intérieure préfigurant avec éclat celle qui allait se révéler avec le siècle des Lumières. Contre le Sabbatianisme se dressèrent à la fois l'orthodoxie rabbi- nique et le Kabbalisme classique. Pour la première fois la société juive manifestait son malaise et recherchait de nouvelles assises. C'est sans doute Scholem (3) qui le premier a souligné les liens subtils entre l'hérésie (sabba- téenne, plus tard frankiste) et la Révolution française.

Ce n'est pas un hasard si Junius Frey, qui était appelé à devenir le successeur de Jacob Frank, eut la tête tranchée sous la guillotine aux côtés de Danton. Le monde juif était à la recherche de la définition d'une nouvelle iden- tité. La révolution de 1789, qui effectua la rupture de l'ordre ancien, lui en donna l'occasion.

(3) Gershom SCHOLERM, Les grands courants de la mystique juive, Payot, 1950.

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Une identité nouvelle.

En quoi donc consistait cette définition nouvelle ? Le Grand Sanhédrin de 1807 faisait écho à la règle majeure proclamée par Clermont-Tonnerre : « Accorder tout aux Juifs en tant qu'individus, rien en tant que nation ». Il proclamait que la loi divine comportait des dispositions à la fois religieuses et politiques : « Que les dispositions religieuses sont, par leur nature, absolues et indépendantes des circonstances et des temps ; qu'il n'en est pas de même des dispositions politiques, c'est-à- dire de celles qui constituent le gouvernement et qui étaient destinées à régir le peuple d'Israël dans la Palestine lors- qu'il avait ses rois, ses pontifes et ses magistrats, que ces dispositions politiques ne sauraient être applicables depuis qu'il ne forme plus un corps de nation. »

Ce qu'on appelait la « nation juive » avait vécu. Les Juifs de France étaient désormais des citoyens français de confession mosaïque. Et le Sanhédrin en tirait les conclu- sions dans la réponse aux douze questions que l'empereur lui avaient posées, d'une manière très malveillante, afin de contrôler la sincérité de l'adhésion des Juifs à la nation française.

Celles-ci avaient trait, pêle-mêle, à la polygamie, au divorce, au mariage mixte, à la fraternité, à la France, aux rabbins, à la juridiction de police intérieure, aux pro- fessions, enfin à l'usure. La question de principe quant à la définition de la nouvelle identité ayant été réglée, les réponses furent franches, mais constituèrent toutefois l'extrême limite des concessions.

Passons sur la polygamie (sévèrement prohibée depuis le synode de Worms) ; sur la fraternité (« Il est du devoir de tous d'aider, de protéger, d'aimer leurs concitoyens, et de les traiter sous tous les rapports, civils et moraux, à l'égal de leurs coreligionnaires ») ; sur l'éthique (obli- gation de pratiquer la justice et la charité) ; sur les rapports civils et politiques (« Il est du devoir religieux pour tout Israélite, né et élevé dans un Etat ou qui en devient citoyen par résidence ou autrement, [...] de regar- der ledit Etat comme sa patrie ») ; sur la question des professions (agriculture, sciences, arts et métiers, pro- fessions libérales devaient être encouragés) ; sur l'usure (considérée comme « une iniquité abominable aux yeux

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du Seigneur ») ; enfin sur la patrie (qu'ils étaient prêts à défendre «jusqu'à la mort»).

Un point plus délicat était celui des prescriptions religieuses durant le temps du service militaire. Le Sanhé- drin se soumit : « Tout Israélite appelé au service mili- taire est dispensé par la loi, pendant la durée de ce service, de toutes les observances religieuses qui ne peuvent se concilier avec lui. » Sur le problème des mariages exogamiques, l'assemblée se soumit également. Elle admettait que ces mariages conserveraient toute leur valeur civile aux yeux des Juifs, mais elle précisait que les rabbins « ne seraient pas plus disposés à bénir le mariage d'une Chrétienne avec un Juif [...] que les prêtres catholiques ne consentiraient à bénir de pareilles unions ».

Le Sanhédrin manifesta cependant sa résistance en repoussant un projet de réponse, rédigé par le ministre de l'intérieur, par lequel, de sa « propre et honorable initiative », il sollicitait l'autorité de compléter l'œuvre de régénération par des dispositions relatives au « mélange de la race juive avec la race des Français, à la conscrip- tion, à la répression de l'usure, à l'exercice de l'industrie et particulièrement de l'industrie agricole ».

La disposition concernant « le mélange de la race juive avec la race des Français » répondait à un désir très précis de l'empereur, qui voulait que fût rendue obligatoire une certaine proportion de mariages exoga- miques, par exemple, un mariage exogamique sur trois mariages de Juifs ; c'était d'ailleurs l'un des moyens préconisés par Grégoire dans son Essai.

Quant à la disposition concernant « la répression de l'usure », les membres de l'assemblée refusèrent de se rendre complices de mesures d'exception, l'usure étant la conséquence du régime antérieur qui limitait l'activité économique des Juifs. Ils demandèrent toutefois, en une ultime concession, que l'autorité statuât sur la situation sociale des Juifs, décision qui allait permettre la publi- cation d'un troisième décret, celui du 17 mars 1808, rela- tif à la question économique.

Pour une période de dix ans, ce texte organisait une véritable abolition des créances juives, sous la forme d'une révision judiciaire ; il soumettait tout Juif qui entendait se livrer au « commerce, négoce ou trafic quelconque » à l'obtention préalable d'une patente délivrée par le pré- fet après avis du conseil municipal et du Consistoire

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intéressé ; il comportait également interdiction d'immigrer ou de fixer résidence en Alsace à tout Juif du reste de la France ou de l'étranger (4). Exception était faite cepen- dant dans le texte pour les Juifs établis à Bordeaux, dans le département de la Gironde et dans celui des Landes, ceux-ci « n'ayant donné lieu à aucunes plaintes et ne se livrant pas à un trafic illicite ». L'exception fut étendue dans la suite pour les mêmes raisons aux Juifs de Paris (avril 1808), de Livourne (décret du 16 juillet 1808) et des Basses-Pyrénées (décret du 22 juillet 1808).

Ce texte infirme au moins sur un point la réputation de Napoléon « génie politique et organisateur ». Pour franciser les Juifs, la vraie politique n'était pas de revenir à des mesures d'exception, mais plutôt, comme le deman- daient le Conseil d'Etat, le conseil général du Bas-Rhin et le Grand Sanhédrin lui-même, de garantir et consolider l'émancipation par des réformes d'intérêt général. « Si au contraire Napoléon s'était enquis d'organiser le crédit agricole et foncier, il eût fait action durable et bienfai- sante » (5).

Mais, en 1808, les thèses grégoriennes sur la « dégra- dation » des Juifs étaient encore vivantes. Et Napoléon avait reçu une formation trop religieuse pour être en mesure de briser le mythe du Juif tel que l'avaient façonné dix-huit siècles d'enseignement chrétien. S'il fit quelques exceptions, c'est en faveur des Juifs qui disposaient déjà d'une position commerciale forte, et au mépris de la grande masse. Je ne sache pas que Grégoire, dont le biographe H. Carnot affirme du reste qu'il était partisan de « restric- tions temporaires qu'il déclarait indispensables », ait jamais protesté contre ce texte.

Il m'arrive de contempler longuement les illustrations d'époque où figurent les membres du Grand Sanhédrin, les David Sintzheim, Abraham Furtado, Isaac Berr... Je les revois, graves, solennels, imposants, affublés de ce bizarre accoutrement qu'exigea l'empereur : simarres noires de velours ou de soie, ceintures, larges rabats, bonnets fourrés à cornes (les cornes du diable, ou celles de Moïse ? ). Chers vieux ancêtres, pères de notre commu- nauté, tentant d'affronter avec leurs pauvres moyens la

(4) Voir sur ce sujet Robert ANCHEL, Les Juifs de France, chez Janin, 1946, chapitre intitulé « Napoléon et les Juifs ».

(5) PARROT, in Lavisse, t. III, p. 296 s.

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tâche surhumaine qui s'imposait à eux et qu'ils n'avaient ni prévue ni même souhaitée... Je songe à eux avec ten- dresse, ces quarante-cinq rabbins et vingt-six laïques, choi- sis soigneusement comme étant présumés favorables aux vues impériales.

Pouvaient-ils prévoir les conversions massives qui se manifesteraient plus tard au sein des Consistoires et dans la famille même des rabbins ? Se doutaient-ils que leurs recommandations, pourtant prudentes, sur les maria- ges exogamiques allaient devenir le point de départ d'un vaste mouvement perturbateur et finalement destructeur ? Imaginaient-ils que cent ans après leurs temples seraient désertés ? Un historien du comtat Venaissin pourra écrire en 1934 : « Je constate avec satisfaction l'assimilation totale et définitive des Juifs du comtat» (6). En 1958, la commémoration du cent-cinquantième anniversaire des décrets de 1808 fut plutôt froide. Seul un commentateur traditionaliste déclara, avec un certain courage, qu'il s'estimait encore lié par les décisions doctrinales du Grand Sanhédrin.

Or, ce que n'avaient pas révélé ces décisions, c'était le caractère singulier de toute communauté juive : corps mystique et physique, profondément intégré dans la nation, où il s'enracine en l'espace de deux ou trois géné- rations, et cependant hétérogène par sa nature ethnique et spirituelle. Ainsi l'a façonné l'histoire depuis deux millénaires. S'il n'y avait eu, depuis 1880, les vagues successives d'immigrants, l'histoire du judaïsme français serait probablement close aujourd'hui.

Joseph Salvador avait admirablement décelé en 1860, dans Paris Rome Jérusalem (7), le caractère original de la société juive : « Le peuple juif n'a pas été créé peuple pour lui seul, mais dans l'intérêt universel attaché à ce nom de peuple. [...]. C'est en ce sens qu'on ne doit pas le considérer comme une nation ordinaire, mais bien comme un peuple systématiquement consacré à une idée, à un principe, comme un peuple messiaque ou initiateur. » En fin de compte, de l'ensemble des réponses du Grand Sanhédrin, deux demeurent encore actuelles de nos

(6) Armand MOSSÉ, Histoire des Juifs d'Avignon et du Comtat Venaissin, Lipchutz, 1934.

(7) Joseph SALVADOR, Paris Rome Jérusalem, ou la question religieuse au XIX siècle, 1860.

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jours : l'attachement aux valeurs de la Révolution fran- çaise et le patriotisme. C'est le même Salvador, élevé au sein de la première génération de la liberté, qui écrivait :

« Aimez la France, dans les limites du dévouement et de l'amour que vous devez à votre patrie. A travers les variations et les défaillances dont le caractère français donne de fréquentes preuves, ne perdez jamais de mémoire que cette nation, que ce peuple a une mission réelle à remplir, une destinée marquée du doigt de la Providence ; et, sans préjudice de ce qui appartient à la loi, à la foi et aux intérêts les plus divers de la vie, soyez comme baptisés avec elle ou rebaptisés devant l'Eternel, au nom et sous les auspices de l'honneur» (8). Salvador avait senti que l'acte de 1791 se trouvait à la rencontre de deux messianismes. Et s'il était moins sévère que nous à l'égard du Grand Sanhédrin, c'est qu'il considérait cet événement comme « un témoignage demandé à l'Eglise juive de sa loyale association aux principes de la Révo- lution française, au génie de l'ère nouvelle ».

Le même accent se retrouve chez Alexandre Weill (9), fils de cette même génération, lorsqu'il décrit la rue juive de Francfort à l'annonce de la révolution de 1830 :

« Ce fut un coup de foudre. [...]. La rue des Juifs surtout était sens dessous. [...]. Les Juifs de tous les pays sentent d'instinct la connexion intime qui existe entre eux et la Révolution française. Ils saisissent les relations intérieures qui lient l'idée d'un Dieu immuable comme l'idéal de justice avec la révolution de 1789. [...] La révolution de 1830 a retenti comme une trompette de Jéricho dans les cœurs de tous les Juifs de l'univers. »

Démographie.

Les Juifs de France se trouvaient en 1791 au nombre de 40 000 : 25 000 en Alsace, 7 000 à Metz et en Lorraine, 3 000 à Bordeaux, 2 500 dans le comtat Venaissin, 200 à Nice, 500 à Paris. Les affirmations de Voltaire étaient bien hasardeuses lorsqu'il écrivait en 1776, dans Un Chré- tien contre six Juifs : « Comptons. Cinq cents chez nous, devers Metz ; une trentaine à Bordeaux, deux cents en Alsace. »

(8) Idem.

(9) Alexandre WEILL, Ma jeunesse, 1870.

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Ces 40 000 Juifs devaient leur existence à des cir- constances politiques précises et particulières à chaque groupe : les Alsaciens au fait que cette province ne fut rattachée à la France qu'à partir de 1648, les Comtadins au fait que les Etats pontificaux ne le furent qu'en 1791, les Niçois en 1793, les Messins au privilège d'ancienne ville impériale réunie à la France en 1552, les Bordelais et Bayonnais, dits « Portugais », à leur situation écono- mique exceptionnelle, les autres, Lorrains et Parisiens, à des tolérances locales et souvent personnelles.

Sur le terrain religieux, l'unité demeurait profonde.

Les rabbins, les talmudistes, les kabbalistes ne connurent jamais les frontières temporelles. Les textes, les commen- taires, les consultations, les décisions circulaient de ville en ville. (Il y avait en France cent cinquante-deux syna- gogues au début du XIX siècle). Mais les structures écono- miques ainsi que les niveaux sociaux étaient totalement différents. Il n'y avait aucune comparaison possible entre un Juif « portugais » pratiquant le haut commerce inter- national et un Juif alsacien réduit le plus souvent au rôle de maquignon dans les foires campagnardes. Au début du XIX siècle, un mariage entre un Juif de Bordeaux et une Juive d'Alsace « eût été encore scandaleux », note Anchel. Socialement, les « Portugais » méprisaient les Comtadins. Mais tous deux se considéraient comme l'« élite » de la nation et obtinrent les premiers l'éman- cipation, sans se soucier de leurs frères d'Alsace et de Lorraine qu'ils méprisaient.

Deux mille cinq cents Juifs vivaient dans les quatre communautés du Comtat, Carpentras, l'Isle-sur-Sorgues, Cavaillon et Avignon, soumis au régime classique du peu- ple déchu tel que l'enseignait et le voulait l'Eglise catho- lique. Mais le climat provençal tempérait en partie la rigueur humiliante des bulles et décrets pontificaux. Les conversions n'y étaient pas rares, et comme en Alsace les enlèvements d'enfants y étaient fréquents. La commu- nauté s'administrait selon un système démocratique et censitaire. L'existence était certes plus comtadine que judaïque, et la savoureuse littérature judéo-provençale en fait foi (10). C'est pourquoi ils ne participèrent que (10) Voir notamment les ouvrages d'Armand LUNEL, Peccavi, Esther de Carpentras, Jérusalem à Carpentras, chez Gallimard.

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. fort médiocrement aux débats du Grand Sanhédrin. Lors- qu'avait éclaté la Révolution, ils avaient planté un arbre de la Liberté à la place de la croix devant la cathédrale Saint-Siffrein et accepté sans protester la transformation de la synagogue de Carpentras en club civique.

La situation des Juifs dits « portugais » était, elle, particulièrement brillante. Depuis le XV siècle, selon un rythme continu, étaient arrivés dans le Sud-Ouest français des Juifs du Portugal et d'Espagne chassés de leur pays par l'inquisition. Ils étaient tous plus ou moins marranes, c'est-à-dire que tout en affichant extérieurement le chris- tianisme, ils avaient continué à pratiquer en secret le judaïsme, jusqu'au moment où le conflit était devenu intenable. En France, la plupart réaffirmèrent publique- ment leur foi originelle. Légalement, leur situation était incertaine, au regard de l'édit d'expulsion de 1394. Mais diverses lettres patentes leur accordèrent le droit de rési- der en France à cause de la place importante qu'ils occu- paient dans le haut commerce : ils disposaient en effet de relations étroites avec les « Portugais » de Londres et d'Amsterdam. En 1683, Colbert s'élevait contre les mesures d'exception envisagées contre eux : « Le commerce pres- . que général est entre les mains de ces sortes de gens-là ».

Et, en 1688, le contrôleur général penchait dans le même sens : « Le commerce qui est beaucoup altéré par la retraite des Huguenots pourrait tomber dans une ruine entière si l'on agissait trop ouvertement contre les Juifs» (11).

Mais ni les uns ni les autres, Avignonnais ou Portu- gais, ne pouvaient, par suite de leur trop faible nombre et de leur mépris pour les Juifs d'Alsace, exercer une influence déterminante sur le sort de la communauté juive française en gestation. Du reste, ils n'y tenaient pas.

Restaient les Juifs de l'Est, Alsace et Lorraine. Leur niveau économique était fort médiocre. A l'obligation de résidence dans certains villages ou dans certains quartiers nettement délimités de certaines villes s'ajoutaient une législation spéciale, des impositions nombreuses et l'ex- clusion d'un certain nombre de métiers et professions : seuls étaient autorisés brocante, friperie, maquignonnage, commerce de grains et de chevaux, prêt à intérêt et sur

(11) Cité par ANCHEL, dans le chapitre intitulé : « Marranes et judaïsants ».

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gage, trafic d'immeubles. La morale familiale était austère, l'esprit religieux fort rigide. L'arrivée permanente d'immi- grants venus de l'Est alourdissait les charges communes déjà fort lourdes. Et l'Etat, gros client de grains ou de chevaux, était souvent mauvais payeur.

En Alsace, les lettres patentes de 1784 interdisaient d'acquérir des biens fonds, de contracter mariage sans autorisation ; les Juifs étrangers n'avaient pas pouvoir de s'installer dans le pays. Les grandes villes, Colmar, Strasbourg, Mulhouse, étaient interdites. La répartition purement rurale de la population juive empêchait tout développement intellectuel et spirituel. (Metz, au contraire, abritait plusieurs imprimeries hébraïques, et des talmu- distes célèbres venaient d'Allemagne, de Bohême et de Polo- gne pour y enseigner). Dans l'ensemble, la communauté juive alsacienne était très handicapée : grande pauvreté de la masse, dispersion géographique dans les communes rurales, mauvaise réputation en raison de l'accusation d'usure, méconnaissance de la langue française, coupure depuis 1648 d'avec le vaste foyer de culture qu'était l'Alle- magne, absence de chefs spirituels. Le décret discrimina- toire de 1808 s'ajouta à tout cela.

Dans le creuset français.

La nouvelle communauté qui se formait se trouvait aussitôt engagée dans un combat difficile, divisée qu'elle était par des intérêts immédiats contradictoires, par des directions de culture différentes et par des niveaux éco- nomiques et sociaux qui ne comportaient aucune homo- généité. Il lui manquait un guide spirituel de la taille d'un Samson Raphaël Hirsch ou d'un Samuel David Luzzato, qui d'ailleurs, malgré leur prestige, ne purent arrêter la dégradation des communautés allemande et italienne. L'émancipation amena rapidement l'intégration des Juifs au sein de la société française, mais elle pro- voqua également leur fuite hors d'une communauté mar- quée, d'un commun accord, du signe de l'humiliation. Il ne faut d'ailleurs pas omettre l'incidence qu'a com- porté en l'espèce le centralisme de l'administration fran- çaise, hérité de la monarchie. La volonté, exprimée par tous nos régimes depuis deux siècles, d'assurer l'unité territoriale, l'unité judiciaire, l'unité linguistique, l'unité

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scolaire, l'unité nationale fait que le fédéralisme est une notion hétérogène à la culture française. Le folklorisme constitue la limite extrême des concessions qu'elle tolère.

Sartre analyse ainsi le comportement classique du démo- crate (12) : « Il n'a pas d'yeux pour les synthèses concrè- tes que lui présente l'histoire. Il ne connaît pas le Juif, ni l'Arabe, ni le nègre, ni l'ouvrier : mais seulement l'homme, en tout temps, en tout lieu pareil à lui-même. Il n'y a pas de Juifs, dit-il, il n'y a pas de question juive. Cela signifie qu'il souhaite séparer le Juif de sa religion, de sa famille, de sa communauté ethnique, pour l'enfourner dans le creuset démocratique d'où il ressortira seul et nu, particule individuelle et solitaire, semblable à toutes les particules. Celui-ci veut le détruire comme Juif, pour ne conserver en lui que l'homme, le sujet abstrait et uni- versel des droits de l'homme et du citoyen. » Et de con- clure : « L'antisémite reproche au Juif d'être Juif. Le démocrate lui reprocherait volontiers de se considérer comme Juif. »

(12) Réflexions sur la question juive, Gallimard, 1960 (première édition en 1947, chez Morihien.

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II

LA PREMIÈRE

GÉNÉRATION DE L'ÉMANCIPATION Usant de cette liberté nominale qui leur était concédée, les Juifs commencèrent à sortir de leurs résidences tradi- tionnelles. Ceux d'Alsace se dirigèrent vers les grandes villes jusqu'alors interdites, Strasbourg, Colmar, Mulhouse. Ceux du Comtat essaimèrent à Marseille, Nîmes, Mont- pellier, ceux de Metz à Thionville, Sarreguemines, Nancy, Paris connut l'afflux des Juifs « allemands », « portugais et « avignonnais ». Tous comprirent très vite les possi- bilités qui leur étaient enfin offertes. S'ils ne surent utiliser au mieux le décret du 20 juillet 1808 concernant l'état civil, dont le but essentiel était de faciliter l'inté- gration au sein de la nation par l'adoption de noms et de prénoms français, tout le reste (liberté de résidence, liberté des professions, possibilité de mariages exogamiques, abandon des «traditions burlesques ») fut rapidement assimilé ; seuls les Juifs alsaciens manifestèrent sur ce point un certain retard. Le seul problème qui subsistât était celui des dettes communes, reliquat de la gestion des communautés abandonnées. Les recueils de jurisprudence de ce temps sont remplis de procès ayant trait à ces paie- ments ; on en trouve encore vers 1870.

Certes, l'Etat aurait dû prévenir l'incidence de la réforme, et dans ce but nationaliser les anciennes commu- nautés, comme il le fit pour les corporations. Le Grand Sanhédrin aurait pu de son côté prévenir le mouvement de désertion en demandant que chaque Juif fût tenu d'adhérer obligatoirement à une communauté. Mais ce

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sont là des regrets historiques assez vains. En fait, la liberté nominale allait briser sans violence cette armature qui, durant dix-huit siècles, avait assuré la survie d'un grand nombre de valeurs spirituelles, culturelles et éthi- ques. Chacun se hâtait d'abandonner un judaïsme dont on convenait qu'il était périmé.

Il est impossible de donner des chiffres. Cecil Roth avance celui de 200 000 conversions pour l'Ouest euro- péen au cours de ce début du siècle. Le chef de file de ce mouvement de conversions fut Henri Heine, arrivé à Paris dès 1830. Or, si la conversion pouvait se compren- dre en Allemagne où le Juif était encore tenu d'acheter son billet d'entrée dans la société européenne, elle n'était nullement nécessaire en France. On ne peut avancer qu'une explication sociologique à ce vaste mouvement anarchi- que : la volonté d'identification par le moyen en fait le plus efficace, l'adhésion à la foi religieuse de la majorité.

Léon Askenazi a remarquablement montré (1) que si le Juif manifeste une telle aptitude aux changements fondamentaux de structures, c'est, paradoxalement, par suite d'« un manque de faculté d'adaptation » véritable.

Le marxiste Henri Lefebvre exprime la même idée, sur le plan général des rapports entre l'individu et la société, quand il écrit : « L'adaptation complète, en tant qu'elle renonce à la lutte et aux conflits externes et intérieurs, est une forme individuelle d'aliénation sociale» (2). Ici, le terme « adaptation complète » représente ce que nous entendons par « assimilation ». La véritable adaptation implique au contraire le maintien des valeurs du groupe minoritaire et la nécessaire symbiose en un périlleux et dramatique affrontement.

Du sein de la débandade joyeuse qui emportait les Juifs de France de cette première génération, quelques êtres eurent le courage de lutter à contre-courant. Aucun d'eux cependant ne disposait ni de l'audience nécessaire ni d'une ampleur suffisante dans la vision pour imposer à lui seul un redressement qu'allaient cependant provo- quer les phénomènes politiques survenus à la fin du XIX siècle.

(1) Léon ASKENAZI, « Crise d'identité et éducation », L'Arche, juin 1960.

(2) Henri LEFEBVRE, La somme et le reste, Nef, 1960, p. 287.

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Alexandre Weill.

Avec Alexandre Weill (1811-1899) nous assistons à une première tentative. Mais celle-ci était par avance vouée à l'échec, parce que menée de l'extérieur et non de l'intérieur. D'instinct, le monde juif rejeta toujours ceux dont l'action risquait de provoquer à plus ou moins longue échéance le schisme et l'hérésie. Ainsi de Flavius Josephe, et de Philon, qui furent, en définitive, recueillis par les mains chrétiennes. Weill, lui, ne fut accepté ni par les uns ni par les autres. Il reste en marge.

Ce personnage excentrique ne manque pas d'une cer- taine allure. On découvre parfois dans ses propos la paillette d'or d'une vérité prophétique. Mais ses outrances et ses contradictions lui enlevèrent finalement toute audience. Ses trois volumes de souvenirs, fort appréciés de Barrès, le font apparaître comme une sorte de Gil Blas judéo-alsacien.

Alexandre Weill est né en 1811 à Schirhoffen (Bas- Rhin). Son père était maquignon, sa mère, fille de rabbin.

La famille était nombreuse. A l'âge de treize ans, muni du bagage hébraïque traditionnel (Bible, Talmud, et un peu de Kabbale), il part sur les routes, accompagné de la bénédiction de sa mère : « Je te laisse dans les bras de Dieu qui te grondera, qui te battra plus fort que moi. » Les yechivoth (3) de Metz, Nancy, Marmoutier, consti- tuent ses premières étapes. Mais il étudie et lit aussi Voltaire et Schiller. L'annonce de la révolution de 1830 le trouve à Francfort. C'est pour lui « un coup de foudre ».

Il note : « Nous-mêmes, les fidèles Alsaciens, la garde sacrée, nous fûmes ébranlés. »

En 1838, il est à Paris : journaliste, correspondant de presse de divers organes de langue allemande, traduc- teur, écrivain. Bouillonnant d'esprit et d'idées, il fréquente les célébrités de l'époque : Henri Heine, Gérard de Nerval, Théophile Gautier, Balzac, Eugène Sue, Meyerbeer, qu'il sacre le plus grand génie du siècle Quant à ses opinions politiques, elles sont très variables. Il optera tour à tour pour le socialisme, la monarchie, la république, et de nouveau pour la monarchie, pour finalement revenir à ses premières idées où se font sentir les influences les plus diverses, Moïse, Spinoza, Descartes, Rousseau, Mon-

(3) Ecoles religieuses.

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taigne, Voltaire, Mirabeau et la « colonne lumineuse » de 1789. Il ne craint pas d'affirmer : « Depuis Moïse, Josué, Samuel, Isaïe, Amos et Jésus (qui était un prophète mosaïste) il n'y a pas eu, il ne pouvait y avoir un Juif comme moi. »

Bien sûr, personne n'était en mesure de le suivre, ni les chrétiens, ni les athées. Quant aux Juifs, ils ne pouvaient que le tenir à l'écart, à cause de ses attaques virulentes contre eux. Dans sa haine très voltairienne et grégorienne du Talmud, « œuvre de fanatisme et d'igno- rance », il écrit par exemple : « Un Etat civilisé ne saurait tolérer en son sein une doctrine aussi préjudiciable aux intérêts de ses citoyens et de l'humanité entière. [...] Que le gouvernement français supprime seulement toute école rabbinique spéciale. » Il faut émanciper les Juifs de gré ou de force. Ils risquent alors de se réduire à une simple secte chrétienne ? Qu'importe : « Car le but de l'humanité, c'est l'unité et l'harmonie, n'importe sous quelle bannière, fût-ce celle du catholicisme » (4).

Certes ce même texte, comme toujours chez Weill, comportait aussi certaines remarques justes. Ainsi il se plaignait de l'abandon en France des études supérieures juives, il regrettait le caractère stationnaire du judaïsme français, exceptant seulement de sa condamnation le Lorrain Adolphe Franck (philosophe, auteur d'un ouvrage sur la Kabbale, membre de l'Institut en 1844, titulaire d'une chaire au Collège de France en 1856), l'écrivain Joseph Salvador, et les saint-simoniens Olinde et Eugène Rodrigues. Mais cela s'insérait dans une condamnation si générale, dans un raisonnement si confus, si provocateur (l'auteur en arrive à faire l'éloge du tsar Nicolas et de ses mesures de cloisonnement dans les zones de résidence), que les éléments constructifs de sa démonstration perdaient toute efficacité : aucun groupe humain ne peut faire sienne une finalité qui comporte, en une nouvelle nuit du 4 août, son suicide sur l'autel de l'humanité.

Arraché très tôt à ses structures traditionnelles, ins- piré trop unilatéralement par la thèse voltairienne et gré- gorienne de la « dégradation » des Juifs, ivre de liberté et fou d'orgueil, Alexandre Weill, qui voulait promouvoir le progrès des idées parmi les Juifs, s'est montré souvent

(4) « De l'état des Juifs en Europe », in Revue indépendante, 1844, p. 481 s.

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leur ennemi et même leur dénonciateur, et n'a jamais pu, à cause de cela, contribuer à la formation d'une conscience commune au sein de la communauté juive de France, même s'il manifesta toujours un indéfectible attachement à la loi de Moïse (5).

Joseph Salvador.

Salvador était né à Montpellier en 1796 d'un père juif d'origine « portugaise » et d'une mère catholique.

Trois sentiments l'animent : un profond patriotisme, de la reconnaissance pour la France qui la première a pro- clamé l'émancipation des Juifs (le mérite en revient en vérité à la Révolution américaine) et l'obligation morale pour les Juifs de « justifier » cette émancipation. C'est dans ces limites que Salvador va mener une héroïque confrontation, écartant cependant la tentation de la con- version qu'il appelle « une certaine capitulation de la conscience ».

Etudiant à Montpellier, il lit un jour dans une gazette le récit d'une émeute antijuive en Allemagne, accom- pagnée du cri traditionnel « hep ! hep ! » (Hyerosolima Est Perdita : Jérusalem est perdue). Après un moment d'accablement, il s'écrie : « En êtes-vous bien certains ? » Rousseau et Voltaire lui apparaissent, approuvés par Moïse, et proclament : « Alliance, alliance de justice universelle et de tolérance réciproque, alliance en liberté et nouveauté ! » Il entreprend alors son œuvre, à laquelle il consacrera toute sa vie (6).

(5) Bibliographie sommaire des œuvres d'Alexandre WEILL : traduction de La guerre des paysans de MUNZER, 1847 ; Génie de la monarchie, 1850 ; Moïse et le Talmud, 1864 ; Ma jeunesse, Mon adolescence et Réginele mon pre- mier amour, 1870 ; La parole nouvelle, 1872 ; Souvenirs intimes de Henri Heine, 1883 ; La mission nouvelle, 1885 ; Histoire véridique et vécue de la révolution de 1848, 1887 ; Epïtres cinglantes à Monsieur Drumont, 1888 ; Le centenaire de l'émancipation des Juifs, 1888. Les articles suivants sont parus dans la Revue indépendante : « De l'état des Juifs en Europe », t. XIV, 1844 p. 424 s. ;

« Rothschild et les finances de l'Europe », t. XVII, 1844, p. 481 s. ; « Hygiène des Juifs », t. XX, 1845, p. 82 s. Sur A. WEILL, on notera l'étude de Robert DREYFUS, Alexandre Weill, ou le prophète du faubourg Saint-Honoré, 1907.

(6) Il faut noter parmi ses œuvres : Loi de Moïse ou système religieux et politique des Hébreux, 1822 ; Histoire des institutions de Moïse et du peuple hébreu, 1828 ; Jésus-Christ et sa doctrine, 1838 ; La domination romaine en Judée, 1847 ; Paris Rome et Jérusalem ou la question religieuse au XIX siècle, 1860. Sur SALVADOR, lire Gabriel Salvador, Joseph Salvador, sa vie, ses œuvres et ses critiques, 1881, et aussi James DARMESTETER dans Les prophètes d'Israël, 1882.

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Parlant de son Jésus Christ et sa doctrine, Joseph Klauzner, l'auteur de Jésus de Nazareth (traduction chez Payot en 1933), la première vie de Jésus en hébreu, l'a trouvé « un livre remarquable ». Salvador affirmait que Jésus n'avait jamais posé un seul principe de morale qu'on ne put trouver antérieurement chez les prophètes ou les sages ; que les pharisiens avaient assuré la conti- nuité nationale ; enfin, que le christianisme était un compromis entre judaïsme et paganisme, compromis que le judaïsme n'avait pu que rejeter. La thèse était assez révo- lutionnaire à l'époque.

Paris Rome Jérusalem constitue la synthèse de sa pensée. Pour lui, Rome représente le passé, Paris le pré- sent, et Jérusalem l'avenir. Il pose deux principes : pas de révolution politique, générale et sociale sans une trans- formation religieuse correspondante, mais pas de trans- formation religieuse possible sans l'apport d'une sève religieuse, originelle et créatrice, tel le mosaïsme.

Le mosaïsme représente « le tronc originel personnifié, le principe mâle, l'esprit viril ». La grandeur de Moïse réside dans le fait qu'il a su créer les quatre unités fondamentales : unité de Dieu, unité d'origine, unité de fin, unité de moyen (le peuple juif). Le peuple juif est donc « le peuple modèle, [...] le peuple principe », le moyen exceptionnel de parvenir à l'unité finale : « Le Juif est la base de la question religieuse. »

Or, du tronc originel, trois branches ont jailli : la branche judaïque, la branche chrétienne, la branche isla- mique. Ces trois groupes ont échoué : les Juifs à cause de l'accentuation de leur particularisme, les Chrétiens à cause de leurs divisions, de leurs défaillances et de leur alliance avec le temporel, les Musulmans à cause de leurs limites géographiques. Il faut donc à ces trois grands groupes religieux retrouver « un terrain commun », effec- tuer « une transformation commune », manifester « un nouvel accord entre religion et philosophie » et retourner à la source première du mosaïsme en créant « la Jérusalem des temps nouveaux, [...] la véritable arche de la Sainte Alliance ». Ici, le rôle de la France apparaît à Salvador essentiel, parce que la France a été l'instrument idéal de la rupture.

Salvador s'attelle alors à cette tâche : élaborer la cité idéale, « cette Jérusalem dont la réédification s'opère d'abord dans le domaine de l'intelligence ». La terre va

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redevenir fertile en Palestine. Salvador perçoit déjà le plan de la ville : quatre portes principales (consacrées à Moïse, Jésus, Mahomet, Brahma) et des portes secondaires (consacrées à Voltaire et Rousseau) : « Déjà Jérusalem n'est plus à la circonférence, mais bien au centre du monde civilisé. »

La construction était cohérente, mais utopique. Aucun peuple n'était encore mûr pour l'ultime métamorphose.

Admirons pourtant l'effort intelligent et passionné, servi par une imagination créatrice, qui répond au mépris, assume la confrontation, la surmonte enfin en une syn- thèse idéale. Si l'expérience de Salvador échoue, c'est que, comme celle d'Alexandre Weill, elle est menée de l'extérieur, sans tenir compte des données immédiates qu'imposait l'histoire.

Salvador fut enterré au Vigan (Gard) en 1873. Toute la population catholique et protestante de la ville accom- pagna le corps au cimetière où un rabbin prononça les prières rituelles.

Adolphe Crémieux.

Adolphe Crémieux exprime une réaction plus réaliste, plus vigoureuse et plus pragmatique. Il s'est voulu le champion des droits civils et politiques des Juifs. Avec lui apparaît pour la première fois la notion, encore floue et ambiguë (et bien différente de ce que l'imaginent les antisémites) de « politique juive ». Sa « politique juive » est axée exclusivement sur la solidarité universelle, sur la responsabilité personnelle du judaïsme français à l'égard des Juifs encore sous le joug, enfin sur l'intérêt français bien compris. Le rôle de Crémieux, qui fut plus un homme d'action qu'un penseur, fut en ce domaine décisif.

Il naquit à Nîmes la même année que Joseph Sal- vador. Sa famille était d'origine comtadine. Son père était un jacobin de bonne race. L'évolution du fils connut en conséquence une progression rapide. Avocat dès 1817, sa carrière à Nîmes puis à Paris est brillante. Attiré par la vie politique, il est élu député de Chinon en 1842.

Réélu en 1846, il participe activement à la Révolution de février. Ministre de la justice au sein du gouvernement provisoire, il proclame la suppression de la peine de mort en matière politique et l'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises. Il mènera une lutte oppo-

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sitionnelle sous le régime impérial. De nouveau ministre de la justice en 1870, après l'effondrement de l'Empire, il préside la délégation du gouvernement provincial à Tours puis à Bordeaux et mène une lutte énergique contre l'ennemi. En 1871, il est battu à Chinon, mais en 1872, à l'occasion d'un renouvellement partiel, il est élu député d'Alger. En 1875, il est nommé sénateur inamovible. On lui fera en 1880 des funérailles nationales.

L'homme avait grande allure, et un sens aigu de la dignité. Ecoutons-le par exemple plaidant en 1827 un des premiers procès more judaico (7) : « Je ne veux faire aucune concession. J'ai la loi, j'ai son texte, son esprit.

J'ai la charte. J'ai mon droit. Je le réclame. Je le veux et le veux tout entier. »

L'audience dont il bénéficiait, il la mit au service des Juifs. Dès 1830 en effet il est délégué de Marseille au Consistoire central (il en sera le président de 1843 à 1845 et donnera sa démission lors du baptême de ses enfants, provoqué par sa femme). En 1840 éclate l'affaire de Damas : un barbier juif est accusé d'avoir assassiné le père Thomas, supérieur des Capucins. C'était la pre- mière accusation de meurtre rituel des temps modernes.

. Adolphe Crémieux et Salomon Munk se rendirent à Alexan- drie et Constantinople en compagnie de Moses Montefiore (ce dernier au nom du judaïsme britannique). La mission réussit pleinement. L'accusation de meurtre rituel fut proclamée sans fondement. En 1843 Crémieux intervient de nouveau, cette fois-ci auprès du gouvernement russe.

Mais ces interventions sont encore individuelles. En 1860, à l'occasion de l'affaire Mortara, va se créer, avec l'Alliance, la première institution organique ayant pour but la défense des Juifs.

Deux ans auparavant, en 1858, à Bologne, par ordre du pape Pie IX, un enfant de sept ans, Edgar Mortara, avait été arraché à sa famille par la police pontificale et emmené à Rome à l'hospice des catéchumènes pour la raison suivante : alors que l'enfant n'avait que onze mois, lors d'une grave maladie, une servante chrétienne l'avait baptisé à l'insu de ses parents. L'affaire souleva une

(7) Le serment more judaico était le serment judiciaire imposé aux Juifs.

Il devait être prêté devant l'autorité rabbinique, et ne pouvait l'être à l'audience.

Cette pratique fut définitivement abolie par un arrêt de la chambre civile de la Cour de cassation du 3 mars 1846.

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émotion considérable dans toute l'Europe. Malgré des interventions multiples, parmi lesquelles celles de Napo- léon III et de François-Joseph, l'enfant ne fut jamais rendu.

La réaction du monde juif ne se fit pas attendre. En mai 1860 un appel fut publié demandant aux Juifs de toutes les nations de s'unir afin de lutter contre l'injustice, les préjugés et les discriminations. L'appel était signé des noms suivants : Aristide Astruc, rabbin, Isidore Cahen, journaliste, Narcisse Leven, avocat et secrétaire de Cré- mieux, Jules Carvalho, ingénieur, Eugène Manuel, pro- fesseur, Charles Netter, négociant. Il disait notamment :

« Si vous croyez que ce serait un honneur pour votre religion, une leçon pour les peuples, un progrès pour l'humanité, un triomphe pour la vérité et pour la raison universelles de voir se concentrer toutes les forces vives du judaïsme, petit par le nombre, grand par l'amour de la vérité et du bien, venez à nous, nous fondons l'Alliance Israélite Universelle. » L'antique devise resurgissait : tous

les Israélites sont des frères, Kol Israël 'Havérim.

Crémieux fut élu président de l'Alliance à partir de 1863, et imprima à l'association sa forte personnalité. A l'initiative individuelle faisait place une action collective et concertée. L'unité du monde juif se trouvait ainsi affir- mée, en dépit de la dispersion en multiples communautés nationales. Cependant le fait que l'Alliance se manifestât dans le cadre d'un missionnarisme français suscita bien- tôt des réactions : en 1871 les Juifs anglais fondèrent l'Anglo jewish Association ; en 1873 ce fut le tour des Autrichiens avec l'Israelitische Allianz, et en 1901 celui des Juifs allemands qui créèrent la Hilfsverein der Deutschen Juden. L'unité, un moment entrevue, se rom- pait à nouveau.

L'Alliance joua cependant un rôle important et continu sur le plan politique et diplomatique, notamment au Congrès de Berlin de 1878. Sur le plan scolaire, son action fut également très énergique. A partir de Tétouan, où fut créée en 1862 la première école d'enseignement pri- maire, fut fondé tout un réseau d'écoles, en particulier dans le bassin méditerranéen. L'enseignement y était fait en français. Aussi le gouvernement français ne pouvait-il qu'appuyer une œuvre qui, au même titre que les missions chrétiennes ou laïques, développait l'influence française dans le monde.

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CET OUVRAGE AÉTÉ ACHEVÉ D'IMPRIMER LE 15 OCTOBRE 1962, SUR LES PRESSES DE L'IMPRIMERIE JACQUES ET DEMONTROND A BESANÇON ET INSCRIT DANS LES REGISTRES DE L'ÉDITEUR SOUS LE

NUMÉRO 476

Dépôt légal 4e trimestre 1962 : N° 6838.

Imprimé en France

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